[2001] 1 C.F. 408
T-2416-97
The Governor and Company of the Bank of Scotland (demanderesse)
c.
Les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire « Nel » et Ocean Profile Maritime Limited (défendeurs)
Répertorié : Governor and Company of the Bank of Scotland c. Nel (Le) (1re inst.)
Section de première instance, protonotaire Hargrave— Vancouver, 6 janvier 1999 et 2 août 2000.
Droit maritime — Privilèges et hypothèques — Navire saisi par suite du non-paiement de l’hypothèque — La Cour avait ordonné la vente du navire pendant le procès — Détermination du rang de la réclamation du créancier hypothécaire — Les frais de vente occupent le premier rang — La garantie hypothécaire, sous la forme d’une hypothèque se rapportant au compte courant, garantissait tous les montants non recouvrés dus à la Banque — La Banque avait essayé de continuer à exploiter la flotte de façon qu’elle ait une valeur d’exploitation et qu’elle rapporte un revenu — Absence de preuve directe de l’intention d’attribuer un rang prioritaire — Le créancier hypothécaire avait acheté l’un des navires de la flotte grevée d’une hypothèque et l’avait revendu à un client de la Banque en faisant un profit élevé — Le créancier hypothécaire n’a le droit d’acheter un navire dans le cadre d’une vente judiciaire que si la Cour le permet — Il est tenu d’agir d’une façon juste et de bonne foi sans se mettre dans une situation de conflit d’intérêts — Il n’agit pas comme fiduciaire général lorsqu’un navire est vendu en vertu d’une hypothèque, mais comme fiduciaire à l’égard de l’excédent réalisé lors de la vente — La fiducie par interprétation est un outil approprié en vue d’empêcher l’enrichissement sans cause — La Banque est réputée avoir touché la somme de 1 655 249 40 $ au titre de l’enrichissement sans cause.
Droit maritime — Créanciers et débiteurs — La demanderesse alléguait avoir priorité en sa qualité de créancière hypothécaire dans le cadre de la vente judiciaire d’un navire — Elle se fondait sur la doctrine de la fusion — C’est le recours qui fusionne avec le jugement plutôt que la cause d’action, de sorte que la créance continue à exister — La Banque a obtenu un jugement à l’égard de sa créance et elle détenait également une hypothèque qui donnait naissance à une réclamation portant sur la chose — On ne devrait pas s’écarter de l’ordre habituel de priorité si ce n’est en raison de circonstances particulières, et lorsque cela est nécessaire pour empêcher une injustice flagrante — La Banque vient après les privilèges maritimes et avant les droits réels prévus par la loi — L’argument selon lequel la Banque a commis la faute de tarder à prendre des mesures contre le Nel et contre les autres navires est fondé sur des suppositions, des insinuations et des hypothèses — Il n’existe pas de circonstances spéciales donnant lieu à une injustice flagrante justifiant que l’on déroge à l’ordre habituel de priorité.
Pratique — Jugements et ordonnances — Jugement par défaut — La demanderesse a demandé un jugement par défaut prématurément — Il s’agissait de savoir si la réclamation de la Banque, en vertu de l’hypothèque qu’elle détenait sur la flotte de navires, devait être limitée au montant fixé dans le jugement par défaut rendu en 1997 pour le motif que la réclamation s’était cristallisée à ce montant — Le jugement portant sur la chose est obligatoire et vaut contre tous — Un jugement par défaut est moins efficace qu’un jugement au fond — La déclaration est à la fois de nature réelle et de nature personnelle — Il s’agissait de savoir quel était l’effet du jugement par défaut — Lorsqu’un jugement a été rendu dans une action, la cause d’action qui y a donné lieu fusionne avec le jugement et est remplacée par les droits créés par le jugement — La Banque avait le droit de réclamer 14 124 420 50 $, déduction faite de certains montants, plus les paiements du salaire de l’équipage et des frais de vente.
Compétence de la Cour fédérale — Section de première instance — Un fournisseur de produits chimiques nécessaires aux fins du fonctionnement du navire a fait valoir un privilège maritime en vertu de la Loi sur la Cour fédérale — Il s’agissait de savoir si la revendication à l’égard de neuf navires frères s’appliquait également au navire visé par l’action réelle en tant que privilège maritime — La procédure relative aux navires frères est énoncée à l’art. 43(8) de la Loi — La compétence sur les marchandises et services conférée par l’art. 22(2) de la Loi est exercée dans le contexte d’un droit réel prévu par la loi en vertu de l’art. 43(2) de la Loi — Ce droit vient après les privilèges maritimes et les hypothèques — Le fournisseur peut faire valoir sur le navire visé par l’action ses créances contre des navires liés au navire en vertu de la disposition relative aux navires frères en tant que droits réels prévus par la loi, mais non en tant que privilèges maritimes — Les créanciers se sont fondés sur un droit réel prévu par la loi prenant rang après une hypothèque.
Il s’agissait d’une requête visant à permettre de déterminer l’ordre de priorité à la suite de la vente judiciaire du navire chypriote Nel, qui avait été saisi à Vancouver par la Bank of Scotland, demanderesse, en sa qualité de créancière hypothécaire, parce que l’hypothèque n’avait pas été payée. En fait, le propriétaire du Nel avait abandonné le navire, avait fermé son bureau et avait disparu. La Cour a ordonné que le navire soit vendu pendant le procès pour la somme de 5 000 000 $US, des montants de 4 910 450 $ et de 89 550 $ étant respectivement attribués au navire et aux soutes. Au mois de janvier 1998, le jugement par défaut obtenu par la Bank of Scotland, compte tenu du principal et des intérêts sur le prêt, s’élevait, à la date du jugement, à 12 047 788 08 $US. Une réclamation de 14 124 420 50 $ a par la suite été présentée, lors de l’audience relative à l’ordre de priorité, déduction faite de divers montants tirés de la vente d’autres navires visés par l’hypothèque grevant la flotte. La demanderesse a soutenu que la garantie hypothécaire, sous la forme d’une hypothèque se rapportant au compte courant, indiquait et garantissait tous les montants non recouvrés qui lui étaient dus. Elle ne se fondait pas sur un privilège maritime ou sur une vague possibilité de transformer le paiement en une créance réelle, mais plutôt sur les documents relatifs au prêt, y compris une garantie hypothécaire. Les principales questions litigieuses dans cette requête se rapportaient : 1) au rang de la réclamation de la demanderesse en sa qualité de créancière hypothécaire et à diverses questions connexes et 2) au statut et au rang des autres créanciers et titulaires de droit réels prévus par la loi.
Jugement, selon le rang habituel des réclamations réelles, l’hypothèque de la demanderesse doit venir après les privilèges maritimes, mais avant les droits réels prévus par la loi.
L’ordre de priorité des créances maritimes au Canada est le suivant : 1) les débours du prévôt d’amirauté ou du shérif; 2) les frais de vente; 3) les privilèges possessoires antérieurs aux autres privilèges; 4) les privilèges maritimes; 5) les privilèges possessoires postérieurs aux privilèges maritimes; 6) les hypothèques; 7) les droits réels prévus par la loi. En l’espèce, étant donné qu’il n’y a pas de frais de prévôt d’amirauté en tant que tels, les frais de vente de 71 067 09 $ payés par la Bank of Scotland occupaient le premier rang.
1) L’hypothèque de la Banque était sous la forme d’un compte courant, document qui peut servir de garantie générale. Compte tenu de la nature générale d’une hypothèque se rapportant à un compte courant ainsi que des faits de l’espèce, la Cour a conclu que les parties pertinentes du compte de prêts, le compte courant, y compris les paiements effectués par suite de la saisie afin de permettre que les navires de la flotte continuent à être exploités, ainsi que les intérêts étaient garantis par l’hypothèque relative au compte courant grevant la flotte, y compris le Nel. Il n’y avait pas réellement lieu de douter de la validité et de l’efficacité de la garantie hypothécaire qui garantissait le paiement de tous les montants dus à la créancière hypothécaire sur le compte courant. Cette conception large de l’étendue de la garantie fournie par une hypothèque relative à un compte courant est conforme à la pratique des avocats spécialisés en droit maritime et à l’intention des parties, les opérations conclues entre la Bank of Scotland et les propriétaires de la flotte grevée d’une hypothèque étant considérées dans leur ensemble. Une hypothèque relative à un compte courant est une garantie générale, et elle l’est d’autant plus dans ce cas-ci, où le libellé de l’hypothèque est précis. Il incombe à la partie qui cherche à établir la priorité de démontrer que l’intention véritable visait à accorder la priorité. Après avoir examiné toutes les circonstances, la Cour doit être convaincue de l’existence d’une intention marquée d’accorder la priorité. Les banques ne s’occupent pas de posséder ou d’exploiter des navires. Par ses actions, la Bank of Scotland s’est comportée à tous égards comme un créancier hypothécaire qui essayait de continuer à exploiter la flotte du débiteur hypothécaire de façon qu’elle ait une valeur d’exploitation et qu’elle rapporte un revenu. Il n’existait guère d’éléments permettant d’inférer l’intention d’attribuer un rang prioritaire.
Le Blue L., qui faisait partie de la flotte sur laquelle la Bank of Scotland détenait une hypothèque, avait été acheté par cette dernière, par l’entremise d’une société prête-nom, qui l’a immédiatement vendu à un client de la Banque pour la somme de 5 000 000 $. Le profit tiré de la vente du Blue L., qu’il faut déduire du montant de la réclamation de la Bank of Scotland, s’élevait à 1 665 249 40 $. Dans la plupart des pays, les créanciers hypothécaires ne peuvent se porter acquéreurs dans le cadre d’une vente judiciaire que si la cour le leur permet. Le créancier hypothécaire est tenu d’agir de bonne foi, sans collusion avec l’acheteur et sans se mettre dans une situation créant un conflit d’intérêts. Si un créancier hypothécaire vend un bien à une société dans laquelle il a des intérêts, il existe une lourde obligation de sa part de démontrer qu’il a agi d’une façon juste et de bonne foi. Il doit y avoir une divulgation complète avant qu’un créancier hypothécaire puisse faire une offre, directement ou indirectement, dans le cadre d’une vente judiciaire. Étant donné que la Bank of Scotland n’a pas pu offrir d’explication pour justifier l’achat du navire par l’entremise d’une société étrangère, il était juste d’ajouter le profit à la somme recouvrée en vertu de son hypothèque. Le montant que la banque a recouvré par suite de l’opération conclue à l’égard du Blue L. ne constituait pas un profit sur une opération commerciale indépendante, mais résultait de l’hypothèque que la banque détenait sur le Blue L. Pour arriver à une conclusion équitable, il convenait de se fonder sur l’existence d’une fiducie par interprétation. Le créancier hypothécaire n’agit pas comme fiduciaire général lorsqu’un navire est vendu en vertu d’une hypothèque, mais il agit comme fiduciaire à l’égard de tout excédent réalisé lors d’une vente, auquel cas il doit être de bonne foi. La fiducie par interprétation est une réparation en equity destinée à empêcher l’enrichissement sans cause. Toutes les conditions applicables à la création d’une fiducie par interprétation ont été remplies. La Bank of Scotland est réputée avoir touché la somme de 1 655 249 40 $ et l’avoir imputée au paiement de la créance hypothécaire qu’elle détenait sur la flotte.
Il s’agissait ensuite de savoir si la réclamation de la banque, en vertu de l’hypothèque qu’elle détenait sur la flotte, devait être limitée au montant fixé dans le jugement par défaut rendu en 1997, pour le motif que la réclamation s’était cristallisée à ce montant. On a prétendu que la Bank of Scotland ne peut réclamer plus que le montant fixé dans le jugement par défaut parce que les allégations et la réclamation étaient réputées être prouvées pour un montant de 12 047 788 08 $ par suite du jugement par défaut qui avait été rendu. Un jugement par défaut est peut-être moins efficace qu’un jugement rendu sur le fond. Il s’agissait de savoir quel était l’effet du jugement par défaut. Lorsqu’un jugement a été rendu dans une action, la cause d’action qui y a donné lieu fusionne avec le jugement et est remplacée par les droits créés par le jugement. Le résultat est qu’on ne saurait intenter une deuxième action fondée sur cette cause d’action. La doctrine de la fusion est limitée par le principe selon lequel il n’y a fusion que si la cause d’action est la même dans les deux actions et si le demandeur a eu la possibilité de recouvrer, dans la première action, ce qu’il cherche à recouvrer dans la deuxième. C’est le recours qui fusionne avec le jugement plutôt que la cause d’action elle-même, de sorte que la créance continue à exister; lorsque le créancier dispose de plus d’un recours, pareille créance continue à exister telle quelle. La Bank of Scotland détenait une hypothèque qui donnait naissance à une réclamation portant sur la chose telle qu’elle était représentée par le produit de la vente du Nel, et dont il était possible de se prévaloir pour le plein montant qui était dû dans le cadre de l’audience relative à la question de l’ordre de priorité.
Les créanciers en matière réelle, qui viennent après la Bank of Scotland, ont soutenu que l’on devrait s’écarter de l’ordre de priorité habituel, de façon que la banque vienne après les créanciers qui ne détiennent pas de privilèges maritimes. On ne devrait pas s’écarter de l’ordre habituel des priorités si ce n’est en raison de circonstances particulières, et le pouvoir en equity de modifier la collocation établie de longue date ne devrait être exercé que lorsque cela est nécessaire pour empêcher une injustice évidente. Pour modifier le rang que la Bank of Scotland occuperait habituellement, après un privilège maritime et avant un droit réel prévu par la loi, il faut se fonder sur des circonstances particulières. L’argument selon lequel la demanderesse a commis la faute de tarder à prendre des mesures contre le Nel et contre les autres navires est dans une large mesure fondé sur des suppositions, des insinuations et des hypothèses. Il incombe à la partie qui cherche à faire modifier l’ordre de priorité établi de démontrer clairement qu’il existe des circonstances spéciales et que le résultat est manifestement injuste. Les créanciers n’ont pas satisfait à ce critère. Il n’existait aucune circonstance particulière créant une injustice flagrante justifiant la modification de l’ordre de priorité habituel. En intentant la présente action réelle, la banque a pris une décision raisonnable. Elle avait le droit de réclamer le montant soumis le 4 janvier 1999, moins diverses déductions, plus les sommes payées au titre des salaires de l’équipage et des frais de vente; elle avait également droit à tout excédent une fois payées les créances qui venaient avant la sienne.
2) La Cour a également examiné le statut et le rang de diverses réclamations faites par des fournisseurs qui avaient traité avec le Nel. En premier lieu, Alpha Bunkering, qui exploitait une entreprise en Grèce et qui avait fourni des soutes par l’entremise d’un sous-traitant, à Panama, avait fait valoir un privilège maritime en vertu du droit panaméen ou du droit américain. Compte tenu de la clause de compétence relative au sous-traitant qui a fourni le combustible que le propriétaire du Nel avait commandé à Alpha Bunkering, le droit américain s’appliquait et Alpha Bunkering était titulaire d’un privilège maritime. La fourniture des soutes à Panama crée un privilège maritime en vertu de l’article 1507 du Commercial Code of Panama. Toutefois, les parties ont stipulé que c’était le droit américain qui régissait l’opération, de sorte que ce code ne s’appliquait pas. Le privilège maritime se rapportant aux approvisionnements nécessaires livrés en dehors des États-Unis vient après une hypothèque privilégiée étrangère; un nombre restreint seulement de soi-disant privilèges maritimes américains viennent avant une hypothèque. Le privilège invoqué par Alpha Bunkering n’était pas un privilège maritime prioritaire en ce sens qu’il avait pris naissance après l’enregistrement de l’hypothèque de la Bank of Scotland. Il s’agissait d’un privilège maritime qui était rattaché au navire. Selon le système canadien des priorités, le privilège d’Alpha Bunkering n’est pas un privilège maritime prioritaire, mais il venait néanmoins avant l’hypothèque de la Bank of Scotland.
Deuxièmement, Aktina S.A., une entreprise grecque, est un agent de voyages qui s’occupe de fournir des billets d’avion pour les équipages de navires. Au mois d’août 1996, Aktina et Leond Maritime Inc., propriétaire de la flotte dont le Nel faisait partie, ont conclu une entente selon laquelle, sur les instructions de Leond, Aktina devait organiser les voyages et acheter les billets. Cette entente énonçait une procédure de fourniture des billets et de paiement qui, si les parties s’y conformaient, donnait naissance à une simple créance personnelle ne comportant aucun élément réel susceptible de créer un privilège maritime. Pareil privilège ne pouvait pas prendre naissance en vertu du paragraphe 2(5) de la Convention de Bruxelles de 1926, et ce, pour deux raisons. Premièrement, l’entente de collaboration prévoyait expressément que les billets étaient uniquement délivrés « à la demande de Leond Maritime Inc., faite par téléphone ou autrement (par écrit) ». Le capitaine n’avait pas le droit de demander de billets à Aktina et il ne pouvait donc pas agir d’une façon qui puisse faire entrer en ligne de compte le paragraphe 2(5) et déclencher la création d’un privilège maritime. Deuxièmement, le paragraphe 2(5) exige, aux fins de la création d’un privilège maritime, que les approvisionnements nécessaires soient commandés par le capitaine. Étant donné qu’un privilège maritime est dans un certain sens un recours exceptionnel, il devrait exister une preuve claire au sujet de la façon dont il a pris naissance dans le contexte du paragraphe 2(5) de la Convention de Bruxelles. Aktina S.A. a tenté de se protéger au moyen d’ententes de nature personnelle, mais elle ne pouvait pas revendiquer un privilège maritime contre le Nel. Si Aktina a une quelconque créance réelle, cette créance vient après celle de la Bank of Scotland en sa qualité de créancière hypothécaire.
Troisièmement, Ashland Chemical Company, qui fabrique et fournit les produits chimiques nécessaires au fonctionnement des navires long-courriers, a revendiqué un privilège maritime d’un montant de 9 712 88 $ contre le Nel. Lorsque les approvisionnements nécessaires sont fournis à un navire par un fournisseur américain ou par l’entremise d’un fournisseur américain, dans un port américain ou ailleurs, un privilège maritime prend naissance en faveur du fournisseur. Il s’agissait de savoir si la revendication d’un privilège maritime par Ashland à l’encontre de neuf autres navires, qui étaient apparemment des navires frères du Nel, s’appliquait également au Nel, en tant que privilège maritime. Les privilèges maritimes qu’Ashland cherchait à faire valoir au Canada en vertu de la procédure canadienne relative aux navires frères sont des droits sur des navires donnés, par opposition aux droits qui pourraient se rattacher à certains autres navires. La procédure relative aux navires frères est énoncée au paragraphe 43(8) de la Loi sur la Cour fédérale. La compétence sur les marchandises et services, qui sont essentiellement des approvisionnements nécessaires, peut être exercée dans le contexte d’un droit réel prévu par la loi comme le prévoit le paragraphe 43(2) de la Loi. Ce droit réel prévu par la loi découlant d’une réclamation relative aux approvisionnements nécessaires vient après les privilèges maritimes et les hypothèques. Les privilèges maritimes américains quant au fond ne s’appliquent pas dans le contexte des navires frères prévu au paragraphe 43(8) de la Loi, car cette disposition se rapporte simplement à la compétence en matière réelle conférée par l’article 22 de la Loi à l’encontre des navires frères. Le législateur ne voulait pas qu’il soit possible de se soustraire si facilement à la législation relative aux navires frères. En l’espèce, les propriétaires enregistrés de la flotte de Leond Maritime étaient des sociétés fictives et la société qui exploitait tous les navires était Leond Maritime Inc. Ashland pourrait faire valoir toutes ses réclamations, en se fondant sur la doctrine des navires frères ou autrement, à l’encontre du Nel, mais il ne serait pas possible de faire valoir à l’encontre du Nel, en tant que privilèges maritimes, les réclamations découlant des approvisionnements nécessaires fournis aux autres navires. Seul le navire en cause est assujetti à un privilège maritime, qui constitue une créance privilégiée contre ledit navire, découlant de l’application de la loi. Ashland peut faire valoir ses créances à l’encontre du Nel contre des navires liés au Nel en vertu de la disposition de la Loi sur la Cour fédérale relative aux navires frères, mais en pareil cas, ces créances n’ont pas le même statut qu’un privilège maritime. Il s’agit de droits réels prévus par la loi prenant rang après une hypothèque. Ashland obtiendra la somme de 9 712 88 $, en sa qualité de titulaire d’un privilège maritime prenant rang avant la Bank of Scotland.
Quatrièmement, Sait Communications S.A., établie en Belgique, a fait valoir un privilège maritime d’un montant de 20 672 64 $, avec les intérêts. Les fournisseurs belges d’approvisionnements nécessaires détiennent des privilèges maritimes pour des réclamations contractuelles conformément à l’article 23 du Code maritime belge. La réclamation ne résultait pas d’un contrat passé par le capitaine hors du port d’attache, en vertu de ses pouvoirs. Sait Communications S.A. n’a acquis aucun privilège maritime.
Cinquièmement, Bureau Véritas, une société de classification de navires établie en France, réclamait une somme correspondant à 10 547 04 $ pour diverses études effectuées en Corée. En France, les approvisionnements nécessaires doivent être commandés par le capitaine. En l’espèce, Bureau Véritas a traité avec le propriétaire du navire plutôt qu’avec le capitaine et a de fait conclu un contrat avec le propriétaire. Sa réclamation à l’égard d’une partie du produit de la vente, fondée sur un privilège maritime, a été rejetée.
Sixièmement, il y avait une réclamation de Mariners’ Medical Clinic, une organisation de Vancouver qui avait veillé à ce que les fournitures médicales destinées au Nel soient vérifiées et avait approvisionné le navire en fournitures médicales au mois de novembre 1997, de façon qu’il satisfasse à la norme légale. Ces services et fournitures, d’un montant de 1 353, 31 $, étaient destinés aux membres de l’équipage du Nel. Il était approprié et juste que l’ordre de priorité habituel soit modifié de façon à placer Mariners’ Medical Clinic dans une situation analogue à celle du titulaire d’un privilège maritime.
Enfin, il y avait un certain nombre de créanciers, tant canadiens qu’étrangers, ne bénéficiant pas du privilège maritime accordé aux fournisseurs d’approvisionnements nécessaires qui peuvent se fonder sur le droit d’un pays plus favorable. Ces créanciers pouvaient uniquement invoquer un droit réel prévu par la loi et prendre rang après le créancier hypothécaire. Il n’y avait pas de fonds excédentaires qui soient disponibles en vue de payer ces réclamations.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code grec de droit maritime privé, art. 205.
Code maritime belge, art. 23.
Commercial Code of Panama, art. 1507.
Convention internationale pour l’unification de certaines règles relatives aux privilèges et hypothèques maritimes et protocole de signature, Bruxelles, 10 avril 1926, art. 2(5).
Convention internationale pour l’unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer, Bruxelles, 10 mai 1952.
Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 12, 15(2)b).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 22(1),(2)c),m), 43(2),(8) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 12).
Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9.
Loi sur l’intérêt, L.R.C. (1985), ch. I-15.
Maritime Lien Act, 46 U.S.C. § 971 (1994).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 437.
Règles de la Cour fédérale, 1998, DORS/98-106, règle 210.
Supreme Court Act, 1981 (R.-U.), 1981, ch. 54.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Todd Shipyards Corp. c. Altema Compania Maritima S.A., [1974] R.C.S. 1248; (1972), 32 D.L.R. (3d) 571; Fraser Shipyard and Industrial Centre Ltd. c. Atlantis Two (L’) (1999), 170 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.); Cleveland v. Boak et al. (1906), 39 N.S.R. 39 (C.A.); Peat (Sir W. H.) v. Gresham Trust, Ld., [1934] A.C. 252 (H.L.); Tse Kwong Lam v. Wong Chit Sen, [1983] 1 W.L.R. 1349 (P.C.); Montres Rolex S.A. c. Canada, [1988] 2 C.F. 39 (1987), 14 C.E.R. 309; 17 C.P.R. (3d) 507 (1re inst.); Scott Steel Ltd. c. Alarissa (L’), [1996] 2 C.F. 883 (1996), 111 F.T.R. 81 (1re inst.); conf. par (1997), 125 F.T.R. 284 (C.F. 1re inst.); Metaxas c. Galaxias (Le), [1989] 1 C.F. 386 (1988), 19 F.T.R. 108 (1re inst.).
DISTINCTION FAITE D’AVEC :
Hollandsche Aannaming Maatschappij c. Ryan Leet (Le) (1997), 135 F.T.R. 67 (C.F. 1re inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Osborn Refrigeration Sales and Service Inc. c. L’Atlantean I, [1979] 2 C.F. 661; (1979), 100 D.L.R. (3d) 11 (1re inst.); modifié par Osborn Refrigeration Sales & Service Inc. c. Le navire « Atlantean I » et al. (1982), 7 D.L.R. (4th) 395; 52 N.R. 10 (C.A.F.); Östgöta Enskilda Bank c. Le Sea Star (1994), 78 F.T.R. 304 (C.F. 1re inst.); Jesionowski c. Wa-Yas (Le), [1993] 1 C.F. 36 (1992), 55 F.T.R. 1 (1re inst.); European Central Railway Company, In re. Ex parte Oriental Financial Corporation (1876), 4 Ch. D. 33 (C.A.); Cockshutt Plow Co., Ltd. v. Kornyssyn, [1931] 3 W.W.R. 171 (B.R. Sask.); McElroy v. Cowper-Smith and Woodman, [1967] R.C.S. 425; (1967), 62 D.L.R. (2d) 65; 60 W.W.R. 85; Thorne v. Ball (1920), 50 D.L.R. 85; Price v. Moulton (1851), 10 C.B. 561; 138 E.R. 222; The Skyptron, 621 F.Supp. 171 (D.C. La. 1985); Ssangyong Australia Pty Ltd. et al. c. Navire Looiersgracht et al. (1994), 85 F.T.R. 265 (C.F. 1re inst.); Sommers and Gray et al. v. The Queen, [1959] R.C.S. 678; (1959), 124 C.C.C. 241; 31 C.R. 36; Evpo Agnic, The, [1988] 2 Lloyd’s Rep. 411 (C.A.); National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324; (1990), 74 D.L.R. (4th) 449; 45 Admin. L.R. 161; 114 N.R. 81; 3 T.C.T. 5303; 4 T.T.R. 267; Mount Royal/Walsh Inc. c. Jensen Star (Le), [1990] 1 C.F. 199; (1989), 99 N.R. 42 (C.A.).
DÉCISIONS MENTIONNÉES :
Comeau’s Sea Foods Ltd. c. Le Frank and Troy, [1971] C.F. 556 (1re inst.); Llido c. Le Lowell Thomas Explorer, [1980] 1 C.F. 339(1re inst.); Holt Cargo Systems Inc. c. Brussel (Le), [2000] A.C.F. no 197 (1re inst.) (QL); Bank of Scotland c. Nel (Le) (1997), 140 F.T.R. 271 (C.F. 1re inst.); Governor and Company of the Bank of Scotland c. Nel (Le), [1999] 2 C.F. 417 (1998), 161 F.T.R. 267 (1re inst.); Underwriter, The (1868), 1 Asp. Mar. Law Cas. 127 (Adm. Ct.); Sophie, In re The (1842), 1 W. Rob. 368; 166 E.R. 610; Riga, The (1872), L.R. 3 A. & E. 516; Banco Do Brasil S.A. c. Alexandros G. Tsavliris (Le) (1993), 68 F.T.R. 284 (C.F. 1re inst.); Wilsons, In re The (1841), 1 W. Rob. 172; 166 E.R. 537; Frost Ltd. v. Ralph (1980), 40 Nfld. & P.E.I.R. 207 (1re inst.); Federal Business Development Bank v. Ralph (1988), 71 Nfld. & P.E.I.R. 231 (C.A.); Dunne c. Canada (1995), 93 F.T.R. 115 (C.F. 1re inst.); Creighton c. Franko (1998), 151 F.T.R. 21 (C.F. 1re inst.); Greathead v. Bromley (1798), 7 T.R. 455; 101 E.R. 1073 (K.B.); Brunsden v. Humphrey (1884), 14 Q.B.D. 141 (C.A.); King v. Hoare (1844), 13 M. & W. 494; 153 E.R. 206; Alaskan Harvester, The, [1990] A.M.C. 853 (D.C. Sea.); The Strandhill v. Walter W. Hodder Co., [1926] R.C.S. 680; [1926] 4 D.L.R. 801; Marlex Petroleum, Inc. c. Le navire Har Rai, [1984] 2 C.F. 345 (1984), 4 D.L.R. (4th) 739; 53 N.R. 1 (C.A.); conf. par [1987] 1 R.C.S. 57; (1987), 72 N.R. 75; Fraser Shipyard and Industrial Centre Ltd. c. Expedient Maritime Co. (1999), 170 F.T.R. 57 (C.F. 1re inst.); Leoborg (No. 2), The, [1964] 1 Lloyd’s Rep. 380 (Adm. Div.); Beldis, The, [1936] P. 51 (C.A.); Julindur, In re The (1853), 1 Sp. Ecc. & Ad. 71; 164 E.R. 42; Acrux, The, [1965] P. 391; John G. Steven, The, 170 U.S. 113 (1898); 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 R.C.S. 919; (1996), 140 D.L.R. (4th) 577; 42 Admin. L.R. (2d) 1; 205 N.R. 1.
DOCTRINE
Bower, George Spencer et Sir Alexander Turner. The Doctrine of Res Judicata, 2nd ed. London : Butterworths, 1969.
Dunlop, C. R. B. Creditor-Debtor Law in Canada, 2nd ed. Toronto : Carswell, 1995.
Gilmore, Grant and Charles L. Black. The Law of Admiralty, 2nd ed. New York : Foundation Press, 1975.
Halbury’ś Laws of England, vol 16, 4th ed. London : Butterworths, 1979.
Jackson, David C. Enforcement of Maritime Claims, 2nd ed., New York : LLP Inc., 1996.
Parks, Alex Leon and Edward V. Cattell. The Law of Tug, Tow, and Pilotage, 3rd ed. Centreville, Md. : Cornell Maritime Press, 1994.
Price, Griffith. The Law of Maritime Liens. London : Sweet & Maxwell, 1940.
Tetley, William. Maritime Liens and Claims, 2nd ed. Montréal : International Shipping Publications, 1998.
REQUÊTE visant à permettre de déterminer l’ordre de priorité à la suite de la vente judiciaire du navire chypriote Nel, qui avait été saisi par la demanderesse parce que l’hypothèque n’avait pas été payée. L’ordre de priorité habituel s’appliquait de sorte que l’hypothèque de la demanderesse devait prendre rang après les privilèges maritimes, mais avant les droits réels prévus par la loi.
ONT COMPARU :
Peter G. Bernard pour la demanderesse.
Louis Buteau pour Alpha Bunkering Co. Ltd., partie réclamante.
Jonathan S. McLean pour Aktina S.A., partie réclamante.
David F. McEwen pour Ashland Chemical Co., partie réclamante.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Campney & Murphy, Vancouver, pour la demanderesse.
Sproule, Castonguay, Pollack, Montréal, pour Alpha Bunkering Co. Ltd., partie réclamante.
Edwards, Kenny, Bray, Vancouver, pour Aktina S.A., partie réclamante.
McEwen, Schmitt & Co., Vancouver, pour Ashland Chemical Co., partie réclamante.
Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par
[1] Le protonotaire Hargrave : Au mois de novembre 1997, le vraquier et porte-conteneurs chypriote de 25 599 tonnes brutes Nel a été saisi à Vancouver par The Governor and Company of the Bank of Scotland (la Bank of Scotland), demanderesse, en sa qualité de créancière hypothécaire, parce que l’hypothèque dont la Bank of Scotland était titulaire n’avait pas été payée. En fait, le propriétaire du Nel avait abandonné le navire, avait fermé son bureau, avait enlevé le mobilier et avait disparu. Comme cela arrive si souvent après une saisie, caveat et réclamations se sont abattus sur le pauvre Nel. À cette malencontreuse situation venait s’ajouter le fait que le Nel avait à son bord depuis un certain temps du soufre en vrac qui avait été chargé à Vancouver : il était fort possible que la situation occasionne un retard additionnel et crée une corrosion massive électro-chimique comme cela s’était produit dans le cas du Cambridgeshire. En outre, il n’était pas réaliste de décharger le soufre à Vancouver.
[2] Heureusement, la demanderesse a pu à bref délai trouver un acquéreur qui était prêt à acheter le Nel et à livrer la cargaison. La Cour a donc ordonné que le navire soit vendu, pendant le procès, pour la somme de 5 000 000 $, des montants de 4 910 450 $ et 89 550 $ étant respectivement attribués au navire et aux soutes. Il est à noter que tous les montants mentionnés dans ces motifs sont exprimés en dollars américains sauf indication contraire.
[3] Les présents motifs découlent d’une audience visant à déterminer l’ordre de priorité des créanciers. Divers faits essentiels influent sur l’ordre de priorité, mais j’examinerai les faits pertinents au fur et à mesure qu’il sera opportun de le faire dans ces motifs. J’examinerai d’abord certains principes juridiques de base qui s’appliquent à l’ordre de priorité.
ORDRE DE PRIORITÉ HABITUEL
[4] La question de l’ordre de priorité des créances maritimes au Canada a été examinée dans un certain nombre d’arrêts, notamment Comeau’s Sea Foods Ltd. c. Le Frank and Troy, [1971] C.F. 556 (1re inst.); Todd Shipyards Corp. c. Altema Campania Maritima S.A., [1974] R.C.S. 1248 [ci-après appelé l’Ioannis Daskalelis]; Osborn Refrigeration Sales and Service Inc. c. L’Atlantean I, [1979] 2 C.F. 661 (1re inst.); Llido c. Le Lowell Thomas Explorer, [1980] 1 C.F. 339 (1re inst.); Scott Steel Ltd. c. Alarissa (L’), [1996] 2 C.F. 883 (1re inst.); confirmé en appel (1997), 125 F.T.R. 284; Fraser Shipyard and Industrial Centre Ltd. c. Atlantis Two (L’) (1999), 170 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.); Holt Cargo Systems Inc. c. Brussel (Le), [2000] A.C.F. no 197 (1re inst.) (QL). Tous ces arrêts dans leur ensemble, et j’ai appliqué les principes qui y étaient énoncés, traitent longuement de la plupart des questions d’ordre de priorité qui sont susceptibles de se poser.
[5] Le classement de base des créances réelles au Canada est le suivant :
1. Les débours du prévôt d’amirauté ou du shérif.
2. Les frais de vente, y compris les frais du demandeur dans une action relative à la saisie, à l’évaluation et à la vente, ou subsidiairement, la créance d’une partie autre que le demandeur qui a contribué à la mise en vente du navire.
3. Les privilèges possessoires antérieurs aux autres privilèges.
4. Les privilèges maritimes.
5. Les privilèges possessoires postérieurs aux privilèges maritimes.
6. Les hypothèques.
7. Les droits réels prévus par la loi, y compris les droits se rapportant à la fourniture d’approvisionnements nécessaires, qui occupent le même rang entre eux.
[6] En l’espèce, certains créanciers privilégiés se fondent sur l’existence de privilèges maritimes américains. Les fonds sont suffisants pour désintéresser tous les créanciers qui détiennent de fait un privilège maritime américain; je n’ai donc pas à attribuer un rang à ces créanciers.
[7] Le rang qu’occupent les titulaires de privilèges maritimes américains est établi dans l’arrêt Ioannis Daskalelis, précité, qui a fait l’objet de longs commentaires dans l’arrêt Atlantis Two, précité, aux pages 13 à 15. En l’espèce, il suffit de dire que dans l’arrêt Ioannis Daskalelis, la Cour suprême a établi que le titulaire d’un privilège maritime américain quant au fond peut invoquer le privilège au Canada et se prévaloir ensuite de notre législation procédurale, énoncée dans la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7] et dans les Règles, [Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106] pour l’exercer. Il s’agit en fait d’un droit américain, mais d’un recours canadien. Par conséquent, le fournisseur américain d’approvisionnements nécessaires qui se voit attribuer un privilège maritime en vertu de l’article 971 du Code américain, maintenant article 31342, contrairement au fournisseur canadien d’approvisionnements nécessaires, prend rang, avec les autres titulaires de privilèges maritimes, avant le créancier hypothécaire.
[8] Plusieurs créanciers soutiennent qu’il ne faudrait pas appliquer l’ordre de priorité habituel, selon lequel le créancier hypothécaire vient avant certains créanciers qui ont fourni des approvisionnements nécessaires et qui sont titulaires d’un simple droit réel. J’examinerai le droit sur ce point en traitant de la réclamation de la Bank of Scotland. Je parlerai maintenant des réclamations qui sont faites à l’égard du produit de la vente.
LES RÉCLAMATIONS
[9] Il convient tout d’abord de noter les concessions que la Bank of Scotland a faites, en ce qui concerne le règlement de réclamations qui en fait sont payées à même le reliquat qui serait remis à la banque une fois payées toutes les créances privilégiées qui ont priorité. Les réclamations de HBI International ont fait l’objet d’un compromis et ont été établies à 19 000 $, avec des frais de 2 750 $, ce dernier montant étant exprimé en dollars canadiens. La deuxième réclamation qui a fait l’objet d’un règlement au tout début de l’instance était celle de l’Administration du pilotage du Pacifique, d’un montant de 1 632 60 $CAN. Le règlement concernant l’Administration de pilotage du Pacifique ne découlait pas de la reconnaissance d’un rang prioritaire fondé sur un privilège maritime, mais simplement de l’attribution volontaire d’un rang supérieur à celui qu’occupait l’hypothèque de la banque. La troisième réclamation qui a fait l’objet d’un règlement avant que l’ordre de priorité soit déterminé était celle de Canpotex Shipping Services Ltd. (Canpotex), à l’égard de frais s’élevant à 3 000 $CAN. Canpotex a également déjà recouvré 89 550 $, représentant le produit de la vente des soutes que renfermait le Nel.
[10] J’ai déjà fait remarquer que, sauf indication contraire, le montant des créances est exprimé en dollars américains. Toutefois, il y a la question du taux de change, que je vais aborder, ainsi que des taux d’intérêt à appliquer.
Les taux de change
[11] En l’espèce, le problème de la conversion ou du taux de change ne se pose en général pas car le prix de vente du Nel était exprimé en dollars américains. Par conséquent, les taux de conversion s’appliquent uniquement aux créances qui ne sont pas exprimées en dollars américains, c’est-à-dire à la minorité des créances.
[12] En ce qui concerne les créanciers qui ont présenté des comptes en dollars canadiens ou autrement qu’en dollars américains, j’ai exercé mon pouvoir discrétionnaire à l’égard des taux de change. Au lieu de tenir compte de la date d’un jugement, d’une violation, de la vente d’un navire ou encore de la date actuelle, j’ai décidé d’employer le taux mentionné dans l’affidavit du 14 janvier 1998 de Georgia Stavridis, c’est-à-dire le cours du change au comptant du 13 janvier 1998 et le cours à terme qui ont été établis par le groupe de la trésorerie de la Banque de Montréal.
Intérêts sur les créances
[13] Divers calculs s’appliquaient à l’égard des intérêts. Dans le cas des intérêts avant jugement, je me suis fondé sur les lignes directrices qui sont résumées dans l’arrêt Brussel, précité :
1. Lorsqu’un contrat précise un taux, ce taux s’applique jusqu’à la date de la vente du Nel;
2. Lorsqu’il n’existe aucun taux convenu applicable à une cause d’action canadienne, les taux d’intérêt provinciaux avant jugement peuvent être utilisés;
3. Lorsqu’il n’existe aucun taux contractuel convenu applicable à une créance étrangère, la Loi sur l’intérêt [L.R.C. (1985), ch. I-15] fédérale peut être pertinente;
4. Aucun de ces principes généraux ne porte atteinte au pouvoir discrétionnaire que possède la Cour fédérale, en droit maritime, d’accorder des intérêts avant et après jugement à un taux que la Cour estime approprié eu égard aux circonstances relatives à la réclamation et aux rangs des créanciers.
[14] J’appliquerai comme suit ces lignes directrices à la présente instance, en utilisant le pouvoir discrétionnaire de la Cour conformément au quatrième principe susmentionné :
1. Lorsque le taux est fixé par contrat, ce taux s’applique à compter de la date de la création de la créance jusqu’à la date de l’ordonnance prévoyant la vente du Nel, soit le 3 décembre 1997;
2. S’il n’existe aucun taux contractuel, le taux, jusqu’à la date de la vente du Nel, sera de 7 p. 100;
3. Les intérêts après jugement, lorsqu’il n’existe aucun taux contractuel, correspondront au taux d’intérêt moyen payé sur le fonds créé par suite de la vente du Nel.
Paiement des salaires de l’équipage et des frais de vente
[15] En plus de la créance garantie par l’hypothèque qu’elle détient sur le Nel, la Bank of Scotland réclame les dépenses liées à la vente du Nel, lesquelles se rapportent principalement aux salaires de l’équipage et aux frais de rapatriement, conformément à l’ordonnance que j’ai rendue le 9 décembre 1997 [(1997), 140 F.T.R. 271 (C.F. 1re inst.)]. Les montants réclamés sont les suivants :
1. Montant versé au capitaine Kocherov aux fins du remboursement du montant versé à Tymac Launch Services Ltd. pour l’eau fournie au navire le 11 novembre 1997 |
1 400 00 $ |
2. Montant versé à CTL Westrans pour les évaluations liées à la vente du Nel (1 750 $CAN) |
1 190 00 $ |
3. Frais de publicité (410 78 $CAN) |
279 33 $ |
4. Salaires versés à l’équipage |
54 074 02 $ |
5. Frais de rapatriement des membres d’équipage qui ont quitté le Nel au moment de la vente |
14 123 74 $ |
TOTAL |
71 067 09 $ |
[16] En l’espèce, étant donné qu’il n’y a pas de frais de prévôt d’amirauté en tant que tels, les frais de vente, de 71 067 09 $ payés par la Bank of Scotland occupent le premier rang.
[17] En arrivant à cette conclusion, j’ai tenu compte du paiement des salaires, des débours du capitaine et des frais de rapatriement à peu près de la même façon que dans l’arrêt Atlantis Two, précité, aux pages 16 et suivantes. De même, les créances relatives aux salaires et aux frais de rapatriement peuvent être payées par quelqu’un d’autre tout en conservant leur rang prioritaire entre les mains de cette personne lorsqu’une cession a été effectuée ou qu’une ordonnance judiciaire a été rendue : voir par exemple Maritime Liens and Claims, de William Tetley 2e éd., Montréal : International Shipping Publications, 1998, aux pages 1230 et 1231, et Atlantis Two, précité, à la page 18. De fait, en l’espèce, chaque créance relative au salaire a été cédée de façon qu’il soit clair que la Bank of Scotland puisse occuper le rang que les membres d’équipage, y compris le capitaine, occupaient à l’égard des salaires, des frais de rapatriement et des débours du capitaine.
[18] La créance relative aux frais liés à la vente est valide; elle n’a jamais sérieusement été contestée et, comme je l’ai dit, il s’agit d’une première charge. J’examinerai maintenant la réclamation de la Bank of Scotland en sa qualité de créancière hypothécaire.
La créancière hypothécaire
[19] En l’espèce, il convient d’examiner d’abord la réclamation de la créancière hypothécaire, c’est-à-dire la Bank of Scotland. En effet, si cette réclamation était en totalité ou en partie rejetée, il se pourrait que certains fonds tirés de la vente soient mis à la disposition des fournisseurs d’approvisionnements nécessaires qui, au lieu de détenir des privilèges maritimes, détiennent de simples droits réels, qui viennent après la créance valide d’un créancier hypothécaire.
a) Forme de l’hypothèque
[20] J’examinerai le cas échéant d’autres conditions pertinentes de la garantie que la banque détient sur le Nel et sur les autres navires en vertu de l’hypothèque grevant la flotte. Toutefois, je ferai ici remarquer qu’il s’agit d’une hypothèque sous la forme d’un compte courant, soit un document qui peut servir de garantie générale. De l’avis de la Bank of Scotland, l’hypothèque garantit le prêt initial, le compte courant existant entre la Bank of Scotland et le propriétaire de la flotte dont faisait partie le Nel ainsi que les intérêts. L’hypothèque relative au compte courant dont le Nel est grevé s’applique à première vue à une vaste gamme de créances, y compris les avances que la Bank of Scotland a consenties au fil du temps au propriétaire ou pour le compte du propriétaire. Selon le deuxième paragraphe de l’acte hypothécaire, l’hypothèque garantit le paiement de :
[traduction] […] toutes les sommes qui à l’heure actuelle sont dues au créancier hypothécaire sur le compte courant, y compris toutes les sommes qui sont dues au créancier hypothécaire en vertu du contrat de prêt et de l’acte d’engagement ou qui deviendront dues, au titre du principal et des intérêts ou à quelque autre titre, ainsi que les frais, charges, dépenses et autres sommes liées à la création, à la préservation, au maintien, à la protection, à la réalisation ou à une tentative de réalisation de la présente garantie […]
[21] Cette conception large de l’étendue de la garantie fournie par une hypothèque relative à un compte courant est non seulement conforme à la pratique des avocats spécialisés en droit maritime et à l’intention des parties, les opérations conclues entre la Bank of Scotland et les propriétaires de la flotte grevée d’une hypothèque étant considérées dans leur ensemble, mais elle correspond aussi à l’avis exprimé par la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse dans l’arrêt Cleveland v. Boak et al. (1906), 39 N.S.R. 39, dont deux passages pertinents sont ci-après cités [aux pages 43 à 45] :
[traduction] La partie demanderesse soutient que, selon le libellé des attendus, l’hypothèque visait à garantir « les sommes avancées et devant être avancées à des fins liées à la navigation et au commerce » et qu’elle n’était pas destinée à s’appliquer aux approvisionnements fournis par la partie défenderesse, et ne s’applique pas à pareils approvisionnements, ou aux approvisionnements fournis à la partie demanderesse que la partie défenderesse a obtenus d’autres commerçants. Même si l’acte hypothécaire est peut-être mal rédigé, il est évident, compte tenu de l’opération conclue entre les parties dans son ensemble, que la demanderesse avait en fait l’intention d’accorder à la partie défenderesse une garantie sur son navire à l’égard du compte courant, ce qui comprenait les sommes consenties et les approvisionnements fournis, quels qu’ils soient.
[…]
On ne saurait soutenir que l’expression « compte courant » s’entendait uniquement des sommes avancées. Telle qu’elle était employée, cette expression se rapportait clairement aux sommes consenties à titre d’avances ainsi qu’aux articles qui chaque année étaient et avaient été imputés aux comptes courants, qui devaient tous être réglés le 31 décembre de chaque année. En interprétant un instrument comme celui-ci, il faut tenir compte de la nature et de la suite des opérations conclues entre les parties.
[22] Compte tenu de la nature générale d’une hypothèque se rapportant à un compte courant ainsi que des faits de la présente espèce, j’ai conclu que les parties pertinentes du compte de prêts, le compte courant, y compris les paiements effectués par suite de la saisie afin de permettre que les navires de la flotte continuent à être exploités, ainsi que les intérêts sont garantis par l’hypothèque relative au compte courant grevant la flotte, y compris le Nel. Il a été soutenu, et je n’accorderais pas à ces arguments une plus grande importance, que la garantie hypothécaire était en soi invalide ou enregistrée d’une façon irrégulière. Compte tenu des facteurs applicables et des circonstances dans leur ensemble, il n’y a pas réellement lieu de douter de la validité et de l’efficacité de la garantie hypothécaire. Je traiterai maintenant des sommes qui seraient garanties, ce qui est une question plus complexe.
b) La réclamation de la Bank of Scotland
[23] Le jugement par défaut obtenu par la Bank of Scotland le 30 janvier 1998 dans la présente instance, compte tenu du principal et des intérêts sur le prêt, s’élevait à un montant correspondant, à la date du jugement, à 12 047 788 08 $. Une réclamation d’un montant de 14 124 420 50 $ a par la suite été présentée, lors de l’audience relative à l’ordre de priorité, déduction faite de divers montants tirés de la vente d’autres navires visés par l’hypothèque grevant la flotte. Les montants suivants étaient réclamés :
1. Principal impayé au 20 juillet 1998 |
11 250 000 00 $ |
2. Compte de prêts et paiement effectués en raison de la saisie également garantis par l’hypothèque |
1 764 747 00 $ |
3. Intérêts courus au 4 janvier 1999 |
1 109 673 50 $ |
TOTAL |
14 124 420 50 $ |
Selon la position prise par la Bank of Scotland, que j’ai retenue après avoir examiné divers arguments présentés à l’encontre, la garantie hypothécaire, sous la forme d’une hypothèque se rapportant au compte courant, indique et garantit tous les montants non recouvrés qui sont le cas échéant dus à la banque. J’examinerai maintenant les arguments pertinents qui ont été soumis à l’encontre de cette position.
[24] L’un des créanciers privilégiés soutient que je ne devrais pas considérer comme exact le compte de prêts et le compte des paiements effectués en raison de la saisie faisant partie de la pièce « B » jointe à l’affidavit de M. Myles, directeur de projets et des finances spécialisées à la Bank of Scotland. Le compte des paiements effectués en raison de la saisie comprend le paiement des salaires et des soutes nécessaires aux fins de l’exploitation de la flotte, en particulier pendant l’automne 1997. L’avocat soutient que je ne devrais pas tenir compte de ce compte parce que M. Myles ne pouvait pas en attester l’exactitude sous serment. Cet argument est valable, mais il n’est pas complet. Pendant le contre-interrogatoire, M. Myles a dit qu’au moins l’un de ses collègues avait vérifié les chiffres par rapport aux comptes. Il serait déraisonnable de s’attendre à ce que le directeur d’un service bancaire vérifie et calcule personnellement le compte de chaque client, ou même à ce qu’il calcule le compte d’une flotte en cause dans un litige, comme c’est ici le cas. Une personne qui est dans la situation de M. Myles doit s’en remettre à ses collègues et aux employés pour l’accomplissement de cette tâche d’une façon efficace. On ne soutient pas qu’il y a eu manquement ou négligence de la part des collègues et employés de la Bank of Scotland lorsqu’il s’est agi de calculer les intérêts sur les montants mentionnés dans la déclaration. La Bank of Scotland a satisfait à la norme de la preuve applicable à l’égard de cette partie du compte de prêts et du compte des paiements effectués en raison de la saisie. Toutefois, il faut effectuer un rajustement, comme il en sera ci-dessous fait mention.
[25] J’aimerais également faire certaines remarques au sujet des intérêts de 1 109 673 50 $ qui ont été contestés pour le motif que la Bank of Scotland n’avait pas étayé son calcul. Le calcul des intérêts m’a été soumis. Les intérêts sont calculés à divers taux, conformément à la garantie de la banque, en deux groupes, le second allant du 6 avril 1998 au 4 janvier 1999. Dans le calcul de ce second groupe d’intérêts, la banque a tenu compte des sommes reçues, qu’il s’agisse de paiements finaux ou provisoires, à la suite de la vente judiciaire de l’Angelina L., à Singapour. Dans l’ensemble, il est également tenu compte dans le calcul des intérêts du produit de la vente de l’Anna L. et d’une avance provisoire consentie à la banque sur le produit de la vente du Nel, des sommes qui à première vue ne seraient pas nécessaires aux fins du paiement des réclamations des créanciers privilégiés. Je souscris au calcul qui a été effectué. Toutefois, même s’il devait y avoir rajustement pour les sommes indirectement reçues au moyen de l’achat et de la vente du Blue L. pour le compte de la banque, ce calcul n’a pas réellement d’importance, car la banque fait de toute façon face à un déficit important.
c) Recouvrement par la Bank of Scotland
[26] Les montants reçus par la Bank of Scotland lors de la liquidation de la flotte grevée d’une hypothèque sont maintenant pertinents aux fins du calcul du montant net dû à la banque à la date de la présente audience. Les sommes reçues, ou peut-être à recevoir, directement de la vente des navires, sont les suivantes :
1. Anna L. |
2 850 000 $ |
2. Avance consentie sur le Nel |
2 835 681 $ |
3. Angelina L., produit initial et produit final |
1 225 716 $ |
4. Blue L. : sommes détenues en Afrique du Sud |
3 300 000 $ |
TOTAL |
10 211 397 $ |
Pour expliquer en partie l’incertitude qui existe au sujet du produit du Blue L., il faut dire que ce navire a fait l’objet d’une vente judiciaire en Afrique du Sud, le prix de vente s’élevant à 3 300 000 $. À la date de la présente audience, la Bank of Scotland n’avait reçu aucune somme provenant de la vente du Blue L. Le montant directement réalisé de 10 211 397 $ est donc probablement trop optimiste, mais il s’agit du meilleur chiffre qui puisse être utilisé. Il convient ici de faire une autre brève remarque.
[27] La Bank of Scotland a demandé que la question de l’ordre de priorité soit réglée à bref délai. Les réclamations en cause dans l’instance concernant l’ordre de priorité avaient, par ordonnance, été présentées au 31 décembre 1997, mais des affidavits additionnels portant sur les faits devaient être déposés au plus tard le 15 avril 1998, délai qui a par la suite été prorogé au 28 avril 1998, de façon à accommoder divers créanciers, dont la Bank of Scotland. De tels délais sont essentiels au processus menant à l’audience relative à l’ordre de priorité, car tous les créanciers doivent s’occuper de certaines réclamations et disposer d’un délai raisonnable pour apprécier les réclamations des autres créanciers, pour procéder au besoin aux contre-interrogatoires, pour obtenir des preuves au sujet du droit étranger le cas échéant ainsi que pour se préparer à l’audience. Cela peut comporter des inconvénients pour le titulaire d’une hypothèque sur la flotte, lorsque des navires sont vendus par des tribunaux dans divers ressorts, car cela peut avoir pour effet d’exclure des montants légitimement réclamés. En l’espèce, certains montants que la Bank of Scotland pouvait à juste titre réclamer ont selon toute probabilité été exclus lorsque j’ai rejeté un affidavit complémentaire dans une ordonnance et dans des motifs que j’ai rendus le 30 décembre 1998 [[1999] 2 C.F. 417 (1re inst.)]. Toutefois, il faut bien, en toute raison, fixer un terme à la période de présentation et de modification des réclamations à un moment donné avant l’audience relative à l’ordre de priorité.
[28] Le montant net de la réclamation, tel qu’il a été calculé par la Bank of Scotland, lequel est fondé sur un recouvrement direct en vertu de la garantie, c’est-à-dire le montant brut de la réclamation relative au principal, au compte de prêts et au compte des paiements effectués en raison de la saisie ainsi qu’aux intérêts, lequel s’élève en tout à 14 124 420 50 $, moins le montant maximum que la banque affirme pouvoir recevoir directement par suite de la vente du reste de la flotte, qui s’élève à 10 211 397 $, est donc de 3 913 023 50 $, auquel s’ajoute un montant de 71 067 09 $ imputé aux salaires de l’équipage et aux frais de vente payés par la banque, ce qui donne un montant total de 3 984 090 59 $.
d) Contestation de la garantie de la Bank of Scotland
[29] Ce sont principalement les avocats d’Alpha Bunkering Co. Ltd. (Alpha Bunkering) et d’Aktina S.A. (Aktina) qui ont contesté la garantie de la Bank of Scotland. Les avocats ont présenté leurs arguments à titre subsidiaire, au cas où il serait statué qu’Alpha Bunkering et Aktina ne détiennent pas de privilèges maritimes. En outre, plus d’un créancier ne possédant que de simples droits réels pourrait être en mesure de recouvrer quelque chose s’il était statué que la créance hypothécaire de la Bank of Scotland est en totalité ou en partie irrégulière. Je dois donc tenir compte de cet aspect de la question.
[30] Alpha Bunkering affirme au départ que la capacité de la Bank of Scotland de revendiquer une créance réelle à l’égard du produit de la vente doit être fondée sur l’alinéa 22(2)c) de la Loi sur la Cour fédérale, cette disposition régissant, entre autres choses, les réclamations fondées sur une hypothèque. Cet argument ne tient pas compte de la possibilité que la banque ait fourni des approvisionnements nécessaires. Un bref examen du compte courant tenu par la banque montre que de nombreux approvisionnements nécessaires ont été fournis au moyen de paiements effectués en faveur des fournisseurs. Les sommes avancées pour la fourniture des approvisionnements nécessaires ou pour le payement des approvisionnements nécessaires déjà achetés sont recouvrables au titre des approvisionnements nécessaires : voir par exemple Underwriter, The (1868), 1 Asp. Mar. Law Cas. 127, à la page 129, qui renvoie, entre autres, à la décision rendue par M. Lushington dans l’affaire Sophie, In re The (1842), 1 W. Rob. 368; 166 E.R. 610, où la question est tranchée à la page 611; et Riga, The (1872), L.R. 3, A. & E. 516, aux pages 520 et suivantes. Toutefois, je n’ai pas à examiner la question plus à fond, car le point n’a pas été débattu.
[31] Alpha Bunkering affirme ensuite que le principal document signé par la Bank of Scotland et par les propriétaires du Nel est le contrat de prêt du 25 février 1997; elle soutient que les dispositions du contrat de prêt l’emportent sur l’hypothèque et sur l’acte d’engagement et qu’elles y sont incorporées. Il ne s’agit que d’un résumé partiel du rapport existant entre les documents relatifs aux garanties, car en fait, le contrat de prêt l’emporte uniquement s’il existe un conflit entre le contrat de prêt et l’hypothèque ou l’acte d’engagement : article 13.4 du contrat de prêt. Alpha Bunkering déclare ensuite que même si le contrat de prêt a une portée étendue (et je ferais ici remarquer qu’il s’agit d’un contrat de prêt type en ce sens qu’il prévoit presque toutes les éventualités), son libellé [traduction] « ne peut pas s’appliquer de façon à couvrir des dépenses qui ne pourraient pas par ailleurs être garanties au moyen d’une hypothèque grevant un navire sous le régime du droit applicable ».
[32] Comme je l’ai déjà dit, une hypothèque relative à un compte courant est une garantie générale, et elle l’est d’autant plus dans ce cas-ci, où le libellé de l’hypothèque sur le Nel est précis. Pourtant, selon l’argument invoqué par Alpha Bunkering et pour le compte de divers autres créanciers, les avances additionnelles consenties en vertu des comptes à découvert, y compris les paiements effectués en raison de la saisie, ne sont pas visées par le contrat de prêt, qui se rapporte uniquement aux paiements visant à protéger, maintenir et conserver la garantie de la Bank of Scotland. De fait, les créanciers soutiennent que la banque a effectué les paiements en vue de faciliter l’exploitation continue de la flotte grevée de l’hypothèque. L’argument qu’Alpha Bunkering a invoqué au sujet de la préservation est étayé par des renvois à des dictionnaires et par la jurisprudence pertinente, à savoir les affaires Banco Do Brasil S.A. c. Alexandros G. Tsavliris (The) (1993), 68 F.T.R. 284 (C.F. 1re inst.); et Osborn Refrigeration Sales and Service Inc. c. L’Atlantean I, [1979] 2 C.F. 661 une décision rendue par la Section de première instance qui a été modifiée (1982), 7 D.L.R. (4th) 395, par la Cour d’appel. Dans les deux cas, on avait cherché à préserver le navire en cause à la suite d’une saisie. Il s’agit d’un contexte différent de celui dans lequel une garantie est préservée au profit d’un banquier, ce qui pourrait inclure l’exploitation continue de la flotte de façon qu’elle ait une certaine valeur et que la Bank of Scotland évite d’hériter d’une flotte qui ne peut plus être exploitée. Toutefois, cet argument dans son ensemble omet malgré tout de tenir compte de la portée étendue et claire de l’hypothèque relative au compte courant, qui garantit [traduction] « toutes les sommes qui à l’heure actuelle sont dues au créancier hypothécaire sur le compte courant » et qui inclut ensuite les sommes dues en vertu du contrat de prêt. Cela ne va pas à l’encontre de la portée d’une hypothèque relative à un compte courant ou à l’encontre du contrat de prêt. En outre, cela tient compte du fait qu’une hypothèque peut constituer une garantie, comme le montrent clairement le but et le libellé de l’hypothèque ici en cause relative au compte courant.
[33] Enfin, toujours en ce qui concerne les paiements effectués en raison de la saisie, les créanciers privilégiés soutiennent que la Bank of Scotland ne peut pas revendiquer la priorité à l’égard des paiements effectués en raison de la saisie, c’est-à-dire les sommes versées aux créanciers des propriétaires de la flotte, en l’absence d’une preuve tendant à montrer que ces sommes ont de fait été versées à des titulaires de privilèges maritimes valides. Il est ici fait mention de la décision Östgöta Enskilda Bank c. Le Sea Star (1994), 78 F.T.R. 304 (C.F. 1re inst.). L’affaire Östgöta portait sur le paiement des frais de pilotage et d’amarrage ainsi que d’autres frais similaires par un affréteur. Les créanciers mettent l’accent sur la partie de la décision dans laquelle le juge a rejeté l’argument selon lequel la réclamation de l’affréteur était fondée parce que ce dernier s’était substitué aux pilotes, qui, selon l’affréteur, détenaient un privilège maritime. La Cour a statué que l’existence d’un privilège maritime n’avait pas été établie, mais que de toute façon l’affréteur n’était pas, en droit, tenu d’assumer l’obligation relative aux services de pilotage et de la transformer ensuite de quelque façon en une créance réelle contre le navire. La décision Östgöta est peut-être limitée aux faits qui lui sont propres. En l’espèce, la Bank of Scotland ne se fonde pas, si ce n’est à l’égard des créances relatives aux salaires ou aux frais de rapatriement qui lui ont été cédées, sur un privilège maritime ou sur une vague possibilité de transformer le paiement en une créance réelle, mais plutôt sur les documents relatifs au prêt, y compris une garantie hypothécaire, cette garantie s’appliquant à mon avis à de tels paiements. En outre, pour invoquer ce genre d’argument, la partie qui tente d’établir un rang prioritaire doit démontrer l’existence d’une intention réelle d’attribuer ce rang. Après avoir examiné toutes les circonstances, la cour doit être convaincue de l’existence d’une intention marquée d’établir un droit de priorité. La priorité peut être inférée, mais s’il existe plus d’une explication au sujet de ce qui est arrivé, il doit exister un élément de preuve direct à ce sujet. Lord Tomlin a exprimé ce point de vue d’une façon plus élégante dans la décision du Conseil privé Peat (Sir W. H.) v. Gresham Trust, Ld., [1934] A.C. 252 (H.L.), à la page 262 :
[traduction] À mon avis, dans ces affaires, il incombe à ceux qui cherchent à éviter l’opération d’établir l’intention véritable du débiteur et de prouver que cette intention visait à accorder la priorité. Cette obligation est uniquement remplie si, après avoir examiné toutes les circonstances, la cour est convaincue de l’existence d’une intention marquée d’accorder la priorité. Cela peut se faire au moyen d’une preuve directe ou d’une inférence, mais en l’absence d’une preuve directe, et lorsque plusieurs explications peuvent être données, il ne suffit pas de dire qu’étant donné qu’il n’existe aucune preuve directe, cette intention doit être inférée.
En l’espèce, j’ai tenu compte de toutes les circonstances. Les banques ne s’occupent pas de posséder ou d’exploiter des navires : par ses actions, la Bank of Scotland se comporte à tous égards comme un créancier hypothécaire qui essaie de continuer à exploiter la flotte du débiteur hypothécaire de façon qu’elle ait une valeur d’exploitation et qu’elle rapporte un revenu, ces deux objectifs étant avantageux pour la banque, pour le client et pour le créancier. Il n’existe guère d’éléments permettant d’inférer l’intention d’attribuer un rang prioritaire. Aucun élément de preuve direct ne montre que la priorité a été accordée. J’examinerai maintenant l’allégation selon laquelle la Bank of Scotland a indirectement ou secrètement tiré profit de la vente du Blue L.
e) Profit indirectement tiré de l’achat et de la revente du Blue L.
[34] Le Blue L., qui faisait partie de la flotte sur laquelle la Bank of Scotland détenait une hypothèque, a été acheté pour la somme de 3 300 000 $ par la banque, par l’entremise d’une société prête-nom, Perca Shipping Co., lors d’une vente judiciaire qui a eu lieu en Afrique du Sud. La société prête-nom a immédiatement vendu le Blue L. à Seagull Maritime Corporation, qui était un client de la Bank of Scotland, pour la somme de 5 000 000 $. Les éléments de cette opération sont attestés dans un certain nombre de documents, notamment dans un journal intermittent, ou série de notes, tenu par la banque, qui le désignait sous le nom de [traduction] « rapport irrégulier ». Il importe ici de noter qu’en effectuant l’achat, la société prête-nom n’agissait pas à titre de spéculateur, mais qu’elle a acheté le navire en vue de le vendre à un client de la banque, cette vente ayant été arrangée à l’avance.
[35] Le journal ou rapport irrégulier montre qu’au mois de juillet 1997, le Blue L. avait une valeur estimative de 5 300 000 $. Selon une écriture de journal datant du mois de novembre 1997, le Blue L. avait été saisi en Afrique du Sud par la Bank of Scotland, qui devait l’acquérir lors de la vente judiciaire, le 23 janvier 1998, et le revendre ensuite à Seagull Maritime Corporation. La note figurant à la fin de la page du journal se rapportant au mois de novembre 1997 est ainsi libellée :
[traduction] Des mesures ont été prises pour que les navires soient vendus à des prix permettant (une fois les créanciers prioritaires payés) de rembourser la dette au complet.
Cette procédure d’acquisition et de revente est attestée d’une façon générale et d’une façon particulière dans les écritures de journal relatives au mois de janvier.
[36] Cette procédure d’achat et de revente à profit à un client n’était pas propre au Blue L. Les écritures de journal relatives au mois de janvier 1998 comprennent une note concernant la saisie de l’Angelina L., à Singapour, montrant que l’acquisition de ce navire à la suite d’[traduction] « une brève action judiciaire visant à “éliminer” certaines réclamations », l’acquisition par la banque et la vente subséquente aux nouveaux propriétaires, devaient rapporter à la banque une somme nette d’environ 900 000 $ une fois les réclamations prioritaires payées. En fait, le navire a été acheté par la banque au début du mois de février 1998 et a rapporté à celle-ci la somme nette de 1 225 716 $ à valoir sur la créance. Toutefois, fait plus important, il est expressément fait mention du Blue L. Cette écriture montre que l’on avait l’intention d’acheter le navire lorsqu’il serait vendu en justice et de le revendre à Seagull Maritime Corporation pour la somme de 5 000 000 $. Cela est exprimé de la façon suivante :
[traduction] Le navire a été racheté par la banque le 22 janvier. Il a ensuite été vendu à Seagull le 30 janvier. Le produit de la vente judiciaire devrait être obtenu au mois de mars.
Il y a ensuite une note identique à celle dont il a déjà été fait mention, à savoir que la banque avait pris des mesures en vue de vendre les navires à un prix permettant de rembourser toute la dette. L’écriture de journal du mois de janvier confirme ensuite que le Blue L. a été vendu à Seagull Maritime Corporation pour la somme de 5 000 000 $. Ce prix est également confirmé par une écriture de journal en date du mois de février 1998.
[37] L’affidavit de M. Myles, de la Bank of Scotland, révèle également qu’indépendamment des soutes, le Blue L. a été acheté pour la somme de 3 300 000 $, ce qui donnait un profit d’environ 1 700 000 $ compte tenu des frais d’acquisition de la banque et du prix de revente. Les créanciers privilégiés affirment que ce profit, qui n’est pas comptabilisé et qui aurait pu demeurer secret si ce n’étaient les efforts diligents qu’ils ont déployés pour obtenir la communication et pour procéder à des contre-interrogatoires, constitue pour la banque un profit qu’il faudrait défalquer du montant total de sa créance fondée sur l’hypothèque qu’elle détient sur la flotte. Selon les documents, la vente subséquente à Seagull Maritime Corporation comprenait les soutes, pour lesquelles la banque avait versé une somme de 34 750 66 $. Le profit tiré de la vente du Blue L., qu’il faut déduire du montant total de la réclamation de la banque, s’élève à 1 665 249 40 $.
[38] La société prête-nom, lorsqu’il s’est agi d’acheter le Blue L. dans le cadre de la vente judiciaire et de le revendre ensuite, était Perca Shipping Co. Ltd., une société étrangère dont les actions étaient détenues par la Bank of Scotland à titre de propriétaire bénéficiaire. Le profit tiré de la vente a ensuite été remis à la banque. Toutefois, la banque soutient que ce profit n’a rien à voir avec le montant qui était dû en vertu de l’hypothèque dont la flotte était grevée. Tout cela a été confirmé par M. Myles, de la Bank of Scotland, lors du contre-interrogatoire. M. Myles était peut-être mal informé lorsqu’il a dit qu’avant que le Blue L. soit acquis lors de la vente judiciaire, aucune entente n’avait été conclue entre la société prête-nom à titre de vendeur et Seagull Maritime Corporation à titre d’acheteur du navire. Cela contredit le journal ou rapport irrégulier de la banque; en effet, selon une écriture du mois de novembre, il y avait intention d’acquérir le navire et de le vendre à profit à Seagull Maritime Corporation pour la somme de 5 000 000 $.
[39] Si, lors du contre-interrogatoire, M. Myles avait bien voulu dire que le tribunal sud-africain était au courant de la situation, de façon à répondre à l’allégation selon laquelle la banque avait canalisé un profit par l’entremise d’une société étrangère dont elle était propriétaire bénéficiaire, laquelle avait immédiatement revendu le navire à un prix convenu, cela aurait fort bien pu mettre fin à l’affaire. Toutefois, la banque a tenté de mitiger les dégâts en soutenant que le navire avait été acheté régulièrement dans le cadre d’une vente judiciaire, que la vente subséquente n’était pas pertinente et que l’opération ne concernait pas les personnes qui avaient une créance impayée sur la flotte. C’était peut-être bien vrai, mais la banque pouvait uniquement acheter le navire et le revendre ensuite sans comptabiliser un profit si un créancier hypothécaire pouvait faire une offre régulière à l’égard du navire, manifestement sans limiter la vente et sans avoir pris des dispositions antérieures avec une autre partie.
[40] Premièrement, dans la plupart des pays où ils n’ont pas le droit de faire une offre sur le bien à l’égard duquel ils détiennent une hypothèque, les créanciers hypothécaires peuvent uniquement se porter acquéreurs dans le cadre d’une vente judiciaire si la cour le leur permet : voir par exemple Wilsons, In re The (1841), 1 W. Rob. 172; 166 E.R. 537, où la Cour a permis au créancier hypothécaire de faire une offre à l’égard du navire. Cela constitue un assouplissement de la règle générale selon laquelle le créancier hypothécaire, qui doit veiller à protéger ses propres droits dans le cadre d’une liquidation, est par ailleurs tenu d’agir de bonne foi, sans collusion avec l’acheteur et sans se mettre dans une situation créant un conflit d’intérêts, comme cela pourrait se produire s’il avait un droit d’achat absolu. En l’espèce, on ne m’a présenté aucun élément de preuve montrant que le tribunal sud-africain savait que la Bank of Scotland avait l’intention d’acheter et de revendre le Nel à profit ou même que, par l’entremise d’une société prête-nom, la banque allait être autorisée à faire une offre à l’égard du Nel. L’obligation qui existe en cas de vente comprend l’obligation d’obtenir la véritable valeur marchande. Ces assertions, en ce qui concerne l’obligation du créancier hypothécaire, ont été examinées dans la décision Tse Kwong Lam v. Wong Chit Sen, [1983] 1 W.L.R. 1349 (C.P.), aux pages 1353 et suivantes. À la page 1355, le Conseil privé souligne qu’il n’existe pas de règle stricte voulant qu’un créancier hypothécaire ne puisse pas vendre le bien à une société dans laquelle il a des intérêts, mais qu’en pareil cas, il existe une lourde obligation de la part du créancier hypothécaire de démontrer qu’à tous les égards, il a agi d’une façon juste et de bonne foi, en prenant des précautions raisonnables pour obtenir le meilleur prix qu’il était alors possible d’avoir. Il est vrai que dans l’affaire Tse Kwong Lam, une vente privée était en cause, mais il doit y avoir une divulgation complète avant qu’un créancier hypothécaire puisse faire une offre, directement ou indirectement, dans le cadre d’une vente judiciaire.
[41] Le rapport irrégulier montre que le montant de 5 000 000 $ obtenu lors de la vente du Blue L. a contribué à la valeur du total net des éléments d’actif que la Bank of Scotland détenait en garantie du prêt consenti au propriétaire de la flotte dont le Nel faisait partie. Il s’agit selon moi d’un revenu que la banque a tiré de sa garantie, revenu qui aurait dû être déclaré et expliqué, si la banque était en mesure de le faire. Étant donné que la banque n’a pas pu offrir d’explication pour justifier sa manœuvre, c’est-à-dire l’achat du navire par l’entremise d’une société étrangère dont elle détenait les actions à titre de propriétaire bénéficiaire, en vue d’une vente à profit arrangée à l’avance en faveur d’un client, il est juste d’ajouter le profit à la somme recouvrée par la banque en vertu de son hypothèque. Ce résultat est conforme au témoignage que M. Myles a présenté lors du contre-interrogatoire, à savoir que le profit net réalisé par la société étrangère contrôlée par la banque, Perca Shipping Co., avait été versé à la banque. Lors du contre-interrogatoire, M. Myles ne savait pas trop où était comptabilisé le profit brut de 1 700 000 $ que la banque avait fait, ou plus exactement le profit net une fois que les soutes avaient été payées, lequel s’élevait à 1 665 249 40 $, mais la banque a néanmoins bel et bien touché ce montant.
[42] Le montant que la banque a recouvré par suite de l’opération conclue à l’égard du Blue L. ne constituait pas un profit sur une opération commerciale indépendante, mais résultait de l’hypothèque que la banque détenait sur le Blue L. : habituellement, les banquiers prudents ne spéculent pas en achetant et en vendant des navires usagés à moins d’être obligés de le faire parce que la créance hypothécaire qu’ils détiennent sur le navire n’est plus sûre. Il reste à savoir quelle est la situation de la banque par rapport aux créanciers de la flotte et en particulier aux créanciers privilégiés ici en cause, compte tenu du fait qu’elle a touché une somme de 1 665 000 $ en vertu de l’hypothèque qu’elle détenait sur la flotte. Pour arriver à une conclusion équitable, il convient de se fonder sur l’existence d’une fiducie par interprétation.
[43] Je reconnais que le créancier hypothécaire n’agit pas comme fiduciaire général lorsqu’un navire est vendu en vertu d’une hypothèque, et encore moins lorsque la vente a été ordonnée par un tribunal. Toutefois, il agit comme fiduciaire à l’égard de tout excédent réalisé lors d’une vente, auquel cas il doit être de bonne foi : voir les décisions Frost Ltd. v. Ralph (1980), 40 Nfld. & P.E.I.R. 207 (1re inst.) et Federal Business Development Bank v. Ralph (1988), 71 Nfld. & P.E.I.R. 231 (C.A.), mentionnées par le juge Rothstein (maintenant juge à la Cour d’appel) dans la décision Dunne c. Canada (1995), 93 F.T.R. 115 (C.F. 1re inst.), aux pages 120 et suivantes. Il y a lieu d’appliquer cette norme lorsque le créancier hypothécaire présente une réclamation dans le cadre de la vente judiciaire d’un navire, surtout si rien ne montre que le tribunal qui a ordonné la vente ait de quelque façon su que l’acheteur était une société étrangère contrôlée par la Bank of Scotland ou que cette dernière avait arrangé la vente à l’avance, le profit devant lui être remis directement plutôt que d’être remis aux créanciers privilégiés.
[44] Comme je l’ai dit, il convient de se fonder sur l’existence d’une fiducie par interprétation. Cette fiducie prend naissance indépendamment de l’intention. Il s’agit d’une réparation en equity destinée à empêcher l’enrichissement sans cause [Jesionowski c. Wa-Yas (Le), [1993] 1 C.F. 36 (1re inst.), à la page 58] :
Une fiducie par interprétation existe [traduction] « peu importe l’intention de quelque partie que ce soit, quand la loi impose à une partie l’obligation de détenir un bien précis au bénéfice d’une autre personne » : voir Waters, Law of Trusts in Canada, 2e éd., 1984, à la p. 377. La fiducie par interprétation est une forme de réparation fondée sur l’equity qui vise à prévenir l’enrichissement sans cause : Rathwell c. Rathwell, [1978] 2 R.C.S. 436, à la page 455; Pettkus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834.
[45] Pour qu’il y ait fiducie par interprétation, un certain nombre de conditions doivent être remplies. Dans bien des cas, une telle fiducie ne constitue donc pas une réparation appropriée, car le tribunal doit s’assurer : premièrement, que l’allégation relative à l’enrichissement sans cause a été établie; deuxièmement, que le créancier a été privé de son dû à cause de cet enrichissement; troisièmement, qu’il n’existe aucun motif d’ordre juridique justifiant l’enrichissement; enfin, qu’eu égard aux circonstances, une fiducie par interprétation constitue une réparation appropriée pour remédier à l’enrichissement sans cause : Jesionowski, précitée.
[46] Si j’applique ce critère à quatre volets à la présente affaire, la Bank of Scotland a touché, comme je l’ai déjà souligné, la somme de 1 655 249 40 $ par suite des renseignements qu’elle possédait en sa qualité de créancière hypothécaire; il y a eu enrichissement sans cause et le montant en question aurait dû être comptabilisé eu égard aux circonstances particulières de l’affaire. Deuxièmement, par suite des tactiques auxquelles la Bank of Scotland a eu recours, divers créanciers privilégiés sont privés du droit de présenter une réclamation à valoir sur cette somme comme partie du produit de la vente. Troisièmement, il n’existe aucun motif d’ordre juridique justifiant l’enrichissement; au contraire, cet enrichissement résultait d’une machination. Enfin, la réparation est appropriée, car il serait ridicule que les créanciers privilégiés participent à la présente audience et qu’une fois leur rang prioritaire reconnu, ils soient obligés de poursuivre la Bank of Scotland dans un autre ressort en se fondant sur les jugements qu’ils ont obtenus.
[47] Bref, aux fins de la présente audience, la Bank of Scotland est réputée avoir touché la somme de 1 655 249 40 $ et l’avoir imputée au paiement de la créance hypothécaire qu’elle détenait sur la flotte.
f) Cristallisation hâtive de la réclamation de la Bank of Scotland
[48] L’argument intéressant qui est ensuite invoqué est que la réclamation de la Bank of Scotland, en vertu de l’hypothèque qu’elle détient sur la flotte, devrait être limitée à 12 047 788 08 $, soit le montant correspondant en dollars américains au montant de 17 602 057 32 $CAN fixé dans le jugement par défaut du mois de décembre 1997, parce que, comme on l’affirme, la réclamation s’est cristallisée à ce montant.
[49] Il est clair que la Bank of Scotland s’est empressée de demander un jugement par défaut au lieu d’attendre l’audience relative à l’ordre de priorité pour prouver sa réclamation parce que pareil jugement lui permettait de demander qu’on lui verse toute somme clairement excédentaire par rapport aux sommes nécessaires aux fins du paiement des créances qui, semblait-il, viendraient peut-être avant la sienne. Il s’agit maintenant de savoir si le jugement par défaut qui a été rendu à ce stade de l’affaire nuit à la banque, en ce qui concerne la somme d’environ 2 000 000 $ qui a été ajoutée à la réclamation après le mois de décembre 1997, compte tenu bien sûr de toute dépense approuvée par la Cour.
[50] À l’encontre de la Bank of Scotland, on peut citer l’arrêt European Central Railway Company, In Re. Ex parte Oriental Financial Corporation (1876), 4 Ch. D. 33 (C.A.). Dans cette affaire, le titulaire d’une débenture avait hâtivement obtenu un jugement de l’affaire de façon à pouvoir en garantir l’exécution. Il a par la suite réussi à prouver un intérêt additionnel de deux pour cent, que le juge de première instance et la cour d’appel ont rejeté, en statuant que la dette initiale avait fusionné avec le jugement, de sorte qu’une nouvelle dette ayant des conséquences différentes était créée. L’arrêt European Central est résumé dans un passage du volume 26 de la 4e édition de l’ouvrage de Halsbury’s Laws of England, à la page 274 :
[traduction] Lorsqu’un jugement a été rendu dans une action, la cause d’action qui a donné lieu au jugement fusionne avec le jugement et elle est remplacée par les droits créés par le jugement, de sorte qu’il est impossible d’intenter une deuxième action fondée sur cette cause d’action.
[51] Dans l’arrêt Cockshutt Plow Co., Ltd. v. Kornyssyn, [1931] 3 W.W.R. 171, la Cour du Banc du Roi de la Saskatchewan est arrivée à une conclusion semblable à celle qui avait été tirée dans l’arrêt European Central. Dans cette affaire-là, la demanderesse détenait, à l’égard de trois billets, une hypothèque en tant que garantie accessoire. Elle avait obtenu un jugement par défaut. Il a été statué que lorsqu’un jugement a été obtenu à l’égard d’une dette, la dette initiale fusionne avec le jugement. De plus, s’il s’agit d’un jugement en matière réelle, comme c’était le cas ici, ce jugement est obligatoire et vaut contre tous : voir le volume 16 de la 4e édition de Halsbury’s Laws of England, à la page 869, et Creighton c. Franko (1998), 151 F.T.R. 21 (C.F. 1re inst.), à la page 33.
[52] Selon l’argument que la Bank of Scotland ne peut réclamer plus que le montant fixé dans le jugement par défaut, les allégations et la réclamation sont réputées être prouvées pour un montant d’environ 12 000 000 $ par suite du jugement par défaut qui a été rendu, et l’avocat mentionne ici l’arrêt McElroy c. Cowper-Smith and Woodman, [1967] R.C.S. 425. Si je l’interprète correctement, l’arrêt McElroy est limité aux jugements par défaut qui sont rendus en vertu des Supreme Court Rules de l’Alberta, selon lesquelles le défendeur qui permet qu’un jugement soit rendu par défaut est réputé avoir admis les faits énoncés dans la déclaration : McElroy, à la page 428. Il est peut-être préférable de dire qu’un jugement par défaut est peut-être moins efficace qu’un jugement rendu sur le fond. C’est ce qu’a souligné le juge McNair dans la décision Montres Rolex S.A. c. Canada, [1988] 2 C.F. 39 (1re inst.), à la page 52 :
En général, les ordonnances de la nature des jugements rendus à la suite d’une procédure sommaire, où l’on ne s’est pas prononcé sur les questions en litige, sont tout au plus interlocutoires, et on ne devrait pas leur accorder le caractère final et définitif d’un jugement sur le fond de ces questions : […]
En tirant cette conclusion, le juge McNair a mentionné la Règle 437 des anciennes Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663], qui autorisait le demandeur à solliciter un jugement par défaut pour la réparation demandée dans la déclaration. L’effet de cette règle ne semble pas différent de celui de l’actuelle [Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106] règle 210, qui autorise qu’un jugement par défaut soit rendu à l’égard d’une déclaration. En l’espèce, la déclaration est à la fois de nature réelle et de nature personnelle. Le Nel a reçu signification de la part de la demanderesse et, le 30 janvier 1998, cette dernière a pu obtenir un jugement en matière réelle d’un montant correspondant à 12 047 788 08 $ en raison de l’hypothèque qu’elle détenait sur le Nel. Il s’agit donc de savoir quel est l’effet du jugement par défaut. La Bank of Scotland soutient que le jugement n’empêche pas le recouvrement d’une créance.
[53] Ma réaction initiale à l’argument avancé par les créanciers se rapporte à la nature de la fusion d’une cause d’action dans un jugement. Fondamentalement, lorsqu’un jugement a été rendu dans une action, la cause d’action qui y a donné lieu fusionne avec le jugement et est remplacée par les droits créés par le jugement. Cette règle de base est énoncée dans de nombreuses décisions anciennes, notamment Greathead v. Bromley (1798), 7 T.R. 455; 101 E.R. 1073 (K.B.), à la page 1074. Elle a pour résultat qu’on ne saurait intenter une deuxième action fondée sur cette cause d’action. Comme je l’ai dit, la demanderesse ici en cause a obtenu le 30 janvier 1998 un jugement d’un montant correspondant en dollars canadiens à 12 047 788 08 $ composé du principal de 11 250 000 $, des intérêts sur le principal jusqu’au 30 octobre 1997, d’un montant de 97 790 49 $, de comptes à découvert s’élevant en tout à 698 869 60 $ et des intérêts sur les comptes à découvert, jusqu’au 30 octobre 1997, d’un montant de 1 127 99 $. La demanderesse réclame maintenant les montants additionnels qui sont subséquemment devenus exigibles, y compris les montants dus sur le compte de prêts à l’égard des paiements effectués en raison de la saisie et des intérêts, c’est-à-dire une somme additionnelle de 2 076 632 42 $. C’est ce dernier montant de 2 076 632 42 $ que les créanciers contestent en invoquant la fusion.
[54] La doctrine de la fusion est limitée par le principe selon lequel [traduction] « il n’y a fusion que si la cause d’action est la même dans les deux actions et si le demandeur a eu la possibilité de recouvrer, dans la première action (soit l’action visée par le jugement), ce qu’il cherche à recouvrer dans la deuxième; » : 4e édition de Halsbury’s Laws of England, volume 26, paragraphe 551. De fait, le demandeur peut intenter des actions successives, découlant des mêmes circonstances, dans la mesure où ces circonstances donnent naissance à des causes d’action différentes : Brunsden v. Humphrey (1884), 14 Q.B.D. 141 (C.A.). Selon cette analyse, toute réclamation relative aux intérêts et aux éléments du compte courant, survenant après le jugement par défaut du 30 janvier 1998, pourrait à juste titre être présentée dans le cadre d’une audience subséquente relative à l’ordre de priorité. Cette thèse permet le recouvrement des intérêts après jugement, tels qu’ils ont été calculés par la Bank of Scotland. Toutefois, il peut y avoir reddition de compte si l’on se pose la question de savoir quelles parties de l’excédent maintenant réclamé sur le compte de prêts, le cas échéant, remontent à une date antérieure à celle du jugement, question qui ne semble pas avoir été examinée. Je ferais ici encore une fois remarquer que les comptes à découvert, au 31 octobre 1997, s’élevaient à 698 869 60 $, mais qu’à la suite d’un calcul final, un montant de 1 754 747 $ a été soumis.
[55] L’avocat de la demanderesse adopte une approche quelque peu différente, à laquelle je souscris; il se fonde sur l’analyse de la question de la fusion en jugement effectuée par le professeur Dunlop dans l’ouvrage intitulé : Creditor-Debtor Law in Canada, 2e édition, 1995, aux pages 200 et suivantes. Le professeur Dunlop commence son analyse en se fondant sur la théorie traditionnelle selon laquelle une fois qu’un créancier obtient jugement, la dette initiale est réputée se fondre dans la créance judiciaire. Comme l’a souligné le professeur Dunlop, cela fait partie de la notion de la chose jugée, selon laquelle une fois qu’un tribunal judiciaire compétent a rendu une décision définitive, la question est réglée une fois pour toutes, de sorte que ni l’une ni l’autre partie ou des personnes ayant connexité d’intérêts ne peuvent par la suite plaider de nouveau l’affaire. Cette doctrine comporte deux conséquences. En premier lieu, la décision empêche une partie de contester dans un litige subséquent le bien-fondé de la décision, sur le plan du droit et des faits, à l’encontre des autres parties à la décision et des personnes ayant connexité d’intérêts, ce qui constitue la règle de la fin de non-recevoir fondée sur la chose jugée. Le professeur Dunlop examine ensuite la deuxième conséquence, qui est plus pertinente, à savoir la fusion en jugement, selon l’énoncé qu’en fait George Spencer Bower, et Sir Alexander Turner dans l’ouvrage intitulé : The Doctrine of Res Judicata, 2e édition, 1969 [à la page 1] :
[traduction] En second lieu, en vertu de la décision, le droit ou la cause d’action invoquée dans le litige s’éteint et fusionne avec le jugement. Transit in rem judicatam. Par conséquent, aucune autre réclamation fondée sur la même cause d’action ne peut être présentée dans des procédures subséquentes entre les mêmes parties ou entre des personnes ayant connexité d’intérêts.
Le professeur Dunlop déclare que cet énoncé et celui qui figure dans la décision King v. Hoare (1844), 13 M.& W. 494; 153 E.R. 206, à la page 210, vont plus loin que nécessaire pour empêcher le demandeur d’engager à deux reprises des poursuites fondées sur la même cause d’action [à la page 202] :
[traduction] Au lieu d’interdire simplement que des poursuites judiciaires soient engagées plus d’une fois, les juges ont tenté d’en arriver au résultat voulu en créant la fiction selon laquelle la cause d’action fusionne avec le jugement. Cette façon détournée de régler le problème a causé inutilement de nombreux ennuis aux tribunaux, comme nous le verrons ci-dessous.
Il est possible d’énoncer la question d’une façon simple. Qu’est-ce qui fusionne avec le jugement? Les passages précités donnent à entendre que c’est la cause d’action, en ce sens qu’elle s’éteint ou qu’elle est remplacée par le jugement, qui est « d’une nature supérieure ». Toutefois, nous croyons qu’il est préférable de considérer que la cause d’action ne disparaît pas complètement, mais qu’elle continue plutôt à exister après le prononcé du jugement, du moins à certaines fins. Ce résultat peut être exprimé de la façon suivante : l’obtention du jugement a pour effet de forcer le créancier concerné à employer des recours propres au jugement, c’est-à-dire l’exécution, la mise sous séquestre et ainsi de suite, plutôt que le recours propre à une simple cause d’action, à savoir l’introduction d’une poursuite judiciaire. En d’autres termes, ce n’est pas la cause d’action elle-même qui fusionne avec le jugement, mais le recours qui l’accompagne.
L’idée selon laquelle c’est le recours qui fusionne avec le jugement, plutôt que la cause d’action elle-même, est ici cruciale.
[56] Le professeur Dunlop mentionne un certain nombre d’arrêts anglais et canadiens qui peuvent mieux s’expliquer si l’on suppose que la cause d’action, à certaines fins, continue à exister après le prononcé du jugement et, de fait, plusieurs arrêts dans lesquels les tribunaux ont expressément adopté l’idée de la fusion du recours, notamment Thorne v. Ball (1920), 50 D.L.R. 85, de la Cour d’appel de l’Ontario, dans laquelle le juge Middleton a mentionné la décision rendue en appel dans l’affaire Price v. Moulton (1851), 10 C.B. 561; 138 E.R. 222, où le juge Maule fait remarquer, à la page 227, au sujet d’une créance garantie par un engagement, que le jugement [traduction] « n’absorbe pas ou n’éteint pas la créance, mais absorbe le recours fondé sur le simple contrat ».
[57] Dans l’arrêt Thorne v. Ball, le juge Middleton renvoie également à l’un des plus anciens arrêts sur la question, qui est souvent cité, King v. Hoare (1844), 13 M. & W. 494; 153 E.R. 206, à la page 210, à l’appui du principe selon lequel, lorsqu’un jugement est rendu, [traduction] « la cause d’action devient une affaire enregistrée auprès d’un tribunal, qui est d’une nature supérieure, le recours inférieur fusionnant avec le recours supérieur ». Le juge Middleton, à l’avis duquel deux membres de la Cour souscrivaient, ainsi que le juge en chef, qui se fondait toutefois sur des motifs différents, a résumé ces citations comme suit : [traduction] « Ces citations montrent qu’il y a fusion du recours plutôt que du droit lui-même » (page 86 de Thorne v. Ball).
[58] Le professeur Dunlop résume les arrêts en faisant observer ce qui suit [aux pages 202 et 203] :
[traduction] […] il est difficile de comprendre comment le jugement peut éteindre la créance alors qu’il est encore possible de faire valoir la garantie accessoire. Par contre, la chose est sensée si nous supposons que la créance continue à exister après le prononcé du jugement, du moins aux fins restreintes de permettre au créancier d’agir quant à la garantie accessoire. En d’autres termes, cette conclusion consiste à dire que le créancier et le débiteur ont convenu qu’en cas de défaut, le créancier disposera de deux recours, à savoir une action fondée sur sa créance et le droit additionnel de faire valoir sa garantie.
Ce qui est ici crucial, c’est l’analyse du professeur Dunlop, fondée sur des précédents solides, selon laquelle c’est le recours qui fusionne avec le jugement, de sorte que la créance continue à exister, telle quelle, lorsque le créancier dispose de plus d’un recours, par exemple lorsqu’il peut faire valoir une garantie accessoire.
[59] Le professeur Dunlop analyse ensuite les explications et théories relatives à la position de la garantie accessoire; cette analyse est intéressante, mais elle n’est pas pertinente en l’espèce. Si l’on applique aux présentes circonstances le principe selon lequel la créance continue à exister aux fins d’un autre recours, la Bank of Scotland a certes obtenu un jugement à l’égard de sa créance. Toutefois, la banque détient également une hypothèque qui donne naissance à une réclamation portant sur la chose telle qu’elle est représentée par le produit de la vente du Nel, ce qui constitue en fait un recours fondé sur l’hypothèque, dont il est possible de se prévaloir, pour le plein montant qui est dû, dans le cadre de la présente audience.
g) Le rang de la réclamation de la Bank of Scotland
[60] J’examinerai maintenant la thèse avancée par les créanciers en matière réelle, qui viennent après la Bank of Scotland, à savoir que l’on devrait s’écarter de l’ordre de priorité habituel, de façon que la banque vienne après les créanciers qui ne détiennent pas de privilèges maritimes.
[61] J’ai examiné la question de la compétence en equity que possède la Cour lorsqu’il s’agit de modifier l’ordre habituel de priorité des privilèges maritimes, dans la décision Scott Steel Ltd. c. Alarissa (L’), [1996] 2 C.F. 883 (1re inst.), aux pages 896 et suivantes (de fait, la Cour s’est écartée de l’ordre de priorité habituel dans la décision The Atlantis Two (1999), 170 F.T.R. 1, aux pages 51 et suivantes). Tout cela est fort bien résumé par le juge Richard (maintenant juge en chef), qui a paraphrasé la conclusion que j’avais tirée quant au droit dans la décision Alarissa, supra, lorsqu’il a fait les remarques suivantes en appel (1997), 125 F.T.R. 284 (C.F. 1re inst.), à la page 288 :
Selon le protonotaire, toute modification du classement habituel des priorités en matière maritime devait être fondée sur des principes d’equity. Après analyse de l’espèce Navire Atlantean I, [1979] 2 C.F. 661 à la p. 668 (1re inst.) et de Metaxas et al. c. Navire Galaxias et al. (no 2), [1989] 1 C.F. 368 19 F.T.R. 108, à la page 423 [C.F.] (1re inst.), il est arrivé à la conclusion que l’on ne devrait pas s’écarter de l’ordre habituel des priorités si ce n’est en raison de circonstances particulières, et que le pouvoir en equity de modifier la collocation établie de longue date ne devrait être exercé que lorsque cela est nécessaire pour empêcher une injustice évidente. Il a aussi examiné le jugement rendu par M. le juge Brandon dans l’affaire Navire Lyrana (no 2), Re, [1978] 2 Lloyd’s Rep. 30 (B.R. Cour d’amirauté), où le critère employé était celui du résultat manifestement injuste. Il a exprimé l’avis que, selon ce critère, c’était aux Treasury Branches que revenait la tâche difficile de démontrer l’à-propos d’une modification de l’ordre traditionnel des priorités.
Pour modifier le rang que la Bank of Scotland occuperait habituellement, après un privilège maritime et avant un droit réel prévu par la loi, je dois me fonder sur des circonstances particulières. Les titulaires d’un droit réel prévu par la loi soutiennent que la banque aurait dû prendre plus tôt des mesures contre le Nel. Ils affirment que si elle l’avait fait, la situation aurait pu être portée à la connaissance des fournisseurs de marchandises et de services et ceux-ci auraient pu refuser de faire crédit. Ils disent qu’il n’est pas juste que la banque n’ait pas pris de mesures; en effet, si la banque continuait à occuper le même rang, elle s’enrichirait dans une certaine mesure, et ce, parce qu’elle a tardé à agir. Ce principe est résumé comme suit dans un passage de Gilmore et Black dans The Law of Admiralty, 2e éd., 1975, section 9-84 :
[traduction] Supposons que le créancier hypothécaire sache que le débiteur hypothécaire est insolvable et qu’il sache également que s’il continue à exploiter le navire, le débiteur accumulera nécessairement de gros comptes pour des approvisionnements et des réparations qu’il ne sera pas en mesure de payer dans le cours normal de ses affaires. En pareil cas, si, après qu’il y a eu défaut, le créancier hypothécaire permet au débiteur de poursuivre ses activités, il y aurait légitimement lieu de conclure que l’hypothèque a perdu le rang prioritaire qu’elle occupait par rapport aux privilèges qui venaient après elle. Il importerait peu que l’on explique ce résultat en invoquant le retard indu (le préjudice subi par les titulaires de privilèges est suffisamment évident) ou la subordination fondée sur les principes de l’equity.
The Law of Admiralty est un ouvrage américain. Le passage a été cité avec approbation dans la décision The Skyptron, 621 F.Supp. 171 (D.C. La 1985), mais le critère énoncé par Gilmore et Black semblerait un peu moins rigoureux que celui que j’ai énoncé dans la décision Alarissa. De fait, par la suite, dans la décision Alaskan Harvester, The, [1990] A.M.C. 853, rendue par la Cour américaine du district de Seattle, l’application de ce passage de Gilmore et Black a été qualifiée de [traduction] « pure remarque incidente », en ce sens que c’est le droit étranger qui s’appliquait plutôt que le droit américain. Les faits de l’affaire Skyptron étaient plutôt particuliers; en effet, l’emprunteur et le prêteur partageaient le même bureau, de sorte que le prêteur [traduction] « était suffisamment proche pour entendre les loups à la porte (du débiteur hypothécaire); mais il a néanmoins laissé le navire et ses exploitants s’endetter encore plus ». En outre, dans l’affaire Skyptron, le défaut durait depuis environ deux ans, alors que les propriétaires du Nel ont fait défaut le 27 mai 1997 à l’égard de l’hypothèque détenue par la Bank of Scotland et que le Nel a été saisi au mois de novembre 1997, soit environ cinq mois plus tard.
[62] À coup sûr, l’avocat d’Alpha Bunkering Co. Ltd., qui est l’un des créanciers en cause, fait état de signes avant-coureurs remontant peut-être à l’été 1996, montrant que des créanciers impayés exerçaient des pressions sur le propriétaire du Nel. Alpha Bunkering, Aktina S.A. et Ashland Chemical Company ont préparé deux volumineux recueils de documents : il serait possible de considérer certains documents comme accusant la Bank of Scotland d’avoir tardé à faire valoir sa garantie. Pour justifier encore la modification du rang occupé par la banque en vertu de son hypothèque, Alpha Bunkering a fait beaucoup d’efforts pour établir la chronologie des événements qui, soutient-elle, montre que la banque aurait dû prendre des mesures plus tôt, à un moment où les autres créanciers avaient moins à perdre ou auraient été avertis, par une saisie-arrêt ou par un autre genre de saisie, qu’ils ne devaient plus faire crédit. Pourtant, Alpha Bunkering a néanmoins touché en juillet 1997 environ 250 000 $ à l’égard du combustible fourni. Il serait possible de résumer la situation des propriétaires du Nel en disant que, pendant la période en question, ils n’étaient peut-être pas dans une situation très différente de celle dans laquelle se trouvent de nombreux propriétaires de navires. Plus précisément, les propriétaires de la flotte dont le Nel faisait partie avaient des dettes, mais ils exploitaient néanmoins leurs navires et ils envisageaient de vendre l’un de leurs quatre navires afin d’avoir des rentrées de fonds additionnelles. En ce qui concerne la Bank of Scotland, elle prévoyait recevoir diverses sommes de Leond Maritime, et je songe ici non seulement à la vente envisagée de l’Angelina L., au prix de 1,45 million de dollars, mais au paiement de diverses sommes s’élevant en tout à 450 000 $ résultant du loyer d’affrètement, aux mois de juillet et d’août 1997, ainsi qu’à une somme d’environ 2 329 000 $ provenant d’affrètements, laquelle a été reçue au milieu ou à la fin du mois de juin 1997.
[63] Indépendamment du fait que les banquiers s’occupent d’aider leurs clients plutôt que de flottes de navires qui ne sont pas exploités, l’argument selon lequel la Bank of Scotland a commis la faute de tarder à prendre des mesures contre le Nel et contre les autres navires est dans une large mesure fondé sur des suppositions, des insinuations et des hypothèses. Il incombe à la partie qui cherche à faire modifier l’ordre de priorité établi de démontrer clairement, sans s’appuyer sur une sagesse rétrospective, qu’il existe des circonstances spéciales et que le résultat est manifestement injuste. Il aurait été possible de le faire en démontrant en premier lieu qu’il convenait clairement que la banque agisse plus tôt en engageant des procédures de liquidation contre la flotte et, en second lieu, que si la banque avait agi plus tôt, cela aurait considérablement aidé les créanciers. Or, les créanciers n’ont pas satisfait à ces critères.
[64] Pour justifier la modification de l’ordre de priorité habituel, on a également avancé l’argument selon lequel l’attitude de la Bank of Scotland n’était pas irréprochable, puisque la banque avait tenté de cacher le fait qu’elle avait recouvré une somme de 1,7 million de dollars, le soi-disant profit secret. Pourtant, il existait des éléments de preuve montrant que cette somme avait été recouvrée et sur lesquels il aurait été possible de se fonder et, en ce qui concerne la banque, il existe peut-être une justification, même si elle n’est pas objective. À mon avis, en l’absence d’éléments de preuve substantiels et convaincants, je me dois d’hésiter à modifier l’ordre de priorité habituel. J’ai examiné la question à fond dans la décision Scott Steel Ltd., précitée. Je me contenterai ici de mentionner la décision Metaxas c. Galaxias (Le), [1989] 1 C.F. 386 (1re inst.), dans laquelle le juge Rouleau a formulé comme suit la règle qui, selon moi, s’applique à l’heure actuelle au Canada : « Sauf erreur, les pouvoirs dont je dispose en equity pour modifier l’ordre de priorité établi depuis longtemps en droit maritime canadien ne devraient être exercés que lorsque cela est nécessaire pour empêcher une injustice flagrante » (page 423). Dans l’affaire Galaxias, le gouvernement grec avait clairement fait savoir qu’à moins que le syndicat des marins grecs, qui était un syndicat créé par la loi semblable à une société d’État canadienne, ne soit payé au complet à l’aide du produit de la vente du navire, le certificat de radiation du navire ne serait pas enregistré en Grèce, de sorte que l’ordonnance judiciaire prévoyant le transfert du navire aux nouveaux propriétaires ne pourrait pas être exécutée. Fondamentalement, le gouvernement grec et le syndicat des marins demandaient à la Cour fédérale de statuer au fond sur la réclamation, mais ils voulaient également exercer des pressions « équiva[lant] à un chantage » au cas où la Cour refuserait de reconnaître la réclamation du syndicat : Galaxias, à la page 426.
[65] L’affaire Galaxias constitue un exemple clair de ce qui ne constitue pas une circonstance spéciale justifiant la modification de l’ordre de priorité établi. La Bank of Scotland a échoué lorsqu’elle a tenté de soustraire un profit de 1,7 million de dollars à la reddition de compte relative aux sommes qu’elle avait réalisées en vertu de sa garantie hypothécaire, mais la faute était peu importante comparativement à ce qui s’était passé dans l’affaire Galaxias, et où, pourtant, l’ordre de priorité n’avait pas été modifié. Cette tentative ratée visant à soustraire un profit ne constitue pas une circonstance particulière permettant de modifier l’ordre de priorité afin d’éviter une injustice flagrante.
[66] Compte tenu des faits dans leur ensemble, je ne puis constater l’existence d’aucune circonstance particulière créant une injustice flagrante qui justifie la modification de l’ordre de priorité habituel. Dire que la Bank of Scotland aurait dû agir plus tôt, par exemple au mois d’août 1997, immédiatement après qu’Alpha Bunkering eut reçu environ 250 000 $ des propriétaires, c’est imposer après coup une norme beaucoup trop rigoureuse à la banque. En intentant la présente action réelle, le 12 novembre 1997, la banque a pris une décision raisonnable. En l’espèce, je ne suis pas prêt à modifier le rang que la Bank of Scotland devrait se voir attribuer.
h) Sommaire des montants à payer à la Bank of Scotland
[67] La Bank of Scotland a le droit de réclamer le montant soumis le 4 janvier 1999, moins diverses déductions, plus les sommes payées au titre des salaires de l’équipage et des frais de vente.
[68] Plus précisément, la banque a réclamé le principal sur le prêt, le compte de prêts et les paiements effectués en raison de la saisie et les intérêts courus, au 4 janvier 1999, soit en tout le montant de 14 124 420 50 $, ainsi que les salaires de l’équipage et les frais de vente, de 71 067 09 $, ce qui correspond en tout à 14 195 487 59 $.
[69] La première déduction se rapporte au recouvrement de la somme de 1 665 249 40 $ lors de la revente du Blue L., de sorte qu’il reste un solde de 12 530 238 19 $. De cette somme, il faut également déduire divers montants touchés lors de la vente du reste de la flotte, y compris les avances reçues à l’égard du Nel, soit un montant de 10 211 397 $ en tout. Cela réduit donc à 2 318 841 19 $ la créance de la banque, en vertu de l’hypothèque qu’elle détient sur la flotte. Cette somme excède clairement tout montant qui pourrait rester de la vente du Nel une fois que les créanciers occupant un rang prioritaire auront été désintéressés. Par conséquent, la banque a droit à tout excédent une fois payées les créances qui viennent avant la sienne.
[70] Quant aux intérêts, ils continueront à courir sur l’hypothèque, au taux convenu entre la Bank of Scotland et son client. En ce qui concerne les salaires et les frais de vente, les intérêts s’accumuleront au taux de 7 p. 100 jusqu’au 3 décembre 1997, et par la suite au taux moyen sur le produit de la vente du Nel déposé dans le compte portant intérêt.
Réclamation d’Alpha Bunkering
[71] À la demande de M. Liondaras, qui serait l’âme dirigeante des propriétaires du Nel, Alpha Bunkering, du Pirée, en Grèce, a fourni des soutes par l’entremise d’un sous-traitant, à Balboa, Panama, le 27 juillet 1997, au prix de 168 174 53 $. Alpha Bunkering soutient que la fourniture des soutes a entraîné la création d’un privilège maritime en vertu du droit panaméen ou du droit américain.
[72] J’ai examiné l’affidavit de l’expert Daniel Tadros, déposé pour le compte d’Alpha Bunkering, ainsi que l’affidavit de l’expert Alan Pragg, déposé pour le compte d’Ashland Chemical Company et qui portait non seulement sur la réclamation d’Ashland, mais aussi sur celle d’Alpha Bunkering. J’ai également examiné, tout en le rejetant, l’avis de Juan Morgan, qui estimait que, sous le régime du droit de Panama, il existait un privilège maritime précis qui devrait s’appliquer au combustible fourni. En me fondant sur la clause de compétence relative au sous-traitant qui a fourni le combustible que le propriétaire du Nel avait commandé à Alpha Bunkering, j’ai conclu que c’est le droit américain qui s’applique et qu’Alpha Bunkering est titulaire d’un privilège maritime. Des explications additionnelles s’avèrent nécessaires à ce sujet.
[73] La demande de fourniture des soutes au Nel, à Panama, avait été faite par les propriétaires et confirmée par Alpha Bunkering, du Pirée, dans un télex en date du 25 juillet 1997. Le télex stipulait expressément que la fourniture était assujettie aux conditions locales exigées par l’agent qui ferait la livraison comme telle du combustible. Alpha Bunkering a pris des dispositions pour que le combustible soit fourni par l’entremise de Coastal Refining and Marketing Inc., une société américaine, qui a demandé à sa filiale panaméenne, Coastal Energy of Panama Inc., de faire la livraison comme telle du combustible.
[74] Je parlerai ici brièvement du compte de 168 174 53 $ du 12 août 1997 d’Alpha Bunkering, se rapportant à la fourniture du combustible au Nel, lequel compte était, selon la confirmation de la désignation d’un fournisseur, payable dans un délai de 45 jours. Des intérêts sont exigés au taux mensuel de 2 p. 100, comme l’a déclaré un administrateur d’Alpha Bunkering, M. Karatza. Le montant du chèque postdaté émis par le propriétaire du Nel pour les soutes, lequel n’a pas été honoré, confirme également ce taux d’intérêt.
[75] Alpha Bunkering adopte plusieurs approches en vue d’établir l’existence d’un privilège maritime : premièrement en vertu du droit panaméen, deuxièmement en vertu des dispositions contractuelles et troisièmement en vertu du droit américain. Je reconnais que la fourniture des soutes à Panama crée un privilège maritime en vertu de l’article 1507 du Commercial Code of Panama. Toutefois, les parties ont stipulé que c’était le droit américain qui régissait l’opération, de sorte que le Commercial Code of Panama ne s’appliquait pas.
[76] Les experts d’Alpha Bunkering se fondent sur les dispositions type établies par Coastal Energy of Panama Inc., au sujet de l’application du droit américain et de l’existence d’un privilège maritime contractuel, lesquelles sont énoncées dans le passage suivant :
[traduction] L’acheteur, pour son propre compte et pour le compte du propriétaire du navire, déclare et convient que la livraison du mazout au navire en vertu des présentes créera un privilège maritime valide en faveur du vendeur. La présente entente ainsi que son exécution et son application seront régies par le droit maritime des États-Unis d’Amérique, indépendamment du droit du ressort où des procédures sont engagées à l’égard du présent contrat ou de tout navire auquel la livraison est effectuée en vertu des présentes.
Alpha Bunkering a également mentionné deux certificats de soutage, l’un pour une petite quantité de fuel léger et l’autre pour des soutes, ces certificats étant signés par le capitaine ou par l’officier en second. Les certificats incorporent le droit américain et les conditions établies par Coastal Energy of Panama Inc. et font expressément mention de l’existence d’un privilège maritime sur le Nel.
[77] Les fournisseurs de combustible qui, dans bien des cas, afin d’être compétitifs, font crédit aux propriétaires de navires sont parfaitement au courant des avantages dont ils pourraient bénéficier (et qu’ils pourraient bien un jour devoir invoquer) s’ils détiennent un privilège maritime pour le prix du combustible. Il est notamment possible d’obtenir un privilège maritime en fournissant le combustible là où le droit est favorable au fournisseur, en faisant passer la commande par un pays où un privilège maritime sera créé ou peut-être en concluant un contrat créant ce privilège. Je ferais ici expressément remarquer qu’un fournisseur étranger d’approvisionnements nécessaires, comme le fournisseur de combustible, qui exerce ses activités dans un pays où aucun privilège maritime n’est accordé pour les approvisionnements nécessaires, en ayant recours à un agent américain, ce dernier fournissant de son côté les approvisionnements comme tels dans un port étranger, peut faire valoir un privilège maritime américain; cette thèse a été examinée à fond dans la décision Fraser Shipyard and Industrial Centre Ltd. c. L’Atlantis Two, précitée, aux pages 27 et suivantes. Dans cette décision-là, j’ai retenu l’avis exprimé par Charles S. Donovan, de la maison Walsh Donovan, à San Francisco, et j’ai de fait cité une partie de l’affidavit qu’il avait déposé à titre d’expert, dans lequel il déclarait que le fournisseur norvégien d’approvisionnements nécessaires, qui exerçait ses activités par l’entremise d’un agent américain, détenait un privilège maritime, et ce, peu importe que les approvisionnements aient été fournis dans un port américain ou ailleurs; j’ai retenu cet avis. Cela est conforme à la preuve d’expert présentée par les créanciers en l’espèce.
[78] Il importe de traiter d’une question qui a été soulevée à l’encontre de l’attribution d’un rang prioritaire à la créance d’Alpha Bunkering. L’expert en droit américain dont la Bank of Scotland a retenu les services, Alfred Yudes fils, de New York, déclare qu’aux États-Unis, le fournisseur d’approvisionnements nécessaires possède un privilège maritime prenant rang avant une hypothèque privilégiée étrangère, mais qu’il n’en va pas de même lorsque les approvisionnements sont fournis en dehors des États-Unis. Le privilège maritime se rapportant aux approvisionnements nécessaires livrés en dehors des États-Unis vient après une hypothèque privilégiée étrangère. Le principe général applicable en l’espèce, qui est bien établi, est qu’un nombre restreint seulement de soi-disant privilèges maritimes américains viennent avant une hypothèque. Il serait possible de classer par catégories les privilèges maritimes américains en privilèges maritimes prioritaires ou en privilèges maritimes ordinaires, mais ces derniers ne sont pas analogues à notre droit réel prévu par la loi. La réponse à cette question se trouve dans les arrêts The Strandhill v. Walter W. Hodder Co., [1926] R.C.S. 680, et l’Ioannis Daskalelis.
[79] En ce qui concerne les créances réelles américaines, les tribunaux canadiens ont déterminé le droit quant au fond revendiqué dans leur ressort et ont alors attribué à ce droit le rang qui convenait dans le contexte canadien des priorités, ce qui est en général un processus mécanique assez simple. Toutefois, il importe d’examiner de près le privilège maritime américain.
[80] Le privilège invoqué par Alpha Bunkering n’est pas un privilège maritime prioritaire en ce sens qu’à mon avis, il a pris naissance après l’enregistrement de l’hypothèque de la Bank of Scotland : voir pour plus de détails sur ce point la deuxième édition de Tetley, Maritime Liens and Claims, à la page 875. En outre, selon M. Yudes, le privilège maritime relatif aux approvisionnements nécessaires fournis à l’étranger prend lui aussi rang après une hypothèque privilégiée.
[81] La Cour suprême a examiné la question du privilège maritime qui n’est pas un privilège prioritaire dans l’arrêt Ioannis Daskalelis, où le navire était grevé d’une hypothèque antérieure. Cela étant, le privilège que Todd Shipyards Corporation cherchait à faire valoir au Canada n’était pas un privilège maritime prioritaire. La Cour suprême du Canada a reconnu qu’aux États-Unis, le privilège maritime ne venait pas avant une hypothèque; pourtant la question de la priorité aux États-Unis ne faisait pas partie de la décision rendue par la Cour. La Cour a simplement reconnu le droit à titre de privilège maritime et a ensuite attribué un rang à ce droit dans le contexte canadien des priorités. En l’espèce, je reconnais que le privilège invoqué par Alpha Bunkering est un privilège maritime qui est rattaché au navire. Selon le système canadien des priorités, le privilège d’Alpha Bunkering n’est pas un privilège maritime prioritaire, mais il vient néanmoins avant l’hypothèque de la Bank of Scotland.
[82] J’ai examiné plusieurs autres questions que M. Yudes a soulevées dans son affidavit. Il s’agit dans certains cas de points contestables et dans d’autres cas, de questions de fait qu’il appartient à la Cour de trancher. Dans l’ensemble, je retiens les avis des experts Daniel Tadros et Alan Van Praag, sur lesquels Alpha Bunkering se fonde.
[83] En résumé, la somme recouvrée par Alpha Bunkering sur le produit de la vente du Nel s’élève quant au principal à 168 174 53 $, avec des intérêts au taux mensuel de 2 p. 100 à compter du 26 septembre 1997, soit 45 jours après la date de la facture du 12 août 1997.
Réclamation d’Aktina S.A.
[84] Aktina S.A., du Pirée, en Grèce, est un agent de voyages qui s’occupe notamment de fournir des billets d’avion pour que les équipages et le personnel de sociétés maritimes puissent joindre les navires et en revenir, et ce, n’importe où au monde.
[85] Le 19 août 1996, Aktina et Leond Maritime Inc., propriétaire de la flotte dont le Nel faisait partie, ont conclu une entente intitulée : [traduction] « Entente de collaboration » selon laquelle, sur les instructions de Leond, Aktina devait organiser les voyages et acheter les billets. Leond devait acquitter les comptes à bref délai, au plus tard le 15e jour du mois suivant le mois au cours duquel les billets avaient été fournis, à défaut de quoi tout rabais était annulé. Cette entente énonce une procédure de fourniture des billets et de paiement qui, si les parties s’y conformaient, donnait naissance à une simple créance personnelle ne comportant aucun élément réel susceptible de créer un privilège maritime. Cela répond donc à la question, mais il convient d’examiner la réclamation plus à fond.
[86] Aktina avait un compte impayé de 198 738 600 drachmes, ce qui correspond à 692 206 54 $. Sur ce total, Aktina a recouvré les sommes qui lui étaient dues à l’égard de l’Anna L. et a récupéré 98 650 $ à l’égard de la réclamation relative au Blue L.; elle a maintenant abandonné cette dernière réclamation. Par conséquent, Aktina présente maintenant une réclamation s’élevant à environ 530 000 $. Toutefois, ce compte se rapporte en majeure partie aux déplacements aller et retour des membres de l’équipage d’autres navires qui seraient apparemment des navires frères. Seule une somme de 57 938 56 $ se rapporte aux déplacements de l’équipage du Nel.
[87] Aktina affirme que les 9 navires pour lesquels elle a fourni des billets étaient gérés par Leond Maritime Inc.; il s’agit du Nel, du Blue L., de l’Anna L., de l’Angelina L., du Katrina L., de l’Enarxis, du Margo L., du Sea L. et du Nikolaos L. Aktina admet que chacun des neuf navires exploités par Leond appartenait à une société distincte, mais en se fondant sur une déclaration orale que M. Leondaras a faite à l’administrateur délégué d’Aktina, M. Zerzivilis, elle soutient que M. Efstratios Leondaras était le véritable propriétaire de ces navires. La déclaration a apparemment été faite au moment où M. Leondaras a remis une reconnaissance de dette en date du 10 octobre 1997 pour le compte de chacune des neuf sociétés propriétaires de navire. Ce document ne précise pas qui est propriétaire des sociétés ou que les navires sont des navires frères. Selon la traduction certifiée conforme, le document stipule toutefois que les sociétés sont conjointement et individuellement responsables de toute la dette : l’entente ne comporte aucun élément réel.
[88] Conformément à l’arrêt Ioannis Daskalelis, précité, il est possible de faire valoir, sur le plan de la procédure, un privilège maritime étranger au Canada à titre de privilège maritime même si les services rendus ou les approvisionnements nécessaires donnant naissance au privilège maritime étranger ne créaient pas de privilège maritime au Canada.
[89] En l’espèce, tous les facteurs concernant les parties à cette entreprise, aux fins de la fourniture des billets d’avion, se rattachent à la Grèce, même si plusieurs navires, dont le Nel, sont immatriculés à Chypre. Je suis convaincu que le droit qu’il convient d’appliquer au contrat, entre Aktina S.A. et Leond, est le droit grec.
[90] Aktina soutient que s’il s’avérait nécessaire de changer d’équipage, le capitaine ou le personnel de Leond Maritime Inc. décidait des changements nécessaires et Leond organisait ensuite le voyage avec elle. Aktina affirme ensuite qu’elle n’a pas accès aux documents de Leond, mais qu’à son avis, le capitaine d’un navire faisait habituellement parvenir une télécopie à Leond au sujet des changements nécessaires et que Leond prenait ensuite les dispositions appropriées avec elle. En outre, un contrat d’engagement était normalement conclu entre le capitaine et chaque membre d’équipage du navire. Tout cela, à l’exception de la preuve selon laquelle c’était Leond qui organisait de fait les voyages avec Aktina, tout en étant possible, n’est que pure conjecture.
[91] Aktina se fonde sur l’affidavit d’expert quant au droit fourni par Rania Vilentis, qui est spécialisée en droit maritime, en droit de l’amirauté, en droit commercial et en droit bancaire. Je reconnais que Mme Vilentis a compétence à titre d’expert dans le domaine pertinent, c’est-à-dire en ce qui concerne la question des privilèges maritimes sous le régime du droit grec.
[92] Mme Vilentis fait état de diverses créances reconnues en vertu de l’article 205 du Code grec de droit maritime privé à titre de privilège maritime prenant rang avant une hypothèque, mais la fourniture d’approvisionnements nécessaires ne semble pas être visée par l’article 205. Mme Vilentis déclare ensuite que les créances qui ne sont pas mentionnées dans l’article 205 sont considérées comme des privilèges maritimes sous le régime du droit grec dans la mesure où elles sont visées par l’article 2 de la Convention internationale pour l’unification de certaines règles relatives aux privilèges et hypothèques maritimes et protocole de signature, Bruxelles, 10 avril 1926, connue sous le nom de Convention de Bruxelles, en date du 10 avril 1926. L’article 2 de la Convention de Bruxelles prévoit notamment ce qui suit :
Article 2
Sont privilégiés sur le navire, sur le fret du voyage pendant lequel est née la créance privilégiée et sur les accessoires du navire et du fret acquis depuis le début du voyage :
[…]
5) Les créances provenant des contrats passés ou d’opérations effectuées par le capitaine hors du port d’attache, en vertu de ses pouvoirs légaux, pour les besoins réels de la conservation du navire ou de la continuation du voyage, sans distinguer si le capitaine est ou non en même temps propriétaire du navire et si la créance est la sienne ou celle des fournisseurs, réparateurs, prêteurs ou autres contractants.
[93] À l’appui de la thèse selon laquelle l’article 2 de la Convention de Bruxelles est incorporé au droit grec, Mme Vilentis fournit un extrait d’une décision rendue par la Cour suprême grecque. Dans cette décision, qui porte le numéro 229 de 1983, il est statué, compte tenu de décisions antérieures apparemment rendues par une cour d’appel grecque, que la société étrangère qui vend et livre des aliments, du matériel et des fournitures au capitaine d’un navire, qui agit en vertu de ses pouvoirs légaux, de façon que le navire puisse être conservé et continuer son voyage, bénéficie d’un privilège qui vient avant une hypothèque privilégiée.
[94] L’avis contraire a été exprimé par M. Gregory Timagenis, qui, je le reconnais, est un expert fort compétent en droit maritime grec. Les services de M. Timagenis ont été retenus par la Bank of Scotland. L’expert déclare que, sous le régime du droit grec, il n’y a pas de privilèges maritimes à part ceux qui sont énumérés à l’article 205 du Code grec de droit maritime privé. Ces privilèges sont de quatre types : premièrement, les frais judiciaires et les droits de navigation ainsi que les frais d’entretien engagés avant une vente judiciaire; deuxièmement, les réclamations du capitaine et de l’équipage; troisièmement, les indemnités de sauvetage; quatrièmement, l’indemnité payable à la suite d’une collision. L’expert est également d’avis que les tribunaux grecs se sont montrés fort prudents en appliquant la Convention de Bruxelles de 1926, et en particulier l’article 2(5), et qu’ils l’ont interprétée d’une façon stricte. Si je compare les dépositions de M. Timagenis et de Mme Vilentis, je suis porté à retenir les déclarations de M. Timagenis. Toutefois, aux fins de l’argumentation, je retiens la thèse énoncée par Mme Vilentis, à savoir que le Code maritime grec n’est pas exhaustif et que la Convention de Bruxelles s’applique, pour voir où cela nous mènera. Même si je retiens les prémisses sur lesquelles Mme Vilentis s’est fondée, l’argument n’aide pas Aktina, comme nous le verrons.
[95] Il y a deux problèmes qui touchent la création même d’un privilège maritime et qui empêchent par conséquent un privilège maritime de prendre naissance en vertu du l’article 2(5) de la Convention de Bruxelles de 1926. Premièrement, l’entente de collaboration en vertu de laquelle Aktina fournissait les billets à Leond Maritime Inc. est libellée en termes précis : les billets sont uniquement délivrés [traduction] « à la demande de Leond Maritime Inc., faite par téléphone ou autrement (par écrit) ». Le capitaine n’a pas le droit de demander de billets à Aktina et il ne peut donc pas conclure un contrat ou agir d’une façon qui puisse faire entrer en ligne de compte l’article 2(5) et déclencher ainsi la création d’un privilège maritime.
[96] Deuxièmement, l’article 2(5) de la Convention de Bruxelles de 1926 exige, aux fins de la création d’un privilège maritime, que les approvisionnements nécessaires soient commandés par le capitaine. Je ferais ici remarquer que la jurisprudence mentionnée par l’expert d’Aktina, Mme Vilentis, se rapporte à des marchandises qui avaient été vendues et livrées au capitaine et à des contrats qui avaient été conclus ou à des travaux qui avaient été effectués par le capitaine. Je tiens également à faire remarquer qu’il existe une jurisprudence française, dans laquelle la Convention de Bruxelles de 1926 est approuvée et qui dit clairement que l’existence d’un privilège maritime relatif aux approvisionnements nécessaires dépend de la question de savoir si ces approvisionnements ont été commandés par le capitaine : voir par exemple la première édition de Maritime Liens and Claims, Londres : Business Law Communications Ltd., 1985, à la page 258.
[97] Pour en revenir à Mme Vilentis, elle déclare en somme que c’est le droit grec qui s’applique au contrat entre Aktina S.A. et Leond Maritime et qu’en raison de l’article 2(5) de la Convention de Bruxelles, tel qu’il est interprété par les tribunaux grecs, un privilège maritime est reconnu au fournisseur qui fournit dans un port étranger des approvisionnements nécessaires commandés par le capitaine en vertu de ses pouvoirs légaux. Le problème que pose cette analyse se rapporte à l’application de l’article 2(5) de la Convention de Bruxelles de 1926 aux faits de la présente espèce. Mme Vilentis est d’avis qu’Aktina détient un privilège maritime, mais l’application de la Convention de Bruxelles aux faits en question n’a rien à voir avec le droit grec. C’est plutôt à moi qu’il appartient de déterminer quel est le droit applicable. Les documents n’établissent pas que les billets d’avion ont de fait été commandés par le capitaine dans chaque cas ou dans un cas donné. Aktina peut tout au plus soutenir que, selon ce que croyait comprendre son directeur financier, M. Hatziyiannis, le capitaine de chaque navire ou le personnel de Leond Maritime déterminait les changements qu’il fallait apporter à l’équipage et organisait ensuite le voyage avec Aktina et que les capitaines de navires faisaient souvent parvenir des télécopies à Leond Maritime au sujet des changements nécessaires, cette dernière prenant ensuite les dispositions voulues avec Aktina S.A. Aktina se fonde ensuite sur le fait qu’un contrat d’engagement, pour chaque navire, était conclu entre le capitaine et chaque membre d’équipage du navire, c’est-à-dire qu’ils signaient, si je comprends bien, le rôle d’équipage ou contrat d’affectation à un navire. C’est ce qui est énoncé aux paragraphes 15 et 16 de l’affidavit de M. Hatziyiannis, en date du 30 décembre 1997 :
[traduction]
15. Selon ce que je crois comprendre, le capitaine de chaque navire ou le personnel de Leond déterminait les changements nécessaires, en ce qui concerne l’équipage de chaque navire, et Leond prenait ensuite avec Aktina S.A. les dispositions voulues à l’égard des déplacements des membres d’équipage. Aktina S.A. n’a pas accès aux documents de Leond, mais habituellement, le capitaine du navire faisait parvenir à Leond une télécopie au sujet des changements qu’il fallait apporter à l’équipage et cette dernière prenait les dispositions voulues avec Aktina S.A. À l’appui, il y a le fait qu’un contrat d’engagement était conclu pour chaque navire entre le capitaine et chaque membre d’équipage du navire.
16. Sans aucun doute, il fallait apporter des changements à l’équipage, faire venir ou rapatrier des membres d’équipage, des ingénieurs de soutien ou des réparateurs, de façon à garantir le fonctionnement sûr et la préservation du navire et, bien sûr, la continuation du voyage. De toute évidence, pour être exploité ou pour être en état de navigabilité, un navire doit disposer de l’équipage approprié. Les changements d’équipage et l’embarquement des ingénieurs de soutien et des réparateurs seraient bien sûr enregistrés dans les journaux de bord, et l’on indiquerait les dates d’arrivée et de départ de chaque membre d’équipage et des autres personnes en cause. De plus, les membres d’équipage seraient mentionnés dans les comptes rendus généraux des capitaines respectifs (les CRG) et dans la correspondance échangée entre les capitaines et Leond.
[98] Je n’interprète pas cela comme prouvant qu’en fait, le capitaine du Nel ou de quelque autre navire a conclu un contrat avec Aktina en vue de la fourniture de billets d’avion. On espère tout au plus que le capitaine ait commandé les billets d’avion. Cela ne suffit pas; en effet, étant donné qu’un privilège maritime est dans un certain sens un recours exceptionnel, il devrait exister une preuve claire au sujet de la façon dont il a pris naissance dans le contexte de l’article 2(5) de la Convention de Bruxelles. En ce qui concerne la façon dont le privilège aurait pu prendre naissance, Aktina espère ici, en supposant que le capitaine déterminait dans chaque cas les changements à apporter à l’équipage et que, d’une certaine façon, par l’intermédiaire de Leond Maritime qui commandait les billets d’avion, la Convention de Bruxelles s’appliquait à la créance, qu’un privilège maritime ait été créé. Cet espoir et, assurément, cette supposition ne suffisent pas pour que la fourniture des billets d’avions soit clairement visée par l’article 2(5) de la Convention de Bruxelles, qui exige qu’il y ait des « contrats passés ou [des] opérations effectuées par le capitaine […] en vertu de ses pouvoirs légaux ».
[99] Au lieu d’être une créance réelle fondée sur un privilège maritime, cela peut même être une créance personnelle en vertu de l’entente de collaboration conclue entre Aktina et Leond Maritime. La reconnaissance de dette du 10 octobre 1997 n’est pas utile, car elle ne comporte aucun élément réel; il s’agit simplement d’une reconnaissance, de la part de chaque société propriétaire de navire, de l’existence d’une dette à l’égard des billets d’avion. Par conséquent, rien ne montre qu’Aktina ait considéré que les navires eux-mêmes garantissaient sa créance.
[100] Étant donné qu’Aktina a aidé Leond Maritime Inc. à poursuivre ses activités en lui accordant un crédit considérable pour les déplacements des membres d’équipage et qu’elle a tenté, d’une façon raisonnable, de se protéger au moyen d’ententes de nature personnelle, c’est à regret que je rejette sa revendication d’un privilège maritime sur le Nel. Si Aktina a de quelque façon une créance réelle, cette créance vient après celle de la Bank of Scotland en sa qualité de créancière hypothécaire. Quant au reste de la réclamation, en se fondant sur la théorie des navires frères, Mme Vilentis déclare que [traduction] « sous le régime du droit grec, il est possible de faire valoir un privilège maritime contre des navires frères », mais elle ne donne pas d’explications. Toutefois, le fondement invoqué par Aktina à l’égard de l’existence de privilèges maritimes contre les navires qui seraient des navires frères du Nel n’est pas meilleur que celui qui est allégué à l’égard du privilège maritime sur le Nel lui-même. Je n’ai donc pas à examiner la réclamation qu’Aktina a présentée contre les navires frères.
Réclamation d’Ashland Chemical Company
[101] Ashland Chemical Company, que j’appellerai Ashland, fabrique et fournit les produits chimiques nécessaires aux fins du fonctionnement des navires long-courriers, soit dans ce cas-ci le Nel et les navires frères. Les produits chimiques comprennent des gaz frigorigènes, de l’oxygène et de l’acétylène, des produits combustibles et de traitement de l’eau ainsi que des produits de nettoyage. Ces approvisionnements nécessaires ont été fournis aux navires au moyen de ventes conclues avec le capitaine ou le propriétaire de chaque navire désigné, dans des ports américains, canadiens et étrangers. Ashland revendique des privilèges maritimes d’une valeur totale de 88 168 59 $, sur laquelle la somme de 9 712 88 $ se rapporte au Nel. Les conditions étaient « net dans 30 jours ». Ashland réclame des intérêts au taux que la Cour fixera. Les ventes et livraisons étaient assujetties aux lois américaines.
[102] Je reconnais qu’il est établi et bien connu, comme l’a confirmé l’expert d’Ashland, Alan Van Praag, qu’en vertu de la Maritime Lien Act, 46 U.S.C. § 971 (1994) fédérale, telle qu’elle est interprétée par les tribunaux, lorsque les approvisionnements nécessaires sont fournis à un navire par un fournisseur américain ou par l’entremise d’un fournisseur américain, dans un port américain ou ailleurs, un privilège maritime prend naissance en faveur du fournisseur.
[103] Il est irréfutable qu’Ashland dispose d’une réclamation fondée sur un privilège maritime à l’égard du Nel, pour la somme de 9 712 88 $, qu’elle peut faire valoir en vertu de la Loi sur la Cour fédérale et conformément aux arrêts Ioannis Daskalelis, précité; Marlex Petroleum, Inc. c. Le navire Har Rai, [1984] 2 C.F. 345 (C.A.); conf. par [1987] 1 R.C.S. 57; et Galaxias, précitée. Cependant, il est encore plus intéressant de savoir si la revendication d’un privilège maritime par Ashland à l’encontre de neuf autres navires, qui seraient apparemment des navires frères du Nel, s’applique également au Nel, en tant que privilège maritime.
[104] Lors de l’audition de la présente affaire, j’avais déjà commencé à rédiger les motifs de l’affaire Atlantis Two, précitée, dans laquelle j’étais arrivé à une conclusion préliminaire au sujet de la revendication d’un privilège américain à l’encontre d’un navire frère en vertu de la Loi sur la Cour fédérale, mais ces motifs n’ont été rendus publics que plusieurs mois plus tard. Me McEwen, qui représente ici Ashland, était l’un des avocats qui ont occupé dans l’affaire Atlantis Two, mais il agissait pour le créancier hypothécaire et je n’ai donc pas eu l’avantage de connaître son point de vue au sujet de l’exercice d’un privilège maritime américain dans le contexte des navires frères. Lors de l’audience relative au Nel, je n’ai rien entendu qui me fasse changer d’idée sur ce point au cours des plaidoiries. La décision que je rends ici est donc semblable à celle que j’ai rendue dans l’affaire Atlantis Two (qui a été modifiée, quant à une autre réclamation non pertinente en l’espèce (1999), 170 F.T.R. 57). Dans la décision Brussel, précitée, le juge MacKay a souscrit à la décision Atlantis Two. Je reprendrai donc ce que j’ai dit dans la décision Atlantis Two, ce qui constitue à mon avis la seule conclusion qu’il est possible de tirer en vertu de la législation canadienne : le résultat est peut-être malheureux parce qu’il a pour effet de rendre moins utile notre procédure relative aux navires frères, ce qui en général n’est pas une bonne chose étant donné que le Canada, en tant qu’État, ne possède pas de navires, mais dépend de navires étrangers pour son commerce international.
[105] Dans l’affaire Nel, comme dans l’affaire Atlantis Two, on ne m’a référé à aucun arrêt portant sur l’exercice d’un privilège maritime américain quant au fond, à l’encontre d’un navire frère, au moyen de la procédure de la Cour fédérale relative aux navires frères.
[106] Un privilège maritime américain confère un droit sur un bien, à l’encontre d’un navire donné, droit qui se rattache au navire d’une façon inconditionnelle, tant qu’il n’y a pas eu extinction. C’est ce droit qui constitue le fondement de la procédure de l’action réelle américaine, car le privilège est distinct de toute action personnelle. Ce concept et la théorie sous-jacente du privilège maritime américain sont fondés sur la personnalisation du navire, théorie qui va à l’encontre de la théorie procédurale anglaise et canadienne. La théorie est énoncée dans The Law of Maritime Liens, 1940, Sweet & Maxwell, 3e éd. Londres, aux pages 115 et suivantes, ainsi que dans The Law of Tug, Tow and Pilotage, 3e éd., 1994, Cornell Maritime Press, aux pages 784 et suivantes.
[107] Les privilèges maritimes qu’Ashland cherche à faire valoir au Canada en vertu de la procédure canadienne relative aux navires frères sont des droits sur des navires donnés, par opposition aux droits qui pourraient le cas échéant se rattacher à certains autres navires. Cela nous amène à la question de la législation canadienne applicable.
[108] La procédure relative aux navires frères est énoncée au paragraphe 43(8) [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 12] de la Loi sur la Cour fédérale :
43. […]
(8) La compétence de la Cour peut, aux termes de l’article 22, être exercée en matière réelle à l’égard de tout navire qui, au moment où l’action est intentée, appartient au véritable propriétaire du navire en cause dans l’action.
L’article 22 de la Loi, mentionné au paragraphe 43(8), définit la compétence maritime générale de la Cour en matière de navigation et de marine marchande :
22. (1) La Section de première instance a compétence concurrente, en première instance, dans les cas—opposant notamment des administrés—où une demande de réparation ou un recours est présenté en vertu du droit maritime canadien ou d’une loi fédérale concernant la navigation ou la marine marchande, sauf attribution expresse contraire de cette compétence.
Le paragraphe 22(2) donne ensuite des exemples précis, mais non exhaustifs, de la compétence qui est visée par le paragraphe 22(1); l’alinéa 22(2)m) est particulièrement pertinent quant aux fins qui nous occupent :
22. (2) […]
m) une demande relative à des marchandises, matériels ou services fournis à un navire pour son fonctionnement ou son entretien, notamment en ce qui concerne l’acconage et le gabarage;
Cette compétence sur les marchandises et services, qui sont essentiellement des approvisionnements nécessaires, peut être exercée dans le contexte d’un droit réel prévu par la loi comme le prévoit le paragraphe 43(2) de la Loi. Ce droit réel prévu par la loi découlant d’une réclamation relative aux approvisionnements nécessaires vient après les privilèges maritimes et les hypothèques.
[109] Les privilèges maritimes américains quant au fond ne s’appliquent pas dans le contexte des navires frères prévu au paragraphe 43(8) de la Loi, car cette disposition se rapporte simplement à la compétence en matière réelle conférée par l’article 22 de la Loi à l’encontre des navires frères. Il ne s’agit pas d’un droit ou d’un privilège sur un navire que l’on fait valoir contre un autre navire. Ces dispositions n’aideraient le titulaire d’un privilège maritime américain que s’il existait, aux États-Unis, une législation parallèle relative aux navires frères permettant au créancier d’invoquer au Canada un privilège maritime complet contre les navires frères.
[110] L’analyse que Me McEwen a effectuée pour le compte d’Ashland met principalement l’accent sur la distinction à faire d’avec la décision Hollandsche Aannaming Maatschappij c. Ryan Leet (Le) (1998), 135 F.T.R. 67 (C.F. 1re inst.), dans laquelle le juge Rothstein (maintenant juge à la Cour d’appel) a défini le mot « propriétaire » figurant au paragraphe 43(8) de la Loi sur la Cour fédérale d’une façon stricte, en le limitant au propriétaire enregistré et en rejetant la notion de véritable propriétaire, de sorte que dans la plupart des cas, une société qui possède ses navires par l’entremise de nombreuses sociétés n’ayant chacune qu’un navire est protégée contre l’effet de la disposition relative aux navires frères. L’analyse menant à la distinction d’avec cette décision commence par un examen de la Convention internationale pour l’unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer, mieux connue sous le nom de Convention de Bruxelles sur la saisie conservatoire des navires de mer de 1952, que j’appellerai la Convention de 1952.
[111] Le Canada n’a pas ratifié la Convention de 1952. Toutefois, la Cour suprême du Canada a souligné qu’il peut être approprié d’examiner cette convention en interprétant la législation nationale, même si cette législation n’est pas à première vue ambiguë. Dans l’arrêt National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, aux pages 1371 et 1372, la Cour suprême a expressément écarté l’assertion de la Cour d’appel fédérale selon laquelle « le recours à un traité international n’est permis que dans un cas où la disposition de la loi nationale est ambiguë à première vue ». Dans la décision Ssangyong Australia Pty Ltd. et al. c. Navire Looiersgracht et al. (1994), 85 F.T.R. 265 (C.F. 1re inst.), à la page 268. J’ai tenu compte de la Convention de 1952 en interprétant le paragraphe 43(8) de la Loi sur la Cour fédérale :
Selon l’article III de la Convention de 1952, des navires sont réputés avoir le même propriétaire lorsque toutes les parts de propriété appartiennent à la même personne ou aux mêmes personnes à la date à laquelle la créance est née. En revanche, le concept du propriétaire véritable aux termes de la Loi sur la Cour fédérale est peut-être beaucoup plus large que le concept du propriétaire inscrit de la Convention de 1952; en outre, la date pertinente aux fins de déterminer qui est le propriétaire véritable au Canada est la date de l’introduction de l’action.
J’ai alors dit que le concept de propriétaire véritable aux termes de la Loi sur la Cour fédérale est peut-être beaucoup plus large que le concept du propriétaire inscrit de la Convention de 1952. De fait, dans ce contexte, Me McEwen souligne que l’article 12 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, prévoit expressément que tout texte est censé apporter une solution de droit « et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet ». Dans la décision Navire Looiersgracht, j’ai mentionné une interprétation similaire générale et libérale, à la page 268.
[112] Me McEwen soutient que le mot « propriétaire » figurant au paragraphe 43(8) de la Loi sur la Cour fédérale s’entend de l’entité ou de l’individu qui peut de fait exercer des droits de propriété sur le navire en cause et qu’il ne vise pas à faire une distinction entre le véritable propriétaire d’un navire frère et le propriétaire inscrit du navire visé par l’action. Je suis d’accord avec Me McEwen pour dire qu’il existe un bon nombre d’éléments de preuve montrant que les navires de Leond Maritime appartenaient à un propriétaire commun.
[113] Avant de parler de la décision Ryan Leet, Me McEwen traite de l’interprétation donnée à l’expression « véritable propriétaire » dans l’arrêt Mount Royal/Walsh Inc. c. Jensen Star (Le), [1990] 1 C.F. 199 (C.A.), où le juge Marceau a fait les remarques suivantes à ce sujet, à la page 210 :
À mon avis, l’expression « beneficial owner » a été choisie pour indiquer que dans un système d’enregistrement des droits de propriété, il faut regarder au-delà du nom inscrit dans le registre. On ne saurait cependant remonter jusqu’à l’affréteur par voie de cession à bail, qui n’a aucun droit en equity ou à titre de propriétaire susceptible de grever le titre du propriétaire inscrit. Selon moi, cette expression permet d’inclure celui qui se dissimule derrière le propriétaire inscrit lorsque celui-ci sert purement d’intermédiaire, par exemple un fiduciaire, un ayant droit ou un mandataire. [Non souligné dans l’original.]
Selon l’analyse effectuée par Me McEwen, cela nous amène à la décision Ryan Leet.
[114] Dans la décision Ryan Leet, il a été statué que le mot « propriétaire », dans le contexte du paragraphe 43(8) de la Loi sur la Cour fédérale, s’entend uniquement du propriétaire enregistré. Par conséquent, le droit de saisir un navire frère peut uniquement être invoqué lorsque le véritable propriétaire du navire que l’on veut saisir est le propriétaire enregistré du navire qui a donné naissance à l’obligation sur laquelle la cause d’action est fondée. Je ferais ici remarquer que le propriétaire peut donc se soustraire à la saisie d’un navire frère en plaçant chaque navire dans une société distincte, même si chaque société appartient à la même société mère. À mon avis, cela va à l’encontre de l’intention du législateur, qui ne voulait pas qu’il soit possible de se soustraire si facilement à la législation relative aux navires frères. Il s’agit d’un aspect que j’avais bien à l’esprit dans la décision Navire Looiersgracht, à la page 270 :
[…] bien que l’existence des entreprises propriétaires d’un seul navire puisse être légitime, certains propriétaires de navires ont utilisé des moyens très ingénieux pour camoufler toute une flotte en se présentant comme des entreprises propriétaires d’un seul navire afin d’éviter l’application des dispositions relatives aux navires appartenant au même propriétaire et les responsabilités en découlant.
Je crains que c’est ce qui s’est produit en l’espèce, puisque toute la flotte de Leond appartient à des sociétés distinctes ayant chacune un navire seulement.
[115] Dans la décision Ryan Leet, on a adopté une interprétation restreinte fondée sur le sens ordinaire du mot « propriétaire » et sur le fait que le paragraphe 43(8) de la Loi sur la Cour fédérale fait mention tant du véritable propriétaire que du propriétaire. Toutefois, dans l’arrêt Sommers and Gray et al. v. The Queen, [1959] R.C.S. 678, le juge Fauteux, qui a prononcé le jugement au nom de la Cour suprême, a mentionné le principe d’interprétation selon lequel lorsqu’un seul terme est employé, ce terme a toujours le même sens et lorsque des termes différents sont employés, ces termes ont un sens différent; le juge a conclu ce qui suit (à la page 685) :
[traduction] Cette règle d’interprétation équivaut uniquement à une présomption, et, de plus, à une présomption qui n’a pas beaucoup de poids.
De fait, plus récemment, la Cour suprême du Canada a clairement dit que l’approche fondée sur le sens ordinaire, par opposition à l’approche contextuelle moderne, est incorrecte : voir 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 R.C.S. 919.
[116] Dans l’arrêt 2747-3174 Québec Inc., le juge Gonthier, en rendant jugement au nom de huit des neuf juges de la Cour, a opté pour une approche moderne selon laquelle, afin de déterminer correctement l’objectif visé par le législateur, il est tenu compte non seulement des mots eux-mêmes, mais aussi de leur contexte, des autres dispositions de la loi et des dispositions d’autres lois ainsi que de l’historique législatif. Ce n’est qu’après avoir examiné les dispositions en tenant compte de tous ces éléments qu’il est possible d’en arriver à une définition; en exprimant cet avis au sujet de la question de l’interprétation, le juge Gonthier fait remarquer qu’il s’agit de « la synthèse des approches contextuelles qui rejettent l’approche du “sens ordinaire” ». Il souligne ensuite que « [c]ette méthode d’interprétation « moderne » a l’avantage de mettre en lumière les prémisses sous-jacentes et permet ainsi d’éviter qu’elles passent inaperçues comme ce serait le cas avec la méthode du “sens ordinaire” » (aux pages 1002 et 1003). Cela nous amène à la prétention de l’avocat selon laquelle, dans la décision Ryan Leet, l’interprétation donnée au mot « propriétaire » figurant au paragraphe 43(8) de la Loi sur la Cour fédérale, à savoir que ce mot s’entend du « propriétaire enregistré », était fondée sur la définition du « propriétaire » donnée dans la Loi sur la marine marchande du Canada et sur l’alinéa 15(2)b) de la Loi d’interprétation, précitée, ainsi que sur l’hypothèse selon laquelle les deux textes portaient sur le même sujet. L’analyse de la décision Ryan Leet ne tient pas ici compte de la différence qui existe entre le but du paragraphe 43(8) de la Loi sur la Cour fédérale, qui traite de la compétence et des recours dont le demandeur peut se prévaloir dans une action intentée devant la Cour fédérale en matière maritime, et les divers buts législatifs de la Loi sur la marine marchande du Canada, principalement en ce qui a trait à l’immatriculation des navires.
[117] Dans la décision Ryan Leet, l’accent a peut-être aussi été trop placé sur l’arrêt Evpo Agnic, The, [1988] 2 Lloyd’s Rep. 411 (C.A.). L’arrêt Evpo Agnic portait sur une disposition relative à la saisie, le paragraphe 21(4) de la Supreme Court Act, 1981 [(R.-U.), 1981, ch. 54], dans laquelle une distinction était faite entre le propriétaire et la personne qui exerce un contrôle sur un navire. Cela est passablement différent du paragraphe 43(8) de la Loi sur la Cour fédérale où, contrairement à la législation anglaise, aucune distinction de ce genre n’est faite de façon à établir une distinction entre le propriétaire enregistré et le propriétaire de fait du navire qui exerce réellement le contrôle ultime sur le navire et jouit des droits de propriété. Il est ici soutenu que le fait que le mot « propriétaire » n’est pas accompagné d’un qualificatif devrait s’interpréter comme voulant dire qu’il s’entend du propriétaire au sens large, plutôt qu’au sens strict de propriétaire inscrit ou de propriétaire enregistré. De fait, dans l’arrêt Jensen Star, précité, la Cour d’appel, en faisant remarquer les distinctions qui existent entre la législation britannique et la législation canadienne portant sur la compétence en matière réelle, a souligné qu’« [i]l ne serait certainement pas justifié d’introduire passivement dans notre droit la jurisprudence anglaise » (à la page 209). Cela nous amène à une distinction entre la situation qui existait dans l’affaire Ryan Leet et la situation présente. Dans l’affaire Ryan Leet, les propriétaires enregistrés en cause étaient de véritables sociétés en exploitation, une société étant propriétaire de l’autre. En l’espèce, Me McEwen soutient, avec raison à mon avis, que les propriétaires enregistrés de la flotte de Leond Maritime sont des sociétés fictives et que la société qui exploite tous les navires est Leond Maritime Inc. Dans l’affaire Ryan Leet, le juge Rothstein n’était pas prêt à adopter ce qu’il considérait comme un écart radical et à lever le voile corporatif afin d’accorder un recours relatif aux navires frères, mais il a ajouté ceci, dans une note de bas de page [à la page 70, note 1] :
Si la propriété de navires par des sociétés distinctes était considérée être une manœuvre frauduleuse ou une frime, un tribunal serait peut-être disposé à établir le lien entre les deux sociétés.
[118] Il est possible de faire une distinction entre la présente affaire et l’affaire Ryan Leet, car les sociétés qui sont propriétaires enregistrées sont de simples sociétés de façade ou sociétés fictives camouflant le fait que c’est Leond Maritime Inc. qui est le propriétaire réel. Je suis ici d’accord pour dire qu’Ashland pourrait faire valoir toutes ses réclamations, en se fondant sur la doctrine des navires frères ou autrement, à l’encontre du Nel, mais je ne suis pas prêt à dire qu’il est possible de faire valoir à l’encontre du Nel en tant que privilèges maritimes les réclamations découlant des approvisionnements nécessaires fournis aux autres navires.
[119] Me McEwen, avec raison, conclut que la question du transfert d’un privilège maritime un navire frère n’avait pas alors été directement réglée, faisant ainsi une distinction d’avec la décision Leoborg (No. 2), The, [1964] 1 Lloyd’s Rep. 380 (H.C. Aust.), où la question avait expressément été laissée en suspens étant donné qu’elle n’avait pas été débattue (page 382). Dans Enforcement of Maritime Claims, 2e éd., 1996, à la page 391, Jackson affirme qu’un privilège maritime est limité au navire visé par la réclamation et qu’il ne peut donc être exercé contre un navire frère qu’en tant que privilège prévu par la loi, mais il ne cite pas d’ouvrages et d’arrêts à l’appui. À coup sûr, tel est l’avis exprimé par Tetley dans Maritime Liens and Claims, 2e éd., précité à la page 1032 :
[traduction] La saisie d’un navire frère est en réalité une saisie-arrêt en mains tierces, soit dans ce cas-ci, une saisie-arrêt du navire frère. Comme une saisie-arrêt en mains tierces, la saisie d’un navire frère ne veut pas dire qu’il est possible de faire valoir contre le navire frère le privilège maritime auquel le navire en cause est assujetti. Ainsi, le créancier qui peut détenir un privilège maritime sur le navire en cause à l’égard des dommages subis lors d’une collision ne détient pas de privilège maritime contre le navire frère. Seul le navire en cause est assujetti au privilège maritime. Le créancier qui fait valoir sa garantie contre le navire frère prend rang après les titulaires de privilèges maritimes sur le navire frère; il est juste qu’il en soit ainsi parce que les droits des titulaires de privilèges auxquels le navire frère est assujetti doivent être respectés. La personne qui a une réclamation à l’encontre du navire en cause n’a en réalité qu’un droit réel prévu par la loi, ou quelque chose du genre d’une saisie-arrêt, à l’égard du navire frère.
Ce passage, dans lequel il est conclu que seul le navire en cause est assujetti à un privilège maritime et que les navires frères sont assujettis à un droit réel prévu par la loi semblable à une saisie-arrêt en mains tierces, est malheureusement fondé sur les décisions Beldis, The, [1936] P. 51 (C.A.); et Julindur, In re The (1853), 1 Sp. Ecc.& Ad. 71; 164 E.R. 42, qui ont toutes les deux été rendues avant que la législation sur les navires frères ait été édictée. La décision Acrux, The, [1965] P. 391, sur laquelle M. Tetley se fonde également, portait sur des privilèges maritimes découlant de lois étrangères qui n’avaient pas d’équivalent en droit anglais. La décision Acrux a été rejetée dans l’arrêt Galaxias, précité, aux pages 412 et 413, pour le motif qu’elle n’était pas conforme au droit maritime canadien. Toutefois, tout cela indique que le navire en cause est le seul navire assujetti au privilège maritime, conclusion qui a été tirée dans la décision Atlantis Two, précitée, à la suite d’une analyse des principes de base.
[120] Normalement, je ne traiterais pas de décisions rendues après qu’une question a été débattue sans demander aux avocats de présenter des arguments additionnels. Toutefois, en l’espèce, la réclamation d’Ashland a déjà fait l’objet d’une audience complète et, à mon avis, il n’y a rien d’autre à dire, surtout s’il est tenu compte de l’avis exprimé par le juge MacKay dans la décision Le Brussel, précitée, à savoir qu’un privilège maritime constitue une créance privilégiée contre le navire en cause, par application de la loi. Ce privilège se rattache au navire en question. Le juge MacKay a rejeté l’idée selon laquelle la Loi sur la Cour fédérale devrait être interprétée de façon à accorder aux titulaires de privilèges maritimes qui ont une créance à l’égard d’un navire le même rang qu’à l’égard d’un navire frère saisi au Canada. Il croyait qu’il n’était pas possible de donner pareille interprétation en l’absence de dispositions légales; il a ensuite cité le passage suivant [au paragraphe 21] de la décision Atlantis Two :
[…] le privilège maritime américain fondamental n’est pas visé par la disposition relative aux navires frères, à savoir le paragraphe 43(8) de la Loi, qui se rapporte simplement à la compétence conférée à la Cour par l’article 22 de la Loi, soit une compétence en matière personnelle qui peut être invoquée contre un navire frère plutôt qu’un droit ou privilège existant sur un navire, qui est exercé contre un autre navire. Si les titulaires de privilèges maritimes américains voulaient utiliser ici au Canada la procédure relative aux navires frères, il devrait exister aux États-Unis des dispositions législatives sur les navires frères permettant à ces titulaires d’invoquer au Canada un privilège maritime complet contre le navire frère.
Bien sûr, le titulaire d’un privilège, à supposer qu’il puisse également faire valoir un droit personnel contre le propriétaire du navire et à supposer que ce dernier soit, au moment pertinent, non seulement propriétaire du navire débiteur fautif, mais aussi du navire frère ou des navires frères, pourrait invoquer ce droit personnel au Canada et l’exercer, sur le plan de la procédure, contre tout navire frère. Toutefois, pareille créance occuperait uniquement le même rang qu’un droit légal réel, ce qui est peu utile en l’espèce, étant donné que le produit de la vente est restreint.
[121] Cela nous amène à la conclusion selon laquelle une personne qui est dans la situation d’Ashland peut faire valoir ses créances sur le Nel contre des navires liés au Nel en vertu de la disposition de la Loi sur la Cour fédérale relative aux navires frères, mais qu’en pareil cas, ces créances n’ont pas le même statut qu’un privilège maritime. Il s’agit de droits réels prévus par la loi prenant rang après une hypothèque.
[122] L’avocat d’Ashland soutient ensuite subsidiairement que la créance de la Bank of Scotland devrait être payée après celle d’Ashland. J’ai déjà rejeté pareille idée. Je tiens à ajouter qu’Ashland est un fournisseur expérimenté qui est parfaitement au courant des problèmes que pose la fourniture d’approvisionnements nécessaires dans des pays où il n’y a pas de législation concernant les navires frères. En outre, en Angleterre, la législation relative aux navires frères n’aide pas un tel fournisseur, car un privilège maritime américain ne continue pas à exister comme privilège maritime sous le régime du droit anglais. En l’espèce, le seul facteur inconnu se rapportait à la situation qui existe au Canada relativement aux privilèges maritimes et aux navires frères. Il est peut-être malheureux qu’Ashland ne puisse pas avoir priorité dans la présente instance, mais telle est la conclusion que j’ai tirée.
[123] Ashland soutient également que la Bank of Scotland devrait occuper un rang inférieur conformément à la doctrine de la collocation, selon laquelle si un créancier ne peut faire valoir sa réclamation que sur un seul fonds alors qu’un autre créancier détenant une garantie peut faire valoir la sienne sur plus d’un fonds, ce dernier créancier est dans certains cas obligé d’organiser le recouvrement de façon à ne pas causer de préjudice au premier créancier. Ce concept a été examiné dans la décision Scott Steel Ltd. c. L’Alarissa, précitée, aux pages 930 et suivantes. Le problème qui se pose ici est que même s’il contrôle toute la flotte, M. Leondaras n’a jamais fourni de garantie : voir la question 558 qui a été posée lorsque M. Myles, de la Bank of Scotland, a été contre-interrogé le 21 août 1998. Sauf en ce qui concerne le Blue L., rien ne montre que la banque ait reçu des droits éventuels ou qu’elle puisse réclamer aux acheteurs des navires de la flotte de Leond Maritime des fonds qui pourraient entraîner le partage du fardeau en vertu de la doctrine de la collocation. La banque ne disposait donc d’aucun autre fonds à épuiser en premier lieu.
[124] En résumé, Ashland obtiendra la somme de 9 712 88 $, en sa qualité de titulaire d’un privilège maritime prenant rang avant la Bank of Scotland. Il est possible de calculer les intérêts pour chacune des factures, qui vont du mois de décembre 1996 au mois d’avril 1997, les conditions de paiement étant « net dans 30 jours », mais sur examen, il est plus simple d’adopter un taux moyen : les intérêts n’étant pas précisés dans les factures, le taux applicable sera de 7 p. 100 sur l’ensemble du montant, à compter du 15 février 1997 jusqu’à la date de la vente et, par la suite, le taux applicable sera celui auquel les intérêts ont été payés sur le produit de la vente pendant qu’il était détenu en fiducie.
Réclamation de Sait Communications S.A.
[125] Sait Communications S.A., d’Anvers, en Belgique, fait valoir un privilège maritime d’un montant de 776 000 francs belges, ce qui correspond à 20 672 64 $, avec les intérêts.
[126] Les fournisseurs belges d’approvisionnements nécessaires, en vertu de la Convention internationale pour l’unification de certaines règles relatives aux privilèges et hypothèques maritimes et protocole de signature, signée à Bruxelles le 10 avril 1926, détiennent des privilèges maritimes pour des réclamations contractuelles conformément à l’article 23 du Code maritime belge, qui prévoit notamment qu’il existe un privilège maritime pour :
5) Les créances provenant des contrats passés ou d’opérations effectuées par le capitaine hors du port d’attache, en vertu de ses pouvoirs légaux, pour les besoins réels de la conservation du navire ou de la continuation du voyage, sans distinguer si le capitaine est ou non en même temps propriétaire du navire et si la créance est la sienne ou celle des fournisseurs, réparateurs, prêteurs ou autres contractants.
[127] J’ai examiné l’affidavit de Trudo Motmans, un avocat belge, que la Bank of Scotland a présenté à titre d’expert. Compte tenu des titres de compétence de M. Motmans, il convient de le considérer comme un expert en droit maritime belge, en particulier en ce qui concerne les réclamations fondées sur un privilège maritime sous le régime du droit belge.
[128] M. Motmans concède que le Code maritime belge accorde un privilège maritime qui continue à exister même après la vente d’un navire. Toutefois, il soulève un argument initial convaincant, en se fondant sur l’affidavit de réclamation de M. Erick Ceuppens, directeur général et administrateur délégué de Sait Communications S.A., à savoir que le contrat de service invoqué a été conclu entre Sait Communications S.A. et Oceanprofile Maritime Limited, en sa qualité de propriétaire du navire, et Leond Maritime Inc., en sa qualité d’agent du propriétaire du navire. Le contrat n’ayant pas été conclu par le capitaine, comme l’exige le Code maritime belge, aucun privilège maritime ne peut prendre naissance.
[129] Deuxièmement, M. Motmans fait remarquer que le contrat doit être conclu ailleurs qu’au port d’attache : à son avis, cela n’est pas conforme à la condition relative au port d’attache énoncée dans le Code maritime belge. Troisièmement, pour qu’un privilège maritime soit créé, le capitaine doit avoir agi en se fondant sur les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi. Dans ce cas-ci, le capitaine n’a pas signé l’entente. De l’avis de M. Motmans, il s’agit d’un autre défaut. Quatrièmement, pour être admissibles à titre de privilège maritime, les services rendus doivent être nécessaires aux fins de l’entretien du navire ou de la continuation du voyage. De l’avis de M. Motmans, le fait que les services n’ont été rendus qu’au mois de mai 1997 porte un coup fatal.
[130] Certaines de ces prétentions sont contestables. Toutefois, le fait que, dans ce cas-ci, la réclamation ne résulte pas d’un contrat passé par le capitaine hors du port d’attache, en vertu de ses pouvoirs légaux, est à mon avis persuasif. Je conclus que Sait Communications S.A. n’a acquis aucun privilège maritime.
Réclamation de Bureau Véritas
[131] Bureau Véritas, une société de classification de navires établie en France, réclame une somme correspondant à 10 547 04 $ pour diverses études effectuées à Pohang, en Corée. Ces études ont été effectuées conformément à une entente conclue le 29 juin 1995 entre Bureau Véritas et Leond Maritime, par laquelle cette dernière convenait de faire classer tous les navires qu’elle exploitait et tout nouveau navire par Bureau Véritas. De son côté, Bureau Véritas s’engageait à inspecter les navires aux fins du classement ou en application de la loi moyennant le paiement de droits annuels fixes exprimés en dollars américains.
[132] Dans l’affidavit d’expert qui a été déposé pour le compte de Bureau Véritas, Thierry d’Ornano, de Marseille, énonce l’historique de l’affaire, joint une copie de l’entente du 29 juin 1995 et conclut que sous le régime du droit français, la réclamation de Bureau Véritas constituait un privilège maritime, qui avait été créé en temps utile, les inspections ayant été effectuées au mois de septembre 1997.
[133] M. D’Ornano n’énonce pas la raison pour laquelle il conclut à l’existence d’un privilège maritime. Toutefois, je remarque que la France a ratifié la Convention de Bruxelles de 1926 sur les privilèges et les hypothèques maritimes et l’a adoptée, y compris l’article 2(5), dans sa propre législation. Par conséquent, un fournisseur d’approvisionnements nécessaires dispose dans certains cas d’un privilège maritime.
[134] Dans la deuxième édition, 1998, de Maritime Liens and Claims, M. Tetley énonce les conditions applicables au privilège relatif aux approvisionnements nécessaires en France, aux pages 607 et suivantes. Il souligne ce qui suit :
[traduction] a) Les approvisionnements nécessaires doivent être commandés par le capitaine. La Cour d’appel de Paris a statué que la réclamation d’un fournisseur de soutes n’était pas privilégiée parce que les soutes n’avaient pas été commandées par le capitaine. De fait, le fournisseur avait traité avec le propriétaire du navire et il a été statué qu’il s’était fondé sur le crédit de ce dernier. Toutefois, le même tribunal a reconnu le privilège d’un autre fournisseur à l’égard du même navire parce que, dans ce cas-là, les fournitures avaient été commandées par le capitaine.
[135] En l’espèce, Bureau Véritas a clairement traité avec le propriétaire du navire plutôt qu’avec le capitaine et a de fait conclu un contrat avec le propriétaire. Tout semble indiquer que Bureau Véritas s’est fondé sur le crédit du propriétaire du navire. Cela ressemble à la situation que j’ai ci-dessus analysée à fond dans le cas de la réclamation d’Aktina et que j’ai mentionnée dans le cas de la réclamation de Sait Communications.
[136] La réclamation de Bureau Véritas à l’égard d’une partie du produit de la vente, fondée sur un privilège maritime, est rejetée. Je n’ai pas à déterminer si Bureau Véritas dispose d’une réclamation sous la forme d’un droit réel prévu par la loi, ou s’il s’agit simplement d’une réclamation personnelle contre Leond Maritime, car cette réclamation prendrait rang après celle de la Bank of Scotland : il n’y aura pas suffisamment de fonds pour payer la créance de la Bank of Scotland.
Réclamation de Mariners’ Medical Clinic
[137] Il y a un certain nombre de réclamations qui, malheureusement pour les créanciers concernés, ne sont reconnues que comme droits réels prévus par la loi, occupant toutes un rang inférieur à celui de la Bank of Scotland, en sa qualité de créancière hypothécaire. En occupant ce rang, les créanciers concernés ne peuvent rien recouvrer; en effet, même si un montant d’environ 1,7 million de dollars est rejeté à l’égard de sa réclamation, la Bank of Scotland aura droit au reliquat du prix de vente une fois que les créanciers ayant le statut de titulaires de privilèges maritimes auront été désintéressés. C’est malheureux, mais ce n’est pas surprenant, car tel est habituellement le sort réservé aux fournisseurs d’approvisionnements nécessaires, à part ceux qui fournissent des marchandises depuis les États-Unis ou en passant par les États-Unis, qui, pour des raisons de concurrence, estiment devoir vendre à crédit. Le résultat ne surprend pas ces fournisseurs, à moins qu’ils n’organisent leurs affaires de façon à tirer parti du droit américain et du privilège maritime en résultant à l’égard des approvisionnements nécessaires. Ces fournisseurs ont le choix de fournir ou de ne pas fournir les marchandises ou services à crédit lorsque les temps sont incertains dans les milieux maritimes. Cette capacité de décider de vendre ou de ne pas vendre leurs marchandises ou services distingue ces créanciers de Mariners’s Medical Clinic, une organisation de Vancouver qui fournit des services médicaux aux marins et approvisionne les navires en fournitures médicales à l’intention des marins. Dans ce cas-ci, Mariners’ Medical Clinic a veillé à ce que les fournitures médicales destinées au Nel soient vérifiées et elle a approvisionné le navire en fournitures médicales au mois de novembre 1997, de façon qu’il satisfasse à la norme légale. Ces services et fournitures, d’un montant de 1 353 31 $, étaient destinés aux membres de l’équipage du Nel.
[138] Si je comprends bien, Mariners’ Medical Clinic se voit moralement obligée de fournir au besoin des services médicaux aux marins. Je ne voudrais pas non plus voir le docteur Karon, de Mariners’ Medical Clinic, être contraint à choisir les navires auxquels des services médicaux devraient être refusés, que ce soit directement aux membres malades de l’équipage ou indirectement sous la forme de fournitures médicales. De la même façon que les privilèges des marins sont sacrés (John G. Stevens, The, 170 U.S. 113 (1898), à la page 119), et que les réclamations relatives aux soins et traitements fournis aux marins qui sont tombés malades ou qui ont été blessés pendant qu’ils servaient à bord d’un navire occupent un rang élevé selon le système américain des priorités, il en va de même pour les réclamations des personnes qui, n’ayant pas vraiment le choix, assurent le bien-être essentiel des marins, à moins que les circonstances ne dictent le contraire.
[139] En l’espèce, les circonstances sont telles qu’il est approprié et juste que l’ordre de priorité habituel soit modifié de façon à placer Mariners’ Medical Clinic dans une situation analogue à celle du titulaire d’un privilège maritime.
[140] En plus de sa réclamation de 1 353 31 $, Mariners’ Medical Clinic aura droit à des intérêts sur la base « net dans 30 jours », à compter du 11 décembre 1997, au taux applicable au produit de la vente pendant qu’il était détenu en fiducie.
Titulaires de droits réels prévus par la loi
[141] Il y a un certain nombre de créanciers, tant canadiens qu’étrangers, ne bénéficiant pas du privilège maritime accordé aux fournisseurs d’approvisionnements nécessaires qui peuvent se fonder sur le droit d’un pays plus favorable. Les créanciers qui ne bénéficient pas de cet avantage peuvent uniquement invoquer un droit réel prévu par la loi et prendre rang après le créancier hypothécaire. Cela étant, il n’y a pas de fonds excédentaires qui soient disponibles en l’espèce.
[142] Les titulaires de droits réels prévu par la loi sont les suivants :
1. Legend Marine Singapore Ptc. Ltd., un fournisseur d’approvisionnements nécessaires dont la créance s’élève à 23 678 45 $ pour les approvisionnements généraux fournis au navire. Une somme d’environ 280 $ se rapporte à des médicaments, mais Legend Marine, une société qui s’occupe de l’approvisionnement général des navires n’est pas visée par l’exception que j’ai reconnue à l’égard de Mariners’ Medical Clinic, car comme tout autre fournisseur d’approvisionnements nécessaires, elle peut choisir ses clients et elle est parfaitement au courant de la situation dans laquelle elle se trouve, qui est celle d’un fournisseur qui n’a pas droit à un privilège maritime.
2. L’agence des services de santé au travail et d’hygiène du milieu, à Santé Canada, réclame l’équivalent de 445 $ pour la délivrance d’un certificat d’exemption de dératisation. Ici encore, cela donne uniquement naissance à un droit réel prévu par la loi.
3. Tymac Launch Service Ltd., de Vancouver, réclame un montant correspondant à 523 44 $ pour les services de transport par vedette qu’elle a fournis lorsqu’il s’est agi de transporter un pilote et un expert jusqu’au Nel et de les en ramener. Ces services donnent uniquement naissance à un droit réel prévu par la loi.
4. Empire International Stevedores Ltd., de Vancouver, qui a badigeonné à la chaux les cales du Nel afin de les protéger contre la cargaison de soufre, réclame un montant correspondant à 5 846 56 $. Il s’agit d’un droit réel prévu par la loi.
5. Diverses réclamations présentées par Canpotex Shipping Services Limited, ou par l’entremise de cette société, y compris une réclamation pour les soutes, ont été réglées à un stade antérieur de l’instance. Il reste le compte d’agence générale de Canpotex se rapportant aux débours portuaires, d’un montant correspondant à 33 024 31 $. Malheureusement, étant donné qu’il a été établi au nord de la frontière américaine, le compte de Canpotex, qui aurait donné naissance à un privilège maritime aux États-Unis, crée simplement, au Canada, un droit réel prévu par la loi. La réclamation vient donc après l’hypothèque de la Bank of Scotland.
RÉCLAMATIONS ABANDONNÉES
[143] Un certain nombre de fournisseurs d’approvisionnements nécessaires ayant des réclamations contre le Nel ont engagé des procédures distinctes ou déposé des caveat. Certains de ces créanciers ont subséquemment déposé des affidavits de réclamation dans la présente action dans le délai imparti. Les créanciers qui n’ont pas déposé d’affidavits de réclamation sont Tramp Oil & Marine Ltd., United Maritime Supplies Ltd., Petro Marine Products, Howe Robinson & Co. Ltd., Reliance National Insurance et Jardine Shipping Agencies (Hong Kong) Limited. Il se peut que certaines réclamations aient été réglées par les propriétaires ou pour le compte des propriétaires avant l’introduction de la présente action. D’autres créanciers ont peut-être abandonné leurs réclamations. Aux fins du dossier, les cinq créanciers ci-dessus désignés, dans la mesure où leurs réclamations n’ont pas déjà été réglées, sont réputés avoir abandonné toute réclamation sur le produit de la vente du Nel.
CONCLUSION
[144] L’ordonnance qui suit les présents motifs est destinée à faire état de la répartition finale du solde du produit de la vente et des intérêts qui sont détenus en fiducie. Chaque créancier qui a gain de cause doit maintenant faire parvenir à Campney & Murphy, qui détient le produit et les intérêts en fiducie, le calcul de ses intérêts effectué conformément aux présents motifs.
[145] Les avocats voudront peut-être traiter de la question des dépens. La Bank of Scotland a été en partie dédommagée des dépenses qu’elle avait engagées en vue de la mise en vente du Nel et elle aurait droit aux dépens et débours taxables y afférents, mais il ne sert à rien de rendre une telle ordonnance car ces montants proviendraient simplement de l’excédent, qui de toute façon sera remis à la banque.
[146] En ce qui concerne toute autre réclamation relative aux dépens et aux débours, j’aimerais faire remarquer aux créanciers que leurs réclamations ont dans presque tous les cas connu des résultats variables, et qu’il conviendrait donc peut-être que toutes les parties absorbent leurs propres dépens.
[147] Je remercie tous les avocats qui ont participé à l’instance, et ce, depuis aussi loin que la saisie du Nel.