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[2001] 1 C.F. 665

A-673-98

General Motors du Canada et Décarie Chevrolet Oldsmobile Ltée (appelantes)

c.

Décarie Motors Inc./Les Moteurs Décarie Inc. et Registraire des marques de commerce, Industrie Canada, Office de la propriété intellectuelle du Canada, Bureau des marques de commerce (intimés)

Répertorié : General Motors du Canada c. Moteurs Décarie Inc. (C.A.)

Cour d’appel, juges Desjardins, Létourneau et Noël, J.C.A.—Montréal, 11 septembre; Ottawa, 28 septembre 2000.

Marques de commerce — Radiation — Appel de la décision de la Section de première instance rejetant la demande visant à faire radier du registre la marque de commerce « Décarie » et à empêcher la revendication du droit à l’usage exclusif du mot Décarie dans une marque de commerce — Depuis 1949, le concessionnaire d’automobiles intimé était situé boulevard Décarie, une artère bien connue de Montréal, ou à proximité — En 1990, la marque de commerce « Décarie Motors » a été enregistrée — En 1993, une demande a été présentée pour enregistrer la marque « Décarie » — En réponse à l’interrogation du registraire quant à savoir si « Décarie » était principalement un nom de famille, de sorte qu’il ne s’agissait pas d’une marque enregistrable suivant l’art. 12(1)a) de la Loi sur les marques de commerce, le représentant de l’intimée, M. Segal, a déclaré sous serment qu’il ne connaissait personne dont le nom de famille était « Décarie » qui soit dans le commerce de la vente, de la location, de la réparation ou de l’entretien d’automobiles — La marque de commerce « Décarie » a été enregistrée en 1993, et le logo en 1997 — 1) Une fausse déclaration frauduleuse ou une fausse déclaration non intentionnelle, mais importante, peut invalider l’enregistrement — L’omission de signaler l’existence de sociétés faisant affaire sous les dénominations « Passport Décarie Automobiles » et « Décarie Saturn Saab Isuzu » en réponse à une demande précise du registraire ne constitue pas une fausse déclaration frauduleuse — Comme il n’a pas été établi que la réponse était fausse, il n’y a pas de fausse déclaration — Aucune obligation légale de déclarer des faits autres que ceux liés à la question posée — On ne peut exiger du propriétaire d’une marque de commerce qu’il prévoie les obstacles possibles à l’enregistrement et qu’il y réponde à l’avance — Prima facie, la marque « Décarie » n’était pas enregistrable en vertu de l’art. 12(1)b) du fait qu’elle était descriptive d’un endroit, mais elle l’était suivant l’art. 12(2) si elle avait été utilisée au Canada de manière à devenir distinctive à la date du dépôt de la demande d’enregistrement — Le caractère distinctif doit également exister au moment où l’instance en radiation est engagée : art. 18(1)b), 57 — Il convient de se pencher sur le caractère distinctif au moment où l’instance est engagée sur le fondement de l’art. 57 — Le juge de la Section de première instance qui entend la demande de radiation en vertu de l’art. 57 exerce la compétence initiale — Vu la preuve nouvelle concernant l’emploi de la marque « Décarie » par l’intimée, les appelantes et d’autres personnes, le juge a eu tort de se fier au caractère raisonnable de la décision du registraire sans se livrer à une analyse indépendante de la preuve — 2) La marque « Décarie » n’avait pas de caractère distinctif au moment où l’instance en radiation a été engagée étant donné sa faiblesse inhérente et son emploi limité en tant que marque autonome, ainsi que son emploi en liaison avec la vente d’automobiles par des tiers.

Il s’agit d’un appel de la décision de la Section de première instance rejetant la demande des appelantes visant à faire radier du registre la marque de commerce « Décarie » et à empêcher l’intimée Les Moteurs Décarie Inc. de revendiquer le droit à l’usage exclusif du mot Décarie dans sa marque de commerce « Décarie Logo Design ». Depuis 1949, l’intimée Les Moteurs Décarie Inc. était concessionnaire d’automobiles à Montréal. Initialement, son entreprise était située boulevard Décarie, mais elle se trouve actuellement à proximité de cette artère. La marque de commerce « Décarie Motors » a été enregistrée en 1990. En 1993, l’intimée a demandé l’enregistrement de la marque de commerce « Décarie ». Le registraire a demandé si la marque proposée était principalement le nom de famille d’un particulier, ce qui aurait été contraire à l’alinéa 12(1)a) de la Loi sur les marques de commerce, et un représentant de l’intimée, M. Segal, a indiqué qu’il ne connaissait personne dont le nom de famille était « Décarie » qui soit dans le commerce de la vente, de la location, de la réparation ou de l’entretien d’automobiles. En 1995, la marque de commerce « Décarie » a été enregistrée et, en 1997, le logo a été enregistré à titre de marque de commerce. Saisi d’une demande de radiation fondée sur l’article 57, le juge de la Section de première instance a statué que l’intimée avait établi, devant le registraire, le caractère distinctif de sa marque en liaison avec la vente d’automobiles depuis 1971, comme l’exigeait le paragraphe 12(2). Il a par ailleurs conclu que la décision du registraire n’était pas déraisonnable. Le paragraphe 12(2) dispose qu’une marque de commerce qui n’est pas enregistrable en raison de l’alinéa 12(1)a) (un mot étant principalement le nom d’un particulier) peut être enregistrée si elle a été employée de façon à être devenue distinctive à la date du dépôt de la demande visant son enregistrement. Le paragraphe 18(1) prévoit que l’enregistrement d’une marque de commerce est invalide lorsque la marque de commerce a) n’était pas enregistrable à la date de l’enregistrement; b) n’est pas distinctive à l’époque où est engagée la procédure contestant la validité de l’enregistrement. L’article 57 reconnaît à la Cour fédérale la compétence initiale exclusive d’ordonner qu’une inscription au registre soit biffée pour le motif que, à la date de la demande, elle n’exprime pas exactement les droits existants du propriétaire inscrit.

Les questions en litige étaient les suivantes : 1) La marque de commerce « Décarie » était-elle enregistrable à la date de son enregistrement? et 2) La marque était-elle distinctive au moment où l’instance en radiation a été engagée?

Arrêt : l’appel est accueilli.

1) L’enregistrement peut être invalidé par de fausses déclarations frauduleuses intentionnelles ou par de fausses déclarations non intentionnelles, mais importantes au sens où, sans elles, les obstacles à l’enregistrement prévus à l’article 12 auraient été insurmontables. Les appelantes ont fait valoir que l’intimée avait déjà mentionné, dans une action en contrefaçon intentée devant la Cour supérieure du Québec, qu’elle avait appris en 1991 que la défenderesse dans cette instance avait commencé à employer le nom commercial « Passport Décarie Automobiles » ou « Passport Décarie », ou les deux. Il a été allégué que cette omission de donner des renseignements pertinents équivaut à une fausse déclaration frauduleuse. La réponse de M. Segal portait directement sur la question qui lui était posée. Il n’a pas été établi qu’elle était fausse. Il n’y a donc pas eu de fausse déclaration de la part de l’intimée.

Les appelantes ont également soutenu qu’elles avaient l’obligation légale de déclarer entièrement, non seulement l’emploi du nom de famille aux fins de l’alinéa 12(1)a), mais également l’emploi que d’autres concessionnaires faisaient de la marque proposée compte tenu des exigences relatives au caractère distinctif prévues au paragraphe 12(2) et que l’omission de le faire rend la marque nulle ab initio. Exiger de l’intimée qu’elle déclare des faits autres que ceux liés à la question du registraire et qu’elle réponde à une question liée à une demande faite en vertu du paragraphe 12(2), lorsqu’une telle question n’a pas été posée, l’obligerait à prévoir toutes sortes d’obstacles potentiels à l’enregistrement d’une marque proposée et à en traiter à l’avance.

2) Le mot « Décarie » peut s’entendre soit d’un nom de famille soit du boulevard Décarie, une artère importante de Montréal. Prima facie la marque « Décarie » n’était pas enregistrable suivant l’alinéa 12(1)b) du fait qu’elle était descriptive d’un endroit, mais le paragraphe 12(2) prévoit qu’une marque de commerce qui n’est pas enregistrable suivant les alinéas 12(1)a) ou b) peut être enregistrée si elle a été utilisée au Canada de manière à devenir distinctive à la date du dépôt de la demande visant son enregistrement. Cependant, compte tenu de l’alinéa 18(1)b) et de l’article 57, le caractère distinctif doit demeurer pour résister à une contestation judiciaire. Il était plus approprié en l’espèce de traiter du caractère distinctif au moment de l’engagement de la procédure en radiation en vertu de l’article 57.

Le juge de la Section de première instance saisi d’une demande de radiation fondée sur l’article 57 exerce la compétence initiale. Il avait devant lui de nouveaux éléments de preuve attestant l’emploi de la marque de commerce enregistrée par l’intimée sous forme de coupures d’annonces publicitaires, par les appelantes et par Décarie Saturn Saab Isuzu, de même qu’en liaison avec de nombreux commerces, et non exclusivement avec la vente d’automobiles. Vu cette preuve nouvelle, le juge de la Section de première instance ne pouvait simplement se fier au caractère raisonnable de la décision du registraire comme il l’a fait. En omettant d’effectuer une analyse indépendante de la preuve, il a commis une erreur justifiant l’annulation de sa décision.

Le fait que le mot « Décarie » n’était pas utilisé seul comme marque dans l’une ou l’autre des annonces publicitaires des appelantes indique que l’emploi de la marque « Décarie », seule, était faible. De plus, le mot « Décarie » désigne un boulevard bien connu de Montréal et il a été utilisé par d’autres commerçants exerçant leurs activités dans les environs. Soit au moment de l’enregistrement de la marque « Décarie », soit au moment de l’instance en radiation, au moins deux commerçants utilisaient le mot « Décarie » en liaison avec la vente d’automobiles. L’exclusivité dans l’emploi n’est pas une exigence du caractère distinctif, mais l’emploi non exclusif d’une marque est un facteur qu’il faut prendre en considération pour évaluer le caractère distinctif, spécialement lorsque la marque est faible en elle-même. Au moment où a été engagée l’instance en radiation, la marque de commerce de l’intimée n’avait pas acquis de caractère distinctif en raison de sa faiblesse inhérente, et l’emploi limité que l’intimé en a fait, en tant que marque autonome, établit sans l’ombre d’un doute qu’elle n’a pas acquis de notoriété propre.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, art. 2 « distinctive », 12(1)a),b) (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 59), (2), 18(1)a),b),c), 57.

JURISPRUDENCE

DISTINCTION FAITE D’AVEC :

Unitel Communications Inc. c. Bell Canada (1995), 61 C.P.R. (3d) 12; 92 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.); Marchands Ro-Na Inc. c. Tefal S.A. (1981), 55 C.P.R. (2d) 27 (C.F. 1re inst.).

DÉCISIONS CITÉES :

E. & J. Gallo Winery c. Andres Wines Ltd., [1976] 2 C.F. 3 (1975), 25 C.P.R. (2d) 126; 11 N.R. 560 (C.A.); Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145 (2000), 5 C.P.R. (4th) 180; 252 N.R. 91 (C.A.).

DOCTRINE

Fox, H. G. The Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition, 3rd ed. Toronto : Carswell, 1972.

Hughes, Roger T. Hughes on Trade Marks. Markham, Ont. : Butterworths, 1984.

Vaver, D. Intellectual Property Law : Copyright, Patents, Trade-marks. Concord, Ont. : Irwin Law, 1997.

APPEL de la décision de la Section de première instance rejetant la demande visant à faire radier du registre la marque de commerce « Décarie » et à empêcher l’intimée Les Moteurs Décarie Inc. de revendiquer le droit à l’usage exclusif du mot Décarie dans sa marque de commerce « Décarie Logo Design » (General Motors du Canada et al. c. Moteurs Décarie Inc. et al. (1998), 160 F.T.R. 262 (C.F. 1re inst.)). Appel accueilli.

ONT COMPARU :

Francis Rouleau, pour les appelantes.

Harold W. Ashenmil, c.r., pour les intimés.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pinsonnault, Torralbo, Hudon, Montréal, pour les appelantes.

Phillips, Friedman, Kotler, Montréal, pour les intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Desjardins, J.C.A. : Il s’agit d’un appel d’une décision de la Section de première instance[1] qui a rejeté la demande de l’appelante pour faire radier l’enregistrement de la marque de commerce « Décarie » du registre et pour empêcher l’intimée, Les Moteurs Décarie Inc., de revendiquer le droit à l’usage exclusif du mot Décarie dans sa marque de commerce « Décarie Logo Design ».

Les faits

[2]        Les faits sont les suivants :

[3]        Depuis 1949, l’intimée, Décarie Motors Inc./Les Moteurs Décarie Inc. (Moteurs Décarie), a exploité à Montréal un garage s’occupant de vente, de location et d’entretien d’automobiles neuves et d’occasion. Initialement, l’entreprise se trouvait sur le boulevard Décarie, une artère bien connue de Montréal, et est actuellement située dans le voisinage de l’intersection du boulevard Décarie et de l’autoroute 40.

[4]        Le 19 janvier 1989, Moteurs Décarie a déposé une demande pour l’enregistrement de la marque « Décarie Motors ». Suite à une demande du registraire des marques de commerce (le registraire), Moteurs Décarie a déposé une demande d’enregistrement modifiée pour « Décarie Motors », se désistant du droit à l’usage exclusif des mots « Décarie » et « Motors » lorsqu’ils étaient employés en dehors de la marque de commerce dont on demandait l’enregistrement. En 1990, le registraire a enregistré la marque de commerce « Décarie Motors ». La validité de cette marque de commerce, enregistrée sous le numéro TMA 365 045, ne fait pas l’objet de contestation en l’instance.

[5]        En 1993, Moteurs Décarie a déposé une nouvelle demande auprès du registraire pour obtenir l’enregistrement de la marque « Décarie ». Le registraire a répondu que la marque « Décarie » était principalement le nom d’un particulier vivant ou qui est décédé dans les trente années précédentes et par conséquent ne semblait pas enregistrable eu égard à l’alinéa 12(1)a) de la Loi sur les marques de commerce[2] (la Loi).

[6]        Le 18 février 1994, l’avocat de Moteurs Décarie a produit des documents, au moyen d’un affidavit de M. Joel Segal auquel étaient jointes plusieurs annonces publicitaires tendant à démontrer que la marque « Décarie » était devenue distinctive et ne pouvait être confondue avec le nom d’un particulier lorsque employée en liaison avec des véhicules automobiles. Le registraire a enregistré le nom « Décarie » comme marque de commerce le 17 février 1995. Cette marque de commerce porte le numéro d’enregistrement TMA 439 504.

[7]        Le 24 avril 1996, Moteurs Décarie a déposé une demande pour l’enregistrement d’une marque de commerce, soit la représentation graphique de « Les Moteurs Décarie Inc. »

[8]        Le registraire a répondu que les mots Moteurs et Motors devraient faire l’objet d’un désistement car ils décrivent la qualité des marchandises ou des services et, de ce fait, ne semblaient pas enregistrables en vertu de l’alinéa 12(1)b) [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 59] de la Loi.

[9]        En septembre 1996, Moteurs Décarie a déposé une demande révisée d’enregistrement de la marque de commerce dans laquelle elle se désistait du droit à l’usage exclusif des mots Moteur et Motors en dehors de la marque de commerce. Le 28 février 1997, le registraire a publié un avis d’acceptation du logo comme marque de commerce (ci-après « Décarie Logo Design »). La marque, enregistrée le 10 avril 1997, porte le numéro d’enregistrement TMA 474 485.

[10]      Les enregistrements des trois marques « Décarie Motors », « Décarie » et « Décarie Logo Design » indiquent que le nom Décarie a été employé au Canada par Moteurs Décarie depuis au moins le 10 juin 1971.

[11]      L’intimée, Moteurs Décarie, a entamé contre l’appelante Décarie Chevrolet Oldsmobile Ltée et Décarie Saturn Saab Isuzu une action en dommages-intérêts et une demande d’injonction devant la Cour supérieure du Québec en mai 1995 pour les empêcher d’employer la marque « Décarie ».

[12]      Le 2 septembre 1997, les appelantes déposaient des procédures en radiation devant la Section de première instance de notre Cour en vertu de l’article 57 de la Loi. Les appelantes demandent une ordonnance, en vertu des alinéas 18(1)a), b) et c) de la Loi, portant que la marque « Décarie » n’était pas enregistrable au moment de son enregistrement en 1995, qu’elle n’était pas distinctive au moment de l’engagement des procédures en annulation en 1997 et que la marque a été abandonnée.

Le jugement de première instance

[13]      Le juge de la Section de première instance a déclaré que les arguments des appelantes étaient obsolètes au regard des alinéas 12(1)a) et b) de la Loi, auxquels l’alinéa 18(1)a) de la Loi fait référence, puisqu’il était convaincu que l’intimée avait établi devant le registraire le caractère distinctif de ses marques en liaison avec la vente d’automobiles depuis 1971 tel que requis par le paragraphe 12(2) de la Loi. Il a également émis l’opinion, fondée sur la preuve qui lui a été soumise, que la décision du registraire n’était pas déraisonnable.

Le cadre législatif

[14]      Les dispositions législatives pertinentes en l’instance sont ainsi libellées :

2. […]

« distinctive » Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.

[…]

12. (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) elle est constituée d’un mot n’étant principalement que le nom ou le nom de famille d’un particulier vivant ou qui est décédé dans les trente années précédentes;

b) qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d’origine de ces marchandises ou services;

[…]

(2) Une marque de commerce qui n’est pas enregistrable en raison de l’alinéa (1)a) ou b) peut être enregistrée si elle a été employée au Canada par le requérant ou son prédécesseur en titre de façon à être devenue distinctive à la date de la production d’une demande d’enregistrement la concernant.

[…]

18. (1) L’enregistrement d’une marque de commerce est invalide dans les cas suivants :

a) la marque de commerce n’était pas enregistrable à la date de l’enregistrement;

b) la marque de commerce n’est pas distinctive à l’époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement;

c) la marque de commerce a été abandonnée.

Sous réserve de l’article 17, l’enregistrement est invalide si l’auteur de la demande n’était pas la personne ayant droit de l’obtenir.

[…]

57. (1) La Cour fédérale a une compétence initiale exclusive, sur demande du registraire ou de toute personne intéressée, pour ordonner qu’une inscription dans le registre soit biffée ou modifiée, parce que, à la date de cette demande, l’inscription figurant au registre n’exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque.

Les questions en litige

[15]      L’instance soulève trois questions : 1) la question de savoir si le juge de première instance a commis une erreur en concluant que la marque de commerce « Décarie » était enregistrable à la date de son enregistrement, 2) la question de savoir si la marque avait acquis un caractère distinctif au moment de l’engagement des procédures en radiation et 3) la question de savoir si la marque « Décarie » a été abandonnée.

1. La question de savoir si la marque de commerce « Décarie » était enregistrable à la date de son enregistrement

[16]      Les appelantes prétendent que le juge de première instance a omis de prendre en compte le fait que l’affidavit de Segal était incomplet et faux ce qui, disent-elles, rend l’enregistrement nul ab initio.

[17]      Elles se fondent sur les affaires Unitel Communications Inc. c. Bell Canada[3] et Marchands Ro-Na Inc. c. Tefal S.A.[4], et plus particulièrement sur l’extrait suivant de Harold G. Fox[5] qui est cité et approuvé dans ces affaires :

[traduction] La Loi ne renferme aucune disposition en vertu de laquelle les déclarations erronées contenues dans une demande d’enregistrement […] deviennent des motifs d’invalidation de l’enregistrement, à moins que les déclarations erronées aient pour effet de rendre la marque de commerce non enregistrable au sens de l’article 12 de la Loi ou à moins qu’il n’y ait eu des fausses déclarations frauduleuses. [Non souligné dans l’original.]

[18]      L’invalidité de l’enregistrement peut résulter de deux types de fausses déclarations : 1) les fausses déclarations frauduleuses intentionnelles et 2) celles qui, bien que non intentionnelles, sont importantes car, sans elles, les limites imposées par l’article 12 à l’enregistrement auraient été insurmontables.

[19]      Les appelantes font valoir les deux. Elles disent qu’elles étaient des fausses déclarations frauduleuses. Elles disent également que l’intimée a omis de fournir des renseignements pertinents au registraire et que cette omission fait en sorte que les marques de commerce ne sont pas enregistrables au sens de l’article 12 de la Loi.

[20]      L’intimée, Moteurs Décarie, a fait une demande d’enregistrement de la marque « Décarie » en juillet 1993 [traduction] « conformément aux dispositions de la Loi sur les marques de commerce »[6] et sans invoquer aucune disposition particulière de la Loi. Le registraire a vérifié si la marque proposée était principalement le nom de famille d’un particulier, contrairement à l’alinéa 12(1)a) de la Loi. Le registraire a indiqué que [traduction] « Décarie correspondait, dans les bottins, aux noms d’un certain nombre de particuliers vivants : Ottawa : 27, Toronto : 6, Vancouver : 2, Winnipeg : 1, Québec : 10, Montréal : 3 [frac12] colonnes »[7].

[21]      En réponse, M. Segal, dirigeant de l’intimée, a indiqué :[8]

[traduction] Je ne connais personne dont le nom de famille est « Décarie » qui soit dans le commerce de la vente, la location, la réparation ou l’entretien d’automobiles.

[22]      Voilà, disent les appelantes, ce qui constitue la fausse déclaration frauduleuse. Les appelantes font valoir que l’intimée avait déjà mentionné, dans une action en contrefaçon intentée devant la Cour supérieure du Québec[9] contre les sociétés faisant affaire sous les dénominations « Passport Décarie Automobiles » et « Décarie Saturn Saab Isuzu », qu’elle avait appris en avril 1991 que les défendeurs dans cette instance avait commencé à employer le nom commercial « Passport Décarie Automobiles » et/ou « Passport Décarie ». M. Segal, prétend-on, n’aurait pas dû être aussi réticent dans sa réponse au registraire au moment de l’enregistrement. Son omission constituerait une fraude.

[23]      Une fausse déclaration frauduleuse constitue une allégation sérieuse. En l’instance, il faut admettre que l’affidavit de Segal a été donné en réponse à une demande précise du registraire à l’égard de l’emploi du nom ou du nom de famille d’un particulier au sens de l’alinéa 12(1)a) de la Loi. La réponse de Segal portait directement sur la question qui lui était posée. Il n’a pas été établi que cette réponse était fausse, c’est-à-dire que l’intimée savait à ce moment-là que le mot Décarie était employé comme nom ou nom de famille d’un particulier au sens de l’alinéa 12(1)a). Par conséquent, il est impossible dans ce contexte de conclure que l’intimée avait fait une fausse déclaration. Il faut évidemment faire une distinction entre la présente instance et les affaires Unitel Communications Inc. c. Bell Canada[10] et Marchands Ro-Na Inc. c. Tefal S.A.[11] dans lesquelles le tribunal a conclu que les déclarations étaient fausses. Par conséquent, la présomption de bonne foi continue de s’appliquer en faveur de l’intimée.

[24]      Néanmoins, les appelantes disent que les appelantes avaient la responsabilité, en vertu de la loi, de déclarer entièrement, non seulement l’emploi du nom de famille eu égard à l’alinéa 12(1)a) de la Loi, mais également l’emploi que les autres concessionnaires faisaient de la marque proposée à la lumière des exigences portant sur le caractère distinctif prévues au paragraphe 12(2) de la Loi. Le défaut de le faire, prétendent-elles, rend les marques nulles ab initio.

[25]      Exiger de l’intimée qu’elle déclare des faits autres que ceux liés à la question du registraire et l’obliger à répondre à une question liée à une demande faite en vertu du paragraphe 12(2), lorsqu’une telle question n’a pas été posée, l’obligerait à prévoir toutes sortes d’obstacles potentiels à l’enregistrement d’une marque proposée et à en traiter à l’avance. Rien dans la loi et la jurisprudence n’impose une telle norme de conduite.

[26]      La première allégation des appelantes est sans fondement.

2. La question de savoir si la marque « Décarie » avait acquis un caractère distinctif au moment de l’engagement des procédures en radiation

[27]      Le mot Décarie en lui-même peut s’entendre soit d’un nom de famille soit du boulevard Décarie, une importante artère de Montréal[12]. L’intimée fait valoir qu’il peut également s’appliquer à ses services. Décarie, dit-elle, a acquis une notoriété propre du fait que la famille exploite une concession automobile depuis 48 ans. De plus, au moyen de sa publicité, et plus particulièrement du slogan [traduction] « Viens chez Décarie » ou [traduction] « Passe par Décarie », les consommateurs en sont venus à désigner l’entreprise de l’intimée par le nom « Décarie ».

[28]      Il est certainement raisonnable de dire, comme le prétendent les appelantes, que prima facie la marque « Décarie » n’était pas enregistrable en vertu de l’alinéa 12(1)b) de la Loi du fait qu’elle est descriptive d’un endroit (lieu d’origine).

[29]      Le paragraphe 12(2) de la Loi prévoit toutefois qu’une marque de commerce qui n’est pas enregistrable au sens des alinéas 12(1)a) ou b) de la Loi peut être enregistrée si elle a été utilisée au Canada de manière à devenir distinctive à la date du dépôt d’une demande d’enregistrement. Mis en parallèle avec l’alinéa 18(1)b) de la Loi, sur lequel les appelantes se fondent, le caractère distinctif doit également exister au moment où les procédures en radiation ont débuté en 1997. L’article 57 de la Loi précise également que la date de la demande de radiation est la date pertinente pour l’évaluation des droits des parties.

[30]      Le caractère distinctif, qui a été reconnu au moment de l’enregistrement, doit demeurer pour résister à une contestation judiciaire[13]. Il est par conséquent plus approprié en l’instance de traiter du caractère distinctif au moment de l’engagement des procédures en vertu de l’article 57.

[31]      Le juge de première instance, qui entend une demande de radiation en vertu de l’article 57 de la Loi, a compétence initiale. Il ne siège pas en appel ni n’exerce un contrôle judiciaire de la décision du registraire d’enregistrer une marque de commerce. Il doit étudier les questions qui lui sont soumises d’un œil nouveau. Cela est logique car les procédures devant le registraire sont ex parte alors que l’instance en radiation devant le juge est une procédure contradictoire. La partie qui attaque l’enregistrement a le fardeau d’établir qu’il devrait être radié. La marque enregistrée est présumée valide[14].

[32]      En l’instance, le juge de première instance a, avec raison, indiqué au début de ses motifs qu’il ne siégeait pas en appel ni en révision de la décision du registraire. Il avait devant lui une preuve de l’emploi par l’intimée de la marque de commerce enregistrée, à savoir des coupures d’annonces publicitaires jointes au deuxième affidavit de M. Segal. Il a également été informé de l’emploi de la marque « Décarie » par les appelantes et par Décarie Saturn Saab Isuzu. Les deux font l’objet d’une poursuite devant la Cour supérieure du Québec. Il avait également les affidavits des dirigeants des deux appelantes ainsi que des documents indiquant l’emploi de la marque « Décarie » en liaison avec de nombreux commerces, mais pas exclusivement avec des ventes d’automobiles. Vu cette nouvelle preuve, le juge de première instance ne pouvait simplement se fier au caractère raisonnable de la décision du registraire comme il l’a fait. Il aurait dû faire une analyse indépendante de la preuve qui lui a été soumise sur la question. En faisant défaut d’agir ainsi, il a commis une erreur qui justifie l’annulation de sa décision.

[33]      Comme la preuve est essentiellement documentaire et ne soulève aucune question de crédibilité, la présente Cour est en aussi bonne position que le juge de première instance pour déterminer la conclusion qu’il fallait en tirer[15].

[34]      Les annonces publicitaires et les autres documents produits par l’intimée sont sans effet car ils ne portent pas spécifiquement sur la vente d’automobiles. D’autre part, personne ne peut nier le fait que dans aucune des annonces publicitaires des intimés il n’est possible de trouver le mot « Décarie » utilisé seul comme une marque. Les marques « Décarie Motors » ou « Les Moteurs Décarie » y figurent chaque fois. Le mot « Décarie », utilisé seul comme dans [traduction] « Viens chez Décarie » ou [traduction] « Passe par Décarie », figure uniquement dans le texte des annonces publicitaires alors que « Décarie Motors » ou « Les Moteurs Décarie » sont marqués de façon prédominante en lettres majuscules en caractère gras. À lui seul, ce fait est une indication que l’emploi de la marque « Décarie », seule, est faible voire inexistant. Le mot Décarie se retrouve uniquement dans le titre d’un article sur la famille Segal et son entreprise : [traduction] « Les liens familiaux permettent de consolider Décarie »[16]. À nouveau, toutefois, le texte de l’article établit que le titre de l’article parle de Moteurs Décarie.

[35]      De plus, la preuve établit que le mot Décarie désigne dans la collectivité un boulevard bien connu de Montréal, et qu’il a été utilisé par d’autres établissements situés sur ce boulevard ou dans son voisinage. De fait, tant au moment de l’enregistrement de la marque « Décarie » par le registraire qui n’avait pas connaissance de ces faits qu’au moment des procédures en radiation, au moins deux autres utilisateurs employaient le nom Décarie en liaison avec la vente d’automobiles, l’appelante et Décarie Saturn Saab Isuzu. Cela constitue à mon avis une circonstance importante qui, combinée à l’emploi restreint que l’intimée fait de la marque « Décarie », milite contre une conclusion portant que le mot « Décarie », utilisé seul, a acquis un caractère distinctif tel qu’il s’entend des marchandises et services de l’intimée.

[36]      L’avocat de l’intimée a indiqué avec raison que l’exclusivité dans l’emploi n’est pas une exigence du caractère distinctif puisque les concurrents qui emploient la marque de commerce peuvent commettre des contrefaçons. Je souligne que la Loi ne fait aucunement mention de l’exclusivité, ni dans les définitions de « distinctive » ou de « marque de commerce »[17].

[37]      Je crois toutefois que l’emploi non exclusif d’une marque est une circonstance qu’il faut prendre en compte pour évaluer le caractère distinctif, plus particulièrement lorsque la marque est en elle-même faible. H. G. Fox a exprimé en les termes qui suivent la règle applicable en la matière :[18]

[traduction] Le degré d’importance que le tribunal attache à l’affirmation du caractère distinctif dépend de l’ensemble des circonstances, notamment le territoire et la période pour lesquels ce caractère distinctif de fait peut être attribué à la marque en cause. [Non souligné dans l’original.]

[38]      Dans la présente instance, nous avons vu qu’à Montréal, le mot « Décarie » renvoie à un lieu bien connu et important et que deux autres entreprises situées dans ce territoire utilisent le mot « Décarie » dans leur nom commercial en liaison avec les mêmes marchandises et services depuis au moins la date de l’enregistrement.

[39]      Je suis d’avis que la marque de commerce de l’intimée n’avait pas acquis de caractère distinctif au moment de l’engagement des procédures en radiation. L’absence de caractère distinctif découle de la faiblesse inhérente de la marque elle-même et l’emploi limité que l’intimée fait de celle-ci, en tant que marque autonome, établit sans l’ombre d’un doute qu’elle n’a pas acquis une notoriété propre.

3. La question de savoir si la marque « Décarie » a été abandonnée

[40]      Étant donné ma précédente conclusion, je n’ai pas à traiter de la troisième question, à savoir le possible abandon de la marque « Décarie ».

Conclusion

[41]      Je suis d’avis d’accueillir l’appel et d’annuler le jugement dont appel. Je suis d’avis d’ordonner la radiation du registre canadien des marques de l’enregistrement TMA 439 504, fait en date du 17 février 1995, de la marque de commerce « Décarie », et de requérir le registraire des marques de commerce de faire les inscriptions qui s’imposent dans le registre. Je suis d’avis d’ordonner à l’intimée de déposer, dans les 60 jours du présent jugement, un désistement du droit à l’usage exclusif du mot « Décarie » en dehors de la marque de commerce « Décarie Logo Design »; après quoi je suis d’avis de requérir le registraire des marques de commerce de modifier la marque de commerce « Décarie Logo Design », numéro TMA 474 485, enregistrée en date du 10 avril 1997. Si l’intimée n’obtempère pas à une telle ordonnance dans les 60 jours du présent jugement, ladite marque de commerce devra être radiée in toto.

[42]      Le tout avec dépens devant cette Cour et devant la Section de première instance.

Le juge Létourneau, J.C.A. : Je souscris.

Le juge Noël, J.C.A. : Je souscris.



[1]  General Motors du Canada et al. c. Moteurs Décarie Inc. et al. (1998), 160 F.T.R. 262 (C.F. 1re inst.).

[2]  L.R.C. (1985), ch. T-13.

[3]  (1995), 61 C.P.R. (3d) 12 (C.F. 1re inst.).

[4]  (1981), 55 C.P.R. (2d) 27 (C.F. 1re inst.).

[5]  H. G. Fox, The Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition, 3e éd., Toronto, Carswell, 1972, aux p. 252 et 253.

[6]  Dossier d’appel, vol. I, à la p. 254.

[7]  Dossier d’appel, vol. I, à la p. 262.

[8]  Dossier d’appel, vol. I, à la p. 270.

[9]  Dossier d’appel, vol. II, 384, à la p. 385, par. 16.

[10]  Précité, note 3.

[11]  Précité, note 4.

[12]  Cela a fort bien pu échapper au registraire car ce n’était pas mentionné dans les documents déposés devant lui.

[13]  D. Vaver, Intellectual Property Law : Copyright, Patents, Trade-marks, Concord, Ont., Irwin Law, 1997, à la p. 190.

[14]  Voir généralement, R. T. Hughes, Hughes on Trade Marks, Markham, Ont., Butterworths, 1984, à la p. 556.

[15]  E. & J. Gallo Winery c. Andres Wines Ltd., [1976] 2 C.F. 3 (C.A.); Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145 (C.A.).

[16]  Dossier d’appel, vol. II, à la p. 352.

[17]  Voir l’art. 2 de la Loi. Voir également Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145 (C.A.), au par. 70.

[18]  Précité, note 5, à la p. 36.

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