PÉNITENCIERS
Le demandeur, qui est incarcéré à l’Établissement de Mission, est atteint d’un sérieux handicap visuel—Il a de la difficulté à regarder la télévision sur son écran de télévision de 14 pouces et préfère regarder la télévision sur son moniteur d’ordinateur de 22 pouces à l’aide d’une carte de syntoniseur de télé—La possession d’une telle carte était autorisée à l’époque où le demandeur s’est procuré son ordinateur, soit en 1997—Or la Directive du commissaire (du Service correctionnel du Canada) no 90 (Directive no 90), intitulée « Effets personnels des détenus », a été modifiée en 2003 de façon à restreindre l’achat de nouveaux ordinateurs et la mise à jour des ordinateurs acquis par les détenus avant octobre 2002, et interdit maintenant la possession de cartes de syntoniseur de télé et les unités de stockage—En 2004, les autorités carcérales de l’Établissement ont confisqué l’ordinateur du demandeur afin de retirer la carte de syntoniseur télé et l’unité de stockage—La présente demande de contrôle judiciaire portait sur la validité de cette Directive ainsi que sur la validité de diverses mesures administratives subséquentes présumément prises sous son autorité—Il était dans l’intérêt de la justice d’entendre l’affaire, et ce, nonobstant la possible existence de recours internes pour contester les décisions administratives attaquées par le demandeur—En effet, le demandeur attaquait la validité de la Directive no 90, et il n’y a aucun recours d’appel interne d’une décision du commissaire—De plus, le demandeur prétendait que l’art. 24 de la Charte avait été enfreint, ce qui voulait dire que si le demandeur avait déposé un grief devant le commissaire, celui‑ci se serait retrouvé en conflit d’intérêt puisqu’il aurait pu éventuellement être appelé à statuer sur l’application et la légalité de sa propre décision—La Cour a donc procédé à l’analyse du bien‑fondé de la demande— L’inaction du Service correctionnel du Canada (en ce qui concerne le retrait de la carte de syntoniseur de télé et de l’unité de stockage de l’ordinateur du demandeur) constituait un acquiescement tacite à la prétention que le demandeur possède des droits acquis, et l’absence d’action concrète du défendeur à l’égard de ces périphériques laissait supposer que leur utilisation ne posait aucun risque raisonnable—Demande accueillie—Les autorités carcérales ont agi d’une façon capricieuse et arbitraire en confisquant l’ordinateur du demandeur afin de retirer la carte de syntoniseur de télé et l’unité de stockage—Compte tenu du fait que les droits acquis du demandeur sont clairement maintenus par l’annexe A de la Directive no 90, qui précise que les détenus qui ont déja été autorisés à garder un ordinateur ou des périphériques non conformes peuvent les conserver malgré le fait qu’ils dérogent aux spécifications prévues à l’annexe A, il n’était pas nécessaire pour la Cour de faire reposer son raisonnement sur l’art. 15 de la Charte—Quoique l’instauration d’une politique cohérente et prévisible concernant la sécurité du personnel et même de la population (e.g. la Directive no 90) soit primordiale en milieu carcéral, la Directive no 90 reconnaît également que certains individus atteints d’un handicap visuel ou physique ont besoin d’utiliser, à certaines conditions, des périphériques et logiciels adaptés à leurs besoins—Le demandeur était un tel individu—Il n’était également pas nécessaire de décider si la privation des périphériques problématiques constituait en l’espèce une atteinte à l’art. 15 de la Charte, car la politique actuelle autorise la possession d’ordinateurs et de périphériques non conformes dans le cas de détenus ayant obtenu l’autorisation avant octobre 2002 de conserver ceux‑ci—Le demandeur avait obtenu une telle autorisation—Le retrait par les autorités carcérales de l’unité de stockage et de la carte de syntoniseur de télé allait donc à l’encontre de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (en vertu de laquelle le demandeur a le droit de recevoir une gamme de programmes appropriés visant à répondre à ses besoins) et des droits acquis du demandeur —Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]—Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20.
Poulin c. Canada (Procureur général) (T‑1628‑04, 2005 CF 1293, juge Martineau, ordonnance en date du 20‑9‑05, 20 p.)