[2018] 4 R.C.F. F-24
Santé et bien-être social
Contrôle judiciaire concernant la décision de Crawford – Services de recours collectifs (Crawford), en sa qualité d’administrateur et de délégué du ministre de la Santé (ministre), selon laquelle la demanderesse n’est pas admissible à un soutien financier en vertu du Programme de contribution à l’intention des survivants de la thalidomide (le Programme) — La demanderesse recherchait : une déclaration selon laquelle elle est une victime de la thalidomide, admissible à recevoir une aide en vertu du Programme; une ordonnance de mandamus enjoignant Crawford et/ou le ministre à verser à la demanderesse la somme de 125 000 $ et les paiements annuels prévus au Programme; et, subsidiairement, une ordonnance de certiorari annulant la décision et renvoyant la demande de la demanderesse au ministre pour qu’il rende une décision conformément aux directives que la Cour estime convenables — La demanderesse a fait valoir que sa mère a pris du Kevadon (thalidomide) tout au long de sa grossesse — Les renseignements sur la naissance de la demanderesse et son diagnostic comme victime de la thalidomide ont été perdus par suite d’un incendie — Conformément au Régime d’aide extraordinaire de 1991, les demandeurs sont admissibles aux paiements s’ils répondent à l’un de trois critères, notamment celui de fournir une preuve documentaire selon laquelle la mère a utilisé de la thalidomide lors de son premier trimestre de grossesse — Pour être admissibles au Programme, les personnes présentant une demande doivent avoir été déclarées admissibles au régime d’aide de 1991 ou répondre à l’un des trois critères d’admissibilité du Programme — La demanderesse a présenté sa demande à Crawford sur le fondement du deuxième critère, selon lequel une preuve documentaire est exigée — Son dossier a fait l’objet d’un examen par un évaluateur médical, qui a conclu qu’il n’y avait pas de document précis qui démontrait que la mère de la demanderesse avait ingéré de la thalidomide pendant la période donnée — Il s’agissait principalement de savoir si les politiques du ministre concernant l’admissibilité à participer au Programme étaient susceptibles de contrôle judiciaire; si l’application des politiques du ministre à la demanderesse avait manqué à la norme du caractère raisonnable qui s’applique à l’examen des politiques — Selon la décision rendue dans Première Nation des Hupacasath c. Canada (Affaires étrangères et Commerce international Canada), 2015 CAF 4, les politiques du ministre sont justiciables — La controverse dans l’affaire présente portait sur la question de savoir si l’exercice de la prérogative du pouvoir exécutif n’est pas justiciable parce qu’il suscite des considérations qui ne peuvent être soumises au processus judiciaire ou qui ne se prêtent pas à l’analyse judiciaire — La règle d’exclusion énoncée dans Hupacasath ne s’appliquait pas en l’espèce — La question était celle de savoir si la cause découlant de la restriction catégorique relative à la preuve admissible requise par les politiques de la ministre pour démontrer que la thalidomide était la cause des difformités était flagrante de façon déraisonnable — Rien n’empêchait la Cour d’examiner le caractère raisonnable de la norme de preuve imposée par les politiques qui empêchent la demanderesse de bénéficier du programme — La demanderesse n’a pas remis en question le caractère raisonnable du deuxième critère, mais s’en est prise plutôt à l’application de ce critère par Crawford — La demanderesse n’avait nullement besoin de mentionner la décision dans Hupacasath, si le but consistait seulement à contester l’application du deuxième critère à sa situation — Les politiques ayant servi à évaluer la preuve d’admissibilité de la demanderesse ont été créées par le ministre et imposées à Crawford — Le contrôle judiciaire de la présente affaire ne peut englober des questions quant à savoir si la décision liée à la politique du Conseil du Trésor était juste ou raisonnable, ou si l’incidence de la politique sur le demandeur était juste ou injuste, s’il est conclu qu’il est déraisonnable au point d’être flagrant d’exiger l’annulation de la décision — Il n’y a aucune jurisprudence qui soit utile pour vérifier si un processus décisionnel est déraisonnable au point d’être flagrant — La Cour a proposé deux considérations : une décision flagrante devrait découler de faits convaincants, liés aux circonstances personnelles regrettables, au préjudice ou aux répercussions subis par la demanderesse en raison de la décision; le caractère flagrant doit être évalué en contexte, en comparant des processus décisionnels semblables qui concernent les mêmes questions ou faits difficiles pour servir de référence lors de l’évaluation du caractère déraisonnable — L’analyse en deux volets doit démontrer un cas aberrant de caractère déraisonnable évalué selon des normes comparables — La première tâche en l’espèce consistait à évaluer l’étendue des circonstances exceptionnellement regrettables subies par la demanderesse en conséquence des politiques — Le fait que la demanderesse a été placée dans la situation de n’avoir aucune possibilité d’établir son admissibilité est ce qui a fait que ses circonstances se distinguaient comme étant vraiment exceptionnelles — La situation en cause est survenue du seul fait que les politiques n’adhéraient pas à des normes de preuve ordinaires — Les politiques ne répondaient pas aux objectifs de l’ordonnance parce que certaines victimes de la thalidomide sont exclues du Programme en raison des restrictions excessives imposées quant à ce qui constitue une preuve acceptable de difformités — Le cas de demanderesse était exceptionnel en ce qu’elle n’a pu établir son droit à l’assujettissement aux politiques, qui n’admettent que la preuve médicale directe sous la forme de documents d’archives — Cela a empêché la considération de tout autre élément de preuve susceptible de démontrer selon la prépondérance des probabilités que la demanderesse était victime de la thalidomide — La justification que le défendeur a donnée aux politiques ne reflète pas fidèlement la réaction que les victimes de la thalidomide auraient face à une personne qui se trouve dans la situation de la demanderesse — La preuve présentée par la demanderesse a suffi à établir que sa mère a probablement ingéré de la thalidomide — L’imposition de limites au type de preuve admis est allée au-delà du simple caractère déraisonnable — La demanderesse a rempli les conditions d’éligibilité du deuxième critère — La décision a été annulée et renvoyée à Crawford — Demande accueillie.
Briand c. Canada (Procureur général) (T-1584-16, 2018 CF 279, juge Annis, jugement en date du 9 mars 2018, 37 p.)