PROTECTION DES RENSEIGNEMENTS PERSONNELS |
Eastmond c. Chemins de fer Canadien Pacifique
T-309-03
2004 CF 852, juge Lemieux
11-6-04
92 p.
CP a installé six caméras de surveillance à sa gare de triage et d'entretien des rails à Scarborough en Ontario où se trouvent les ateliers de réparation de machines diesel et de voitures--Le demandeur était un employé de l'atelier diesel de CP, un membre du syndicat et le représentant des droits de la personne à l'atelier diesel--Le demandeur a déposé une plainte auprès du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada sous le régime de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE) portant que l'installation, récemment effectuée par CP, de caméras supplémentaires pointant vers les portes d'entrée et de sortie étaient une mesure inacceptable parce qu'elle avait été prise sans consulter le syndicat, qu'aucun problème de sécurité ne pouvait la justifier, qu'elle constituait une atteinte à la vie privée, qu'elle pouvait être appliquée en vue de surveiller la conduite des travailleurs et qu'elle pouvait avoir un effet nuisible sur leur moral--Le demandeur exigeait le démantèlement immédiat du système--Le syndicat avait déjà déposé sur le fondement de l'art. 28 de la convention collective un grief invoquant le non-respect des droits de la personne--CP avait par la suite affiché un bulletin indiquant que des caméras avaient été installées et seraient bientôt utilisées pour protéger CP contre le vol, le vandalisme, l'intrusion des personnes non autorisées et de tout acte similaire, que seuls les cadres autorisés et la police de CP pouvaient visionner les enregistrements, et que CP n'avait aucune intention d'utiliser les caméras pour régler des problèmes de productivité--Le bulletin faisait également mention que les caméras avaient délibérément été fixées en dehors des zones de travail et pointaient les zones générales auxquelles tant les employés que le public ont accès--Des panneaux indiquant que les installations étaient surveillées par caméra ont été posés dans les entrées--Le Commissaire à la protection de la vie privée a conclu que la plainte était bien fondée et a recommandé le retrait des caméras--Il a expliqué que l'art. 5(3) de la LPRPDE exige qu'on vérifie si les circonstances justifient le recours à la vidéosurveilance--Il a appliqué un critère en quatre étapes selon lequel il faut déterminer: 1) si la mesure est nécessaire pour répondre à un besoin particulier; 2) s'il est probable qu'elle répondra efficacement à ce besoin; 3) si la perte de vie privée est proportionnelle à l'avantage obtenu; 4) si un autre moyen permet d'atteindre le but recherché en portant moins atteinte à la vie privée--Il a conclu que CP n'avait pas démontré l'existence d'un problème bien précis ni établi que la vidéosurveillance était un moyen de dissuasion efficace, que la seule présence des caméras vidéo risquait de donner aux employés l'impression que leurs allées et venues étaient surveillées et d'avoir des effets psychologiques néfastes, et que CP n'avait pas procédé à l'évaluation d'autres solutions dont la mise en place d'un meilleur éclairage pour régler le problème de la sécurité des employés--Le demandeur a par la suite introduit le recours prévu à l'art. 14(1) de la LPRPDE qui prévoit qu'après avoir reçu le rapport du commissaire, le plaignant peut demander que la Cour entende toute question qui a fait l'objet de la plainte ou qui est mentionnée dans le rapport--L'art. 17 prévoit que le recours doit être entendu et jugé sans délai et selon une procédure sommaire à moins que la Cour ne l'estime contre-indiqué--Le demandeur a sollicité différentes mesures dont une ordonnance confirmant le rapport du commissaire--La structure de la LPRPDE est unique en ce que le Code type sur la protection des renseignements personnels de l'Association canadienne de normalisation (CSA) est intégralement reproduit à l'une de ses annexes alors que la LPRPDE a pour effet d'atténuer ou de modifier, selon le cas, les principes qui y sont énoncés--Les dispositions pertinentes sont décrites--La preuve est examinée en détail --Le représentant de CP qui a décidé d'installer les caméras a affirmé dans son affidavit que la vidéosurveillance était utilisée comme moyen de dissuasion pour prévenir le vol, le harcèlement, le vandalisme et les entrées non autorisées, et qu'elle avait aussi pour objectif de créer un milieu de travail plus sûr et de diminuer le risque que CP soit tenue responsable des dommages subis par des tiers--La mesure n'a pas été mise en place par suite d'un événement précis mais plutôt par suite des changements apportés dans l'infrastructure globale de l'unité de mécanique--La décision a aussi été prise en raison de l'existence de tensions entre les employés syndiqués de CP et le superviseur contractuel chargé de coordonner la réparation et l'entretien des locomotives--La possibilité d'embaucher des gardes de sécurité a été envisagée mais rejetée faute de pouvoir obtenir des fonds à cette fin--L'achat des caméras numériques et la pose des panneaux d'avertissement étaient plus économiques--CP indique avoir été victime d'infractions, notamment: vol, vandalisme, trafic de stupéfiants, sabotage, incendie volontaire, crimes informatiques--De 30 à 40 actes pouvaient être commis par semaine--Aucun agent de CP n'était affecté de façon permanente au triage de Toronto--CP se préoccupait tout particulièrement du vol de matériel et du harcèlement sexuel à l'endroit du personnel féminin--Se préoccupait également des répercussions de la tragédie du 11 septembre et de la possibilité d'avoir à faire face à des activités terroristes étant donné que dans le cadre des ses activités elle est souvent appelée à effectuer le transport transfrontalier de substances dangereuses et de matériel militaire--Selon l'affidavit du chef des Services de police de CP, depuis les événements du 11 septembre, la société subissait une pression accrue et elle était surveillée de près en ce qui concerne le degré de sécurité offert à sa clientèle, à ses employés et divers ordres de gouvernement, tant au Canada qu'aux États-Unis--Le triage de Toronto est difficile à patrouiller et ne peut pas être entièrement protégé par les méthodes conventionnelles sans engager des dépenses déraisonnables--La vidéosurveillance a un effet dissuasif en augmentant la perception qu'a le criminel du risque qu'il court d'être pris--En contre- interrogatoire, l'auteur d'un affidavit souscrit pour le compte de CP a reconnu qu'il était possible que les employés travaillant dans les secteurs se trouvant dans le champ des caméras soient filmés--Il a aussi admis que certains employés avaient fait l'objet de mesures disciplinaires (mais n'avaient pas été congédiés) pour avoir eu en leur possession de la drogue et/ou de l'alcool--Il a également admis que rien, dans la convention collective, n'obligeait CP à l'informer (en tant que président de l'atelier de diesel) de tout projet d'installer un système de caméras--CP a fait valoir que la demande n'était pas du ressort de la Cour étant donné que le Commissaire à la protection de la vie privée avait outrepassé sa compétence en examinant la plainte qui portait sur un différend relevant de la convention collective--Elle a également fait valoir que pour régler cette affaire il y avait lieu d'appliquer le régime d'arbitrage: Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929--Le demandeur et le Commissaire ont contesté cette prétention en s'appuyant sur l'art. 13(2) (le Commissaire n'est pas tenu de préparer un rapport s'il est persuadé que le plaignant doit d'abord avoir recours à la procédure de règlement des griefs)--A également été soulevée la question du degré de retenue dont il faut faire preuve à l'égard des conclusions du Commissaire à la protection de la vie privée--Le demandeur a soutenu que la norme de contrôle applicable est la norme du raisonnable simpliciter--Sur le fond, la première sous-question consistait à savoir si l'installation de caméras de surveillance par CP était justifiée compte tenu que, sous le régime de la LPRPDE, des renseignements personnels ne peuvent être recueillis que si, du point de vue objectif d'une personne raisonnable, la décision est légitime dans les circonstances--Il s'agissait également de déterminer si CP avait produit suffisamment d'éléments de preuve pour se décharger du fardeau qui lui incombait--CP a fait valoir qu'elle n'avait pas besoin du consentement du demandeur pour installer les caméras--CP s'est appuyée sur la clause 4.3 du code type de la CSA qui prévoit une exception à l'obligation d'informer l'intéressé et d'obtenir son consentement lorsqu'il ne serait pas approprié de le faire--Le demandeur et le Commissaire à la protection de la vie ont soutenu qu'il faut interpréter l'expression «à moins qu'il ne soit pas approprié de le faire» figurant à la clause 4.3 de concert avec l'art. 7 qui prévoit qu'il n'y a que quatre exceptions à l'obligation d'informer l'intéressé et d'obtenir son consentement, et qu'aucune d'elles n'est applicable en l'espèce--L'argument relatif à la compétence a été rejeté pour plusieurs motifs--La LPRPDE prévoit deux conditions préalables qui ont été remplies en l'espèce--Le modèle d'arbitrage exclusif adopté par la C.S.C. dans Weber ne s'applique pas--Ici il faut tenir compte de deux régimes législatifs, l'un prévu par la LPRPDE et l'autre imposé par le Code canadien du travail, une situation sur laquelle la Cour d'appel de l'Ontario s'est prononcée dans Ford Motor Company of Canada v. Ontario (Human Rights Commission) (2001), 209 D.L.R. (4th) 465--Il faut tenir compte de la nature du litige et se demander à quel régime le législateur a voulu l'assujettir--Les lois relatives aux droits de la personne occupent une place privilégiée dans la sphère juridique--Elles bénéficient d'un statut quasi constitutionnel et pour y déroger le législateur doit s'exprimer en des termes clairs et non équivoques--Le législateur n'avait pas l'intention de conférer aux arbitres du travail une compétence exclusive à l'égard des questions touchant les droits de la personne: la juge Abella, J.C.A., dans Ford Motor--Le Commissaire a plaidé que la LPRPDE et le Code canadien du travail s'appliquent de manière concurrente, sans qu'un texte ne supplante l'autre-- S'appuyant sur Ford Motor et une trilogie d'arrêts de la Cour d'appel de la Saskatchewan, la Cour a fait droit à l'argument suivant lequel l'intention du Parlement n'était pas d'exclure les travailleurs syndiqués du champ d'application de la LPRPDE--L'essentiel du différend ne découle pas de la convention collective--La LPRPDE fait partie des lois fondamentales du pays--Dans L'Ecuyer c. Aéroports de Montréal (2003), 233 F.T.R. 234 (C.F. 1re inst.), le juge Pinard a statué dans le sens contraire, mais cette décision se distingue de la présente instance en ce qui concerne l'essence du différend--De plus, le juge Pinard n'a pas eu l'avantage d'une argumentation complète sur ce point--La décision Englander c. Telus Communications Inc. (2003), 235 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.), où il était question du mandat du CRTC concernant les tarifs applicables aux numéros non publiés, peut elle aussi être distinguée--La décision Société Radio-Canada c. Paul, [1999] 2 C.F. 3 (1re inst.), est plus pertinente; dans celle-ci il s'agissait de déterminer si l'arbitre avait compétence exclusive à l'égard d'une plainte présentée sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) lorsque la conduite contestée était interdite par la convention collective, laquelle contenait une clause d'arbitrage--La juge de la Section de première instance a statué que Weber ne s'appliquait pas parce que la C.S.C. ne traite pas dans cet arrêt de la question de la compétence concurrente --La juge a signalé que l'art. 41 de la LCDP a été adopté après l'art. 57 du Code canadien du travail et a statué que la disposition antérieure avait par voie de conséquence été abrogée dans la mesure où elle confère compétence exclusive à un arbitre--Pour déterminer l'essence du litige, il faut examiner le différend en tenant compte de son contexte factuel et du champ d'application de la convention collective--En l'espèce, ce qui constitue l'essence du litige est la plainte portant que CP a enfreint la LPRPDE en recueillant des renseignements personnels à l'aide de caméras de surveillance sans le consentement du demandeur--Le demandeur a expressément invoqué la LPRPDE dans sa plainte--Comme l'a admis CP à l'audience, l'art. 43 de la convention collective ne vise pas la collecte de renseignements personnels au travail --Le litige ne découle pas de la convention collective--Dans les cas où un défendeur est d'avis qu'une autre procédure de révision s'offre à lui, il doit, à la première occasion, faire valoir sa position auprès du Commissaire et il ne peut soulever cet argument après que le Commissaire a produit son rapport--La procédure engagée en vertu de l'art. 14 de la LPRPDE n'est pas un examen du rapport ou de la recommandation du commissaire, mais une nouvelle demande visant à obtenir réparation en application de l'art. 16 et le plaignant doit s'acquitter du fardeau de démontrer que la LPRPDE n'a pas été respectée--Le juge doit exercer son pouvoir discrétionnaire de novo--La Cour doit faire preuve d'une certaine déférence à l'égard des questions qui relèvent du champ d'expertise du Commissaire, notamment les facteurs dont il a tenu compte pour soupeser les intérêts du demandeur en matière de vie privée et les intérêts légitimes de CP relativement à la protection de ses employés et de ses biens--Il n'y a pas lieu toutefois de faire montre de retenue en ce qui concerne les conclusions de fait du Commissaire étant donné que la preuve soumise à l'attention de la Cour diffère de celle qui a été recueillie lors de l'enquête du Commissaire --Vu la production de nouveaux éléments de preuve, la présente instance ressemble aux appels interjetés sous le régime de la Loi sur les marques de commerce: voir Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145 (C.A.)--Il ne fait aucun doute que le Parlement recherchait l'équilibre des intérêts (art. 3 de la LPRPDE)--La question de savoir pourquoi les renseignements personnels ont été recueillis devait être analysée de manière contextuelle--Ce qui constitue une fin acceptable pour la collecte des renseignements n'est pas nécessairement une fin acceptable pour l'utilisation des renseignements recueillis, et vice versa; il en est de même des fins pour lesquelles des renseignements sont communiqués --Il faut faire preuve de souplesse en fonction des circonstances--En ce qui concerne les caméras de surveillance, les arbitres ont très nettement établi une distinction entre la collecte subreptice de renseignements et la collecte de renseignements effectuée à l'aide de caméras dont l'emplacement est connu--Les arbitres ont aussi condamné l'utilisation de caméras de surveillance pour enregistrer la productivité des travailleurs--L'arbitre Munroe articule ainsi le principe de l'équilibre des intérêts dans Pope & Talbot Ltd. v. Pulp, Paper and Woodworkers of Canada Local No. 8, [2003] B.C.C.A.A.A. No. 362 (QL) [] «tout comme les intérêts de l'employé en matière de respect de la vie privée doivent être protégés contre un exercice trop zélé des droits de la direction, l'arbitre doit aussi reconnaître les intérêts légitimes de l'employeur concernant l'entreprise et ses biens»--Dans Unisource Canada Inc. and C.E.P., Loc. 433 (Re) (2003), 121 L.A.C. (4th) 437 (C.-B.), l'arbitre Kelleher (tel était alors son titre) a affirmé qu'il n'existait aucune disposition générale interdisant la surveillance vidéo--Le critère consiste à savoir si la surveillance constitue un exercice raisonnable des droits de la direction compte tenu des circonstances de l'affaire--En l'espèce, la Cour a conclu qu'une personne raisonnable considérerait que, dans les circonstances, les fins pour lesquelles CP recueille des renseignements en enregistrant des images sont acceptables-- La collecte de renseignements n'était pas subreptice--Des panneaux d'avertissement ont été installés--La collecte de renseignements n'a pas été effectuée de manière continue--CP ne se borne pas à enregistrer des images des employés mais aussi des entrepreneurs, des visiteurs, des fournisseurs et des intrus--La collecte ne vise pas à mesurer le rendement des employés--Les images enregistrées sont gardées sous clé et seuls les cadres responsables et la police de CP y ont accès, et lorsqu'aucun incident nécessitant qu'une enquête soit menée n'est enregistré, les enregistrements sont détruits dans un délai convenable--CP a établi la nécessité légitime de faire installer les caméras--La perte de vie privée était minime--Attentes réduites en ce qui concerne le respect de la vie privée parce que les caméras étaient placées dans des endroits publics--Un tel point de vue s'accorde avec la jurisprudence de la C.S.C. concernant l'art. 8 de la Charte--La perte de vie privée est proportionnelle à l'avantage tiré de la collecte des renseignements--CP a envisagé des solutions de rechange dans le contexte de ses activités au triage de Toronto--Ces solutions n'étaient pas rentables ou auraient perturbé les activités de CP--L'argument avancé par CP relativement à la signification des mots «à moins qu'il ne soit pas approprié de le faire» figurant à la clause 4.3 de l'annexe a été rejeté parce qu'il ne s'harmonise pas avec l'esprit de la Loi--Compte tenu des faits, CP pouvait recueillir des renseignements personnels à l'insu du demandeur et sans son consentement parce que CP bénéficie de l'exemption prévue à l'art. 7(1)b) de la LPRPDE --Le fait que l'enregistrement ne soit jamais visionné à moins d'un événement déclencheur est un facteur important--La Cour accepte les observations de CP voulant que des renseignements personnels sont recueillis seulement si les représentants de CP visionnent l'enregistrement pour enquêter sur un incident--Demande rejetée--Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5, art. 5, 7(1), 13, 14, 16, 17(1)--Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 57--Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21--Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 41(1) (mod. par L.C. 1994, ch. 26, art. 34; 1995, ch. 44, art. 49)--Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13--Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 8.