[2022] 2 R.C.F. F-7
Pratique
Outrage au tribunal
Détermination de la peine
Il s’agissait d’un appel d’une ordonnance de la Cour fédérale (2019 CF 794) établissant la peine pour l’outrage au tribunal à l’encontre des cinq appelants — Les appelants étaient cinq des sept personnes déclarées coupables d’outrage au tribunal pour le non-respect d’un jugement de la Cour fédérale (2017 CF 1179) — Ce jugement annulait l’élection par laquelle ils ont été élus membres du conseil des Innus de Pessamit et ordonnait qu’une nouvelle élection soit tenue à moins que le code électoral coutumier de 1994 de la Nation innue de Pessamit (la Nation) ne soit dûment modifié avant cette date — Le chef Simon a été condamné à une amende de 20 000,00 $ et chacun des conseillers à une amende de 10 000,00 $ payable dans les 90 jours de la décision — Les appelants reprochaient à la Cour fédérale de ne pas avoir adéquatement appliqué les principes de détermination de la peine, notamment les principes de proportionnalité, d’individualisation et d’harmonisation des peines — Ils contestaient le quantum des amendes imposées, qu’ils estimaient excessif et inapproprié. — Plus particulièrement, les appelants insistaient que la Cour fédérale n’a pas considéré tous les facteurs atténuants qu’ils avaient soulevés et n’a pas accordé suffisamment de poids à l’aspect autochtone ou au contexte de gouvernance autochtone qui, selon eux, était un facteur atténuant important — Devant la Cour fédérale, l’intimé faisait valoir que compte tenu du caractère grave et flagrant de l’outrage, il y avait lieu d’imposer une peine d’emprisonnement, de même qu’une amende de 50 000,00 $ au chef Simon, et de 30 000,00 $ à chacun des conseillers — Il s’agissait de savoir si la Cour fédérale a bien établit la peine pour l’outrage au tribunal à l’encontre des cinq appelants — Il est bien établi qu’une cour d’appel ne peut modifier une peine pour la seule raison qu’elle aurait prononcé une sentence différente — Les tribunaux d’appel doivent plutôt faire preuve d’une grande retenue dans l’examen des décisions des cours de première instance à l’occasion d’un appel d’une sentence — Dans sa décision, la Cour fédérale a rappelé les facteurs jurisprudentiels à considérer en matière de détermination de la peine — L’examen des arguments soumis quant aux facteurs atténuants auxquels la Cour fédérale n’aurait pas accordé suffisamment de poids dans l’établissement de la peine n’a pas établi que la Cour fédérale a commis une erreur de principe justifiant une intervention — Quant au contexte de gouvernance autochtone, la Cour fédérale a noté la conviction qu’avaient les appelants d’agir dans l’intérêt de leur communauté en ne tenant pas d’élection et leur volonté de préserver l’autonomie gouvernementale de la Nation — La Cour fédérale a souligné que le jugement de 2017 n’avait pas pour but ou effet de dépouiller la Nation de son droit à l’autodétermination, mais plutôt de faire respecter les lois et coutumes de la Nation en matière électorale — Qui plus est, la Cour fédérale a dûment tenu compte de l’aspect autochtone et des principes énoncés par la Cour suprême dans R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688 et R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, [2012] 1 R.C.S. 433 pour conclure qu’il y avait lieu d’imposer une amende aux appelants puisque l’imposition d’une peine d’emprisonnement n’était pas appropriée — En ce qui concerne l’ingérence politique et le contrôle judiciaire dans un État de droit, les décisions de toutes les autorités gouvernementales sont soumises à la révision judiciaire et celles-ci doivent respecter les règles de droit qui encadrent l’exercice de leur pouvoir — Dans l’ensemble, les arguments qu’ont soumis les appelants consistaient essentiellement à remettre en question les conclusions de fait de la Cour fédérale quant aux circonstances de l’outrage — Or, ces conclusions relevaient de l’appréciation de la preuve par le juge des faits qui n’étaient pas entachées d’une erreur révisable — Quant au raisonnement de la Cour fédérale, il en ressortait que cette dernière a priorisé les objectifs de dissuasion et de dénonciation dans sa détermination de la peine appropriée comme elle était en droit de le faire — Les amendes imposées par les Cours fédérales dans des cas d’outrages au tribunal varient énormément selon le contexte — À la conclusion d’un litige, il y aura presque toujours une partie qui sera en désaccord avec la décision rendue — Mais dans un état fondé sur la règle de droit, un désaccord ne justifie jamais de refuser d’obtempérer à une ordonnance de la Cour avant qu’elle ne soit cassée ou suspendue — Dans la présente affaire, les appelants ont non seulement brimé le droit de leur Première Nation et lui ont causé un préjudice, mais ils ont aussi tenté de miner ceux du membre de cette nation qui a demandé l’intervention de la Cour fédérale — La Cour fédérale avait raison de conclure à un outrage flagrant et répété puisque les appelants avaient eu plusieurs occasions de réfléchir à cette question — Le chef Simon savait bien qu’il pouvait perdre devant la Cour fédérale en 2017, et il avait un « plan d’action » — Il était définitivement la tête dirigeante dans la prise de décisions suite au jugement de 2017 — Compte tenu de sa position voulant que le droit à l’autodétermination lui permettait de contrevenir à un jugement de la Cour fédérale, laquelle pouvait influencer d’autres bandes ainsi que les appelants, l’amende à son encontre n’était pas injuste bien qu’elle était élevée — De la même façon, il n’était pas manifestement non indiqué d’établir l’amende applicable aux autres appelants à un montant équivalent à la moitié de l’amende imposée au chef — Ceci tenait compte de leur niveau de responsabilité — Quant à une des appelantes dans cette affaire, il existait des circonstances exceptionnelles justifiant l’intervention de la Cour pour lui offrir une manière alternative de s’acquitter de l’amende imposée, ce qui a été fait — Appel rejeté sauf quant à une des appelantes.
Simon c. Bacon St-Onge (A-258-19, 2023 CAF 1, juge Gauthier, J.C.A., motifs du jugement en date du 4 janvier 2023, 22 p.)