Éthique
Contrôle judiciaire de la décision rendue par le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, qui a affirmé dans le Rapport Trudeau II de 2019 (le rapport) qu’il n’avait pas de motifs raisonnables de mener une étude sur huit titulaires de charge publique ayant agi sous les ordres du premier ministre — Le commissaire, de son propre chef, en vertu de l’art. 45(1) de la Loi sur les conflits d’intérêts, L.C. 2006, ch. 9 (la Loi), a ouvert une enquête relative aux allégations d’influence indue exercée sur la procureure générale du Canada de l’époque, l’honorable Jody Wilson-Raybould, ayant pour objet l’arrêt d’une poursuite criminelle impliquant SNC‑Lavalin — La demanderesse a prétendu que le commissaire avait restreint son propre pouvoir discrétionnaire et refusé de manière déraisonnable d’exercer la compétence que lui confère la Loi — Elle a affirmé que le commissaire aurait dû appliquer l’art. 9 de la Loi aux activités des huit titulaires de charge publique impliqués dans cette tentative d’influencer la procureure générale — Elle a sollicité une ordonnance annulant la partie du rapport concernant le refus par le commissaire d’exercer sa compétence à l’égard des huit titulaires de charge publique — Le 4 février 2019, le Globe and Mail a révélé que des fonctionnaires au sein du Cabinet du premier ministre avaient exercé des pressions sur la ministre de la Justice et procureure générale du Canada, afin qu’elle donne pour instruction au Service des poursuites de négocier un accord de réparation avec SNC‑Lavalin — La demanderesse a ensuite demandé au commissaire de mener une étude quant à la tentative des membres du Cabinet du premier ministre d’influencer la procureure générale qui contrevenait à plusieurs articles de la Loi, notamment l’art. 9 — Elle a sollicité également la récusation du commissaire — Le commissaire a répondu qu’il avait déjà entrepris une étude sur la question — La demanderesse a ensuite demandé que quiconque nommé par la procureure générale dans son témoignage livré devant le Comité permanent de la justice de la Chambre des communes fasse l’objet d’une étude — L’ancienne députée Elizabeth May (la députée May) a aussi demandé au commissaire de mener une étude relative à ces personnes — Le commissaire lui a demandé d’énumérer les personnes qu’elle souhaitait voir visées par une enquête — La députée May a fourni une liste énumérant les noms de huit titulaires de charge publique — Le commissaire a ensuite remis son rapport — Parce qu’il avait un motif de croire qu’il y avait eu une contravention possible à l’art. 9 de la Loi, le commissaire a entrepris une étude en application de l’art. 45(1) — Il a écrit au premier ministre du Canada, le très honorable Justin Trudeau, pour l’informer qu’il allait étudier sa conduite — Le bureau du commissaire a reçu de la documentation de la part de témoins et mené des entrevues avec certains d’entre eux — Le commissaire a conclu qu’à titre de premier ministre, M. Trudeau était le seul titulaire de charge publique qui, en raison de son poste, était en mesure d’exercer une influence sur la procureure générale — Il a conclu que les personnes qui ont agi sous la direction ou avec l’autorisation du premier ministre ainsi que toutes celles qui ont joué un rôle dans cette affaire au nom d’autres ministres n’auraient pas pu influencer la procureure générale en se servant simplement de leurs fonctions officielles — Par conséquent, il a estimé qu’il n’avait aucun motif raisonnable d’examiner leur conduite et aucune raison de croire qu’ils avaient pu contrevenir à la Loi — La demanderesse a affirmé que le commissaire, en appliquant l’art. 9 au premier ministre, et non aux huit autres titulaires de charge publique, n’avait pas exercé sa compétence conformément à la Loi, rendant le rapport déraisonnable — La demanderesse n’était pas directement touchée par les questions qu’elle a soulevées dans la présente demande — Avant que la Cour puisse examiner la demande de contrôle judiciaire au fond, elle devait répondre à trois questions — Il s’agissait de savoir s’il y avait une crainte raisonnable de partialité de la part du commissaire; si la question était justiciable; si la demanderesse devrait se voir accorder la qualité pour agir dans l’intérêt public — La demanderesse a avancé les mêmes arguments quant à la partialité que ceux présentés à la Cour fédérale dans l’affaire Démocratie en surveillance c. Canada (Procureur général), 2018 CF 1290, où la nomination du commissaire a été contestée — Dans cette affaire, la Cour fédérale a rejeté la demande dans son intégralité, concluant que le processus de consultation ayant mené à la nomination du commissaire actuel avait satisfait aux exigences prévues à la Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. (1985), ch. P‑1, et que le processus de nomination était raisonnable — La Cour d’appel fédérale a confirmé cette décision (2020 CAF 28), et la demande d’autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada a été rejetée — Le commissaire n’a pas commis d’erreur en refusant de se récuser — Il n’y avait aucune raison de s’écarter de la conclusion précédente de la Cour d’appel fédérale — En outre, la Loi dispose que le commissaire examine les contraventions possibles de « titulaires de charge publique », ce qui comprend les membres du personnel ministériel et les ministres — Par conséquent, la Loi permet une étude sur les membres du gouverneur en conseil — Il n’y a dans la Loi aucune situation qui obligerait le commissaire à se récuser — Le régime établi par le législateur dans la Loi prévoit la possibilité pour le commissaire d’examiner les plaintes contre les membres du gouverneur en conseil — Les arguments de la demanderesse ne pouvaient pas être retenus — Le droit à un contrôle judiciaire est subordonné à l’existence d’une conduite ayant pour effet de porter atteinte à des droits, d’imposer des obligations juridiques ou d’entraîner des effets préjudiciables — En ce qui concerne l’application de l’art. 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, même si un « objet » est plus vaste qu’une « décision », cet objet doit néanmoins être susceptible d’emporter une réparation prévue à l’art. 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales — En l’espèce, les critères permettant de conclure que la question est justiciable doivent s’appliquer — Une question qui n’a pas pour effet de porter atteinte à des droits, d’imposer des obligations juridiques, ni d’entraîner des effets préjudiciables ne peut pas faire l’objet d’un contrôle — La décision du commissaire de ne pas entamer une étude relativement aux huit titulaires de charge publique n’était pas une question susceptible de contrôle — Le rapport dans son ensemble n’a pas pour effet de porter atteinte à des droits, d’imposer des obligations juridiques, ni de causer des effets préjudiciables à ces huit titulaires de charge publique — Le rapport avait manifestement trait à une enquête sur la conduite de M. Trudeau que révèlent ses propres actes ou ceux de ses agents — Le commissaire a conclu que la preuve a démontré clairement que M. Trudeau a sciemment tenté d’influencer la procureure générale, directement et par l’entremise de ses agents — On ne pouvait donc pas affirmer que le commissaire a permis qu’un acte répréhensible demeure impuni ou mine la confiance du public, étant donné sa conclusion selon laquelle l’acte répréhensible était attribuable à M. Trudeau, par personnes interposées — En ce qui concerne l’effet préjudiciable, la question en l’espèce était de savoir si la décision de ne pas mener d’étude a causé des effets préjudiciables, et non si une enquête causerait des effets préjudiciables aux titulaires de charge — Par conséquent, la question soulevée dans la présente demande n’était pas justiciable, car elle n’a pas eu pour effet de porter atteinte à des droits, d’imposer des obligations juridiques, ni d’entraîner des effets préjudiciables — Demande rejetée.
Démocratie en surveillance c. Canada (Procureur général) (A-331-19, 2021 CAF 133, juge Rivoalen, J.C.A., motifs du jugement en date du 5 juillet 2021, 17 p.)