[2001] 1 C.F. 102
T-989-86
Eugene Houle, Henry Quinney, Finlay Moses, Noah Cardinal, Emma Gladue, Alex Redcrow, Alex Whiskeyjack, John Shirt et Edwin Quinney, en leur propre nom et au nom des peuples de la bande indienne de Saddle Lake (anciennement la tribu des Cris résidant sur les réserves nos 125 et 125A) et Sam Bull, Ernest Jackson, Morris Jackson et Alan Houle, en leur propre nom et au nom des peuples de la bande indienne de Whitefish (anciennement la bande de Jams Seenum de la tribu des Cris) (demandeurs)
c.
Sa Majesté la Reine (défenderesse)
Répertorié : Houle c. Canada (1re inst.)
Section de première instance, protonotaire Hargrave— Vancouver, 27 avril et 24 juillet 2000.
Pratique — Actes de procédure — Modifications — Les demandeurs sollicitent l’autorisation d’apporter des modifications à la déclaration dans une action contre la Couronne pour violation de l’obligation fiduciaire en ce qui concerne la cession de droits sur le pétrole, le gaz et l’exploitation minière afférents aux terres d’une réserve indienne — Les modifications constituent-elles des précisions et sont-elles autorisées en vertu de la règle 201? — Les modifications devraient être autorisées afin de déterminer quelles sont les véritables questions controversées en autant qu’elles ne créent pas une injustice impossible à réparer au moyen de dépens — Le fait qu’une modification rende la cause plus difficile à gagner et soit susceptible d’accroître la responsabilité d’une partie ne constitue pas un préjudice — Pour rejeter une demande de modification, il doit être clair, manifeste et indubitable que cette modification n’aura aucune chance de succès — L’argument général qu’ont soumis les demandeurs nécessite des précisions qui permettent de circonscrire le débat — Lorsque des modifications découlent de la même situation de fait que celle énoncée dans la déclaration initiale, la question de savoir si les modifications donnent naissance ou non à une nouvelle cause d’action est sans importance — Modifications autorisées en vertu de la règle 201.
Pratique — Prescription — Requête visant à obtenir une ordonnance permettant d’apporter des modifications à la déclaration — La Couronne prétend que les modifications ajouteraient de nouvelles causes d’action qui peuvent être prescrites — La Limitation of Actions Act de l’Alberta est applicable en cas de manquement à l’obligation de fiduciaire — L’argument selon lequel la modification qui ajoute une nouvelle cause d’action ne peut être rétroactive jusqu’à ce que la question de la prescription soit tranchée n’empêche pas de procéder à la modification — Un point portant sur la prescription devrait être tranché non pas lorsqu’une modification est autorisée, mais au procès — Lorsque des modifications découlent des mêmes faits que ceux allégués dans la déclaration initiale, la question de savoir si les modifications donnent naissance ou non à une nouvelle cause d’action prescrite est sans importance.
Il s’agit d’une requête visant à obtenir une ordonnance permettant d’apporter des modifications à la déclaration dans une action contre la Couronne pour violation de l’obligation fiduciaire en ce qui concerne la cession de droits sur le pétrole, le gaz et l’exploitation minière afférents aux terres d’une réserve indienne. Les demandeurs prétendent que la défenderesse a manqué à ses obligations de fiduciaire envers eux essentiellement en permettant des déductions excessives relativement au coût du gaz, et en accordant aux preneurs à bail des déductions excessives relativement aux redevances. Ils soutiennent que les modifications contestées ne sont rien de plus que des précisions et qu’elles devraient être autorisées en vertu de la règle 201, même si cela a pour effet d’ajouter une nouvelle cause d’action, pourvu qu’elles soient fondées sur des faits déjà invoqués et que la défenderesse ne subisse pas de préjudice. La Couronne s’oppose à la plupart des modifications en soutenant qu’elles ajoutent de nouvelles causes d’action et que toute revendication fondée sur le défaut de déposer des sommes d’argent au crédit des demandeurs devrait faire l’objet d’une prescription de six ans. Deux questions sont soulevées : 1) les modifications contestées pourraient-elles être considérées comme des précisions? et 2) devraient-elles être autorisées en vertu de la règle 201?
Jugement : la requête est accueillie.
Les modifications visant à déterminer quelles sont les véritables questions controversées — et il est dans l’intérêt de la justice de déterminer quelles sont ces questions — devraient être autorisées en autant qu’elles ne créent pas une injustice impossible à réparer au moyen de dépens. La question de savoir si la modification aura pour effet de rendre la partie plus difficile pour un défendeur ne doit pas entrer en ligne de compte pour évaluer le préjudice subi par celui-ci; le fait que l’autorisation d’une modification soit susceptible d’accroître la responsabilité financière d’une partie ne constitue pas non plus un facteur important à prendre en considération. Règle générale, les modifications devraient être acceptées telles quelles, en tenant pour acquis que les faits invoqués dans les modifications sont réels, et les éléments de preuve portant sur la demande ne devraient pas être reçus à moins qu’ils ne soient nécessaires pour clarifier la nature des modifications. Pour rejeter une demande de modification, il doit être clair, manifeste et indubitable que cette modification n’aura aucune chance de succès.
1) Le but implicite des précisions est que chacune des parties puisse connaître la preuve que la partie adverse va présenter au procès et que, ainsi, la confusion, les préjudices, les frais et les délais qui risqueraient de survenir au procès si la partie adverse était prise au dépourvu puissent être éliminés. À cette fin, les précisions explicitent la ou les causes d’action énoncées dans les actes de procédure, bien que leur but ne soit pas de combler les lacunes d’un acte de procédure. Si la cause d’action sous-jacente continue d’exister et si elle est suffisamment large, il se peut que les modifications ne soient que des précisions nouvelles qui incitent un juge à aborder et à interpréter le préjudice subi — en l’espèce, un manquement à l’obligation de fiduciaire — sous un angle différent. La cause d’action invoquée est quelque peu plus large que ne l’estime la défenderesse en ce qu’elle englobe les obligations et les devoirs découlant de la cession de droits miniers, le manquement à ces devoirs s’étant produit non seulement en raison de la déduction accordée aux preneurs à bail relativement au prix du gaz, défalquée des redevances, et de l’augmentation de cette déduction, mais également en raison du défaut de payer aux demandeurs toutes les sommes dues à titre de redevances. Un argument de cette ampleur nécessite des précisions qui permettent de circonscrire le débat, comme celles dont les demandeurs cherchent à obtenir le dépôt. Les modifications ne sont rien d’autre que des précisions de ce genre et on ne peut prétendre qu’elles soient désespérées ou qu’elles n’aient nettement, manifestement et indubitablement aucune chance de succès. La prétention de la Couronne selon laquelle une modification qui allègue une nouvelle cause d’action ne peut être rétroactive jusqu’à ce que la question de la prescription soit tranchée n’empêche pas de procéder à la modification à ce stade-ci. Un point portant sur la prescription ne devrait pas être tranché dans le contexte de la radiation d’une déclaration ou par extension, lorsqu’une modification est autorisée; il convient plutôt d’attendre le procès où le juge saisi de la demande peut entendre tous les arguments, ayant alors tous les faits en main.
2) Les demandeurs soutiennent qu’ils sont également aptes à procéder à une modification en vertu de la règle 201, ajoutant une nouvelle cause d’action résultant essentiellement des mêmes faits, même après l’expiration du délai de prescription. Les Règles actuelles sont moins claires que l’ancienne Règle 427 qui accordait à la Cour le pouvoir discrétionnaire d’autoriser une modification après l’expiration du délai de prescription. La question qui se pose est de savoir si une modification qui ajoute une nouvelle cause d’action découlant du même ensemble de faits que celui invoqué dans les actes de procédure est interdite en raison de l’ancienne jurisprudence qui empêchait de modifier le corps de la déclaration quand la modification était susceptible de priver le défendeur d’une défense de prescription. Lorsque les dispositions que l’on veut ajouter à titre de modifications découlent essentiellement des mêmes faits que ceux énoncés dans la déclaration initiale, la question de savoir si les modifications donnent naissance ou non à une nouvelle cause d’action que l’expiration du délai de prescription interdit d’invoquer est sans importance. Les modifications contestées peuvent être qualifiées de précisions et autorisées en vertu de la règle 75, mais il se peut que le recours à la règle 201 et que l’autorisation de la modification à titre de nouvelle cause d’action constituent une meilleure démarche, même s’il est possible que le délai de prescription soit expiré. Les modifications en cause sont nécessaires pour que les véritables questions en litige soient tranchées et, ce faisant, pour que justice soit faite.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Limitation of Actions Act, R.S.A. 1980, ch. L-15, art. 40.
Limitations Act, S.A. 1996, ch. L-15.1, art. 13.
Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, L.R.C. (1985), ch. I-7.
Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 53(1).
Règlement de 1995 sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, DORS/94-753, art. 4.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 419, 420, 424, 425, 426, 427.
Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 75, 76, 77, 201.
Rules of the Supreme Court 1965 (R.-U.), S.I. 1965/1776, Ord. 20, r. 5.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Scottish & York Insurance Co. c. Canada, [2000] A.C.F. no 6 (1re inst.) (QL); Almecon Industries Ltd. c. Anchortek Ltd. (1999), 85 C.P.R. (3d) 216 (C.F. 1re inst.); Andersen Consulting c. Canada, [1998] 1 C.F. 605 (1997), 220 N.R. 35 (C.A.); Taiyo Gyogyo K.K. c. Tuo Hai (Le), [1995] 1 C.F. 407 (1994), 85 F.T.R. 251 (1re inst.); Bande Enoch des Indiens de Stony Plain c. Canada, [1994] 3 C.N.L.R. 41; (1994), 164 N.R. 301 (C.A.F.).
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1993] 1 C.T.C. 2306; (1993), 93 DTC 298 (C.C.I.); Gleason Works c. Excalibar Tool Inc. (1996), 66 C.P.R. (3d) 139 (C.F. 1re inst.); Société Canadienne de Métaux Reynolds c. Fednav, [1989] F.C.J. no 1116 (1re inst.) (QL); Katcher I, The, [1968] 1 Lloyd’s Rep. 232 (Adm.); Collins v. Hertfordshire County Council and Another, [1947] K.B. 598; Dornan v. J. W. Ellis & Co. Ltd., [1962] 1 Q.B. 583 (C.A.); Boothman c. Canada, [1993] 3 C.F. 381 (1993), 49 C.C.E.L. 109; 63 F.T.R. 48 (1re inst.); Mitchell v. Harris Engineering Co. Ltd., [1967] 2 Q.B. 703 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES :
Martel Building Ltd. c. Canada, [1998] 4 C.F. 300 (1998), 163 D.L.R. (4th) 504; 229 N.R. 187 (C.A.); Canderel Ltée c. Canada, [1994] 1 C.F. 3 [1993] 2 C.T.C. 213; (1993), 93 DTC 5357; 157 N.R. 380 (C.A.); Visx Inc. c. Nidek Co. (1996), 72 C.P.R. (3d) 19; 209 N.R. 342 (C.A.F.); Batting v. London Passenger Transport Board, [1941] 1 All E.R. 228 (C.A.); Marshall v. London Passenger Transport Board, [1936] 3 All E.R. 83 (C.A.); U & R Tax Services Ltd. c. H & R Block Canada, Inc. (1993), 52 C.P.R. (3d) 522; 167 N.R. 82 (C.A.F.); Canadian Motor Sales Corp. Ltd. c. Le Madonna, [1972] C.F. 25; (1972), 24 D.L.R. (3d) 573 (1re inst.); Francoeur c. Canada, [1992] 2 C.F. 333 (1992), 140 N.R. 389; 5 T.C.T. 4096 (C.A.); Weldon v. Neal (1887), 19 Q.B.D. 394 (C.A.); Mabro v. Eagle, Star and British Dominions Insurance Co., Ld. [1932] 1 K.B. 485 (C.A.); Rodriguez v. R. J. Parker (Male), [1967] 1 Q.B. 116.
REQUÊTE visant à obtenir une ordonnance permettant d’apporter des modifications à la déclaration dans une action contre la Couronne pour violation de l’obligation fiduciaire en ce qui concerne la cession de droits sur le pétrole, le gaz et l’exploitation minière afférents aux terres d’une réserve indienne. Requête accueillie.
ONT COMPARU :
Richard C. Secord pour les demandeurs.
Greg G. Chase pour la défenderesse.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Ackroyd, Piasta, Roth & Day, Edmonton, pour les demandeurs.
Miles, Davison, McCarthy, Calgary, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par
[1] Le protonotaire Hargrave : Les demandeurs sollicitent l’autorisation d’apporter des modifications à la déclaration et je la leur accorde. Avant d’en venir à cette conclusion, j’ai pris en considération, entre autres, l’affaire Scottish & York Insurance Co. c. Canada, [2000] A.C.F. no 6 (1re inst.) (QL). Dans Scottish & York, le juge Teitelbaum analyse pour la première fois les liens qui existent entre la règle 75 [des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106], qui traite des modifications en général, la règle 76, qui concerne les modifications visant à corriger le nom d’une partie ou la qualité en laquelle une partie a intenté la poursuite, et la règle 201, qui porte sur les modifications visant à ajouter de nouvelles causes d’action. Je vais maintenant examiner l’affaire plus en détail, en commençant par donner quelques éléments contextuels importants.
CONTEXTE
[2] La présente action résulte de la cession à la Couronne fédérale de droits sur le pétrole, le gaz naturel et l’exploitation minière afférents aux terres d’une réserve par la bande de Saddle Lake, en avril et mai 1941, et par la bande de Whitefish, en juin 1949. La cession de ces droits a été effectuée sur la foi d’un engagement écrit selon lequel la Couronne les garderait en fiducie et donnerait à bail les droits sur le pétrole et le gaz aux conditions les plus favorables au bien-être des bandes de Saddle Lake et de Whitefish, les revenus de la concession et les intérêts devant être versés au crédit des bandes. Les demandeurs soutiennent qu’il y a eu violation de l’obligation fiduciaire et que cela leur a porté préjudice.
[3] Plus précisément, les demandeurs soutiennent que la défenderesse avait l’obligation d’agir au mieux des intérêts et du bien-être des demandeurs. La déclaration, en date du 28 avril 1986, sollicite notamment des dommages-intérêts pour manquement aux obligations de fiduciaire. Selon la déclaration initiale, ces manquements auraient débuté en 1979, alors que la Couronne a permis aux détenteurs de concessions de déduire, des redevances, des montants que les demandeurs jugent excessifs. Dans cette même déclaration, les demandeurs sollicitent un jugement déclaratoire selon lequel la défenderesse a manqué aux obligations qui lui incombaient à titre de fiduciaire, en vertu des ententes relatives aux cessions, surtout lorsqu’elle a accordé des déductions excessives relativement au coût du gaz ou aux redevances. Ils demandent en outre d’enjoindre à la Couronne de ne plus accorder d’autres déductions relatives au coût du gaz ou, subsidiairement, de lui imposer une comptabilité et des dommages-intérêts en raison des déductions inappropriées.
[4] Pour ce qui est des modifications qui font l’objet de la présente demande, les demandeurs sollicitent des modifications mineures aux paragraphes 7, 10 et 26, qui n’ont pas soulevé d’opposition, mais aussi des modifications assez importantes aux nouveaux paragraphes 9 et 14 qu’ils proposent. En résumé, le paragraphe 9 déclare que la Couronne a manqué à ses obligations de fiduciaire. Il énumère divers manquements, notamment en ce qui a trait au fait de créditer des sommes reçues pour la location des droits miniers, au paiement d’intérêts, à la vérification du caractère juste et raisonnable du calcul des redevances, à l’adoption de mesures visant à obtenir le paiement à échéance ou, à défaut, le paiement d’intérêts, à l’adoption d’exigences de production minimale et à des mesures visant à garantir une exploitation systématique, ordonnée et rentable des droits miniers.
[5] Le paragraphe 14 énumère divers actes imputés à la Couronne et incompatibles avec son obligation de fiduciaire. Ces manquements d’une grande diversité comprennent le non-respect de ses obligations de fiduciaire, les délégations inappropriées de pouvoirs particuliers ainsi que d’autres manquements, notamment en ce qui concerne la vérification de la justesse de diverses déductions, l’adoption d’exigences minimales de production, la prise de mesures visant à garantir la poursuite du développement d’une façon ordonnée et rentable et, subsidiairement, le défaut de restreindre la déduction accordée aux preneurs à bail qui n’ont pas exploité convenablement les droits miniers.
[6] La Couronne s’oppose à la plupart des modifications envisagées au paragraphe 9 en soutenant qu’elles ajoutent de nouvelles causes d’action et que celles-ci pourraient remonter plus loin qu’au début de la production du gaz, en 1976, voire même à l’époque où les terres ont été cédées. En outre, la Couronne prend le parti selon lequel toute revendication fondée sur le défaut de déposer des sommes d’argent au crédit des demandeurs devrait faire l’objet d’une prescription de six ans.
[7] La Couronne s’oppose à plusieurs des modifications envisagées au paragraphe 14 en invoquant soit la possibilité d’une prescription particulière de six ans, soit, comme dans le cas de quelques-unes des modifications contenues au paragraphe 9, que cela permettrait aux demandeurs de remettre en question les actes de la Couronne qui remonteraient jusqu’aux années 40. Comme je l’ai dit précédemment, j’ai autorisé les modifications. Je vais maintenant exposer l’analyse qui a mené à cette conclusion.
ANALYSE
[8] Au début, dans leur mémoire de requête, les demandeurs ont indiqué deux démarches qui leur permettraient d’apporter, dans le cadre des règles, les modifications désirées auxquelles la Couronne s’oppose, en citant subsidiairement les règles 75 et 201. J’accorde peu d’importance à l’argument selon lequel la défenderesse aurait donné à croire aux demandeurs qu’elle consentirait aux modifications : cela ne fait que s’ajouter aux éléments de preuve selon lesquels les modifications, qui ont déjà fait l’objet d’un interrogatoire au préalable, n’ont pas été présentées à l’improviste. En réalité, la défenderesse possède depuis 1994 une copie du projet de déclaration modifiée.
[9] Dans le premier cas, à l’égard de la règle 75, les demandeurs soutiennent que les modifications contestées ne sont rien de plus que des précisions. Dans le deuxième cas, à l’égard de la règle 201, les demandeurs soutiennent, dans le premier mémoire qu’ils ont produit relativement à la requête, que les modifications devraient être autorisées même si cela a pour effet d’ajouter une nouvelle cause d’action, pourvu qu’elles soient fondées sur des faits déjà invoqués et que la Couronne ne subisse pas de préjudice, citant à l’appui de cette prétention l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans Martel Building Ltd. c. Canada, [1998] 4 C.F. 300 infirmant la décision rendue en première instance et répertoriée à (1997), 129 F.T.R. 249, dans une affaire fondée sur les anciennes Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663].
[10] Après que les parties eurent échangé leurs mémoires sur la requête, mais avant que la requête ait été entendue, l’avocat des demandeurs a pris connaissance de l’affaire Scottish & York Insurance Co., précitée, une décision pertinente, en l’occurrence, puisqu’elle traite de modifications et explique l’interrelation entre les règles 75, 76 et 201, explication que je présenterai en temps et lieu. J’ai donc demandé aux avocats de me faire connaître leurs points de vue, ce qu’ils ont fait au moyen de mémoires additionnels. Tous les documents déposés en preuve par les avocats, tant les premiers dossiers de requête déposés que les mémoires additionnels, se sont avérés intéressants et utiles.
[11] Dans les présents motifs, j’ai brièvement examiné l’argument des demandeurs selon lequel les modifications sont des précisions, argument que je trouve acceptable. Cependant, je pense qu’il est préférable de permettre la modification en vertu de la règle 201.
Quelques dispositions légales pertinentes
[12] Les Règles de la Cour fédérale (1998) pertinentes quant à la présente requête sont le paragraphe 75(1), et les règles 76, 77 et 201, qui prévoient ce qui suit :
75. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et de la règle 76, la Cour peut à tout moment, sur requête, autoriser une partie à modifier un document, aux conditions qui permettent de protéger les droits de toutes les parties.
[…]
76. Un document peut être modifié pour l’un des motifs suivants avec l’autorisation de la Cour, sauf lorsqu’il en résulterait un préjudice à une partie qui ne pourrait être réparé au moyen de dépens ou par un ajournement :
a) corriger le nom d’une partie, si la Cour est convaincue qu’il s’agit d’une erreur qui ne jette pas un doute raisonnable sur l’identité de la partie;
b) changer la qualité en laquelle la partie introduit l’instance, dans le cas où elle aurait pu introduire l’instance en cette nouvelle qualité à la date du début de celle-ci.
77. La Cour peut autoriser une modification en vertu de la règle 76 même si le délai de prescription est expiré, pourvu qu’il ne l’ait pas été à la date du début de l’instance.
[…]
201. Il peut être apporté aux termes de la règle 76 une modification qui aura pour effet de remplacer la cause d’action ou d’en ajouter une nouvelle, si la nouvelle cause d’action naît de faits qui sont essentiellement les mêmes que ceux sur lesquels se fonde une cause d’action pour laquelle la partie qui cherche à obtenir la modification a déjà demandé réparation dans l’action.
[13] Deux dispositions en matière de prescription peuvent aussi s’avérer pertinentes : la première se trouve dans la Limitations Act, S.A. 1996, ch. L-15.1, et la seconde provient de la loi qui a précédé cette loi, la Limitation of Actions Act, R.S.A. 1980, ch. L-15, qui prévoient :
[traduction]
13. Une action intentée contre la Couronne par un peuple autochtone, après l’entrée en vigueur de la présente loi, et fondée sur un manquement de la Couronne à une obligation de fiduciaire qu’elle aurait envers ce peuple est régie par le droit de la prescription des actions comme si la Limitation of Actions Act n’avait pas été abrogée et comme si la présente loi n’était pas en vigueur. [Limitations Act, S.A. 1996.]
et :
[traduction]
40. Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, la présente loi n’a pas pour effet d’empêcher le bénéficiaire d’intenter contre le fiduciaire une action relativement à un bien qui fait l’objet d’une fiducie expresse ou relativement à un manquement à l’obligation de fiduciaire. [Limitations of Actions Act, R.S.A. 1980.]
En réalité, c’est la loi de 1980 qui devrait s’appliquer en l’occurrence, étant donné le manquement à l’obligation de fiduciaire allégué par les demandeurs. La défenderesse soutient qu’il se peut que les modifications demandées n’entrent pas toutes dans les cas prévus à l’article 40 de la Limitation of Actions Act.
Principes fondamentaux
[14] Il existe des principes fondamentaux qui s’appliquent aux modifications. Je pense que les parties s’entendent sur ce point. En fait, bien que ces principes soient pour la plupart bien connus, il est tout de même utile de les exposer.
[15] Tout d’abord, les modifications visant à déterminer quelles sont les véritables questions controversées—et il est dans l’intérêt de la justice de déterminer quelles sont ces questions—devraient être autorisées en autant qu’elles ne créent pas une injustice impossible à réparer au moyen de dépens. Ce principe est exprimé très clairement par le juge Blais dans Almecon Industries Ltd. c. Anchortek Ltd. (1999), 85 C.P.R. (3d) 216 (C.F. 1re inst.), à la page 218 :
Je suis d’avis que les modifications proposées devraient être autorisées afin de cerner les véritables questions en litige, à la condition que cela n’inflige pas aux défenderesses une injustice que l’adjudication des dépens ne pourrait réparer et que les modifications servent les intérêts de la justice.
[16] La Cour d’appel, dans Canderel Ltée. c. Canada, [1994] 1 C.F. 3(C.A.), a cité l’affaire Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1993] 1 C.T.C. 2306 (C.C.I.) dans laquelle le juge Bowman traite brièvement d’un certain nombre de facteurs à prendre en considération quand il est question d’une modification, mais il conclut qu’« [i]l s’agit, en fin de compte, de tenir compte de la simple équité, du sens commun et de l’intérêt qu’ont les tribunaux à ce que justice soit faite» : Canderel, à la page 12, et Continental Bank, à la page 2310.
[17] Le juge Bowman aborde les concepts d’équité et de justice. La contrepartie de ces concepts consisterait en l’autorisation d’une modification susceptible de causer un préjudice à un défendeur. La Cour d’appel, dans Andersen Consulting c. Canada, [1998] 1 C.F. 605 à la page 613, a souligné que la question de savoir si la modification aura pour effet de rendre la partie plus difficile pour la partie adverse ne doit pas entrer en ligne de compte pour évaluer le préjudice subi par un défendeur :
Que les modifications proposées puissent rendre la cause plus difficile à gagner par une partie n’est pas le genre de préjudice qui peut être invoqué à l’encontre d’une requête en modification des plaidoiries.
Le fait que l’autorisation d’une modification soit susceptible d’accroître la responsabilité financière d’une partie ne constitue pas non plus un facteur important à prendre en considération : dans l’affaire Taiyo Gyogyo K.K. c. Tuo Hai (Le), [1995] 1 C.F. 407(1re inst.), à la page 418, Mme le juge Reed a souligné que le principal préjudice qui découlerait de la modification, quant à la Couronne, serait une responsabilité financière accrue, mais elle n’a pas jugé que cela était « d’une gravité qui porterait la Cour à rejeter les demandes de modification. »
[18] Il reste un dernier secteur pertinent à aborder : règle générale, je devrais accepter les modifications telles quelles, en tenant pour acquis que les faits invoqués dans les modifications sont réels, et je ne devrais pas recevoir d’éléments de preuve portant sur la demande à moins qu’ils ne soient nécessaires pour clarifier la nature des modifications : Visx Inc. c. Nidek Co. (1996), 72 C.P.R. (3d) 19 (C.A.F.), à la page 24. Je ne devrais pas non plus être obligé de prévoir si la modification sera accueillie ou non au procès : dans l’affaire Gleason Works c. Excalibar Tool Inc. (1996), 66 C.P.R. (3d) 139 (C.F. 1re inst.), à la page 140, le juge en chef adjoint Jerome, convaincu que les modifications clarifiaient une question sans toutefois causer de préjudice, a fait référence à l’affaire Société Canadienne de Métaux Reynolds c. Fednav, [1989] F.C.J. no 1116 (1re inst.) (QL), dans laquelle le juge Dubé a écrit que « [l]e juge des requêtes ne détermine pas à l’avance si un amendement sera invoqué avec succès lors de l’instruction; il se prononce simplement sur la question de savoir si l’amendement devrait être déposé ». Cette affirmation va dans le sens de ce que la Cour d’appel a dit dans Bande Enoch des Indiens de Stony Plain c. Canada, [1994] 3 C.N.L.R. 41 : le critère qui permet de rejeter une demande de modification est qu’il soit clair, manifeste et indubitable que cette modification n’aura aucune chance de succès. Dans l’arrêt Bande Enoch, la Cour d’appel a commenté le critère applicable, en vertu de la Règle 419, pour radier des actes de procédure et, en vertu de la Règle 420, pour modifier des actes de procédure, en soulignant qu’il était sans importance d’établir laquelle était la règle applicable en l’instance. La Cour d’appel a alors déclaré (aux pages 42 et 43) :
Nous avons entendu les appels en supposant fondamentalement que, dans ces domaines, la Cour ne radie les plaidoiries ou ne refuse les modifications que dans les cas clairs et évidents où il n’existe aucun doute.
[…]
Il est ici question d’une branche du droit difficile à régler avec certitude. Par conséquent, nous croyons que les appelants devraient avoir la chance de soulever toute la question de la fiducie au procès.
Il est intéressant de noter que l’affaire Bande Enoch traitait de la cession de terres indiennes et du refus opposé par la Cour de première instance, et renversé par la Cour d’appel, d’autoriser une modification concernant une allégation de fiducie et de manquement à l’obligation de fiduciaire mettant en cause des sommes d’argent gardées en fiducie par la Couronne pour le compte de la Bande. Je vais maintenant examiner la première justification invoquée au soutien des modifications, à savoir qu’elles ne sont que des précisions de la cause d’action qui a déjà été alléguée.
Les modifications qui sont des précisions
[19] Bien que les précisions aient de nombreuses utilités, leur but implicite est tel que chacune des parties puisse connaître la preuve que la partie adverse va présenter au procès et que, ainsi, la confusion, les préjudices, les frais et les délais qui risqueraient de survenir au procès si la partie adverse était prise au dépourvu puissent être éliminés. À cette fin, les précisions explicitent la ou les causes d’action énoncées dans les actes de procédure, bien que leur but ne soit pas de combler les lacunes d’un acte de procédure.
[20] Si je comprends bien les arguments invoqués par la défenderesse, les modifications que les demandeurs veulent apporter ne constituent pas des précisions, mais plutôt, pour citer l’exposé écrit, une [traduction] « série complète de nouvelles actions ». Pour en arriver à cette conclusion, la défenderesse soutient que les modifications vont au-delà de la question de la justesse des déductions accordées par la Couronne pour le coût du gaz, cette question constituant, du point de vue de la défenderesse, l’unique question soulevée dans la déclaration initiale.
[21] Lors de l’argumentation, la Couronne a soutenu que les modifications étaient en réalité de nouvelles causes d’action et non des précisions en affirmant que la différence tenait à ce que, contrairement aux causes d’action, les précisions n’ont pas d’existence propre.
[22] Le juge Brandon a souligné dans Katcher I, The, [1968] 1 Lloyd’s Rep. 232 (Adm.), à la page 235, qu’il n’est pas toujours facile d’établir la distinction ténue qui existe entre une modification visant à ajouter une nouvelle cause d’action et une modification visant à ajouter d’autres précisions à une cause d’action ou à les remanier, faisant référence, dans ce passage, à Collins v. Hertfordshire County Council and Another, [1947] K.B. 598, et Dornan v. J. W. Ellis & Co. Ltd., [1962] 1 Q.B. 583, un arrêt de la Cour d’appel.
[23] Dans Collins, la cause d’action était la négligence du conseil du comté d’Hertfordshire dans la gestion de son hôpital. Au début, les allégations mettaient en cause le résident de l’hôpital et un chirurgien invité, tous deux rémunérés par le défendeur. Une fois le délai de prescription expiré, le demandeur a voulu ajouter une demande selon laquelle l’hôpital était également responsable de la négligence de son pharmacien. En autorisant la modification, le juge Hilbery a souligné que [traduction] « La négligence qu’on a imputée au pharmacien ne constituait pas une nouvelle cause d’action; il s’agissait d’une nouvelle précision, tout simplement » (page 622).
[24] L’affaire Dornan mettait en cause des dommages-intérêts pour des blessures physiques causées par la négligence des défendeurs ou de leurs préposés ou mandataires ou par leur manquement à leurs obligations légales. Essentiellement, selon les précisions initiales portant sur la négligence, les défendeurs avaient négligé de fournir à un travailleur les moyens de se protéger les yeux contre un outil défectueux. Au procès, le demandeur a voulu modifier sa déclaration en y ajoutant des précisions sur la négligence, à savoir une affirmation selon laquelle l’accident avait été causé par la négligence d’un autre travailleur ou d’autres préposés ou représentants des défendeurs et que ceux-ci étaient par conséquent responsables du fait d’autrui. Au procès, le juge a refusé la modification en disant qu’elle soulevait une nouvelle cause d’action qui était alors prescrite. La Cour d’appel a fait remarquer que les nouvelles précisions portant sur la négligence, bien que d’une qualité différente de celle des précisions originales, ne soulevaient pas une nouvelle cause d’action ni une autre affaire de négligence, mais donnaient plutôt lieu à une démarche différente concernant les mêmes faits. La Cour d’appel pouvait donc exercer son pouvoir discrétionnaire et autoriser la modification malgré l’expiration du délai de prescription. C’est essentiellement ce qui est énoncé dans deux passages qui se trouvent aux pages 592 et 593 :
[traduction] […] il m’est impossible de partager l’opinion du juge selon laquelle il s’agit d’une affaire où, en principe, aucune modification n’est permise. Les nouvelles allégations ne suscitent pas une nouvelle cause d’action ni, à mon avis, « une série d’idées nouvelles ». Les premières allégations n’étaient pas dirigées contre Stewart; selon celles-ci, les préposés ou les mandataires de la compagnie du défendeur avaient fait défaut de fournir des lunettes de sécurité et une perceuse adéquates. Il faut reconnaître qu’il s’agissait là d’une allégation de manquement à une obligation contre laquelle la compagnie ne pouvait dégager sa responsabilité en invoquant l’ancienne théorie de l’emploi commun. Toutefois, on affirmait que le demandeur avait subi un préjudice en raison du manque de diligence des défendeurs ou de leurs préposés ou mandataires. L’allégation qui pesait contre un compagnon de travail constituait un développement de l’affaire plutôt qu’une nouvelle affaire. Chaque affaire est une question de degrés et doit être évaluée à partir des faits précis sur lesquels elle repose. J’estime que la présente affaire est une affaire difficile qui se situe presque à la limite.
Le lord juge Davies a comparé cette situation à celle des affaires Batting v. London Passenger Transport Board, [1941] 1 All E.R. 228 (C.A.) et Marshall v. London Passenger Transport Board, [1936] 3 All E.R. 83 (C.A.), dans lesquelles les modifications constituaient de nouvelles causes d’action, différentes des premières; puis, il a ajouté, aux pages 593 et 594 :
[traduction] M. Taylor, agissant pour le compte des défendeurs, soutient que la présente affaire appartient à la même catégorie que les affaires Marshall et Batting. J’en suis toutefois venu à la conclusion, non sans hésitation, que tel n’est pas le cas. Le récit que nous offre maintenant le demandeur est le même que celui qu’il nous offre depuis le tout début, à savoir qu’il a perdu un œil à cause d’un morceau de la perceuse que maniait Stewart. Et, selon moi, le but visé maintenant n’est pas de créer de toute pièce une nouvelle affaire de négligence, mais de poursuivre la même vieille affaire et d’inviter le juge du procès à l’aborder et à l’interpréter sous un autre angle ou aspect. C’est une façon différente d’aborder le même récit principal de l’accident.
En l’occurrence, si la cause d’action sous-jacente continue d’exister et si elle est suffisamment large, il se peut que les modifications ne soient que des précisions nouvelles qui incitent un juge à aborder et à interpréter le préjudice subi—en l’espèce, un manquement à l’obligation de fiduciaire—sous un angle différent.
[25] Mon interprétation de la déclaration est influencée par les commentaires susmentionnés faits dans The Katcher I, Collins et Dornan, et elle est un peu plus libérale que celle de la défenderesse. La cause d’action est quelque peu plus large en ce qu’elle englobe les obligations et les devoirs découlant de la cession de droits miniers, le manquement à ces devoirs et obligations s’étant produit non seulement en raison de la déduction accordée aux preneurs à bail relativement au prix du gaz, défalquée des redevances, et de l’augmentation de cette déduction, mais également en raison du défaut de payer aux demandeurs toutes les sommes dues à titre de redevances. Les demandeurs soutiennent qu’il y a eu violation du paragraphe 53(1) de la Loi sur les Indiens [L.R.C. (1985), ch. I-5], qui permet au ministre, conformément aux dispositions de la loi et aux conditions de la cession, de gérer, de donner à bail ou d’effectuer d’autres transactions relatives aux terres cédées. La plupart des manquements auxquels fait référence la première déclaration ont trait à la déduction pour le coût du gaz. Il y a toutefois de larges renvois aux manquements qui se sont produits dans l’application du paragraphe 53(1) de la Loi sur les Indiens, à la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes [L.R.C. (1985), ch. I-7] et au Règlement de 1995 sur le pétrole et le gaz des terres indiennes [DORS/94-753], notamment l’article 4 de ce Règlement qui traite de la question de garantir le respect par les preneurs à bail de toutes les dispositions de la Loi sur les Indiens ainsi que du Règlement de 1995 sur le pétrole et le gaz des terres indiennes. Un argument de cette ampleur nécessite des précisions qui permettent de circonscrire le débat, comme celles dont les demandeurs cherchent à obtenir le dépôt.
[26] À mon avis, les modifications ne sont rien d’autre que des précisions de ce genre. Les demandes que les précisions viennent éclairer peuvent être difficiles à prouver, mais on ne peut prétendre qu’elles soient désespérées ou qu’elles n’aient nettement, manifestement et indubitablement aucune chance de succès, ce qui est le critère que la Cour d’appel a appliqué aux modifications dans l’affaire Bande Enoch, précitée.
[27] Le fait que les modifications puissent faire en sorte qu’il est plus difficile pour la Couronne de se défendre avec succès ne constitue pas, pour elle, un préjudice : Andersen Consulting, précité.
[28] La Couronne défenderesse prétend qu’il peut s’avérer impossible de trouver des personnes qui auraient été témoins de l’exploitation et de la gestion des gisements de gaz à leurs débuts ou encore qu’il est possible que les souvenirs de ces témoins se soient estompés. La Couronne suppute aussi les problèmes qu’elle risque d’avoir pour retracer les sommes d’argent qui lui ont été versées. Que ce soit une injustice ou un préjudice, tout cela n’est que conjecture et n’a pas sa place, à défaut d’éléments de preuve concrets, dans des observations allant à l’encontre de la modification.
[29] La Couronne soulève toutefois une question intéressante : la modification qui allègue une nouvelle cause d’action ne peut être rétroactive en présence d’une loi portant prescription, à moins que la Cour qui autorise la modification ne se prononce sur la question de la prescription. Dans Boothman c. Canada, [1993] 3 C.F. 381(1re inst.), le juge Noël, (maintenant juge à la Cour d’appel), dit aux pages 399 et 400 :
Je ne crois pas que l’on puisse considérer, en présence d’une loi portant prescription, qu’une modification dans laquelle une nouvelle cause d’action est alléguée a été faite à une époque autre que celle à laquelle la modification a vraiment été faite, à moins que la Cour, en autorisant la modification, ne statue véritablement sur la question de la prescription.
Ce point de vue selon lequel une modification ne peut être rétroactive jusqu’à ce que la question de la prescription soit tranchée n’empêche évidemment pas de procéder à la modification à ce stade-ci. Plusieurs possibilités peuvent découler des modifications si elles ne sont pas que de simples précisions qui ne donnent pas naissance à une nouvelle cause d’action : les dispositions des lois de l’Alberta sur la prescription, que j’ai déjà énoncées, peuvent s’appliquer ou non; la défense de prescription, que je m’attends à ce que la défenderesse soulève, peut bien être de celles auxquelles les demandeurs ont une réponse; contrairement à l’affaire Boothman, il existe une importante jurisprudence selon laquelle un point portant sur la prescription ne devrait pas être tranché dans le contexte de la radiation d’une déclaration ou par extension, lorsqu’une modification est autorisée; il convient plutôt d’attendre le procès où le juge saisi de la demande peut entendre tous les arguments, ayant alors accès à tous les faits; ou, si les modifications contiennent une nouvelle cause d’action, la décision Scottish & York, précitée, peut fournir une réponse complète, un point que je vais maintenant examiner.
Modification en application de la règle 201
[30] Les demandeurs soutiennent qu’ils sont également aptes à procéder à une modification en vertu de la règle 201, ajoutant en fait une nouvelle cause d’action résultant essentiellement des mêmes faits, même lorsque le délai de prescription est expiré.
[31] Les anciennes Règles 424 à 427 autorisaient les modifications, dans certains cas, après que le délai de prescription eut expiré. Ainsi, une modification a été autorisée après l’expiration du délai de prescription alors que le défendeur avait toujours connu les faits sous-jacents à la modification, qui ne servait qu’à préciser davantage la demande de dommages-intérêts (U & R Tax Services Ltd. c. H & R Block Canada, Inc. (1993), 52 C.P.R. (3d) 522 (C.A.F.)). De la même façon, la Règle 427, appliquée conjointement avec la Règle 424, autorisait expressément la modification qui ajouterait une nouvelle cause d’action ou se substituerait à une autre, si cette nouvelle cause d’action résultait des mêmes faits ou de faits connexes, relativement auxquels réparation avait déjà été demandée (voir, par exemple, Canadian Motor Sales Corp. Ltd. c. Le Madonna, [1972] C.F. 25 (1re inst.), et Francoeur c. Canada, [1992] 2 C.F. 333 (C.A.), à la page 337. Il importe ici de souligner qu’il doit être juste d’autoriser la modification.
[32] Les règles actuelles sont moins claires que la Règle 427 qui, comme je l’ai dit, donnait clairement à la Cour le pouvoir discrétionnaire d’autoriser une modification après l’expiration du délai de prescription. L’actuelle règle 201 et la règle 77 appliquées conjointement—les deux règles ont déjà été énoncées—, suivent dans les grandes lignes l’ancienne Règle 427 en ce qu’elles donnent le pouvoir discrétionnaire d’autoriser le même type de modification, mais on peut soutenir qu’elles restreignent les modifications au nom et à la qualité d’une partie. La question qui se pose alors est de savoir si une modification qui ajoute une nouvelle cause d’action découlant du même ensemble de faits que celui invoqué dans les actes de procédure—ou d’un ensemble de faits similaires—est interdite en raison de l’ancienne jurisprudence qui empêchait de modifier le corps de la déclaration quand la modification était susceptible de priver le défendeur d’une défense de prescription : voir, par exemple, Weldon v. Neal (1887), 19 Q.B.D. 394 (C.A.) et Mabro v. Eagle, Star and British Dominions Insurance Co., Ld., [1932] 1 K.B. 485, aux pages 487 et 489 (C.A.).
[33] Notre ancienne Règle 427 est semblable à la règle 5 de l’Ordonnance anglaise 20 [Rules of the Supreme Court 1965 (R.-U.), S.I. 1965/1776], une nouvelle disposition qui, en 1964, a permis de procéder pour la première fois à une modification après l’expiration du délai de prescription. Il s’agissait là d’un net assouplissement de l’ancienne pratique, clairement énoncée par le lord juge Scrutton dans Mabro, précité, à la page 487 :
[traduction] Selon mon expérience, la cour a toujours refusé d’autoriser l’addition d’une partie ou d’une cause d’action dans les cas où, si la chose était autorisée, la défense qu’offre la loi sur la prescription serait rejetée. La Cour n’a jamais estimé juste de priver un défendeur d’une défense prévue par la loi. Si les faits montrent qu’il est interdit d’ajouter ce demandeur ou la nouvelle cause d’action, je ne vois pas comment la Cour pourrait faire abstraction de la loi.
L’historique de la pratique, en Angleterre, qui a mené à l’adoption de la règle 5 de l’Ordonnance 20 est énoncée dans Rodriguez v. R. J. Parker (Male), [1967] 1 Q.B. 116.
[34] Les anciennes décisions se fondaient, pour la plupart, sur le point de vue selon lequel un défendeur avait, en vertu de la loi sur la prescription, un droit dont on ne pouvait le priver en modifiant un bref. Lord Denning a fait remarquer, dans Mitchell v. Harris Engineering Co. Ltd., [1967] 2 Q.B. 703 (C.A.), à la page 718, que la loi sur la prescription n’avait conféré aucun droit au défendeur, mais uniquement imposé une restriction au demandeur. Ainsi, lorsqu’un bref était émis en temps utile mais qu’il était défectueux, le défendeur n’avait pas le droit de le laisser dans cet état. Une cour devait plutôt corriger le défaut au moyen d’une modification et c’est ce à quoi servait la règle 5 de l’Ordonnance 20.
[35] Jusqu’à l’adoption des nouvelles Règles de la Cour fédérale (1998), en avril 1998, les règles anglaises sur la modification et les Règles de la Cour fédérale sur le même sujet étaient similaires, ainsi que les jurisprudences respectives.
[36] Dans l’affaire Scottish & York, précitée, le juge Teitelbaum était confronté à l’argument de la défenderesse selon lequel une nouvelle cause d’action ne pourrait être soulevée, en dépit de la prescription, qu’en certaines circonstances particulières dont fait mention la règle 76. La règle 76, déjà énoncée, permet d’effectuer une modification dans le but de corriger le nom d’une partie ou de changer la qualité en laquelle une partie a intenté une instance. La règle 77 prévoit en outre qu’une modification peut être autorisée en vertu de la règle 76 sans égard à l’expiration d’un délai de prescription. La règle 201 semble reprendre la même idée, prévoyant qu’une modification peut être faite en vertu de la règle 76 même si cela aura pour effet d’ajouter ou de substituer une nouvelle cause d’action, pourvu que la nouvelle cause d’action découle essentiellement des mêmes faits que ceux déjà invoqués dans les actes de procédure. Cela dit, la défenderesse, dans Scottish & York, a soutenu que les modifications pouvaient être autorisées après l’expiration du délai de prescription en autant qu’il s’agissait purement et simplement d’une modification prévue à la règle 76, mais qu’un tel pouvoir discrétionnaire ne visait pas une modification demandée en vertu de la règle 75 qui énonce le droit général de modifier un document.
[37] Le juge Teitelbaum a tranché en faveur des demanderesses, dans Scottish & York, statuant que lorsque des modifications découlent de la même situation de fait que celle énoncée dans la déclaration initiale, il n’y a alors pas de nouvelle cause d’action et les modifications doivent être autorisées [au paragraphe 60] :
Je suis d’accord avec les demanderesses pour dire que, si les allégations contenues dans les alinéas que l’on veut ajouter au paragraphe 18 découlent de la même situation factuelle que celle qui a été portée à la connaissance de la Cour dans la déclaration de 1987, alors il n’y a pas de nouvelle cause d’action et les modifications doivent être autorisées.
Toutefois, il a poursuivi en examinant les nouvelles règles 76, 77 et 201. Il a conclu que la seule question soulevée par la requête était de savoir si les modifications étaient fondées essentiellement sur les mêmes faits que ceux contenus dans la déclaration initiale, et il a alors donné son opinion sur la règle 201 [aux paragraphes 68 à 70] :
Ceci étant dit, j’estime que l’article 201 doit être interprété largement. Son libellé ne comporte aucune ambiguïté : « si la nouvelle cause d’action naît de faits qui sont essentiellement les mêmes que ceux sur lesquels se fonde une cause d’action pour laquelle la partie qui cherche à obtenir la modification a déjà demandé réparation dans l’action ».
À mon avis, les deux nouveaux alinéas que les demanderesses veulent insérer au paragraphe 18 de leur déclaration amendée [découlent] de faits qui sont essentiellement les mêmes que ceux sur lesquels se fonde une cause d’action pour laquelle elles ont déjà demandé réparation dans l’action. Les modifications doivent donc être autorisées en vertu de l’article 201.
En outre, je suis convaincu que l’article 75 permet à la Cour, sur requête, d’autoriser une partie à modifier un document. L’article 75 ne se limite pas aux modifications prévues à l’article 76.
[38] En définitive, il semblerait que le juge Teitelbaum, malgré le libellé peut-être ambigu des nouvelles Règles de la Cour fédérale (1998), n’était pas disposé à tourner le dos à l’ancienne pratique, adoptée des dizaines d’années auparavant en Angleterre et perpétuée dans les premières Règles de la Cour fédérale, essentiellement à cause de ce que l’on pourrait qualifier de rédaction équivoque des nouvelles Règles. En résumé, lorsque les dispositions que l’on veut ajouter à titre de modifications découlent essentiellement des mêmes faits que ceux énoncés dans la déclaration initiale, la question de savoir si les modifications donnent naissance ou non à une nouvelle cause d’action que l’expiration du délai de prescription interdit d’invoquer est sans importance.
CONCLUSION
[39] En l’occurrence, il faut examiner l’ensemble de la déclaration ainsi que le manquement aux obligations découlant des ententes en vertu desquelles les terres ont été cédées. Les responsabilités, les obligations et les pouvoirs de la défenderesse lui incombent en sa qualité de fiduciaire et découlent de ces ententes de cession. Cette portée de l’acte de procédure est suffisamment large et j’y inclurais les manquements invoqués dans le cadre de la Loi sur les Indiens, de la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes ainsi que du Règlement de 1995 sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, de sorte que les modifications puissent être qualifiées de précisions et autorisées en vertu de la règle 75. La démarcation entre les précisions et une nouvelle cause d’action n’est toutefois pas toujours facile à établir, ainsi que l’a fait remarquer le juge Brandon dans l’affaire The Katcher I, précitée. Il se peut donc que le recours à la règle 201 et que l’autorisation de la modification à titre de nouvelle cause d’action constituent une meilleure démarche, même s’il est possible que le délai de prescription soit expiré.
[40] Pour en revenir aux principes fondamentaux que j’ai déjà énoncés, les modifications en cause sont nécessaires pour que les véritables questions en litige soient tranchées et, ce faisant, pour que justice soit faite. Même dans les cas où il se peut que le délai de prescription soit expiré, le fait d’autoriser la modification ne fait pas perdre de droit au défendeur, comme l’a fait remarquer lord Denning dans Mitchell, précitée. Il est certain que l’affaire peut s’avérer plus difficile à contester avec succès pour la défenderesse et que la responsabilité financière de celle-ci peut s’en trouver accrue. Toutefois, comme je l’ai souligné en faisant référence aux affaires Andersen Consulting, et Taiyo Gyogyo K.K., précitées, cela ne constitue pas véritablement un préjudice. Les modifications sont donc autorisées en vertu de la règle 201. La Cour rendra une ordonnance appropriée quant aux dépens afin de dédommager la défenderesse.