[2001] 1 C.F. 386
T-903-93
T-1251-92
Société des alcools du Québec (demanderesse)
c.
Sa Majesté la Reine (défenderesse)
Répertorié : Société des alcools du Québec c. Canada (1re inst.)
Section de première instance, juge Lemieux— Montréal, 29 et 30 mars 2000; Ottawa, 29 août 2000.
Douanes et accise — Loi sur la taxe d’accise — La demanderesse est une entreprise publique ayant comme fonction d’effectuer le commerce de boissons alcooliques au Québec — Elle demande le remboursement de la taxe de vente fédérale sur l’inventaire qu’elle détenait au 31 décembre 1990, lorsque l’ancienne taxe de vente a été remplacée par la TPS — Une disposition transitoire autorise le remboursement de l’ancienne taxe de vente — Les règlements adoptés en vertu du pouvoir réglementaire conféré par la Loi sur la taxe d’accise doivent respecter l’objet de la loi — L’objet de l’art. 120(5) de la Loi est d’éviter une double imposition des mêmes biens — Cet objet n’a pas été atteint dans le cas des boissons alcooliques — Il existe une disparité entre la taxe de vente antérieurement payée, au taux de 19 %, et le taux de remboursement fixé à 8,1 % — La demanderesse n’a pas obtenu le remboursement auquel elle avait droit — Le facteur de remboursement outrepasse le pouvoir de réglementation conféré par l’art. 120(5) de la Loi.
Interprétation des lois — Demande de remboursement de la taxe de vente fédérale sur l’inventaire de boissons alcooliques et autres marchandises détenues par la demanderesse — La TPS a remplacé l’ancienne taxe de vente — L’art. 120(5) de la Loi sur la taxe d’accise prévoit le calcul du remboursement en fonction d’une « méthode prescrite » — Le Règlement sur le remboursement de la taxe de vente fédérale à l’inventaire outrepasse-t-il les pouvoirs conférés par l’art. 120(5) de la Loi ? — Les principes d’interprétation des lois nous permettent de cerner l’intention du législateur et l’objet de la Loi — L’objet de l’art. 120(5) est d’éviter une double imposition — Examen des termes « remboursement » et « rebate » — L’intention du législateur était d’obliger la remise intégrale d’une somme d’argent due — Les facteurs prévus à l’art. 3 du Règlement ont eu pour effet, dans le cas exclusif de la demanderesse, d’annihiler l’objet de la Loi.
Il s’agit d’un appel à l’encontre de deux avis de décision du ministre du Revenu national dans le cadre d’une demande de remboursement, faite par la contribuable, de la taxe de vente fédérale sur l’inventaire de boissons alcooliques et d’autres marchandises détenues par cette dernière en date du 31 décembre 1990. La contribuable est une entreprise publique ayant comme principale fonction d’effectuer le commerce de boissons alcooliques dans la province de Québec. Avant le mois d’avril 1990, le paragraphe 50(1.1) de la Loi sur la taxe d’accise prévoyait le prélèvement d’une taxe de vente de 19 % sur les boissons alcooliques. Le 10 avril 1990 marqua l’adoption du projet de loi C-62 instaurant, en date du 1er janvier 1991, la Taxe sur les Produits et Services (TPS), une taxe sur la consommation finale ayant un taux fixe, soit 7 % à l’époque de son adoption. Afin de pallier aux impondérables résultant du changement de taxe, le législateur prévit une disposition transitoire autorisant le remboursement de l’ancienne taxe de vente, lorsque cette dernière avait été payée sur les inventaires de biens détenus au 1er janvier 1991. Le paragraphe 120(5) de la Loi prévoit le calcul du remboursement en fonction d’une « méthode prescrite » énoncée dans le Règlement sur le remboursement de la taxe de vente fédérale à l’inventaire. La contribuable a présenté deux demandes de remboursement qui ont donné lieu à l’émission, par le sous-ministre du Revenu national, Douanes et Accise, de deux avis de détermination. Elle a déposé un avis d’opposition dans les deux cas, qui a été rejeté au motif qu’elle ne pouvait avoir droit qu’à un remboursement totalisant 8,1 % de la valeur des marchandises en inventaire au 1er janvier 1991. La question en litige consiste à savoir si le Règlement sur le remboursement de la taxe de vente fédérale à l’inventaire prescrivant un facteur de 8,1 % applicable dans le cas d’un remboursement de la taxe de vente fédérale sur des inventaires de boissons alcooliques outrepasse les pouvoirs conférés par le paragraphe 120(5) de la Loi.
Jugement : l’appel est accueilli.
Les règlements adoptés en vertu du pouvoir réglementaire conféré par la Loi sur la taxe d’accise doivent respecter l’objet de la Loi qui exprime ainsi l’intention du législateur. Les principes d’interprétation des lois nous permettent de cerner l’intention du législateur et, par ce fait même, l’objet de la Loi. Un règlement outrepasse le pouvoir réglementaire conféré par le législateur à l’autorité réglementante lorsqu’il ne correspond pas à l’objet de la loi ou de l’article de cette loi conférant ledit pouvoir. La Cour doit prendre garde d’appliquer aux règlements les principes d’interprétation dégagés par la jurisprudence sans d’abord s’interroger sur la portée du pouvoir réglementaire spécifique que confère la législation en cause. Ainsi, il est important de déterminer l’objet du paragraphe 120(5) de la Loi sur la taxe d’accise, qui confère à l’autorité réglementante le pouvoir de prendre des règlements dans le but de déterminer la méthode de calcul du remboursement et les facteurs devant être utilisés.
L’objet de l’article 120 est de prévoir un remboursement pour éviter aux contribuables qui ont déjà payé l’ancienne taxe de vente et qui seraient aujourd’hui obligés de verser la TPS de se voir imposer une nouvelle fois sur les mêmes biens. Les dispositions transitoires visent à prévenir certaines situations où des contribuables auraient été contraints à payer deux fois une taxe sur un même bien. Par la phraséologie utilisée à l’alinéa 120(3)a) de la Loi, le législateur impose l’obligation au ministre de verser un remboursement à la personne qui y a droit, en vertu de cette disposition, et qui en fait la demande. Par l’utilisation des mots” prescrite » et” prescrits », le paragraphe 120(5) délègue à une autorité réglementante le pouvoir de prendre un règlement afin d’établir les paramètres nécessaires à la bonne marche du remboursement. L’utilisation par le législateur du mot « remboursement » confirme son intention d’obliger la remise d’une somme d’argent dans son intégralité. L’objet de l’article 120 est d’assurer la mise en place d’un mécanisme de remboursement de la taxe de vente payée avant le 1er janvier 1991 afin d’éviter une double imposition des mêmes biens. Dans le cas de boissons alcooliques, ce but n’a pas été atteint. Il existe une grande disparité entre la taxe de vente antérieurement payée, qui était au taux de 19 %, et le taux (ou facteur) de remboursement fixé à 8,1 %. Compte tenu de l’objet de la Loi, la contribuable n’a pas obtenu le remboursement auquel elle aurait dû avoir droit et ce, en raison de l’adoption de ce facteur disproportionné eu égard à la taxe antérieurement payée. Les facteurs prévus à l’article 3 du Règlement ont eu pour effet, dans le cas exclusif de la demanderesse, d’annihiler l’objet de la Loi. Vu la situation exceptionnelle de la demanderesse qui exerce à la fois le rôle d’importateur, de distributeur, de grossiste et de détaillant, le facteur de remboursement de 8,1 % prévu à l’alinéa 3h) du Règlement, adopté en vertu du pouvoir réglementaire prévu au paragraphe 120(5) de la Loi, est ultra vires en ce qu’il ne respecte pas l’objet de la disposition en question. Néanmoins, puisque l’article 120 s’avère intra vires dans la grande majorité des cas, il ne devrait pas être déclaré inopérant et ce, afin d’éviter un vide juridique inutile qui ne pourrait être comblé par l’adoption d’un nouveau règlement. La contribuable était en droit d’obtenir le plein remboursement de la somme réclamée.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur l’accise, L.R.C. (1985), ch. E-14.
Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, art. 2(1) « prescrit » (mod. par L.C. 1990, ch. 45, art. 1), 50(1.1) (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 15, art. 19; (2e suppl.), ch. 7, art. 16; L.C. 1989, ch. 22, art. 3), 81.2 (édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 7, art. 38; (4e suppl.), ch. 47, art. 52), 118 (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1993, ch. 27, art. 6), 120(1) « inventaire » (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1993, ch. 27, art. 6), « marchandises libérées de taxe » (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1993, ch. 27, art. 6), (3) (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12), (5) (édicté, idem), 121 (édicté, idem; 1993, ch. 27, art. 7; 1994, ch. 9, art. 1).
Règlement sur le remboursement de la taxe de vente fédérale à l’inventaire, DORS/91-52, art. 3, 4.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; (1998), 36 O.R. (3d) 418; 154 D.L.R. (4th) 193; 50 C.B.R. (3d) 163; 33 C.C.E.L. (2d) 173; 221 N.R. 241; 106 O.A.C. 1; Canada c. St. Lawrence Cruise Lines Inc., [1997] 3 C.F. 899 (1997), 148 D.L.R. (4th) 480; 215 N.R. 278 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES :
CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général), [1999] 1 R.C.S. 743; (1999), 171 D.L.R. (4th) 733; 122 B.C.A.C. 1; 133 C.C.C. (3d) 426; 29 C.E.L.R. (N.-S.) 1; 23 C.R. (5th) 259; 237 N.R. 373; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville); Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Boisbriand (Ville), [2000] 1 R.C.S. 665; (2000), 185 D.L.R. (4th) 385; 50 C.C.E.L. (2d) 247; 253 N.R. 107; CKOY Ltd. c. Sa Majesté La Reine sur la dénonciation de Lorne Mahoney, [1979] 1 R.C.S. 2; (1978), 90 D.L.R. (3d) 1; 43 C.C.C. (2d) 1; 40 C.P.R. (2d) 1; 24 N.R. 254; Alaska Trainship Corporation et autre c. Administration de pilotage du Pacifique, [1981] 1 R.C.S. 261; (1981), 120 D.L.R. (3d) 577; 35 N.R. 271; Procureur général du Canada c. Silk, [1983] 1 R.C.S. 335; (1983), 145 D.L.R. (3d) 221; 83 CLLC 14,025; 47 N.R. 57.
DOCTRINE
New Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles. Oxford : Clarendon Press, 1993,” rebate ».
Petit Larousse Illustré. Paris : Larousse, 1994, « remboursement », « rembourser ».
Petit Robert 1 : Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Paris : Le Robert, 1983, « remboursement », « rembourser ».
APPEL à l’encontre de deux avis de décision du ministre du Revenu national confirmant deux avis de détermination dans le cadre d’une demande de remboursement, faite par la demanderesse, de la taxe de vente fédérale sur l’inventaire de boissons alcooliques et d’autres marchandises détenues par cette dernière en date du 31 décembre 1990, lorsque l’ancienne taxe de vente a été remplacée par la TPS. Appel accueilli.
ONT COMPARU :
Claude P. Desaulniers pour la demanderesse.
Jacques Savary pour la défenderesse.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
McCarthy Tétrault, Montréal, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Voici les motifs du jugement de la décision rendus en français par
Le juge Lemieux :
INTRODUCTION
[1] Dans le cadre du présent litige, il s’agit d’un appel déposé par la demanderesse, la Société des alcools du Québec en vertu de l’article 81.2 [édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 7, art. 38; (4e suppl.), ch. 47, art. 52] de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15 (la Loi) à l’encontre de deux avis de décision du ministre du Revenu national confirmant deux avis de détermination dans le cadre d’une demande de remboursement de la taxe de vente fédérale, faite par la demanderesse, à l’inventaire sur les boissons alcooliques et autres marchandises détenues par cette dernière en date du 31 décembre 1990.
LES FAITS ET LA LÉGISLATION APPLICABLE
[2] La demanderesse est une entreprise publique ayant comme principale fonction d’effectuer le commerce de boissons alcooliques et d’en assurer la gestion dans la province de Québec. Tel qu’il appert de la preuve aux dossiers, les pouvoirs de la demanderesse en vertu de sa loi constitutive sont essentiellement les suivants :
• La demanderesse a la pouvoir exclusif au Québec d’importer, d’acheter, de distribuer et de vendre en gros et au détail des spiritueux, des vins et des bières embouteillés à l’extérieur du Québec.
• Elle a l’exclusivité de la première distribution de tous les vins embouteillés au Québec.
• La vente en gros et au détail des spiritueux et des vins et bières embouteillés à l’extérieur du Québec se fait dans le réseau de succursales et d’agences de la demanderesse.
• La vente au détail des vins embouteillés au Québec se fait dans le réseau de succursales et d’agences de la demanderesse ainsi que par des détenteurs de permis d’épicerie qui sont approvisionnés par des distributeurs spécifiquement autorisés à cet effet par la demanderesse. Les distributeurs doivent s’approvisionner exclusivement de la demanderesse.
• La demanderesse a l’exclusivité d’approvisionnement en vins et spiritueux de tous les établissements qui détiennent des permis de la Régie des permis d’alcool du Québec et autorisant la vente de boissons alcooliques pour consommation sur les lieux de ces établissements.
[3] Avant avril 1990, le paragraphe 50(1.1) [édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 15, art. 19; (2e suppl.), ch. 7, art. 16; L.C. 1989, ch. 22, art. 3] de la Loi prévoyait le prélèvement d’une taxe de vente de 19 % sur les boissons alcooliques :
50. […]
(1.1) La taxe prévue au paragraphe (1) est imposée aux taux suivants :
a) dix-neuf pour cent, dans le cas d’une part des vins, d’autre part des marchandises sur lesquelles un droit d’accise est imposé en vertu de la Loi sur l’accise ou le serait si elles étaient produites ou fabriquées au Canada;
[4] Le 10 avril 1990, la Chambre des communes procéda à l’adoption du projet de loi C-62 instaurant au 1er janvier 1991, une nouvelle forme de taxe de vente soit la Taxe sur les Produits et Services (TPS) et ce, afin de remplacer l’ancienne taxe de vente prévue à l’article 50 de la Loi qui était acquittée tant par l’importateur que par le manufacturier et le distributeur et non par le consommateur de l’article ou du produit visé.
[5] À la différence de l’ancienne taxe de vente, la TPS est une taxe sur la consommation finale ayant un taux fixe, 7 % à l’époque de son adoption, applicable sur tous les biens et services vendus au Canada et acquittée successivement à toutes les étapes de production et de distribution des produits. Cette taxe constitue une taxe sur la consommation finale en ce qu’elle est généralement acquittée, en bout de compte, par le consommateur. En effet, par l’entremise de mécanismes prévus à la Loi, les personnes qui exercent une activité commerciale intervenant dans l’une des étapes de la production ou de la distribution d’une fourniture taxable peuvent, généralement, demander un remboursement de la taxe payée par le biais du crédit sur les intrants.
[6] Afin de palier aux impondérables résultant du changement de taxe, le législateur prévit certaines dispositions transitoires dont une disposition autorisant le remboursement de l’ancienne taxe de vente, lorsque cette dernière avait été payée, sur les inventaires de biens détenus au 1er janvier 1991 par les commerçants, distributeurs et importateurs inscrits au sens de la Loi.
[7] Afin de fixer les balises nécessaires à l’interprétation de ces dispositions transitoires, le paragraphe 120(1) [édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1993, ch. 27, art. 6] de la Loi fournit les définitions d’« inventaire » et de « marchandises libérées de taxe » :
120. (1) […]
[…]
« inventaire » État descriptif des marchandises libérées de taxe d’une personne à un moment donné qui figurent à l’inventaire de la personne au Canada à ce moment et qui, à ce même moment, selon le cas :
a) sont destinées à être vendues ou louées séparément pour un prix ou un loyer en argent, dans le cours normal d’une activité commerciale de la personne;
b) sont des matériaux de construction réservés à l’usage de la personne dans le cadre d’une entreprise de construction, de rénovation ou d’amélioration de bâtiments ou de constructions qu’elle exploite, à l’exclusion de telles marchandises qui, avant ce moment, faisaient partie de constructions nouvelles ou de rénovations ou d’améliorations ou ont autrement été livrées à un chantier de construction, de rénovation ou d’amélioration.
Ne sont pas de telles marchandises :
c) les immobilisations de la personne;
d) les marchandises que la personne destine à la construction, à la rénovation ou à l’amélioration d’un bien qui est son immobilisation ou doit le devenir;
e) les marchandises figurant à l’inventaire d’une autre personne à ce moment.
« marchandises libérées de taxe » Marchandises, acquises par une personne avant 1991, qui n’ont jamais été radiées des livres comptables de l’entreprise de la personne pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu, dont le prix de vente ou la quantité vendue a été frappé de la taxe prévue au paragraphe 50(1) (sauf la taxe payable en conformité avec le sous-alinéa 50(1)a)(ii)), laquelle a été payée et serait irrécouvrable en l’absence du présent article, et qui sont, au début du 1er janvier 1991 :
a) des marchandises neuves qui n’ont jamais servi;
b) des marchandises qui ont été refabriquées ou reconstruites et qui n’ont jamais servi depuis;
c) des marchandises d’occasion.
[8] Le paragraphe 120(5) [édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12] de la Loi prévoit le calcul du remboursement de la façon suivante :
120. […]
(5) Sous réserve du paragraphe (8) et pour l’application du paragraphe (3), le remboursement à verser à une personne relativement à son inventaire au début du 1er janvier 1991 correspond, sous réserve du paragraphe 337(7), au montant calculé selon une méthode prescrite utilisant des facteurs prescrits.
[9] Ladite « méthode prescrite » fut élaborée dans le Règlement sur le remboursement de la taxe de vente fédérale à l’inventaire, DORS/91-52 (le Règlement) créé par la ministre des Finances de l’époque, dont les articles pertinents sont les suivants :
3. Pour l’application du paragraphe 120(5) de la Loi, sont visés les facteurs suivants quant aux catégories données de marchandises :
a) pour les marchandises mentionnées à l’annexe IV de la Loi, 5,6 %;
b) pour l’essence, le taux de taxe prévu à la partie VI de la Loi et applicable à l’essence sans plomb le 31 décembre 1990;
c) pour le combustible diesel, le taux de taxe prévu à la partie VI de la Loi et applicable à ce combustible le 31 décembre 1990;
d) pour le propane, 1,4 %;
e) pour les maisons mobiles et bâtiments modulaires, 2,8 %;
f) pour les véhicules à moteur conçus pour servir sur les routes, 11,1 %;
g) pour les produits logiciels, 8,1 %;
h) pour les autres marchandises, 8,1 %.
4. Pour l’application du paragraphe 120(5) de la Loi, le remboursement à verser à une personne relativement à son inventaire correspond :
a) soit au total des montants calculés pour chaque catégorie de marchandises selon la formule :
A x B
où :
A représente le facteur applicable à la catégorie de marchandises;
B représente :
(i) s’il s’agit d’essence ou de combustible diesel, le nombre de litres d’essence ou de litres de combustible figurant à l’inventaire,
(ii) s’il s’agit de produits logiciels, soit la valeur globale des supports de transmission de données figurant à l’inventaire, à l’exclusion de la valeur des instructions ou des données enregistrées sur ces supports, soit le produit de la multiplication du nombre de ces supports par 5 $,
(iii) sinon, la valeur globale des marchandises de la catégorie figurant à l’inventaire, à l’exclusion des marchandises d’occasion, telle qu’elle devrait être déterminée au début du 1er janvier 1991 aux fins du calcul du revenu d’entreprise de la personne pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu; [Mes soulignés.]
[10] Afin d’obtenir le remboursement prévu par la Loi sur l’ensemble de son inventaire de boissons alcooliques détenu au 1er janvier 1991, la demanderesse adressa à Revenu Canada deux demandes de remboursement prenant la forme de formulaires TPS 207F.
[11] Le premier formulaire, daté du 19 février 1991, réclamait la somme de 11 877 812 21 $ et en complément de la première demande de remboursement, le deuxième formulaire, daté du 1er octobre 1991 requérait un remboursement total de 733 110 06 $. Ces dites sommes réclamées correspondent essentiellement à la taxe payée de 19 % sur l’inventaire de boissons alcooliques possédé par la demanderesse au 1er janvier 1991.
Première demande de remboursement : dossier T-1251-92
[12] Dans le cas de la première demande de remboursement susmentionnée, en date du 16 juillet 1991, le sous-ministre du Revenu national, Douanes et Accise procéda à l’émission d’un avis de détermination où il autorisa le remboursement d’une somme de 5 099 099,73$ excluant les intérêts.
[13] Le 8 octobre 1991, la demanderesse déposa un avis d’opposition à l’encontre dudit avis de détermination.
[14] Le 18 mars 1992, le ministre du Revenu national informait la demanderesse, par avis de décision, que son opposition était rejetée au motif principal qu’elle ne pouvait avoir droit qu’à un remboursement totalisant 8,1 % de la valeur des marchandises en inventaire au 1er janvier 1991 et non à un remboursement correspondant à 19 % de ladite valeur des marchandises et ce, malgré le fait qu’une taxe de 19 % avait été bel et bien prélevée sur ledit inventaire.
[15] Suite à la réception de cet avis de décision, la demanderesse en appela, le 28 mai 1992, devant cette Cour.
Deuxième demande de remboursement : dossier T-903-93
[16] Pour ce qui est de la deuxième demande de remboursement, un avis de détermination fut également émis par le sous-ministre du Revenu national, Douanes et Accise le 22 novembre 1991 accordant un remboursement au montant de 312 536, 40$ excluant les intérêts.
[17] Le 7 février 1992, la demanderesse déposa un avis d’opposition à l’encontre du dit avis de détermination. Le 5 mars 1993, le ministre du Revenu national, par avis de décision, accepta en partie l’opposition de la demanderesse et accorda un remboursement supplémentaire de 59 381,91$ en réitérant le même motif que dans l’avis de décision précédent.
[18] La demanderesse en appela également de la décision du ministre, le 22 avril 1993, devant cette Cour.
[19] Pour des raisons de commodité, les deux dossiers, soit le T-1251-92 et le T-903-93 furent entendus en même temps; la preuve faite devant moi valant ainsi dans le cadre des deux dossiers.
ARGUMENTS DE LA DEMANDERESSE
[20] La demanderesse soumet que l’alinéa 3h) et le sous-alinéa 4a)iii) du Règlement sont ultra vires des pouvoirs de réglementation conférés par la Loi en ce qu’ils sont discriminatoires, injustes, déraisonnables et non conformes à l’objet de la Loi.
[21] En effet, la demanderesse soutient que l’imposition d’un facteur unique et uniforme de remboursement, soit 8,1 % pour tous les cas de biens taxables non spécifiquement prévus par le règlement alors qu’en réalité certains biens tombant sous cette catégorie ont été taxés à un taux nettement supérieur à 8,1 %, telles les boissons alcoolisées à 19 %.
[22] En outre, la demanderesse soulève également les disparités de remboursement existant entre elle-même et ses intermédiaires de commerce tels les distributeurs autorisés, les épiciers, ses agents autorisés et les détenteurs de permis pour consommation sur place puisqu’elle doit majorer ses prix de façon substantielle avant de les vendre à ses intermédiaires. De plus, la demanderesse soutient que la défenderesse s’enrichit injustement à son détriment en lui imposant un fardeau fiscal plus lourd qu’à ses intermédiaires ayant eu également droit à des remboursements sur des inventaires de boissons alcooliques.
[23] Par ailleurs, la demanderesse souligne le fait que l’imposition d’un facteur de remboursement de 8,1 % ne lui permet de récupérer qu’à peine la moitié de l’ancienne taxe de vente fédérale qu’elle a effectivement payée sur ses inventaires de boissons alcooliques avant le 31 décembre 1990.
[24] Finalement, la demanderesse affirme que le règlement va clairement à l’encontre de l’objet de l’article de Loi qui est de rembourser la taxe de vente fédérale sur les inventaires détenus au 1er janvier 1991 afin d’éviter la double taxation de ces derniers.
LA QUESTION EN LITIGE
[25] Est-ce que le Règlement sur le remboursement de la taxe de vente fédérale à l’inventaire, précité, prescrivant un facteur de 8.1 % applicable dans le cas d’un remboursement de la taxe de vente fédérale sur des inventaires de boissons alcooliques est ultra vires des pouvoirs conférés par le paragraphe 120(5) de la Loi?
ANALYSE
La notion d’ultra vires et l’objet de la loi habilitante
[26] Tel que les cours de justice l’ont exprimé à de nombreuses reprises, le règlement est le véhicule par lequel le législateur autorise, par l’adoption d’une disposition législative prévoyant l’existence du pouvoir réglementaire, une certaine entité appelée « autorité réglementante » à établir un système cohérent de règles, ayant force de loi, afin de s’assurer de la bonne application de ladite loi délégatrice de ce pouvoir réglementaire.
[27] Il va donc de soi que les règlements adoptés en vertu du pouvoir réglementaire conféré par ladite loi se doivent de respecter l’objet de la loi qui exprime ainsi l’intention du législateur.
[28] Les principes d’interprétation des lois réitérés récemment par la Cour suprême du Canada dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27 [aux pages 40 et 41], nous permettent de cerner l’intention du législateur et par ce fait même, l’objet de la Loi :
Bien que l’interprétation législative ait fait couler beaucoup d’encre (voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994) (ci-après « Construction of Statutes »); Pierre-André Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990)), Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit :
[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.
[29] Ce point de vue fut d’ailleurs confirmé dans deux autres décisions récentes de la Cour suprême du Canada : CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général), [1999] 1 R.C.S. 743; et Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville); Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Boisbriand (Ville), [2000] 1 R.C.S. 665.
[30] Ainsi, on détermine qu’un règlement est au-delà ou ultra vires des pouvoirs réglementaires conférés par le législateur à l’autorité réglementante lorsque, entre autres, les règlements adoptés ne correspondent pas à l’objet de la loi ou de l’article de cette loi conférant ledit pouvoir.
[31] La Cour suprême du Canada a établi ce principe dans de nombreuses décisions fort célèbres et toujours utilisées de nos jours, telles que CKOY Ltd. c. Sa Majesté La Reine sur la dénonciation de Lorne Mahoney, [1979] 1 R.C.S. 2; Alaska Trainship Corporation et autre c. Administration du pilotage du Pacifique, [1981] 1 R.C.S. 261; et Procureur général du Canada c. Silk, [1983] 1 R.C.S. 335.
[32] Récemment, la Cour d’appel fédérale, sous la plume du juge Décary, réitérait les grands principes de la notion d’ultra vires dans Canada c. St. Lawrence Cruise Lines Inc., [1997] 3 C.F. 899 aux pages 912 à 914 :
La première démarche qui s’impose lorsque la validité d’un règlement est attaquée, est d’interpréter la loi habilitante. Il faut prendre garde d’appliquer aux règlements les principes d’interprétation dégagés par la jurisprudence sans d’abord s’interroger sur la portée du pouvoir réglementaire spécifique que confère la législation en cause. Ainsi que le notait lord Reid dans Padfield v. Minister of Agriculture, Fisheries and Foods :
[traduction] Le Parlement a dû attribuer ce pouvoir discrétionnaire avec l’intention qu’il soit exercé pour promouvoir la politique et les objets de la Loi. La politique et les objets de la Loi doivent être déterminés en interprétant la Loi dans son ensemble et l’interprétation est toujours une question de droit pour la cour. Dans une affaire semblable, il n’est pas possible de fixer des limites précises et inflexibles, mais si le ministre, parce qu’il a mal interprété la Loi ou pour toute autre raison, exerce son pouvoir discrétionnaire de façon à contrecarrer la politique ou les objets de la Loi ou à aller à l’encontre de ceux-ci, alors notre droit accuserait une grave lacune si les personnes qui en subissaient des préjudices n’avaient pas droit à la protection de la cour. Il est donc nécessaire de procéder d’abord à l’interprétation de la Loi.
Le juge Rand, dans Roncarelli v. Duplessis, s’était exprimé en ces termes :
[traduction] Dans une réglementation publique de cette nature, il n’y a rien de tel qu’une « discrétion » absolue et sans entraves, c’est-à-dire celle où l’administrateur pourrait agir pour n’importe quel motif ou pour toute raison qui se présenterait à son esprit; une loi ne peut, si elle ne l’exprime expressément, s’interpréter comme ayant voulu conférer un pouvoir arbitraire illimité pouvant être exercé dans n’importe quel but, si fantaisiste et hors de propos soit-il, sans avoir égard à la nature ou au but de cette loi … Une loi doit toujours s’entendre comme s’appliquant dans une certaine optique, et tout écart manifeste de sa ligne ou de son objet est tout aussi répréhensible que la fraude ou la corruption. Pourrait-on refuser un permis à celui qui le demande sous le prétexte qu’il est né dans une autre province, ou à cause de la couleur de ses cheveux? On ne peut fausser ainsi la forme courante d’expression de la législature.
Le juge Beetz, dans Montréal (Ville de) c. Arcade Amusements Inc. et autres avait par ailleurs fait sienne l’observation suivante de Louis-Philippe Pigeon dans Rédaction et interprétation des lois :
Il est une autre observation importante à faire sur la question du pouvoir de réglementation. C’est la suivante : le pouvoir de faire des règlements ne permet pas d’établir des dispositions discriminatoires. Autrement dit, un règlement doit, à moins que le texte qui l’autorise dise le contraire, s’appliquer à tout le monde de la même façon. Si l’on veut pouvoir faire des distinctions il faut le dire.
[…]
Le règlement attaqué a été adopté, nous dit la procureure de l’intimée, dans le but d’accroître les recettes et de réduire le déficit. Elle ajoutera à l’audience que les droits imposés le sont à l’entreprise appelante peu importe l’usage précis qu’elle fait des installations portuaires : ce n’est pas, nous dit-elle, un droit d’usage (a user fee). L’objectif recherché par le gouverneur en conseil n’est pas contesté en l’espèce. Il ne s’agit donc pas ici de rechercher quels motifs animaient le gouverneur en conseil, mais de déterminer si l’objectif recherché est conforme à ceux qu’autorise la loi habilitante. [Mes soulignés; citations omises.]
[33] Ainsi, après avoir entendu les plaidoiries des parties, je me dois de déterminer l’objet du paragraphe 120(5) de la Loi, qui confère à l’autorité réglementante le pouvoir de faire des règlements dans le but de déterminer la méthode de calcul du remboursement et les facteurs devant être utilisés.
L’objet de l’article 120 de la Loi—le contexte des dispositions transitoires
[34] Je note dans un premier temps que lors de l’audition du présent litige, l’avocat de la défenderesse a admis l’objet de l’article 120 de la Loi. L’audition ayant bénéficié de la présence d’un sténographe officiel, j’en profiterai donc pour citer quelques extraits provenant de l’audition du 30 mars 2000, à la page 9 :
LA COUR :
Mais poursuivant ma pensée vis-à-vis la vraie nature de cette disposition, donc, c’est une disposition qui donne le droit à certains individus, certaines sociétés, de—pour me servir du mot que vous utilisez—d’une ristourne sur les marchandises libérés de taxes.
Me SAVARY :
C’est ça. Et le but de tout ça, si on le regarde, monsieur le juge, c’est d’arrimer les deux régimes pour éviter une double taxation auprès du consommateur. Maintenant, si nous avions été dans un autre contexte budgétaire, peut-être qu’à ce moment-là, le 2.8 milliards $, ou le 3.3 milliards $, comme dit mon confrère, qui aurait finalement été déboursé, aurait été conservé et il n’y aurait pas eu de mesures d’arrimage pour éviter que les consommateurs soient surtaxés ou taxés doublement au niveau fédéral.
LA COUR :
Mais d’après vous, donc, vous rejoignez l’argument de votre confrère pour dire que le but, l’objet de cette section qui est la double taxe.
Me SAVARY :
Ah, je suis entièrement d’accord avec mon confrère là-dessus. C’est d’éviter que le consommateur ait à payer deux fois la taxe d’accise […] ou la taxe fédérale qui était en vigueur à l’époque et qui avait été imposée sur les produits qui étaient en stock au 31 décembre 1990.
[35] Ainsi donc, les deux parties s’entendent pour dire que l’objet de l’article 120 est d’éviter aux contribuables visés, ayant déjà payé l’ancienne taxe de vente sur les biens en inventaire, de se voir imposer une nouvelle fois sur les mêmes biens, puisqu’assujettis au nouveau système de taxation que constitue la TPS et ce, sans bénéficier d’un remboursement intégral. Toutefois, je dois m’assurer de la véracité de cette assertion en appliquant les principes d’interprétation susmentionnés.
[36] Je remarque donc que l’article 120 se trouve à la partie VIII de la Loi qui porte le titre de dispositions transitoires et qui comporte six articles. Ainsi, il est clair que ces articles visent nécessairement à assurer un passage plus aisé des nouvelles dispositions.
[37] Par ailleurs, après lecture des six articles, je constate que l’article 118 [édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1993, ch. 27, art. 6] permet d’éviter que ne soit imposé de nouveau certaines marchandises vendues par un marchand en gros titulaire d’une licence ou fabriquées ou produites au Canada qui ne sont pas livrées à l’acheteur avant le 1er janvier 1991 et dont la propriété ne lui est pas transmise avant cette même date. Ensuite, je remarque que les articles 120 et 121 [édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1993, ch. 27, art. 7; 1994, ch. 9, art. 1] traitent du remboursement de certaines taxes de vente, soit la taxe de vente à l’inventaire et sur les maisons neuves. Ainsi, on note que les dispositions transitoires semblent clairement vouloir prévenir certaines situations où certains contribuables auraient été contraints à payer deux fois, une taxe, sur un même bien.
[38] Je constate également qu’à l’alinéa 120(3)a) [édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12] de la Loi, le législateur, par la phraséologie utilisée, semble nettement imposer une obligation au ministre de verser un remboursement à la personne qui y a droit, en vertu de cette disposition, et qui en fait la demande. Je reproduis le texte pour une meilleure compréhension :
120. […]
(3) Sous réserve du présent article, dans le cas où l’inventaire d’une personne inscrite aux termes de la sous-section d de la section V de la partie IX le 1er janvier 1991 comprend, au début de cette date, des marchandises libérées de taxe, les règles suivantes s’appliquent :
a) si les marchandises libérées de taxe ne sont pas des marchandises d’occasion, le ministre verse à la personne, sur sa demande, un remboursement en conformité avec les paragraphes (5) et (8); [Mes soulignés.]
[39] Il ne fait aucun doute que la demanderesse rencontrait les exigences requises pour avoir droit à un remboursement. Cette question ne fait d’ailleurs pas l’objet du présent débat.
[40] Au paragraphe 120(5), on constate que la méthode de calcul du remboursement de la taxe n’y est pas incluse. Néanmoins, ce paragraphe délègue à une autorité réglementante, par l’utilisation des mots « prescrite » et « prescrits », le pouvoir de faire un règlement afin d’établir les paramètres nécessaires à la bonne marche du remboursement. En effet, le paragraphe 2(1) de la Loi prévoit la signification du mot « prescrit » [mod. par L.C. 1990, ch. 45, art. 1] :
2. (1) […]
« prescrit »
a) Dans le cas d’un formulaire, établi selon les instructions du ministre; dans le cas de renseignements à inscrire sur un formulaire ou de modalités de production d’un formulaire, déterminés selon les instructions du ministre;
b) dans les autres cas, visé par règlement, y compris déterminé conformément à des règles prévues par règlement. [Mes soulignés.]
[41] Toutefois, cette Loi ne comporte aucune définition du mot « remboursement », appliquant toujours les principes d’interprétation des lois, j’ai donc vérifié le sens ordinaire de ce mot et du mot connexe « rembourser » ainsi que du mot « rebate », utilisé dans la version anglaise. Selon le Petit Robert 1 : Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, ces mots signifient :
Remboursement : n. m. […] Action de rembourser.
Rembourser : v. tr. […] Payer (qqch.), pour faire rentrer qqn dans ses débours […] Faire rentrer (qqn) dans ses débours; rendre à (qqn).
[42] Le Petit Larousse Illustré définit ces mots de la façon suivante :
Remboursement : n. m. Action de rembourser; paiement d’un somme due.
Rembourser : v. tr. (de bourse) 1. Rendre à qqn l’argent emprunté. 2. Rendre à qqn l’argent qu’il a déboursé.
[43] Le New Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles définit le mot rebate comme suit :
[traduction] remboursement […] Diminution du montant d’une somme d’argent due; rabais. Aussi, remise partielle d’un montant d’argent payé.
rembourser v.t. Déduire (un certain montant) d’une somme; soustraire; réduire ou diminuer (une somme ou un montant) […] Offrir une réduction à quelqu’un […] Rendre (une somme d’argent) comme remboursement; donner un remboursement.
[44] Comme on peut le constater, l’utilisation par le législateur du mot remboursement nous permet de déterminer avec plus de conviction que son intention était effectivement d’obliger la remise d’une somme d’argent et que cette somme d’argent due se doit d’être remise, généralement, dans son intégralité.
[45] Par ailleurs, la demanderesse a soumis par affidavit divers documents techniques émis par le ministère des Finances de l’époque afin de fournir des informations sur le projet de loi C-62 instaurant la TPS et modifiant la Loi sur la taxe d’accise, précitée. Je remarque, entre autres, l’émission de notes explicatives sur ledit projet de loi par l’Honorable Michael H. Wilson, alors ministre des Finances, en date du mois de février 1990. Certaines parties de ces notes traitent de l’article 120 et indiquent :
Article 120
Cet article autorise le versement d’un remboursement de la taxe de vente à une personne inscrite, pour l’application des dispositions relatives à la TPS, à l’égard des marchandises neuves libérées de taxe de vente fédérale (c’est-à-dire des marchandises libérées de taxe) qui figurent à l’inventaire de la personne au Canada le 1er janvier 1991. Le remboursement de la taxe de vente à l’inventaire vise à éviter que les marchandises neuves figurant à l’inventaire le 1er janvier 1991 soient l’objet à la fois de la taxe de vente fédérale et de la TPS après 1990.
[…]
Paragraphe 120(3) Remboursement de la taxe de vente
Aux termes de ce paragraphe, le ministre du Revenu national est tenu de verser un remboursement de la taxe de vente, sur demande, à une personne inscrite sous le régime des dispositions touchant la TPS. [Mes soulignés.]
[46] En mai 1990, de nouvelles notes explicatives ont, une fois de plus, été publiées suite à l’adoption du projet de loi C-62, le 10 avril 1990. Toutefois, en ce qui a trait à l’article 120, les commentaires sont substantiellement les mêmes dans les circonstances, il n’est pas pertinent de les reproduire.
CONCLUSION
[47] De tout ceci, je n’ai aucune difficulté à conclure que l’objet de l’article 120 est d’assurer qu’il y ait un mécanisme de remboursement de la taxe de vente payée avant le 1er janvier 1991, mis en place afin d’éviter une double imposition des mêmes biens. Or, il appert que le mécanisme en question, élaboré par le Règlement rencontre, à tout le moins dans la grande majorité des cas, cette finalité et ce, grâce à l’existence de facteurs différents qui tiennent compte du taux de taxe antérieurement payé.
[48] En effet, il a été démontré devant moi que les différents facteurs de remboursement prévus à l’article 3 du Règlement visant d’autres produits que les boissons alcooliques, sont beaucoup plus représentatifs et assurent un remboursement nettement plus réel des sommes d’argent payées. Néanmoins, je n’ai guère le choix que de conclure que dans le cas de boissons alcooliques, l’objet de l’article 120 n’est pas rencontré.
[49] J’adhère effectivement aux arguments de la demanderesse qui souligne la grande disparité entre la taxe de vente antérieurement payée qui était au taux de 19 % et le taux (ou facteur) de remboursement fixé à 8,1 %. Compte tenu de l’objet de la Loi, il ne fait aucun doute à mon esprit que la demanderesse n’a pas obtenu le remboursement auquel elle aurait dû avoir droit et ce, en raison de l’adoption de ce facteur disproportionné eu égard à la taxe antérieurement payée.
[50] Ceci est d’autant plus vrai qu’il appert des faits que les facteurs prévus à l’article 3 du Règlement ont eu pour effet, dans le cas exclusif de la demanderesse, d’annihiler l’objet de la Loi.
[51] Comme je l’ai mentionné ci-haut, l’ancienne taxe de vente était acquittée à chacune des étapes de production et de distribution, soit par l’importateur, le manufacturier, le grossiste et le détaillant, et ce en fonction d’un taux de taxe qui variait entre 9 % et 13.5 %. Ces dits intermédiaires qui possédaient au 1er janvier 1991 un inventaire pour lequel la taxe de vente avait été acquittée, avaient le droit d’obtenir un remboursement en fonction de la méthode prescrite.
[52] Toutefois, on constate que suivant l’historique de l’élaboration des facteurs de remboursement, le ministre, pour des raisons de commodité, s’est limité à élaborer un taux général de 8.1 % applicable dans tous les cas non spécifiquement prévus et qui ne tient pas compte de l’étape de production et de distribution pour lequel le remboursement était effectivement réclamé puisqu’il apparaissait des études faites que dans la majorité des cas, les remboursements seraient réclamés par les détaillants.
[53] On remarque donc que logiquement, le remboursement qui sera réclamé par chacun des intermédiaires sera fondé sur le coût payé des biens constituant l’inventaire, ledit coût incluant nécessairement la taxe payée par l’intermédiaire précédent majoré du profit fait par ce dernier. Ainsi, selon l’étape en cause, le remboursement obtenu ne sera pas le même.
[54] Dans presque tous les cas, les intermédiaires sont tous des entités distinctes qui profitent donc tous de la façon selon laquelle on doit calculer le coût de l’inventaire (taxe payée majorée du profit de l’intermédiaire) décrit ci-haut sauf la demanderesse qui ne peut bénéficier d’un tel avantage puisqu’elle cumule à elle seule les rôles de tous et chacun des intermédiaires sus-mentionnés.
[55] En outre, je ne peux souscrire à l’argument de la défenderesse qui soutient que la demanderesse a bénéficié d’un remboursement équitable puisqu’elle a pu récupérer approximativement un demi-million de dollars grâce à une augmentation des droits d’accise prélevés en conformité de la Loi sur l’accise, L.R.C. (1985), ch. E-14, survenue au même moment que l’entrée en vigueur du projet de loi C-62 instaurant la TPS, qu’elle n’a pas eu à payer mais qu’elle a pu récupérer auprès des contribuables.
[56] Il s’agit clairement ici d’interpréter l’intention du législateur dans le contexte des modifications apportées à la Loi sur la taxe d’accise, précitée, par l’entremise de l’adoption du projet de loi C-62 et non dans le cadre d’une toute autre loi qui prévoit un autre système de taxation. Je ne vois donc aucune pertinence à cet argument.
[57] Ainsi, ayant conclu que pour ce qui est de la situation de la demanderesse, et je tiens à limiter la portée de ce jugement à la situation exceptionnelle de la demanderesse qui exerce à la fois le rôle d’importateur, de distributeur, de grossiste et de détaillant, il appert que le facteur de remboursement de 8,1 % prévu à l’alinéa 3h) du Règlement, adopté en vertu du pouvoir réglementaire prévu au paragraphe 120(5) de la Loi, est ultra vires desdits pouvoirs conférés en ce qu’il ne respecte pas l’objet de l’article en question tel qu’exposé ci-haut. Néanmoins, et puisque cet article s’avère intra vires dans la grande majorité des cas, je n’entends pas le déclarer inopérant et ce, afin d’éviter un vide juridique inutile qui ne pourrait être comblé par l’adoption d’un nouveau règlement.
[58] Toutefois, ayant conclu que l’alinéa 3h) du Règlement ne respectait pas l’objet de la Loi, il va de soi que la demanderesse est en droit d’obtenir réparation. Étant donné les circonstances précises de l’affaire, je déclare donc que la demanderesse est en droit d’obtenir le plein remboursement de la somme réclamée.
[59] Ainsi, afin de rétablir la situation, j’ordonne donc ce qui suit :
• J’accueille l’appel de la demanderesse dans le cadre des litiges portant les numéros de dossiers T-1251-92 et T-903-93.
• J’annule les avis de décisions du ministre du Revenu nationale datés du 5 mars 1993 et du 18 mars 1992.
• J’annule également les avis de détermination portant les numéros 2228-0199265 (22 novembre 1991) et 2228-0167034 (16 juillet 1991).
• Je déclare que la demanderesse est en droit d’obtenir le remboursement des sommes suivantes soit :
Dans le cadre du dossier T-1251-92 :
La somme de 6 778 712 48 $ représentant la différence entre le montant réclamé dans le formulaire TPS 207F, daté du 19 février 1991 et la somme accordée par le sous-ministre du Revenu national, Douanes et Accise dans l’avis de détermination portant le numéro 2228-0167034 et daté du 16 juillet 1991. Intérêts en sus.
Dans le cadre du dossier T-903-93 :
La somme de 361 191 69 $ représentant la différence entre le montant réclamé dans le formulaire TPS 207F, daté du 1er octobre 1991 et la somme accordée par le sous-ministre du Revenu national, Douanes et Accise dans l’avis de détermination portant le numéro 2228-0199265 et daté du 22 novembre 1991. Intérêts en sus.
• J’accorde les dépens à la demanderesse.