CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION |
Statut au Canada |
Réfugiés au sens de la Convention |
Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)
IMM-4497-99
2001 CFPI 776, juge Muldoon
6-7-01
27 p.
Contrôle judiciaire d'une décision par laquelle la CISR a refusé de reconnaître au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention--Le demandeur est un citoyen de Bulgarie qui affirmait être d'origine ethnique rom (tzigane)--Il alléguait que la police bulgare et les fonctionnaires municipaux avaient tenté de les évincer lui et les membres de sa famille de leur appartement de Sofia parce qu'ils étaient des Rom--Il a témoigné qu'il n'était pas disposé à quitter son appartement parce qu'à la suite d'une expulsion précédente, il avait dû attendre quatre ans pour obtenir un nouveau logement--Il a témoigné qu'à la suite d'une tentative d'expulsion, sa mère avait été internée à tort dans un hôpital psychiatrique où elle était morte et qu'il avait été enlevé, sauvagement battu, emprisonné illégalement et rappelé d'une affectation de travail à l'étranger en Russie--Il a déclaré que son appartement avait été fouillé de fond en combles, que des membres de sa famille avaient été interrogés à plusieurs reprises et que les démarches entreprises par son avocat pour obtenir justice avaient été vaines--Il a témoigné que les autorités avaient tenté constamment de le contraindre à signer une déclaration aux termes de laquelle il aurait renoncé de son plein gré à son logement alors que des démarches étaient entreprises parallèlement en vue de saisir des copies de toutes les plaintes qu'il avait adressées à divers fonctionnaires gouvernementaux--La CISR a conclu qu'il était peu probable que le demandeur soit un Rom et que, s'il l'était, ses caractéristiques personnelles, en particulier sa physionomie et son intégration à la population bulgare, ramenaient ses risques de persécution à une simple possibilité--La CISR a également estimé que le demandeur n'était ni fiable ni digne de foi et qu'il avait quitté la Bulgarie pour des raisons d'ordre économique et non parce qu'il craignait d'être persécuté--La demande est accueillie--1) La CISR a commis une erreur en concluant que le demandeur n'était pas crédible--Sa conclusion que le demandeur n'était pas crédible imprégnait toute son analyse--La CISR n'a pas appliqué au demandeur la présomption de véracité établie dans l'arrêt Maldonado c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1980] 2 C.F. 302 (C.A.)--Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la crédibilité, à condition que les inférences qu'il tire soient raisonnables--Il ne peut cependant conclure à l'invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c'est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s'attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le demandeur le prétend--Le tribunal doit se rappeler que des agissements qui semblent peu plausibles lorsqu'on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu'on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur--Les conclusions d'invraisemblance doivent se rapporter aux éléments de preuve pertinents (Leung c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 81 F.T.R. 303 (C.F. 1re inst.))--Elles ne doivent pas être fondées sur des critères canadiens (Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.))--En se demandant pourquoi un régime foncièrement arbitraire et anarchique au point de battre et d'enlever à maintes reprises le demandeur aurait pris le soin de lui demander de renoncer par écrit à son appartement, la CISR a peut-être appliqué à tort des critères canadiens--Du début à la fin de sa décision, la CISR invite le demandeur à expliquer les agissements des autorités pour ensuite rejeter catégoriquement ses réponses--La CISR a posé en principe que le conflit du demandeur avec les autorités avait été déclenché par l'état de santé mentale de sa mère, qui avait dégénéré au point où elle était devenue un danger pour elle-même et ses voisins--Comme il n'y a aucun élément de preuve qui appuie cette conclusion, il s'agit de pures conjectures--La CISR a affirmé, en l'absence de toute preuve en ce sens, qu'elle ne pouvait croire qu'un voisin aurait délibérément allumé un incendie dans le but d'accuser à tort la mère du demandeur--Finalement, la CISR a reproché à tort au demandeur sa situation difficile au motif que les plaintes qu'il avait portées étaient excessives et diffamatoires, ce qui témoigne d'une insensibilité, voire d'un parti pris de la part de la CISR--Dans son analyse de la crédibilité du demandeur, la CISR a omis des éléments de preuve qui appuyaient la revendication du demandeur--Le demandeur a expliqué que ses voisins avaient découvert ses origines rom en consultant le registre de l'immeuble--La CISR a commis une erreur lorsqu'elle a affirmé qu'il n'y avait aucune allusion aux origines ethniques du revendicateur dans la fiche d'adresse du registre alors que celle-ci portait clairement la mention «famille rom» dans le coin supérieur gauche--La CISR a ensuite commis une erreur dans son appréciation du témoignage donné par le demandeur au sujet de l'interrogatoire de ses enfants--Le demandeur avait témoigné que ses enfants mineurs avaient été interrogés par des procureurs hors de la présence d'un avocat ou des parents--La CISR a affirmé que le demandeur n'avait pas réagi à ses commentaires sur le fait que le fils du demandeur n'était pas mineur à l'époque alors qu'en fait, le demandeur avait bien précisé qu'il parlait de sa fille, qui était mineure au moment de l'interrogatoire--La CISR a fait remarquer que le demandeur était trop combatif, qu'il était pompeux et qu'il criait pour insister sur certains points--Au sujet de sa façon de s'exprimer, la CISR a déclaré que le demandeur était verbeux, volubile et prolixe--Pour évaluer la façon dont le demandeur a répondu aux questions qui lui était posées, la CISR a affirmé que son témoignage manquait de naturel et de spontanéité--La CISR s'est contredite elle-même lorsqu'elle a fait remarquer que le demandeur divaguait et que ses réponses étaient hors de propos et évasives--La CISR a vraisemblablement fait grief au demandeur de sa personnalité, oubliant que des revendicateurs ayant un bagage culturel différent sont susceptibles d'agir et de s'exprimer différemment--2) La CISR a commis une erreur dans son appréciation des origines ethniques--Elle n'a pas tenu compte de l'ensemble de la preuve--Elle n'a pas expliqué de façon satisfaisante pourquoi elle avait omis certains documents lors de son examen--Il est difficile d'accepter le refus de la CISR d'admettre les documents au motif qu'ils étaient «problématiques», compte tenu de l'importance des éléments de preuve relatifs à la revendication--En affirmant que le demandeur ne savait pas où se trouvait son premier certificat de baptême, la CISR a mal apprécié la preuve car, en fait, le demandeur a déclaré que ses parents avaient perdu l'original--La CISR s'est livrée à des conjectures en admettant qu'elle ne disposait d'aucun renseignement précis au sujet des exigences en matière d'enregistrement des naissances en Bulgarie pour la période au cours de laquelle le revendicateur était né, tout en contestant la version des faits du demandeur--En ne tenant pas compte, lors de son examen, de la lettre d'un ancien député qui y parlait du demandeur comme étant un Rom, la CISR a agi de façon manifestement déraisonnable, commettant ainsi une erreur--La CISR a fait observer que le demandeur avait le teint clair et les yeux bleus et non les yeux et la peau foncés qui sont habituellement caractéristiques des Rom--En fait, le demandeur a affirmé qu'il avait les yeux verts--La CISR a reconnu qu'elle n'avait pas d'expérience en ce qui concerne les Rom bulgares, mais elle a rejeté la revendication du demandeur en partie à cause de sa physionomie--Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême a statué que, lorsqu'on examine une revendication du statut de réfugié fondée sur l'un des motifs énumérés dans la définition, il convient de tenir compte du point de vue du persécuteur, parce que c'est ce qui est déterminant lorsqu'il s'agit d'inciter à la persécution--L'analyse suivant laquelle le demandeur ne court aucun danger parce que d'autres Bulgares ne le considéreraient pas comme un Rom est incomplète--Le fait que les autorités, qui sont à l'origine des problèmes du demandeur, avaient déjà déterminé que le demandeur était un Rom constitue une raison suffisante pour que la CISR examine le risque que le demandeur courait de leur part de même que de la part des autres Bulgares--La CISR n'a pas abordé la question du point de vue des éventuels persécuteurs--3) La CISR a commis une erreur dans son appréciation de la question du temps que le demandeur a laissé s'écouler avant de présenter sa revendication--La CISR n'a pas cru l'explication fournie par le demandeur au sujet des sept semaines qu'il a passées aux États-Unis avant de se rendre au Canada pour y revendiquer le statut de réfugié--Le demandeur a bien expliqué qu'il était convaincu que le Canada acceptait plus facilement les réfugiés--Il n'y avait rien d'invraisemblable dans le fait que le demandeur obtienne un emploi aux États-Unis pour pouvoir payer son visa en vue d'immigrer au Canada--En concluant que le délai de sept semaines permettait de penser qu'il s'agissait d'«un témoin opportuniste et peu digne de foi», la CISR laissait une fois de plus entendre que le demandeur manquait d'honnêteté, ce qui constitue de la pure conjecture de sa part--L'affirmation que le demandeur avait «sans doute entendu parler» du mouvement des Roms tchèques au Canada est difficile à accepter, compte tenu du fait que le demandeur est Bulgare, et non Tchèque, et que la CISR ne disposait d'absolument aucun élément de preuve lui permettant de tirer une telle inférence--Faute de preuve, en qualifiant le demandeur de témoin opportuniste et peu digne de foi, la CISR a agi de façon manifestement déraisonnable--Une période de sept semaines n'était pas un laps de temps excessif pour se repérer dans un pays étranger--4) La CISR a agi de manière à susciter une crainte raisonnable de partialité de sa part envers le demandeur--La manière négative dont le tribunal a qualifié son comportement lors de son témoignage n'est qu'un des aspects d'un schéma qui permet à la Cour de conclure de façon raisonnable que le tribunal a probablement fait preuve de partialité envers le demandeur--Le refus de la CISR d'accepter le témoignage du demandeur, combiné aux erreurs qu'elle a commises dans son examen des éléments de preuve documentaire qui semblaient favoriser le demandeur et au fait qu'elle a substitué sa propre version des faits à celle du demandeur sans preuve à l'appui amènent à la conclusion que la CISR avait un parti pris--5) En raison de la conduite de la CISR, il existe des raisons spéciales justifiant de condamner le ministre aux dépens de la présente demande en vertu de l'art. 22 des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration, 1993, DORS/93-22.