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[2022] 3 R.C.F. F-10

 

Impôt sur le revenu

Application et exécution

Appel d’une décision de la Cour fédérale (2021 CF 1438) qui a rejeté une deuxième demande d’autorisation de l’appelante de signifier à l’intimée une demande péremptoire concernant quasiment tous les clients commerciaux ou d’affaires de l’intimée, soit ceux dont l’abonnement est assujetti à un tarif général — Le paragraphe 231.2(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 (la Loi) dispose que la ministre ne peut exiger d’une personne qu’elle lui fournisse des renseignements ou produise des documents (demande péremptoire) concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément, c’est-à-dire des personnes dont l’identité n’est pas connue de la ministre, sans être au préalable autorisée par un juge — La Cour fédérale peut autoriser la demande si a) il existe un groupe identifiable et b) la fourniture de renseignements ou production de documents est exigée pour vérifier si les personnes de ce groupe ont respecté leurs obligations fiscales — La première demande d’autorisation présentée par la ministre à la Cour fédérale a été discutée dans Canada (Revenu national) c. Hydro-Québec, 2018 CF 622, [2018] 4 R.C.F. F-15 (Hydro-Québec 2018) — Cette première demande (la Demande 2017) et la preuve à son soutien ne comportaient aucune explication permettant de comprendre de quelle façon les clients commerciaux ou d’affaires constituaient un groupe identifiable au sens de la Loi, ni pourquoi cette clientèle était ciblée par la ministre — La deuxième demande (la Demande 2019), soit celle portée en appel en l’espèce, vise pratiquement la même clientèle et les mêmes renseignements que la Demande 2017 — En rejetant la demande d’autorisation à l’égard de la Demande 2019, la Cour fédérale a indiqué qu’à la lumière des enseignements de l’arrêt Roofmart Ontario Inc. c. Canada (Revenu national), 2020 CAF 85 (Roofmart), il était permis de croire que sa décision à l’égard de la Demande 2019 serait différente de celle rendue à l’égard de la Demande 2017 — Cependant, ayant conclu que la décision Hydro-Québec 2018 a autorité de chose jugée, la Cour fédérale a rejeté la demande de la ministre sans se prononcer sur la question de savoir si la Demande 2019 satisfaisait aux conditions du paragraphe 231.2(3) de la Loi — La juge Goyette, J.C.A. : Il s’agissait de déterminer si la décision Hydro-Québec 2018 a autorité de chose jugée avec la conséquence que la Demande 2019 doit être rejetée — Pour que s’applique le principe de la chose jugée, six conditions doivent être remplies, dont trois sont relatives au jugement et trois sont relatives à l’action — La Cour fédérale a déterminé que la décision Hydro-Québec 2018 satisfaisait aux trois conditions relatives au jugement (i.e. le tribunal doit avoir compétence, le jugement doit être définitif et il doit avoir été rendu en matière contentieuse) — Elle a aussi déterminé que les Demandes 2017 et 2019 satisfaisaient aux trois conditions relatives à l’action, soit l’identité de parties, d’objet et de cause — Or, le fait que les conditions d’application de la chose jugée puissent être satisfaites ne peut pallier au fait que le paragraphe 231.2(3) de la Loi, de par son libellé et sa nature, ne permet pas l’application du principe de la chose jugée — En soi, le texte du paragraphe 231.2(3) ne permet pas de déterminer si une décision autorisant ou refusant la signification d’une demande péremptoire judiciarisée bénéficie de l’autorité de la chose jugée — En vertu des pouvoirs généraux de vérification que lui confère l’article 231.1, la ministre peut demander le même type de renseignements à un contribuable à plus d’une reprise si cela est nécessaire — La demande péremptoire judiciarisée s’apparente à une demande à un juge pour l’obtention d’un mandat de perquisition, telles les demandes en vertu de l’article 231.3 de la Loi ou de l’article 487 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46 — Or, il est bien établi que la décision d’un juge refusant de décerner un mandat de perquisition n’a pas autorité de chose jugée — Si le principe de la chose jugée ne s’applique pas à une demande de mandat de perquisition en matière criminelle, cela devrait être d’autant plus vrai à l’égard d’une demande d’autorisation pour l’émission d’une demande péremptoire — Le principe de la chose jugée ne peut s’appliquer aux décisions rendues à l’égard des demandes d’autorisation judiciaire que la ministre présente en vertu du paragraphe 231.2(3) de la Loi — Cela ne signifie pas pour autant que la ministre peut abuser de son droit de solliciter à plus d’une reprise une autorisation judiciaire à l’égard de la même demande péremptoire ou d’une demande similaire — Si elle abuse de cette discrétion en sollicitant la même demande sans explication satisfaisante ou preuve au soutien, ou si elle présente une demande déraisonnable, elle risque non seulement un refus d’autorisation, mais aussi une décision judiciaire selon laquelle elle abuse de sa discrétion — Lorsque la ministre présente de nouveau une demande d’autorisation de signifier une demande de renseignements concernant des personnes non désignées nommément, la Cour fédérale doit se demander si la demande de renseignements satisfait aux deux conditions du paragraphe 231.2(3) de la Loi et, si tel est le cas, exercer sa discrétion afin de déterminer si cette demande doit être autorisée ou non — En l’espèce, cet exercice n’a pas été effectué par la Cour fédérale étant donné la conclusion de chose jugée — Le jugement de la Cour fédérale a été annulé — Le dossier lui a été retourné afin qu’elle procède à l’analyse de la demande de la ministre — Appel accueilli — Les juges Boivin et LeBlanc, J.C.A. (motifs concordants) : Certaines réserves quant à l’analyse qui sous-tend les conclusions de la juge Goyette en l’espèce ont été exprimées, notamment le parallèle qu’elle a établi entre l’article 487 du Code criminel et le paragraphe 231.2(3) de la Loi — Il aurait été amplement suffisant de simplement rappeler l’existence de la discrétion résiduaire dont dispose la Cour fédérale aux termes du paragraphe 231.2(3) tout en spécifiant, comme l’a fait la Cour dans Roofmart, que ce pouvoir résiduaire « ne constitue pas un moyen par lequel les choix politiques du législateur, comme énoncé [au paragraphe 231.2(3)], peuvent être réexaminés ».

Canada (Revenu National) c. Hydro-Québec (A-21-22, 2023 CAF 171, juges Boivin, LeBlanc et Goyette, J.C.A., motifs du jugement en date du 27 juillet 2023, 16 p. + 9 p.)

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