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upper lakes group inc. c. canada

A-162-94

Upper Lakes Group Inc., la Fraternité canadienne des cheminots, employés des transports et autres ouvriers (section locale 401 " marins), la Fraternité canadienne des cheminots, employés des transports et autres ouvriers (section locale 402 " ingénieurs-mécaniciens de marine), la Guilde de la marine marchande du Canada, la Société du parc industriel et portuaire de Bécancour, et La Société Terminaux portuaires du Québec (appelantes)

c.

L'Office national des transports, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, et ICI Canada Inc. (intimés)

Répertorié: Upper Lakes Group Inc. c. Canada (Office national des transports) (C.A.)

Cour d'appel, juge en chef Isaac, juge Hugessen, J.C.A., et juge suppléant Chevalier"Ottawa, 4 avril et 4 mai 1995.

Transports " Appel sur permission de la décision de l'Office national des transports fondée sur l'art. 113(5) de la Loi de 1987 sur les transports nationaux selon laquelle le prix imposé par le CN pour le transport du sel fin de Windsor (Ontario) à Bécancour (Québec) n'est pas compensatoire, mais qu'il n'a pas pour effet de nuire notablement à un concurrent, Upper Lakes Group, ni de réduire notablement la concurrence " Le critère utilisé par l'Office pour déterminer si le prix a été conçu pour réduire notablement la concurrence (si le prix est assez bas pour évincer les concurrents du marché) est-il trop élevé? " La définition du marché donnée par l'Office est-elle trop large? " L'Office a-t-il commis une erreur en examinant l'effet de la perte du trafic de sel fin sur l'ensemble du chiffre d'affaires d'Upper Lakes? " L'Office a-t-il commis une erreur en négligeant d'examiner le préjudice causé aux appelantes autres qu'Upper Lakes, et aux intervenantes?

Concurrence " Appel sur permission de la décision de l'Office national des transports en vertu de laquelle le prix du CN pour le transport du sel fin n'est pas compensatoire, mais qu'il n'a pas pour effet de nuire notablement à un concurrent ni de réduire notablement la concurrence " Interprétation de l'art. 113(5) de la Loi de 1987 sur les transports nationaux " Objet de la Loi sur la concurrence, plus particulièrement sur l'établissement de prix d'éviction " Définition du marché " Comparaison avec l'art. 50(1)c) de la Loi sur la concurrence " Les autres appelantes et les intervenantes sont-elles des concurrentes.

Droit administratif " Appels prévus par la loi " Appel sur permission de la décision de l'Office national des transports fondée sur l'art. 113(5) de la Loi de 1987 sur les transports nationaux concluant que le prix imposé par le CN pour le transport du sel fin n'est pas compensatoire, mais qu'il n'a pas pour effet de nuire notablement à un concurrent ni de réduire notablement la concurrence " Les décisions de l'O.N.T. peuvent être portées en appel sur des questions de droit et de compétence " La norme de contrôle est celle de la décision correcte, atténuée par la retenue qu'il convient d'exercer à l'égard de l'expérience et du champ d'expertise d'un tribunal administratif supérieur dans l'interprétation et l'application d'une disposition de sa loi habilitante ne portant pas sur l'exercice de sa compétence.

Il s'agit d'un appel interjeté sur permission à l'encontre d'une décision de l'Office national des transports. La question de droit à trancher consiste à savoir si la décision de l'Office se fonde sur une interprétation erronée du paragraphe 113(5) de la Loi de 1987 sur les transports nationaux. La Société canadienne de sel Limitée (SCS) expédie de Windsor (Ontario) de très grandes quantités de sel fin destiné à des transformations chimiques à sa cliente ICI"Secteur forestier (ICI) à [ho]Bécancour (Québec). Depuis le début des années 1980, ULS assurait le transport par voie maritime du sel pendant la saison de navigation de la voie maritime du Saint-Laurent. Elle expédiait en retour du minerai de fer et d'autres minéraux du Bas-Saint-Laurent vers les ports des Grands Lacs (trafic de retour). Le CN transportait le sel par rail pendant les mois d'hiver. En 1993, le CN a négocié un contrat avec ICI portant sur le transport de la totalité du sel fin d'ICI pour une période de trois ans. ULS a donc perdu la totalité de ce trafic et du trafic de retour qui l'accompagnait. ULS a déposé une plainte alléguant que le prix fixé par le CN n'était pas compensatoire, contrairement aux prescriptions du paragraphe 112(2) de la Loi de 1987 sur les transports nationaux , qui exige que tous les prix soient compensatoires. Les trois syndicats représentant les employés d'ULS et des entreprises représentant le port et les services de débardage à Bécancour se sont joints à cette plainte. À l'audition de l'appel, des interventions ont également été déposées par des associations et des groupes de pression de ce secteur d'activités. L'Office a conclu que le prix fixé par le CN n'était pas compensatoire. Le paragraphe 113(5) porte que si l'Office détermine que le prix n'est pas compensatoire, il oblige la compagnie à y substituer un prix compensatoire, sauf si la compagnie le convainc que le prix n'a pas l'effet, immédiat ou éventuel, de réduire notablement la concurrence ou de nuire notablement à un concurrent et n'était pas conçu pour produire un tel effet. L'Office a conclu que le trafic du sel ne représente qu'un faible pourcentage du trafic global d'ULS et donc que le prix imposé par le CN n'a pas nui notablement à ULS. Il a estimé que la perte du trafic de retour d'ULS n'était pas pertinent. En outre, le CN n'a pas conçu ses prix pour le transport du sel en vue d'évincer ULS du marché et, ultérieurement, d'augmenter ses prix à un niveau supérieur à celui de la concurrence afin de recouvrer les pertes subies. ULS continue d'expédier approximativement 70 % du sel de SCS sous forme de gros sel, et donc la concurrence n'a pas été affaiblie. Si, ultérieurement, le CN augmente ses prix au-delà des niveaux concurrentiels, ULS sera alors en mesure de rependre sa part de marché.

Les appelantes font valoir que (1) l'Office a imposé un critère trop élevé quand il s'est demandé si le prix était "assez bas pour évincer l'autre du marché"; (2) l'Office a défini le marché d'une façon trop large en y englobant des éléments autres que le transport du sel fin entre Windsor et Bécancour; (3) l'Office a commis une erreur dans son évaluation du préjudice notable en tenant compte "du trafic global" d'ULS et en refusant de tenir compte de la perte du trafic de retour; et (4) l'Office a commis une erreur en refusant d'examiner le préjudice causé aux appelantes autres qu'ULS et aux différentes intervenantes qui fournissent des services à ULS et dont le chiffre d'affaires a baissé à cause de la perte de trafic qu'a subie ULS.

Arrêt (le juge en chef Isaac dissident): l'appel doit être rejeté.

Le juge Hugessen, J.C.A. (aux motifs duquel a souscrit le juge suppléant Chevalier): Puisque l'Office national des transports est un tribunal hautement spécialisé dont les décisions, définitives lorsqu'elles portent sur des questions de fait, ne sont susceptibles d'être portées en appel que lorsqu'elles traitent de questions de droit ou de compétence, la norme applicable est celle de la décision correcte atténuée par la retenue qu'il convient d'exercer à l'égard de l'expérience et du champ d'expertise d'un tribunal administratif supérieur dans l'interprétation et l'application d'une disposition de sa loi habilitante ne portant pas sur l'exercice de sa compétence.

Quand les articles 112 et 113 sont lus en fonction de l'objet visé, en tenant compte de l'historique législatif et dans le contexte de la politique des transports énoncée dans la Loi et de la politique relative à la concurrence énoncée dans les lois adoptées à la même époque, l'interprétation que leur a donnée l'Office est la seule interprétation qui soit correcte. La Loi de 1987 sur les transports nationaux, adoptée à la même époque que la Loi sur la concurrence, accorde une très grande importance à la concurrence. L'Office a, à bon droit, interprété le paragraphe 113(5) de façon que son objet s'accorde avec celui de la législation canadienne en matière de concurrence, plus particulièrement pour ce qui concerne l'établissement de prix d'éviction. Même pris isolément, les termes du paragraphe 113(5) recevraient la même interprétation. Après tout, le gâchage des prix est souvent le signe d'une concurrence vigoureuse, plutôt que son contraire. C'est uniquement lorsque les bas prix font partie d'une stratégie monopolistique qu'ils deviennent anticoncurrentiels.

L'à-propos de la question concernant la définition du marché est très discutable. La question de droit autorisée en appel est limitée à l'interprétation du paragraphe 113(5). Le mot "marché" n'apparaît nulle part dans ce paragraphe ni ailleurs dans les articles 112 ou 113. Qui plus est, l'autorisation d'appel n'aurait pas pu être obtenue sur cette question. La définition du marché dans des cas semblables à celui en l'espèce est une question de fait et non de droit. Même en supposant que cette question ait été soulevée à bon droit, elle est sans fondement. L'argument des appelantes se fonde sur la référence qui est faite dans la décision de l'O.N.T. au transport des marchandises autres que le sel fin. L'Office a fondé sa conclusion selon laquelle le prix du CN n'a pas réduit notablement la concurrence non seulement sur le fait qu'ULS "est toujours présente sur le marché du transport", mais aussi sur une [ho]conclusion de fait précise indiquant que si les tarifs sont augmentés ultérieurement "ULS sera alors en mesure de reprendre sa part de marché". Cette dernière expression fait référence au transport du sel fin entre Windsor et Bécancour. En outre, l'argument des appelantes se fonde sur une mauvaise interprétation de la Loi. Les références contenues au paragraphe 112(3) et à l'alinéa 112(4)c ) au "transport" visé font partie d'une directive spécifiquement donnée à l'Office concernant la méthode à utiliser pour déterminer la nature compensatoire ou non compensatoire du prix ; ces références n'ont rien à voir avec la définition du marché pertinent qui n'est pas un terme utilisé dans la Loi. La décision portant sur la manière de définir le marché afin d'évaluer si la concurrence a été réduite de façon notable est une décision qui relève particulièrement du champ d'expertise et des connaissances de l'Office. La Loi ne contient aucune directive ou restriction quant à la manière dont l'Office doit exercer son jugement à cet égard.

Les mots utilisés au paragraphe 113(5) sont "réduire notablement la concurrence". Ils obligent l'Office à évaluer le prix à la lumière des conditions générales du marché et à déterminer si ce prix a ou non l'effet immédiat ou éventuel de réduire notablement la concurrence ou s'il a été conçu pour produire un tel effet. Le deuxième critère consiste à savoir si le prix a l'effet immédiat ou éventuel de "nuire notablement à un concurrent". L'accent est placé sur le concurrent et son entreprise, et non pas simplement sur sa part du marché visé. L'objectif visé étant de favoriser la concurrence, il est impossible que la Loi puisse considérer chaque perte d'une activité commerciale attribuable à la fixation de prix inférieurs aux coûts comme une perte importante exigeant l'intervention d'un organisme de réglementation. L'Office n'a pas commis d'erreur en examinant l'incidence de la perte du transport du sel fin au regard du commerce global d'ULS et en concluant que cette perte n'était pas importante. Son refus d'examiner la perte du trafic de retour séparément de la perte du transport du sel fin ne se fonde pas sur une interprétation erronée du paragraphe 113(5). Le refus de l'Office est tout à fait compatible avec la manière générale dont il a traité du préjudice notable. De plus, étant donné que la perte présumée du trafic d'ULS comprenait déjà le trafic de retour, il n'aurait pas été approprié d'en tenir compte une deuxième fois. Il s'agit encore d'une question qui relève tout à fait du champ d'expertise de l'Office.

Le préjudice visé au paragraphe 113(5) est le préjudice causé à un "concurrent". Aucune des autres appelantes ou intervenantes ne peut être considérée à juste titre comme une concurrente du CN. Aucune de ces personnes morales n'est un transporteur au sens de la Loi. Aucune d'entre elles n'offre directement de services de transport à autrui.

Le juge en chef Isaac (dissident): Les questions d'interprétation de sa loi habilitante ne font pas partie du champ d'expertise de l'Office. La Cour est mieux qualifiée que l'Office à cet égard. La norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, élargie cependant par le pouvoir conféré au tribunal au paragraphe 65(3) de tirer, à sa discrétion, "toutes conclusions non incompatibles avec les faits formellement établis par l'Office et nécessaires pour décider de la question de droit".

L'Office a commis une erreur de droit en fondant sa décision relative au marché pertinent sur des éléments non pertinents à cause d'une interprétation inexacte du paragraphe visé. Les mots "marché pertinent" ne figurent pas au paragraphe 113(5) de la Loi, mais la notion est implicite dans les références aux mots "concurrence" et "concurrent" puisque, en tant qu'éléments d'une économie de marché, ces notions ne peuvent exister que dans un marché. L'Office devait légalement définir le terme marché afin de donner leur plein effet aux mots "concurrence" et "concurrent". Ce qu'est un marché pertinent dans un cas donné est une question de fait. Dans ses motifs, l'Office ne fournit aucun indice qui permette de croire qu'il a tenu compte de cette distinction entre les questions de droit et de fait. D'où la confusion qui en a résulté relativement aux éléments à examiner et aux critères à utiliser pour définir le marché pertinent pour les fins du paragraphe 113(5). Le transport du sel fin de Windsor à Bécancour est le seul marché pertinent dont la preuve fasse mention. C'était le seul point de rivalité entre le CN et ULS. L'Office a donc commis une erreur quand, dans son interprétation du paragraphe 113(5), il a examiné d'autres marchés de produits pour décider si le prix non compensatoire avait l'effet immédiat ou éventuel de réduire notablement la concurrence.

Après avoir défini le marché pertinent, du point de vue du droit comme du point de vue des faits, l'Office devait se demander si le CN avait démontré, selon la prépondérance des probabilités, que le prix non compensatoire n'avait pas pour effet immédiat ou éventuel de réduire notablement la concurrence sur ce marché. L'Office ne s'est pas posé cette question. Il s'est plutôt demandé si le prix non compensatoire avait l'effet immédiat ou éventuel d'éliminer un concurrent du marché et il a répondu que tel n'était pas le cas.

Les motifs de l'Office ne font état d'aucune analyse qui lui aurait permis de déterminer si les appelantes autres qu'ULS étaient en concurrence et, si tel était le cas, si le préjudice qui leur a été causé devait être pris en compte dans son analyse du préjudice causé à un concurrent. S'il avait utilisé la définition appropriée du marché pertinent, l'Office aurait bien pu décider, à partir de la preuve, que toutes les appelantes étaient en concurrence avec le CN et que le préjudice qui leur a été causé devait être pris en compte.

Étant donné que le transport du minerai de fer au retour faisait partie intégrante du trafic du sel fin à l'aller, le trafic de retour était pertinent. L'Office a commis une erreur susceptible de révision en refusant de considérer une preuve pertinente dans son évaluation de la gravité du préjudice subi par ULS.

La conclusion de l'Office selon laquelle le prix non compensatoire exigé par le CN "n'a pas nui notablement à ULS" se fonde sur une définition erronée du marché pertinent. En incluant dans son analyse des éléments de preuve relatifs au trafic d'un produit différent sur un marché géographique différent, l'Office a fondé sa conclusion sur des considérations non pertinentes et il a donc commis une erreur de droit.

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Loi de 1987 sur les transports nationaux, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 28, art. 3 (mod. par L.C. 1992, ch. 21, art. 33), 37(3), 65(1),(3), 110 "contrat confidentiel", "transport" ou "trafic", 112, 113.

Loi de 1987 sur les transports routiers, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 29.

Loi dérogatoire de 1987 sur les conférences maritimes, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 17.

Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, ch. C-23 (mod. par S.C. 1986, ch. 26, art. 19), art. 32(1)c) (mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 76, art. 14), 34(1)c) (mod., idem, art. 16).

Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19, art. 19), art. 1.1 (édicté, idem), 50(1)c).

Loi sur les chemins de fer, L.R.C. (1985), ch. R-3, art. 285 (abrogé par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 28, art. 333), 286 (abrogé, idem).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 1312.

jurisprudence

décisions appliquées:

Bell Canada c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 1 R.C.S. 1722; (1989), 60 D.L.R. (4th) 682; 38 Admin. L.R. 1; 97 N.R. 15; Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557; [1994] 7 W.W.R. 1; (1994), 92 B.C.L.R. (2d) 145; 4 C.C.L.S. 117; Queen, The v. J. W. Mills & Son Ltd. et al., [1968] 2 R.C.É. 275; conf. par (1968), 56 C.P.R. 1; Mills (J.W.) & Son Ltd. et autres c. La Reine, [1971] R.C.S. 63; (1970), 14 D.L.R. (3d) 464; 1 C.C.C. (2d) 420; 64 C.P.R. 7; R. v. Hoffmann- La Roche Limited (1980), 28 O.R. (2d) 164; 109 D.L.R. (3d) 5; 53 C.C.C. (2d) 1; 48 C.P.R. (2d) 145; 14 C.R. (3d) 289 (H.C.); conf. par (1981), 33 O.R. (2d) 694; 125 D.L.R. (3d) 607; 15 B.L.R. 217; 62 C.C.C. (2d) 118; 58 C.P.R. (2d) 1; 24 C.R. (3d) 193 (C.A.); Canadien Pacifique Ltée. c. Canada (Office national des transports), [1992] 3 C.F. 145; (1992) 144 N.R. 235 (C.A.).

décisions examinées:

Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d'Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316; (1993), 102 D.L.R. (4th) 402; 153 N.R. 81; Queensland Co-operative Milling Association Ltd., Re; Re Defiance Holdings Ltd. (1976), 25 F.L.R. 169 (Aust. Trade Pract. Trib.); R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606; (1992), 114 N.S.R. (2d) 91; 93 D.L.R. (4th) 36; 313 A.P.R. 91; 74 C.C.C. (3d) 289; 43 C.P.R. (3d) 1; 15 C.R. (4th) 1; 10 C.R.R. (2d) 34; 139 N.R. 241; R. v. Consumers Glass Company Ltd. and Portion Packaging (1981), 33 O.R. (2d) 228; 124 D.L.R. (3d) 274; 14 B.L.R. 172; 60 C.C.C. (2d) 481 (H.C.).

décisions citées:

Société Radio-Canada c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 R.C.S. 157; (1995), 121 D.L.R. (4th) 385; 177 N.R. 1; Cie des chemins de fer nationaux c. Handyside et autres (1994), 170 N.R. 353 (C.A.F.); Relative à une plainte déposée par Atlantic Container Express Inc., le 6 juillet 1989, selon laquelle certains prix exigés par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada pour le transport vers Terre-Neuve seraient non conformes aux Conditions d'adhésion et à la décision no 266-R-1991 de l'Office national des transports en date du 22 mai 1991, no 254-R-1992, décision en date du 6/5/92, O.N.T.

doctrine

Canada. Chambre des communes. Comité permanent des Transports. Procès-verbaux et témoignages, Fascicule no 35 (le 13 avril 1987).

Canada. Sénat. Comité sénatorial permanent des Transports et des communications. Délibérations, Fascicule no 16 (le 13 juillet 1987).

Commission d'examen de la Loi sur les transports nationaux, La concurrence dans les transports: regard sur la politique et la législation, vol. 1. Ottawa: Ministre des Approvisionnements et Services du Canada, 1993.

Crampton, Paul S. Mergers and the Competition Act. Toronto: Carswell, 1990.

Driedger, E. A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1983.

Lexenomics Inc. The Competition Act and Federal Economic Regulation of the Transportation Sector: A Comparative Assessment, Final Draft. Ottawa: Fraser & Beatty, 1992.

Nozick, Robert S. The 1995 Annotated Competition Act, 1995 Edition prepared by Peter Monastyrskyj. [ho]Scarborough, Ont.: Carswell, 1995.

APPEL d'une décision de l'Office national des transports concluant que même si le prix imposé par le CN pour le transport du sel fin n'était pas compensatoire, il n'a pas eu pour effet de nuire notablement à ULS, une concurrente, ni de réduire notablement la concurrence. Appel rejeté.

avocats:

Richard J. Lande et A. Pretto pour les appelantes.

Serge Cantin, c.r. pour l'intimée Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada.

Brian A. Crane pour l'intimée ICI Canada Inc.

Richard Makuch pour l'intimé Office national des transports.

Norman B. Willans pour l'intervenante Administration de la voie maritime du St-Laurent.

Dennis Johnson pour l'intervenante International Association of Great Lakes Ports.

Jacques A. Laurin pour les intervenantes Chambre de commerce maritime et Association des armateurs canadiens.

Nul n'a comparu pour le Procureur général du Canada.

Nul n'a comparu pour la Commission du port de Windsor.

procureurs:

Lande & Associates, Westmount (Québec), pour les appelantes.

Service juridique de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, Montréal, pour l'intimée Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada.

Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour l'intimée ICI Canada Inc.

Service juridique de l'Office national des transports, Ottawa, pour l'intimé Office national des transports.

Norman B. Willans, Ottawa, pour l'intervenante Administration de la voie maritime du Saint-Laurent.

Service juridique de la Commission du port de Thunder Bay, Ontario, pour l'intervenante International Association of Great Lakes Ports.

Legault Longtin Laurin Halpin, Montréal, pour les intervenantes Chambre de commerce maritime et Association des armateurs canadiens.

Le sous-procureur général du Canada, pour le Procureur général du Canada.

David S. H. Cree, Windsor (Ontario), pour la Commission du port de Windsor.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge en chef Isaac (dissident): J'ai eu le privilège de lire la version préliminaire des motifs du juge Hugessen rejetant le présent appel. Je reconnais l'exactitude des faits et des motifs avancés par l'Office national des transports (ci-après l'Office), tel qu'il les a exprimés. Toutefois, j'aimerais ajouter les faits suivants: tout d'abord, il y avait des éléments de preuve démontrant que le sel fin est utilisé par l'intimée ICI Canada Inc. (ci-après ICI) dans le but de produire du chlore, de la soude caustique et des composés dérivés utilisés dans le blanchiment des produits du papier, sel qui est différent du sel de table servant à assaisonner les aliments, et du gros sel utilisé pour déglacer les routes; deuxièmement, il y avait des éléments de preuve indiquant que l'appelante Upper Lakes Group Inc. (ci-après ULS) avait spécialement adapté des navires autochargeurs pour transporter le sel fin; troisièmement, il y avait des éléments de preuve tendant à établir que la perte du transport du sel fin a eu pour conséquence directe de faire perdre à l'appelante ULS le transport de minerai de fer au retour, l'obligeant à retirer du service au moins un de ses navires; et quatrièmement, il n'y avait pas d'élément de preuve pour appuyer la conclusion de l'Office selon laquelle l'appelante ULS serait en mesure de présenter une soumission pour le transport du sel fin si l'intimée Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (ci-après le CN) décidait à une date ultérieure d'augmenter ses prix pour le transport de ces mêmes marchandises. Je conviens également qu'aucune raison spéciale n'a été établie pour justifier l'adjudication des dépens. Toutefois, avec égards, je ne peux souscrire au dispositif proposé par le juge Hugessen ni accepter son analyse des questions soulevées en l'espèce.

L'autorisation d'appel a été accordée uniquement sur le point de droit suivant:

[traduction] La décision de l'Office se fonde-t-elle sur une interprétation erronée du paragraphe 113(5) de la Loi de 1987 sur les transports nationaux?

L'appel soulève des questions importantes concernant l'interprétation qu'il convient de donner aux dispositions de la Loi de 1987 sur les transports nationaux11 L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 28.

(ci-après la Loi), relatives aux prix anticoncurrentiels, et l'incidence de cette interprétation sur la bonne administration de la politique nationale des transports.

I. La norme de contrôle

Comme le juge Hugessen, j'estime qu'il importe avant toute chose d'énoncer la norme de contrôle applicable en l'espèce. Bien qu'il ait cité le paragraphe 65(1) de la Loi, qui accorde un droit conditionnel d'appel, je reprends ce paragraphe ci-dessous pour faciliter la consultation et j'y ajoute le paragraphe 65(3), également utile pour déterminer la norme de contrôle applicable:

65. (1) Tout acte"décision, arrêté, règle ou règlement"de l'Office est susceptible d'appel devant la Cour d'appel fédérale sur une question de droit ou de compétence avec l'autorisation de la cour sur demande présentée dans le mois suivant la date de l'acte ou dans le délai supérieur accordé par un juge de la cour en des circonstances spéciales, après notification aux parties et à l'Office et audition de ceux d'entre eux qui comparaissent et désirent être entendus.

. . .

(3) L'appel est mené aussi rapidement que possible; la cour peut l'entendre en tirant toutes conclusions non incompatibles avec les faits formellement établis par l'Office et nécessaires pour décider de la question de droit ou de compétence, selon le cas.

Il est utile de préciser ici que la Loi énonce clairement le caractère définitif des décisions portant sur des questions de fait au paragraphe 37(3):

37. . . .

(3) La décision de l'Office sur une question de fait relevant de sa compétence est définitive.

Je conviens que la norme de contrôle applicable aux appels prévus par la loi a été énoncée dans les arrêts Bell Canada c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 1 R.C.S. 1722 et Pezim c. Colombie-

Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557, dans lequel le juge Iacobucci, s'exprimant au nom de la Cour et reprenant les propos du juge [ho]Gonthier dans l'arrêt Bell Canada, précité, affirme ceci à la page 591:

Par conséquent, même lorsqu'il n'existe pas de clause privative et que la loi prévoit un droit d'appel, le concept de la spécialisation des fonctions exige des cours de justice qu'elles fassent preuve de retenue envers l'opinion du tribunal spécialisé sur des questions qui relèvent directement de son champ d'expertise.

Toutefois, en examinant cette norme de contrôle, il importe de garder à l'esprit les observations suivantes du juge Sopinka, s'exprimant au nom de la majorité, dans l'arrêt Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d'Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316, à la page 335:

Par contre, lorsque, comparativement au tribunal d'examen, le tribunal administratif manque d'expertise relative en ce qui concerne la question dont il a été saisi, cela justifie de ne pas faire preuve de retenue.

Quelle que soit l'expertise de l'Office dans la formulation et l'application de la politique nationale des transports, énoncée à l'article 3 [mod. par L.C. 1992, ch. 21, art. 33] de la Loi, je ne crois pas que les questions d'interprétation de sa loi habilitante fassent partie de son champ d'expertise. Les propos qu'exprimait le juge Gonthier dans l'arrêt Bell Canada, précité, à la page 1747, s'appliquent, mutatis mutandis, avec autant de force en l'espèce:

Hormis le choix du redressement le plus approprié parmi ceux dont disposait l'appelant pour fixer des tarifs justes et raisonnables au cours de la période provisoire, la décision contestée par l'intimée ne relève pas du champ d'expertise particulier de l'appelant et est donc, conformément au par. 68(1), susceptible de contrôle selon les principes qui régissent les appels. En effet, l'appelant a été créé non pas dans le but d'interpréter la Loi sur les chemins de fer ou la Loi sur les transports nationaux, mais plutôt pour assurer, notamment, que les tarifs de téléphone soient toujours justes et raisonnables. [Non souligné dans l'original.]

Je suis d'avis que la Cour est mieux qualifiée que l'Office pour traiter des questions d'interprétation. Je ne peux donc accepter que la norme de contrôle "soit la norme de la décision correcte tenant dûment compte de l'expérience et du champ d'expertise du tribunal administratif supérieur dans l'interprétation et l'application d'une disposition de sa loi habilitante ne portant pas sur sa compétence".

À mon avis, la norme de contrôle applicable à la question de droit énoncée dans l'ordonnance autorisant l'appel est celle de la décision correcte, élargie cependant par le pouvoir conféré au tribunal au paragraphe 65(3) de tirer, à sa discrétion, "toutes conclusions non incompatibles avec les faits formellement établis par l'Office et nécessaires pour décider de la question de droit".

II. Les motifs de l'Office

La réponse de l'Office à la plainte des appelantes se présente sous la forme d'une analyse en deux parties. En premier lieu, l'Office a examiné le contrat confidentiel de même que tous les autres documents pertinents fournis par l'intimé CN afin de déterminer les coûts variables réels associés au trafic global du CN, toutes marchandises confondues, de Windsor (Ontario) à Bécancour (Québec). Il a conclu que la méthode des coûts variables était représentative du transport visé et il a appliqué cette méthode pour calculer la proportion des coûts attribuable au transport du sel fin. À la fin de la première partie de son analyse, l'Office conclut de la façon suivante22 Motifs, dossier d'appel, vol. I, à la p. 15. :

[traduction] À partir de cette méthode, les résultats indiquent que les coûts variables de ce transport particulier sont supérieurs au prix indiqué dans le contrat confidentiel du CN et donc que ce prix n'est pas compensatoire.

Ayant conclu que le prix indiqué dans le contrat confidentiel n'était pas compensatoire, l'Office s'est efforcé, au cours de la deuxième étape de son analyse, de suivre les directives énoncées au paragraphe 113(5) qui exige que le CN établisse à la satisfaction de l'Office, selon la prépondérance des probabilités, que le prix non compensatoire, n'a pas l'effet, immédiat ou éventuel,

a) de réduire notablement la concurrence, ou

b) de nuire notablement à un concurrent, et qu'il n'était pas conçu pour produire un tel effet.

L'Office ne s'est pas demandé si les appelantes autres qu'ULS étaient en concurrence avec le CN et a rejeté un argument présenté par le CN selon lequel ULS et le CN n'étaient pas des concurrents, en concluant ainsi: [traduction] "lorsque deux entreprises rivales s'efforcent d'aller chercher le plus grand nombre possible de contrats en faisant des concessions au niveau du prix et du service, ces deux entreprises sont véritablement en concurrence"33 Ibid., à la p. 16. . Deux observations s'imposent ici: premièrement, le seul élément de preuve dont disposait l'Office pour conclure que le CN et ULS étaient des entreprises rivales et avaient fait des concessions au niveau du prix et du service afin d'aller chercher le plus grand nombre possible de contrats portait sur la rivalité entre ces deux entreprises pour le transport du sel fin de Windsor à [ho]Bécancour; deuxièmement, la conclusion selon laquelle ULS et CN étaient en concurrence implique que les deux entreprises étaient présentes sur le même marché, c'est-à-dire qu'il y avait un terrain de rivalité commun à ces entreprises où l'interchangeabilité de leurs services était une question de prix. Voir à cet effet l'arrêt Queensland Co-operative Milling Association Ltd., Re; Re Defiance Holdings Ltd. (1976), 25 F.L.R. 169 (tribunal australien des pratiques en matière de commerce), à la page 190:

[traduction] À notre avis, le concept de marché est une notion fondamentalement simple. Il s'agit en fait d'un champ d'activité à l'intérieur duquel des entreprises se font une concurrence serrée ou, autrement dit, c'est le terrain de rivalité qui existe entre elles. (S'il n'y a pas de concurrence sérieuse, il y a bien entendu un marché monopolistique.) À l'intérieur de ce marché, il y a substitution"substitution de produits ou de sources d'approvisionnement"selon la fluctuation des prix. Ainsi donc, le marché est l'ensemble des opérations réelles et potentielles entre acheteurs et vendeurs soumis à un jeu serré de substitution, du moins à long terme, si les réductions de prix qu'ils accordent sont suffisantes.

Ayant conclu qu'ULS et le CN étaient des concurrents, l'Office a posé le principe suivant: [traduction] "La question, toutefois, est de savoir si l'une de ces entreprises a conçu un prix assez bas pour évincer l'autre du marché.44 Ibid. "

L'Office s'est ensuite penché sur les statistiques citées par l'appelante ULS selon lesquelles elle avait perdu la totalité de son trafic de sel fin au profit du CN et que cette perte représentait 30 pour cent de son trafic global de sel. L'Office a également analysé l'allégation du CN selon laquelle cette entreprise n'effectuait que 16 pour cent du transport combiné du sel par rail et par mer et que la perte subie par ULS ne représentait que un pour cent de son trafic global. À partir de ces statistiques, l'Office a conclu que [traduction] "le CN l'avait convaincu que le prix qu'il avait fixé n'avait pas nui notablement à ULS"55 Ibid. et a refusé d'examiner les arguments des appelantes selon lesquels la perte du trafic de retour par ULS devait être prise en compte dans l'évaluation du préjudice notable causé à ULS du fait du prix non compensatoire.

L'Office a conclu son analyse de la façon suivante: tout d'abord, en se fondant sur son examen de la preuve, il affirme que [traduction] "le CN n'a pas conçu ses prix pour le transport du sel de Windsor à Bécancour en vue d'évincer ULS du marché et, ultérieurement, augmenter ses prix à un niveau supérieur à celui de la concurrence afin de recouvrer les pertes subies"6 6 Ibid. . Comme preuve de cette affirmation, je présume, l'Office indique qu'ULS continue d'expédier approximativement 70 pour cent du sel de la Société canadienne de sel Limitée (ci-après la SCS) sous forme de gros sel (produit différent de celui dont il est question en l'espèce). Deuxièmement, l'Office déclare que la concurrence n'a pas été réduite parce qu'ULS est toujours présente sur le marché du transport (bien qu'il s'agisse d'un marché différent de celui dont il est question dans la plainte déposée). Troisièmement, sans aucun élément de preuve à l'appui et, à mon avis, à l'encontre même de la preuve, l'Office déclare de plus que [traduction] "si, à quelque moment que ce soit, le CN augmente ses prix au-delà des niveaux concurrentiels, ULS sera alors en mesure de reprendre la part de marché qu'il lui avait pris"77 Ibid. . Quatrièmement, sans disposer d'un seul élément de preuve à cet égard, l'Office émet l'hypothèse suivante8 8 Ibid. :

[traduction] [Si] le prix exigé d'ICI était supérieur à celui de la concurrence, celle-ci pourrait, au moment de renégocier son contrat, rechercher les meilleurs prix offerts sur le marché parmi les différents modes de transport, et ULS aurait alors la possibilité de récupérer sa part de marché. L'existence d'une telle concurrence empêcherait le CN de hausser ses prix au-delà des niveaux concurrentiels à l'avenir.

Cette analyse a mené l'Office à conclure [traduction] "que le CN n'a pas conçu intentionnellement son prix pour que celui-ci ait l'effet, immédiat ou éventuel, de réduire notablement la concurrence ou de nuire notablement à un concurrent"9 9 Ibid. et il a donc refusé de rejeter le prix non compensatoire.

III. La thèse des parties

Les appelantes prétendent que l'Office a commis une erreur sur trois aspects:

(i) il n'a pas analysé le marché approprié; plus spécifiquement, il a commis une erreur en concluant que le trafic qu'il convenait d'examiner pour décider si le prix non compensatoire avait l'effet immédiat ou éventuel de réduire notablement la concurrence ou de nuire notablement à un concurrent était le trafic global d'ULS (toutes marchandises confondues) ou le trafic global du sel alors que, selon les prescriptions du paragraphe 113(5), il aurait dû examiner uniquement le trafic du sel fin de Windsor à Bécancour;

(ii) il n'a pas appliqué le critère approprié en concluant que le prix non compensatoire n'avait pas l'effet immédiat ou éventuel de réduire notablement la concurrence; et

(iii) il a commis une erreur en concluant que le prix non compensatoire n'avait pas l'effet immédiat ou éventuel de nuire notablement à un concurrent et n'avait pas été conçu pour produire un tel effet. Les causes de cette erreur sont les suivantes:

(a) l'Office n'a pas tenu compte de la preuve présentée pour démontrer que les autres appelantes étaient des concurrentes;

(b) il a refusé d'examiner la perte du trafic de retour dans l'évaluation du préjudice causé à ULS; et

(c) il a utilisé un critère non approprié pour déterminer si le prix non compensatoire avait l'effet immédiat ou éventuel de nuire notablement à un concurrent, c'est-à-dire le critère de savoir si ce taux était "assez bas pour évincer l'autre concurrent du marché".

Les appelantes sont appuyées par l'Administration de la voie maritime du Saint-Laurent, l'Association canadienne du camionnage, la Commission du port de Windsor, l'International Association of Great Lakes Ports, la Chambre de commerce maritime et l'Association des armateurs canadiens, qui ont toutes participé à la présente affaire à titre d'intervenantes. Ces intervenantes ont adopté la thèse des appelantes et présenté leurs propres observations concernant les répercussions de la décision de l'Office touchant l'intérêt public. Elles affirment unanimement que la décision n'est pas fondée en droit et qu'elle a eu des répercussions négatives sur l'administration de la politique nationale des transports, qui est énoncée à l'article 3 de la Loi.

L'intimé CN prétend qu'en arrivant à sa conclusion l'Office a agi dans les limites de sa compétence et que sa décision se fonde sur des principes reconnus de droit administratif. Par conséquent, il soutient que la Cour ne doit pas intervenir à moins qu'il ne soit démontré que la conclusion de l'Office était déraisonnable, ce qui n'a pas été établi. L'intimé prétend [ho]également que la conclusion de l'Office portait sur une question de fait et, par conséquent, qu'il y a lieu pour la Cour de faire preuve de retenue. L'intimée ICI fonde nettement son argumentation sur les opinions exprimées dans Bell Canada et Pezim, précités. Leurs positions sont appuyées par l'Office qui prend part au pourvoi également à titre d'intimé.

IV. La question en litige

La seule question à déterminer est celle qui a été énoncée dans l'ordonnance autorisant l'appel, que je reproduis ici pour faciliter la consultation:

La décision de l'Office se fonde-t-elle sur une interprétation erronée du paragraphe 113(5) de la Loi de 1987 sur les transports nationaux?

V. Les principes d'interprétation

La question à l'égard de laquelle l'autorisation d'appel a été accordée nous oblige à examiner comment l'Office a interprété le paragraphe 113(5) de la Loi. La méthode moderne d'interprétation d'une loi se fonde sur l'interprétation des mots selon le contexte et a été formulée en ces termes:

[traduction] De nos jours, un seul principe ou méthode prévaut: les mots d'une loi doivent être interprétés selon le contexte, dans leur acception logique courante en conformité avec l'esprit et l'objet de la loi et l'intention du législateur10 10 E. A. Driedger Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto: Butterworths, 1983), à la p. 87. .

VI. L'analyse

a) Les dispositions législatives pertinentes

Les dispositions législatives applicables au présent appel se trouvent à la section 1 de la partie III de la Loi qui traite du transport des marchandises par chemin de fer. L'article 110 définit certains des mots et expressions utilisés dans la section 1. Par exemple:

110. . . .

. . .

"contrat confidentiel" Le contrat conclu en application du paragraphe 120(1).

. . .

"transport" ou "trafic" Le transport des marchandises et l'emploi du matériel nécessaire à ces fins.

Les articles 112 et 113 traitent des prix. Comme leur juste interprétation constitue le fond du présent pourvoi, ils sont reproduits ci-dessous dans leur intégralité:

112. (1) Dans le présent article et à l'article 113, on entend par "prix" le prix net"déterminé après déduction de tout rabais, réduction ou allocation établie dans un prix convenu, un tarif ou un contrat confidentiel"qui est:

a) soit un prix convenu ou un prix contenu dans un tarif ou un contrat confidentiel;

b) soit fixé par règlement ou de la manière réglementaire par l'Office en application de l'alinéa 152(4)b) ou établi à titre de prix de ligne concurrentiel.

(2) Les prix doivent être compensatoires.

(3) Un prix est réputé compensatoire s'il est supérieur au coût variable, déterminé par l'Office, du transport visé.

(4) Pour la détermination, aux fins du paragraphe (3), du coût variable du transport effectué par une compagnie de chemin de fer, l'Office:

a) peut, sous réserve des alinéas b) et c) et des règlements d'application de l'article 349 de la Loi sur les chemins de fer, inclure ou exclure les articles ou facteurs relatifs aux frais qu'il estime indiqués;

b) doit calculer les coûts du capital dans tous les cas en utilisant tels frais qu'il a jugés convenables pour la section canadienne du rail de Canadien Pacifique Limitée;

c) doit utiliser les frais propres à ce transport, si ces frais sont disponibles ou, s'ils ne le sont pas, utiliser les frais disponibles qui sont liés le plus directement à ce transport.

113. (1) Sur réception d'une plainte à l'effet qu'un prix n'est pas compensatoire, l'Office mène l'enquête qu'il estime indiquée relativement à ce prix.

(2) L'Office peut, en tout temps avant la fin de l'enquête menée en application du paragraphe (1), prendre un arrêté intérimaire en vertu du paragraphe (5).

(3) L'Office peut, dans le cadre de l'enquête prévue par le paragraphe (1), obliger la compagnie de chemin de fer visée à lui fournir, dans le délai précisé par lui, les renseignements qu'il estime nécessaires pour déterminer si le prix est compensatoire.

(4) Dans les cas où la compagnie omet de fournir les renseignements exigés en application du paragraphe (3) dans le délai précisé, l'Office peut utiliser les estimés de frais qu'il considère fondés pour déterminer si les prix exigés par la compagnie sont compensatoires.

(5) Après la fin de l'enquête menée en application du paragraphe (1) et dans les quatre-vingt-dix jours suivant la réception de la plainte, l'Office détermine si le prix visé par la plainte est compensatoire et, s'il détermine qu'il n'est pas compensatoire, par arrêté, il rejette le prix et oblige la compagnie à y substituer un prix compensatoire, sauf si la compagnie le convainc que le prix n'a pas l'effet, immédiat ou éventuel, de réduire notablement la concurrence ou de nuire notablement à un concurrent et qu'il n'était pas conçu pour produire un tel effet.

Je conviens avec le juge Hugessen que les articles 112 et 113 de la Loi doivent être "lus dans leur contexte et en fonction de l'objet visé", mais nous ne nous entendons pas sur le sens du mot contexte. Il est bien établi que l'historique législatif constitue un élément contextuel à prendre en compte.

b) L'historique législatif

La Loi est l'une des nombreuses lois1111 Lexenomics Inc. The Competition Act and Federal Economic Regulation of the Transportation Sector: A comparative Assessment (Ottawa: Fraser & Beatty, version finale du 17 août 1992). adoptées par le législateur depuis une dizaine d'années dans le but de donner effet à la politique, toujours en vogue, de la déréglementation de l'économie nationale. Depuis l'adoption de cette politique, la gestion de l'économie nationale s'est considérablement éloignée du régime en place depuis les débuts de la Confédération et selon lequel les secteurs-clés de l'économie nationale étaient réglementés par l'État. En vertu de cette nouvelle orientation, l'économie ne serait plus réglementée par l'État, mais plutôt par les forces du marché. Le rôle de l'État se limiterait donc à fournir le cadre à l'intérieur duquel les forces du marché auraient libre cours.

En conformité avec cette nouvelle orientation politique, le législateur a adopté quatre lois qui sont pertinentes au présent appel. En 1986, la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions12 12 S.R.C. 1970, ch. C-23 (mod. par S.C. 1986, ch. 26, art. 19).

a été modifiée et renommée Loi sur la concurrence1313 L.R.C. (1985), ch. C-34 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19), partie II. . Dans cette Loi, le législateur a adopté des règles générales relatives à la concurrence, applicables à tous les secteurs de l'économie nationale. L'année suivante, le Parlement a adopté trois autres lois ayant spécifiquement pour objet de déréglementer l'industrie nationale des transports. La plus importante de ces lois est la Loi de 1987 sur les transports nationaux, dont il est question en l'espèce, qui a donné effet à la déréglementation du transport aérien au Canada au sud du 60e parallèle et a mis en vigueur des règles axées sur le marché pour favoriser la concurrence ferroviaire intra-modale et mettre un terme à l'établissement de prix communs par les compagnies de chemin de fer. Il a été dit1414 Commission d'examen de la Loi sur les transports nationaux. La concurrence dans les transports: regard sur la politique et la législation, vol. 1. Ottawa: Ministre des Approvisionnements et Services du Canada, 1993. de cette loi qu'elle était la pierre angulaire de la stratégie du gouvernement canadien visant à mettre en place un système de transport concurrentiel capable de répondre aux divers besoins des voyageurs et des expéditeurs canadiens. L'objectif de cette loi est le suivant: en l'absence de réglementation gouvernementale, permettre au secteur des transports d'évoluer en fonction des décisions se fondant sur les réactions du marché. De cette façon, les décisions en matière de transport seraient davantage fonction des besoins des expéditeurs et des voyageurs que de l'État. Simultanément, le Parlement a adopté deux lois connexes, savoir la Loi dérogatoire de 1987 sur les conférences maritimes15 15 L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 17. , qui a imposé de nouvelles conditions aux dérogations applicables aux conférences maritimes relativement aux poursuites en matière de complot régies par la Loi sur la concurrence, et la Loi de 1987 sur les transports routiers1616 L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 29. , qui a supprimé les barrières qui limitaient le camionnage extra-provincial.

c) Les débats parlementaires

Il convient également de consulter les débats parlementaires ayant trait à la Loi examinée pour en déterminer l'objet et la situation qu'elle vise à réformer.

Les articles 112 et 113 remplacent les articles 285 et 286 de la Loi sur les chemins de fer1717 L.R.C. (1985), ch. R-3 [art. 285 (abrogé par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 28, art. 333), 286 (abrogé, idem)]. qui traitaient des taux de transport de marchandises dont voici le texte:

285. (1) Sauf disposition contraire de la présente loi, tous les taux de transport de marchandises sont compensatoires; et la Commission peut sommer la compagnie qui émet un tarif- marchandises de lui communiquer, lors du dépôt du tarif ou à toute autre époque, tous renseignements exigés par la Commission pour établir que les taux figurant dans ce tarif sont compensatoires.

(2) Un taux de transport des marchandises est réputé compensatoire quand il dépasse le coût variable du mouvement du trafic en cause tel que l'a déterminé la Commission.

(3) En déterminant, pour l'application du présent article et de l'article 286, le coût variable de tout mouvement de trafic, la Commission canadienne des transports doit:

a) d'une part, tenir compte de tous les articles et facteurs prescrits par les règlements de la Commission comme étant pertinents à la détermination des coûts variables;

b) d'autre part, calculer les frais d'immobilisations dans tous les cas en utilisant les frais d'immobilisations approuvés par la Commission comme convenables pour la compagnie Canadien Pacifique Limitée.

286. (1) La Commission peut rejeter tout taux de transport de marchandises qu'elle estime, après enquête, n'être pas compensatoire.

(2) Lorsque la Commission reçoit, par plainte ou autrement, des renseignements contenant certains éléments de preuve tendant à établir qu'un taux de transport de marchandises indiqué dans un tarif déposé à la Commission n'est pas compensatoire, elle doit mener une enquête pour déterminer si ce taux est compensatoire et, dans tout autre cas, la Commission peut, de son propre chef, mener une telle enquête.

Au cours de l'analyse détaillée des dispositions de la Loi par le Comité permanent des transports de la Chambre des communes, le secrétaire parlementaire du ministre des Transports a expliqué la situation que le paragraphe 113(5) cherchait à réformer dans les termes suivants1818 Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des transports, le 13 avril 1987, à la p. 35:172. :

M. Thacker: Cet amendement, monsieur le président, nous enlèverait toute possibilité de permettre à certains d'offrir des prix inférieurs au niveau compensatoire, c'est-à-dire au plein recouvrement des coûts. Cet amendement dit que si l'enquête permet de conclure que le prix est inférieur au prix compensatoire, il doit automatiquement être ramené au niveau du prix compensatoire. L'article du projet de loi offre une certaine souplesse, tant que personne n'est lésé. Cela me paraîtrait tout à fait justifié.

L'échange suivant entre les membres du Comité et l'avocat-général par intérim de la Commission canadienne des transports (prédécesseur de l'Office), qui a témoigné au cours de ces audiences, nous instruit également sur l'objet poursuivi par la loi et la situation qu'elle vise à corriger1919 Ibid., à la p. 35:173. :

Mme Bloodworth: Je pense que l'on pourrait en trouver des exemples au Québec même. Je pense que la condition imposée aux transporteurs ferroviaires est suffisamment bien définie. C'est-à-dire que si quelqu'un est lésé, si un concurrent s'en trouve désavantagé, le tarif ne sera pas autorisé. Il faut donc qu'aucun concurrent ne soit lésé.

M. Ouellet: Permettez-moi de vous poser une question. Si les anciennes dispositions de la loi ont permis toutes ces exceptions que vous venez de citer, pourquoi alors ne pas s'y tenir? Pourquoi voulez-vous à ce moment-là vous écarter de l'ancienne loi?

M. Mulder: Monsieur le président, je le répète, si vous le permettez, l'ancienne loi n'a été invoquée qu'une fois, et c'est dans le cas de l'ACE. Mais il est arrivé, et j'espère que je ne nuis pas aux intérêts des chemins de fer en disant cela, que ceux-ci n'ont pas pu accorder certaines ristournes à leurs clients parce qu'ils se seraient à ce moment-là retrouvés en-dessous du seuil fixé par la loi. Les chemins de fer était donc tenus par cette disposition à chaque fois qu'ils négociaient avec un expéditeur. Maintenant l'expéditeur pourrait répondre aux chemins de fer qu'il est possible d'offrir un prix inférieur au coût, à condition qu'aucun concurrent ne soit lésé.

Le président: L'amendement de M. Robichaud, d'après vous, nous priverait de cette possibilité d'accorder des tarifs promotionnels, lesquels devraient évidemment ne léser personne.

M. Mulder: Exactement.

Mme Bloodworth: Monsieur le président, j'aimerais répondre à M. Ouellet; la réponse est que cela, dans le cadre des dispositions de la loi, n'est pas possible. Nous soupçonnons que cela ait pu arriver parfois, sans que qui que ce soit se plaigne. Mais du point de vue strictement légal, si l'office en était saisi, il serait obligé de l'interdire, même si personne n'y voyait véritablement d'inconvénient. Il s'agirait donc ici de permettre d'offrir ce genre de prix, à condition que personne ne soit lésé.

L'avocat-général par intérim a également témoigné devant le Comité sénatorial permanent devant lequel elle a expliqué l'objet de la loi dans les extraits suivants2020 Délibérations du Comité sénatorial permanent des transports et des communications, le 13 juillet 1987, aux p. 16:35 et 16:36. :

L'autre exigence prenait la forme d'un seuil de prix. Les prix devaient être compensatoires; ils ne pouvaient être fixés à un niveau inférieur à ce seuil. Cela s'est fait à la demande de l'industrie du camionnage qui craignait que, si les chemins de fer étaient autorisés à établir des prix non compensatoires, ils mettraient les entreprises de camionnage en faillite.

A part cela, ils étaient autorisés à établir les prix à leur guise. C'est un système qui fonctionnait très bien s'il y avait de la concurrence, notamment de la part des entreprises de camionnage.

Depuis 1967, toutefois, le secteur des ressources connaît une croissance exceptionnelle, et ce secteur est captif du transport par chemin de fer, souvent même d'une seule société ferroviaire. Je suis donc convaincu [sic] que plusieurs expéditeurs qui se retrouvent dans cette catégorie vous parleront de ce problème au cours de vos audiences. Ils vous diront qu'il n'est pas rentable pour eux de faire leurs expéditions par un autre mode que le chemin de fer et qu'une seule société ferroviaire dessert leurs installations d'exploitation. Ces expéditeurs se plaignent depuis longtemps, soit depuis le milieu des années soixante-dix, qu'ils ne jouissent pas d'un traitement équitable en vertu des lois en vigueur. Le projet contient quelques dispositions par lesquelles on tente de rétablir un certain équilibre.

. . .

Donc ces dispositions comportent plusieurs éléments. Elles continuent à exiger que les prix soient compensatoires; c'est ce que l'on trouve aux articles 112 et 113. Toutefois, elles permettent en quelque sorte à une compagnie de chemin de fer de se défendre lorsqu'un prix est jugé non compensatoire. Le prix peut donc ne pas être rejeté. Comme on peut le voir à l'alinéa 113.(5)b), l'Office détermine si le prix visé par la plainte est compensatoire et,

s'il détermine qu'il n'est pas compensatoire, il rejette le prix par arrêté, sauf si la compagnie le convainc que le prix n'a pas l'effet, immédiat ou éventuel, de réduire la concurrence ou de nuire sensiblement à un concurrent et qu'il ne devait pas avoir un tel effet.

La raison d'être d'une telle disposition est que plusieurs parties ont avancé que la loi ne devrait pas faire en sorte qu'un prix non compensatoire soit haussé si ce dernier ne nuit à personne et ne fait pas entrave à la concurrence. On conviendra que ce genre d'argument est plutôt logique et sensé.

Les gens qui soutiennent que les prix doivent être compensatoires sont des concurrents. De fait, les seuls par qui se sont produits"comme les plaintes formulées récemment par Atlantic Container Express au sujet de certains prix du CN"concernaient des concurrents se disant injustement désavantagés. Alors, si aucun concurrent n'est touché et que l'expéditeur bénéficie d'un prix plus bas

. . . Et ce n'est pas parce que la compagnie de chemin de fer fait cadeau de ses services; c'est peut-être parce qu'elle essaie de développer un nouveau marché et qu'elle est prête à baisser ses prix pour une période de six mois à un an afin de pouvoir obtenir ainsi davantage de contrats. Ce genre de décision n'est jamais prise dans un motif commercial bien précis. Par conséquent, la disposition relative aux prix compensatoires est maintenue, mais elle a été modifiée de façon à la rendre un peu plus souple.

Il ressort de cet historique et de la loi, que les articles 112 et 113 doivent être lus en fonction de l'objet visé et l'un par rapport à l'autre. Le paragraphe 112(2) maintient la règle selon laquelle tous les prix fixés par les compagnies de chemin de fer pour le transport des marchandises doivent être compensatoires selon le sens défini dans la loi. Le paragraphe 113(5) prévoit la seule exception à cette règle. Comme dans tous les autres cas où des exceptions sont prévues dans une loi, le paragraphe oblige la compagnie de chemin de fer qui cherche à se prévaloir de cette exception à se conformer strictement aux conditions qui y sont énoncées, et à faire la preuve demandée selon la prépondérance des probabilités. Le paragraphe énonce avec précision la manière dont il faut s'acquitter de cette obligation pour que le prix non compensatoire puisse être maintenu. Lorsque l'Office détermine que la compagnie de chemin de fer exige un prix non compensatoire dans un cas particulier, la compagnie a alors le fardeau de convaincre l'Office, selon la prépondérance des probabilités, que le taux non compensatoire n'a pas l'effet, immédiat ou éventuel,

a) de réduire notablement la concurrence, ou

b) de nuire notablement à un concurrent, et n'a pas été conçu pour produire un tel effet.

Si la compagnie de chemin de fer ne parvient pas à convaincre l'Office en respectant la norme de preuve demandée, celui-ci rejette le prix non compensatoire et y substitue un prix compensatoire.

C'est là le cadre d'analyse élaboré par le législateur pour faciliter la tâche de l'Office dans des cas, comme celui en l'espèce, où une plainte allègue qu'une compagnie de chemin de fer exige un prix non compensatoire. Les appelantes et les intervenantes qui les soutiennent prétendent que l'Office a commis une erreur en l'espèce en ne suivant pas la norme établie. Je suis d'accord avec elles.

d) Le marché pertinent

Je ne peux souscrire à l'affirmation du juge [ho]Hugessen selon laquelle "la définition du marché dans ce genre de cas est une question de fait et non de droit". Je conviens avec lui que les mots "marché pertinent" ne figurent pas au paragraphe 113(5) de la Loi. Il n'y a rien d'étonnant à cela, puisque la notion de marché pertinent est implicite dans les références aux mots "concurrence" et "concurrent" utilisés dans ce paragraphe. La "concurrence" et les "concurrents" n'existent pas dans l'absolu. En tant qu'éléments d'une économie de marché, ils ne peuvent exister que dans un marché. Et, comme je l'ai dit, le marché est le terrain sur lequel les fournisseurs de biens et de services rivalisent d'adresse pour s'attacher les consommateurs de ces biens et services et où le prix est un facteur déterminant dans le processus d'échange. En décidant, comme l'exige la première condition du paragraphe 113(5), si le prix non compensatoire avait l'effet immédiat ou éventuel de réduire notablement la concurrence ou, selon la deuxième condition, si le prix non compensatoire avait l'effet immédiat ou éventuel de nuire notablement à un concurrent, l'Office devait, légalement, définir le terme marché afin de donner leur plein effet aux mots "concurrence" et "concurrent" qui figurent dans ce paragraphe. Cela suppose que ces mots doivent être interprétés selon la règle d'interprétation que j'ai déjà mentionnée. Si l'Office a commis une erreur dans son interprétation des mots "concurrence" ou "concurrent", il a commis une erreur de droit.

À l'appui de cette conclusion, je cite l'arrêt R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, qui a été jugé en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions [S.R.C. 1970, ch. C-23]; dans cette affaire, il était allégué que l'alinéa 32(1)c) [mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 76, art. 14] de cette Loi, interdisant les complots et les accords visant à diminuer indûment la concurrence, portait atteinte à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés2121 Qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.[ib]-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]. , en raison de son imprécision et de sa [ho]portée excessive. Aux pages 647 et 648, le juge [ho]Gonthier, s'exprimant au nom de la Cour, s'étend longuement sur la distinction qui existe entre les questions de droit et les questions de fait soulevées par le critère qui doit être appliqué pour déterminer si la concurrence sur un marché est indûment diminuée:

D'après les appelants, puisque la question de savoir si la limitation de la concurrence était indue est une question de fait, ne donnant pas lieu à révision en appel, on ne peut tirer aucune conclusion de la jurisprudence. Cet argument repose sur une mauvaise perception de la distinction entre les questions de fait et les questions de droit.

Dans le contexte de l'al. 32(1)c), le processus suivi et les critères utilisés pour déterminer le caractère "indu" sont des questions de droit et comme telles sont susceptibles de révision par une cour d'appel. L'application de ce processus et de ces critères, c'est-à-dire l'examen complet, portant souvent sur des questions d'ordre économique compliquées, en vue de déterminer si l'accord attaqué était une limitation indue de la concurrence, reste une question de fait. La règle générale voulant que les cours d'appel devraient hésiter à réexaminer les conclusions de fait du juge du procès s'applique avec une force particulière dans une affaire complexe comme la présente.

L'analyse juridique du contenu de l'al. 32(1)c) ne se réduit cependant pas au sens du mot "indûment". Il ne faut pas étudier l'al. 32(1)c ) dans l'absolu. Son interprétation est tributaire, avant tout, des objectifs de la Loi. De plus, son contenu est enrichi par le reste de l'article dans lequel il est situé et par le mode d'examen retenu par les tribunaux qui l'ont interprété et appliqué. Ce sont des questions de droit, qui se rapportent à la détermination du caractère indu au regard de l'al. 32(1)c) et qui sont, comme telles, des plus pertinentes.

Crampton, dans son ouvrage Mergers and the Competition Act22 22 Toronto: Carswell, 1990, à la p. 264. , exprime une opinion similaire:

[traduction] Toutefois . . . il est important de reconnaître que même si la délimitation du marché pertinent dans un cas particulier est une question de fait, la définition de la notion de "marché pertinent" est une question de droit. Autrement dit, bien que les limites d'un marché dans un cas particulier soient fonction à la fois d'une situation factuelle unique et de l'importance que le tribunal de la concurrence accorde à certains facteurs, la question de savoir ce qui doit être examiné, et la légitimité des différents critères sont des questions de droit. [Non souligné dans l'original.]

Au renvoi 9, Crampton explique les extraits tirés des arrêts Queen, The v. J. W. Mills & Sons Ltd. et al., [1968] 2 R.C.É. 275, à la page 305; confirmé à [1971] R.C.S. 63, et R. v. Hoffmann-[ho]La Roche Limited (1980), 28 O.R. (2d) 164 (H.C.); confirmé à (1981), 33 O.R. (2d) 694 (C.A.), aux pages 705 et 706, sur lesquels le juge Hugessen s'appuie pour conclure que le "marché pertinent est une question de fait". Voici son explication [à la page 264]:

[traduction] D'après le contexte des observations formulées dans ces arrêts, il semble que les éminents juges aient voulu dire que la question de savoir "ce qui constitue le marché pertinent dans un cas donné" est une question de fait. La distinction est importante, parce que la définition de la notion de "marché pertinent" ne change pas d'une situation de fait à une autre.

Dans ses motifs, l'Office ne fournit aucun indice qui nous permette de croire qu'il a tenu compte de cette distinction. D'où, malheureusement, la confusion qui en a résulté relativement aux éléments à examiner et aux critères à utiliser pour définir le marché pertinent pour les fins du paragraphe 113(5). Il ressort clairement de la plainte déposée et de la preuve produite à l'appui de cette plainte que le conflit entre les appelantes et le CN portait sur un marché tout à fait particulier, savoir le transport du sel fin de Windsor à Bécancour. Les références au marché global du transport du sel de toutes sortes ou au commerce global du transport d'ULS ne se rapportaient pas aux questions que l'Office était tenu d'examiner. Je conclus donc que l'Office a commis une erreur de droit en fondant sa décision relative au marché pertinent sur des éléments non pertinents à cause d'une interprétation inexacte du paragraphe.

e) Le critère utilisé par l'Office

Les appelantes prétendent que l'Office a appliqué le mauvais critère pour décider si le prix non compensatoire avait l'effet immédiat ou éventuel de réduire notablement la concurrence. Selon mon interprétation de ses motifs, le juge Hugessen est d'avis que le critère appliqué par l'Office est le seul critère correct, pour les motifs qu'il énonce ensuite. Je ne suis pas d'accord.

La première question que l'Office devait se poser et à laquelle il devait répondre, après avoir défini le marché pertinent, du point de vue du droit comme du point de vue des faits, était de savoir si le CN avait démontré, selon la prépondérance des probabilités, que le prix non compensatoire n'avait pas pour effet immédiat ou éventuel de réduire notablement la concurrence sur ce marché. L'Office ne s'est pas posé cette question et il n'y a pas répondu. Au contraire, l'Office s'est demandé si le prix non compensatoire avait l'effet immédiat ou éventuel d'éliminer un concurrent du marché, et il a répondu que tel n'était pas le cas. Le juge Hugessen justifie l'aspect correct de cette question et de cette réponse en invoquant les dispositions de l'alinéa 50(1)c) de la Loi sur la concurrence, les directives émises par le directeur en application de cette Loi et la jurisprudence découlant des poursuites criminelles intentées en vertu de la loi antérieure, soit l'alinéa 34(1)c) [mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 76, art. 16] de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions.

L'alinéa 50(1)c) et son prédécesseur, l'alinéa 34(1)c), énonçaient les éléments constitutifs du délit que représente l'établissement de prix d'éviction. Je reproduis ces deux alinéas pour en faciliter la consultation:

Loi relative aux enquêtes sur les coalitions

34. (1) Toute personne qui, s'adonnant à une entreprise,

. . .

c) se livre à une politique de vente de produits à des prix déraisonnablement bas, cette politique ayant pour effet ou tendance de réduire sensiblement la concurrence ou d'éliminer dans une large mesure un concurrent, ou étant destinée à avoir un semblable effet,

est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement de deux ans. [Non souligné dans l'original.]

Loi sur la concurrence

50. (1) Commet un acte criminel et encourt un emprisonnement maximal de deux ans toute personne qui, s'adonnant à une entreprise, selon le cas:

. . .

c) se livre à une politique de vente de produits à des prix déraisonnablement bas, cette politique ayant pour effet ou tendance de sensiblement réduire la concurrence ou éliminer un concurrent, ou étant destinée à avoir un semblable effet. [Non souligné dans l'original.]

De toute évidence, le texte du paragraphe 113(5) est, à bien des égards, semblable à celui de ces alinéas. Mais il en est aussi différent. L'Office avait le devoir de tenir compte de ces différences aussi bien que des similitudes en interprétant ce paragraphe et en cherchant le véritable objet ainsi que l'intention du législateur au moment de son adoption. La première différence vient de ce que les alinéas 34(1)c) et 50(1)c) interdisent une politique ou une pratique continue de prix d'éviction, alors que le paragraphe 113(5) ne comporte pas une telle interdiction. Ce paragraphe traite uniquement d'un seul prix non compensatoire. Deuxièmement, la conduite [ho]proscrite par ces alinéas est la vente à des prix déraisonnablement bas, alors que le paragraphe 113(5) prohibe les prix non compensatoires, expression définie au paragraphe 112(3). Troisièmement, en vertu de ces alinéas, un acte criminel est commis si la conduite proscrite a, entre autres conséquences, celle d'éliminer un concurrent. Aux termes du paragraphe 113(5), en revanche, la compagnie de chemin de fer est tenue de prouver que le prix non compensatoire n'a pas l'effet immédiat ou éventuel de nuire notablement à un concurrent. De toute évidence, nuire notablement à un concurrent n'est pas synonyme d'éliminer ce concurrent. À mon avis, il est également important de noter que, dans la Loi, l'établissement de prix d'éviction ne constitue pas un délit comme c'est le cas dans la Loi sur la concurrence. Au contraire, au paragraphe 113(5), le législateur a prévu un "moyen de défense" dont peut se prévaloir une compagnie de chemin de fer dont la conduite est présumée ne pas respecter la règle établie au paragraphe 112(2) de la Loi.

Dans son analyse, l'Office avait l'obligation de tenir compte du texte adopté par le législateur au paragraphe 113(5) et de lui donner son plein effet. Il ne pouvait s'acquitter de cette obligation en s'appuyant sur le texte d'une autre loi poursuivant une fin différente, bien que connexe, et en fondant son interprétation du paragraphe sur des politiques et une jurisprudence établies en vertu de cette autre loi. Il est élémentaire qu'en interprétant les lois, il faut présumer que le Parlement ne légifère pas en vain. Le texte utilisé dans la loi faisant l'objet de l'examen doit être interprété selon l'acception courante des mots compte tenu du contexte. Comme l'Office n'a pas respecté cette règle, il a commis une erreur.

Les articles 112 et 113 doivent être lus conjointement. Les paragraphes 112(1) et (2) de la Loi exigent que tous les prix, y compris les prix fixés dans les contrats confidentiels, soient compensatoires. C'est la règle générale. Le paragraphe 112(3) porte qu'un taux est réputé compensatoire s'il est supérieur au coût variable, déterminé par l'Office, du transport visé. C'est une règle absolue ne donnant pas lieu à l'exercice d'un choix. Le prix exigé par une compagnie de chemin de fer, qu'il soit compensatoire ou non, porte sur un type de transport précis, c'est-à-dire qu'il est lié à un transport spécifique pour un client donné. L'exigence portant que tous les prix doivent être compensatoires s'applique à tous les prix individuels. Contrairement à l'alinéa 50(1)c) de la Loi sur la concurrence selon lequel une politique ou une pratique continue de vente de produits à des prix déraisonnablement bas constitue un élément essentiel d'une pratique de prix d'éviction, la Loi porte qu'un seul prix non compensatoire doit être justifié en vertu du paragraphe 113(5) sous peine d'être rejeté et remplacé par un prix compensatoire. Il n'y a pas non plus de choix à exercer dans cette situation. Autrement dit, il existe une présomption selon laquelle le prix non compensatoire a l'effet immédiat ou éventuel de réduire notablement la concurrence ou de nuire notablement à un concurrent et d'avoir été conçu pour produire un tel effet2323 Affaire relative à une plainte déposée par Atlantic Container Express Inc., le 6 juillet 1989, selon laquelle certains prix exigés par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada pour le transport vers Terre-Neuve seraient non conformes aux Conditions d'adhésion et à la décision no 266-R-1991 de l'Office national des transports en date du 22 mai 1991 (décision en date du 6 mai 1992), no 254-R-1992 (O.N.T.), à la p. 6. .

La première question qu'il faut se poser face à un prix non compensatoire est donc de déterminer s'il a été démontré que ce prix n'a pas l'effet immédiat ou éventuel de réduire notablement la concurrence. Toutefois, puisque la concurrence n'existe que dans une économie de marché, il faut nécessairement, pour répondre à cette question, définir le marché visé. Le transport du sel fin de Windsor à Bécancour est le seul marché pertinent dont la preuve fasse mention. La plainte des appelantes portait sur ce transport précis. C'est au sujet de ce transport que l'Office a conclu que le prix n'était pas compensatoire. Selon la preuve, c'est le seul point de rivalité entre le CN et ULS. Aucun élément de preuve ne tend à établir que ces deux entreprises se faisaient concurrence pour le transport du gros sel ou du sel de table. L'Office a donc commis une erreur quand, dans son interprétation du paragraphe 113(5), il a examiné d'autres marchés de produits pour décider si le prix non compensatoire avait l'effet immédiat ou éventuel de réduire notablement la concurrence.

Cela ne change rien de dire, comme l'Office l'a fait, qu'ULS est toujours présente sur le marché du transport, et qu'elle effectue encore 70 pour cent du transport du gros sel ou qu'ULS serait en mesure de reprendre sa part du marché du transport du sel fin si le CN augmentait son prix au-delà des niveaux concurrentiels. La question dont l'Office était saisi ne portait pas sur la conduite du CN sur le marché global du transport ou sur le marché global du transport du sel. Il n'y a manifestement aucun indice précis dans la preuve déposée qui permette de conclure qu'ULS pourrait reprendre la part du trafic qu'elle a perdue si le CN haussait ses prix au-delà des niveaux concurrentiels. Des éléments de preuve n'ont été fournis que sur un seul point, savoir le transport du sel fin de Windsor à Bécancour. L'Office n'a pas traité uniquement de cette question parce qu'il a mal interprété la première condition du paragraphe 113(5). Ce faisant, il a posé la mauvaise question et y a donné la mauvaise réponse, et il a donc commis une erreur de droit.

Avant de passer à un autre sujet, je tiens à préciser que le critère non approprié que l'Office a appliqué du fait qu'il a mal interprété la première condition du paragraphe 113(5) n'est pas appuyé par des déclarations de ce genre: [traduction] "Après tout, le gâchage des prix est souvent le signe d'une concurrence vigoureuse, plutôt que son contraire" ou "C'est uniquement lorsque les bas prix font partie d'une stratégie monopolistique qu'ils deviennent anticoncurrentiels". Quelle que soit la validité de telles affirmations dans d'autres contextes, elles n'en n'ont aucune pour l'interprétation des articles 112 et 113 de la Loi. Le paragraphe 112(2) interdit l'établissement d'un prix qui n'est pas compensatoire. Tous les prix doivent être compensatoires, selon la prescription de ce paragraphe. En outre, le paragraphe 113(5) n'exige pas la preuve d'une "stratégie monopolistique". Il exige qu'un prix qui n'est pas compensatoire soit justifié, à défaut de quoi il sera obligatoirement rejeté et remplacé.

f) Le préjudice notable causé à un concurrent

Les appelantes ont déposé des éléments de preuve devant l'Office indiquant qu'elles établissent le prix de leurs services maritimes selon une stratégie qui leur permet, pour leurs services collectifs, de soutenir la concurrence avec tous les prix que le CN propose. Toutefois, l'Office a conclu que seul le CN et ULS étaient en concurrence.

Les appelantes ont également déposé des éléments de preuve établissant qu'elles ont subi des pertes financières importantes résultant directement de la fixation d'un prix non compensatoire par le CN et de la perte du transport du sel fin qui en a découlé. Néanmoins, les motifs de l'Office ne font état d'aucune analyse qui lui aurait permis de déterminer si l'une ou l'autre des appelantes, en dehors d'ULS, étaient des concurrentes au vu de ces éléments de preuve et, si tel était le cas, si le préjudice qui leur a été causé devait être pris en compte dans son analyse du préjudice causé à un concurrent, comme l'exige la deuxième condition du paragraphe.

De prime abord, j'étais disposé à accepter l'opinion, exprimée par le juge Hugessen, selon laquelle l'Office n'a commis aucune erreur susceptible de révision en concluant qu'ULS et le CN étaient les seuls concurrents visés. Après réflexion, toutefois, j'ai conclu que, s'il avait utilisé la définition appropriée du marché pertinent que j'ai donnée ci-dessus, l'Office aurait bien pu décider, à partir de la preuve, que toutes les appelantes étaient des concurrentes et que le préjudice qui leur a été causé devait être pris en compte. Je ne peux donc souscrire à la conclusion du juge Hugessen selon laquelle les appelantes autres qu'ULS ne sont pas des concurrentes ou que la preuve du préjudice qu'elles ont subi en conséquence directe du prix non compensatoire n'était pas pertinente.

J'examine maintenant les motifs sur lesquels l'Office s'est fondé pour conclure que le prix non compensatoire n'avait pas l'effet immédiat ou éventuel de nuire à ULS. Pour faciliter la consultation, je reproduis ci-dessous les parties pertinentes de ces motifs2424 Motifs, dossier d'appel, vol. 1, à la p. 16. :

[traduction] Les plaignantes citent des statistiques qui indiquent que le CN détient maintenant la totalité du marché du sel fin d'ICI et qu'ULS a perdu 30 pour cent de son trafic global de sel, laissant entendre que le sel fin est un élément important du trafic d'ULS. Le CN allègue, toutefois, que, sur la totalité du transport combiné du sel par rail et par mer, la part du transport par rail était de 16 pour cent en 1991 et que le sel qui fait l'objet de cette plainte ne compte que pour un pour cent du trafic global d'ULS, ce qui n'est pas une part importante.

Compte tenu du fait que les statistiques sur les volumes, dont il est question ci-dessus, indiquent que le trafic du sel ne représente qu'un faible pourcentage du trafic global d'ULS, l'Office conclut que le CN l'a convaincu que le prix qu'il exige n'a pas nui notablement à ULS. Les arguments soulevés par les plaignantes ayant trait à la perte par ULS du trafic de retour ne sont pas pertinents en l'espèce et n'ont donc pas été pris en compte.

Je ferai tout d'abord quelques observations sur le refus de l'Office de prendre en compte les éléments de preuve ayant trait à la perte du trafic de retour. La preuve non contredite déposée devant l'Office révèle que, pour être en mesure de soutenir la concurrence pour le transport du sel fin, ULS transportait du sel fin de Windsor à Bécancour et, au retour, du minerai de fer de Bécancour à destination d'autres ports situés sur les Grands Lacs. Il y avait également des éléments de preuve indiquant qu'ULS a perdu ce trafic de retour en conséquence directe de la perte du transport du sel fin à l'aller. Étant donné que le transport du minerai de fer au retour faisait partie intégrante du trafic du sel fin à l'aller, il est contraire à la logique de prétendre que le trafic de retour n'est pas pertinent. Mais c'est ce que l'Office a conclu. Ce serait mal interpréter le dossier que d'essayer de justifier l'approche de l'Office en prétendant que la perte du trafic de retour a été prise en compte dans la perte du trafic à l'aller. Aucun élément de preuve ne laisse entendre que la perte du trafic de retour était incluse dans l'évaluation de la perte du trafic à l'aller. Je conclus que l'Office a commis une erreur de droit en refusant de considérer une preuve pertinente dans son évaluation de la gravité du préjudice causé à ULS.

Quant à la conclusion de l'Office selon laquelle il est convaincu que le prix non compensatoire "exigé par le CN n'a pas nui notablement à ULS"2525 Ibid. , je me contenterai de répéter ce que j'ai déjà dit, c'est-à-dire que cette conclusion se fonde sur une définition erronée du marché pertinent. La preuve statistique démontre qu'ULS a perdu la totalité du trafic du sel fin de Windsor à Bécancour. C'est ce marché qui a fait l'objet de la plainte, au sujet duquel on a constaté que le prix n'était pas compensatoire, et à l'égard duquel il fallait évaluer les mots "concurrence" et "concurrent". Il ressort d'une interprétation correcte du texte des articles 112 et 113 que c'est cette analyse qui s'imposait. En incluant dans cette analyse des éléments de preuve relatifs au trafic d'un produit différent sur un marché géographique différent, l'Office a fondé sa conclusion sur des considérations non pertinentes et il a donc commis une erreur de droit qui découle d'une grave erreur d'interprétation des articles pertinents de la Loi, y inclus le paragraphe 113(5).

VII. Résumé

La Loi a pour objet de favoriser une libre mais honnête concurrence sur le marché national des transports, non pas comme fin en soi, mais de façon à promouvoir la concurrence entre des consommateurs des services de transport nationaux. Pour réaliser cet objectif, le paragraphe 112(2) énonce la règle générale indiquant que tous les prix fixés pour le transport des marchandises par une compagnie de chemin de fer doivent être compensatoires, c'est-à-dire qu'ils ne doivent pas être inférieurs au coût variable du transport visé. Le paragraphe 113(5) est une exception à la règle générale. Comme en font preuve les procès-verbaux des délibérations du Sénat et de la Chambre des communes, le paragraphe a été adopté pour permettre aux compagnies de chemin de fer d'exiger un prix non compensatoire à condition qu'il n'y ait pas de réduction notable de la concurrence et qu'un concurrent n'en ait pas subi un préjudice notable.

Sans effectuer l'analyse nécessaire qui lui aurait permis de déterminer le sens des mots, l'Office a prononcé comme une incantation rituelle les mots utilisés au paragraphe 113(5), et en est arrivé ainsi à fonder sa décision sur une interprétation erronée de ce paragraphe puisqu'il a omis d'évaluer correctement si le prix non compensatoire exigé par l'intimé CN avait l'effet immédiat ou éventuel de réduire notablement la concurrence ou de nuire notablement à un concurrent sur le marché pertinent ou avait été conçu pour produire un tel effet.

VIII. Conclusion

Je répondrais par l'affirmative à la question posée dans l'ordonnance autorisant l'appel, j'annulerais la décision de l'Office et je renverrais la plainte des appelantes devant une formation différente de l'Office, pour qu'elle soit réexaminée en conformité avec les présents motifs.

Compte tenu de cette conclusion, je suis d'avis qu'il n'est pas nécessaire de décider si la substitution d'un taux compensatoire, s'il y a lieu, devrait avoir un effet rétroactif.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Hugessen, J.C.A.:

Introduction

Il s'agit d'un appel interjeté sur permission à l'encontre d'une décision de l'Office national des transports prise à l'issue d'une enquête effectuée aux termes de l'article 113 de la Loi de 1987 sur les transports nationaux2626 L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 28. par suite d'une plainte déposée par Upper Lakes Group Inc. (ci-après ULS) et d'autres alléguant que la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (ci-après le CN) a violé l'article 112 de cette Loi. Les articles 112 et 113 sont reproduits ci-dessous:

112. (1) Dans le présent article et à l'article 113, on entend par "prix" le prix net"déterminé après déduction de tout rabais, réduction ou allocation établie dans un prix convenu, un tarif ou un contrat confidentiel"qui est:

a) soit un prix convenu ou un prix contenu dans un tarif ou un contrat confidentiel;

b) soit fixé par règlement ou de la manière réglementaire par l'Office en application de l'alinéa 152(4)b) ou établi à titre de prix de ligne concurrentiel.

(2) Les prix doivent être compensatoires.

(3) Un prix est réputé compensatoire s'il est supérieur au coût variable, déterminé par l'Office, du transport visé.

(4) Pour la détermination, aux fins du paragraphe (3), du coût variable du transport effectué par une compagnie de chemin de fer, l'Office;

a) peut, sous réserve des alinéas b) et c) et des règlements d'application de l'article 349 de la Loi sur les chemins de fer, inclure ou exclure les articles ou facteurs relatifs aux frais qu'il estime indiqués;

b) doit calculer les coûts du capital dans tous les cas en utilisant tels frais qu'il a jugés convenables pour la section canadienne du rail de Canadien Pacifique Limitée;

c) doit utiliser les frais propres à ce transport, si ces frais sont disponibles ou, s'ils ne le sont pas, utiliser les frais disponibles qui sont liés le plus directement à ce transport.

113. (1) Sur réception d'une plainte à l'effet qu'un prix n'est pas compensatoire, l'Office mène l'enquête qu'il estime indiquée relativement à ce prix.

(2) L'Office peut, en tout temps avant la fin de l'enquête menée en application du paragraphe (1), prendre un arrêté intérimaire en vertu du paragraphe (5).

(3) L'Office peut, dans le cadre de l'enquête prévue par le paragraphe (1), obliger la compagnie de chemin de fer visée à lui fournir, dans le délai précisé par lui, les renseignements qu'il estime nécessaires pour déterminer si le prix est compensatoire.

(4) Dans les cas où la compagnie omet de fournir les renseignements exigés en application du paragraphe (3) dans le délai précisé, l'Office peut utiliser les estimés de frais qu'il considère fondés pour déterminer si les prix exigés par la compagnie sont compensatoires.

(5) Après la fin de l'enquête menée en application du paragraphe (1) et dans les quatre-vingt-dix jours suivant la réception de la plainte, l'Office détermine si le prix visé par la plainte est compensatoire et, s'il détermine qu'il n'est pas compensatoire, par arrêté, il rejette le prix et oblige la compagnie à y substituer un prix compensatoire, sauf si la compagnie le convainc que le prix n'a pas l'effet, immédiat ou éventuel, de réduire notablement la concurrence ou de nuire notablement à un concurrent et qu'il n'était pas conçu pour produire un tel effet.

L'appel devant la Cour ne peut porter que sur les questions de droit ou de compétence:

65. (1) Tout acte"décision, arrêté, règle ou règlement"de l'Office est susceptible d'appel devant la Cour d'appel fédérale sur une question de droit ou de compétence avec l'autorisation de la cour sur demande présentée dans le mois suivant la date de l'acte ou dans le délai supérieur accordé par un juge de la cour en des circonstances spéciales, après notification aux parties et à l'Office et audition de ceux d'entre eux qui comparaissent et désirent être entendus.

La Cour, en autorisant le pourvoi, a formulé une seule question de droit dans les termes suivants:

[traduction] La décision de l'Office se fonde-t-elle sur une interprétation erronée du paragraphe 113(5) de la Loi de 1987 sur les transports nationaux? [Dossier d'appel, vol. II, page 274.]

Contexte

La Société canadienne de sel Limitée (ci-après la SCS), située à Windsor (Ontario), expédie de très grandes quantités de sel fin (environ 270 000 tonnes par année) destiné à des transformations chimiques à sa cliente ICI"Secteur forestier (ci-après ICI) à Bécancour (Québec). Depuis le début des années 1980, le sel est expédié par bateau pendant la saison de navigation de la voie maritime du Saint-Laurent et par rail pendant les mois d'hiver quand la voie maritime est fermée. Au début, SCS payait les frais de transport et vendait le sel à ICI, frais de livraison compris. En avril 1993, le CN a négocié un contrat confidentiel avec ICI portant sur le transport de la totalité du sel fin d'ICI pour une période de trois ans. Aux termes de ce contrat, le prix d'achat du sel exclut les frais de livraison et ICI assume la totalité des frais d'expédition de Windsor à Bécancour par rail. ULS, qui assurait auparavant le transport maritime de la majeure partie de cette marchandise, a donc perdu la totalité de ce trafic au profit du CN.

En juillet 1993, ULS a déposé une plainte auprès de l'Office alléguant que le prix fixé par le CN n'était pas compensatoire, contrairement aux prescriptions du paragraphe 112(2). Les trois syndicats représentant les employés d'ULS et des entreprises représentant le port et les services de débardage à Bécancour se sont joints à cette plainte. À l'audition de l'appel devant la Cour, des interventions ont également été déposées par la Commission du port de Windsor, l'Administration de la voie maritime du Saint- Laurent, l'International Association of Great Lakes Ports, l'Association canadienne du camionnage, la Chambre de commerce maritime et l'Association des armateurs canadiens.

Après avoir reçu les mémoires des parties intéressées, l'Office a conclu que le prix fixé par le CN pour le transport du sel fin entre Windsor et Bécancour était inférieur au coût variable, déterminé par l'Office, du transport visé et, par conséquent, qu'il s'agissait d'un prix non compensatoire au sens de l'article 112. Aucune demande n'a été présentée en vue d'obtenir l'autorisation d'interjeter appel contre cette décision. Comme il s'agit d'une question de fait, la décision est, aux termes du paragraphe 37(3) de la Loi, "définitive".

L'Office a ensuite demandé aux parties de lui soumettre leurs observations écrites sur l'ordonnance appropriée qui devrait être rendue aux termes du paragraphe 113(5), précité. Après avoir examiné les mémoires déposés, l'Office a rendu la décision contestée en l'espèce. Les paragraphes pertinents de cette décision sont reproduits ci-dessous:

[tra duction] [1] Le paragraphe 113(5) de la LTN de 1987 exige que la compagnie, en l'espèce le CN, convainque l'Office que le prix du transport du sel fin entre Windsor et Bécancour n'a pas l'effet, immédiat ou éventuel, de réduire notablement la concurrence ou de nuire notable- ment à un concurrent, en l'espèce ULS, et qu'il n'a pas été conçu pour produire un tel effet.

[2] Dans son argumentation, le CN fait valoir que: "Upper Lakes Shipping et le Canadien national ne sont pas de véritables concurrents, mais plutôt des transporteurs qui font des offres de prix à leur client respectif". L'Office est d'avis que, lorsque deux entreprises rivales s'efforcent d'aller chercher le plus grand nombre possible de contrats en faisant des concessions au niveau du prix et du service, ces deux entreprises sont véritablement en concurrence. La question, toutefois, est de savoir si l'une de ces entreprises a conçu un prix assez bas pour évincer l'autre du marché.

[3] Les plaignantes citent des statistiques qui indiquent que le CN détient maintenant la totalité du marché du sel fin d'ICI et qu'ULS a perdu 30 pour cent de son trafic global de sel, laissant entendre que le sel fin est un élément important du traffic d'ULS. Le CN allègue, toutefois, que sur la totalité du transport combiné du sel par rail et par mer, la part du transport par rail était de 16 pour cent en 1991 et que le sel qui fait l'objet de cette plainte ne compte que pour un pour cent du trafic global d'ULS, ce qui n'est pas une part importante.

[4] Compte tenu du fait que les statistiques sur les volumes, dont il est question ci-dessus, indiquent que le trafic du sel ne représente qu'un faible pourcentage du trafic global d'ULS, l'Office conclut que le CN l'a convaincu que le prix qu'il exige n'a pas nui notablement à ULS. Les arguments soulevés par les plaignantes ayant trait à la perte du trafic de retour d'ULS ne sont pas pertinents en l'espèce et n'ont donc pas été pris en compte.

[5] En outre, après avoir examiné la preuve, l'Office conclut que le CN n'a pas conçu ses prix pour le transport du sel de Windsor à Bécancour en vue d'évincer ULS du marché et, ultérieurement, augmenter ses prix à un niveau supérieur à celui de la concurrence afin de recouvrer les pertes subies. ULS continue d'expédier approximativement 70 pour cent du sel de SCS sous forme de gros sel. La concurrence n'a pas été affaiblie, comme l'atteste le fait qu'ULS est toujours présente sur le marché du transport. Si, à quelque moment que ce soit, le CN augmente ses prix au-delà des niveaux concurrentiels, ULS sera alors en mesure de reprendre sa part de marché. En outre, si le prix offert à ICI est supérieur à celui de la concurrence, celle-ci pourra, au moment de renégocier son contrat, rechercher les meilleurs prix offerts sur le marché parmi les différents modes de transport, et ULS aura alors la possibilité de récupérer sa part de marché. L'existence d'une telle concurrence empêchera à l'avenir le CN de hausser ses prix au-delà des niveaux concurrentiels. Par conséquent, l'Office conclut que le CN n'a pas intentionnellement conçu ses prix pour qu'ils aient l'effet immédiat ou éventuel de réduire notablement la concurrence ou de nuire notablement à un concurrent. [Dossier d'appel, vol. I, page 16; les paragraphes ont été numérotés pour faciliter la consultation.]

Position des appelantes

D'après mon interprétation, les arguments des appelantes attaquent cette décision sur quatre points:

1) l'Office a imposé un critère trop élevé et s'est posé la mauvaise question quand il s'est demandé si le prix était "assez bas pour évincer l'autre du marché" (paragraphe 2 de la décision précitée);

2) l'Office a commis une erreur en définissant le marché d'une façon si large qu'il englobe des éléments autres que le transport du sel fin entre Windsor et Bécancour (paragraphes 3, 4 et 5 de la décision précitée);

3) l'Office a commis une erreur dans son évaluation du préjudice notable en tenant compte "du trafic global" d'ULS et en refusant de tenir compte de la perte du trafic de retour (paragraphe 4 de la décision précitée); et

4) l'Office a commis une erreur en refusant d'examiner le préjudice causé aux appelantes autres qu'ULS et aux différentes intervenantes qui fournissent des services à ULS et dont le chiffre d'affaires a baissé à cause de la perte de trafic qu'a subie ULS.

Norme de contrôle

Il importe tout d'abord de déterminer la norme de contrôle que doit appliquer la Cour dans un appel interjeté à l'encontre d'une décision de l'Office. Deux arrêts récents de la Cour suprême du Canada traitent directement de cette question. Il s'agit de Bell Canada c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes)2727 [1989] 1 R.C.S. 1722. et Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers)28 28 [1994] 2 R.C.S. 557. .

(Un arrêt encore plus récent, Société Radio-Canada c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 R.C.S. 157 traite également de la question, mais sous l'angle du contrôle judiciaire plutôt que dans le contexte d'un appel prévu par la loi.)

Le passage suivant tiré des motifs du juge Iacobucci dans l'arrêt Pezim, précité [aux pages 590 et 591], reprenant les motifs du juge Gonthier dans l'arrêt Bell Canada, précité, résume l'état actuel du droit:

Compte tenu du grand nombre de facteurs pertinents pour la détermination de la norme de contrôle applicable, les tribunaux ont élaboré toute une gamme de normes allant de celle de la décision manifestement déraisonnable à celle de la décision correcte. Les tribunaux ont également formulé un principe de retenue judiciaire qui s'applique à l'égard non seulement des faits constatés par le tribunal, mais aussi des questions de droit dont le tribunal est saisi en raison de son rôle et de son expertise. Pour ce qui est des décisions manifestement déraisonnables, qui appellent la plus grande retenue, ce sont les cas où un tribunal protégé par une véritable clause privative rend une décision relevant de sa compétence et où il n'existe aucun droit d'appel prévu par la loi. Voir les arrêts Le Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. La Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, à la p. 1089 (Bibeault), et Domtar Inc. c. Québec (Commission d'appel en matière de lésions professionnelles), [1993] 2 R.C.S. 756.

Quand aux décisions correctes où l'on est tenu à une moins grande retenue relativement aux questions juridiques, ce sont les cas où les questions en litige portent sur l'interprétation d'une disposition limitant la compétence du tribunal (erreur dans l'exercice de la compétence) ou encore les cas où la loi prévoit un droit d'appel qui permet au tribunal siégeant en révision de substituer son opinion à celle du tribunal, et où le tribunal ne possède pas une expertise plus grande que la cour de justice sur la question soulevée, par exemple dans le domaine des droits de la personne. Voir les arrêts Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [1992] 2 R.C.S. 321; Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, et Université de la Colombie-Britannique c. Berg, [1993] 2 R.C.S. 353.

Le présent pourvoi se situe entre ces deux extrêmes. D'une part, il existe en l'espèce un droit d'appel conformément à l'art. 149 de la Loi. D'autre part, il s'agit d'un appel contre la décision d'un tribunal très spécialisé sur une question qui, peut-on soutenir, touche directement le mandat et l'expertise que lui confère le texte réglementaire.

L'arrêt de notre Cour Bell Canada c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 1 R.C.S. 1722 (Bell Canada), est tout particulièrement utile en l'espèce puisqu'il portait sur un droit d'appel prévu par la loi plutôt que sur une demande de contrôle judiciaire. Le juge Gonthier, s'exprimant au nom de notre Cour, affirme, aux pp. 1745 et 1746:

Il va de soi que la compétence d'un tribunal saisi d'un appel est beaucoup plus large que celle d'un tribunal qui exerce un contrôle judiciaire. En principe, le tribunal saisi d'un appel a le droit d'exprimer son désaccord avec le raisonnement du tribunal d'instance inférieure.

Toutefois, dans le contexte d'un appel prévu par la loi d'une décision d'un tribunal administratif, il faut de plus tenir compte du principe de la spécialisation des fonctions. Bien qu'un tribunal d'appel puisse être en désaccord avec le tribunal d'instance inférieure sur des questions qui relèvent du pouvoir d'appel prévu par la loi, les tribunaux devraient faire preuve de retenue envers l'opinion du tribunal d'instance inférieure sur des questions qui relèvent parfaitement de son champ d'expertise.

Par conséquent, même lorsqu'il n'existe pas de clause privative et que la loi prévoit un droit d'appel, le concept de la spécialisation des fonctions exige des cours de justice qu'elles fassent preuve de retenue envers l'opinion du tribunal spécialisé sur des questions qui relèvent directement de son champ d'exercice. [Souligné dans l'original.]

Puisque nous avons affaire à un tribunal hautement spécialisé dont les décisions, définitives lorsqu'elles portent sur des questions de fait, ne sont susceptibles d'être portées en appel que lorsqu'elles traitent de questions de droit ou de compétence, je conclus que la norme applicable est celle de la décision correcte atténuée par la retenue qu'il convient d'exercer à l'égard de l'expérience et du champ d'expertise d'un tribunal administratif supérieur dans l'interprétation et l'application d'une disposition de sa loi habilitante ne portant pas sur l'exercice de sa compétence.

En gardant cette norme à l'esprit, j'aborde maintenant les arguments des appelantes.

Le critère utilisé par l'Office

Selon mon interprétation de la décision contestée, l'Office, en se demandant si le prix du CN était assez bas pour évincer ULS du marché, cherchait à déterminer si le prix du CN avait l'effet immédiat ou éventuel de réduire notablement la concurrence. Les appelantes laissent entendre que l'Office a également utilisé ce critère pour déterminer si un préjudice notable avait été causé, mais je ne pense pas que cela puisse être le cas compte tenu de la façon dont l'Office a traité de cette dernière question au paragraphe 4 de l'extrait de sa décision, cité ci-dessus, traitement qui, il est utile de le noter, est également contesté par les appelantes pour d'autres motifs.

Selon mon interprétation, en contestant le critère appliqué à la question de la concurrence, les appelantes prétendent que ce critère place la barre trop haut et qu'il peut y avoir une diminution notable de la concurrence qui n'aurait pas nécessairement pour effet immédiat ou éventuel d'évincer un concurrent du marché. À mon avis, cet argument ne tient pas compte du contexte dans lequel se trouve le paragraphe 113(5) ni de l'objectif recherché par le législateur.

Avant l'adoption de la Loi de 1987 sur les transports nationaux, les tarifs ferroviaires étaient réglementés par le prédécesseur de l'Office, la Commission canadienne des transports. L'obligation d'établir des taux compensatoires se trouvait à l'article 285 de la Loi sur les chemins de fer2929 L.R.C. (1985), ch. R-3. et le redressement approprié était énoncé à l'article 286:

286. (1) La Commission peut rejeter tout taux de transport de marchandises qu'elle estime, après enquête, n'être pas compensatoire.

(2) Lorsque la Commission reçoit, par plainte ou autrement, des renseignements contenant certains éléments de preuve tendant à établir qu'un taux de transport de marchandises indiqué dans un tarif déposé à la Commission n'est pas compensatoire, elle doit mener une enquête pour déterminer si ce taux est compensatoire et, dans tout autre cas, la Commission peut, de son propre chef, mener une telle enquête.

Il n'y a, dans ce texte, aucun élément qui permette de le relier à la politique relative à la concurrence. En fait, dans un contexte de pleine réglementation, on pourrait très bien imaginer une situation dans laquelle l'obligation d'établir des taux compensatoires puisse être invoquée par les compagnies de chemin de fer elles-mêmes pour justifier une demande d'augmentation des taux adressée aux autorités de réglementation.3030 Voir l'arrêt Cie des chemins de fer nationaux c. Handyside et autres (1994), 170 N.R. 353 (C.A.F.), dans lequel une compagnie de chemin de fer a tenté d'invoquer le paragraphe 112(2) dans un cas d'arbitrage.

L'adoption de la Loi de 1987 sur les transports nationaux a radicalement modifié la politique en matière de prix et de concurrence dans l'industrie des transports. Cette modification a été brièvement décrite par le juge Linden, J.C.A., dans l'arrêt Canadien Pacifique Ltée. c. Canada31 31 [1992] 3 C.F. 145 (C.A.), à la p. 150. :

Il convient de remarquer que cette politique révèle de nouvelles particularités qui, notamment, encouragent la concurrence dans le transport ferroviaire, soulignent que la concurrence et les forces du marché sont les principaux facteurs d'un système de transport efficace, et protègent les expéditeurs sans restreindre la concurrence entre transporteurs. Avant l'adoption de cette Loi en 1987, la réglementation des tarifs ferroviaires était plus rigide, plus publique, et les prix étaient établis collectivement. Depuis l'adoption de la nouvelle Loi, l'établissement des tarifs ne se fait plus collectivement et publiquement dans tous les cas; les négociations peuvent être individuelles et confidentielles. Des rabais et des prix spéciaux, interdits auparavant, sont désormais accordés, et on a donné au système plus de flexibilité.

La Loi elle-même énonce en détail la politique canadienne des transports à l'article 3 dans les termes suivants:

3. (1) Il est déclaré que, d'une part, la mise en place d'un réseau sûr, rentable et bien adapté de services de transport viables et efficaces, accessibles aux personnes ayant une déficience, utilisant au mieux et aux moindres frais globaux tous les modes de transport existants, est essentielle à la satisfaction des besoins des expéditeurs et des voyageurs"y compris des personnes ayant une déficience"en matière de transports comme à la prospérité et à la croissance économique du Canada et de ses régions, d'autre part, ces objectifs ont le plus de chances de se réaliser en situation de concurrence, dans et parmi les divers modes de transport, entre tous les transporteurs, à condition que, compte dûment tenu de la politique nationale et du contexte juridique et constitutionnel:

a) le réseau national des transports soit conforme aux normes de sécurité les plus élevées possible dans la pratique;

b) la concurrence et les forces du marché soient, chaque fois que possible, les principaux facteurs en jeu dans la prestation de services de transport viables et efficaces;

c) la réglementation économique des transporteurs et des modes de transport se limite aux services et aux régions à propos desquels elle s'impose dans l'intérêt des expéditeurs et des voyageurs, sans pour autant restreindre abusivement la libre concurrence entre transporteurs ou modes de transport;

d) les transports soient reconnus comme un facteur primordial du développement économique régional et que soit maintenu un équilibre entre les objectifs de rentabilité des liaisons de transport et ceux de développement économique régional en vue de la réalisation du potentiel économique de chaque région;

e) chaque transporteur ou mode de transport supporte, dans la mesure du possible, une juste part du coût réel des ressources, installations et services mis à sa disposition sur les fonds publics;

f) chaque transporteur ou mode de transport soit, dans la mesure du possible, indemnisé, de façon juste et raisonnable, du coût des ressources, installations et services qu'il est tenu de mettre à la disposition du public;

g) les liaisons assurées en provenance ou à destination d'un point du Canada par chaque transporteur ou mode de transport s'effectuent, dans la mesure du possible, à des prix et selon des modalités qui ne constituent pas:

(i) un désavantage injuste pour les autres liaisons de ce genre, mis à part le désavantage inhérent aux lieux desservis, à l'importance du trafic, à l'ampleur des activités connexes ou à la nature du trafic ou du service en cause,

(ii) un obstacle abusif à la circulation, des personnes, y compris les personnes handicapées,

(iii) un obstacle abusif à l'échange des marchandises à l'intérieur du Canada,

(iv) un empêchement excessif au développement des secteurs primaire ou secondaire, aux exportations du Canada ou de ses régions, ou au mouvement des marchandises par les ports canadiens.

Il est en outre déclaré que la présente loi vise à la réalisation de ceux de ces objectifs qui portent sur les questions relevant de la compétence législative du Parlement en matière de transports.

Je note tout particulièrement la très grande importance que cette politique accorde à la concurrence. Je note également que, presque simultanément à la Loi de 1987 sur les transports nationaux, le Parlement a adopté la Loi sur la concurrence, dans laquelle la politique canadienne sur la concurrence a été révisée et mise à jour; l'objet de cette Loi est énoncé très clairement de la manière suivante32 32 L.R.C. (1985), ch. C-34 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19, art. 19), art. 1.1 (édicté, idem). :

1.1 La présente loi a pour objet de préserver et de favoriser la concurrence au Canada dans le but de stimuler l'adaptabilité et l'efficience de l'économie canadienne, d'améliorer les chances de participation canadienne aux marchés mondiaux tout en tenant simultanément compte du rôle de la concurrence étrangère au Canada, d'assurer à la petite et à la moyenne entreprise une chance honnête de participer à l'économie canadienne, de même que dans le but d'assurer aux consommateurs des prix compétitifs et un choix dans les produits.

La Loi sur la concurrence renferme également certaines dispositions concernant l'établissement de prix d'éviction dont le texte anglais est remarquablement similaire à celui du paragraphe 113(5) de la Loi de 1987 sur les transports nationaux. L'alinéa 50(1)c) est reproduit ci-dessous:

50. (1) Commet un acte criminel et encourt un emprisonnement maximal de deux ans toute personne qui, s'adonnant à une entreprise, selon le cas:

. . .

c) se livre à une politique de vente de produits à des prix déraisonnablement bas, cette politique ayant pour effet ou tendance de sensiblement réduire la concurrence ou éliminer un concurrent, ou étant destinée à avoir un semblable effet.

Selon moi, l'Office a, à bon droit, interprété le texte du paragraphe 113(5) de façon que son objet s'accorde avec celui de la législation canadienne en matière de concurrence, plus particulièrement pour ce qui concerne l'établissement de prix d'éviction. Un peu moins d'un an avant la décision contestée en l'espèce, l'Office a énoncé et expliqué plus en détail le critère qu'il a utilisé dans une autre de ses décisions, soit la décision 705-R-1992, en date du 26 novembre 1992, dans les termes suivants:

[traduction] Le paragraphe 113(5) de la LTN de 1987 établit un critère spécifique à chaque secteur d'activité qui permet de déterminer si les prix sont "abusifs" ou "anti-concurrentiels". Pour illustrer un cas type de pratique de prix abusifs ou prix d'éviction, prenons un transporteur dominant un marché particulier qui fixe des prix si bas que, sur une période suffisamment longue, il force un ou plusieurs de ses concurrents à abandonner le marché et empêche d'autres transporteurs de s'y implanter. Une fois la concurrence éliminée, et en l'absence de toute menace de nouveaux concurrents, le "prédateur" hausse ses prix à des niveaux supérieurs à la concurrence, et recouvre ainsi toutes les pertes qu'il a subies quand ses prix étaient inférieurs à ses coûts. [À la page 4.]

Cette interprétation de l'objet du critère est remarquablement semblable à celle qui est énoncée dans les directives émises par le directeur3333 Voir The 1995 Annotated Competition Act, Robert S. Nozick. Édition 1995 préparé par Peter Monastyrskyj. Carswell, 1995, à la p. 345. :

[traduction] La meilleure façon d'illustrer la notion de prix d'éviction est la suivante: une entreprise dominant un marché fixe ses prix tellement bas, sur une période suffisamment longue, qu'elle force un ou plusieurs de ses concurrents à abandonner le marché, ou empêche d'autres compagnies d'y accéder, ou les deux. Une fois que tous les concurrents se sont retirés du marché, ou qu'il a réussi à empêcher d'autres concurrents d'y entrer, le "prédateur" augmente ses prix de façon importante afin de récupérer, sur le marché moins concurrentiel qu'il a créé, les coûts engagés (c'est-à-dire les pertes ou le manque à gagner) pendant la période où ses prix étaient abusifs.

C'est précisément ce type de conduite que le directeur cherche à déceler dans les cas qui lui sont soumis pour examen en vertu de la loi. Bien que les acheteurs retirent initialement certains avantages de ces prix d'éviction, ces avantages ne sont que temporaires ou de courte durée et, au bout du compte, ils sont largement absorbés par l'augmentation des prix destinée à recouvrer les pertes.

La position de l'Office est tout à fait conforme aux opinions judiciaires exprimées sur la question. Dans l'arrêt R. v. Hoffmann-La Roche Limited.3434 (1980), 28 O.R. (2d) 164 (H.C.), à la p. 192. , le juge [ho]Linden, maintenant de notre Cour, dit ceci:

[traduction] Cet article vise à combattre les pratiques de prix d'éviction. L'exemple classique qui est donné pour illustrer l'effet nuisible de la fixation de prix d'éviction est le suivant: une entreprise, le "prédateur", décide de vendre son produit à un très bas prix afin de mettre son concurrent en faillite, parce que ce concurrent ne peut pas ou ne veut pas vendre à un prix aussi bas. Si le concurrent est éliminé du marché, le "prédateur" peut ensuite augmenter ses prix, recouvrer les pertes qu'il a subies à cause de cette pratique de prix abusifs et réaliser des profits plus importants, parce que son ancien concurrent a quitté la scène.

Bien que l'application de tactiques semblables puisse révéler, en certaines circonstances, un judicieux sens des affaires, le législateur a décidé d'interdire ces pratiques parce qu'il est de l'intérêt public d'avoir un système laissant libre cours à une saine et juste concurrence.

De même, dans l'arrêt R. v. Consumers Glass Company Ltd. and Portion Packaging3535 (1981), 33 O.R. (2d) 228 (H.C.), aux p. 246 et 247. , le juge O'Leary déclare ceci:

[traduction] L'alinéa 34(1)c) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions interdit les politiques de vente à des prix déraisonnablement bas, ayant pour effet ou tendance de réduire sensiblement la concurrence ou d'éliminer un concurrent, ou étant destinées à avoir un semblable effet. La Loi ne définit pas spécifiquement ce qu'est un prix déraisonnablement bas. En décidant si un prix est déraisonnablement bas, la Cour doit garder à l'esprit que l'objet de la Loi est de protéger la libre concurrence dans l'intérêt public, et aussi le fait que l'alinéa 34(1)c) de la Loi interdit la fixation de prix abusifs, c'est-à-dire la vente à bas prix à des fins anticoncurrentielles. Comme je l'ai déjà mentionné, l'exemple classique d'une pratique de prix abusifs est le suivant:

(1) Le "prédateur" renonce tout d'abord délibérément à ses profits en abaissant son prix de vente en vue d'évincer ses rivaux du marché.

(2) Les rivaux, moins stables financièrement que le "prédateur", sont éliminés du marché.

(3) En l'absence de concurrence, le "prédateur" augmente ses prix de façon à recouvrer les profits auxquels il a renoncé et à s'assurer des profits plus élevés.

Enfin, je note (bien que cet aspect ne puisse pas être déterminant si l'Office a commis une erreur de droit) que le critère qu'il a utilisé est en fait suggéré dans certains des documents déposés par les appelantes elles-mêmes devant l'Office:

[traduction] Par conséquent, nous soutenons qu'il est hautement probable que les prix fixés par le Canadien National aient pour effet d'éliminer la concurrence du marché, de sorte qu'il sera ultimement en mesure d'augmenter ses tarifs marchandises pour le transport du sel et recouvrer ainsi les pertes qu'il subit actuellement. [Dossier d'appel, vol. II, page 241.]

Même pris isolément, les termes du paragraphe 113(5) pourraient difficilement avoir un sens différent de celui qui leur est donné par l'Office. Après tout, le gâchage des prix est souvent le signe d'une concurrence vigoureuse, plutôt que son contraire. C'est uniquement lorsque les bas prix font partie d'une stratégie monopolistique qu'ils deviennent anticoncurrentiels.

Quand on lit les articles 112 et 113 en fonction de l'objet visé, en tenant compte de l'historique législatif et dans le contexte de la politique des transports énoncée dans la Loi et de la politique relative à la concurrence énoncée dans les lois adoptées à la même époque, je suis d'avis que l'interprétation que leur a donnée l'Office est la seule interprétation qui soit correcte.

Définition du marché

En guise de préliminaire, je tiens à faire observer qu'à mon avis l'à-propos de cette question soulevée par les appelantes est très discutable. Comme on l'a déjà noté, l'appel devant la Cour n'est autorisé que sur une question de droit. Cette question se limite à l'interprétation du paragraphe 113(5). Le mot "marché" n'apparaît nulle part dans ce paragraphe ni ailleurs dans les articles 112 ou 113.

Qui plus est et encore plus important, je suis d'avis que l'autorisation d'appel n'aurait pas pu être obtenue sur cette question. À mon avis, le fait que la définition du marché dans des cas semblables à celui en l'espèce soit une question de fait et non une question de droit est maintenant bien établi en droit. Dans l'arrêt Queen, The v. J. W. Mills & Son Ltd. et al.3636 [1968] 2 R.C.É. 275; confirmé par [1971] R.C.S. 63. , le juge Gibson affirme, à la page 305 ce qui suit:

[traduction] Bien entendu, du point de vue juridique, il n'y a pas de définition du "marché" au regard de laquelle on puisse examiner la preuve d'une allégation portant que les alinéas 32(1)a ) et 32(1)c) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions ont été violés. La définition du marché pertinent est, dans chaque cas, une question de jugement se fondant sur la preuve. [Non souligné dans l'original.]

De même, dans l'appel interjeté à l'encontre de la décision dans Hoffmann-La Roche, précité37 37 R. v. Hoffmann-La Roche Limited. (Nos. 1 et 2) (1981), 33 O.R. (2d) 694 (C.A.), à la p. 706. , le juge Martin, J.C.A., dit ceci:

[traduction] La définition du marché pertinent est essentiellement une question de fait qui dépend des circonstances particulières au délit allégué. [Non souligné dans l'original.]

Même en supposant que cette question ait été soulevée à bon droit, elle est à mon avis sans fondement. Selon mon interprétation, l'argument des appelantes se fonde sur la référence qui est faite aux paragraphes 3, 4 et 5 de la décision au transport de marchandises autres que le sel fin entre Windsor et Bécancour. Elles prétendent qu'il s'agit là d'une erreur à cause de la directive contenue au paragraphe 112(3), ayant trait au "transport visé", et de celle énoncée à l'alinéa 112(4)c ) concernant l'utilisation des frais propres "à ce transport" ou liés le plus directement à ce transport.

Je ne peux accepter cet argument. En premier lieu, selon mon interprétation de la décision de l'Office, celui-ci fonde sa conclusion selon laquelle le prix du CN n'a pas réduit notablement la concurrence non seulement sur le fait qu'ULS "est toujours présente sur le marché du transport", mais aussi sur une conclusion de fait précise indiquant que si les prix sont augmentés ultérieurement "ULS sera alors en mesure de reprendre sa part de marché". À mon avis, il ne fait aucun doute que cette dernière expression fait référence au transport du sel fin entre Windsor et Bécancour.

Je fais de plus observer qu'à mon avis l'argument des appelantes se fonde sur une mauvaise interprétation de la loi. Les références contenues au paragraphe 112(3) et à l'alinéa 112(4)c) au "transport" visé font partie d'une directive spécifiquement donnée à l'Office concernant la méthode à utiliser pour déterminer la nature compensatoire ou non compensatoire du prix ; ces références n'ont rien à voir avec la définition du marché pertinent qui, comme je l'ai déjà dit, n'est pas un terme utilisé dans la loi. La décision portant sur la manière de définir le marché afin d'évaluer si la concurrence a été réduite de façon notable est une décision qui relève particulièrement du champ d'expertise et des connaissances de l'Office; ce tribunal est beaucoup mieux placé que la Cour pour évaluer l'incidence des prix sur la concurrence à l'intérieur d'un marché aussi bien qu'entre différents marchés et modes de transport. En fait, il est même possible, étant donné l'interrelation complexe qui existe entre les modes de transport, les prix, les parcours et les secteurs des marchés des transports, qu'un prix non compensatoire pour un mode de transport ou un parcours donné puisse avoir un effet anticoncurrentiel sur un autre marché. De toute évidence, la loi ne contient aucune directive ou restriction quant à la manière dont l'Office doit exercer son jugement à cet égard et je me garderai d'intervenir.

Préjudice notable

Les appelantes contestent la conclusion de l'Office selon laquelle le prix du CN n'a pas causé de préjudice notable à ULS au motif que l'Office a commis une erreur en comparant le transport du sel fin au "trafic global d'ULS". (paragraphe 4 de la décision). Elles contestent également le refus de l'Office d'examiner la perte présumée du trafic de "retour".

Je pense que cet argument se fonde sur une mauvaise interprétation du paragraphe 113(5). À mon avis, ce paragraphe vise deux types distincts de dommages réels, possibles ou prévus. Le premier type de dommages est celui porté à l'objectif de la politique publique concernant l'exercice libre et efficace de la concurrence. Les mots utilisés sont "réduire notablement la concurrence" [soulignement ajouté]. Ils obligent l'Office à évaluer le prix à la lumière des conditions générales du marché et à déterminer si ce prix a ou non l'effet immédiat ou éventuel de réduire notablement la concurrence ou s'il a été conçu pour produire un tel effet.

Le deuxième critère est tout à fait différent et porte sur les intérêts privés des personnes qui peuvent subir un préjudice; la question est de savoir si le prix a l'effet immédiat ou éventuel de "nuire notablement à un concurrent". L'accent est placé sur le concurrent et son entreprise, et non pas simplement sur sa part du marché visé. Qu'un concurrent perde une très petite part d'un marché, même s'il s'agit là de l'ensemble de son activité commerciale sur ce marché particulier, ne signifie pas nécessairement qu'il subit un préjudice important; par contre, il peut arriver que, même si le concurrent n'a qu'une petite part du marché, la perte qu'il subit l'accule à la ruine. En fait, l'objectif visé étant de favoriser la concurrence, il est impossible que la loi puisse considérer chaque perte d'une activité commerciale attribuable à la fixation de prix inférieurs aux coûts comme une perte importante exigeant l'intervention d'un organisme de réglementation. À mon avis, l'Office n'a pas commis d'erreur en examinant l'incidence de la perte du transport du sel fin au regard du commerce global d'ULS et en concluant que cette perte n'était pas importante.

Le refus de l'Office d'examiner séparément la perte présumée du trafic de retour est tout à fait compatible avec la manière générale dont il a traité du préjudice notable. De plus, étant donné que la perte présumée du trafic d'ULS comprenait déjà le trafic de retour, il n'aurait pas été approprié d'en tenir compte une deuxième fois. J'ajouterais qu'ici encore nous traitons d'une question qui relève tout à fait du champ d'expertise de l'Office: la question de savoir si le transport du minerai de fer et d'autres minéraux du Bas-Saint-Laurent jusqu'aux ports situés sur les lacs Michigan et Supérieur peut véritablement être considéré comme un "trafic de retour" par rapport au transport du sel sur le trajet beaucoup plus court qui sépare Windsor de Bécancour, de même que les questions d'interfinancement possible entre les différents prix en cause, sont des questions que, selon toute attente, l'Office connaît très bien. Je ne suis pas convaincu que son refus d'examiner la perte du trafic de retour séparément de la perte du transport du sel fin se fonde sur une interprétation erronée du paragraphe 113(5).

Préjudice à autrui

Le préjudice visé au paragraphe 113(5) est le préjudice causé à un "concurrent". À mon avis, aucune des autres appelantes ou intervenantes, y compris les différents groupements d'intérêts et associations d'industrie, ne peut être considérée à juste titre comme une concurrente du CN. Aucune de ces personnes morales n'est un transporteur au sens de la Loi. Aucune d'entre elles n'offre directement de services de transport à autrui. Certaines de ces appelantes et intervenantes fournissent des services ou de la main-d'oeuvre à ULS, mais le préjudice qu'elles peuvent subir du fait que leur client ou leur employeur a perdu une partie de son activité commerciale est trop éloigné de l'objet visé par la loi.

Dispositif

Avant de conclure, je pense qu'il est approprié de traiter brièvement du redressement demandé par les appelantes et les intervenantes au cas où le pourvoi serait accueilli. Elles demandent que le taux du CN soit annulé rétroactivement et qu'ICI soit tenue de payer un prix compensatoire depuis le commencement. Je ne vois pas comment il me serait possible de justifier une telle ordonnance qui produirait des résultats paradoxaux et en fait bizarres: ICI subirait un préjudice, le CN en retirerait les avantages et les appelantes n'y gagneraient rien. Si j'avais accueilli l'appel, j'aurais tout simplement renvoyé la question à l'Office en lui donnant comme directive de rendre une ordonnance appropriée, c'est-à-dire pour l'avenir, en vertu du paragraphe 113(5); le délai de quatre-vingt-dix jours prévu au paragraphe 113(5) et le pouvoir de prendre un arrêté intérimaire énoncé au paragraphe 113(2) donnent fortement à entendre qu'il s'agit là du seul type d'arrêté prévu par le législateur.

Conclusion

Je rejetterais le pourvoi. Les parties n'ont invoqué aucune raison spéciale qui puisse justifier une ordonnance sur l'adjudication des dépens conformément à la Règle 1312 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663].

Le juge suppléant Chevalier: Je souscris à ces motifs.

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