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[2001] 1 C.F. 241

T-110-00

Fédération Franco-Ténoise, Éditions franco-ténoises/L’Aquilon, Fernand Denault, Suzanne Houde, Nadia Laquerre, André Légaré et Pierre Ranger (demandeurs)

c.

Sa Majesté la Reine, Procureure générale du Canada, Commissaire des Territoires du Nord-Ouest, Président de l’Assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest et Commissaire aux langues des Territoires du Nord-Ouest (défendeurs)

Répertorié : Fédération Franco-Ténoise c. Canada (1re inst.)

Division de première instance, juge Rouleau Yellowknife, Territoire du Nord-Ouest, 13 et 14 juin; Ottawa, 8 septembre 2000.

Compétence de la Cour fédérale Section de première instance Requête en radiation de la déclaration réclamant des déclarations selon lesquelles les défendeurs n’ont pas respecté leurs obligations de protection des minorités linguistiques des T.N.-O. imposées par la Charte, les Lois sur les langues officielles du gouvernement fédéral et des Territoires du Nord-Ouest au motif que la Cour fédérale n’a pas compétence Requête rejetée La première condition du critère de compétence établi dans ITOInternational Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre est remplie L’attribution légale de compétence en ce qui concerne la Reine par le Parlement fédéral se trouve à l’art. 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale, qui confère à la Section de première instance de la Cour fédérale compétence concurrente, en première instance, dans les cas de demande de réparation contre la Couronne L’art. 17 est également la disposition attributive de compétence en ce qui concerne le Commissaire des T.N.-O., nommé par le gouverneur en conseil pour exercer le gouvernement des T.N.-O., et le commissaire aux langues officielles, qui fait partie de la Couronne fédérale en vertu des art. 18 et 19 de la Loi sur les langues officielles des T.N.-O. Le président de l’Assemblée législative des T.N.-O. fait partie de la Couronne fédérale puisqu’il est nommé conformément à l’art. 39 de la Loi sur l’Assemblée législative et le Conseil exécutif et, aux termes de l’art. 47(4), il représente l’Assemblée législative pour fins d’actions civiles La deuxième condition, concernant l’existence d’un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l’attribution légale de compétence, est remplie, étant donné que l’action est fondée sur la Charte et la Loi sur les langues officielles Cette affaire est aussi directement reliée aux règles de droit édictées par les T.N.-O. qui ont trait aux langues officielles Ces ordonnances ne sont ni des lois provinciales ni des lois fédérales, mais elles pourraient être des règles de droit fédérales La troisième condition, savoir que la loi invoquée doit être une « loi du Canada » au sens de l’art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, est remplie C’est l’exclusion, par le Parlement, des T.N.-O. du champ d’application de la Loi sur les langues officielles qui est en cause La Loi sur les Territoires du Nord-Ouest est une loi fédérale de laquelle découlent les pouvoirs législatifs du commissaire des T.N.-O.

Langues officielles Requête en radiation, pour absence de compétence, de l’action dans laquelle on réclame des déclarations selon lesquelles l’obligation d’assurer l’égalité aux minorités linguistiques des T.N.-O. n’a pas été remplie La Loi fédérale sur les langues officielles ne s’applique pas aux T.N.-O. Le Canada a accepté de payer pour la prestation de services en français dans les Territoires La Loi sur les langues officielles des T.N.-O. n’est pas une « loi du Canada » au sens de l’art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, mais elle pourrait être une « règle de droit fédérale » La Section de première instance de la Cour fédérale a compétence pour entendre la réclamation contre le commissaire aux langues, nommé par le commissaire des T.N.-O., étant donné que celui-ci fait partie de la Couronne fédérale au sens de l’art. 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale.

Pratique Parties Requête en radiation de la procureure générale des actes de procédure de l’action réclamant des déclarations selon lesquelles les défendeurs n’ont pas respecté leurs obligations de protection des minorités linguistiques des T.N.-O. imposées par la Charte, la Loi fédérale sur les langues officielles et la Loi sur les langues officielles des T.N.-O En vertu de l’art. 48 de la Loi sur la Cour fédérale et de l’annexe correspondante, les poursuites contre la Couronne doivent être intentées contre Sa Majesté la Reine du chef du Canada Comme il n’y a pas d’allégation contre la procureure générale, le nom de cette dernière est radié des actes de procédure, conformément au pouvoir discrétionnaire conféré par la règle 104 des Règles de la Cour fédérale (1998).

Pratique Affidavits Requête en radiation de certaines parties d’un affidavit au motif qu’il est constitué en grande partie de ouï-dire et de détails historiques La requête est rejetée compte tenu qu’il s’agit d’une question constitutionnelle et compte tenu de la relative fiabilité et nécessité de l’affidavit.

Il s’agit d’une requête en radiation d’une déclaration réclamant des déclarations selon lesquelles les défendeurs n’ont pas respecté leurs obligations de protection des minorités linguistiques imposées par la Charte, la Loi fédérale sur les langues officielles et la Loi sur les langues officielles des T.N.-O. La Loi fédérale sur les langues officielles, qui est le mécanisme choisi par le gouvernement canadien pour faire valoir les droits linguistiques établis dans la Charte, ne s’applique pas au gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. Le gouvernement du Canada a plutôt conclu une entente par laquelle il assume tous les coûts relatifs à la prestation de services en français au public ainsi que les coûts relatifs à l’application du français comme langue officielle dans les T.N.-O. Les défendeurs ont fait valoir que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour entendre la cause et demandé par voie de requête la suspension de l’instance en vertu de l’alinéa 50(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale, qui donne à cette dernière le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures lorsque l’intérêt de la justice l’exige; ils ont aussi demandé la radiation de la procureure générale des actes de procédure.

Les demandeurs ont déposé une requête pour faire radier certaines parties de l’affidavit des défendeurs, qui est constitué en grande partie de ouï-dire et de détails historiques sur la situation des Territoires du Nord-Ouest.

Jugement : La requête concernant la radiation de la procureure générale des actes de procédure doit être accueillie et les autres requêtes rejetées.

Les conditions énoncées par la Cour suprême du Canada dans ITOInternational Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, ont été appliquées à chacun des défendeurs pour déterminer si la Cour avait compétence à leur égard. Ces conditions sont les suivantes : 1) une attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral; 2) un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l’attribution légale de compétence; et 3) la loi invoquée dans l’affaire doit être « une loi du Canada » au sens où cette expression est utilisée dans la Loi constitutionnelle de 1867.

La Cour a compétence pour entendre la réclamation contre la Couronne. C’est le paragraphe 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale qui est la disposition attributive de compétence en ce qui concerne la Couronne; ce paragraphe confère à la Section de première instance compétence concurrente, en première instance, dans les cas de demande de réparation contre la Couronne. Bien que l’action soit fondée sur la Charte et la Loi sur les langues officielles, elle est aussi directement reliée aux règles de droit édictées par l’Assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest qui ont trait aux langues officielles. Compte tenu du statut constitutionnel qu’ont les Territoires à l’heure actuelle, c’est-à-dire qu’ils possèdent plusieurs attributs d’une province sans toutefois en constituer une, les ordonnances édictées par l’Assemblée législative des Territoires ne sont pas des lois provinciales. Elles ne peuvent manifestement pas constituer des lois « territoriales » puisque la Constitution du Canada n’admet que deux types de lois : provinciales ou fédérales. Toutefois, les ordonnances édictées par les Territoires peuvent constituer, à tout le moins, des règles de droit fédérales. La troisième condition est également remplie. Ce qui est en cause, c’est l’exclusion, par le Parlement, des Territoires du champ d’application de la Loi sur les langues officielles. La Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest n’est pas une « loi du Canada » au sens de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, mais constitue plutôt une règle de « droit territorial » qui ne peut être qu’une règle de « droit fédéral », ce qui n’est pas nécessairement la même chose qu’une « loi fédérale » ou qu’une « loi du Canada ».

Le commissaire des Territoires du Nord-Ouest, nommé par le gouverneur en conseil pour exercer le gouvernement des Territoires suivant les instructions de ce dernier, est en définitive un représentant de la Couronne fédérale. La première condition du critère énoncé dans Miida Electronics est remplie parce que le commissaire fait partie de la Couronne au sens du paragraphe 17(1). L’ensemble de règles qui fondent la compétence de la Cour et qui sont essentielles à la solution du litige sont toutes les règles édictées par l’Assemblée législative des T.N.-O., notamment la Loi sur les langues officielles. La troisième condition se trouve remplie par la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest, qui est la loi fédérale de laquelle découlent tous les pouvoirs législatifs que possède le commissaire des T.N.-O.

La Cour a compétence pour entendre la réclamation contre le commissaire aux langues, nommé par le commissaire des T.N.-O. pour assurer la reconnaissance des droits, du statut et des privilèges liés à chacune des langues officielles. Il ressort donc clairement des articles 18 et 19 de la Loi sur les langues officielles des T.N.-O. que le commissaire aux langues fait partie de la Couronne fédérale au sens du paragraphe 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale. Le président de l’Assemblée législative des T.N.-O. est nommé en vertu du paragraphe 39(1) de la Loi sur l’Assemblée législative et le Conseil exécutif et, aux termes du paragraphe 47(4) de cette même loi, il représente l’Assemblée législative des T.N.-O. pour fins d’actions civiles. Le président fait donc partie de la Couronne fédérale. Les deux autres aspects du critère de Miida Electronics sont remplis comme il a été indiqué ci-dessus.

À la lumière de la conclusion concernant la compétence, la requête en exception déclinatoire devrait être rejetée.

En vertu de l’article 48 de la Loi sur la Cour fédérale et de l’annexe correspondante, une procédure contre la Couronne doit être intentée contre Sa Majesté la Reine du chef du Canada. Comme il n’y a pas d’allégation contre la procureure générale, l’ajout de son nom en tant que défenderesse est inutile. En vertu du pouvoir discrétionnaire que confère la règle 104 à la Cour de mettre certaines parties hors de cause, le nom de la procureure générale est rayé des actes de procédure et l’intitulé de la cause est modifié en conséquence.

Compte tenu qu’il s’agit d’une affaire constitutionnelle et compte tenu de la relative fiabilité et nécessité de l’affidavit, la Cour accepte le dépôt de l’affidavit des défendeurs.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 24(1), 32.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), annexe II, no 5], art. 101.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 17(1) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 3), 48, 50(1)b).

Loi sur l’Assemblée législative et le Conseil exécutif, L.R.T.N.-O. 1988, ch. L-5, art. 39(1), 47(4).

Loi sur l’Assemblée législative et le Conseil exécutif, L.T.N.-O. 1999, ch. 22.

Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31.

Loi sur les langues officielles, L.R.T.N.-O. 1988, ch. O-1, art. 18 (mod. par L.R.T.N.-O. 1988 (suppl.), ch. 56, art. 15), 19 (mod., idem).

Loi sur les Territoires du Nord-Ouest, L.R.C. (1985), ch. N-27, art. 3, 5, 6, 16, 21.

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règle 104.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

ITOInternational Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; (1986), 28 D.L.R. (4th) 641; 34 B.L.R. 251; 68 N.R. 241; Bradasch c. Warren et autres, [1990] 3 C.F. 32 (1990), 111 N.R. 149 (C.A.).

DÉCISION EXAMINÉE :

Territoires du Nord-Ouest c. Alliance de la fonction publique du Canada, [1999] A.C.F. no 1970 (1re inst.) (QL).

REQUÊTE présentée par les défendeurs en radiation de la déclaration, en suspension d’instance en vertu de l’alinéa 50(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale et en radiation de la procureure générale des actes de procédure afin d’obtenir des déclarations selon lesquelles les défendeurs n’ont pas respecté leurs obligations de protection des minorités linguistiques dans les Territoires du Nord-Ouest imposées par la Charte, la Loi fédérale sur les langues officielles; et requête présentée par les demandeurs en radiation de certaines parties de l’affidavit des défendeurs, qui était constitué en grande partie de ouï-dire et de détails historiques sur la situation des Territoires du Nord-Ouest. La requête en radiation de la procureure générale des actes de procédure est accueillie et les autres requêtes sont rejetées.

ONT COMPARU :

Roger J. F. Lepage et Peter T. Bergbusch, pour les demandeurs.

Roger Tassé. c.r. et Earl D. Johnson, c.r., pour le défendeur le commissaire des Territoires du Nord-Ouest.

Alain Préfontaine, et Cynthia C. Myslicki pour les défendeurs Sa Majesté la Reine et la procureure générale du Canada.

Sheila M. MacPherson, pour le défendeur, le président de l’Assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest.

Shannon Gullberg, pour le défendeur, le commissaire aux langues des Territoires du Nord-Ouest.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Balfour Moss, Regina, pour les demandeurs.

Gowling Lafleur Henderson LLP, Ottawa, Earl D. Johnson, c.r., Ministère de la Justice (Territoires du Nord-Ouest) pour le défendeur le commissaire des Territoires du Nord-Ouest.

Le sous-procureur général du Canada, pour les défenderesses Sa Majesté la Reine et la procureure générale du Canada.

Shannon Gullberg, Yellowknife, Territoires du Nord-Ouest pour le défendeur, le commissaire aux langues des Territoires du Nord-Ouest.

Gullberg, Wiest, MacPherson & Kay, Yellowknife, Territoires du Nord-Ouest, pour le défendeur le président de l’Assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge Rouleau : Suite à l’action initiée par les demandeurs auprès de cette Cour, tous les défendeurs ont déposé des requêtes contestant la compétence de la Cour.

[2]        Avant de me prononcer sur les requêtes présentées par les défendeurs, je juge nécessaire de faire un bref survol du litige principal qui oppose les parties.

[3]        La demanderesse, la Fédération Franco-Ténoise (la FFT), est une société dûment constituée en vertu des lois des Territoires du Nord-Ouest (les T.N.-O.). La FFT est l’institution-clé de la communauté francophone aux T.N.-O. et son rôle est d’encourager l’épanouissement et le développement de la culture française et du sentiment d’appartenance à la communauté franco-ténoise.

[4]        La demanderesse, Les Éditions franco-ténoises/ l’Aquilon (l’Aquilon), est une société dûment constituée en vertu des lois des T.N.-O. La mission de cet hebdomadaire est d’informer la communauté franco-ténoise de façon à favoriser son épanouissement. Les autres demandeurs sont des particuliers, résidents des T.N.-O. et francophones.

[5]        Le défendeur, président de l’Assemblée législative des T.N.-O. (le président), est élu en vertu du paragraphe 39(1) et peut être poursuivi en vertu du paragraphe 47(4) de la Loi sur l’Assemblée législative et le Conseil exécutif, L.R.T.N.-O. 1988, ch. L-5 (la Loi sur l’Assemblée législative), et représente l’Assemblée législative des T.N.-O. pour fins d’actions civiles. (La loi de 1988 est maintenant abrogée et remplacée par L.T.N.-O. 1999, ch. 22.)

[6]        La défenderesse, commissaire aux langues des T.N.-O., est un officier de l’Assemblée législative des T.N.-O. nommé par le commissaire des T.N.-O. et elle est chargée, en vertu de la Loi sur les langues officielles, L.R.T.N.-O. (1988), ch. O-1 (la LLO), de prendre, dans le cadre de sa compétence, toutes les mesures visant à assurer la reconnaissance des droits, du statut et des privilèges liés à chacune des langues officielles.

[7]        Le défendeur, le commissaire des T.N.-O., exerce généralement le gouvernement des T.N.-O. conformément à la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest, L.R.C. (1985), ch. N-27 (la L.T.N.-O.).

[8]        Les demandeurs prétendent que le gouvernement du Canada, le commissaire des T.N.-O., le président de l’assemblée législative des T.N.-O. et la commissaire aux langues des T.N.-O. ne respectent pas leurs obligations de protection des minorités linguistiques imposées par la Charte, la Loi fédérale sur les langues officielles et par la LLO. Ils ont donc intenté une action devant la Cour fédérale du Canada, réclamant des déclarations à cet effet ainsi que des dommages-intérêts.

[9]        Le Parlement et le gouvernement du Canada sont assujettis à la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte) en vertu de son article 32. La Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31 (la Loi fédérale sur les langues officielles), est le mécanisme choisi par le gouvernement canadien pour faire valoir les droits linguistiques établis dans la Charte. La Loi fédérale sur les langues officielles exclut cependant de son champ d’application les institutions du conseil ou de l’administration des T.N.-O. Pour combler cette lacune, le gouvernement du Canada a déposé, en mai 1984, un projet de modification de la L.T.N.-O. qui aurait instauré un régime de bilinguisme législatif et judiciaire aux T.N.-O. Face à l’opposition des T.N.-O., le gouvernement du Canada a conclu une entente avec les autorités des T.N.-O. En vertu de cette entente, le gouvernement du Canada a assumé tous les coûts relatifs à la prestation de services en français au public ainsi que les coûts relatifs à l’application du français comme langue officielle des T.N.-O.

[10]      Les défendeurs ont soulevé une exception déclinatoire, prétendant que la Cour fédérale n’avait juridiction que sur Sa Majesté la Reine et donc ne devrait pas entendre l’affaire. Deux autres requêtes ont été déposées par les défendeurs. Je me propose de disposer de la question de juridiction avant d’aborder les autres requêtes.

[11]      La Cour suprême du Canada a réitéré les conditions nécessaires à la compétence de la Cour fédérale dans l’arrêt ITOInternational Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752, à la page 766 :

L’étendue générale de la compétence de la Cour fédérale a été examinée à maintes reprises par les tribunaux ces dernières années. Dans l’arrêt Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée, [1977] 2 R.C.S. 1054, et dans l’arrêt McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654, on a établi les conditions essentielles pour pouvoir conclure à la compétence de la Cour fédérale. Ces conditions sont les suivantes :

1. Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.

2. Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l’attribution légale de compétence.

3. La loi invoquée dans l’affaire doit être « une loi du Canada » au sens où cette expression est employée à l’art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[12]      À la lumière de cet enseignement, il devient nécessaire d’examiner la situation des défendeurs individuellement afin de déterminer si la Cour a compétence sur chacun d’eux.

[13]      C’est le paragraphe 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 3) qui est la disposition attributive de compétence en ce qui concerne la défenderesse Sa Majesté la Reine. Il se lit :

17. (1) Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, la Section de première instance a compétence concurrente, en première instance, dans les cas de demande de réparation contre la Couronne.

[14]      Quant à « l’ensemble de règles de droit fédérales essentielles à la solution du litige et constituant le fondement de l’attribution légale de compétence », il est nécessaire de revenir sur le statut constitutionnel des Territoires du Nord-Ouest afin de déterminer si cet ensemble de règles existe. En effet, je suis d’avis que ce litige, en plus d’être fondé sur la Charte et la Loi fédérale sur les langues officielles, est directement relié aux règles de droit édictées par l’Assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest et qui ont trait aux langues officielles.

[15]      La Cour d’appel fédérale s’est penchée sur le statut constitutionnel du Yukon à l’occasion de l’affaire Bradasch c. Warren et autres, [1990] 3 C.F. 32 Dans cette affaire, le juge Hugessen, J.C.A., s’exprimait comme suit, aux pages 35 et 36 :

Dans la dichotomie d’un système fédéral, dans lequel toute autorité d’État doit être en dernière analyse soit fédérale soit provinciale, le droit du Yukon est dans son entier un droit fédéral […]

[…]

Ainsi donc, le droit de la responsabilité délictuelle dans le Yukon relève, en termes constitutionnels, du droit fédéral, et ce droit s’applique en l’espèce par effet de la Loi sur le Yukon, une loi du Canada.

[16]      Et, dans une note de bas de page, il ajoutait :

Bien entendu, nous savons que le statut de facto du Yukon connaît une évolution rapide, et que les institutions d’un gouvernement démocratique qui y sont en place font que le Territoire ressemble beaucoup à une province. Il demeure, toutefois, que, quelle que soit l’étendue des pouvoirs conférés à la législature territoriale, ils sont, sur le plan juridique, des pouvoirs qui ont jusqu’à maintenant seulement été délégués par le Parlement : celui-ci ne s’en est pas départi et a expressément retenu son emprise sur ces pouvoirs.

[17]      Plus récemment, le juge Dubé, dans l’affaire Territoire du Nord-Ouest c. Alliance de la fonction publique du Canada, [1999] A.C.F. no 1970 (1re inst.) (QL), écrivait [aux paragraphes 31 à 33] :

Je ne peux pas accepter l’argument du GTNO [gouvernement des Territoires du Nord-Ouest] qu’il y a eu une évolution vers une Couronne distincte dans les TNO et que cette évolution vers un gouvernement responsable a donné lieu à une entité distincte, ce qui a mis les TNO sur un pied d’égalité avec les dix provinces canadiennes.

Il ne fait aucun doute que les pouvoirs et la compétence législative du GTNO se sont accrus au fil des ans, mais leur source demeure la Couronne fédérale […] La Loi sur les Territoires du Nord-Ouest n’est qu’une loi fédérale prévoyant la création d’un gouvernement local dirigé par une personne nommée par le gouvernement fédéral. Les TNO ne sont pas devenus une province par évolution, mais sont toujours un territoire en vertu d’une simple délégation de pouvoir.

[…] la règle doit être que les trois territoires font partie de la Couronne.

[18]      Aux termes de l’article 16 de la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest, le Parlement a délégué certains de ses pouvoirs législatifs aux autorités territoriales. L’article se lit :

16. Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, le commissaire en conseil peut, pour le gouvernement des territoires, prendre des ordonnances concernant les matières entrant dans les domaines suivants :

[19]      L’article 21 prévoit des formalités additionnelles :

21. (1) Le texte de chaque ordonnance prise par le commissaire en conseil est transmis au gouverneur en conseil dans les trente jours pour dépôt devant les deux chambres du Parlement dans les meilleurs délais.

(2) Le gouverneur en conseil peut, dans l’année qui suit son adoption, désavouer une ordonnance ou l’une de ses dispositions.

[20]      Je note immédiatement que pour qu’une ordonnance ait force de loi dans les Territoires, elle n’a pas besoin d’obtenir la sanction royale, contrairement à une loi fédérale ordinaire ou même à une loi provinciale, de sorte qu’il est difficile pour moi de considérer que les ordonnances territoriales constituent effectivement des lois fédérales. Les parties n’ont pas plaidé devant moi la validité constitutionnelle d’une délégation, par le Parlement, d’un tel pouvoir législatif. Compte tenu du statut constitutionnel qu’ont les Territoires à l’heure actuelle, c’est-à-dire qu’ils possèdent plusieurs attributs d’une province sans toutefois en constituer une, j’admets difficilement que les ordonnances édictées par l’Assemblée législative des Territoires puissent être des lois provinciales. Elles ne peuvent manifestement pas constituer des lois « territoriales » puisque la constitution du Canada n’admet que deux types de lois : provinciales ou fédérales (sauf peut-être le pouvoir qu’auraient les autochtones de se gouverner eux-mêmes). J’admets toutefois que les ordonnances édictées par les Territoires puissent constituer, à tout le moins, des règles de droit fédérales. La deuxième condition de l’arrêt Miida Electronics m’apparaît donc remplie.

[21]      Quant à la troisième condition, elle m’apparaît également remplie. Les demandeurs recherchent, entre autres, une déclaration à l’effet que le gouvernement canadien a abdiqué ses obligations linguistiques imposées par la Charte et que, ce faisant, il a renié son engagement à favoriser l’épanouissement de la minorité francophone aux T.N.-O., à appuyer son développement et à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français dans la société canadienne, tel que l’exige la partie VII de la Loi sur les langues officielles du Canada, une loi fédérale. Les demandeurs réclament à Sa Majesté la Reine le paiement de dommages-intérêts en raison du non-respect de l’obligation d’assurer l’égalité aux minorités linguistiques. Le recours exercé par les demandeurs est celui prévu au paragraphe 24(1) :

24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

[22]      Les demandeurs ont soumis que « la loi invoquée dans la présente affaire » était la Loi fédérale sur les langues officielles. Je ne suis pas d’accord. Ce qui est en cause, dans la présente affaire, c’est l’action législative du Parlement elle-même. Le Parlement a expressément exclu les Territoires du Nord-Ouest du champ d’application de cette Loi et a plutôt laissé aux autorités des Territoires le soin d’aménager un régime concernant les langues officielles. Le Parlement a même conclu une entente avec les autorités territoriales pour faciliter la mise en place d’un tel régime. Ce qui est contesté dans la présente affaire, c’est l’action législative elle-même. Ainsi, c’est l’exclusion des T.N.-O., par le Parlement, de l’application de sa Loi fédérale sur les langues officielles qui est directement en cause.

[23]      Les parties ont également plaidé que la Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest était elle-même une loi fédérale, puisque les T.N.-O. ne constituaient pas une province et que le droit territorial était nécessairement du droit fédéral. Je crois nécessaire de faire une distinction entre le « droit territorial » et les « lois territoriales ». À mon avis, la Constitution canadienne ne permet pas l’existence de « lois territoriales ». Par contre, des règles de « droit territorial » peuvent certes exister, au même titre que des règles de « droit municipal » peuvent exister dans une province. Les règlements municipaux ne constituent toutefois pas des « lois », puisqu’ils ne reçoivent pas la sanction royale. Je crois donc que la « Loi » sur les langues officielles des T.N.-O. ne constitue pas une « loi du Canada » au sens de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1 [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]], mais constitue plutôt une règle de « droit territorial » qui ne peut être qu’une règle de « droit fédéral », ce qui n’est pas nécessairement la même chose qu’une « loi fédérale » ou qu’une « loi du Canada ».

[24]      Je suis d’avis que cette Cour a compétence pour entendre la réclamation contre la Couronne dans ces circonstances.

[25]      La L.T.N.-O. confère aux institutions gouvernementales des T.N.-O. le pouvoir de légiférer et d’agir à la place du gouvernement canadien dans de nombreux domaines. Il n’en demeure pas moins que le commissaire des T.N.-O., le gouvernement des T.N.-O. et l’Assemblée législative des T.N.-O. sont des entités gouvernementales fédérales. Les règles qu’ils édictent pour le gouvernement des T.N.-O. sont des règles de droit fédérales. Le commissaire des T.N.-O. est, en définitive, un représentant de la Couronne fédérale, comme le laissent clairement voir les dispositions suivantes de la L.T.N.-O. :

3. Le gouverneur en conseil peut nommer le commissaire des Territoires du Nord-Ouest; celui-ci est le premier dirigeant des territoires.

[…]

5. Le commissaire exerce le gouvernement des territoires suivant les instructions du gouverneur en conseil ou du ministre.

6. Le commissaire exerce le pouvoir exécutif dévolu de droit, au 31 août 1905, au lieutenant-gouverneur des Territoires du Nord-Ouest ou au lieutenant-gouverneur en conseil des Territoires du Nord-Ouest dans la mesure où ce pouvoir s’applique au gouvernement des territoires, tel qu’il est constitué au moment de son exercice.

[26]      Il s’ensuit qu’il faut appliquer le test en trois étapes énoncé dans l’arrêt Miida Electronics.

[27]      Il ne fait aucun doute que le commissaire des Territoires du Nord-Ouest fait partie de la Couronne au sens du paragraphe 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale, de sorte que la première condition est remplie.

[28]      Quant à l’ensemble de règles qui fondent la compétence de la Cour et qui sont essentielles à la solution du litige, il s’agit en l’espèce de toutes les règles édictées par l’Assemblée législative des T.N.-O., notamment, malgré son titre trompeur, la Loi sur les langues officielles des T.N.-O.

[29]      La troisième condition, enfin, se trouve remplie par la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest. En effet, c’est de cette loi fondamentale fédérale que découlent tous les pouvoirs législatifs que possède le commissaire des T.N.-O.

[30]      Pour ce qui est du commissaire aux langues, je crois que son poste au sein de l’administration est suffisamment important pour qu’elle constitue également une représentante ou une mandataire de la Couronne fédérale. Les dispositions pertinentes de la Loi sur les langues officielles des T.N.-O. sont les suivantes [articles 18 (mod. par L.R.T.N.-O. (suppl.), ch. 56, art. 15), 19 (mod. idem)] :

18. (1) Est institué le poste de commissaire aux langues. Le titulaire est nommé par le commissaire sous le sceau des territoires, après qu’une résolution de l’Assemblée législative approuve sa nomination.

(2) Le commissaire aux langues est nommé à titre inamovible pour un mandat de quatre ans, sauf révocation par le commissaire sur adresse de l’Assemblée législative.

19. (1) Le personnel nécessaire au bon fonctionnement du commissariat est nommé en conformité avec la loi.

(2) Le personnel régulier du commissariat, nommé au titre du paragraphe (1), est réputé appartenir à la fonction publique pour l’application de la Loi sur la fonction publique.

(3) Le commissaire aux langues a rang et pouvoirs de sous-ministre.

[31]      À la lecture de ces dispositions, il est clair, selon moi, que ce haut fonctionnaire fait partie de la Couronne fédérale, entendu au sens du paragraphe 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale.

[32]      Quant aux deux autres aspects du test de l’arrêt Miida Electronics, la question a déjà été traitée plus haut. La Cour est donc compétente pour entendre la réclamation contre ce fonctionnaire fédéral.

[33]      Le président de l’Assemblée législative des T.N.-O. est nommé en vertu du paragraphe 39(1) de la Loi sur l’Assemblée législative et le Conseil exécutif et, en vertu du paragraphe 47(4) représente l’Assemblée législative des T.N.-O. pour fins d’actions civiles et, à ce titre, m’apparaît faire partie de la Couronne fédérale.

[34]      À la lumière de ce qui précède, je crois que la requête en exception déclinatoire présentée par les défendeurs est par les présentes rejetée.

[35]      Finalement, les défenderesses Sa Majesté la Reine du chef du Canada et la procureure générale du Canada ont déposé une requête en sursis en vertu de l’alinéa 50(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale qui se lit :

50. (1) La Cour a le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire :

[…]

b) lorsque, pour quelque autre raison, l’intérêt de la justice l’exige.

[36]      Étant donné la conclusion de la Cour quant à la question de la compétence, je suggère de rejeter la requête sur cette question. La requête des deux défenderesses contient également une demande de radiation de la défenderesse procureure générale du Canada des actes de procédures. En vertu de l’article 48 de la Loi sur la Cour fédérale et de l’annexe correspondante, une procédure contre la Couronne doit être intentée contre Sa Majesté la Reine du chef du Canada. En l’espèce, l’ajout de la défenderesse procureure générale du Canada en tant que défenderesse, à l’égard de laquelle il n’existe d’ailleurs aucune allégation, m’apparaît tout à fait inutile. La règle 104 des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106] donne le pouvoir à la Cour d’ordonner qu’une partie dont la présence n’est pas nécessaire au règlement des questions en litige soit mise hors de cause. En l’espèce et compte tenu des représentations des parties, la partie de la requête qui concerne la radiation de la procureure générale est accueillie.

[37]      Les défendeurs ont produit un affidavit au soutien de leur requête en rejet de l’action des demandeurs. L’affidavit est constitué en grande partie de ouï-dire et de détails historiques sur la situation des Territoires du Nord-Ouest. Les demandeurs ont déposé une requête visant la radiation de certaines parties de cet affidavit. Compte tenu qu’il s’agit d’une affaire constitutionnelle et compte tenu de la relative fiabilité et nécessité de ce document, j’accepte le dépôt dudit affidavit et je rejette cette requête.

[38]      Les défendeurs auront un délai de 30 jours à compter de la date des présents motifs d’ordonnance pour déposer et signifier leur défense.

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