[2001] 1 C.F. 30
A-346-98
T-1645-97
Le procureur général du Canada (appelant)
c.
Le Lieutenant-Colonel Paul R. Morneault (intimé)
Répertorié : Morneault c. Canada (Procureur général) (C.A.)
Cour d’appel, juges Stone, Strayer et Robertson, J.C.A.—Ottawa, 21 mars et 24 mai 2000.
Droit administratif — Contrôle judiciaire — Jugements déclaratoires — Appel d’une décision par laquelle la Section de première instance a accueilli la demande de contrôle judiciaire que l’intimé avait présentée à l’égard des conclusions énoncées dans le rapport d’une commission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie — Le juge des requêtes a statué que les déclarations générales quant à la crédibilité des témoins et à la condamnation du personnel dont la conduite est reprochée ne s’appliquent pas à l’intimé; que les conclusions relatives à la faute imputée à l’intimé sont invalides — L’obtention d’un jugement déclaratoire est possible, peu importe que le rapport d’une commission d’enquête soit considéré comme n’ayant « aucune conséquence légale » — C’est parce que la réputation de l’intimé est en jeu qu’il faut respecter l’équité procédurale — Les Règles de la Cour fédérale (1998) prévoient l’obtention d’un jugement déclaratoire, et ce, qu’une réparation puisse être en conséquence demandée ou non — Même si un jugement déclaratoire ne portait pas atteinte à un droit légal, il aurait l’utilité d’éliminer tout tort qui pourrait avoir été causé à la réputation de l’intimé — Les jugements déclaratoires portant que les déclarations générales ne s’appliquent pas à l’intimé sont confirmés — Le juge des requêtes a appliqué la norme de la décision manifestement déraisonnable, requérant que la décision soit étayée par des éléments de preuve — Il est préférable d’examiner les conclusions tirées par une commission d’enquête en se demandant si elles sont étayées jusqu’à un certain point par la preuve — Le dossier renferme des éléments de preuve à l’appui des conclusions que le juge des requêtes estimait non étayées.
Compétence de la Cour fédérale — Section de première instance — Le juge des requêtes a conclu que la Cour avait compétence pour examiner les conclusions tirées par une commission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie parce qu’il s’agit de « décisions » au sens de l’art. 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale — Le juge des requêtes a fait remarquer que la procédure que la Commission avait suivie était semblable à celle qui s’applique dans une cour de justice et que cela étayait l’argument selon lequel les conclusions étaient des « décisions » — Les similitudes qui existent sur le plan de la procédure ne constituent pas un fondement valable permettant de conclure que les conclusions en question sont des « décisions » susceptibles d’être examinées en vertu de l’art. 18.1(4)d) — Cependant, le contrôle judiciaire prévu à l’art. 18.1 n’est pas limité à « une décision ou une ordonnance » — L’art. 18.1(1) permet à « quiconque est directement touché » de solliciter le contrôle judiciaire — Une question autre qu’une décision peut également être examinée — La réputation de l’intimé est directement touchée par les conclusions — La Cour doit être en mesure de déterminer si les conclusions sont justifiables compte tenu de la preuve — La Commission est visée par la définition d’« office fédéral » prévue à l’art. 2(1) — Son mandat lui a été dévolu par un décret et ses pouvoirs d’enquête ainsi que son pouvoir de tirer des conclusions relatives à une faute lui sont dévolus par la Loi sur les enquêtes — Si les conclusions en cause sont susceptibles de révision en vertu de l’art. 18.1, une mesure peut être prise en vertu de l’art. 18.1(3), à condition qu’un motif justifiant la prise de cette mesure soit établi en vertu de l’art. 18.1(4) — Une conclusion non étayée tirée par la Commission dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi est visée par l’art. 18.1(4)b) (non-respect d’un principe de justice naturelle ou de l’équité procédurale) — La jurisprudence n’a pas limité l’application de ces principes aux audiences qui aboutissent à une décision ou à une ordonnance — La justice naturelle n’est pas respectée si les conclusions ne sont pas étayées par la preuve.
Enquêtes — L’art. 13 de la Loi sur les enquêtes prévoit que la personne incriminée doit être informée par un préavis suffisant de la faute qui lui est imputée et qu’elle doit avoir la possibilité de se faire entendre en personne ou par le ministère d’un avocat — L’intimé a reçu signification d’un préavis en vertu de l’art. 13 — Cela est amplifié par le fait qu’une lettre informait l’intimé qu’on se pencherait dans le Rapport final sur les allégations selon lesquelles il aurait fait preuve d’un manque de leadership et d’un leadership inadéquat au cours de l’étape antérieure au déploiement de la mission du Régiment aéroporté du Canada en Somalie — D’autres précisions ont été fournies par la suite — Le juge des requêtes a conclu qu’un préavis en vertu de l’art. 13 aurait dû être donné au sujet des déclarations générales dans le Rapport relatives à la crédibilité des témoins, mais que ces déclarations ne s’appliquaient pas à l’intimé; que la Commission n’avait pas donné un préavis suffisant des questions qu’elle a citées pour conclure à l’existence d’une faute — La déclaration relative à la crédibilité des témoins ne vise manifestement pas l’intimé — Cependant, les conclusions défavorables quant à la crédibilité n’exigeaient pas la signification d’un préavis en vertu de l’art. 13 — En général, la procédure d’enquête n’exige pas la signification d’un préavis disant que la crédibilité d’une partie peut faire l’objet d’une conclusion défavorable — Pareille conclusion pourrait uniquement être tirée après que le témoin ait témoigné et que son témoignage puisse être apprécié à la lumière des autres éléments de preuve — La déclaration de condamnation générale semble à première vue s’appliquer à tous les officiers dont la conduite est examinée, y compris à l’intimé — Il existe un rapport direct entre la déclaration et les conclusions relatives à la faute imputée — L’intimé a reçu un préavis suffisant des conclusions relatives à la faute qui lui a été imputée — La portée du mandat de la Commission permet ces conclusions — L’intimé était présent en personne ou par le ministère de son avocat pendant toute la durée des audiences testimoniales, il a obtenu à l’avance un résumé de ce que les autres témoins avaient l’intention de déclarer, il a eu accès à toute la preuve documentaire — Il a eu le droit d’interroger et de contre-interroger les témoins et de demander l’autorisation de citer ses propres témoins, l’avocat de la Commission l’a préparé avant qu’il témoigne et il a eu la possibilité de présenter des observations orales et écrites — Ces facteurs ainsi que le préavis donné en vertu de l’art. 13 ont permis à l’intimé de prendre connaissance de la preuve présentée contre lui.
Forces armées — Appel d’une ordonnance par laquelle la Section de première instance a conclu que l’intimé n’était pas visé par les déclarations générales dans le rapport de la commission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie concernant la crédibilité des témoins et condamnant le personnel dont la conduite est reprochée; les conclusions relatives à la faute imputée à l’intimé sont invalides — La Commission a donné un préavis suffisant, en vertu de l’art. 13 de la Loi sur les enquêtes, des questions qu’elle a citées pour conclure à l’existence d’une faute — Les conclusions relatives à l’existence d’une faute sont susceptibles d’être examinées en vertu de l’art. 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale — Les conclusions de fait au sujet de la conduite de l’intimé sont étayées par des éléments de preuve.
Il s’agit d’un appel d’une ordonnance par laquelle la Section de première instance a accueilli la demande de contrôle judiciaire que l’intimé avait présentée à l’égard des conclusions qui sont énoncées dans le rapport d’une commission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie. L’enquête a été menée conformément aux dispositions de la Loi sur les enquêtes. En 1992, au moment où l’on a choisi le Régiment aéroporté du Canada aux fins du déploiement en Somalie, le régiment était sous le commandement de l’intimé. L’intimé a reçu signification d’un préavis en vertu de l’article 13 de la Loi sur les enquêtes pour l’informer qu’il avait le droit de se faire entendre relativement à des accusations ou à des allégations concernant la phase antérieure au déploiement qui pourraient donner lieu à une conclusion défavorable raisonnablement susceptible de le discréditer. L’article 13 de la Loi sur les enquêtes prévoit que la personne incriminée doit être informée par un préavis suffisant de la faute qui lui est imputée et qu’elle doit avoir la possibilité de se faire entendre en personne ou par le ministère d’un avocat. L’intimé a été interrogé par l’avocat de la Commission pendant toute la journée. Il a témoigné devant la Commission du 22 au 25 janvier 1996. En janvier 1997, on a informé l’intimé par une lettre que les commissaires allaient examiner dans leur Rapport final les allégations selon lesquelles il aurait fait preuve d’un manque de leadership et d’un leadership inadéquat au cours de l’étape antérieure au déploiement de la mission en Somalie en négligeant d’organiser, de diriger et de superviser comme il convient les préparatifs de la formation du Régiment et en négligeant son devoir de commandant, tel qu’il est défini dans les Ordonnances et règlements royaux et dans les coutumes militaires. En réponse à une demande de détails additionnels, la commission a fourni d’autres précisions. L’intimé a déposé de longues observations écrites et a présenté verbalement des observations devant la Commission au sujet des fautes imputées. Dans sa requête, l’intimé mettait l’accent sur des déclarations générales que la Commission avait faites pour déplorer la crédibilité des témoins et pour condamner les officiers dont la conduite est reprochée, ainsi que sur des conclusions précises sur la faute qui lui a été imputée. Même si le juge des requêtes était d’accord pour dire qu’un préavis aurait dû être donné au sujet des déclarations générales en vertu de l’article 13, elle a conclu que les déclarations ne s’appliquaient pas à l’intimé. Le juge des requêtes a statué qu’elle avait compétence pour examiner les conclusions précises sur la faute imputée à l’intimé parce qu’il s’agit de « décisions » au sens de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale. Cet alinéa prévoit que la Section de première instance peut ordonner une mesure de redressement aux termes du paragraphe 18(3) si elle est convaincue que l’office fédéral a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée. Elle a fait remarquer que la procédure que la Commission avait suivie en enquêtant sur la faute imputée était semblable à celle qui s’applique dans une cour de justice et que cela étayait l’argument selon lequel les conclusions étaient des « décisions » susceptibles d’être examinées en vertu de l’alinéa 18.1(4)d). Elle a conclu qu’aucun préavis suffisant n’avait été donné relativement à la faute imputée, que les conclusions n’étaient pas étayées par le dossier de l’enquête et que la décision rendue était manifestement déraisonnable.
Il s’agit de savoir si le juge des requêtes a commis une erreur en statuant 1) que la Commission n’avait pas donné un préavis suffisant des questions qu’elle a finalement citées pour conclure à l’existence d’une faute; 2) que ces conclusions constituaient des « décisions » susceptibles de révision au sens de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale; 3) que les conclusions de fait tirées par la Commission au sujet de la conduite de l’intimé n’étaient pas étayées par la preuve et qu’elles étaient donc manifestement déraisonnables.
Arrêt : l’appel est accueilli en partie, mais les jugements déclaratoires portant que les déclarations générales ne s’appliquent pas à l’intimé sont confirmés.
1) Le ton de la remarque générale relative à la crédibilité des témoins indique clairement qu’elle ne vise pas tous les officiers supérieurs de façon à inclure nécessairement l’intimé. Même si la déclaration s’appliquait à l’intimé, sa présence ne privait pas l’intimé de l’équité procédurale puisqu’il ne semble pas y avoir de rapport entre cette déclaration et les conclusions relatives à la faute. Les conclusions défavorables quant à la crédibilité n’exigeaient pas la signification d’un préavis en vertu de l’article 13. En général, la procédure d’enquête ne semble pas exiger la signification d’un préavis disant que la crédibilité d’une partie peut faire l’objet d’une conclusion défavorable. Pareille conclusion pourrait uniquement être tirée après que la personne en question a témoigné et peut-être pas avant que son témoignage puisse être soupesé et apprécié à la lumière des autres éléments de preuve. L’exigence selon laquelle il faut signifier un préavis pourrait bien imposer à une commission d’enquête une norme d’équité procédurale beaucoup trop rigoureuse.
La déclaration de condamnation générale semble à première vue s’appliquer à tous les officiers dont la conduite est examinée, y compris à l’intimé. Il existe en outre un rapport direct entre la déclaration et les conclusions relatives à la faute imputée, en ce sens que la déclaration vise expressément « certaines personnes » nommées par la suite. Le juge des requêtes a conclu que la déclaration ne s’appliquait pas à l’intimé. L’ordonnance déclaratoire a été confirmée à cet égard, de façon à éliminer toute possibilité de doute au sujet du fait que cette déclaration sévère, qui à première vue vise l’intimé, n’était pas destinée à s’appliquer à lui. L’obtention d’un jugement déclaratoire est possible, peu importe que le rapport d’une commission d’enquête soit considéré comme n’ayant « aucune conséquence légale ». C’est parce que la réputation de l’intimé est en jeu qu’il faut respecter l’équité procédurale. Les Règles de la Cour fédérale (1998) prévoient en outre l’obtention d’un jugement déclaratoire, et ce, qu’une réparation soit ou puisse être en conséquence demandée ou non. Même si un jugement déclaratoire ne portait pas atteinte à un droit légal, il aurait l’utilité d’éliminer tout tort qui pourrait avoir été causé à la réputation de l’intimé par la déclaration.
L’intimé a reçu un préavis suffisant des conclusions précises relatives à la faute imputée. La portée de l’avis et du mandat de la Commission permet fort bien ces conclusions. L’intimé était présent en personne ou par le ministère de son avocat pendant toute la durée des audiences testimoniales sur la phase antérieure au déploiement, il a obtenu à l’avance un résumé de ce que les autres témoins avaient l’intention de déclarer, il a eu accès à toute la preuve documentaire, il a eu le droit d’interroger et de contre-interroger les témoins et de demander l’autorisation de citer ses propres témoins, l’avocat de la Commission l’a préparé avant qu’il témoigne et il a eu la possibilité de présenter des observations orales et des observations écrites avant que les conclusions en question soient tirées. Ces facteurs ainsi que le préavis donné en vertu de l’article 13 ont permis à l’intimé de prendre connaissance de la substance de la preuve présentée contre lui.
2) Il n’est pas clair que les similitudes qui existent sur le plan de la procédure constituent en tant que telles un fondement valable permettant de conclure que les conclusions en question sont des « décisions » susceptibles d’être examinées en vertu de l’alinéa 18.1(4)d). Cependant, même s’il n’existe aucun motif justifiant l’octroi d’une réparation en vertu de cet alinéa, les conclusions en cause peuvent néanmoins être examinées en vertu de l’article 18.1. Le contrôle judiciaire prévu à cet article n’est pas limité à « une décision ou une ordonnance ». Le paragraphe 18.1(1) permet au procureur général du Canada et à « quiconque est directement touché » de solliciter le contrôle judiciaire. Il ressort clairement de la disposition dans son ensemble que, si d’une part une décision ou une ordonnance est une question qui peut être examinée, d’autre part une question autre qu’une décision ou une ordonnance peut également être examinée. L’intimé est directement touché par les conclusions et celles-ci peuvent être examinées en vertu de l’article 18.1. Les conclusions sont exceptionnellement importantes pour l’intimé à cause des conséquences qu’elles ont sur sa réputation. La Cour doit être en mesure de déterminer si les conclusions sont justifiables compte tenu de la preuve.
Pour pouvoir être examinée en vertu de l’article 18.1, une question doit émaner d’un « office fédéral ». La Commission est visée par cette définition prévue au paragraphe 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale, parce que son mandat lui a été dévolu par un décret et que ses pouvoirs d’enquête ainsi que son pouvoir de tirer des conclusions relatives à une faute lui sont dévolus par la Loi sur les enquêtes. Si les conclusions en cause sont susceptibles de révision en vertu de l’article 18.1, une mesure peut être prise en vertu du paragraphe 18.1(3), à condition qu’un motif justifiant la prise de cette mesure soit établi en vertu du paragraphe 18.1(4). Si les conclusions ne sont pas des « décisions ou des ordonnances », rien ne permet d’effectuer un examen en vertu des alinéas 18.1(4)d) ou 18.1(4)c). Une conclusion non étayée qui est tirée par la Commission dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi est visée par l’alinéa 18.1(4)b), ce qui permet à la Section de première instance d’ordonner une mesure de redressement lorsque l’office fédéral ne se conforme pas à un principe de justice naturelle ou à l’équité procédurale. Bien que la justice naturelle et l’équité procédurale soient habituellement associées à la qualité d’une audience qui aboutit à une décision ou à une ordonnance, la jurisprudence n’a pas ainsi limité la chose. Par conséquent, la justice naturelle n’est pas respectée si les conclusions de l’office, y compris celles qu’une commission d’enquête tire, ne sont pas étayées par la preuve. Si les conclusions en cause sont étayées par la preuve, l’intimé ne peut pas réellement se plaindre qu’elles ont peut-être terni sa réputation. Si aucun élément de preuve n’étayait les conclusions, le tort qui pourrait être causé à la réputation de l’intimé serait important. L’intimé ne pourrait pas se présenter de nouveau devant la Commission pour faire corriger l’erreur, puisque le mandat de la Commission est épuisé. L’intimé ne pourrait pas non plus en appeler d’une conclusion erronée devant une cour de justice. À moins que les conclusions en cause ne soient susceptibles de révision en vertu de l’article 18.1, toute erreur qui peut avoir été commise ne pourrait jamais être corrigée et il ne serait jamais possible de remédier au tort qui a pu être fait.
3) Une décision n’est pas manifestement déraisonnable s’il existe des éléments de preuve susceptibles de la justifier. Le juge des requêtes a examiné les conclusions selon la norme de la décision manifestement déraisonnable. Étant donné qu’il s’agit de conclusions tirées par une commission d’enquête, il est préférable de les examiner en se demandant si elles sont étayées jusqu’à un certain point par la preuve versée au dossier de l’enquête. Le dossier de l’enquête renferme des éléments de preuve suffisants à l’appui de chacune des conclusions que le juge des requêtes estimait non étayée. Même si la preuve ne semble peut-être pas tout à fait cohérente, il incombait à la Commission, en tirant ses conclusions de fait, de soupeser et d’apprécier la preuve présentée par les divers témoins. Il n’incombe pas à la cour qui effectue l’examen de s’attribuer le rôle des commissaires en soupesant et en appréciant de nouveau la preuve en cause.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2(1) « office fédéral » (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1), 18.1 (édicté, idem, art. 5), 28.
Loi sur l’emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, ch. P-32, art. 21b).
Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11, art. 13.
Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (Révision de 1994), art. 4.20.
Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règle 64.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Merricks v. Nott-Bower, [1964] 1 All E.R. 717 (C.A.); Mahon v. Air New Zealand Ltd., [1984] 1 A.C. 808 (C.P.); Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d’Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316; (1993), 102 D.L.R. (4th) 402; 153 N.R. 81; Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476 (1999), 19 C.C.P.B. 179; 236 N.R. 317 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur le système d’approvisionnement en sang au Canada), [1997] 3 R.C.S. 440; (1997), 151 D.L.R. (4th) 1; 48 Admin. L.R. (2d) 1; 216 N.R. 321; Nenn c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 631; (1981), 122 D.L.R. (3d) 577; 36 N.R. 487.
DÉCISIONS CITÉES :
Landreville c. La Reine, [1973] C.F. 1223; (1973), 41 D.L.R. (3d) 574 (1re inst.); Peters v Davison, [1999] 2 NZLR 164 (C.A.); Canadian Fishing Company Limited et al. v. Smith et al., [1962] R.C.S. 294; (1962), 32 D.L.R. (2d) 641; 37 W.W.R. 625; 39 C.P.R. 1; Moumdjian c. Canada (Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité), [1999] 4 C.F. 624 (1999), 177 D.L.R. (4th) 192; 246 N.R. 287 (C.A.); Sweet c. Canada (1999), 249 N.R. 17 (C.A.F.); Devinat c. Canada (Commission de l’immigration et du statut de réfugié), [2000] 2 C.F. 212 (1999), 181 D.L.R. (4th) 441; 3 Imm. L.R. (3d) 1; 250 N.R. 326 (C.A.); Al Yamani c. Canada (Solliciteur général), [1996] 1 C.F. 174 (1995), 129 D.L.R. (4th) 226; 32 C.R.R. (2d) 295; 103 F.T.R. 105; 31 Imm. L.R. (2d) 191 (1re inst.); Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire de l’enquête sur l’approvisionnement en sang), [1996] 3 C.F. 259 (1996), 136 D.L.R. (4th) 449; 37 Admin. L.R. (2d) 260; 115 F.T.R. 81 (1re inst.); Ontario Public Service Employees’ Union et al. and The Queen in right of Ontario, Re (1984), 45 O.R. (2d) 70; 5 D.L.R. (4th) 651; 2 O.A.C. 351 (C. div.); Hamilton Street Railway Co. v. Amalgamated Transit Union, Local 1585, [1996] O.J. no 3039 (C. div.) (QL).
DOCTRINE
Brown, Donald J. M. and John M. Evans. Judicial Review of Administrative Action in Canada, loose-leaf ed. Toronto : Canvasback, 1998.
Commission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie. Un héritage déshonoré : Les leçons de l’affaire somalienne : Rapport de la Commission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie. Ottawa : Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 1997.
Wade, Sir William and C. Forsyth. Administrative Law, 7th ed. Oxford : Clarendon Press, 1994.
APPEL d’une décision par laquelle la Section de première instance a accueilli la demande de contrôle judiciaire que l’intimé avait présentée à l’égard des conclusions qui sont énoncées dans le rapport d’une commission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie (Morneault c. Canada (Procureur général) (1998), 10 Admin. L.R. (3d) 251; 150 F.T.R. 28 (C.F. 1re inst.)). Appel accueilli en partie.
ONT COMPARU :
Ivan Whitehall, c.r., Lynn Watt et Catherine J. Moore pour l’appelant.
Ronald D. Lunau et Maryrose Ebos pour l’intimé.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Le sous-procureur général du Canada pour l’appelant.
Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour l’intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1] Le juge Stone, J.C.A. : Il s’agit d’un appel d’une ordonnance par laquelle la Section de première instance a accueilli, le 27 avril 1998, la demande de contrôle judiciaire que l’intimé avait présentée à l’égard des conclusions qui sont énoncées dans le rapport d’une commission d’enquête (la Commission) du 30 juin 1997 (le rapport) sur le déploiement, en 1992, des Forces canadiennes en Somalie [Un héritage déshonoré : Les leçons de l’affaire somalienne : Rapport de la Commission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie]. L’enquête a été menée conformément aux dispositions de la Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11. La demande, qui a été présentée conformément à l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5], visait à faire annuler diverses conclusions énoncées dans le rapport. Au moyen de l’ordonnance ici en cause, le juge des requêtes a dit que certaines des conclusions figurant dans le rapport ne s’appliquaient pas à l’intimé et a dit que d’autres conclusions n’étaient pas valides.
[2] Étant donné que les faits ayant donné lieu au litige sont énoncés au complet dans le jugement du juge des requêtes[1], il ne sera pas nécessaire de les reprendre en détail. En abordant les questions soulevées dans le présent appel, il importe de se rappeler les remarques que le juge Cory a faites dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur le système d’approvisionnement en sang au Canada), [1997] 3 R.C.S. 440 (ci-après l’affaire Krever), au sujet de la nature distinctive d’une commission d’enquête. Au paragraphe 34 [page 460], le juge Cory a fait les remarques suivantes :
Une commission d’enquête ne constitue ni un procès pénal, ni une action civile pour l’appréciation de la responsabilité. Elle ne peut établir ni la culpabilité criminelle, ni la responsabilité civile à l’égard de dommages. Il s’agit plutôt d’une enquête sur un point, un événement ou une série d’événements. Les conclusions tirées par un commissaire dans le cadre d’une enquête sont tout simplement des conclusions de fait et des opinions que le commissaire adopte à la fin de l’enquête. Elles n’ont aucun lien avec des critères judiciaires normaux. Elles tirent leur source et leur fondement d’une procédure qui n’est pas assujettie aux règles de preuve ou de procédure d’une cour de justice. Les conclusions d’un commissaire n’entraînent aucune conséquence légale. Elles ne sont pas exécutoires et elles ne lient pas les tribunaux appelés à examiner le même objet.
HISTORIQUE
[3] La Commission a été constituée au moyen d’un décret daté du 20 mars 1995 [C.P. 1995-442] « en vertu de la partie I de la Loi sur les enquêtes », son mandat consistant à faire enquête et à faire rapport.
[…] sur le fonctionnement de la chaîne de commandement, le leadership au sein de la chaîne de commandement, la discipline, les opérations, les mesures et les décisions des Forces canadiennes, ainsi que les mesures et les décisions du ministère de la Défense nationale, en ce qui a trait au déploiement des Forces canadiennes en Somalie.
En s’acquittant de ce mandat, la Commission devait tenir compte en particulier de plusieurs questions énumérées se rapportant à la phase antérieure au déploiement, à la phase des opérations sur le théâtre et à la phase postérieure au déploiement en Somalie. Les questions se rapportant à la phase antérieure au déploiement sont ci-après énoncées :
Période antérieure au déploiement (avant le 10 janvier 1993)
a) la question de savoir si le Régiment aéroporté du Canada était apte à se déployer en Somalie;
b) la mission et les tâches assignées au groupement tactique du Régiment aéroporté du Canada (GTRAC) et l’aptitude de sa composition et de son organisation à exécuter la mission et les tâches qui lui ont été confiées;
c) l’état de préparation opérationnelle du GTRAC avant son déploiement afin qu’il accomplisse la mission et les tâches qui lui ont été confiées;
d) le bien fondé de la présélection et de la sélection des officiers et des militaires du rang appelés à participer au déploiement en Somalie;
e) l’à-propos des objectifs et des normes d’entraînement ayant servi à préparer le déploiement du Régime aéroporté;
f) l’état de la discipline au sein du Régiment aéroporté du Canada avant l’établissement du GTRAC et au sein du GTRAC avant son déploiement;
g) l’efficacité des décisions et des mesures prises durant la période d’entraînement antérieure au déploiement par les leaders à tous les niveaux du Régime aéroporté afin de le préparer à la mission et aux tâches qui lui incombaient en Somalie;
h) l’efficacité des décisions et des mesures prises par les leaders à tous les niveaux du Commandement de la Force terrestre afin de résoudre les problèmes d’ordre opérationnel, disciplinaire et administratif qu’ont connus le Régiment aéroporté du Canada et le GTRAC au cours de la période qui a mené au déploiement du GTRAC en Somalie;
i) l’efficacité des décisions et des mesures prises par les leaders des Forces canadiennes à tous les niveaux pour faire en sorte que le GTRAC soit en état de préparation opérationnelle, dûment entraîné et doté des effectifs et de l’équipement nécessaires pour accomplir la mission et les tâches qui lui incombaient en Somalie;
[4] En 1992, au moment où l’on a choisi le Régiment aéroporté du Canada (le régiment) aux fins du déploiement en Somalie, le régiment était sous le commandement de l’intimé, qui avait été nommé à ce poste le 24 juin 1992. En plus de son quartier général et d’une unité de services, le régiment était composé de trois unités de la taille d’une compagnie : le 1er Commando, le 2e Commando et le 3e Commando, qui étaient respectivement sous le commandement des majors Pommet, Seward et Magee. Le 5 septembre 1992, le régiment a reçu un avis officiel (un « ordre d’avertissement ») qu’il avait été affecté à une mission de maintien de la paix (portant le nom de code « Opération Cordon ») en Somalie, laquelle était régie par les dispositions du chapitre VI de la Charte des Nations Unies [[1945] R.T. Can. no 7]. La nature de la mission a changé le 2 décembre 1992 pour devenir une mission d’imposition de la paix régie par les dispositions du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. L’intimé a continué à servir à titre de commandant jusqu’au 21 octobre 1992, date à laquelle il a été relevé de ses fonctions. Il espérait que la Commission enquêterait sur les circonstances qui avaient entraîné son renvoi.
[5] Le 15 septembre 1995, l’intimé a demandé à la Commission de lui reconnaître pleine qualité pour agir comme partie et, par une ordonnance datée du 20 septembre 1995, sa demande a été accueillie. Le 22 septembre 1995, l’intimé a reçu signification, sous le sceau de la confidentialité, d’un préavis en vertu de l’article 13 de la Loi sur les enquêtes. Le préavis se lit en partie comme suit :
[traduction]
SOYEZ AVISÉ que, conformément aux pouvoirs qui leur sont dévolus en vertu de l’article 13 de la Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11, les commissaires entendront et examineront les observations que votre avocat et vous-même voudrez bien présenter à l’égard des imputations de fautes ou des allégations qui peuvent donner lieu à une conclusion défavorable raisonnablement susceptible de vous discréditer, dont vous pourriez faire l’objet au cours des audiences testimoniales tenues par la Commission portant sur la phase antérieure au déploiement.
Au cours des audiences testimoniales ayant trait aux manquements ou carences qui se sont manifestés dans l’exercice de vos fonctions militaires, à vos actions, ou au rôle que vous avez eu, l’avocat des commissaires pourra enquêter sur les fautes qui vous sont imputées ou sur les allégations qui peuvent donner lieu à une conclusion défavorable raisonnablement susceptible de vous discréditer, en ce qui concerne les questions suivantes :
a) la question de savoir si le Régiment aéroporté du Canada était apte à accomplir la mission en Somalie;
b) la question de savoir si le groupement tactique du Régiment aéroporté du Canada (le GTRAC) était constitué d’une façon appropriée au point de vue de son organisation et de sa composition, et s’il était opérationnellement prêt aux fins du déploiement en Somalie;
c) l’efficacité de vos décisions dans la chaîne de commandement en ce qui concerne la phase antérieure au déploiement de la mission en Somalie, la présélection et sélection des officiers et des militaires du rang et l’état de préparation opérationnelle du GTRAC ainsi que votre leadership;
d) la question de la préparation du groupement tactique et le fait de l’avoir déclaré prêt ou d’avoir approuvé une décision en ce sens, compte tenu en particulier de la composition du GTRAC, de l’état de la discipline au sein du GTRAC, du manque d’expérience antérieure d’un grand nombre d’officiers en matière de commandement, du taux de roulement élevé parmi les officiers et les militaires du rang du 2e Commando, du remplacement tardif du commandant du RAC, du changement de structure du RAC, du changement tardif de la nature de la mission et de la formation reçue; ou
e) la question de la résolution des problèmes administratifs, opérationnels et disciplinaires qui se sont posés au cours de la phase antérieure au déploiement.
[6] Par cet avis, on a informé l’intimé qu’il avait le droit de se faire entendre au sujet [traduction] « des accusations ou allégations susmentionnées » en personne ou par le ministère d’un avocat, ou encore au moyen d’observations écrites. Dans la lettre que son avocat a envoyée à la Commission le 3 octobre 1995, l’intimé a fait savoir qu’il souhaitait se faire entendre en personne et par le ministère d’un avocat. Dans la même lettre, l’avocat a demandé qu’on leur fournisse des renseignements additionnels au sujet des fautes précises qui étaient imputées ou des allégations précises dont son client pouvait faire l’objet et sur lesquelles le préavis donné en vertu de l’article 13 était fondé; il a également demandé que l’on fournisse à l’intimé les déclarations des témoins dans lesquelles des allégations susceptibles d’entraîner une conclusion défavorable à son client avaient été faites.
[7] Le 2 octobre 1995, peu de temps après que les audiences testimoniales concernant la phase de l’enquête antérieure au déploiement eurent commencé, on a informé l’intimé qu’il serait cité pour témoigner. Le 9 octobre 1995, l’intimé a été interrogé par l’avocat de la Commission pendant toute la journée; il a alors fourni les noms d’un certain nombre de témoins possibles et a remis des documents tirés de ses propres dossiers personnels. L’intimé a témoigné devant la Commission du 22 au 25 janvier 1996.
[8] Par une lettre datée du 31 janvier 1997, l’avocat de la Commission a avisé l’intimé de ce qui suit :
[traduction] Les commissaires m’ont demandé de vous aviser que, conformément au préavis prévu à l’article 13 qui vous a déjà été remis et compte tenu des témoignages rendus devant l’Enquête, ils examineront, dans leur Rapport final, les allégations que vous avez fait preuve d’un manque de leadership et d’un leadership inadéquat au cours de l’étape antérieure au déploiement de la mission en Somalie :
(i) en informant le brigadier-général Beno que le Régiment aéroporté du Canada serait opérationnellement prêt une fois que l’unité aurait effectué l’exercice Stalwart Providence , alors que vous saviez ou que vous auriez dû savoir qu’il faisait face à des problèmes de discipline, de cohésion, d’entraînement au niveau du régiment et de leadership informel;
(ii) en négligeant d’organiser, de diriger et de superviser comme il convient les préparatifs de la formation du Régiment aéroporté du Canada pendant la période allant de la réception de l’ordre d’avertissement en vue de l’opération « Cordon » jusqu’au moment où vous avez été relevé de son commandement;
(iii) en négligeant de vous assurer que tous les membres du Régiment aéroporté du Canada aient reçu une formation adéquate sur le droit de la guerre ou sur le droit des conflits armés, y compris les quatre conventions de Genève de 1949 sur la protection des victimes des conflits armés, et que leurs connaissances aient été vérifiées à cet égard;
(iv) en négligeant votre devoir de commandant, tel qu’il est défini à l’article 4.20 des Ordonnances et règlements royaux et par les coutumes militaires.
La présente lettre a pour objet de vous fournir des précisions et des renseignements complémentaires sur les questions qui vous ont été communiquées dans le préavis prévu à l’article 13.
Dans la rédaction de leur rapport final, les commissaires limiteront leurs commentaires concernant votre responsabilité éventuelle à ces questions.
[9] Une lettre que l’avocat de l’intimé a envoyée en réponse le 3 février 1997 est rédigée en partie comme suit :
[traduction]
Nous aimerions également avoir des détails additionnels au sujet de certaines des allégations concernant le lcol Morneault qui sont énoncées dans votre avis, de façon que notre client puisse réellement donner une réponse. Les allégations, telles qu’elles sont énoncées, sont fort générales. Nous aimerions notamment obtenir les renseignements suivants :
a) En ce qui concerne le paragraphe 2 de l’avis, quels sont les présumés actes ou omissions du lcol Morneault qui indiquent un manque de leadership et un leadership inadéquat lorsqu’il s’est agi d’organiser, de diriger et de superviser les préparatifs de la formation?
b) En ce qui concerne le paragraphe 3 de l’avis, quels sont les présumés actes ou omissions du lcol Morneault qui indiquent un manque de leadership et un leadership inadéquat lorsqu’il s’est agi de garantir une formation sur le droit de la guerre et sur le droit des conflits armés, y compris les quatre conventions de Genève de 1949, et de vérifier les connaissances à cet égard.
c) En ce qui concerne le paragraphe 4 de l’avis, de quelle façon le lcol Morneault aurait-il manqué à son devoir au sens de l’article 4.20 des ORFC?
d) En ce qui concerne le paragraphe 4 de l’avis, de quelles « coutumes militaires » s’agit-il?
[10] L’avocat de la Commission a répondu par une lettre datée du 11 février 1997, adressée à l’avocat de l’intimé. La partie pertinente de cette lettre est rédigée comme suit :
[traduction] En ce qui concerne les quatre allégations se rapportant au lcol Morneault à l’égard desquelles vous demandez des détails additionnels dans votre lettre du 3 février 1997, les commissaires tiendront compte des éléments suivants dans leur rapport final :
a) Pour ce qui est du paragraphe 2 du préavis :
Il n’a pas consacré suffisamment de temps à l’observation, à la supervision et à la direction de la formation, tout particulièrement en ce qui concerne le ton de cette formation [voir le témoignage du bgén Beno, aux pages 7795 et 8115; du maj Turner, aux pages 3547 et 3548, 3446, 3449, 3527, 3674 et 3728; du maj Kyle, aux pages 3845, 3808 et 3855 à 3857. Dans son témoignage, le lcol Morneault a déclaré qu’il avait consacré de 15 à 20 p. 100 de son temps à la supervision de la formation. [Voir également son témoignage à la page 7321.]
Il n’a pas établi un énoncé des concepts, objectifs, normes et priorités dans le plan de formation [voir le témoignage du bgén Beno, à la page 7753; du maj Turner, aux pages 3724, 3435-3438, 3619 et 3620; du maj Seward, à la page 5760, et du maj MacKay, à la page 6485.]
Il n’a pas fourni de formation uniforme aux différentes sous-unités [voir le témoignage du maj Turner, aux pages 3449 et 3528 et de l’adjum Murphy, à la page 6646]. Dans ce contexte, les commissaires tiendront compte du rendement du RAC au cours de l’exercice « Stalwart Providence »].
Prière de noter que ces renvois ne sont pas exhaustifs.
b) Pour ce qui est du paragraphe 3 de l’avis :
En sa qualité de commandant du RAC, il ne s’est pas acquitté de son obligation de veiller à ce que tous les membres du personnel sous son commandement connaissent leurs droits et obligations dans le domaine du droit des conflits armés (DCA). Il devrait être fait mention de ses obligations, telles qu’elles sont énoncées dans les quatre conventions de Genève de 1949 (articles 47, 48, 127, 144 respectivement des conventions I à IV) et dans le Premier protocole additionnel de 1977 (article 87).
Les commissaires examineront la question de savoir si votre client a veillé à ce que les membres du RAC comprennent les obligations qui leur incombent en ce qui concerne les droits fondamentaux des « détenus », et ce, qu’il s’agisse de civils ou de combattants qui ont été capturés ou blessés ou qui sont malades.
Les commissaires examineront également la question de savoir si votre client a ordonné à son personnel d’inclure dans le plan de formation de l’opération Cordon une formation adéquate sur le DCA, s’il a indiqué à ses subordonnés le contenu de pareille formation, s’il a ordonné aux officiers commandants, pour la formation de leur sous-unité, d’inclure des séances de recyclage sur le DCA et s’il a vérifié les connaissances à tous les niveaux à ce sujet ou s’il a fait en sorte que pareilles connaissances soient vérifiées.
Les commissaires examineront la question de savoir si votre client a informé le commandant de la FOS, le brigadier-général Beno, ou son personnel, de l’importance d’inclure le DCA dans l’exercice Stalwart Providence, de façon à s’assurer que les soldats comprennent les principes du DCA.
c) Pour ce qui est du paragraphe 4 du préavis :
Les commissaires examineront la question de savoir si le lcol Morneault s’était réservé « les questions importantes qui exigent son attention et sa décision personnelles » conformément à l’article 4.20 des Ordonnances et règlements royaux. En particulier, les commissaires examineront la question de savoir s’il a supervisé la formation de ses commandos, s’il a supervisé des composantes précises de la formation du 2e Commando, bien qu’on lui eût signalé l’existence de problèmes concernant l’état de préparation des sous-unités, s’il avait corrigé les problèmes de commandement au sein du RAC, s’il avait bien évalué l’état de préparation opérationnelle du RAC et s’il avait bien informé ses supérieurs de l’état de préparation et des problèmes de discipline et de formation au RAC.
Une autre question qui sera abordée est celle de savoir si le lcol Morneault s’était réservé « le contrôle et la surveillance d’ordre général des diverses fonctions » qu’il avait confiées à d’autres. En particulier, avait-il supervisé les plans et les activités de formation des officiers commandants, avait-il bien revu les ordres et les directives que ses commandants subordonnés donnaient et s’était-il assuré que ses ordres et ses directives étaient suivis comme prévu?
d) Pour ce qui est du paragraphe 4 du préavis :
Les commissaires examineront si le lcol Morneault avait assuré l’ordre et la discipline dans l’unité qu’il commandait.
Avait-il prêché par l’exemple sur le terrain?
Pour en savoir davantage au sujet des « coutumes militaires », prière de consulter l’article 1.13 des Ordonnances et règlements royaux et l’article 49 de la Loi sur la défense nationale.
[11] Les audiences relatives à la phase antérieure au déploiement se sont poursuivies jusqu’au 22 février 1996. Elles ont été suivies d’audiences sur la phase des opérations sur le théâtre, qui ont commencé le 1er avril 1996, et après une interruption de quatre mois se rapportant à la phase qui a suivi le déploiement, elles se sont poursuivies jusqu’au mois de mars 1997. Dans l’intervalle, les délais dans lesquels l’enquête devait être effectuée et un rapport déposé auprès du gouverneur en conseil ont été prorogés jusqu’au 31 mars 1997 et jusqu’au 30 juin 1997 respectivement. 116 personnes en tout ont témoigné devant la Commission et environ 200 000 documents ont été produits en preuve. Au mois d’avril 1997, l’intimé a déposé de longues observations écrites et a présenté verbalement des observations devant la Commission au sujet des fautes imputées.
LA REQUÊTE
[12] Dans sa requête, l’intimé mettait l’accent sur des déclarations générales que la Commission avait faites dans la préface du volume 1 du rapport et dans le chapitre introductif du volume 4 ainsi que sur des conclusions précises énoncées au chapitre 35 du volume 4, qui est exclusivement consacré à la conduite de l’intimé en sa qualité de commandant du régiment. La principale critique qui est faite au sujet de ces déclarations générales est qu’un préavis aurait dû être donné à leur sujet en vertu de l’article 13. Le juge des requêtes était d’accord, mais il a conclu que les déclarations ne s’appliquaient pas à l’intimé et il a accordé un jugement déclaratoire en ce sens.
[13] Dans la préface du volume 1, la Commission déplore la décision du gouvernement d’« imposer des contraintes temporelles » à l’égard de l’enquête et, ce qui est encore plus important, le fait que les commissaires avaient « trop souvent été retardés dans [leur] travail par le comportement de témoins dont la crédibilité doit être mise en doute ». La déclaration contestée figure dans la même section du rapport aux pages xxxvi à xxxviii. Elle est libellée comme suit :
Nous sommes conscients du fait que ces témoins subissaient la pression de l’institution et de leurs pairs. Témoigner devant une commission d’enquête publique met à l’épreuve l’intégrité personnelle. Le témoin doit avoir la force morale de faire face à la réalité et de dire la vérité. Il doit aussi être prêt à rendre des comptes et à accepter le blâme pour les fautes qu’il a commises. Nous avons constaté ce type d’intégrité chez de nombreux soldats, sous-officiers et officiers. Ils ont donné la preuve de leur courage et de leur sens du devoir, même si cela les obligeait à reconnaître leurs lacunes personnelles ou à exprimer une critique importune à l’égard de l’institution. Ces soldats-témoins méritent le respect et la gratitude de notre société pour avoir ainsi contribué à améliorer une institution qui leur est manifestement très chère.
En revanche, nous devons aussi signaler que nous avons souvent entendu des témoignages empreints de contradictions, d’improbabilités, d’invraisemblances, d’ambiguïtés, de souvenirs sélectifs, de demi-vérités, et même de mensonges. De fait, sur certaines questions, nous nous sommes heurtés à ce que nous ne pouvons qu’appeler un « mur de silence ». Lorsque plusieurs témoins se comportent de cette manière, le mur de silence devient une tromperie délibérée.
Le bon fonctionnement d’une enquête repose sur la sincérité des témoins assermentés. La sincérité sous serment est la pierre angulaire de notre système juridique. Il est évident que certains témoins en ont fait fi.
Ce qui est peut-être plus inquiétant, c’est que nombre des témoins chez qui nous avons constaté ces lacunes étaient des officiers, des sous-officiers (en service actif ou à la retraite) ou des hauts fonctionnaires—c’est-à-dire des personnes qui ont juré de respecter et de promouvoir des valeurs telles que le leadership, le courage, l’intégrité et l’obligation de rendre compte. Pour ces personnes, la loyauté excessive envers un régiment ou l’institution militaire ou, pis encore, le simple intérêt personnel, ont primé sur l’honnêteté et l’intégrité. En se comportant de la sorte, ces témoins ont également manqué à leur devoir d’aider la Commission dans ses travaux. Chez des officiers, une telle conduite constitue une violation des engagements énoncés dans leur commission.
[…]
Ce n’est pas le seul fait que des contradictions surviennent dans les témoignages qui nous préoccupe. On peut noter des contradictions dans les témoignages même si tous les témoins disent la vérité et relatent les faits tels qu’ils les connaissent. Souvent, les contradictions tiennent au souvenir qu’ont les intéressés de conversations qui ont eu lieu sans témoin et sans prise de notes. Sur le moment, l’échange peut ne pas sembler important. Avec le temps, les détails s’effacent de la mémoire. Nous ne nous inquiétons pas de ces différences dans le souvenir qui reflètent tout simplement la fragilité de la mémoire humaine. Le phénomène qui nous préoccupe est bien plus sombre que l’imprécision et la contradiction : il se rapproche de l’esquive et de la tromperie.
[14] L’intimé conteste également la déclaration générale qui est faite aux pages 1075 et 1076 du chapitre introductif du volume 4 du rapport, laquelle est libellée comme suit :
Il convient ici d’ajouter quelques mots concernant la description faite ci-après des actions de certaines personnes. Ces personnes, dont les actions sont examinées de près, sont des militaires dont la carrière est marquée d’importantes réalisations. Comme on peut s’y attendre de soldats montés aussi haut dans le panthéon des Forces canadiennes (FC), leur dossier militaire est irréprochable. Pour eux, la mission en Somalie fait donc tache dans une carrière par ailleurs distinguée. Certaines justifications ou excuses formulées devant nous pourraient, si on les acceptait, modifier ou atténuer les conclusions auxquelles nous en sommes arrivés. On nous a dit par exemple « le système fonctionnait bien; les problèmes n’étaient le fait que de quelques mauvais éléments », « il se commettra toujours des erreurs », « je ne savais pas », « je n’étais pas au courant », « ce n’était pas ma responsabilité », « j’ai fait confiance à mes subalternes ». Nous n’examinerons pas chacune de ces affirmations dans les pages qui suivent, mais nous les avons prises en considération.
On peut dire jusqu’à un certain point, à la décharge de ces personnes, qu’elles sont le produit d’un système qui mise énormément sur une attitude téméraire. Le réflexe d’acquiescer d’emblée à un commandement ou à une ligne de conduite plutôt que d’en remettre en question le bien-fondé va évidemment à l’encontre d’une discussion libre et franche, mais il est ancré dans la discipline et la culture militaires. Toutefois, des commandants soucieux de bien assumer leur responsabilité de commandement doivent reconnaître et affirmer qu’ils ont non seulement le droit mais aussi le devoir de s’élever contre des actions irrégulières, sans quoi ils manquent de professionnalisme.
[15] L’intimé conteste en outre diverses conclusions particulières figurant au chapitre 35 du volume 4 en invoquant l’absence d’équité procédurale et l’absence de preuve corroborante.
[16] Il a été soutenu devant le juge des requêtes que les conclusions figurant au chapitre 35 en question n’étaient pas susceptibles de révision en vertu de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale parce qu’il ne s’agissait pas de « décisions ». Le juge des requêtes a rejeté cet argument. Il a également rejeté l’argument de l’appelant selon lequel, de toute façon, le dossier de l’enquête renfermait une preuve à l’appui de chacune des conclusions énoncées au chapitre 35. Après avoir effectué un examen détaillé de ces conclusions, le juge des requêtes a conclu ce qui suit, au paragraphe 109 [pages 285 et 286] de ses motifs :
À la lumière de ce qui précède, il est clair que la faute imputée par la Commission au requérant pour le motif qu’il n’avait pas organisé, dirigé et supervisé comme il convenait les préparatifs de la formation du 5 au 21 septembre 1992 est profondément viciée. Plusieurs constatations de fait sont tout simplement incompatibles avec la preuve et plusieurs conclusions ne sont aucunement étayées par la preuve. Je ne pense pas qu’il soit possible d’arriver à d’autres conclusions que de dire que la décision rendue était manifestement déraisonnable.
LES POINTS LITIGIEUX
[17] Trois points litigieux sont soulevés dans le présent appel. Premièrement, il s’agit de savoir si le juge des requêtes a commis une erreur en statuant que la Commission n’avait pas donné un préavis suffisant des questions qu’elle a finalement citées pour conclure à l’existence d’une faute. Deuxièmement, il s’agit de savoir si le juge a commis une erreur en déterminant que ces conclusions constituaient des « décisions » susceptibles de révision au sens de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale. Troisièmement, il s’agit de savoir si le juge a commis une erreur en statuant que les conclusions de fait tirées par la Commission au sujet de la conduite de l’intimé n’étaient pas étayées par la preuve et qu’elles étaient donc manifestement déraisonnables.
[18] J’examinerai maintenant ces points litigieux.
ANALYSE
Préavis suffisant
Les déclarations générales
[19] L’intimé soutient que les déclarations générales en question comprennent des conclusions qui ternissent sa propre réputation et que l’équité procédurale n’a pas été respectée parce qu’aucun préavis n’a été donné en vertu de l’article 13. Il maintient également qu’aucun préavis de ce genre n’a été donné au sujet de cinq conclusions particulières tirées par la Commission au chapitre 35.
[20] L’exigence selon laquelle un « préavis suffisant » doit être donné au sujet de la faute imputée est énoncée à l’article 13 de la Loi sur les enquêtes, qui se lit comme suit :
13. La rédaction d’un rapport défavorable ne saurait intervenir sans qu’auparavant la personne incriminée ait été informée par un préavis suffisant de la faute qui lui est imputée et qu’elle ait eu la possibilité de se faire entendre en personne ou par le ministère d’un avocat.
[21] Le fait que la signification d’un préavis suffisant de la faute imputée est d’une importance cruciale ressort clairement de l’arrêt Krever, précité, étant donné qu’une conclusion peut nuire à la réputation d’un témoin. Comme le juge Cory l’a dit au paragraphe 56 [pages 471 et 472] :
Le même principe d’équité doit s’étendre aux préavis concernant la faute exigés par l’art. 13 de la Loi sur les enquêtes. Toute commission est tenue de donner aux parties un préavis les informant des conclusions faisant état d’une faute susceptibles d’être tirées à leur égard dans le rapport final. Tant qu’ils sont remis à la partie visée sous le sceau de la confidentialité, les préavis ne devraient pas être assujettis à un degré d’examen aussi strict que les conclusions finales. C’est que les préavis ont pour objet de permettre aux parties de se préparer ou de répondre aux conclusions faisant état d’une faute que la commission pourrait tirer à leur égard. Plus le préavis est détaillé, plus il peut être utile à la partie. En outre, le seul tort qui pourrait être causé par la délivrance de préavis détaillés se limite à la réputation d’une partie. Mais tant que les préavis ne sont délivrés qu’à la partie susceptible d’être visée par une conclusion, il n’y a rien à redire. Le public ne peut prendre connaissance de la faute reprochée que si la partie ayant reçu le préavis choisit de le rendre public, auquel cas elle est elle-même responsable du tort ainsi causé à sa réputation. Par conséquent, en toute justice pour les témoins ou les parties qui peuvent faire l’objet de conclusions faisant état d’une faute, les préavis devraient être le plus détaillés possible. Même si les allégations exposées dans les préavis semblent équivaloir à une conclusion qui risque d’outrepasser la compétence du commissaire, cela ne signifie pas qu’il en serait ainsi des conclusions finales destinées à être divulguées. Il faut supposer, jusqu’à preuve du contraire à la communication du rapport final, que les commissaires n’outrepasseront pas leurs pouvoirs.
Si un préavis de la faute imputée est conforme aux exigences de l’article 13 et que la procédure d’enquête est par ailleurs équitable, cette disposition autorise une commission d’enquête, comme le juge Cory l’a conclu dans l’arrêt Krever, précité, au paragraphe 52 [pages 469 et 470], de faire des constatations de fait et d’en tirer des conclusions.
[22] Le ton de la remarque qui figure dans la préface du volume 1 est incontestablement dur. Toutefois, même si l’intimé se plaint que la remarque le vise, les termes dans lesquels cette remarque est libellée donnent à penser que ce n’est pas nécessairement le cas. Il est question de « témoignages », de « plusieurs témoins » et de « certains témoins » et la Commission dit que « nombre des témoins chez qui [elle a] constaté ces lacunes étaient des officiers, des sous-officiers […] ou des hauts fonctionnaires ». Il est donc clair que la remarque ne vise pas tous les officiers supérieurs de façon à inclure nécessairement l’intimé. Le juge des requêtes lui-même a conclu, en ce qui concerne les deux déclarations, que l’on n’invoquait pas « sérieusement […] que les déclarations de condamnation générale » s’appliquent au lieutenant-colonel Morneault.
[23] Même s’il était possible de dire que la déclaration qui est faite dans le volume 1 s’applique à l’intimé, je suis loin d’être certain que sa présence privait l’intimé de l’équité procédurale. Il ne semblerait y avoir aucun rapport entre cette déclaration et les conclusions relatives à la faute figurant au chapitre 35. Il faut plutôt se demander si les conclusions défavorables relatives à la crédibilité que la déclaration laisse supposer exigeaient la signification d’un préavis en vertu de l’article 13, à supposer pour le moment que la remarque ait été destinée à s’appliquer à l’intimé. Comme l’a souligné le juge Cory dans l’arrêt Krever, précité, au paragraphe 52 [page 469], le « rôle premier, voire la raison d’être d’une enquête sur une question donnée est de tirer des conclusions de fait » et, pour ce faire, il se peut que la commission « doive évaluer la crédibilité des témoins et en tirer des conclusions ». De fait, le juge Cory a expliqué au paragraphe 42 [page 465] de l’arrêt en question, que le libellé même de l’article 13 de la Loi sur les enquêtes « autorise implicitement un commissaire à constater des faits et à tirer des conclusions fondées sur ces faits, même si les constatations et conclusions sont susceptibles de nuire à la réputation de personnes physiques ou morales ». Il a également expliqué, au paragraphe 40 [page 463], que le pouvoir prévu à l’article 13 de conclure à l’existence d’une « faute » doit comprendre « non seulement la constatation des faits, mais aussi leur évaluation et leur interprétation » et, au besoin, le pouvoir « d’apprécier la déposition des témoins […] et de juger de leur crédibilité ». C’est en se conformant à cette procédure qu’un commissaire est en mesure de déterminer si le comportement d’une partie équivalait à une « faute ».
[24] En général, la procédure ne semblerait pas exiger la signification d’un préavis disant que la crédibilité d’une partie peut faire l’objet d’une conclusion défavorable. Pareille conclusion pourrait uniquement être tirée après que la personne en question a témoigné et peut-être pas avant que son témoignage puisse être soupesé et apprécié à la lumière des autres éléments de preuve. L’exigence selon laquelle il faut signifier un préavis pourrait bien imposer à une commission d’enquête une norme d’équité procédurale beaucoup trop rigoureuse.
[25] Contrairement à la déclaration qui est faite dans le volume 1, la déclaration générale figurant dans le chapitre introductif du volume 4 semblerait à première vue s’appliquer à tous les officiers dont la conduite est examinée dans ce volume, y compris l’intimé. Il en serait donc ainsi de la « description […] des actions » de « certaines personnes », à savoir « des militaires dont […] les actions sont examinées de près ». On s’oppose à la remarque pour le motif que l’intimé n’a pas été avisé au préalable et que la preuve n’étaye pas la conclusion selon laquelle l’intimé s’est conduit de la façon décrite dans la remarque. Le juge des requêtes a conclu que la remarque n’aurait pas dû être faite parce qu’aucun préavis suffisant n’avait été donné conformément à l’article 13.
[26] L’appelant soutient que la remarque est inattaquable parce qu’elle ne peut pas être interprétée comme constituant une conclusion selon laquelle l’intimé avait commis une faute. Il m’est difficile de souscrire à cet avis. En tant que « produit d’un système », l’intimé avait le réflexe « d’acquiescer d’emblée »; en sa qualité de « commandan[t] soucieux de bien assumer [sa] responsabilité de commandement », il avait « le devoir de s’élever contre des actions irrégulières », sans quoi il manquait de « professionnalisme ». Il existe un rapport direct entre la déclaration et les conclusions figurant au chapitre 35; en effet, comme nous l’avons vu, la déclaration vise expressément « certaines personnes » nommées par la suite. L’appelant a concédé devant le juge des requêtes et dans l’argumentation écrite qu’il a présentée en appel que la déclaration n’équivalait pas à reconnaître l’existence d’une faute et, de fait, le juge des requêtes lui-même a conclu qu’elle ne s’appliquait pas à l’intimé. À mon avis, la Cour devrait, si elle le peut, confirmer l’ordonnance déclaratoire de première instance à cet égard, de façon à éliminer toute possibilité de doute au sujet du fait que cette déclaration sévère, qui à première vue vise l’intimé, n’était pas destinée à s’appliquer à lui.
Possibilité d’obtenir un jugement déclaratoire
[27] À une certaine époque, il n’était pas possible d’obtenir un jugement déclaratoire si celui-ci n’avait aucun effet juridique, mais ce n’est plus le cas. Dans la décision Merricks v. Nott-Bower, [1964] 1 All E.R. 717 (C.A.), à la page 721, lord Denning a dit ce qui suit :
[traduction] Lorsqu’une véritable question est en cause, c’est-à-dire une question qui ne soit pas uniquement théorique et au sujet de laquelle la décision de la Cour peut donner des directives utiles, elle peut, à sa discrétion, rendre un jugement déclaratoire. On en trouve un exemple dans une affaire récente où il était question du système de mutation des joueurs de football association, Eastham c. Newcastle United Football Club, Ltd. ([1963] 3 All E.R. 139), entendue par le juge Wilberforce. L’avocat des demandeurs soutenait qu’en l’espèce, le jugement déclaratoire pouvait avoir pour effet de retirer à la mutation des demandeurs le caractère d’un blâme. Il avait aussi avancé un argument plus général, à savoir qu’il était dans l’intérêt public de déclarer que le pouvoir de muter un employé ne peut être utilisé que pour des raisons de service et non pas comme un genre de punition. Il a affirmé qu’il serait utile que la Cour fasse une telle déclaration. Sans trancher cette question, il me semble que l’on peut soutenir qu’un tel jugement déclaratoire pourrait avoir une certaine utilité.
Lord juge Salmon, qui souscrivait à cet avis, a ajouté ce qui suit, à la page 724 :
[traduction] On pose la question suivante : Même si les droits des demandeurs en vertu des règlements avaient été violés, quels avantages pourraient-ils retirer du redressement demandé? Ces jugements déclaratoires peuvent-ils leur être de quelque utilité? Lorsqu’un demandeur réclame un jugement déclaratoire dans lequel il n’a qu’un intérêt purement académique ou qui n’aurait aucune portée pratique, la Cour n’accordera pas le redressement demandé. Toutefois, dans la présente affaire, sans aucunement trancher le fond de cette question, il me semble que l’on peut vraiment soutenir qu’un jugement déclaratoire pourrait inciter les autorités à examiner l’avancement des demandeurs, puisqu’il existe certaines preuves qui indiquent que ces mutations punitives ont nui à leurs chances d’avancement et qu’elles continueront à le faire tant qu’elles seront en vigueur.
Le juge Pratte (alors juge de la Section de première instance) a appliqué ce principe dans la décision Landreville c. La Reine, [1973] C.F. 1223 (1re inst.), à la page 1231, et tout récemment, ce principe a de nouveau été énoncé dans le contexte d’une commission d’enquête, dans la décision Peters v Davison, [1999] 2 NZLR 164 (C.A.), aux pages 186 et 187. Le juge des requêtes a accordé un jugement déclaratoire à l’égard de cette erreur. Je suis convaincu que cette réparation peut être accordée, et ce, même si dans l’arrêt Krever, précité, le juge Cory a dit que le rapport d’une commission d’enquête n’avait « aucune conséquence légale ». Le juge Cory a reconnu en même temps que c’est précisément parce que la réputation d’un témoin est en jeu qu’il faut respecter l’équité procédurale car, comme il l’a dit au paragraphe 55 [page 471] : « Une bonne réputation représent[e] la valeur la plus prisée par la plupart des gens ». À mon avis, l’intimé a bel et bien un intérêt dans la protection de sa réputation. Il importe également de noter que la règle 64 des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106] prévoit l’obtention d’un jugement déclaratoire, et ce, qu’une réparation soit ou puisse être en conséquence demandée ou non.
[28] Il me semble que même si un jugement déclaratoire n’avait pas d’effet sur un droit légal, il aurait l’utilité d’éliminer tout tort, même s’il n’était peut-être pas intentionnel, qui pourrait avoir été causé à la réputation de l’intimé par la déclaration qui est faite dans le chapitre introductif du volume 4 du rapport. Je restreindrais le jugement déclaratoire en conséquence.
Conclusions particulières
[29] Cinq conclusions précises qui sont énoncées au chapitre 35 du rapport sont ensuite contestées pour le motif qu’elles n’ont pas fait l’objet d’un préavis conformément à l’article 13. Je soulignerai ces conclusions, qui figurent dans les passages suivants du chapitre 35[2] :
1. […] la supervision en personne revêt une importance tout à fait primordiale et doit être placée à un rang élevé, sinon en tête, des priorités relatives à la formation, car c’est au commandant qu’incombe la plus importante responsabilité en la matière. Or, nous constatons que le lcol Morneault ne s’est pas acquitté de cette importante responsabilité à deux égards. Premièrement, il n’a pas inculqué aux membres de ses commandos, par la conception d’un plan de formation approprié et par une supervision directe satisfaisante, une attitude convenant à une mission de maintien de la paix.
[…]
2. […] le lcol Morneault savait que ses soldats s’entraînaient en vue d’une mission de maintien de la paix régie par les dispositions du chapitre VI de la Charte des Nations Unies. Il savait ou aurait dû savoir que ces missions nécessitent des connaissances plus étendues que l’entraînement général au combat permet d’en donner. Malgré cela, il a permis que la formation du 2e Commando soit beaucoup trop axée sur les compétences générales au combat et comporte un degré d’agressivité incompatible avec une mission de maintien de la paix. Le lcol Morneault a admis lui-même que le 2e Commando avait consacré trop de temps à l’entraînement général au combat et n’avait pas mené à bien les tâches qui lui avaient été confiées. Le lcol Morneault était également au courant de l’agressivité de ce commando […]
3. Nous constatons que le lcol Morneault savait, peu après le début de la période de formation, que le 2e Commando avait des problèmes de leadership et d’agressivité, et que ces problèmes étaient étroitement liés. Il était le principal officier responsable de la formation et il lui incombait de veiller à ce qu’une formation pertinente et suffisante soit donnée par les commandants concernés. Si on constatait qu’un des commandants n’était pas à la hauteur, il incombait au lcol Morneault d’effectuer les changements qui s’imposaient. Mais il ne l’a pas fait […]
4. Le lcol Morneault a répondu de manière similaire aux critiques formulées par le lcol MacDonald au sujet du maj Seward et du 2e Commando. Il lui a dit qu’il ne voulait pas avoir les mains liées en ce qui concernait le maj Seward, et il a demandé au lcol MacDonald de supprimer des observations critiques au sujet de ce dernier dans une lettre que le lcol MacDonald s’apprêtait à envoyer au bgén Beno. Le lcol MacDonald a retranché la mention comme le lcol Morneault le lui avait demandé, et aucune mesure n’a été prise par la suite pour corriger les graves lacunes en matière de leadership que le lcol MacDonald avait relevées au sein du 2e Commando. Bien que le lcol Morneault ait été relevé de son commandement presque immédiatement après cet incident et ne puisse être tenu responsable de l’inaction d’autres personnes, la directive qu’il a donnée au lcol MacDonald a empêché la prise immédiate de mesures à l’encontre du maj Seward, ce dont il est responsable.
5. À ce propos, une des critiques les plus sévères faites au sujet de l’exercice « Stalwart Providence » a été que les trois commandos avaient fonctionné indépendamment les uns des autres, sans la cohésion que doit avoir un régiment. La cohésion se crée lorsque le commandant imprime une orientation claire à l’entraînement et n’est assurée que lorsqu’il supervise personnellement l’exécution de cette orientation. Le lcol Morneault n’a fait ni l’un ni l’autre. [Non souligné dans l’original.]
[30] Le juge des requêtes a conclu qu’aucun préavis suffisant n’avait été donné au sujet d’un grand nombre des questions mentionnées par la Commission dans les conclusions précitées. Le juge des requêtes a en outre fait remarquer, au paragraphe 46 [page 267] de ses motifs, que la plupart des commentaires négatifs concernant la conduite de l’intimé « émanaient d’une seule personne, dont la version des événements, d’ailleurs, tranchait avec la sienne » et que les commentaires avaient été répétés par d’autres personnes. Le juge des requêtes a ajouté : « Dans ces circonstances, le requérant trouverait très difficile de savoir, à défaut d’un préavis précis, quelles déclarations concernant sa conduite la Commission examinait de près. »
[31] Avec égards, je ne suis pas d’accord pour dire que l’intimé n’a pas reçu un préavis suffisant de ces conclusions. Il faut se rappeler que dans sa lettre du 31 janvier 1997, telle qu’elle est précisée dans la lettre du 11 février 1997, l’avocat de la Commission énonce une allégation générale, à savoir que l’intimé avait [traduction] « fait preuve d’un manque de leadership et d’un leadership inadéquat au cours de l’étape antérieure au déploiement de la mission en Somalie » en négligeant entre autres :
[traduction]
[…] d’organiser, de diriger et de superviser comme il convient les préparatifs de la formation du Régiment aéroporté du Canada pendant la période allant de la réception de l’ordre d’avertissement en vue de l’opération « Cordon » jusqu’au moment où [il avait] été relevé de son commandement;
[…]
[…] [son] devoir de commandant, tel qu’il est défini à l’article 4.20 des Ordonnances et règlements royaux et par les coutumes militaires.
[32] De toute évidence, les conclusions que la Commission a énoncées au chapitre 35 étaient principalement axées sur ces allégations. Le fait que la formation du régiment, pendant qu’il était sous le commandement de l’intimé, constituait la préoccupation primordiale de la Commission ressort clairement du début du chapitre, où la Commission a dit ce qui suit[3] :
Il incombait principalement au lcol Morneault, en sa qualité de commandant du Régiment aéroporté du Canada (RAC) jusqu’au 23 octobre 1992, de veiller à ce que les troupes reçoivent durant cette période une formation adéquate tenant compte des facteurs propres à une mission de maintien de la paix. La formation revêt une importance fondamentale dans les préparatifs de déploiement, et elle constitue la principale activité par laquelle on exerce un leadership, on transmet des attitudes et on vérifie l’état de préparation opérationnelle. On attend donc des responsables de la formation qu’ils portent une attention particulière à sa bonne supervision, en s’assurant qu’elle est assurée de façon adéquate et appropriée et que sa progression suit un plan soigneusement établi.
En ce qui concerne l’applicabilité de l’article 4.20 [des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (Révision de 1994)] et les coutumes militaires, la Commission a dit ce qui suit[4] :
Compte tenu des constatations exposées ci-dessus au sujet des lacunes de leadership du lcol Morneault, et vu l’importance du contrôle et de la supervision de la formation en vue de missions à l’étranger, nous concluons que le lcol Morneault a manqué à son devoir de commandant.
[33] Dès le 22 septembre 1995, l’intimé a officiellement été avisé que la Commission enquêterait sur l’« aptitude du régiment » à servir en Somalie, sur son « état de préparation », sur la « sélection des officiers et des militaires du rang », sur l’« à-propos des objectifs et des normes d’entraînement », sur l’« efficacité des décisions et des mesures prises durant la période d’entraînement antérieure au déploiement » et sur l’« état de la discipline ». Comme nous l’avons vu, l’avis détaillé du 31 janvier 1997 était principalement axé sur le caractère adéquat des « préparatifs de la formation » aux fins de la mission en Somalie. Il a été suivi de la lettre du 11 février 1997, qui renfermait des détails additionnels à ceux donnés au sujet de la faute imputée dans la lettre du 31 janvier 1997, en ce qui concerne le caractère adéquat des « préparatifs de la formation » et le respect de l’obligation imposée par l’article 4.20 des ORFC et par les coutumes militaires.
[34] À mon avis, lorsque les conclusions en question sont considérées dans leurs contextes immédiats et dans le contexte entier du chapitre 35, on ne saurait dire que l’équité procédurale n’a pas été respectée parce qu’aucun préavis suffisant n’a été donné à l’intimé. Il me semble que la portée de l’avis et du mandat de la Commission permet fort bien ces conclusions. Eu égard à toutes les circonstances, je suis convaincu que l’intimé a reçu un préavis suffisant conformément à l’article 13 de la Loi sur les enquêtes. L’intimé était présent en personne ou par le ministère de son avocat pendant toute la durée des audiences testimoniales sur la phase antérieure au déploiement, il a obtenu à l’avance un résumé de ce que les autres témoins avaient l’intention de déclarer, il a eu accès à toute la preuve documentaire, il a eu le droit d’interroger et de contre-interroger les témoins et de demander l’autorisation de citer ses propres témoins, l’avocat de la Commission l’a préparé avant qu’il témoigne, il a eu la possibilité de présenter des observations orales et des observations écrites avant que les conclusions en question soient tirées et il s’est effectivement prévalu de cette possibilité. Les observations écrites, soit environ 117 pages, traitaient d’une façon fort détaillée des questions de formation et de discipline au sein du régiment. À mon avis, tous ces facteurs sont pertinents lorsqu’il s’agit de déterminer si l’intimé a reçu un préavis suffisant. Ces facteurs ainsi que le préavis donné en vertu de l’article 13 ont permis à l’intimé de prendre connaissance de la substance de la preuve présentée contre lui de sorte qu’aucune des conclusions tirées par la Commission n’a pu le prendre par surprise : voir Canadian Fishing Company Limited et al. v. Smith et al., [1961] R.C.S. 294, à la page 316.
Possibilité d’examiner les conclusions de la Commission
[35] L’intimé conteste ensuite les conclusions particulières qui figurent au chapitre 35 pour le motif qu’elles ne sont pas étayées par le dossier. Le juge des requêtes était d’accord et les a déclarées non valides. Le juge des requêtes a résumé ces conclusions d’une façon fort utile dans ses motifs [aux paragraphes 40 et 41, pages 265 et 266] :
Je passe maintenant au résumé des conclusions énoncées au chapitre 35 du Rapport de la Commission qui sont défavorables au lieutenant-colonel Morneault. La partie pertinente du texte commence par la déclaration selon laquelle le lieutenant-colonel Morneault ne s’était pas acquitté de ses importantes responsabilités relatives à la formation parce qu’il n’avait pas inculqué aux membres de ses commandos, par la conception d’un plan de formation approprié et par une supervision directe satisfaisante, une attitude convenant à une mission de maintien de la paix. Le Rapport affirme ensuite qu’il n’avait pas consacré suffisamment de temps à la supervision directe; que la formation était beaucoup trop axée sur les compétences générales au combat et comportait un degré d’agressivité incompatible avec la mission; qu’il aurait dû savoir que la mission nécessitait des connaissances plus étendues; qu’il avait été averti à plusieurs reprises que la formation était empreinte de trop d’agressivité, mais qu’il n’avait pas corrigé cette déficience; qu’il n’avait pas relevé le major Seward de son poste de commandant du 2e Commando lorsqu’on l’avait averti que ce dernier n’était pas apte à commander l’unité et qu’il avait empêché que des mesures immédiates soient prises contre cet officier.
Le deuxième motif à l’appui de la conclusion d’inconduite tirée par la Commission relativement à la formation et énoncé dans le Rapport est que le lieutenant-colonel Morneault n’avait pas instruit convenablement ses commandants sur le but, la portée et les objectifs de l’entraînement qu’ils devaient donner et n’a pas inclus d’énoncé convenable de ces points dans son plan d’entraînement. Il aurait dû savoir aussi qu’un ordre écrit établissant les priorités dans un concept de formation global est un élément important de l’orientation de l’entraînement. Comme il ne l’avait pas fait, il n’est pas étonnant qu’il y ait eu un manque de cohésion entre les sous-unités du RAC. Il n’avait pas déployé tous les efforts possibles pour assurer la cohésion de son unité.
[36] Deux questions distinctes sont soulevées à cet égard. Il s’agit de savoir, en premier lieu, si le juge des requêtes a commis une erreur en concluant avoir compétence pour examiner les conclusions parce qu’il s’agissait de « décisions » au sens de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, et, en second lieu, si le juge des requêtes a commis une erreur en déterminant que les conclusions n’étaient pas étayées par le dossier de l’enquête.
[37] La question de la possibilité d’effectuer un examen est à coup sûr nouvelle; il s’agit pour le moins d’une question épineuse. Le juge des requêtes a conclu que les conclusions tirées au chapitre 35 étaient des « décisions » susceptibles d’être examinées en vertu de l’alinéa 18.1(4)d), mais il faudrait examiner toute la disposition non seulement afin de faciliter l’interprétation de cet alinéa, mais aussi parce que l’intimé l’a invoquée dans sa demande de contrôle judiciaire.
[38] L’article 18.1 est rédigé comme suit :
18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.
(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l’office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Section de première instance peut, avant ou après l’expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.
(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Section de première instance peut :
a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;
b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.
(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises par la Section de première instance si elle est convaincue que l’office fédéral, selon le cas :
a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l’exercer;
b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter;
c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;
d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;
e) a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages;
f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.
(5) La Section de première instance peut rejeter toute demande de contrôle judiciaire fondée uniquement sur un vice de forme si elle estime qu’en l’occurrence le vice n’entraîne aucun dommage important ni déni de justice et, le cas échéant, valider la décision ou l’ordonnance entachée du vice et donner effet à celle-ci selon les modalités de temps et autres qu’elle estime indiquées.
[39] Le juge des requêtes a fait remarquer que la procédure que la Commission avait suivie en enquêtant sur la faute imputée était semblable à celle qui s’applique dans une cour de justice et que cela étayait l’argument selon lequel les conclusions étaient des « décisions » susceptibles d’être examinées en vertu de l’alinéa 18.1(4)d). Son analyse sur ce point figure au paragraphe 52 [page 269] de ses motifs et est exposée comme suit :
La procédure que la Commission a suivie pour les fins de ses conclusions figurant au volume 4 comporte de nombreux points de similitude avec celle que suit un tribunal judiciaire : les travaux se déroulent en public, les personnes répondent à des « accusations de faute » portées à leur endroit, elles ont le droit de citer au moins quelques témoins, l’occasion leur est donnée de faire des observations écrites, l’issue étant soit le rejet de l’« accusation » ou une conclusion d’inconduite à leur égard. Il s’agit d’un processus décisionnel quasi judiciaire. En outre, les conclusions de la Commission imputant des fautes à des personnes nommément désignées peuvent entraîner des conséquences graves sur leur réputation et leur carrière. Conclure que des décisions qui découlent d’un tel processus ne sont pas susceptibles de contrôle en vertu de l’alinéa 18.1(4)d) serait tout à fait contraire à l’objet même du contrôle judiciaire et à son développement en tant que recours en droit.
[40] À mon avis, il s’agit d’une question d’interprétation de la loi. Toutefois, il n’est pas clair que les similitudes qui existent sur le plan de la procédure constituent en tant que telles un fondement valable permettant de conclure que les conclusions en question sont des « décisions » susceptibles d’être examinées en vertu de l’alinéa 18.1(4)d). Notre Cour a eu à maintes reprises à interpréter l’expression « décision ou ordonnance […] résultant d’un processus […] ayant légalement [un] caractère judiciaire ou quasi judiciaire—rendue par un office fédéral ou à l’occasion de procédures en cours devant cet office » figurant à l’article 28 de la Loi tel qu’il était libellé avant d’être modifié en 1990. Comme l’ont signalé D. J. M. Brown et J. M. Evans, dans l’ouvrage intitulé : Judicial Review of Administrative Action in Canada, édition en feuilles mobiles (Toronto : Canvasback Publishing, 1998), au paragraphe 2 :4420, note 376 : [traduction] « La Cour a initialement restreint la portée de l’expression aux décisions ou ordonnances “définitives” et aux décisions ou ordonnances que l’office était expressément chargé de rendre en vertu de sa loi habilitante », mais la portée de l’article 28 a par la suite été [traduction] « élargie de façon à inclure une décision qui déterminait pleinement les droits fondamentaux de la partie, même si la décision de l’office n’était peut-être pas définitive ». En fait, une recommandation faite à un ministre par un tribunal d’enquête qui devait normalement entraîner une expulsion a été considérée comme susceptible d’être examinée en vertu de l’article 28 : Moumdjian c. Canada (Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité), [1999] 4 C.F. 624 (C.A.).
[41] Je dois admettre qu’il m’est difficile de considérer les conclusions en cause comme des « décisions » au sens de la disposition. La décision qui a été rendue dans l’affaire Krever, précitée, [au paragraphe 34, page 460] laisse entendre que le contraire peut être vrai car, comme nous l’avons vu, les conclusions tirées par un commissaire en vertu de la Loi sur les enquêtes « sont tout simplement des conclusions de fait et des opinions » qui n’entraînent « aucune conséquence légale »; elles « ne sont pas exécutoires » et elles « ne lient pas les tribunaux appelés à examiner le même objet ». Dans un arrêt antérieur, Nenn c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 631, à la page 636, il a été statué que l’« avis » que la Commission de la fonction publique devait exprimer en vertu de l’alinéa 21b) de la Loi sur l’emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, ch. P-32, n’était pas une « décision ou ordonnance » qui pouvait faire l’objet d’un contrôle judiciaire de la part de notre Cour en vertu de l’article 28. Toutefois, je dois reconnaître la force de l’argument contraire, à savoir qu’un contrôle de conclusions telles que celles qui sont ici en cause est possible pour le motif énoncé à l’alinéa 18.1(4)d), et ce, même s’il s’agit d’opinions qui n’ont pas d’effet obligatoire, à cause du tort sérieux que des conclusions non étayées par le dossier pourraient causer à la réputation d’une personne.
[42] S’il n’existe aucun motif justifiant l’octroi d’une réparation en vertu de cet alinéa, je suis néanmoins d’avis que les conclusions en cause peuvent être examinées en vertu de la disposition en question. Le contrôle judiciaire prévu à l’article 18.1 n’est pas limité à « une décision ou une ordonnance ». C’est ce qui ressort clairement du paragraphe 18.1(1), qui permet au procureur général du Canada et à « quiconque est directement touché » de solliciter le contrôle judiciaire. Il ressort clairement de la disposition dans son ensemble que, si d’une part une décision ou une ordonnance est une question qui peut être examinée, d’autre part une question autre qu’une décision ou une ordonnance peut également être examinée. C’est ce que montre la décision que notre Cour a rendue dans l’affaire Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476 (C.A.). Dans cette décision, il a été statué qu’une demande de contrôle judiciaire présentée conformément à l’article 18.1 en vue de l’obtention du bref de mandamus, du bref de prohibition et du jugement déclaratoire prévus à l’article 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4] de la Loi, sont des questions sur lesquelles la Cour a compétence et que la Cour peut accorder la réparation appropriée conformément aux alinéas 18.1(3)a) et 18.1(3)b). Voir également Sweet c. Canada (1999), 249 N.R. 17 (C.A.F.); Devinat c. Canada (Commission de l’immigration et du statut de réfugié), [2000] 2 C.F. 212 (C.A.). Je suis convaincu que l’intimé est directement touché par les conclusions et que celles-ci peuvent être examinées en vertu de l’article 18.1. Les conclusions sont exceptionnellement importantes pour l’intimé à cause des conséquences qu’elles ont sur sa réputation. La Cour doit être en mesure de déterminer si, comme il a été allégué, les conclusions sont injustifiables compte tenu de la preuve.
[43] Pour pouvoir être examinée en vertu de l’article 18.1, une question doit néanmoins émaner d’un « office fédéral ». Tel était le cas dans l’affaire Krause, précitée. L’expression « office fédéral » est définie au paragraphe 2(1) de la Loi comme s’entendant d’un « Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne […] ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ». À mon avis, la Commission est visée par cette définition, car son mandat lui a été dévolu par le décret du 20 mars 1995, tel qu’il a subséquemment été modifié, et ses pouvoirs d’enquête ainsi que son pouvoir de tirer des conclusions relatives à une faute lui sont dévolus par la Loi sur les enquêtes : voir Al Yamani c. Canada (Solliciteur général), [1996] 1 C.F. 174 (1re inst.).
[44] Si, comme je l’ai dit, les conclusions en cause sont susceptibles de révision en vertu de l’article 18.1, une mesure peut être prise en vertu du paragraphe 18.1(3), à condition qu’un motif justifiant la prise de cette mesure soit établi en vertu du paragraphe 18.1(4). Si les conclusions ne sont pas des « décisions ou des ordonnances », rien ne permet d’effectuer un examen en vertu des alinéas 18.1(4)d) ou 18.1(4)c). L’appelant a soutenu dans ses plaidoiries qu’une conclusion de la Commission qui serait contraire à la preuve pourrait être examinée en vertu de l’alinéa 18.1(4)f), pour le motif que la Commission « a agi de toute autre façon contraire à la loi ». Il m’est difficile de retenir cet argument; en effet, cette disposition semble viser un motif qui n’est pas par ailleurs expressément énoncé au paragraphe 18.1(4). Je laisserai la question en suspens car je crois qu’une conclusion non étayée figurant au chapitre 35 qui est tirée par la Commission dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi est visée par l’alinéa 18.1(4)b). La justice naturelle et l’équité procédurale sont habituellement associées à la qualité d’une audience qui aboutit à une décision ou à une ordonnance, mais la jurisprudence n’a pas ainsi limité la chose. Par ailleurs, la justice naturelle n’est pas respectée si les conclusions de l’office, y compris celles qu’une commission d’enquête tire, ne sont pas étayées par la preuve : Mahon v. Air New Zealand Ltd., [1984] 1 A.C. 808 (C.P.), lord Diplock, à la page 820 :
[traduction] Les règles de justice naturelle qui sont ici pertinentes peuvent, à notre avis, se résumer aux deux règles que la Cour d’appel d’Angleterre a mentionnées dans l’arrêt Reg. v. Deputy Industrial Injuries Commissioner, Ex parte Moore [1965] 1 Q.B. 456, 488, 490, qui portait sur l’exercice d’une compétence en matière d’enquête, même s’il s’agit d’une compétence différente de celle que le juge qui enquêtait sur le désastre du mont Erebus a assumée. Selon la première règle, la personne qui tire une conclusion dans l’exercice de pareille compétence doit fonder sa décision sur des éléments de preuve qui ont une valeur probante au sens où nous l’entendons ci-dessous. Selon la seconde règle, cette personne doit entendre d’une façon équitable toute preuve pertinente qui va à l’encontre de la conclusion et tout argument rationnel contraire à la conclusion qu’une personne représentée à l’enquête, dont les intérêts (notamment au point de vue de sa carrière ou de sa réputation) peuvent être en jeu, veut ou aurait voulu lui soumettre si elle avait su que cette conclusion serait peut-être tirée.
Voir Sir William Wade et C. Forsyth, Administrative Law, 7e éd. (Oxford : Clarendon Press, 1994), à la page 540. Voir également Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire de l’enquête sur l’approvisionnement en sang), [1996] 3 C.F. 259 (1re inst.), au paragraphe 144 [page 315]; comparer avec Ontario Public Service Employees’ Union et al. and The Queen in right of Ontario, Re (1984), 40 O.R. (2d) 70 (C. div.); Hamilton Street Railway Co. v. Amalgamated Transit Union, Local 1585, [1996] O.J. no 3039 (C. div.) (QL).
[45] Si les conclusions en cause sont étayées par la preuve, l’intimé ne peut pas réellement se plaindre qu’elles ont peut-être terni sa réputation. D’autre part, si aucun élément de preuve n’étayait les conclusions, le tort qui pourrait être causé à la réputation de l’intimé serait important. L’intimé ne pourrait pas se présenter de nouveau devant la Commission pour faire corriger l’erreur. Le mandat de la Commission est épuisé. L’intimé ne pourrait pas non plus en appeler d’une conclusion erronée devant une cour de justice. À moins que les conclusions en cause ne soient susceptibles de révision en vertu de l’article 18.1, toute erreur qui peut avoir été commise ne pourrait jamais être corrigée et il ne serait jamais possible de remédier au tort qui a pu être fait. L’intimé serait obligé de subir ces conséquences pour le reste de sa vie, et ce, quel que soit le dommage qui puisse avoir été causé à sa réputation. Cela semblerait injuste. Je concède que ces considérations à elles seules ne règlent pas la question de la possibilité d’effectuer un examen, mais il ne faut pas non plus omettre d’en tenir compte. Toutefois, je suis convaincu qu’une affaire telle que celle-ci doit assurément être examinée par la Cour pour le motif énoncé à l’alinéa 18.1(4)b), de façon à garantir le respect de la justice naturelle et à veiller à ce que la réputation de l’intimé ne soit pas ternie d’une façon injustifiée.
Le dossier testimonial de l’enquête
[46] J’examinerai maintenant l’argument de l’appelant selon lequel les conclusions en cause sont étayées par le dossier. Le juge des requêtes a examiné les conclusions selon la norme de la décision manifestement déraisonnable, même s’il s’agit de conclusions tirées par une commission d’enquête. La Cour suprême a statué que, lorsque cette norme s’applique, la décision n’est pas manifestement déraisonnable «s’il existe des éléments de preuve susceptibles de la justifier, même si elle ne correspond pas à la conclusion qu’aurait tirée la cour chargée de procéder à l’examen » : Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d’Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316, à la page 341. Étant donné qu’il s’agit de conclusions tirées par une commission d’enquête, je préfère examiner ces conclusions en me demandant si elles sont étayées jusqu’à un certain point par la preuve versée au dossier de l’enquête. Dans l’arrêt Mahon, précité, à la page 814, lord Diplock a noté les différences qui existent entre une enquête et un litige civil ordinaire et, à la page 820, il a énoncé les deux règles de justice naturelle mentionnées dans le passage précité. Il a ensuite ajouté ce qui suit, à la page 821 :
[traduction] Les règles techniques de preuve applicables aux litiges civils ou criminels ne font pas partie des règles de justice naturelle. La première règle exige que la décision de tirer la conclusion en question soit fondée jusqu’à un certain point sur des éléments qui tendent logiquement à montrer l’existence de faits compatibles avec la conclusion et que le raisonnement qui est fait au sujet de la conclusion, s’il doit être divulgué, ne soit pas en bonne partie contradictoire en soi.
[47] L’examen du dossier de l’enquête que j’ai moi-même effectué me convainc que le dossier renferme des éléments de preuve suffisants à l’appui de chacune des conclusions que le juge des requêtes estimait non étayée, et ce, même si la preuve ne semble peut-être pas tout à fait cohérente car, en fin de compte, il incombait à la Commission, en tirant ses conclusions de fait, de soupeser et d’apprécier la preuve présentée par les divers témoins. Il va sans dire que, même dans les meilleures circonstances, il ne s’agit pas d’une tâche facile, certainement pas dans ce cas-ci, où le sentiment de frustration à l’égard de certains témoignages est manifeste à la lecture du rapport. Par conséquent, à mon avis, il n’incombe certes pas à la cour qui effectue l’examen de s’attribuer le rôle des commissaires en soupesant et en appréciant de nouveau la preuve qui est ici en cause.
[48] Quant à la première de ces conclusions, l’intimé a témoigné que [traduction] « sur le temps dont [il] disposai[t], 15 p. 100 du temps, de 15 à 20 p. 100 du temps était consacré à la supervision de la formation »[5]. Ce témoignage et d’autres éléments de preuve portant sur ce point sont examinés dans les observations écrites de l’intimé, aux paragraphes 165 à 173[6]. La conclusion selon laquelle l’intimé [traduction] « n’a pas consacré suffisamment de temps » semblerait représenter la conclusion ou l’opinion à laquelle la Commission est arrivée en se fondant sur les faits constatés[7]. Il est ensuite conclu que l’intimé savait ou aurait dû savoir qu’une mission de maintien de la paix [traduction] « nécessit[e] des connaissances plus étendues que l’entraînement général au combat permet d’en donner ». Selon certains éléments de preuve, une mission de maintien de la paix fait appel à un [traduction] « état d’esprit tout à fait différent »[8] et trop peu de [traduction] « formation propre à la mission » avait été donnée aux soldats au cours de la phase antérieure au déploiement[9]. La conclusion selon laquelle l’intimé a permis que la formation du 2e Commando [traduction] « soit beaucoup trop axée sur les compétences générales au combat et comporte un degré d’agressivité incompatible avec une mission de maintien de la paix » semblerait encore une fois être étayée par le dossier. Selon certains éléments de preuve, on avait donné au sein du 2e Commando un entraînement général au combat, y compris en ce qui concerne l’emploi d’une force mortelle, qui n’était pas compatible avec une mission de maintien de la paix[10]. La conclusion selon laquelle l’intimé n’a pas pris au sérieux les critiques formulées par le Capitaine Kyle au sujet de la formation du 2e Commando semble jusqu’à un certain point fondée sur la preuve[11]. Il en va de même pour la conclusion selon laquelle une directive donnée par l’intimé au lieutenant-colonel MacDonald a empêché la prise immédiate de mesures à l’encontre du major Seward, qui commandait le 2e Commando, directive dont l’intimé était responsable[12]. De même, la conclusion selon laquelle l’intimé [traduction] « n’a pas instruit convenablement ses commandants sur le but, la portée et les objectifs de l’entraînement qu’ils devaient donner et n’a pas inclus d’énoncé convenable de ces points dans son plan d’entraînement » est étayée par la preuve[13]. Enfin, les conclusions selon lesquelles les trois commandos [traduction] « avaient fonctionné indépendamment les uns des autres, sans la cohésion que doit avoir un régiment » et que l’intimé [traduction] « n’a pas déployé tous les efforts possibles pour assurer la cohésion de son unité » sont étayées par la preuve[14].
DISPOSITIF
[49] J’accueillerais l’appel en partie, j’infirmerais l’ordonnance de la Section de première instance et j’y substituerais un jugement déclaratoire portant que les déclarations générales susmentionnées figurant aux pages xxxvi à xxxviii du volume 1 et les déclarations générales susmentionnées figurant aux pages 1075 et 1076 du volume 4 du rapport ne s’appliquent pas à l’intimé. À tous les autres égards, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire. Étant donné que l’appelant a en bonne partie eu gain de cause dans le présent appel, il devrait avoir droit aux deux tiers des dépens partie-partie de l’appel.
Le juge Strayer, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.
Le juge Robertson, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.
[1] Morneault c. Canada (Procureur général) (1998), 10 Admin. L.R. (3d) 251 (C.F. 1re inst.).
[2] Rapport de la Commission, vol. 4, aux p. 1160 à 1162.
[3] Ibid., aux p. 1159 et 1160.
[4] Ibid., à la p. 1162.
[5] Transcription de l’enquête, dossier d’appel, vol. IV, à la p. 765.
[6] Ibid., vol. I, aux p. 190 et 191.
[7] Ibid., vol. IV, à la p. 764.
[8] Ibid., vol. IV, à la p. 918.
[9] Ibid., vol. V, aux p. 953, 954 et 1112.
[10] Ibid., aux p. 1166 et 1167; vol. VI, à la p. 1176.
[11] Ibid., vol. V, aux p. 954 et 955.
[12] Ibid., vol. VI, aux p. 1182 et 1183.
[13] Ibid., vol. V, aux p. 1131 et 1151 à 1161. Voir également les p. 1113, 1116, 1128, 1129 et 1130.
[14] Ibid., vol. VI, aux p. 1185, 1205, 1208, 1212, 1215; vol. V, aux p. 1086 et 1087, 1134 et 1135.