Kajat c. Arctic Taglu ( Le )
T-1724-94
juge Reed
26-8-97
43 p.
Action intentée en vertu des art. 646 et 647 de la Loi sur la marine marchande du Canada pour obtenir des dommagesintérêts par suite de la mort du mari, occasionnée par une faute, après la collision entre son bateau de pêche, le Bona Vista, et la combinaison de remorqueur et chaland, l'Arctic Taglu/Link 100-Alors que les deux navires s'approchaient l'un de l'autre sur des routes à peu près opposées, le Bona Vista a abattu brusquement sur bâbord en travers la proue du Link 100-Le remorqueur Arctic Taglu poussait le chaland Link 100-Le remorqueur et le chaland avaient une longueur combinée d'environ 142 mètres-On avait pratiqué une encoche dans la poupe du chaland pour que la proue de l'Arctic Taglu puisse y être fixée-Le propriétaire du remorqueur et du chaland avait initialement prévu utiliser un «système d'intercommunication» pour relier les deux navires-M. Burnside de Transports Canada était d'avis que le remorqueur et le chaland constitueraient une unité composite et devraient être équipés de feux qui leur permettraient d'être éclairés comme une unité composite lorsque le remorqueur pousse vers l'avant-Par la suite, un autre membre de la Garde côtière, le capitaine Keeper, a approuvé les feux de l'Arctic Taglu/Link 100 en se fondant sur l'assertion du propriétaire que le remorqueur et le chaland ne constituaient pas une unité composite-Le capitaine Keeper n'a pas inspecté le chaland, ni vu de diagrammes du bélier hydraulique de raccordement qui était proposé-On avait simplement soumis à son approbation les plans d'éclairage intitulés «Combinaison intégrée de remorqueur et chaland»-À la place du système d'intercommunication, on a installé sur l'Arctic Taglu/Link 100 un système fait sur mesure-Le facteur critique lorsqu'on doit décider si un remorqueur et un chaland constituent une unité composite est la possibilité de les unir de façon à éviter tout mouvement latéral indépendant qui pourrait amener les feux de navigation à se désaligner sur la longueur de la combinaison de remorqueur et chaland-En temps normal, lorsque le système fait sur mesure est utilisé, les deux navires sont reliés rigidement-Lorsque le remorqueur pousse le chaland, il s'agit d'une unité composite-Après avoir eu une conversation avec le capitaine Wade du bureau d'Ottawa, le capitaine Keeper a indiqué que le chaland ne devait être éclairé que conformément aux règles internationales et non conformément aux modifications canadiennes-Le capitaine Wade était d'avis que les modifications canadiennes ne s'appliquaient que lorsqu'il était impossible de se conformer aux règles internationales-Le chaland était éclairé conformément à l'art. 24f)(i) du Règlement sur les abordages (chaland poussée conformément aux règles internationales)-La combinaison de remorqueur poussant un chaland est rare sur la côte ouest de la Colombie-Britannique-Les feux que l'Arctic Taglu utilisait créaient de la confusion chez les marins qui ne les avaient jamais vus auparavant-Les propriétaires et exploitants du remorqueur avaient pris l'habitude d'utiliser un projecteur, installé sur le remorqueur, pour éclairer l'avant sur toute la longueur du chaland lorsque les navires qui venaient dans sa direction semblaient incertains de ce qui se trouvait devant eux-Un marin pouvait interpréter le déplacement du projecteur comme une indication qu'il y avait quelque chose dans l'eau à l'avant qu'il ne pouvait voir et qui constituait un danger pour son navire-L'utilisation du projecteur, tandis que le Bona Vista s'approchait et se trouvait tout près de l'Arctic Taglu/Link 100, a amené le Bona Vista à abattre brusquement sur bâbord-Le Bona Vista n'était pas lui-même suffisamment bien éclairé, mais selon le capitaine en second de l'Arctic Taglu, cet éclairage n'avait créé chez lui aucune confusion et ne l'avait jamais trompé; il avait été en mesure de déterminer la route et la vitesse du Bona Vista sans exiger la présence à ses côtés d'une deuxième personne dans la timonerie-Les conditions météorologiques étaient bonnes, la mer était calme et la visibilité était claire-La fatigue du mari de la demanderesse a été un élément contributif de l'accident-Selon les règles sur les abordages, l'Arctic Taglu/Link 100 était tenu de s'écarter de la route du Bona Vista, lequel devait maintenir son cap et sa vitesse-Aucun des navires ne se conformait strictement aux règles-Tous deux naviguaient de façon à se retrouver dans une situation très rapprochée-La présence d'une seule personne de quart dans la timonerie de l'Arctic Taglu/Link 100 a sans doute contribué à mettre les deux navires dans cette situation-(1) L'abordage est attribuable à l'utilisation du projecteur d'une manière qui signalait la présence d'un danger au Bona Vista-L'omission du capitaine Keeper de bien s'assurer que l'Arctic Taglu/Link 100 constituait une unité composite dès lors qu'il s'agissait de poussage est un facteur qui a contribué de façon significative à l'accident-Les assertions moins que franches du propriétaire de la combinaison de remorqueur et chaland au capitaine Keeper ont joué un rôle-La mauvaise interprétation par le capitaine Wade des exigences relatives à l'éclairage des chalands qui sont poussés par des remorqueurs et la prétendue inapplication des modifications canadiennes ont sans doute elles aussi joué un certain rôle-L'omission de l'Arctic Taglu/Link 100 de se tenir plus éloigné du Bona Vista et l'omission de la part de ses propriétaires et exploitants de veiller à ce qu'il y ait toujours deux personnes de quart ont contribué à l'accident-La fatigue du mari et son omission de maintenir le cap de façon à tenir le Bona Vista à plus grande distance de l'Arctic Taglu/Link 100 ont également contribué à l'accident-Les défendeurs sont responsables dans une proportion de 85 % de la cause de l'accident et le mari de la demanderesse est responsable dans une proportion de 15 %-(2) Les critères applicables pour déterminer la responsabilité de la Couronne sont les suivants: (i) existe-t-il entre les parties des relations suffisamment étroites pour que l'autorité décisionnelle gouvernementale ait pu raisonnablement prévoir que son manque de diligence pourrait causer des dommages à la partie demanderesse; et, dans l'affirmative, (ii) existe-t-il des motifs de rejeter ou de restreindre la portée de l'obligation, la catégorie de personnes qui en bénéficient ou les dommages auxquels un manquement à l'obligation peut donner lieu-La norme de diligence que l'on attend d'un inspecteur gouvernemental est celle de la personne raisonnable-Il était raisonnablement prévisible que, si les personnes qui prenaient la décision de savoir de quels feux un navire devait être muni agissaient de manière négligente, un préjudice pourrait être causé à autrui-Il y avait une obligation de diligence-Il n'existe aucune disposition législative expresse portant exonération de responsabilité qui excuserait le manque de diligence de la part de ceux qui ont approuvé les feux-L'art. 311 de la Loi sur la marine marchande du Canada dispose qu'un inspecteur de navires à vapeur doit s'assurer que le navire est muni des feux de navigation exigés-La décision doit être prise de façon raisonnable et non de manière négligente-Pour déterminer les feux appropriés, il faut d'abord décider si la combinaison de remorqueur et chaland constitue ou non une unité composite-Il faut procéder à l'examen des plans et inspecter physiquement les navires-Le capitaine Keeper a agi de manière négligente lorsqu'il a approuvé les feux en se fondant seulement sur les déclarations du propriétaire, spécialement après avoir été informé du fait qu'un raccordement différent des mêmes navires avait été examiné antérieurement-Il a fait preuve de négligence en n'effectuant pas un examen plus approfondi-L'opinion du capitaine Wade selon laquelle les règles internationales avaient préséance sur les modifications canadiennes était tout à fait contraire au texte du Règlement sur les abordages-Ce dernier a fait preuve de négligence dans son interprétation du Règlement-(3) Les lois provinciales en matière d'accidents mortels peuvent servir utilement de lignes directrices pour interpréter l'art. 647(2) de la Loi sur la marine marchande du Canada-Ces lois prévoient que les personnes à charge du défunt ont le droit d'être indemnisées pour la perte de l'avantage pécuniaire qu'elles auraient reçu, n'eût été la mort du défunt-L'indemnité est fondée sur la perte réellement subie, par opposition aux besoins-La demanderesse réclame des dommages-intérêts pour la perte de soutien financier et des dommages-intérêts particuliers pour les dépenses relatives à la succession et les frais funéraires, et réclame de façon distincte des honoraires de gestion-On a calculé le montant probable du revenu disponible du défunt s'il avait vécu-Ce montant a été réparti en deux, soit le revenu disponible probable jusqu'à la date du procès et le revenu disponible probable par la suite-On en a déduit une fraction au titre de la consommation personnelle du défunt et le montant qui aurait été consommé par le garçonnet (qui a également péri dans l'abordage)-On a calculé une somme forfaitaire suffisante qui, investie, donnera à la demanderesse un soutien financier comparable à celui qu'elle a perdu par suite du décès de son mari-La Cour doit examiner l'impôt payable sur le revenu produit et la question de la «majoration» du capital pour s'assurer que le revenu net de la demanderesse est équivalent à l'avantage pécuniaire que le défunt aurait autrement fourni-En dernier lieu, la Cour jouit du pouvoir discrétionnaire de modifier la somme ainsi calculée pour s'assurer qu'elle est juste et équitable-Le mari de la demanderesse était un plongeur commercial indépendant-Il pêchait l'oursin rouge et l'oursin vert, le concombre de mer et la panope (une grosse palourde)-Il était instruit, intelligent et travailleur, et avait l'esprit d'entreprise-Il était un pêcheur de fruits de mer très productif-Au moment de sa mort, il avait acheté son propre navire, un permis de pêche au concombre de mer et un permis de pêche à l'oursin rouge, et tentait d'acheter un permis de pêche à l'oursin vert-De février 1992 à juillet 1993, le défunt et la demanderesse ont pu acheter une résidence familiale et rembourser leurs prêts familiaux et bancaires-Leur valeur familiale nette était d'environ 213 000 $-Il est probable que le mari de la demanderesse aurait gagné 50 000 $ en 1993, 75 000 $ en 1994, 100 000 $ en 1995 et 150 000 $ en 1996, déduction faite des dépenses, mais avant paiement de l'impôt-Son revenu, tiré d'abord de la pêche aux fruits de mer, puis de la gestion de son entreprise, devrait être calculé jusqu'à l'âge de 65 ans-Le revenu que reçoit maintenant la demanderesse grâce à la location des permis doit être déduit du soutien financier qu'elle aurait reçu-Le taux de consommation du mari et du fils de la demanderesse a été fixé à 32 % jusqu'à ce que le fils atteigne l'âge de 25 ans, puis réduit à 28 % pour le mari seulement-Une somme d'au moins 1 000 $ a été accordée pour les services domestiques fournis par le mari, c.-à-d. faire les principales courses de la famille, préparer des mets familiaux spéciaux et effectuer des rénovations, sans aucune réduction parce que certains de ces services auraient pu être avantageux uniquement pour lui et pour son fils ou parce qu'il serait moins productif qu'un travailleur rémunéré-Le montant accordé n'a pas été réduit en raison de l'éventualité du divorce des Kajat-Leur mariage était solide-Une réduction a été faite pour tenir compte des taux de mortalité conjointe conformément aux principes de comptabilité généralement reconnus-Une réduction statistique en raison de la possibilité de remariage n'était pas de mise en l'espèce-Le milieu de travail est tel que, outre le rajustement pour l'éventualité de la mortalité conjointe, une réduction de 15 % était indiquée-La présente espèce justifiait l'attribution d'honoraires de gestion correspondant à 0,75 % des fonds à gérer par année-La demanderesse est une personne intelligente et compétente, mais son domaine n'est pas celui de la gestion financière-Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9, art. 311, 646, 647-Règlement sur les abordages, C.R.C., ch. 1416.