[2018] 3 R.C.F. F-8
Peuples autochtones
Terres
Obligation de consulter — Contrôle judiciaire s’opposant au caractère suffisant de la consultation menée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord intimé (ministre) auprès des membres de l’Alliance Métis North Slave (l’Alliance) au sujet de l’accord de principe sur les terres et les ressources de la Nation métisse du Territoire du Nord-Ouest (l’accord de principe de la Nation) — Le demandeur a affirmé entre autres choses : que les droits ancestraux de récolte de l’Alliance qui ont été reconnus et confirmés aux termes de l’art. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 seront lésés par un accord définitif négocié aux termes de l’accord de principe de la Nation; que la décision d’exclure l’Alliance des consultations reposait sur plusieurs erreurs de droit et était déraisonnable; qu’il fallait surseoir aux négociations visant la conclusion d’un accord définitif sur les terres et les ressources de la Nation métisse du Territoire du Nord-Ouest jusqu’à ce qu’une consultation sérieuse avec l’Alliance puisse avoir lieu — Le ministre a prétendu notamment que l’obligation de consulter ne s’appliquait pas en l’espèce, les membres de la Nation faisant partie du groupe avec lequel le Canada était en cours de négociation — Le demandeur a affirmé que le Canada et le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest (G.T.N.-O.) négociaient avec les Métis des Territoires du Nord-Ouest (M.T.N.-O.) un accord ne tenant pas compte de la distinction constitutionnelle entre « Métis » et « Indiens »; l’appartenance à une lignée autochtone n’était que l’un des indices tendant à établir l’identité métisse; le mot « Métis » ne visait pas toutes les personnes d’ascendance mixte indienne et européenne — Il a prétendu que les membres de l’Alliance étaient des « Métis » sur le plan ethnique, puisqu’ils répondent aux facteurs établis par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Powley, 2003 CSC 43, [2003] 2 R.C.S. 207 (Powley) — Conformément à la clause de non-dérogation contenue dans l’accord de principe de la Nation, les dispositions de tout accord définitif ne doivent pas être interprétées de manière à avoir une incidence sur tout droit ancestral ou issu d’un traité d’un peuple autochtone, à l’exception des personnes admissibles à l’inscription aux termes de l’accord définitif — Le demandeur a reconnu que les membres de l’Alliance qui partagent des liens ancestraux avec les Dénés de la région South Slave seraient amissibles à devenir membres aux termes de l’accord définitif, et que la clause de non-dérogation ne protégerait que les droits des groupes autochtones distincts de ceux qui ont des liens ancestraux avec les Dénés de la région South Slave — Il a soutenu que ces personnes devraient avoir la possibilité de revendiquer, par l’entremise de l’Alliance, des droits à titre de Métis du type reconnu dans l’arrêt Powley, plutôt que de participer au processus de négociation avec la Nation du fait de leur appartenance à la lignée des Dénés — Le demandeur avait l’autorité d’introduire cette demande en raison de ses fonctions de président dûment élu de l’Alliance de sorte que les exigences de l’art. 114(1)b) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, aient été remplies — Il s’agissait de déterminer si l’obligation de consulter l’Alliance a pris naissance et si la Couronne a bien évalué l’étendue de son obligation de consulter l’Alliance — L’obligation de la part du Canada de consulter l’Alliance a pris naissance en l’espèce — Le différend quant à savoir si l’Alliance avait droit à la consultation découlait du fait que des Métis, et non des « Indiens », sont le peuple autochtone dont les droits étaient en cause — Les structures de gouvernance et la qualité juridique des groupes d’« Indiens » sont largement prévues aux termes de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), c. I-5 — Aucune loi comparable en vigueur au niveau fédéral ou territorial ne crée de qualités juridiques et de structures de gouvernance pour les collectivités métisses — Ainsi, il peut être difficile de savoir quelle entité la Couronne doit consulter avant d’entreprendre des démarches pouvant avoir une incidence sur les droits ancestraux des Métis — L’Alliance représente un autre segment de la communauté métisse que la Nation — Les deux organismes n’ont pas les mêmes objectifs, priorités et conditions d’adhésion — Une inférence défavorable a été tirée du fait que la Nation a refusé de divulguer le nombre actuel de ses membres — Ce renseignement n’aurait probablement pas aidé la Nation à démontrer qu’elle est le seul organisme ayant droit à la consultation — Les communautés métisses ont un rôle important à jouer dans l’identification des conditions d’appartenance et l’élaboration de structures organisationnelles et de gouvernance — Il n’appartenait pas au Canada de décider lequel des organismes était mieux placé pour représenter les intérêts de la communauté métisse des Territoires du Nord-Ouest ou lequel des organismes avait le programme le plus attrayant — Dans la présente affaire, le Canada et le G.T.N.-O. ont négocié avec la Nation pour des raisons historiques, en fonction de l’ascendance autochtone de ses membres, et non pas parce que les membres de la Nation représentent nécessairement une communauté métisse titulaire de droits visés à l’art. 35 comme celle décrite dans l’arrêt Powley — La connaissance d’une revendication crédible, mais non encore établie, suffit à faire naître l’obligation de consulter et d’accommoder — Le Canada semble avoir conclu qu’il n’avait aucune obligation de consulter l’Alliance dès lors qu’il a conclu que certains membres de l’Alliance étaient admissibles à l’inscription à la Nation et pouvaient devenir membres aux termes de l’accord de principe de la Nation — Il n’a pas tenu compte des différences qui existent entre les deux organismes quant à leurs objectifs, leurs priorités et leurs critères d’adhésion, ni de la crédibilité des organismes à titre de représentants de la communauté métisse des Territoires du Nord-Ouest — La conclusion selon laquelle il n’avait aucune obligation de consulter l’Alliance n’avait pas la justification, la transparence et l’intelligibilité nécessaires à une décision raisonnable — L’Alliance est un organisme crédible qui a le droit d’être consultée quant aux démarches de la Couronne qui sont susceptibles de porter atteinte aux droits ancestraux de ses membres — Le Canada n’a pas tenu une consultation suffisamment approfondie avec l’Alliance avant de conclure l’accord de principe de la Nation — L’étendue de l’obligation de consulter dépend de l’évaluation préliminaire de la solidité des éléments de preuve étayant l’existence du droit ou du titre revendiqué et la gravité des effets préjudiciables éventuels sur le droit ou le titre — Le défaut de la Couronne de procéder à l’évaluation préliminaire de la solidité d’une revendication autochtone, de déterminer l’étendue de la consultation nécessaire et de discuter de l’évaluation préliminaire avec le groupe autochtone en question a constitué un manquement à l’obligation de consulter — L’évaluation préliminaire par le Canada a décrit le droit ancestral de chasser pour se nourrir conformément aux pratiques traditionnelles — Elle a précisé notamment que l’accord de principe de la Nation prévoit que des droits de récolte seront accordés aux Métis dans l’ensemble de la zone de l’accord proposée — L’évaluation préliminaire n’a jamais été partagée avec l’Alliance et ne lui a été remise que dans le contexte de la présente demande — La Couronne devait donner au groupe autochtone concerné l’occasion de commenter l’évaluation préliminaire de la solidité d’une revendication et des effets éventuels de la décision proposée sur les droits revendiqués — Le document ne faisait nullement mention de l’évaluation faite par le Canada de la solidité de la revendication par les membres de l’Alliance en tant que Métis de droits ancestraux de récolte visés à l’art. 35 — Il n’y avait aucune indication de l’évaluation faite par la Couronne, le cas échéant, concernant l’étendue de son obligation de consulter l’Alliance — La Couronne était tenue de délimiter correctement les paramètres juridiques de la teneur de l’obligation de consulter — Le Canada a refusé d’évaluer la solidité du droit revendiqué des membres de l’Alliance à titre de Métis de chasser dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves — L’évaluation préliminaire n’a pas tenu compte des effets préjudiciables potentiels les plus importants qui sont prévus par l’accord de principe de la Nation, à savoir l’extinction des droits ancestraux de récolte, dans le secteur situé au nord du Grand lac des Esclaves, des membres de l’Alliance ayant des ancêtres dénés de la région South Slave — Le Canada a semblé se méprendre sur la portée de l’incidence qu’un accord définitif sur les terres et les ressources pourrait avoir sur ce droit — L’extinction d’un droit ancestral important sur le territoire traditionnel d’un groupe correspond à une mesure de la Couronne qui aurait une profonde incidence sur un droit ancestral revendiqué et un mode de vie traditionnel, constituant un préjudice qui ne peut être facilement compensé — Cela semble indiquer que la consultation requise en l’espèce se trouverait à l’extrémité la plus élevée du continuum — Aucun accord sur les terres et les ressources entre les gouvernements fédéral et territorial et les Métis des Territoires du Nord-Ouest ne devra être conclu tant qu’une consultation sérieuse avec les membres de l’Alliance se situant au milieu ou au haut du continuum de consultation n’aura pas été menée et que les mesures d’adaptation nécessaires n’auront pas été prises en compte quant aux préoccupations soulevées par l’Alliance — Demande accueillie.
Enge c. Canada (Affaires indiennes et Développement du Nord), sub nom. Enge c. Canada (Affaires autochtones et du Nord) (T-1427-15, 2017 CF 932, juge Mactavish, jugement en date du 19 octobre 2017, 78 p.)