Lovell c. Canada
A-20-90
juge Décary, J.C.A.
25-2-93
30 p.
Dommages-intérêts-Appel d'un jugement de la Section de première instance ((1989), 90 DTC 6116) concernant la saisie le 5 février 1990, et la vente en justice par le ministre du Revenu national, pour défaut d'acquitter des impôts, d'un terrain situé dans la province de Québec et détenu en copropriété indivise par le débiteur Smith et l'intimé Lovell-Le bref et le procès-verbal de saisie ont été signifiés au débiteur Smith mais non à l'intimé (Lovell) qui ne devait aucun impôt à la Couronne-Le terrain a été adjugé le 11 juillet 1984 à l'autre intimé (Turchetta) pour la somme de 15 894 $ à la suite d'une vente par shérif faite à l'insu de Lovell-Celui-ci a poursuivi la Couronne et a demandé l'annulation de la saisie et de la vente du terrain ainsi que des dommages-intérêts-Turchetta s'est porté demandeur reconventionnel et a réclamé lui aussi des dommages-intérêts contre la Couronne-Le juge de première instance a accueilli l'action de Lovell en partie et la demande reconventionnelle de Turchetta-La Couronne en appelle de ce jugement en disant que le recours de Lovell en dommages-intérêts est prescrit-La prétention de Lovell selon laquelle la vente devrait être annulée dans sa totalité a été rejetée à juste titre par le juge de première instance-La Couronne n'avait aucune obligation de rechercher d'abord le partage préalable du terrain-Elle pouvait en toute légalité saisir la quote-part de Smith et la faire vendre en justice-Lovell n'avait l'intérêt juridique requis que pour attaquer la partie du décret qui visait sa quote-part-Le juge de première instance pouvait seulement conclure que la vente en justice de la part indivise de Lovell était nulle-La question de l'annulation partielle de la vente trouve sa solution dans le Code civil du Bas-Canada-En vertu de l'art. 1518 du Code civil, une éviction peut n'être que partielle même dans la cas de vente en justice-L'appel incident de Lovell visant à obtenir l'annulation de la vente dans sa totalité est rejeté-Quant au recouvrement de dommages-intérêts, la responsabilité de la Couronne est admise-Le recours en dommages-intérêts de Lovell contre la Couronne ne peut être que de nature quasi délictuelle-Il n'y a aucun lien de droit entre Lovell et la Couronne autre que la faute commise par cette dernière dans la saisie et la vente de l'immeuble-Ce sont les règles de droit québécoises en matière de prescription qui s'appliquent en l'espèce-Une action en responsabilité délictuelle se prescrit par deux ans (art. 2261(2) du Code civil) et le point de départ de la prescription est le moment oú naît le droit d'action-L'acte fautif ultime est survenu au plus tard le 11 juillet 1984, date de la vente par shérif-L'action a été intentée le 22 février 1988, soit bien au delà du délai de deux ans-Le juge de première instance a erré en concluant que Lovell n'avait eu connaissance de la saisie que le 24 décembre 1986-Celui-ci a manqué de vigilance car il aurait dû découvrir le pot aux roses dès 1981, ou au plus tard à la fin de novembre 1985-L'action en recouvrement de dommages-intérêts, intentée en 1988, était donc prescrite-La Couronne conteste la décision du juge de première instance d'accorder, en plus de la moitié du prix de l'adjudication, la moitié de la différence entre le prix de l'adjudication et la valeur actuelle du terrain-Le recours prévu à l'art. 1587 du Code civil en matière de ventes forcées est distinct du recours créé à l'art. 1586 et permet le recouvrement de dommages- intérêts autres que ceux accordés en vertu de l'art. 1586-L'adjudicataire est assimilé à l'acheteur pour les fins des art. 1586 et 1587-Le créancier poursuivant est distinct du débiteur et il n'est pas assujetti aux mêmes obligations-Selon l'art. 1531 du Code civil, la garantie à raison des vices cachés n'a pas lieu dans les ventes sur exécution forcée: l'adjudicataire achète à ses risques et périls-Quant à la garantie contre l'éviction, l'adjudicataire évincé a son recours seulement pour le prix payé, ainsi que pour les intérêts et les frais-L'autre recours que prévoit l'art. 1587 est un recours de nature délictuelle que peut exercer l'adjudicataire contre le créancier poursuivant au cas de faute de ce dernier-Le juge de première instance a erré en permettant à Turchetta de réclamer la plus-value de la moitié du terrain dont il a été évincé-Le montant des dommages qu'une victime est en droit de réclamer comprend ce qui est une suite immédiate et directe de la faute-La jurisprudence et la doctrine ont établi que les dommages devaient être "directs" et "certains"-Le dommage cessera d'être direct lorsque la victime, constatant la faute, ne tentera pas de minimiser le préjudice qu'elle subit-Par la faute de la Couronne, Turchetta a subi une perte et a droit au remboursement de la moitié du prix d'adjudication et de la moitié des taxes qu'il a payées depuis l'adjudication-Il en va autrement de la plus-value dont il aurait été privé-Il n'y a pas dans la perte de la plus-value du terrain une relation causale qualitativement suffisante avec la faute commise-Appel accueilli en partie, jugement de première instance modifié-Code civil du Bas-Canada, art. 1056, 1073, 1074, 1075, 1511, 1514, 1518, 1531, 1586, 1587, 1591, 2232, 2261.