Douanes et Accise
Loi sur la taxe d’accise
Application et exécution — Contrôle judiciaire d’une décision rendue par l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) de retirer temporairement, plutôt que d’y renoncer de façon permanente, deux certificats qu’elle a déposés devant la Cour fédérale afin de prendre des mesures de recouvrement contre les demandeurs en leur qualité d’administrateurs d’Artisan Homes Inc. (Artisan) pour des arriérés de taxe sur les produits et services (TPS) dus par Artisan — Le principal argument des demandeurs était que la mesure prise par l’ARC était déraisonnable en ce qu’elle contrevenait au Manuel du recouvrement national (2015‑01) (le manuel de 2015) qui était en vigueur au moment où ils ont présenté leurs avis d’opposition à l’avis de cotisation de l’ARC, le 20 avril 2016, en vertu de l’art. 301(1.1) de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E‑15 (la LTA) — L’ARC a affirmé que le manuel de 2015 a été remplacé en novembre 2016 par une communication, dans Infozone, du directeur de la Division des recouvrements et de l’exécution de l’ARC (la directive de 2016) et que les demandeurs se sont appuyés sur des renseignements périmés — Le 17 février 2016, au titre de l’art. 323(1) de la LTA, l’ARC a émis des avis de cotisation contre les demandeurs pour les arriérés de taxe sur les produits et services, dus par Artisan, de 550 000 $ — Les demandeurs ont par la suite envoyé à l’ARC deux avis d’opposition contestant les cotisations — Ils ont également déposé des oppositions sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 (la LIR) à l’égard de ces cotisations, et ont interjeté appel de ces cotisations devant la Cour canadienne de l’impôt — Un agent de recouvrement de l’ARC a envoyé un courriel à un agent des appels au sujet du statut d’appel des comptes des demandeurs — L’agent des appels a répondu qu’il n’y avait pas de note de cotisation associée au compte RT (qui se rapporte aux paiements de TPS/TVH sous le régime de la LTA) et que les notes de cotisation concernaient seulement le compte RP (qui se rapporte aux retenues sur la paie au titre de la LIR) — Le ministre a déclaré par certificat, en vertu de l’art. 316(1) de la LTA, que chacun des demandeurs, et Artisan, était redevable d’impôts aux termes des notes de cotisation; la dette s’élevait à 616 502,43 $, incluant les intérêts — L’agent de recouvrement a par la suite été informé que des oppositions avaient été déposées auprès de l’ARC en avril 2016 — L’avocat des demandeurs a demandé que les oppositions soient « rouvertes rétroactivement » — Le 6 avril 2018, les certificats ont été enregistrés comme étant déposés et un bref de perquisition et de saisie a été délivré électroniquement à un shérif — L’avocat des demandeurs a plus tard été informé que les certificats allaient être retirés — En réponse, l’avocat des demandeurs a souligné que, comme la dette avait été erronément attestée par certificat, l’ARC devait procéder à la mainlevée des certificats enregistrées contre les demandeurs — Les oppositions des demandeurs ont finalement été antidatées au 20 avril 2016 — Les certificats et les brefs ont par la suite été retirés par l’ARC, qui n’y a toutefois pas renoncé et qu’elle n’a pas exécutés, contrairement à ce qu’avait demandé l’avocat des demandeurs — L’ARC a informé ce dernier que ces actes de procédure étaient périmés et que le retrait était la bonne façon de procéder — La décision faisant l’objet du contrôle était une lettre datée de juillet 2019 qui mentionnait que la position des demandeurs selon laquelle l’ARC devait « procéder à la mainlevée » des certificats était incorrecte et reposait sur une mauvaise interprétation du droit applicable et sur une politique de l’ARC qui n’était en vigueur à aucun moment pertinent à la présente affaire; et que l’ARC avait retiré les deux certificats, mais qu’elle n’y renoncerait pas — La décision mentionnait aussi qu’il n’y avait pas d’opposition ni d’appel lorsque les brefs ont été déposés le 6 avril 2018 — Toutefois, ces derniers ont été retirés lorsque les oppositions acceptées par la suite ont été antidatées à un moment précédant le dépôt des brefs — La décision indiquait que, aux termes de la politique qui a remplacé le manuel de 2015, la renonciation à des certificats n’était prévue que dans certaines situations, dont aucune ne correspondait à la situation des demandeurs; elle soulignait que le manuel de 2015 n’était plus en vigueur lorsque l’ARC avait accepté les oppositions des demandeurs le 17 avril 2018 — Par conséquent, la décision a conclu que l’ARC avait correctement suivi sa politique en retirant les certificats plutôt qu’en y renonçant — La décision expliquait que le ministre n’avait aucune obligation légale de surseoir au recouvrement d’une dette pour les cotisations au titre de la responsabilité des administrateurs, aux termes de l’art. 323(1) de la LTA — Il s’agissait de savoir si la décision était raisonnable et si elle était inéquitable sur le plan de la procédure en ce sens qu’elle ne répondait pas aux attentes légitimes des demandeurs — Il n’y avait pas d’obstacle juridique aux actions de l’agent de recouvrement pour procéder au recouvrement en déposant des certificats et en enregistrant des brefs — Ces mesures étaient appuyées par la loi et prévues dans la LTA — Une fois que les certificats ont été légalement enregistrés et tant qu’ils le demeuraient, il n’était pas déraisonnable pour l’ARC de solliciter des brefs pour recouvrer la dette — L’ARC n’était pas légalement tenue, sous le régime de la LTA, de retirer les certificats le 29 janvier 2019 — Cette mesure administrative volontaire de l’ARC visant à imposer des restrictions en matière de recouvrement alors qu’aucune n’était légalement requise était un fait qui s’était produit environ six mois après le début des activités de recouvrement — Elle n’appuyait pas une conclusion selon laquelle la décision était incohérente ou était par ailleurs déraisonnable en ce qui concerne le dépôt des certificats ou le retrait subséquent des certificats, plutôt que la renonciation à ceux‑ci — Les dispositions législatives applicables de la LTA sont habilitantes, et non contraignantes — Elles se trouvent aux art. 315 et 316 — Ensemble, ces dispositions de la LTA justifient et appuient légalement les activités de recouvrement qui ont été entreprises et le retrait des certificats — Les agents de l’ARC n’ont pas fait preuve de négligence, et aucune erreur ou omission n’est apparue à la lecture du dossier — Les agents se sont raisonnablement appuyés sur les renseignements contenus dans le système des dossiers lorsqu’ils ont traité les activités de recouvrement; ils ont agi avec diligence et n’ont pas fait preuve de négligence à cet égard — Il incombait aux demandeurs de prouver leurs arguments selon la prépondérance des probabilités — Les demandeurs n’ont pas établi que le raisonnement de la décision était intrinsèquement incohérent et qu’il ne pouvait être justifié au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes — Au contraire, les dispositions de la LTA et la jurisprudence connexe appuient pleinement la décision — L’ARC n’était pas tenue de suivre le manuel de 2015 et de renoncer aux certificats — Le manuel de 2015 est une politique administrative et reflète la politique de l’ARC à un moment précis — Dix‑huit mois après la publication de la directive de 2016, l’ARC a pris la décision d’antidater les oppositions — Les demandeurs n’ont pas présenté de jurisprudence ou de doctrine pour étayer leur affirmation selon laquelle le manuel de 2015 original devrait régir le processus utilisé pour procéder à la mainlevée des certificats plutôt que le processus en place au moment où la décision d’antidater les oppositions a été prise — Le manuel de 2015 n’a pas force obligatoire et, tel qu’il a été rédigé à l’origine, la partie sur laquelle les demandeurs souhaitaient se fonder a été remplacée; elle était périmée — L’ARC a donc raisonnablement décidé de retirer les certificats, car la dette sous‑jacente n’était pas acquittée — Ni le manuel de 2015 ni la directive de 2016 n’étaient contraignants — En ce qui concerne l’attente légitime des demandeurs selon laquelle il y aurait mainlevée du certificat, aucun élément de preuve ne démontraient que les politiques sont appliquées de façon si uniforme par l’ARC qu’il y aurait une attente légitime — Ainsi que l’ARC l’a affirmé, une politique interne qui avait été annulée au moment où les certificats ont été déposés n’est pas une indication suffisamment précise pour constituer une obligation contractuelle exécutoire — Ainsi, il n’y a pas eu d’attente légitime — De plus, l’impossibilité que la théorie de l’attente légitime constitue la source de droits matériels lui apporte une restriction importante — La Cour peut seulement accorder une réparation procédurale convenable pour répondre à l’attente légitime — Une ordonnance de mandamus exigeant que le ministre dépose une renonciation à un certificat n’était pas nécessaire dans la présente affaire — Par conséquent, la décision était raisonnable et elle n’était pas inéquitable sur le plan de la procédure — Demandes rejetées.
Libicz c. Canada (Procureur général) (T-1367-19, T-1368-19, 2021 CF 693, juge Elliott, motifs du jugement en date du 30 juin 2021, 30 p.)