[2022] 1 R.C.F. F-14
Droit constitutionnel
Privilège parlementaire — Requête urgente visant à surseoir à deux sommations délivrées par l’un des défendeurs, le commissaire de la Commission sur l’état d’urgence — La Commission a été créée en vue d’enquêter sur les circonstances ayant mené à la déclaration d’état d’urgence entre le 14 et le 23 février 2022 et sur les mesures prises pour faire face à la crise — Les demandeurs devaient témoigner devant la Commission le 10 novembre 2022 — Les demandeurs ont contesté les sommations au motif que l’Assemblée législative de l’Ontario siégeait alors et que, comme ils étaient des représentants élus, ils jouissaient du privilège parlementaire qui les exonérait de l’obligation de témoigner — Les défendeurs ont affirmé que l’application du privilège parlementaire de l’immunité contre l’obligation de témoigner devant une commission d’enquête n’a pas été établie en droit — Ils ont soutenu que l’on ne devrait pas faire valoir ce privilège dans le but d’empêcher la justice de suivre son cours et que l’on y renonce régulièrement — Il s’agissait de savoir si les sommations délivrées par le commissaire devaient être suspendues jusqu’à ce que la Cour rende une décision sur la demande d’annulation des sommations pour défaut de compétence — Pour obtenir la suspension des sommations, les demandeurs devaient satisfaire au critère bien établi pour une injonction interlocutoire défini par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt RJR‑MacDonald Inc c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311 — Les demandeurs devaient établir l’existence d’une question sérieuse selon une norme élevée — Le seul différend entre les parties était celui de savoir s’il est possible de faire valoir le privilège parlementaire de l’immunité contre l’obligation de témoigner pour s’opposer à des sommations délivrées par une commission d’enquête, par opposition à une assignation délivrée par un tribunal judiciaire ou administratif — La Cour a examiné par le passé l’application du privilège parlementaire aux audiences des commissions d’enquête fédérales dans Gagliano c. Canada (Procureur général), 2005 CF 576, [2005] 3 R.C.F. 555 — Dans la décision Gagliano, la Cour a conclu qu’il faut établir la nécessité du privilège parlementaire de la liberté de parole uniquement en raison de l’incertitude quant à sa portée et à son application à une commission d’enquête — On ne peut en dire autant du privilège parlementaire de l’immunité contre l’obligation de témoigner — Le privilège parlementaire de l’immunité contre l’obligation de témoigner ne se limite pas à protéger les parlementaires contre les litiges vexatoires, mais s’étend aux procédures civiles en général, ainsi qu’aux affaires pénales, administratives et militaires — S’il est établi qu’un privilège parlementaire existe, il doit être étendu à toute procédure, incluant les audiences des commissions d’enquête — L’on pouvait faire valoir le privilège parlementaire de l’immunité contre l’obligation de témoigner en l’espèce — Cependant, les sommations elles‑mêmes n’étaient pas invalides ni n’avaient été délivrées sans compétence et elles ne devaient donc pas être annulées — Soutenir cette affirmation reviendrait à transformer le privilège parlementaire, un bouclier, en une épée, contrairement à l’intention du législateur — Le commissaire avait compétence pour délivrer les sommations — Les questions sur lesquelles les demandeurs ont été appelés à témoigner relevaient du mandat du commissaire — Cependant, les sommations ne pouvaient être exécutées tant que les demandeurs continuaient de s’y opposer en faisant valoir le privilège parlementaire — La présente affaire relève de la deuxième exception, rare et étroite, reconnue dans l’arrêt RJR‑MacDonald, qui s’applique lorsque la question de constitutionnalité se présente uniquement sous la forme d’une pure question de droit — Refuser d’accorder une injonction interlocutoire causerait un préjudice irréparable au privilège parlementaire dont jouissent les députés de l’Assemblée législative de l’Ontario et à la primauté du droit — Permettre que les sommations soient exécutées en cas de revendication valable du privilège parlementaire affaiblirait et compromettrait la séparation constitutionnelle des pouvoirs — La levée du privilège parlementaire dans ces circonstances serait le produit de la coercition et aurait pour effet de compromettre le privilège — Le préjudice que les demandeurs subiraient si la violation du privilège parlementaire était permise l’emporte sur l’intérêt légitime de la Commission à recevoir leur témoignage — À l’inverse, le fait de permettre que les sommations soient exécutoires entraînerait la Commission à violer un privilège parlementaire établi — Requête accueille en partie.
Ontario (Premier ministre) c. Canada (Commissaire de la Commission sur l’état d’urgence) (T‑2218‑22, 2022 CF 1513, juge Fothergill, motifs de l’ordonnance en date du 7 novembre 2022, 28 p.)