COURONNE |
Contrats |
Cougar Aviation Ltd. c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux)
A-421-99
juge Evans, J.C.A.
28-11-00
31 p.
Contrôle judiciaire d'une décision par laquelle le Tribunal canadien du commerce extérieur a rejeté une plainte déposée par Cougar Aviation Limited (Cougar) qui alléguait qu'un marché public avait été adjugé à Provincial Airlines Limited (PAL) par Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC) en violation de l'Accord sur le commerce intérieur--PAL avait fourni des services de surveillance aérienne maritime au ministère des Pêches et Océans (le MPO) aux termes de deux marchés de cinq ans--En 1998, TPSGC a publié une demande de propositions (DP) pour permettre au MPO de continuer à bénéficier des services de surveillance aérienne maritime--Vitesse de pointe minimale requise réduite en réponse à une lettre de Cougar--L'offre de PAL, était de 40 millions de dollars; celle de Cougar, de 65 millions de dollars--Le 9 octobre 1998, date de clôture de la période de soumission, Cougar a envoyé une lettre à TPSGC pour lui exprimer des réserves au sujet des modifications apportées aux conditions essentielles--Les soumissions ont été évaluées par un comité composé de quatre personnes, dont trois du MPO, parmi lesquelles deux connaissaient déjà PAL en leur qualité officielle, et une de TPSGC--Même si aucun des membres du comité d'évaluation ne possédait de compétences techniques en aéronautique, les membres du comité d'évaluation ont estimé qu'ils n'avaient pas besoin de l'aide d'un expert de l'extérieur--Le marché a été adjugé le 8 janvier 1999 à PAL--Le 22 janvier, Cougar a porté plainte devant le Tribunal--Le Tribunal a conclu que les modifications apportées à l'énoncé de travail étaient mineures ou qu'elles ne constituaient rien de plus que des éclaircissements des exigences initiales; il a ajouté qu'il n'était pas compétent pour faire enquête sur une allégation de crainte raisonnable de partialité, par opposition à une partialité réelle et il a rejeté d'autres aspects de la plainte pour non-respect des délais--La demande est rejetée--1) Le Tribunal n'a pas commis d'erreur en rejetant la plainte par laquelle Cougar alléguait que la crainte raisonnable que le comité d'évaluation ait fait preuve de partialité viciait toute la procédure de passation du marché--a) Le Tribunal a commis une erreur de droit en refusant de statuer sur l'aspect de la plainte de Cougar relative à l'impartialité--Dans le contexte de la procédure administrative, l'«impartialité» s'entend normalement aussi de l'apparence d'impartialité--On fragmenterait indûment la contestation portée contre un marché public si on obligeait le soumissionnaire dont l'offre n'a pas été retenue à formuler son allégation de crainte raisonnable de partialité dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire--On contredirait l'économie de la loi si l'on interprétait la compétence du Tribunal d'une manière aussi étroite--b) L'obligation d'agir avec équité s'applique à la procédure d'adjudication des marchés publics du gouvernement fédéral: l'obligation d'entendre ceux qui sont susceptibles d'être touchés par une décision défavorable et l'obligation d'être impartial--Le devoir d'impartialité ne se limite normalement pas aux cas de partialité réelle--La question de savoir ce qui constitue une crainte raisonnable de partialité dépend du contexte--Ceux qui sont chargés d'évaluer les soumissions doivent éviter tout comportement qui susciterait une crainte raisonnable de partialité en faveur d'un des soumissionnaires pour deux motifs: 1) le processus décisionnel qui régit l'adjudication des marchés publics comporte l'évaluation de plusieurs soumissions opposées en fonction de critères qui sont relativement objectifs et en fonction d'une appréciation plus subjective de l'acceptabilité des soumissionnaires en tant qu'éventuels fournisseurs de services; 2) l'application du critère plus rigoureux favorise l'atteinte des objectifs de l'Accord, compte tenu de l'importance que revêtent la transparence et l'équité du processus et la nécessité d'éviter toute influence indue en matière d'adjudication des marchés publics--Le fait que le comité d'évaluation comptait deux fonctionnaires du MPO qui connaissaient bien les membres du personnel de PAL parce qu'ils avaient travaillé avec eux au cours des deux contrats antérieurs ne peut en soi constituer une crainte raisonnable de partialité--Écarter des fonctionnaires qui possèdent des connaissances directes et précieuses de ce genre ne servirait pas l'intérêt du public en ce qui concerne l'optimisation des deniers publics en matière de marchés publics--La présence au sein du comité d'évaluation d'un nombre suffisant de personnes qui ne connaissent pas les soumissionnaires (en l'espèce, deux des quatre membres, dont le chef de l'équipe d'évaluation) constitue une protection suffisante contre le «copinage»--Il n'y a rien dans la nature du contexte décisionnel qui justifie d'exclure l'obligation habituelle de la common law suivant laquelle ceux à qui s'applique l'obligation d'agir avec équité doivent éviter tout comportement qui suscite une crainte raisonnable de partialité--Finalement, les accusations de partialité doivent normalement être soulevées le plus tôt possible, à défaut de quoi il y a renonciation à toute objection--Un candidat non retenu ne peut se servir de la partialité pour contester la validité de la décision après avoir laissé le processus administratif suivre son cours sans soulever d'objection--c) Les faits ne suscitent pas une crainte raisonnable de partialité--(i) La question de savoir si le comité estimait qu'il avait besoin de l'avis d'un expert de l'extérieur est une décision qui relevait de son pouvoir discrétionnaire, en raison des facteurs suivants: le contexte de la prise de décision, l'écart mineur entre la vitesse de pointe de l'aéronef de PAL citée par Field Aviation et la vitesse initialement exigée, compte tenu spécialement du concept quelque peu flou de «vitesse de pointe», le fait que cette évaluation provenait d'un concurrent, la quantité d'éléments d'information dont disposait le comité au sujet des soumissionnaires et de leur équipement, l'importance des facteurs autres que la vitesse de pointe qui entrent en jeu lors de l'adjudication du marché, et le fait que l'entreprise retenue était tenue de démontrer dans les 60 jours de l'adjudication du marché que son équipement respectait bel et bien les exigences de performance stipulées--(ii) La modification relative à la vitesse de pointe était d'une importance relativement mineure et elle visait à exprimer plus fidèlement les besoins du MPO plutôt qu'à effectuer un changement important aux spécifications du rendement applicables à l'aéronef--Elle ne suscite pas une crainte raisonnable de partialité--L'affirmation que le King Air 200 satisfaisait aux exigences du MPO constituait simplement une clarification d'une condition en réponse à une question d'un soumissionnaire et non une affirmation que seul le King Air 200 satisfaisait aux exigences du MPO--Le comité pouvait, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, décider s'il y avait lieu ou non d'accorder une autre prorogation de délais après la modification du 30 septembre relative à la vitesse de pointe--La modification n'était pas d'une nature à ce point fondamentale pour obliger le comité à accorder cette prorogation pour respecter son obligation d'agir avec équité--Même en les examinant de façon cumulative, les moyens invoqués par la demanderesse pour contester l'impartialité et l'équité de la procédure de passation du marché n'établissent pas qu'il y a eu manquement à l'obligation d'agir avec équité--2) Le Tribunal n'a pas manqué à son obligation d'agir avec équité en refusant de tenir une audience au sujet de la plainte de Cougar--Le Tribunal a décidé que le dossier contenait suffisamment d'éléments d'information pour lui permettre de trancher le litige sans avoir à tenir une audience--L'obligation d'agir avec équité n'exige pas la tenue d'une audience du simple fait qu'il est difficile de résoudre une question parce qu'il existe des éléments de preuve contradictoires à son sujet--La nature de la décision à rendre et des questions en litige n'exigeait pas la tenue d'une audience--La principale question en litige n'en est pas une de crédibilité, mais plutôt celle de l'appréciation de la portée de la suppression de la condition relative à la vitesse de pointe pour l'offre de Cougar, compte tenu des éléments dont le comité disposait--Compte tenu de la quantité d'éléments dont le Tribunal disposait, de la nature de la question pour laquelle une audience était réclamée et du fait que les pouvoirs du Tribunal se limitent à formuler des recommandations au sujet de l'opportunité d'annuler un marché, le Tribunal pouvait faire enquête sur la plainte de Cougar sans manquer à son obligation d'agir avec équité en ne tenant pas d'audience--Le défaut de Cougar de demander la tenue d'une audience fait également échec à sa prétention que la procédure écrite était insuffisante--3) Le Tribunal n'a pas commis d'erreur de droit en statuant que la lettre du 9 octobre de la demanderesse ne constituait pas une «opposition» au sens de l'art. 6(2) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics sur des questions qui n'y étaient pas expressément soulevées--L'art. 6(2) prévoit que le fournisseur potentiel qui a présenté à l'institution fédérale concernée une opposition concernant le marché public visé par un contrat spécifique et à qui l'institution refuse réparation peut déposer une plainte auprès du Tribunal dans les 10 jours du refus--Le Tribunal a statué que la lettre du 9 octobre adressée par Cougar à TPSGC ne pouvait être considérée comme une «opposition» qu'en ce qui concerne les aspects de la procédure de passation du marché qu'elle mentionnait expressément; l'art. 6(2) ne s'appliquait donc pas aux autres motifs de plainte que Cougar avait déposés devant le Tribunal le 22 janvier 1999 après que l'adjudication du marché eut été annoncée et l'art. 6(1) prévoyait le délai de prescription applicable aux autres oppositions--L'art. 6(1) exige que la plainte soit déposée dans les 10 jours ouvrables suivant la date où il a découvert ou aurait dû découvrir les faits à l'origine de la plainte--Il était raisonnablement loisible au Tribunal d'interpréter la lettre du 9 octobre de Cougar comme une plainte globale au sujet de la procédure suivie, étant donné que Cougar y précisait les aspects avec lesquels elle était en désaccord--Pour que la procédure informelle de règlement des plaintes soit efficace, l'opposition doit être formulée avec suffisamment de précision pour permettre au Ministère d'y donner suite--Le Tribunal n'a pas commis d'erreur en statuant qu'il était trop tard pour Cougar pour porter plainte--(4) Le Tribunal n'a pas tiré de conclusions de fait erronées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont il disposait en ce qui concerne les plaintes de Cougar--Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics, DORS/93-602 (mod. par DORS/95-300, art. 2), art. 6--Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985) (4e suppl.) ch. 47, art. 30.13(1) (édicté par L.C. 1993, ch. 44, art. 44)--Règles du Tribunal canadien du commerce extérieur, DORS/93-601, art. 105(1).