PÉNITENCIERS |
Verville c. Canada (Service correctionnel)
T-1207-02
2004 CF 767, juge Gauthier
26-5-04
26 p.
Le 24 septembre 2001, le demandeur et 15 autres agents correctionnels travaillant dans les unités résidentielles A à H de l'établissement pénitentiaire à sécurité maximale de Kent, en Colombie-Britannique, ont refusé d'accomplir leurs tâches en raison d'un prétendu danger entraîné par une consigne récente leur interdisant de porter sur eux des menottes comme bon leur semblait--Un agent de santé et de sécurité a estimé que le demandeur et ses collègues n'étaient pas exposés à un «danger» selon le sens donné à ce mot dans le Code du travail du Canada (le Code), mais il a jugé que le Service correctionnel du Canada contrevenait à l'art. 124 du Code en n'autorisant pas ces agents à porter sur eux des menottes s'ils le souhaitent--En appel, la décision se rapportant à l'absence de danger a été confirmée par l'agent d'appel et la conclusion selon laquelle il y avait contravention à l'art. 124 a été infirmée--Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de ces deux décisions de l'agent d'appel, au motif que l'agent d'appel n'a pas correctement interprété la nouvelle définition de «danger», dans le Code, et qu'il a ignoré des éléments de preuve, en particulier ceux qui concerne le risque accru de blessures en raison de la période plus longue nécessaire pour maîtriser les détenus--S'agissant de la décision relative à l'art. 124, le demandeur affirme que l'agent d'appel a appliqué la mauvaise norme de preuve et, de nouveau, qu'il a ignoré des éléments de preuve, en particulier sur la question de savoir si le fait pour des agents correctionnels de ne pas avoir de menottes en leur possession avait déjà conduit à des blessures, ainsi que pour ce qui concerne l'incidence du port d'un téléavertisseur personnel sur le risque auquel sont exposés les agents correctionnels--Il est ressorti des témoignages que les agents correctionnels qui ont effectivement été impliqués dans de violentes altercations avec des détenus étaient plus enclins que les autres à porter régulièrement des menottes sur eux-- Les agents correctionnels travaillant dans l'unité d'isolement et de dissociation ainsi que les surveillants correctionnels (K-12) étaient autorisés à porter sur eux des menottes--Des menottes étaient également accessibles dans chacun des quatre postes de contrôle vitrifiés--Le mot «danger» employé dans l'art. 128 du Code est défini dans l'art. 122(1)--Avec l'ajout de mots tels que «exisant ou éventuel», le Code ne se limite plus à la situation factuelle qui a cours au moment où l'employé refuse de travailler--La blessure ou la maladie peut ne pas se produire dès que la tâche aura été entreprise, mais il faut plutôt qu'elle se produise avant que la situation ou la tâche ne soit modifiée--Donc, l'absence de menottes sur la personne d'un agent correctionnel impliqué dans une empoignade avec un détenu doit être susceptible de causer des blessures avant que des menottes ne puissent être obtenues du poste de contrôle ou par l'intermédiaire d'un surveillant K-12, ou avant que tout autre moyen de contrainte ne soit fourni--La définition n'exige pas que, toutes les fois que la situation ou la tâche est susceptible de causer des blessures, elle cause des blessures--Il n'est pas nécessaire d'établir précisément le moment auquel la situation ou la tâche éventuelle se produira--La définition employée par l'agent d'appel était viciée--La Cour n'est pas persuadée non plus que l'agent d'appel a tenu compte de l'opinion exprimée par les agents correctionnels, une opinion fondée sur leur expérience--Cette preuve était manifestement à propos, mais elle n'a pas été considérée--Quant à la conclusion selon laquelle le risque était inhérent à l'emploi du demandeur, le demandeur a admis que sa description d'emploi faisait état du risque d'une prise d'otages, de blessures ou d'un danger possibles, lorsqu'il aurait affaire à des détenus violents ou hostiles--Mais il a affirmé que la consigne restreignant la possibilité de porter sur soi des menottes était une modification de ses conditions normales d'emploi et constituait un accroissement du risque ou du danger--La décision contestée ne dit pas que l'agent d'appel a examiné cet argument--Sa conclusion semble reposer sur le simple fait qu'un risque d'agression est toujours présent dans un environnement tel que le pénitencier de Kent--Il ne pouvait évaluer si le risque accru de blessures était une «condition normale d'emploi», puisqu'il considérait ce risque comme rien d'autre qu'une hypothèse non vérifiée--Parce que l'agent d'appel a ignoré la preuve concernant un aspect essentiel sur lequel reposait sa conclusion finale, la décision doit être annulée--S'agissant du non-respect de l'art. 124 du Code, la déclaration de l'agent d'appel selon laquelle «il n'est pas établi que l'absence de menottes en raison du fait que les agents correctionnels n'en portent pas sur eux a déjà conduit à des blessures» était inexacte--Si cette affirmation ne concernait que les éléments auxquels le décideur a accordé du poids, eu égard à la preuve versée dans le dossier, en particulier le témoignage concernant l'expérience de l'agent correctionnel, alors l'agent d'appel aurait dû expliquer, fût-ce succinctement, le fondement de sa conclusion--L'agent d'appel a ignoré cette preuve, et cela constitue une erreur sujette à révision--La Cour n'était pas convaincue que, si l'agent d'appel avait tenu compte de toute la preuve, sa conclusion aurait nécessairement été la même, d'autant plus que l'évaluation du risque dont fait état la décision ne parle pas expressément du risque de blessures en cas d'agression inopinée lorsque le premier agent à répondre à un téléappel n'est pas le surveillant K-12--Demande accueillie--Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 122 «danger» (mod. par L.C. 2000, ch. 20, art. 2), 124 (mod. idem, art. 5), 128 (mod. idem, art. 10).