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[1995] 1 C.F. 393

A-61-94

Le procureur général du Canada (requérant)

c.

Leonard Sears (intimé)

Répertorié : Canada (Procureur général) c. Sears (C.A.)

Cour d’appel, juges MacGuigan, Létourneau et Robertson, J.C.A.—Toronto, 7 septembre; Ottawa, 15 septembre 1994.

Assurance-chômage — Demande de contrôle judiciaire de la décision du juge-arbitre portant que le taux des prestations hebdomadaires de l’intimé doit être calculé uniquement d’après son ancien emploi à temps plein — Au moment de la perte de son emploi à temps plein, l’admissibilité de l’intimé aux prestations de l’assurance-chômage a été reportée parce qu’il a reçu une indemnité de départ — Il s’est procuré un emploi à temps partiel — Le taux de ses prestations hebdomadaires a été calculé à partir de vingt semaines d’emploi à temps partiel — L’art. 13 de la Loi sur l’assurance-chômage prévoit que les semaines de référence sont les vingt dernières semaines d’emploi assurable — Les modifications apportées à l’art. 57(2)a) du Règlement ne s’écartent pas du raisonnement adopté par le juge Marceau, J.C.A., dans Canada (Procureur général) c. Fortin — Seul l’emploi perdu a été pris en compte pour le calcul des prestations — L’objet de la Loi est de fournir une aide financière aux prestataires jusqu’à ce qu’ils soient en mesure de trouver un emploi, et non de les décourager d’accepter un emploi à temps partiel — Le fait de recevoir une indemnité de fin d’emploi ne devrait pas faire perdre au prestataire les droits que lui donnerait autrement la fin de son emploi à temps plein.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du juge-arbitre portant que seuls les gains assurables provenant de l’emploi à temps plein de l’intimé pouvaient servir au calcul du taux de ses prestations hebdomadaires.

L’intimé, qui occupait un emploi à temps plein, a été mis à pied de façon permanente en 1990. Il a dû attendre en mai 1991 pour devenir admissible aux prestations d’assurance- chômage parce qu’il avait reçu une indemnité de fin d’emploi et de vacances au moment de sa mise à pied. En décembre 1990, il a accepté un emploi assurable comme gardien de sécurité à temps partiel. En mai 1991, le taux de prestations hebdomadaires de l’intimé a été calculé à partir de ses vingt semaines d’emploi à temps partiel. Son emploi à temps plein n’a pas été pris en compte pour ce calcul parce que la Commission a conclu qu’il avait pris fin au cours de la vingt et unième semaine d’emploi assurable précédant le début des prestations. La Commission s’est appuyée sur l’article 13 de la Loi sur l’assurance-chômage qui prévoit que les semaines de référence du prestataire sont les vingt dernières semaines d’emploi assurable de sa période de référence. Un conseil arbitral a rejeté l’appel de l’intimé. Le juge-arbitre a accueilli l’appel en se fondant sur l’arrêt Canada (Procureur général) c. Fortin, dans lequel la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision du juge-arbitre selon laquelle, lorsqu’un assuré occupe plus d’un emploi assurable simultanément, les prestations hebdomadaires doivent être calculées uniquement en fonction de l’emploi perdu. Le procureur général a soutenu que l’arrêt Fortin ne correspondait plus à l’état du droit parce que l’alinéa 57(2)a) du Règlement sur l’assurance-chômage avait été modifié depuis. Lorsque l’affaire Fortin a été tranchée, l’alinéa 57(2)a) prévoyait que la totalité du revenu d’un prestataire provenant de tout emploi devait être prise en compte pour déterminer s’il y avait eu un arrêt de rémunération et à toutes autres fins relatives au paiement de prestations en vertu de la Partie II de la Loi. Par la suite, les mots « à toutes autres fins relatives au paiement de prestations en vertu de la Partie II de la Loi » ont été rayés et l’article 36.1 a été ajouté; il établissait que la rémunération pour laquelle une cotisation était payable devait être prise en compte pour déterminer la moyenne des rémunérations hebdomadaires assurables au cours des semaines de référence du prestataire.

La question à trancher était celle de savoir si l’emploi occupé par le prestataire entre le moment de sa mise à pied et la date à laquelle il pouvait demander des prestations devait être pris en compte pour calculer le taux de ses prestations hebdomadaires.

Arrêt : la demande doit être rejetée.

Les modifications apportées au Règlement ne s’écartent pas du raisonnement adopté par le juge Marceau, J.C.A., dans Fortin, mais rendent inapplicable le raisonnement du juge Hugessen, J.C.A. Dans cette affaire, la prestataire avait travaillé simultanément à temps plein pour un employeur et à temps partiel pour un autre. Le juge Marceau, J.C.A., a statué (1) qu’aucune disposition n’autorisait le traitement cumulatif d’emplois concurrents; (2) que, sans « texte clair » à cet effet dans la Loi, il n’était pas possible de calculer le taux des prestations hebdomadaires à partir d’un emploi qui n’a jamais été perdu et (3) que l’interprétation de la Commission selon laquelle il faut combiner les emplois et les envisager ensemble allait à l’encontre de l’exigence légale voulant que le prestataire ait subi un arrêt de rémunération pour être admissible aux prestations. Dans la plupart des cas, il ne pourrait jamais y avoir arrêt de rémunération. Le juge Hugessen, J.C.A., a statué que la rémunération du prestataire provenant de ses emplois assurables pendant la période de référence comprenait aussi les montants correspondant à la répartition hebdomadaire de son indemnité de départ. Le principe d’application générale à tirer du raisonnement du juge Marceau, J.C.A., porte que seul l’emploi perdu par le prestataire doit être pris en compte pour le calcul des prestations.

L’objet de la Loi est de fournir une aide financière aux prestataires jusqu’à ce qu’ils soient en mesure de trouver un emploi comparable. La Loi ne vise pas à décourager les prestataires de chercher un emploi à temps partiel. En cherchant et en trouvant un emploi à temps partiel, l’intimé serait pénalisé par l’interprétation de la Commission, non pas tant parce qu’il a trouvé un emploi à temps partiel, mais parce qu’il a reçu une indemnité de départ qui a eu pour effet de reporter la date à laquelle on peut affirmer qu’il a subi un arrêt de rémunération. Si l’intimé n’avait pas reçu une somme globale, il aurait eu droit à un taux de prestations hebdomadaires fondé sur la rémunération qu’il recevait pour son emploi à temps plein. En conformité avec les limites établies à l’article 15, la rémunération assurable tirée d’un emploi à temps partiel au cours d’une semaine donnant droit à des prestations devrait être déduite des prestations d’assurance-chômage de l’intimé si elle est supérieure aux limites fixées par cette disposition. Le fait de recevoir une indemnité de fin d’emploi de son employeur ne devrait pas faire perdre à l’intimé les droits que lui donnerait autrement la fin de son emploi à temps plein.

Rien ne justifie qu’on adopte une interprétation restrictive de l’article 13, qui serait en fait à caractère pénal et dont on n’a pas démontré qu’elle servirait les objectifs de la Loi. Il s’agissait de régler une question juridique dans un contexte factuel que le législateur n’a pas envisagé. Ni la Loi ni le Règlement ne traitaient la question en cause. Il est illogique, à première vue, que les prestations d’assurance-chômage soient établies d’après un emploi qui n’a jamais été perdu. Cette conclusion est renforcée par le paragraphe 13(1) qui fait état des prestations hebdomadaires payables « pour une semaine de chômage ».

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur l’assurance-chômage, L.R.C. (1985), ch. U-1, art. 2 « arrêt de rémunération », 6(2)b), 7(1) (mod. par R.S.C. (1985) (3e suppl.), ch. 14, art. 1), 13, 15.

Règlement sur l’assurance-chômage (perception des cotisations), C.R.C., ch. 1575.

Règlement sur l’assurance-chômage, C.R.C., ch. 1576, art. 36.1 (édicté par DORS/88-142, art. 2), 37 (mod. par DORS/82-778, art. 1; 88-277, art. 2; 90-756, art. 8; 92-164, art. 10), 57 (mod. par DORS/82-673, art. 2; 82-778, art. 2; 84-32, art. 8; 86-58, art. 1; 88-142, art. 3; 89-160, art. 2; 90-207, art. 1; 90-756, art. 17; 90-761, art. 16; 93-351, art. 1; 93-434, art. 1; 93-470, art. 1), 58 (mod. par DORS/82-778, art. 3; 86-58, art. 2; 87-614, art. 10; 89-412, art. 1; 89-550, art. 1; 90-756, art. 18; 92-164, art. 16).

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Canada (Procureur général) c. Fortin (1989), 67 D.L.R. (4th) 564; 30 C.C.E.L. 117; 90 CLLC 14,004; 109 N.R. 385 (C.A.F.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Canada (Procureur général) c. Rose, [1993] F.C.J. no 1127 (QL).

DÉCISION EXAMINÉE :

Re Anderson et le juge-arbitre nommé en vertu de la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage (1985), 23 D.L.R. (4th) 292 (C.A.F.).

DÉCISION CITÉE :

Lépine-Desmarchais c. Canada (Juge-arbitre nommé en vertu de la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage), A-907-88, juge Pratte, J.C.A., jugement en date du 24-10-89, C.A.F., non publié.

DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE de la décision d’un juge-arbitre portant que seuls les gains assurables provenant de l’emploi perdu pouvaient servir à calculer le taux des prestations d’assurance-chômage lorsque le prestataire obtenait un emploi à temps partiel par la suite. Demande rejetée.

AVOCATS :

E. Gail Sinclair pour le requérant.

Paul Dusome pour l’intimé.

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.

Simcoe Legal Services Clinic, Orillia, Ontario, pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Robertson, J.C.A. : La présente demande de contrôle judiciaire met en cause deux décisions antérieures de la Cour et l’interprétation juste à donner à l’article 13 de la Loi sur l’assurance-chômage, L.R.C. (1985), ch. U-1 (la « Loi »). En gros, nous devons trancher la question de savoir si le taux des prestations hebdomadaires de l’intimé doit être calculé d’après l’emploi à temps plein qu’il a perdu ou d’après l’emploi à temps partiel qu’il a obtenu par la suite et qu’il avait toujours au moment où il est devenu admissible aux prestations d’assurance-chômage. La Commission de l’assurance-chômage (la « Commission ») et le Conseil arbitral ont tous les deux retenu la dernière formule. En appel, le juge-arbitre a choisi la première. Le requérant demande maintenant l’annulation de cette décision. J’examinerai d’abord les faits essentiels qui ont donné lieu au litige.

L’intimé a occupé un emploi à temps plein au service de la Dominion Bridge jusqu’au 19 octobre 1990, date à laquelle il a été mis à pied de façon permanente. Peu de temps après, il a fait une demande de prestations d’assurance-chômage. Sa demande a été rejetée à bon droit parce qu’il n’y avait pas eu arrêt de la rémunération comme l’exige l’alinéa 6(2)b) de la Loi. Cette condition préalable n’a pas été remplie car l’intimé a reçu une indemnité de fin d’emploi et de vacances (l’« indemnité de départ ») de 17 541,99 $ de son employeur au moment où il a été mis à pied.

Il n’est pas contesté qu’une personne demeure inadmissible aux prestations d’assurance-chômage tant qu’elle n’a pas épuisé son indemnité de départ (voir les articles 37 [mod. par DORS/82-778, art. 1; 88-277, art. 2; 90-756, art. 8; 92-164, art. 10], 57 [mod. par DORS/82-673, art. 2; 82-778, art. 2; 86-58, art. 1; 89-160, art. 2; 90-207, art. 1; 90-756, art. 17; 90-761, art. 16; 93-351, art. 1; 93-434, art. 1; 93-470, art. 1] et 58 [mod. par DORS/82-778, art. 3; 86-58, art. 2; 87-614, art. 10; 89-412, art. 1; 89-550, art. 1; 90-756, art. 18; 92-164, art. 16] du Règlement sur l’assurance-chômage [C.R.C., ch. 1576]). En réalité, le fait de recevoir une indemnité de départ a pour conséquence le report de la date à laquelle on peut affirmer que le bénéficiaire a subi un arrêt de rémunération. En l’espèce, le montant de 17 541,99 $ a été divisé par le montant de 613 $, auquel s’élevait le salaire hebdomadaire normal que l’intimé recevait de la Dominion Bridge, pour établir la date à laquelle l’intimé pouvait effectivement être réputé avoir subi un arrêt de rémunération. En conséquence, l’intimé devait attendre jusqu’en mai 1991 pour devenir admissible aux prestations d’assurance-chômage.

Entre-temps, l’intimé a accepté un emploi assurable en qualité de gardien de sécurité à temps partiel au service de la Burns International Security (la « Burns Security »), le 20 décembre 1990, en contrepartie d’un salaire hebdomadaire moyen de 147 $. Il a conservé cet emploi jusqu’en juin 1992.

Lorsque l’intimé a fait une nouvelle demande de prestations, le 9 mai 1991, la Commission a établi que sa période de prestations commençait le 12 mai 1991, soit la date précise à laquelle l’intimé était réputé avoir subi un arrêt de rémunération. Toutefois, elle a calculé le taux de ses prestations hebdomadaires en se fondant uniquement sur les vingt semaines de l’emploi à temps partiel qu’il occupait toujours au service de la Burns Security. La Commission n’a pas tenu compte de son emploi au service de la Dominion Bridge pour ce calcul, car elle a conclu qu’il avait pris fin au cours de la vingt et unième semaine d’emploi assurable précédant le début des prestations. De plus, l’indemnité de départ n’a pas été incluse dans ce calcul.

En bout de ligne, la Commission a établi que les prestations hebdomadaires de l’intimé s’élevaient uniquement à 89 $ plutôt qu’à 367 $, montant qui aurait découlé d’un calcul fondé sur le revenu hebdomadaire que l’intimé recevait de la Dominion Bridge. La Commission s’est appuyée sur l’article 13 de la Loi comme fondement juridique de la méthode retenue pour calculer le taux des prestations hebdomadaires. Les dispositions pertinentes de cet article se lisent comme suit :

13. (1) Le taux des prestations hebdomadaires qui peuvent être versées à un prestataire pour une semaine de chômage qui tombe dans sa période de prestations est une somme égale à soixante pour cent de sa rémunération hebdomadaire assurable moyenne au cours de ses semaines de référence.

(2) Les semaines de référence d’un prestataire de la première catégorie sont les vingt dernières semaines d’emploi assurable de sa période de référence. [Non souligné dans le texte original.]

[Le paragraphe 7(1) [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 14, art. 1] de la Loi précise que la période de référence d’un assuré est la période de 52 semaines précédant immédiatement le début d’une période de prestations.]

L’appel interjeté au Conseil arbitral par l’intimé a été rejeté au motif que [traduction] « le taux des prestations avait été correctement établi ». Cette décision a ensuite été portée en appel devant un juge-arbitre. Le juge en chef adjoint Jerome s’est fondé sur la décision de la Cour dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Fortin (1989), 67 D.L.R. (4th) 564, pour décider que seule la rémunération assurable tirée de l’emploi perdu (soit celui au service de la Dominion Bridge) pouvait être utilisée pour le calcul du taux des prestations hebdomadaires.

En l’espèce, le premier argument que fait valoir le requérant porte que l’arrêt Fortin ne correspond plus à l’état actuel du droit, compte tenu de certaines modifications apportées au Règlement sur l’assurance-chômage. Il est bien établi que les modifications pertinentes ne s’appliquaient pas aux faits en cause dans l’affaire Fortin, mais qu’elles s’appliquent en l’espèce. L’avocate du requérant se fonde également sur une décision ultérieure de la Cour, Canada (Procureur général) c. Rose, A-528-92, jugement non publié, prononcé le 27 octobre 1993 [[1993] F.C.J. no 1127 (QL)], pour appuyer ses prétentions. Pour trancher la question qui nous est soumise, il faut que nous comprenions bien ce qui a été décidé dans les arrêts Fortin et Rose. Cette démarche est nécessaire pour mettre en lumière la pertinence des modifications apportées au Règlement sur l’assurance-chômage.

Dans l’affaire Fortin, la prestataire avait travaillé à temps plein pour un employeur, et à temps partiel pour un autre, pendant une très longue période. Son emploi à temps plein lui procurait un salaire de 400 $ par semaine. En fin de semaine, la prestataire pouvait gagner 90 $ en travaillant à temps partiel pour un autre employeur. Le 23 janvier 1987, elle a perdu son emploi à temps plein, mais elle est demeurée inadmissible aux prestations d’assurance-chômage parce qu’elle a reçu une indemnité de départ. Il a été établi que sa période de prestations ne pouvait débuter avant le 10 mai 1987, soit treize semaines après la fin de son emploi à temps plein. Toutefois, au cours de cette période, la prestataire a continué à travailler à temps partiel. Lorsqu’elle a présenté une nouvelle demande de prestations d’assurance-chômage en mai 1987, le taux de ses prestations hebdomadaires pour les « vingt dernières semaines d’emploi assurable » a été calculé en tenant compte des treize semaines d’emploi à temps partiel précédant sa demande et des sept semaines d’emploi à temps plein précédant la fin de son emploi.

Dans l’affaire Fortin, la Commission a confirmé que, lorsqu’un assuré occupe plus d’un emploi assurable simultanément, il faut combiner ces emplois et les envisager ensemble. Le Conseil arbitral et le juge-arbitre n’étaient pas de cet avis. Ils ont conclu que si l’un des emplois était perdu, le taux des prestations hebdomadaires devait être calculé en se fondant uniquement sur cet emploi, étant donné qu’il y avait arrêt de rémunération seulement en ce qui avait trait à cet emploi. En appel, la majorité de la Cour a maintenu cette décision (le juge Pratte, J.C.A., étant dissident). Toutefois, comme l’opinion des juges Marceau et Hugessen, J.C.A., se fondent sur des raisonnements différents, il faut les traiter séparément.

Le juge Marceau, J.C.A., a reconnu [à la page 569] « qu’interprétée isolément et de façon stricte, la disposition du paragraphe 13(2) de la Loi ne contredit pas directement les soumissions du Procureur général ». Néanmoins, il a décidé que le juge-arbitre avait eu raison de décider comme il l’avait fait, pour trois raisons.

Premièrement, aucune disposition de la Loi ou du Règlement n’autorise directement ni indirectement le traitement cumulatif d’emplois concurrents. Deuxièmement, et corrélativement, le juge Marceau, J.C.A., ne voyait pas comment, sans « texte clair » à cet effet, il serait possible de calculer le taux des prestations hebdomadaires à partir d’un emploi qui n’a jamais été perdu et sur la base d’une rémunération dont le prestataire n’a jamais été privé. Il a précisé qu’il en était ainsi sans égard au fait que le prestataire reçoive ou non une indemnité de départ. Enfin, le juge Marceau, J.C.A., a souligné que l’interprétation donnée par la Commission au paragraphe 13(2) de la Loi allait à l’encontre de l’exigence légale voulant que le prestataire ait subi un arrêt de rémunération pour être admissible aux prestations : « Le résultat est que dans la plupart des cas de perte d’un seul de deux emplois concurrents, il ne pourrait jamais y avoir arrêt de rémunération et partant aucun droit à des bénéfices »; Fortin , supra, à la page 571. Bref, le prestataire subirait une réduction de rémunération plutôt qu’un arrêt de rémunération. Le juge Marceau, J.C.A., a ajouté qu’une réduction de rémunération ne peut être traitée comme un arrêt de rémunération que s’il existe une prescription expresse à cet effet, comme l’exige l’article 2 qui définit l’expression « arrêt de rémunération ». Enfin, il a conclu que les vingt dernières semaines d’emploi assurable du prestataire, au sens du paragraphe 13(2) de la Loi, étaient les vingt semaines précédant la fin de son emploi à temps plein survenue le 23 janvier 1987.

Le juge Hugessen, J.C.A., a commencé son analyse en supposant que, même si la Commission avait eu raison de prétendre que le paragraphe 13(2) l’obligeait à établir le taux des prestations de la prestataire à partir des vingt semaines précédant le 7 mai 1987 (la date à laquelle la prestataire était réputée avoir subi un arrêt de rémunération), le résultat aurait été le même. Selon lui, sa rémunération provenant de ses emplois assurables pendant la période de référence comprenait non seulement celle qu’elle tirait de son emploi à temps partiel, mais aussi les montants correspondant à la répartition hebdomadaire de son indemnité de départ. Toutefois, comme la demande de prestations de la prestataire était fondée uniquement sur la rémunération provenant de son emploi à temps plein, rien ne justifiait que la Cour modifie la décision dont appel a été interjeté et, par conséquent, le juge Hugessen, J.C.A., était disposé à rejeter la demande de contrôle judiciaire.

Pour régler la présente demande, il est important d’apprécier le fondement de la conclusion du juge Hugessen, J.C.A., portant que l’indemnité de départ devait être incluse dans la rémunération provenant d’un emploi assurable pendant les semaines de référence. Son analyse est centrée sur l’alinéa 57(2)a) [mod. par DORS/84-32, art. 8] du Règlement tel qu’il se lisait alors :

57. …

(2) Sous réserve du présent article, la rémunération dont il faut tenir compte pour déterminer s’il y a eu un arrêt de rémunération et quel est le montant à déduire des prestations payables en vertu de l’article 26 ou des paragraphes 29(4), 30(5) ou 32(3) de la Loi, et à toutes autres fins relatives au paiement de prestations en vertu de la Partie II de la Loi, comprend

a) le revenu intégral du prestataire provenant de tout emploi. [Non souligné dans le texte original.]

Il ressort de la disposition reproduite ci-haut que la totalité du revenu d’un prestataire provenant de tout emploi doit être prise en compte non seulement pour déterminer si et quand un assuré a subi un arrêt de rémunération, mais « à toutes autres fins » relatives au paiement de prestations. Par conséquent, le juge Hugessen, J.C.A., a statué que l’indemnité de départ pouvait aussi être utilisée aux fins du calcul du taux des prestations hebdomadaires de la prestataire. À l’appui de cette conclusion, il a invoqué un arrêt antérieur de la Cour, Re Anderson et le juge-arbitre nommé en vertu de la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage (1985), 23 D.L.R. (4th) 292 (C.A.F.).

Dans l’affaire Anderson, la Commission avait soutenu que la valeur du logement fourni par l’employeur du prestataire ne devait pas être incluse dans la rémunération assurable aux fins du calcul du taux de ses prestations hebdomadaires. En application de l’alinéa 57(2)a), la Cour en a décidé autrement, malgré que le prestataire n’ait pas nécessairement versé de cotisations sur la valeur du logement fourni.

En se fondant sur l’affaire Anderson, le juge Hugessen, J.C.A., a conclu que l’indemnité de départ devait être réputée faire partie de la rémunération assurable de la prestataire aux fins du calcul du taux de ses prestations hebdomadaires. Il a aussi souligné que des modifications avaient été apportées au Règlement et qu’elles avaient pour effet d’écarter la règle énoncée dans Anderson. L’alinéa 57(2)a) a été modifié [DORS/88-142, art. 3] par le retrait des mots « à toutes autres fins relatives au paiement de prestations en vertu de la Partie II de la Loi. » En outre, l’article 36.1 a été ajouté [idem, art. 2] au Règlement. Il prévoit maintenant :

36.1 La rémunération dont il faut tenir compte pour déterminer la moyenne des rémunérations hebdomadaires assurables au cours des semaines de référence d’un prestataire est celle pour laquelle une cotisation était payable.

Comme l’a expliqué le juge Hugessen, J.C.A., c’est en raison de ces modifications que la Commission a pu rétablir le principe voulant que le prestataire ait droit uniquement à des prestations fondées sur la rémunération à l’égard de laquelle il a versé des cotisations d’assurance-chômage. De plus, ces modifications ont eu pour effet de clarifier la position de la Commission selon laquelle la question de savoir si une rémunération est assurable ou non doit être tranchée uniquement par le ministre en vertu du Règlement sur l’assurance-chômage (perception des cotisations) [C.R.C., ch. 1575], et non par la Commission par application du Règlement sur l’assurance-chômage. Dans l’affaire Anderson, la Cour a effectivement décidé que le taux des prestations hebdomadaires pouvait être calculé d’après la rémunération sans égard au fait que le ministre la considérerait comme assurable ou non.

Le destin a cependant voulu que les modifications entrent en vigueur uniquement le 25 février 1988 et, par conséquent, qu’elles n’aient aucune incidence sur la demande de la prestataire dans l’affaire Fortin qui date de mai 1987. Par conséquent, le juge Hugessen, J.C.A., a pu conclure que le taux des prestations hebdomadaires devrait être calculé en tenant compte de l’indemnité de départ; il convient de comparer ce raisonnement à l’arrêt Lépine-Desmarchais c. Canada (Juge-arbitre nommé en vertu de la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage), A-907-88, jugement non publié, en date du 24 octobre 1989.

Tous reconnaissent que les modifications apportées au Règlement sur l’assurance-chômage s’appliquent en l’espèce. Je crois cependant qu’il va de soi que ces modifications ne s’écartent pas du raisonnement adopté par le juge Marceau, J.C.A., mais rendent inapplicable le raisonnement du juge Hugessen, J.C.A. Sous cet angle, je ne pense pas qu’on puisse affirmer, comme le prétend le requérant, que l’arrêt Fortin ne correspond plus à l’état du droit, ni que ces modifications l’ont effectivement écarté. Je ne crois pas non plus que la décision de la Cour dans l’affaire Rose porte atteinte à ce raisonnement.

Il est admis que, dans l’affaire Rose, la Cour a déclaré que l’affaire Fortin « ne s’applique plus, compte tenu de l’entrée en vigueur de l’article 36.1 du Règlement sur l’assurance-chômage ». Il est aussi vrai, toutefois, que les faits de l’affaire Rose diffèrent de façon importante de ceux dont découle l’affaire Fortin et de ceux dont nous sommes saisis.

Dans Rose, la prestataire a occupé un emploi assurable à temps plein pendant quarante-deux semaines au cours de sa période de référence, après quoi ses heures de travail à temps plein ont été réduites. Elle a alors travaillé huit semaines à temps partiel pour le même employeur avant d’être mise à pied. La Commission a appliqué l’article 13 de la Loi et calculé le taux des prestations de la prestataire d’après les vingt dernières semaines d’emploi assurable qui comprenaient nécessairement la période au cours de laquelle elle avait travaillé à temps partiel et reçu une rémunération réduite. Compte tenu du libellé clair de la Loi, la Cour n’était pas disposée à conclure, comme le juge-arbitre, que seule la rémunération à temps plein de la prestataire aurait dû être prise en compte pour calculer le taux des prestations hebdomadaires. L’arrêt Rose a conclu que le taux des prestations devait être déterminé d’après la rémunération à la fois du travail à temps partiel et du travail à temps plein, par application de l’article 36.1 du Règlement. Selon moi, on ne peut douter de la sagesse de la décision rendue dans l’affaire Rose, compte tenu des faits en cause. Toutefois, comme je l’ai signalé, les faits et la question dont nous sommes saisis, sont très différents.

Dans l’affaire Rose, la prestataire avait subi une réduction de rémunération au service de son employeur avant d’être mise à pied. En effet, la prestataire soutenait que son taux des prestations hebdomadaires devait être fondé sur la rémunération reçue au cours de ses vingt semaines d’emploi assurable les mieux rémunérées et non au cours de ses vingt dernières semaines d’emploi assurable au cours de la période de référence. En l’espèce, on nous demande plutôt de décider si les « vingt dernières semaines d’emploi assurable » prévues à l’article 13 de la Loi renvoient à l’emploi qui a été perdu ou à celui qui a été conservé.

Dans l’affaire Fortin, et en l’espèce, les prestataires, qui ont reçu une indemnité de départ, ont travaillé à temps partiel pendant leur mise à pied. La seule différence à établir entre ces deux causes est la suivante : dans l’affaire Fortin, la prestataire occupait un emploi à temps partiel tant avant qu’après sa mise à pied. Cette distinction n’a toutefois aucune conséquence selon moi. Dans les deux cas, on a demandé à la Cour de décider si l’emploi occupé par les prestataires entre le moment de leur mise à pied et la date à laquelle ils pouvaient demander des prestations devait être pris en compte pour calculer le taux de leurs prestations hebdomadaires.

Tout au long de l’appel et de la procédure en contrôle judiciaire, l’intimé en l’espèce a fait valoir deux arguments principaux à l’appui de sa position. Le premier tient à l’acceptation du raisonnement du juge Marceau, J.C.A., dans l’affaire Fortin. Je peux tirer deux règles ou principes d’application générale de ces motifs : (1) deux emplois occupés simultanément par un prestataire doivent être traités séparément; et (2) seul l’emploi perdu par le prestataire doit être pris en compte pour le calcul des prestations. Seule cette dernière règle est pertinente en l’espèce.

Le deuxième argument de l’intimé vise à établir que l’indemnité de départ constitue une rémunération provenant d’un emploi assurable. Cela signifie que l’indemnité de départ constitue une rémunération « pour laquelle une cotisation était payable » conformément aux exigences de l’article 36.1 du Règlement. En conséquence, on prétend que l’indemnité de départ reçue de la Dominion Bridge devrait être utilisée pour calculer le taux des prestations; voir, par contre, l’affaire Lépine-Desmarchais c. Canada, supra. Toutefois, compte tenu de ma conclusion relativement au premier argument, il n’est pas nécessaire que je me prononce sur le deuxième.

Selon moi, le raisonnement du juge Marceau, J.C.A., est inattaquable. L’objet de la Loi est de fournir une aide financière aux prestataires jusqu’à ce qu’ils soient en mesure de trouver un emploi comparable. Selon ma compréhension de la Loi, elle ne vise pas à décourager les prestataires de chercher un emploi à temps partiel, ce qui s’est produit en l’espèce. Comme le juge Hugessen, J.C.A., l’a habilement souligné dans l’affaire Fortin, à la page 573, l’interprétation de la Commission « semble ne favoriser que l’oisiveté ».

En cherchant et en trouvant un emploi à temps partiel, l’intimé sera pénalisé par la Commission, non pas tant parce qu’il a trouvé un emploi à temps partiel au service de la Burns Security, mais parce qu’il a reçu une indemnité de départ qui a eu pour effet de reporter la date à laquelle on peut affirmer qu’il a subi un arrêt de rémunération. Si l’intimé n’avait pas reçu une somme globale, il aurait eu droit à un taux des prestations hebdomadaires fondé sur la rémunération qu’il recevait de la Dominion Bridge. De plus, en conformité avec les limites établies à l’article 15 de la Loi, la rémunération assurable tirée d’un emploi à temps partiel au service de la Burns Security au cours d’une semaine lui donnant droit à des prestations devra être déduite des prestations d’assurance-chômage de l’intimé si elle est supérieure aux limites fixées. L’article 15 de la Loi empêche donc les prestataires d’ajouter aux prestations découlant de la perte de leur emploi à temps plein des revenus additionnels excessifs. Je ne vois toutefois pas comment l’indemnité de départ reçue par l’intimé de son employeur devrait lui faire perdre les droits que lui donnerait autrement la fin de son emploi à temps plein.

Je ne suis pas convaincu qu’une question de principe valable justifie qu’on interprète strictement l’article 13 de la Loi. Il ne s’agit pas d’un cas où on demande à la Cour d’imposer un résultat manifestement dur en conformité avec l’intention claire du législateur. Le fait est que nous devons régler une question juridique dans un contexte factuel que le législateur n’a pas envisagé. Ni la Loi ni le Règlement ne traitent, même de loin, la question que nous devons trancher. Compte tenu de la situation, je ne suis pas disposé à adopter une interprétation restrictive qui serait en fait à caractère pénal et dont on n’a pas démontré qu’elle servirait les objectifs de la Loi. Si le requérant avait été en mesure d’établir, par exemple, que l’interprétation donnée à l’article 13 par le juge Marceau, J.C.A., créait une brèche en faveur de ceux qui voudraient faire valoir des demandes douteuses ou toucher des gains inattendus aux dépens de ceux qui doivent supporter le coût de ce régime compensatoire, la Cour devrait en tenir compte. Comme aucun élément de preuve n’a été produit à cet effet, je n’ai d’autre choix que de conclure, comme le juge Marceau, J.C.A., qu’il est simplement illogique, à première vue, que les prestations d’assurance- chômage soient établies d’après un emploi qui n’a jamais été perdu. Cette conclusion est renforcée par le paragraphe 13(1) de la Loi qui fait état des prestations hebdomadaires payables « pour une semaine de chômage ». En conséquence, je rejetterais le demande.

Le juge MacGuigan, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

Le juge Létourneau, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

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