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[1995] 2 C.F. 595

A-442-94

Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration (appelant)

c.

Hooshang Attar Jafari (intimé)

Répertorié : Jafari c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.)

Cour d’appel, juges Strayer et Robertson, J.C.A. et juge suppléant Chevalier—Ottawa, 29 mars et 11 avril 1995.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention — Appel interjeté contre une décision de la Section de première instance de la Cour fédérale déclarant ultra vires l’art. 3(2)f) du Règlement sur la catégorie admissible de demandeurs du statut de réfugié — Le demandeur s’est absenté du Canada durant plus de sept jours après l’entrée en vigueur du Règlement — Il n’était pas admissible au programme d’élimination de l’arriéré — Les art. 6(2) et 114(1)e) de la Loi sur l’immigration autorisent le Règlement — L’art. 3(2)f) a été rédigé pour la bonne administration de la Loi — Il n’est pas ultra vires — Il n’y a eu aucun déni des principes de justice fondamentale.

Droit administratif — La Section de première instance de la Cour fédérale a déclaré ultra vires une disposition d’un règlement concernant les demandeurs du statut de réfugié et a enjoint au ministre de traiter la demande de résidence permanente — Le juge de première instance a conclu que la disposition ne servait aucune fin légitime compte tenu de la tradition humanitaire suivie par le Canada — Il n’appartient pas à un tribunal de juger de la sagesse de la législation par délégation ni d’en apprécier la validité en se fondant sur ses préférences en matière de politique — Le tribunal doit décider si le pouvoir conféré par la loi permet cette législation par délégation particulière — Le règlement doit être relié à l’objet de la Loi, mais un tribunal ne peut pas en faire l’examen pour constater s’il est nécessaire, sage et efficace — Un pouvoir de réglementation ne peut pas être utilisé à une fin étrangère, mais il appartient à la partie qui conteste le règlement de démontrer ce que pourrait être cette fin illicite.

Juges et tribunaux — Le règlement est-il ultra vires? — Il n’appartient pas à un tribunal de juger de la sagesse de la législation par délégation ni d’en apprécier la validité en se fondant sur ses préférences en matière de politique — La question que le tribunal doit se poser est la suivante : le pouvoir conféré par la loi permet-il cette législation par délégation?

Il s’agissait d’un appel interjeté contre une décision de la Section de première instance qui déclarait ultra vires l’alinéa 3(2)f) du Règlement sur la catégorie admissible de demandeurs du statut de réfugié et qui enjoignait au ministre de traiter la demande de résidence permanente de l’intimé sans tenir compte dudit alinéa. L’intimé, qui est arrivé au Canada en 1986, est demeuré aux États-Unis pendant douze jours en 1990 pour se présenter à une entrevue réalisée à un bureau de l’immigration américaine. Comme l’alinéa 3(2)f) du Règlement exclut une personne qui a quitté le Canada après l’entrée en vigueur dudit Règlement, soit le 27 décembre 1989, et est resté à l’extérieur du Canada pendant plus de sept jours, l’intimé a été considéré comme non admissible au programme d’élimination de l’arriéré, qui devait être un processus accéléré de traitement d’un arriéré considérable de revendications non résolues du statut de réfugié. Le juge de première instance a conclu que l’alinéa 3(2)f) ne sert aucune fin légitime qui soit conforme à la tradition humanitaire suivie par le Canada à l’égard des personnes déplacées ou persécutées et outrepasse le pouvoir conféré au gouverneur en conseil par le paragraphe 6(2) et les alinéas 114(1)d) et e) de la Loi sur l’immigration. En appel, la question principale était de savoir si cet alinéa est ultra vires.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

Il n’appartient pas à un tribunal de juger de la sagesse de la législation par délégation ni d’en apprécier la validité en se fondant sur ses préférences en matière de politique. La question essentielle que doit se poser le tribunal est la suivante : le pouvoir conféré par la loi permet-il cette législation par délégation particulière? On doit donc rechercher le fondement législatif du règlement en question. Le paragraphe 6(2) de la Loi sur l’immigration, combiné à l’alinéa 114(1)e) de cette Loi, autorise des règlements qui rangent les demandeurs du statut de réfugié dans des catégories et qui peuvent exempter quelques-unes de ces catégories de certaines des exigences de quelques-uns des règlements. Il n’y a rien d’impératif dans ces dispositions. Le règlement doit, bien sûr, apparaître comme étant relié de quelque façon à l’objet de la Loi, mais cela ne signifie pas qu’un tribunal peut en faire l’examen pour constater s’il est nécessaire, sage et efficace dans la pratique. L’alinéa 3(2)f) a été rédigé aux fins de la bonne administration de la Loi, et il n’y a aucune raison de le juger invalide simplement parce que ceux qui sont arrivés au Canada avant le premier janvier 1989 n’ont pas tous eu le même avantage gratuit par rapport à ceux qui sont arrivés après cette date. Il n’y a rien dans ce Règlement qui soit contraire à la tradition humanitaire suivie par le Canada à l’égard des personnes déplacées ou persécutées. L’alinéa 3(2)f) du Règlement n’est pas ultra vires. Il n’y a eu aucun déni des principes de justice fondamentale lorsqu’on a contraint l’intimé à faire juger sa revendication, non de façon décisive dans le cadre d’une audition sur le minimum de fondement, mais à la suite d’une instruction approfondie par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 6(1),(2), 114(1)d),e).

Règlement sur la catégorie admissible de demandeurs du statut de réfugié, DORS/90-40, art. 3(2)f).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS CITÉES :

Haig c. Canada; Haig c. Canada (Directeur général des élections), [1993] 2 R.C.S. 995; (1993), 105 D.L.R. (4th) 577; 156 N.R. 81; Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121; (1959), 16 D.L.R. (2d) 689; Assoc. canadienne des importateurs réglementés c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 247 (1994), 17 Admin. L.R. (2d) 121 (C.A.).

APPEL d’une décision de la Section de première instance ([1995] 1 C.F. 284 (1994), 82 F.T.R. 164) qui a déclaré ultra vires l’alinéa 3(2)f) du Règlement sur la catégorie admissible de demandeurs du statut de réfugié et enjoint au ministre de traiter la demande de résidence permanente de l’intimé sans tenir compte dudit alinéa. Appel accueili.

AVOCATS :

Donald A. MacIntosh et Neelam Jolly pour l’appelant.

Barbara L. Jackman pour l’intimé.

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelant.

Jackman & Associates, Toronto, pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Strayer, J.C.A. :

La réparation demandée

Il s’agit d’un appel interjeté contre la décision de la Section de première instance, en date du 22 août 1994 [[1995] 1 C.F. 284, qui déclarait que l’alinéa 3(2)f) du Règlement sur la catégorie admissible de demandeurs du statut de réfugié[1], allait au-delà des pouvoirs de réglementation du gouverneur en conseil et qui délivrait un bref de mandamus enjoignant au ministre et à ses fonctionnaires de traiter et d’examiner la demande de résidence permanente de l’intimé sans tenir compte dudit alinéa. Le juge de première instance a aussi certifié les deux questions de portée générale que voici [aux pages 304 et 305] :

1. L’alinéa 3(2)f) du Règlement est-il ultra vires des pouvoirs de réglementation que l’article 114 de la Loi sur l’immigration confère au gouverneur en conseil du fait que ledit règlement sur le droit d’établissement au Canada exclut une catégorie de personnes sur la base de critères factices qui sont sans rapport avec la nécessité pour l’intéressé d’obtenir la protection du Canada ou avec son aptitude à réussir son installation au Canada?

2. L’alinéa 3(2)f) du Règlement viole-t-il les principes de justice fondamentale consacrés par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés du fait qu’il établit un critère factice qui est sans rapport avec les circonstances de l’intéressé, avec son intention, avec la nécessité pour lui d’obtenir la protection du Canada et avec son aptitude à réussir son installation au Canada?

À l’audience, le juge de première instance a de fait répondu par l’affirmative à la première question et par la négative à la seconde question. Le ministre appelant soutient qu’il faut répondre par la négative aux deux questions alors que l’intimé affirme que l’on doit répondre aux deux questions par l’affirmative.

Les faits

L’intimé, citoyen iranien, est arrivé au Canada le 16 novembre 1986, où il a immédiatement revendiqué le statut de réfugié. Son cas n’avait pas encore été traité au moment de l’entrée en vigueur du Règlement sur la catégorie admissible de demandeurs du statut de réfugié, le 27 décembre 1989. Ce règlement appelé [traduction] « Règlement sur l’élimination de l’arriéré » a offert ce qui devait être un processus accéléré de traitement d’un arriéré considérable de revendications non résolues du statut de réfugié. Pour être admissible au programme, le demandeur de statut devait, notamment, avoir été au Canada le premier janvier 1989, et avoir signifié avant cette date son intention de revendiquer le statut de réfugié. L’alinéa 3(2)f), partie de l’article 3 du Règlement qui désigne la catégorie à laquelle il s’applique, prévoyait ce qui suit :

3….

(2) Les personnes suivantes ne peuvent faire partie de la catégorie admissible de demandeurs du statut de réfugié :

f) celles qui ont quitté le Canada après l’entrée en vigueur du présent règlement et qui sont demeurées hors du Canada pendant plus de sept jours;

En juillet 1990, le demandeur de statut a tenté d’aller aux États-Unis clandestinement. Il a été appréhendé et, vu sa façon d’entrer dans ce pays, il a dû y rester environ douze jours pour se présenter à une entrevue réalisée à un bureau de l’immigration américaine à Buffalo. Il est ensuite rentré au Canada, où son absence avait été notée.

Le 4 octobre 1991, il a été convoqué à une entrevue à un bureau d’Emploi et Immigration Canada à Toronto. On l’a avisé que sa demande ne pouvait être traitée en vertu du Règlement sur l’élimination de l’arriéré parce qu’il s’était absenté du Canada plus de sept jours, et son dossier a été envoyé au bureau qui s’occupait des revendications ordinaires du statut de réfugié.

Le Règlement sur l’élimination de l’arriéré avait pour conséquence pratique de permettre aux demandeurs de statut relevant de la catégorie définie à l’article 3 du Règlement, dont la revendication était considérée comme ayant un minimum de fondement, de demander le droit d’établissement. Antérieurement, ces personnes auraient été astreintes à une autre formalité, soit l’issue favorable d’une audition devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, avant de pouvoir demander le droit d’établissement.

Ceux qui n’étaient pas au Canada et/ou qui n’avaient pas signifié leur intention de demander le statut de réfugié avant le premier janvier 1989 n’étaient clairement pas admissibles à participer à ce que l’on croyait être le processus accéléré du programme d’élimination de l’arriéré, mais ils devaient se présenter à une audition devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié sous le régime du nouveau processus ordinaire de revendication du statut de réfugié.

Comme l’intimé avait été jugé non admissible au programme d’élimination de l’arriéré, son dossier a été adressé au bureau de l’Immigration chargé des revendications ordinaires du statut de réfugié. On lui a dit plus tard que le représentant du ministre avait concédé que sa revendication avait un minimum de fondement, mais la Commission de l’immigration et du statut de réfugié n’a jamais tenu d’audience à l’égard de sa demande. La Cour ne voit pas clairement pourquoi la Commission n’a jamais traité cette affaire, mais les retards récents peuvent être reliés au fait que l’intimé a engagé des procédures de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale depuis le 8 avril 1993, en vue d’obtenir un bref de mandamus enjoignant au ministre de traiter sa demande conformément au Règlement sur l’élimination de l’arriéré.

Lorsque l’affaire a été plaidée devant le juge de première instance, l’intimé a conclu à un bref de mandamus en disant que l’alinéa 3(2)f) du Règlement était sans effet parce que : (1) il va au-delà des pouvoirs de réglementation que le paragraphe 6(2) et les alinéas 114(1)d) et e) de la Loi sur l’immigration[2] confèrent au gouverneur en conseil; (2) il enfreint l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] qui rend nulle et non avenue toute mesure législative qui prive un individu de la sécurité de sa personne sauf conformément aux principes de justice fondamentale. Le juge de première instance a rejeté un autre argument fondé sur les limites implicites imposées au pouvoir de réglementation au paragraphe 6(1), et ce point n’a pas été soulevé en appel.

Les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes :

6. …

(2) Les réfugiés au sens de la Convention et les personnes appartenant à une catégorie déclarée admissible par le gouverneur en conseil conformément à la tradition humanitaire suivie par le Canada à l’égard des personnes déplacées ou persécutées peuvent être admis, sous réserve des règlements pris à cette fin et par dérogation aux règlements d’application générale.

114. (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

d) définir les catégories de personnes visées au paragraphe 6(2);

e) dispenser les réfugiés au sens de la Convention et les catégories de personnes visées à l’alinéa d) des exigences réglementaires d’application générale et prendre des mesures spéciales quant à leur admission;

En ce qui concerne la première question litigieuse, le juge de première instance a conclu que l’alinéa 3(2)f) du Règlement excède les pouvoirs conférés au gouverneur en conseil. En rejetant l’applicabilité du paragraphe 6(1), il a restreint la limitation pertinente des pouvoirs du gouverneur en conseil au paragraphe 6(2), et il a déclaré ce qui suit [à la page 295] :

À mon avis, le texte de la Loi appuie seulement, dans l’établissement de catégories exemptées, le respect nécessaire de la fin relative à la tradition humanitaire suivie par le Canada à l’égard des personnes déplacées ou persécutées.

Il a ajouté [aux pages 295 à 297, 300] :

Il n’y a aucun doute dans mon esprit que l’alinéa 3(2)f) ne vise aucun but qui soit conforme à la tradition humanitaire suivie par le Canada à l’égard des personnes déplacées ou persécutées; en effet, il est difficile de trouver un quelconque but légitime visé par cette disposition. Aucune des prétendues fins visées par l’alinéa 3(2)f), et exposées dans l’affidavit de M. Brian Dougall, membre de l’équipe qui a mis au point le Règlement, n’est particulièrement convaincante.

Ainsi, la question qui se pose est de savoir si cette Cour est habilitée à invalider l’alinéa 3(2)f) du Règlement parce qu’il est arbitraire et qu’il ne vise aucune fin qui soit conforme à la Loi. À la lumière des sources de droit présentées par les deux parties, je suis d’avis que cet alinéa peut et doit être invalidé.

En l’espèce, le gouverneur en conseil jouit de même d’un pouvoir étendu de prendre des règlements, pour l’application du paragraphe 6(2), accordant une dispense à certaines « catégories » à la condition, énoncée dans le paragraphe 6(2), que la composition de ces catégories soit conforme à la tradition humanitaire suivie par le Canada à l’égard des personnes déplacées ou persécutées. À mon avis, l’exclusion de certaines personnes du groupe de l’arriéré simplement parce qu’elles ont quitté le Canada pendant plus de sept jours, et ce, sans égard au motif de leur absence, n’est pas conforme au but déclaré de la création des catégories exemptées.

Il a donc conclu que le règlement en question était ultra vires parce que le paragraphe 6(2) permet seulement au gouverneur en conseil de désigner des catégories de réfugiés ou de personnes dont l’admission serait

6. …

(2) … conformément à la tradition humanitaire suivie par le Canada à l’égard des personnes déplacées ou persécutées …

Quant au moyen fondé sur l’article 7 de la Charte, le juge de première instance a conclu ce qui suit [à la page 302] :

Il est bien établi, compte tenu de l’arrêt Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177 que les demandeurs du statut de réfugié au sens de la Convention sont protégés par la Charte et que leur expulsion viole leur droit à la sécurité de leur personne. Là où je ne suis pas d’accord avec le requérant, c’est à propos de la prémisse selon laquelle le simple fait de l’assujettir à la procédure normale de détermination du statut de réfugié, une procédure qui, selon toute apparence, est en conformité avec les principes de justice fondamentale, constitue une violation de son droit à la sécurité de sa personne.

Analyse

Le Règlement est-il ultra vires?

Je suis respectueusement d’accord avec le juge de première instance en ce qui concerne les principes généraux à appliquer pour décider si la législation par délégation se trouve dans les limites du pouvoir conféré par la loi. Je me trouve cependant incapable d’être en accord avec son application des principes en question à la présente situation.

Il va sans dire qu’il n’appartient pas à un tribunal de juger de la sagesse de la législation par délégation ni d’en apprécier la validité en se fondant sur ses préférences en matière de politique[3]. La question essentielle que doit toujours se poser le tribunal est la suivante : le pouvoir conféré par la loi permet-il cette législation par délégation particulière? On doit rechercher dans la mesure législative attributive du pouvoir en cause tous les indices possibles de l’objet et de l’étendue de la législation par délégation autorisée. Il faut tenir compte de toute limitation, expresse ou implicite, de l’exercice de ce pouvoir. Il faut ensuite examiner le règlement lui-même pour s’assurer de sa conformité, et s’il est contesté au motif qu’il n’a pas été pris pour des fins autorisées par sa loi habilitante, on doit alors tenter de reconnaître une ou plusieurs des fins pour lesquelles le règlement a été adopté. Il est reconnu qu’un vaste pouvoir discrétionnaire[4], y compris un pouvoir de réglementation, ne peut être exercé pour poursuivre une fin totalement étrangère, mais il appartient à la partie qui conteste le règlement de démontrer ce que pourrait être cette fin illicite.

Nous devons donc rechercher le fondement législatif du règlement en question. Il ne semble pas contesté que les pouvoirs pertinents se trouvent aux alinéas 114(1)d) et e), qui doivent être exercés aux fins du paragraphe 6(2), précité. L’intimé compte que les limites contenues au paragraphe 6(2) ont une incidence sur les règlements tels que ceux en l’espèce. Selon mon interprétation du paragraphe 6(2), il autorise le gouverneur en conseil à désigner des catégories de personnes (autres que celles qui sont déjà reconnues comme étant des réfugiés au sens de la Convention) à des fins d’admission. Mais, tout au plus, il exige simplement que ces catégories soient désignées pour comprendre des personnes dont l’admission

6. …

(2) … serait conformément à la tradition humanitaire suivie par le Canada à l’égard des personnes déplacées ou persécutées …

Cela ne signifie pas, contrairement à ce qu’a soutenu l’avocat de l’intimé, que chaque règlement doit faciliter l’admission de plus nombreux demandeurs du statut de réfugié. À mon avis, le paragraphe 6(2), combiné à l’alinéa 114(1)e), autorise des règlements qui rangent ces personnes dans des catégories, et qui peuvent exempter quelques-unes de ces catégories de certaines des exigences de quelques-uns des règlements. Je ne vois rien d’impératif au paragraphe 6(2) ou aux alinéas 114(1)d) et e).

Selon la position de l’intimé, apparemment adoptée par le juge de première instance, l’alinéa 3(2)f) du Règlement ne sert aucune fin reconnue au paragraphe 6(2) et il est même contraire à la « tradition humanitaire » du Canada.

En toute déférence, je ne suis pas de cet avis. Mettant de côté pour l’instant la question humanitaire, j’estime que le paragraphe 6(2), et les alinéas 114(1)d) et e), autorisent notamment les systèmes de classification de demandeurs de statut et un traitement préférentiel à l’égard de certains ou de tous ceux qui font partie de ces catégories. À première vue, les dispositions législatives sembleraient autoriser le gouverneur en conseil à ne pas établir de catégorie de demandeurs du statut de réfugié ou à les classer de n’importe quelle façon jugée convenable. Ainsi, par exemple, le Règlement sur l’élimination de l’arriéré aurait pu exclure de l’arriéré tous ceux qui n’étaient pas demeurés constamment au Canada après avoir fait leur demande. De la même façon, le gouverneur en conseil pourrait, conformément à ces dispositions, dispenser ces personnes, si elles étaient rangées dans des catégories, de l’application de la totalité ou d’aucun des règlements. Rien n’oblige à faire des règlements pour accorder une dispense particulière à une personne ou à une classe de personnes particulières. Le règlement doit, bien sûr, apparaître comme étant relié de quelque façon à l’objet de la Loi, mais cela ne signifie pas qu’un tribunal peut en faire l’examen pour constater s’il est nécessaire, sage et efficace dans la pratique[5]. En l’espèce, on a soumis pour le compte de l’appelant des éléments de preuve relatifs à l’objet du Règlement en cause. Bien que je sois d’accord avec le juge de première instance pour dire que certains des motifs avancés n’étaient guère convaincants et pouvaient, dans une certaine mesure, être erronés, je ne crois pas que nous puissions les considérer comme étant complètement étrangers aux objets de la loi. Ainsi, le déposant M. Dougall, ancien directeur du programme d’élimination de l’arriéré des revendications du statut de réfugié, a déclaré que l’un des objets était de clarifier dans quelles circonstances un demandeur de statut qui avait été à l’étranger depuis qu’il avait fait sa revendication pouvait la continuer. Conformément à cet élément de preuve, j’ai cru que l’on avait convenu dans les plaidoiries que les arbitres saisis de l’affaire d’un tel requérant faisant partie de l’arriéré—requérant qui s’est absenté du Canada après avoir déposé sa revendication du statut de réfugié—pourraient avoir à décider au cours d’une audience subséquente si le requérant avait, en s’absentant du pays, renoncé à sa revendication du statut de réfugié. Les opinions à cet égard pourraient différer d’un arbitre à l’autre. Il est concevable que certains d’entre eux pourraient estimer que toute absence constitue un abandon de la revendication. L’alinéa 3(2)f) du Règlement aurait l’avantage de clarifier la situation aussi bien pour le demandeur de statut que pour l’arbitre : il serait incontestable qu’un tel demandeur aurait le droit de s’absenter du Canada jusqu’à sept jours sans compromettre la poursuite de sa revendication, mais au delà de cette période, il ne serait pas considéré comme un demandeur de statut faisant partie de l’arriéré. Ce seul usage de l’alinéa permet à un tribunal de reconnaître que l’alinéa 3(2)f) a été rédigé aux fins de l’administration de la Loi sur l’immigration.

De plus, il n’est pas possible d’isoler la distinction établie par ce Règlement de sa conséquence dans l’ensemble, qui est simplement d’exiger que la revendication de la personne visée soit traitée conformément au processus ordinaire de règlement des revendications des réfugiés applicable à tous ceux qui sont arrivés au Canada le premier janvier 1989 ou après cette date. Si le gouverneur en conseil n’avait pas établi le Règlement sur l’élimination de l’arriéré, l’intimé serait exactement dans la position dans laquelle l’appelant dit qu’il se trouve actuellement, c’est-à-dire celle d’un demandeur de statut assujetti au processus ordinaire de règlement des revendications du statut de réfugié, qui comprend une audition équitable devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, l’issue de cette audition étant susceptible de contrôle judiciaire. Les personnes admises à participer au programme d’élimination de l’arriéré ont reçu un avantage particulier, à la discrétion du gouverneur en conseil, avantage qui était conféré à certaines conditions, notamment l’obligation faite au demandeur de statut de ne pas quitter le Canada plus de sept jours jusqu’au règlement de sa revendication. Pourvu que l’on puisse rattacher cette distinction à la bonne administration de la Loi, il n’y a aucune raison de la juger invalide simplement parce que ceux qui sont arrivés avant le premier janvier 1989 n’ont pas tous eu le même avantage gratuit par rapport à ceux qui sont arrivés après cette date.

Il en serait autrement si l’on pouvait démontrer que quelle que soit la modeste justification que puisse avoir le Règlement, il visait principalement à atteindre un objectif irrégulier et non autorisé. L’intimé n’a pas laissé entendre que tel était le cas en l’espèce.

Présumant donc que l’alinéa 3(2)f) du Règlement est de prime abord autorisé par la Loi, il faut se demander s’il est contraire à une condition quelconque imposée à l’exercice du pouvoir de réglementation. Le paragraphe 6(2) exige tout simplement que les règlements établissant des catégories de personnes soient conformes à « la tradition humanitaire suivie par le Canada à l’égard des personnes déplacées ou persécutées ». Je ne vois rien dans ce Règlement qui soit contraire à cette « tradition ». Celle-ci consiste à offrir un processus équitable à tous ceux qui viennent au Canada en revendiquant le statut de réfugié, le processus en cause visant à déterminer si les demandeurs de statut sont d’authentiques réfugiés au sens de la Convention selon la définition que donne à cette expression la loi canadienne. C’est précisément ce à quoi a droit l’intimé si lui et la Commission engagent son affaire dans le processus ordinaire du règlement des revendications du statut de réfugié. Le fait qu’il aurait pu, n’était-ce son séjour aux États-Unis, profiter du critère moins exigeant de l’examen du minimum de fondement des revendications applicable aux demandeurs qui font partie de l’arriéré pour leur permettre d’obtenir le droit d’établissement ne transforme pas, à mon avis, l’audition équitable à laquelle il a droit de la part de la Commission en vertu du processus normal de règlement des revendications, en une procédure inhumaine dépourvue d’égards pour les personnes déplacées ou persécutées.

Je suis donc incapable de conclure que l’alinéa 3(2)f) du Règlement va au-delà des pouvoirs du gouverneur en conseil.

Le Règlement viole-t-il l’article 7 de la Charte?

À l’audition de cet appel, nous n’avons pas jugé nécessaire d’entendre l’appelant sur ce sujet, l’obligation appartenant à l’intimé de démontrer que le juge de première instance avait conclu à tort qu’il n’y avait aucune violation de l’article 7.

Pour les motifs énoncés par le juge de première instance, et pour les motifs énoncés précédemment à l’égard de la première question, je conclus qu’il n’y a aucun déni des principes de justice fondamentale lorsque l’on contraint le requérant à faire juger sa revendication, non de façon décisive dans le cadre d’une audition sur le minimum de fondement, mais à la suite d’une instruction approfondie par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

Dispositif

L’appel sera donc accueilli et l’ordonnance du juge de première instance sera annulée. Il sera répondu par la négative aux questions 1 et 2.

Le juge Robertson, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

Le juge suppléant Chevalier : Je souscris à ces motifs.



[1] DORS/90-40.

[2] L.R.C. (1985), ch. I-2.

[3] Haig c. Canada; Haig c. Canada (Directeur général des élections), [1993] 2 R.C.S. 995, à la p. 1046.

[4] Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, à la p. 140.

[5] Assoc. canadienne des importateurs réglementés c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 247(C.A), à la p. 257.

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