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[1995] 1 C.F. 43

T-1869-93

Affaire intéressant un renvoi par le Tribunal de l’aviation civile d’une question de compétence devant la Cour en application de l’article 18.3 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), modifiée

Répertorié : Tribunal de l’aviation civile (Re)

Section de première instance, juge Noël—Ottawa, 6 et 29 juin 1994.

Droit aérien — Le ministre des Transports a versé au dossier d’application des règlements d’un pilote une « lettre de conseils » qui lui avait été délivrée pour l’aviser de sa violation du Règlement de l’Air — Aucune peine n’a été imposée — Le pilote s’est adressé au Tribunal de l’aviation civile en vue d’une révision — Le ministre conteste le pouvoir de révision du Tribunal pour le motif que ce pouvoir se limite aux décisions portant suspension, annulation ou refus de renouvellement des documents d’aviation canadiens, ou fixation d’amendes — Il a été consigné dans le dossier du pilote que ce dernier a violé la Loi sans que la perpétration de l’infraction ait été établie conformément à celle-ci — La consignation de la violation a un important impact sur des droits et privilèges — Le ministre n’est pas en droit de décider que le titulaire d’un document d’aviation a violé le règlement pris en application de la partie I sans suspendre ce document ni imposer d’amende.

Le Tribunal de l’aviation civile a renvoyé des questions devant la Cour fédérale pour jugement. Volant de New Hampshire au Nouveau-Brunswick, le pilote d’un avion portant immatriculation canadienne aurait dérogé à l’autorisation de départ donnée par le contrôle de la circulation aérienne. Les autorités américaines n’ont imposé aucune peine, mais elles ont signalé l’affaire à leurs homologues canadiens. Après avoir fait enquête, le ministre des Transports n’a imposé aucune peine, mais il a versé au dossier d’application des règlements du pilote une « lettre de conseils » pour aviser ce dernier que l’incident constituait une violation du Règlement de l’Air. Le pilote a demandé au Tribunal de l’aviation civile de réviser cette décision. Le ministre a prétendu que le Tribunal n’avait pas compétence pour connaître de l’affaire, puisque le pouvoir de révision de ce dernier se limitait aux décisions portant suspension, annulation ou refus de renouvellement de documents d’aviation canadiens, ou fixation d’amendes. Il a été allégué que la lettre de conseils n’était pas une décision selon laquelle le pilote était coupable d’une infraction, mais qu’il s’agissait simplement d’un avis de contravention aux termes du paragraphe 7.7(1) de la Loi sur l’aéronautique, et que le Ministère n’allait pas sanctionner la contravention compte tenu du pouvoir discrétionnaire de poursuivre du ministre. Le ministre a conclu que ces mesures avaient été prises conformément à son pouvoir de supervision en matière d’aéronautique et dans l’intérêt de la sécurité aérienne. Le Tribunal était d’avis que la Loi limitait les mesures disciplinaires que le ministre pouvait imposer à celles y prévues, c’est-à-dire des mesures de suspension, d’annulation ou de refus de renouvellement du document, ou de fixation d’amendes. Il faut trancher les questions suivantes : 1) Compte tenu de l’économie de la Loi sur l’aéronautique, le ministre des Transports peut-il décider que le titulaire d’un document d’aviation canadien a violé un texte d’application pris en vertu de la partie I de la Loi sans suspendre le document d’aviation canadien en cause, ni imposer une amende ne dépassant pas 1 000 $? 2) Si la réponse à la première question est affirmative, le titulaire du document peut-il faire réviser par le Tribunal de l’aviation civile la décision du ministre?

Jugement : il faut répondre à la première question par la négative et, en conséquence, il n’est pas nécessaire d’examiner la seconde question.

Il ressort de l’économie de la Loi trois importantes caractéristiques : 1) une sanction peut être imposée seulement lorsque la perpétration de l’infraction fondamentale a été établie conformément à la procédure prescrite par la Loi, c’est-à-dire qu’après que la partie intéressée a eu la possibilité de présenter ses arguments devant le Tribunal. 2) Il incombe au ministre d’établir le motif de la suspension ou la perpétration de l’infraction devant le Tribunal, sauf une suspension fondée sur des raisons médicales, auquel cas le titulaire d’un document a l’obligation d’établir que la décision ministérielle est erronée. 3) La Loi reconnaît le pouvoir du ministre de tenir un dossier d’application des règlements, et la consignation de la perpétration d’une infraction dans le dossier d’un contrevenant est accessoire à une décision, rendue conformément à la procédure prescrite par la Loi, selon laquelle une infraction a été commise.

Le problème qui se pose relativement aux lettres de conseils réside dans le fait que ces lettres sont envoyées lorsqu’une disposition de la Loi ou du Règlement a été violée, et que cette violation est consignée dans le dossier d’application des règlements du titulaire d’un document. Le but de la politique, celle de maintenir un dossier des violations établies, ainsi que le texte de la lettre de conseils disant sans équivoque qu’il y a eu violation du Règlement de l’Air, contredisent la position du ministre selon laquelle une lettre de conseils n’est rien d’autre qu’un avis d’allégation selon lequel une infraction a été commise. Le destinataire d’une lettre de conseils voit consigner dans son dossier le fait qu’il a violé la Loi même si la perpétration d’une infraction n’a pas été établie conformément à celle-ci.

La consignation d’une violation dans le dossier du titulaire d’un document a un impact important sur les droits et privilèges de l’intéressé. Le droit d’interjeter appel d’une décision ministérielle relative à des mentions faites dans un dossier en application de l’article 8.3 est une reconnaissance du fait que les droits de fond sont touchés par la décision ministérielle de maintenir une mention de suspension ou peine au-delà de la période de deux ans prévue par la loi. Le maintien de ces dossiers de violations est essentiel à l’application de la Loi, parce qu’il constitue un effet préventif contre toute récidive et une justification de l’imposition d’une peine plus sévère en cas de nouvelle violation. Les intérêts en jeu sont tels que la Loi n’autorise pas le ministre à consigner une infraction sans que sa perpétration ait été établie selon la procédure y prévue.

Lorsqu’une infraction est suffisamment importante pour justifier sa consignation, mais pas assez sérieuse pour justifier l’imposition d’une amende, le ministre peut imposer une amende purement symbolique puisque la Loi ne prescrit aucun minimum. Cela donne au ministre, face à une infraction visée à la Loi, la flexibilité suffisante pour dissiper ses préoccupations de principe sans enlever au titulaire d’un document son droit à une révision par un organisme indépendant. Si le ministre estime que la nature de l’infraction ne justifie pas l’octroi du droit à une révision par un organisme indépendant, il agit alors en dehors du cadre législatif.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 11d).

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 717(2).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.3 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Loi sur l’aéronautique, L.R.C. (1985), ch. A-2, art 6.6 (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 33, art.1), 6.7 (édicté, idem), 6.8 (édicté, idem), 6.9 (édicté, idem), 7 (édicté, idem), 7.1 (édicté, idem), 7.2 (édicté, idem), 7.3 (édicté, idem), 7.4 (édicté, idem), 7.5 (édicté, idem), 7.6 (édicté, idem; L.C. 1992, ch. 4, art, 19), 7.7 (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 33, art. 1), 7.8 (édicté, idem), 7.9 (édicté, idem), 8 (mod., idem), 8.1 (édicté, idem), 8.2 (édicté, idem), 8.3 (édicté, idem), 26 (mod., idem, art. 4), partie IV (art. 29 à 37) (édictés, idem, art. 5).

Règlement de l’Air, C.R.C., ch. 2, art. 548(2).

Règlement sur les textes désignés, DORS/86-596, art. 3 (mod. par DORS/89-117, art. 1).

Règles du Tribunal de l’aviation civile, DORS/86-594, art. 10.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS EXAMINÉES :

R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541; (1987), 45 D.L.R. (4th) 235; [1988] 1 W.W.R. 193; 61 Sask. R. 105; 37 C.C.C. (3d) 385; 60 C.R. (3d) 193; 81 N.R. 161; Canada (Procureur général) c. La Ronge Aviation Services Ltd. (1988), 93 N.R. 234 (C.A.F.).

DÉCISION CITÉE :

Swanson c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 C.F. 408; (1991), 80 D.L.R. (4th) 741; 7 C.C.L.T. (2d) 186; 124 N.R. 218 (C.A.).

DOCTRINE

Canada. Commission d’enquête sur la sécurité aérienne. Rapport de la Commission d’enquête sur la sécurité aérienne. Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1981 (Commissaire : M. le juge Charles L. Dubin).

Transports Canada. Manuel de l’application des règlements, 5e éd. Ottawa : Transports Canada, 1992.

SUR RENVOI aux fins de jugement, la Cour a décidé que le ministre des Transports ne pouvait décider que le titulaire d’un document d’aviation canadien avait violé un règlement pris en application de la partie I de la Loi sur l’aéronautique sans suspendre ce document ni imposer d’amende.

AVOCATS :

James H. Smellie pour le Tribunal de l’aviation civile.

Lila Stermer pour l’Association canadienne des pilotes de ligne.

Dan Cornell pour la Canadian Owners’ and Pilots’ Association.

Terrence Joyce et Faye Smith pour le procureur général du Canada, ministère des Transports.

PROCUREURS :

Osler, Hoskin & Harcourt, Ottawa, pour le Tribunal de l’aviation civile.

Gravenor Keenan, Dorval (Québec), pour l’Association canadienne des pilotes de ligne.

Cornell, Mortlock & Sillberg, Lindsay (Ontario), pour la Canadian Owners’ and Pilots’ Association.

Le sous-procureur général du Canada pour le procureur général du Canada.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Noël :

INTRODUCTION

Par ordonnance du 20 juillet 1993, le Tribunal de l’aviation civile (le Tribunal) renvoie devant cette Cour, pour audition et jugement, les questions suivantes en application du paragraphe 18.3(1) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] :

1. Compte tenu de l’économie de la Loi sur l’aéronautique[1], le ministre des Transports peut-il déterminer ou décider que le titulaire d’un document d’aviation canadien a violé un texte d’application pris en vertu de la partie I de la Loi, sans suspendre ni annuler le document d’aviation canadien en cause, ni imposer une peine pécuniaire ou amende ne dépassant pas 1 000 $ selon le cas?

2. Si la réponse à la première question est affirmative, le titulaire du document d’aviation canadien peut-il faire réviser par le Tribunal de l’aviation civile la décision ou la détermination du ministre selon laquelle il y a eu violation du texte d’application pris en vertu de la partie I de la Loi?

Voici les faits qui ont donné lieu à ces questions. Edward W. Dobbins était le pilote d’un avion Cessna 172 portant immatriculation canadienne C-GJSE et volant de Laconia (New Hampshire) à Saint John (Nouveau-Brunswick), le 15 novembre 1991. M. Dobbins aurait dérogé à l’autorisation de départ donnée par le contrôle de la circulation aérienne de Laconia. Les autorités de l’aviation américaine n’ont pas imposé de peine, mais elles ont signalé l’affaire aux autorités canadiennes.

Le 24 juin 1992, après une enquête menée par le ministre des Transports (le ministre), on a avisé M. Dobbins par lettre que l’incident survenu à Laconia (New Hampshire) constituait une violation du paragraphe 548(2) du Règlement de l’Air, C.R.C., ch. 2, disposition dont la contravention peut faire l’objet de la procédure prévue aux articles 6.7 à 7.2 [édictés par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 33, art. 1] de la Loi conformément à l’article 3 [mod. par DORS/89-117, art. 1] du Règlement sur les textes désignés, DORS/86-594, C.P. 1986-1267 (le Règlement). Le ministre n’a ni imposé d’amende ni suspendu les privilèges de pilote de M. Dobbins. Il a plutôt simplement versé cette lettre, qualifiée de « Lettre de conseils », dans le dossier d’application des règlements de M. Dobbins.

Se fondant sur l’article 10 des Règles du Tribunal de l’aviation civile [DORS/86-594], le mandataire de M. Dobbins a écrit au Tribunal le 23 juillet 1992 pour lui demander de réviser la conclusion qu’il y avait eu contravention, puisque M. Dobbins a prétendu qu’il n’existait aucune violation et, subsidiairement, qu’il avait un moyen de défense valable, savoir qu’il avait fait preuve de diligence raisonnable. Le 7 août 1992, le Tribunal a avisé le ministre de la demande de M. Dobbins. Dans sa réponse écrite datée du 20 août 1992, le ministre a contesté le pouvoir du Tribunal de connaître de l’affaire, invoquant le motif qu’aucune sanction légale n’avait été imposée à M. Dobbins.

Par la suite, l’Association canadienne des pilotes de ligne (CALPA), la Canadian Owners’ and Pilots’ Association (COPA) et l’Association du transport aérien du Canada (ATAC) ont été priées de faire des observations sur l’affaire. Devant des points de vue divergents, le Tribunal a, le 20 juillet 1993, choisi de saisir cette Cour des questions susmentionnées.

Le procureur général du Canada, la CALPA et la COPA ont chacun déposé des avis d’intention de prendre part aux présentes procédures, ont présenté des observations écrites et se sont fait représenter par avocat à l’audience tenue devant moi.

LA POSITION DES PARTIES

La première question

Le Tribunal et la CALPA soutiennent qu’il faut répondre à la première question par la négative. Selon le Tribunal, la Loi prévoit expressément le pouvoir du ministre de suspendre, d’annuler ou de refuser de renouveler un document d’aviation canadien, ou d’imposer une amende, et, en pareil cas, il peut réviser la décision du ministre. Toujours selon le Tribunal, sa compétence est exercée sur deux fronts : déterminer si la prétendue contravention a eu lieu et examiner le bien-fondé de la sanction ou de la peine imposée par le ministre.

Compte tenu de la formulation de la Loi, le Tribunal soutient qu’il n’est pas évident que le ministre peut déterminer que le titulaire d’un document d’aviation canadien a contrevenu à une disposition du Règlement sans suspendre, annuler ou refuser de renouveler ce document, ni imposer d’amende. Il dit plutôt que la Loi limite clairement les mesures disciplinaires que le ministre peut imposer à celles qui y sont prévues.

La CALPA estime également que le ministre est investi du pouvoir clair et exprès de suspendre, d’annuler et de refuser de renouveler une licence, et, dans le cas des textes désignés, d’imposer des amendes. Étant donné ces procédures détaillées et précises, la CALPA prétend qu’on ne saurait soutenir qu’il existe une procédure d’exécution entièrement différente et parallèle contre le titulaire d’un document pour une infraction prévue dans la Loi.

Le ministre et la COPA estiment qu’il faut répondre à la première question par l’affirmative. Le ministre prétend que la lettre de conseils datée du 24 juin 1992 n’est [traduction] « pas une décision par laquelle le ministre trouve Dobbins coupable d’une infraction sous le régime de la Loi sur l’aéronautique pour justifier la fixation d’une amende » (paragraphe 30 de l’exposé du sous-procureur général). Cette lettre avise simplement M. Dobbins qu’il y a eu contravention en application du paragraphe 7.7(1) [édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 33, art. 1] de la Loi, et que le Ministère n’allait pas sanctionner la contravention, compte tenu du pouvoir discrétionnaire de poursuivre du ministre.

Le ministre soutient qu’une copie de cette lettre a été versée au dossier de M. Dobbins, conformément au Manuel de l’application des règlements du Ministère et dans l’intérêt de la sécurité aéronautique. Le ministre conclut que les mesures en question ont été prises conformément à son pouvoir de supervision en matière d’aéronautique et dans l’intérêt de la sécurité aéronautique.

La COPA insiste sur le texte de l’article 7.6 [édicté, idem] de la Loi :

7.6 (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

a) désigner tout texte d’application de la présente partie, ci-après appelé au présent article et aux articles 7.7 à 8.2 « texte désigné », dont la transgression est traitée conformément à la procédure prévue à ces articles; [C’est moi qui souligne.]

La COPA soutient que le texte de l’alinéa 7.6(1)a) de la Loi confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de se prononcer sur la transgression d’un texte désigné, conformément à la procédure prévue aux articles 7.7 à 8.2 [édictés, idem] ou en conformité avec l’article 6.8 [édicté, idem].

La COPA fait valoir que la décision d’agir par voie de lettre de conseils a été prise en conformité avec l’option qui s’offrait au ministre en vertu de l’article 7.6, et qu’imposer une sanction moindre sous la forme d’une lettre de conseils relevait du pouvoir du ministre.

À cet égard, la COPA s’appuie sur l’alinéa 7.6(1)b), qui est ainsi rédigé :

7.6 (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

b) fixer le montant maximal—plafonné à mille dollars—à payer au titre d’une contravention à un texte désigné. [C’est moi qui souligne.]

Le paragraphe 3(2) dudit Règlement fixe le montant maximum de la peine qui peut être imposé pour la contravention à chaque texte désigné. La COPA prétend que l’article 7.6 devrait être interprété de la même manière que celle dont on interprète le paragraphe 717(2) du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46], en ce sens qu’aucune peine ne serait considérée comme une peine minimale.

La COPA conclut que le ministre est en droit de trouver le titulaire d’un document d’aviation canadien coupable de contravention à un texte désigné sans suspendre ni annuler le document d’aviation pertinent, ni imposer d’amende, mais en infligeant une sanction moindre sous la forme d’une lettre de conseils.

La seconde question

Le Tribunal soutient subsidiairement que, si le ministre peut décider qu’il y a contravention sans imposer de suspension ni d’amende, on doit alors conclure à l’existence du droit à la révision, par un organisme indépendant, de cette décision.

Le Tribunal estime que, même si le ministre peut ne pas considérer, comme question de principe, que cette lettre de conseils équivaut à une sanction, le résultat, en ce qui concerne le dossier du titulaire d’un document, est le même que si une suspension ou amende a été imposée.

Le Tribunal note que, selon la politique du ministre, une lettre de conseils peut être retirée du dossier d’un individu après deux ans, c’est-à-dire la même période que celle prescrite pour le retrait de la mention d’une suspension ou annulation. Cependant, selon le ministre, une simple déclaration de contravention, comme celle figurant dans une lettre de conseils, ne peut être contestée au moyen d’une révision par un organisme indépendant.

En fait, la politique du Ministère prévoit qu’une lettre de conseils peut être retirée du dossier d’un individu conformément à l’article 8.3 [édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 33, art. 1] de la Loi, qui est ainsi conçu :

8.3 (1) Toute mention de la suspension d’un document d’aviation canadien au titre de la présente loi ou d’une peine imposée au titre des articles 7.6 à 8.2 est, à la demande de l’intéressé, rayée du dossier que le ministre tient deux ans après l’expiration de la suspension ou paiement de la peine, à moins que celui-ci n’estime que ce serait contraire aux intérêts de la sécurité aéronautique ou qu’une autre suspension ou peine n’ait été consignée au dossier au sujet de l’intéressé par la suite.

(2) Le ministre, dès que possible après réception de la demande, expédie un avis de sa décision à l’intéressé par signification à personne ou par courrier recommandé.

(3) Les paragraphes 7.1(3) à (9) et l’article 7.2 s’appliquent, compte tenu des adaptations de circonstance, à la décision du ministre.

(4) Sont irrecevables les demandes au titre du paragraphe (1) faites moins de deux ans après une première demande.

Le Tribunal soutient que, bien qu’une décision relative à un dossier d’application des règlements puisse faire l’objet d’une révision par un organisme indépendant, la position du ministre en l’espèce donne lieu à une situation où un individu peut voir consigner dans son dossier le fait qu’il a commis une infraction sans qu’il ait droit à une révision.

Le Tribunal prétend que la position du ministre est contredite par sa politique récemment établie qui prévoit que le titulaire d’un document aura dorénavant la possibilité de se faire entendre devant le Tribunal toutes les fois que son dossier d’application des règlements est en jeu. Selon le Tribunal, le « dossier d’application des règlements » du titulaire d’un document d’aviation canadien doit, a fortiori, être en jeu lorsqu’il est allégué qu’il a contrevenu à une disposition du Règlement, en raison du fait qu’un tel dossier est maintenu par le ministre aux fins d’application pour une période d’au moins deux ans.

Le Tribunal conclut que les titulaires de documents d’aviation canadiens subiraient une grave injustice si leur droit à la révision par un organisme indépendant dépendait de la nature et de la gravité de la peine imposée par le ministre.

La CALPA soutient que la Loi doit être interprétée comme conférant au titulaire d’un document d’aviation canadien le droit de faire réviser par un organisme indépendant une décision ou détermination selon laquelle il y a eu contravention. Elle invoque à cet égard la protection de l’alinéa 11d) de la Charte. [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. Elle prétend qu’une infraction prévue dans la Loi ou le Règlement, quelque mineure qu’elle soit, relève des critères énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541.

La COPA prétend que le législateur visait à donner au titulaire d’un document canadien toute possibilité, conformément aux principes de l’équité procédurale et de la justice naturelle, de présenter des éléments de preuve devant le Tribunal et de faire des observations relativement à toute contravention alléguée sous le régime de la Loi. Elle souligne que les articles 6.9 à 7.1 ainsi que les articles 7.6 à 8.2 de la Loi, et le paragraphe 3(3) du Règlement prévoient tous que le titulaire d’un document d’aviation canadien peut faire réviser par le Tribunal une décision du ministre.

Il est allégué qu’il y a lieu à révision par un organisme indépendant, en l’occurrence, le Tribunal, non seulement en cas de suspension ou d’annulation d’un document d’aviation canadien, ou en cas d’imposition d’une amende, mais aussi en cas de simple déclaration de contravention.

Seul le ministre soutient qu’il faudrait répondre à la seconde question par la négative. Il laisse entendre que la seconde question est mieux formulée dans les termes suivants : le Tribunal a-t-il compétence pour réviser la décision en question?

Le ministre prétend que, en tant que créature de la loi, le Tribunal ne peut agir qu’en vertu d’une autorisation expresse de celle-ci. Le Tribunal peut tenir une audience lorsque le ministre suspend, annule ou refuse de renouveler un document, lorsque le ministre impose une peine relativement à un texte désigné ou lorsque le ministre décide de ne pas rayer une mention de suspension ou de peine imposée dans le dossier d’application des règlements du titulaire d’un document.

Aucune de ces mesures n’a été invoquée par le ministre relativement à M. Dobbins. Le ministre soutient subsidiairement que la lettre de conseils adressée à M. Dobbins ne constitue nullement une décision et que, en conséquence, il n’existe pas de décision à réviser.

En dernier lieu, il fait valoir que l’alinéa 11d) de la Charte ne s’applique pas devant cette Cour, parce que M. Dobbins ne saurait être considéré comme une personne accusée d’une infraction. À cet égard, il s’appuie sur la déclaration faite par le juge Wilson dans l’arrêt R. c. Wigglesworth précité, à la page 560 :

Lorsque les disqualifications sont imposées dans le cadre d’un régime de réglementation d’une activité visant à protéger le public, les procédures de disqualification ne sont pas le genre de procédures relatives à une « infraction » auxquelles s’applique l’art. 11. Les procédures de nature administrative engagées pour protéger le public conformément à la politique générale d’une loi ne sont pas non plus le genre de procédures relatives à une « infraction », auxquelles s’applique l’art. 11.

APERÇU DU DROIT APPLICABLE

Le Tribunal a été établi le 1er juin 1986 en tant que tribunal quasi judiciaire, en application de la partie IV [art. 29 à 37 (édictés par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 33, art. 5)] de la Loi. Sa création a fait suite à une des recommandations faites dans le rapport Dubin sur la sécurité aérienne[2]. La recommandation pertinente est ainsi rédigée :

Un processus d’application de la loi efficace doit respecter les droits de ceux qui sont frappés de sanctions administratives contre lesquelles il n’existe, à ce jour, aucun recours réel permettant d’en contester le bien-fondé. Il est, par conséquent, essentiel de prévoir un droit d’appel contre toutes les peines administratives. Afin de garantir totalement les droits de ceux qui sont frappés par des mesures disciplinaires, la création d’un Tribunal d’appel de l’aviation civile s’impose.

Le Tribunal d’appel de l’aviation civile devrait entendre tous les appels de novo et se conformer aux règles de l’impartialité, de sorte que les droits de toutes les parties soient parfaitement protégés.

Au moment de la création du Tribunal, d’importantes modifications ont été apportées à la Loi afin de définir clairement les pouvoirs d’exécution conférés au ministre et de prévoir le droit de recourir à un organisme indépendant en vue de la révision de sanctions administratives imposées par le ministre relativement aux violations alléguées de la Loi.

La partie I prévoit les pouvoirs d’exécution du ministre. Elle prévoit maintenant deux ensembles distincts de procédures administratives pour trancher les cas de contravention. Un troisième mode de règlement du cas des contrevenants est prévu aux articles 7.3 à 7.5 [édictés, idem, art. 1] sous la rubrique « Interdictions, infractions et peines », sous la forme des procédures de mise en accusation et des procédures de déclaration de culpabilité par procédure sommaire pour une violation des dispositions prises en vertu de la partie I de la Loi et de ses textes d’application.

Le premier ensemble de procédures administratives est prévu aux articles 6.6 à 7.2 [édictés, idem] de la Loi sous la rubrique « Mesures relatives aux documents d’aviation canadiens ». Il y est prévu que le ministre peut suspendre, annuler ou refuser de renouveler un document d’aviation canadien pour des raisons médicales, pour inaptitude ou lorsque l’intérêt public exige une telle mesure (article 7.1). L’article 6.9 permet également de suspendre, d’annuler ou de refuser de renouveler des documents d’aviation lorsque le titulaire d’un document a contrevenu à l’une quelconque des dispositions figurant dans la partie I de la Loi ou à ses textes ou ordonnances d’application.

Cette procédure commence par l’émission d’un avis de décision ministérielle avisant le titulaire d’un document qu’il a contrevenu à une disposition ou à plusieurs dispositions de la partie I de la Loi et que, en conséquence, il a été décidé d’annuler ou de suspendre, selon le cas, les documents d’aviation du contrevenant. La prise d’effet de la suspension ou de l’annulation ne peut survenir avant l’expiration d’une période de trente jours à compter de la date de l’émission de l’avis (paragraphes 6.9(1) et (2)).

La personne que vise l’avis peut, dans la même période de trente jours, déposer auprès du Tribunal une requête en révision de la décision (paragraphe 6.9(3)). Toutefois, une requête en révision n’a pas pour effet de surseoir à l’exécution de la suspension ou de l’annulation des documents d’aviation canadiens auxquels se rapportent la décision ministérielle (paragraphe 6.9(4)).

Le conseiller appelé à réviser la décision ministérielle accorde au ministre et à l’intéressé toute possibilité de présenter leurs éléments de preuve et leurs observations conformément aux principes de l’équité procédurale et de la justice naturelle (paragraphe 6.9(7)). Il peut confirmer la suspension ou l’annulation ou substituer sa décision à celle du ministre (paragraphe 6.9(8)).

Lorsque le ministre décide de suspendre ou d’annuler des documents d’aviation canadiens pour des raisons médicales, le conseiller peut seulement confirmer la suspension ou renvoyer l’affaire au ministre (paragraphe 7.1(8)). Le paragraphe 7.1(7) prévoit expressément que, dans ce cas, le fardeau de la preuve incombe à la personne demandant la révision.

Pour ce qui est d’une suspension ou annulation de documents d’aviation canadiens fondée sur tout autre motif, la Loi ne précise pas quelle partie a le fardeau de la preuve au cours de la procédure de révision. Dans ces circonstances, même si la procédure de révision se rapporte à ce qui est qualifié, sous le régime de Loi, de décision ministérielle et qu’une telle décision ne soit pas automatiquement suspendue par la procédure de révision, il incombe au ministre d’établir le bien-fondé de la décision.

Le ministre ou le titulaire d’un document peut interjeter appel de la décision du conseiller devant un comité commis à l’appel dans les dix jours de la prise de celle-ci (paragraphe 7.2(1)). Le paragraphe 7.2(4) précise que, lorsqu’un tel appel se rapporte au refus de renouveler un document d’aviation canadien pour des raisons médicales, « il incombe à l’appelant d’établir que la décision du ministre est mal fondée ».

Le Tribunal peut rejeter l’appel ou y donner droit. Dans ce dernier cas, il peut substituer sa décision à celle qui fait l’objet de l’appel. Cependant, à l’occasion d’un appel d’une disqualification pour des raisons médicales, encore une fois, le Tribunal peut seulement rejeter l’appel ou renvoyer l’affaire au ministre pour réexamen (paragraphe 7.2(5)).

Le second ensemble de procédures administratives est prévu aux articles 7.6 à 8.2 de la Loi, sous la rubrique « Procédure relative à certaines contraventions ». En effet, le ministre dispose d’un mode de procédure simplifié relativement à la violation d’un « texte désigné ». La Cour d’appel fédérale a décidé dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. La Ronge Aviation Services Ltd. (1988), 93 N.R. 234, que ce mode de procédure simplifié est facultatif et n’empêche pas le ministre de recourir à la procédure initiale concernant les suspensions, les annulations et les refus de renouvellement de documents d’aviation.

Un texte de la Loi peut être désigné comme un texte d’application par règlement ou décret. Le paragraphe 548(2) du Règlement de l’Air est un texte de ce genre. Une amende maximale est prescrite à l’égard de chaque texte de ce genre. Cette amende est maintenant de 5 000 $ dans le cas des personnes physiques et de 25 000 $ dans le cas des personnes morales (paragraphe 7.6(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 4, art. 19]). Quelque 94 textes ont initialement été désignés sous le régime du Règlement. Aucune amende minimale n’est prescrite pour la violation de l’un quelconque des textes désignés.

En vertu du paragraphe 7.6(2), quiconque contrevient à un texte désigné commet une infraction et encourt la sanction prévue aux articles 7.7 à 8.2 de la Loi, et aucune poursuite ne peut être intentée contre lui par procédure sommaire.

La procédure « texte désigné » commence par l’émission par le ministre d’un avis de contravention qui doit reposer sur des motifs raisonnables de croire que la personne en question a contrevenu à un texte désigné (paragraphe 7.7(1)).

L’information contenue dans l’avis est prescrite par l’article 3 du Règlement. Elle doit préciser notamment le texte désigné dont on prétend qu’il a été enfreint, les détails sur la contravention alléguée, et le montant de l’amende à payer.

Lorsque le destinataire de l’avis paye le montant requis, le ministre accepte ce paiement en règlement de l’amende imposée, et aucune poursuite ne peut être intentée par la suite au titre de la partie I pour la contravention (paragraphe 7.8(1)).

Lorsque la personne ne paie pas le montant dans le délai imparti, le ministre envoie une copie de l’avis au Tribunal, et ce dernier envoie un avis de comparution au présumé contrevenant (paragraphe 7.9(1)). En cas de défaut de comparution, le conseiller tranche l’affaire selon les renseignements fournis par le ministre (paragraphe 7.9(2)).

Lors de la comparution du prétendu contrevenant, le conseiller donne à ce dernier et au ministre toute possibilité de se faire entendre et de présenter leurs observations, conformément aux principes de l’équité procédurale (paragraphe 7.9(4)). Le présumé contrevenant n’est pas tenu de témoigner, et il incombe au ministre d’établir que la prétendue infraction a été commise (paragraphe 7.9(5)). Le conseiller tranche l’affaire en déterminant s’il y a eu contravention. Lorsque la contravention est confirmée, le conseiller peut modifier le montant de l’amende (article 8).

Le droit d’interjeter appel d’une décision du conseiller devant un comité d’appel est prévu au paragraphe 8.1(1). Le Tribunal peut rejeter l’appel ou y faire droit et, ce faisant, il peut substituer sa décision à celle en cause (paragraphe 8.1(4)).

Le dernier ensemble de procédures applicables se rapporte aux dossiers d’application des règlements. Le ministre tient du paragraphe 8.3(1) de la Loi le pouvoir implicite de tenir un dossier de la suspension ou peine antérieure imposée au titulaire d’un document au titre de la partie I de la Loi. Le paragraphe 8.3(1) permet à une personne qui a fait l’objet d’une peine ou suspension de demander que la mention de celle-ci soit rayée de son dossier après l’expiration d’une période de deux ans à partir de la date de la suspension ou de la date de paiement de l’amende selon le cas.

Le ministre n’est pas tenu de rayer une mention du dossier du titulaire d’un document lorsque, à son avis, ce serait contraire aux intérêts de la sécurité aéronautique ou qu’il y a consigné une autre suspension ou peine dans les deux ans suivant une mention antérieure (alinéas 8.3(1)a) et b)).

Lorsque le ministre reçoit une requête en radiation d’une mention antérieure, il doit aviser l’intéressé de sa décision (paragraphe 8.3(2)).

Lorsque sa décision est défavorable, un droit d’appel devant un conseiller et devant le Tribunal est prévu par renvoi à la procédure applicable à la suspension d’un document d’aviation canadien, procédure prévue aux paragraphes 7.1(3) à (9) (paragraphe 8.3(3)).

En vertu du paragraphe 8.3(4), sont irrecevables les demandes de radiation d’une mention faites moins de deux ans après une première demande.

L’ANALYSE ET LA DÉCISION

Il ressort de l’économie de la loi trois importantes caractéristiques relatives aux questions renvoyées.

La première caractéristique, comme l’a recommandé le rapport Dubin, réside en ce qu’une sanction peut être imposée seulement lorsque la perpétration de l’infraction fondamentale a été établie conformément à la procédure prescrite par la Loi, c’est-à-dire qu’après que la partie intéressée a eu la possibilité de présenter ses arguments devant le Tribunal.

Pour ce qui est de la seconde caractéristique, il incombe au ministre d’établir le motif de la suspension ou la perpétration de l’infraction devant le conseiller. La seule exception consiste dans une suspension fondée sur des raisons médicales, auquel cas le titulaire d’un document a l’obligation d’établir devant le conseiller que la décision ministérielle est erronée.

Quant à la troisième caractéristique, le pouvoir du ministre de tenir un dossier d’application des règlements est reconnu par la Loi, et la consignation de la perpétration d’une infraction dans le dossier d’un contrevenant est accessoire à une décision, rendue conformément à la procédure prescrite par la Loi, selon laquelle une infraction a été commise.

Le Manuel de l’application des règlements, cinquième édition, avril 1992, publié par Transports Canada, expose les lignes directrices établies par le ministre pour s’assurer de l’application des règlements au moyen de mesures administratives. Son paragraphe 8.7 prévoit ce qui suit :

8.7 MESURES ADMINISTRATIVES

8.7.1  Types de mesure

Il existe deux types de mesures administratives pouvant être prises comme sanction à l’égard d’une infraction. Le choix de la mesure dépend de la politique à ce sujet, [de] la source de détection et des circonstances de l’infraction.

1)   Mesures préventives

a)   Conseil

i)    Un conseil verbal est donné principalement lorsqu’un titulaire de document commet involontairement une infraction mineure qu’on ne juge pas utile de faire suivre d’une sanction. La mesure permet au titulaire de document d’obtenir sur-le-champ un conseil sur la nécessité d’observer les règlements. Tous les inspecteurs de l’aéronautique de Transports Canada auxquels on a délégué le pouvoir nécessaire peuvent donner un conseil verbal. L’article 8.7.3 présente les critères utilisés lorsqu’on retient ce type de mesure.

ii)    Les lettres de conseils servent aux infractions mineures qu’on ne juge pas utile de faire suivre d’une sanction mais qui sont suffisamment graves pour être consignées au dossier du titulaire de document (voir 8.7.4) [C’est moi qui souligne.]

iii)   Une lettre de rappel à l’ordre confirme que le contrevenant a commis une infraction mineure qui s’est répétée pendant un certain temps et qu’il s’est engagé à corriger la situation dans un délai voulu. La lettre doit également préciser qu’une sanction sera immédiatement prise s’il ne fait rien.

b)   Programme de formation réhabilitante

Le Programme de formation réhabilitante (PFR) peut être dispensé aux titulaires de document admissibles ayant commis des infractions mineures qui témoignent d’un manque de connaissances, d’habileté ou de jugement mais qui, lorsqu’examinées séparément, n’indiquent pas une incompétence à exercer les privilèges rattachés au document.

2)   Mesures disciplinaires

a)   Amende

L’amende administrative n’est imposée qu’en cas d’infraction à un texte désigné. La procédure est exposée aux articles 7.6 à 8.2 de la Loi.

Remarque :   Il n’est pas possible de poursuivre un contrevenant devant les tribunaux pour une infraction à un texte désigné.

b)   Suspension d’un document d’aviation canadien

Une suspension peut être imposée pour toute infraction à une disposition de la partie I de la Loi sur l’aéronautique, du Règlement de l’Air ou d’une Ordonnance sur la Navigation aérienne. Les articles 6.8 et 6.9 de la Loi précisent les pouvoirs et les procédures de suspension.

La lettre de conseils adressée à M. Dobbins a été écrite conformément à l’alinéa ii) ci-dessus sous la rubrique « Mesures préventives ». L’article 8.7.4. du Manuel de l’application prévoit les détails additionnels suivants quant à l’usage voulu de ces lettres :

8.7.4    Lettres de conseils

Ce genre de mesure est effectué à la discrétion du DRAR afin de rappeler au contrevenant présumé qu’il a enfreint une disposition des règlements et pour lui conseiller de respecter les règlements à l’avenir. Bien qu’une telle mesure ne soit pas considérée comme une « sanction », elle fait partie du dossier du titulaire de document et est consignée dans le Système d’information sur la gestion de l’application (EMIS) à des fins de gestion. Le titulaire de document peut demander qu’une lettre de conseils soit retirée de son dossier conformément à l’article 8.14.

Voici le texte tout entier de la lettre de conseils adressée à M. Dobbins le 24 juin 1992 :

[traduction] La présente fait suite à ma lettre du 8 juin 1992 concernant l’incident du 15 novembre 1992 [sic] où un Cessna 172 portant le numéro d’immatriculation C-GJSE a dérogé aux exigences d’une autorisation du contrôle de la circulation aérienne. Vous avez confirmé que vous en étiez le pilote.

Votre déclaration du 15 juin 1992 a été examinée à la lumière des éléments de preuve disponibles et il a été décidé qu’il y avait eu violation du paragraphe 548(2) du Règlement de l’Air. Vous avez fondé votre explication sur une prétention non justifiée de panne radio et, pourtant, de votre propre aveu, vous n’avez ni informé l’ATC de cette difficulté après avoir repris contact, ni choisi le code d’urgence 7600 sur votre transpondeur. Le rapport de la FAA n’indique pas que vous avez mentionné un problème de radio. Il précise plutôt que vous avez déclaré n’avoir pas complètement compris l’autorisation donnée.

Malgré le danger qui affecte la sécurité du vol dans ce cas-ci, cette contravention aurait pu donner lieu à une amende ou à une suspension de vos privilèges de pilote. Cependant, une longue période s’est écoulée depuis l’événement, et puisque vous avez le droit d’être jugé dans un délai raisonnable, nous n’envisageons aucune autre mesure[3].

Convaincu que la sécurité aéronautique vous préoccupe beaucoup, particulièrement lorsque vous êtes instructeur, je me permets de recommander que vous fassiez un examen approfondi des procédures IFR. Le système de navigation dépend de ce que tous les exploitants comprennent les instructions de contrôle et suivent les procédures types établies.

En application de l’article 8.3 de la Loi sur l’aéronautique, vous pouvez vous adresser au ministre pour faire rayer cette mesure d’exécution de votre dossier après deux ans à compter de la date de la présente.

On se rappellera que, dès réception de cette lettre, M. Dobbins a saisi le Tribunal d’une requête en révision de cette décision, invoquant le motif qu’il n’y avait pas eu contravention et que, en tout état de cause, il existait un moyen de défense valable qu’était la diligence raisonnable. Le ministre s’est opposé à ce que le Tribunal procède à la révision demandée pour le motif que le pouvoir de révision de ce dernier se limitait aux décisions portant suspension, annulation ou refus de renouvellement de documents d’aviation canadiens, ou fixation d’amendes. Puisque M. Dobbins n’avait fait l’objet d’aucune de ces sanctions et qu’on lui avait envoyé seulement une lettre de conseils, le Tribunal n’avait pas compétence, selon le ministre, pour procéder à la révision.

Le problème qui se pose relativement à ces lettres de conseils, comme l’a souligné la lettre envoyée à M. Dobbins, réside dans le fait que ces lettres sont envoyées lorsqu’une disposition de la Loi ou du Règlement a été violée et que cette violation affirmée est consignée comme telle dans le dossier d’application des règlements du titulaire d’un document.

Le ministre soutient qu’une lettre de conseils devrait être interprétée comme n’étant rien d’autre qu’un avis d’allégation selon lequel une infraction a été commise. Toutefois, cette prétention se trouve contredite par le but de la politique, qui est de maintenir un dossier des violations établies, ainsi que par le texte de la lettre de conseils envoyée en l’espèce à M. Dobbins dans laquelle il est déclaré sans équivoque que « il a été décidé qu’il y avait eu violation du paragraphe 548(2) du Règlement de l’Air » À cet égard, la question importante ne réside pas tant dans la façon dont une lettre de conseils est interprétée par le ministre que dans la manière dont le ministre et ses fonctionnaires utilisent ces lettres dans le contexte de l’application de la Loi.

La position du ministre quant à l’usage de ces lettres a été énoncée dans une lettre d’observations adressée le 5 novembre 1992 au Tribunal par le Directeur, législation et application des règlements, Transports Canada. Il y est dit à la page 4 :

[traduction] Une lettre de conseils a pour conséquence que le titulaire de document en reçoit des conseils, au lieu de recevoir une sanction. La tenue du dossier est une question interne qui relève du ministère des Transports pour des fins administratives. Si le Ministère ne devait pas tenir ces dossiers, un individu pourrait alors recevoir des lettres de ce genre et le Ministère ne pourrait savoir qu’elles n’ont pas l’effet de dissuasion voulu. Donc, la tenue du dossier vise l’efficacité du programme d’application des règlements du ministère.

Puisque le dossier est seulement destiné aux fins administratives du ministère et qu’il n’est pas considéré comme une sanction aux fins de fixation des peines ultérieures, il ne peut entraîner aucune conséquence pour un individu quant à son emploi futur, ni quant aux sanctions futures devant être imposées, s’il en est.

Si la consignation d’une violation n’a aucune conséquence pour l’intéressé, je ne vois pas ce que signifie la déclaration selon laquelle, en cas de non-tenue de ces dossiers, le « Ministère ne pourrait savoir qu’elles n’ont pas l’effet de dissuasion voulu » ce qui, à son tour, empêcherait « l’efficacité du programme d’application des règlements du Ministère ». S’il existe un effet de dissuasion lié à la consignation de ces violations, c’est seulement parce que ces dossiers sont utilisés aux fins d’une application future conformément à la Loi. Le fait que le Ministère ne voit pas dans ces lettres l’imposition d’une sanction en soi est de peu d’importance. Ce qui importe, c’est qu’on les considère comme établissant la perpétration des infractions qu’elles affirment, et que le ministre et ses fonctionnaires en font usage dans l’application de la Loi.

L’usage par le ministre d’une lettre de conseils comme document établissant qu’une infraction a été commise aux termes de la Loi découle du fait que cette infraction est consignée dans le dossier d’application des règlements du titulaire d’un document. L’importance de cette consignation, selon le point de vue du ministre, se dénote par le fait que la radiation de cette mention doit, d’après la politique applicable, être régie par l’article 8.3 de la Loi. Cette disposition permet à une personne, sous certaines conditions, de demander la radiation d’une suspension ou peine antérieurement consignée dans son dossier et ce, deux ans après l’événement. Il en résulte que le destinataire d’une lettre de conseils voit consigner dans son dossier le fait qu’il a violé la Loi sans que la violation fondamentale ait été établie conformément à celle-ci.

La consignation de la violation d’un texte d’application dans le dossier du titulaire d’un document a un impact important sur les droits et privilèges de l’intéressé[4]. En fait, une mention ne peut être rayée du dossier d’application des règlements avant l’expiration de deux ans, ou, par la suite, si le titulaire d’un document a, entre-temps, commis une infraction, ou si le ministre estime que la radiation n’est pas dans l’intérêt de la sécurité aéronautique. Le droit d’interjeter appel d’une décision ministérielle relative à des mentions faites dans un dossier en application de l’article 8.3 est une reconnaissance par le législateur du fait que les droits de fond sont touchés par la décision ministérielle de maintenir une mention de suspension ou peine au-delà de la période de deux ans prévue par la Loi.

S’il en est ainsi, dans le contexte des suspensions ou peines établies conformément au principe de l’application régulière de la loi, que peut-on faire d’une procédure par laquelle, dès le début, le titulaire d’un document voit consigner dans son dossier le fait qu’il a violé un texte d’application sans avoir la possibilité de contester la décision qui forme le fondement de son dossier d’application des règlements? Voilà le véritable point qui sous-tend la première question renvoyée devant la Cour.

La Loi prévoit que le titulaire d’un document qui a été déclaré coupable d’avoir violé la Loi, soit en l’admettant soit en le contestant sans succès devant le Tribunal, verra consigner dans son dossier le fait qu’il a violé la Loi et a été l’objet d’une suspension ou peine. Lorsqu’il y a contestation, la Loi prévoit que les mentions ne peuvent êtres faites que si la violation a été établie conformément à la Loi, c’est-à-dire après une révision par un organisme indépendant devant lequel l’intéressé a toute possibilité, conformément aux principes de l’équité procédurale et de la justice naturelle, de présenter les éléments de preuve et les observations pertinents. L’article 8.3 parle de suspensions ou peines, et la perpétration d’une infraction qui sous-tend ces sanctions peut être établie sous le régime de la Loi seulement après que l’intéressé s’est vu accorder le droit de se faire entendre.

Le maintien du dossier d’un contrevenant est essentiel à l’application de la Loi. Le ministre tient le dossier d’un contrevenant en vertu de la Loi. Ce dossier exerce un important effet préventif contre toute violation future de la Loi à l’égard de la partie coupable et permet au ministre de suivre l’évolution du comportement en vol du titulaire d’un document compte tenu de la violation consignée. Il peut également justifier l’imposition de sanctions plus sévères au cas où le dossier du titulaire d’un document serait encore mis en cause par la perpétration d’une autre infraction, ou par la décision du ministre de contester la compétence du titulaire d’un document. Le fait que la Loi prévoit seulement la mention, dans un dossier d’application des règlements, de violations qui sont établies conformément à la Loi et que la décision du ministre de tenir un dossier au-delà d’une période de deux ans est sujette à appel souligne en outre l’importance des intérêts en jeu, tant dans la création du dossier d’un contrevenant que dans son maintien au-delà de la période de deux ans.

Compte tenu de ces faits, il est, à mon avis, assez évident que le ministre ne tient pas de la Loi le pouvoir d’inscrire une infraction dans le dossier du titulaire d’un document sans que sa perpétration ait été établie conformément à la Loi. Celle-ci prévoit que la perpétration d’une infraction peut être établie à l’instigation du ministre par renvoi soit à la procédure prévue aux articles 6.6 à 7.2 relativement aux suspensions, soit à celle prévue aux articles 7.6 à 8.2 de la Loi relativement aux amendes. Je ne crois pas que le ministre puisse établir, sous le régime de la Loi, la perpétration d’une infraction autrement qu’en agissant dans le cadre du pouvoir ainsi conféré. La constitution du dossier d’un contrevenant est accessoire à la décision, en vertu de la Loi, selon laquelle une infraction a été commise, et cette décision ne peut être rendue que dans les limites de la procédure prescrite par la Loi.

En fait, je crois que cela a été reconnu par la lettre de politique révisée sur l’application des règlements de Transports Canada, datée du 25 juin 1993, où il est dit :

Le but de cette lettre de politique est de s’assurer que tout le personnel de la Réglementation aérienne comprend bien la politique relative à la délivrance d’une lettre de conseil à un titulaire de document canadien d’aviation.

On délivre une lettre de conseil lorsqu’une infraction mineure à un règlement est suffisamment grave pour être inscrite au dossier d’application des règlements du titulaire de document, mais pas assez pour lui imposer une amende ou le suspendre. Toutefois, aucune lettre de conseil ne doit être délivrée lorsque le titulaire de document conteste la façon dont les faits sont rapportés ou le fait même qu’il ait commis une infraction au règlement. Dans ces cas, le dossier doit être fermé à titre d’affaire classée ou le titulaire doit recevoir un conseil verbal. Enfin, selon l’attitude du titulaire de document face à l’application des règlements, il se peut qu’une amende ou une suspension lui soient imposées. Cette procédure permet au titulaire de document d’obtenir une audition devant le Tribunal de l’aviation civile lorsque son dossier d’application des règlements est en jeu. De plus, lorsqu’on délivre une lettre de conseil, on doit y faire référence au fait que le titulaire de document reconnaît qu’il a commis une infraction.

Je crois que cette lettre de politique éclaircit tous les malentendus à ce sujet. Elle sera ajoutée à la prochaine modification du Manuel de l’application des règlements.

En outre, je dois dire que j’ai de la difficulté à comprendre la justification donnée par le ministre à l’appui de la politique initiale. J’accepte le fait que le maintien des dossiers d’application des règlements où sont consignées des violations antérieures est essentiel à la sécurité aéronautique. Dans beaucoup de cas, il peut exercer un effet préventif plus fort que l’imposition d’amendes. De plus, je peux comprendre que le ministre puisse être sujet à de sérieuses critiques si ses fonctionnaires, après avoir noté par écrit la perpétration d’infractions par les titulaires de documents, omettent de tenir un dossier de leur survenance aux fins d’application future[5].

Toutefois, lorsqu’une infraction est suffisamment importante pour justifier sa consignation, mais pas assez sérieuse, aux yeux du ministre, pour justifier l’imposition d’une amende comme il a été dit dans le document de politique, il est loisible au ministre de fixer une amende purement symbolique puisque la Loi ne prescrit aucun minimum. Cela donne, semble-t-il, au ministre, face à une infraction visée à la Loi, la flexibilité requise pour dissiper ses préoccupations de principe sans devoir enlever au titulaire d’un document son droit à une révision par un organisme indépendant. Si d’autre part, pour ne pas choisir cette route, le ministre estime que, dans ces cas, la nature de l’infraction ne justifie pas que l’intéressé ait droit à une révision par un organisme indépendant, il agit, à l’évidence, en dehors du cadre législatif.

En conséquence, le ministre ne peut, à mon avis, décider qu’une violation a eu lieu et consigner cette violation dans le dossier d’application des règlements du titulaire d’un document sans recourir à la procédure prescrite par la Loi. D’après l’économie de celle-ci, la perpétration d’une infraction peut être considérée comme ayant été établie aux fins de la Loi seulement après que l’intéressé s’est vu accorder le droit à une révision par un organisme indépendant.

Par ces motifs, je répondrais à la première question par la négative. Cela étant, je n’ai pas à me prononcer sur la seconde question.



[1] L.R.C. (1985), ch. A-2, modifiée (la Loi).

[2] Rapport de la Commission d’enquête sur la sécurité aérienne, le juge Charles L. Dubin, octobre 1981, vol. 2, à la p. 554.

[3] Je note que l’affirmation selon laquelle une amende n’a pu être imposée en raison de l’écoulement d’une longue période est inexacte. Les événements qui ont donné lieu à l’infraction ont eu lieu le 15 novembre 1991, et l’article 26 [mod., idem, art. 4] de la Loi permet que ces poursuites soient intentées dans le délai d’un an à partir du moment où l’objet de la poursuite a pris naissance.

[4] Il en est particulièrement ainsi dans le cas de M. Dobbins puisqu’il est instructeur de vol et est désigné comme examinateur de vol par Transports Canada. La violation consignée est incompatible avec son statut d’examinateur de vol. (Cas en renvoi, onglet 1, p. 2.).

[5] Voir, par exemple, Swanson c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 C.F. 408 (C.A.).

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