[1995] 3 C.F. 131
T-2075-93
L’Association canadienne des quotidiens, Metroland Printing, Publishing& Distribution Ltd., Netmar Inc., et Les Messageries Publi-Maison Ltée (requérantes)
c.
La Société canadienne des postes (intimée)
Répertorié : Assoc. canadienne des quotidiens c. Société canadienne des postes (1re inst.)
Section de première instance, juge Cullen—Toronto, 16 mai; Ottawa, 19 juin 1995.
Postes — La distribution de matériel publicitaire sans adresse dans les boîtes aux lettres à serrure des immeubles d’habitation par Postes Canada n’est pas ultra vires la Loi et ses règlements — Cette activité est compatible avec la mission de Postes Canada puisqu’aucune disposition législative n’exige la mention d’une adresse précise sur un objet — L’accès exclusif aux boîtes aux lettres ne se limite pas à la livraison de lettres — Le législateur n’entendait pas empêcher Postes Canada de distribuer des objets autres que des lettres.
Concurrence — Postes Canada et les membres de l’Association canadienne des quotidiens exploitent chacun une entreprise de distribution d’imprimés publicitaires dans des immeubles d’habitation — Postes Canada jouit d’un avantage puisqu’elle exerce un contrôle d’origine législative sur les clés des boîtes aux lettres des immeubles d’habitation — S’agit-il d’un monopole illégal? — La Loi accorde à Postes Canada un monopole sur la distribution des « lettres » — Sens du mot « lettres » — Rien ne prouve que Postes Canada a illégalement étendu son monopole — Rien ne prouve que le refus de remettre les clés à des concurrents était fondé sur des visées anticoncurrentielles.
Compétence de la Cour fédérale — Section de première instance — Malgré son caractère quasi-commercial, Postes Canada est assujettie à la compétence de la Cour parce qu’elle fait partie de l’appareil décisionnel gouvernemental pouvant faire l’objet d’un contrôle — La Cour a compétence pour examiner les questions litigieuses étant donné que la décision d’accorder l’accès aux boîtes aux lettres à serrure des immeubles d’habitation constitue l’exercice d’un pouvoir dérivé d’un règlement et non pas simplement l’exercice de pouvoirs généraux de gestion.
La Société canadienne des postes distribue du matériel publicitaire non sollicité et sans adresse dans les boîtes aux lettres à serrure des immeubles d’habitation. Elle a la garde des clés qui donnent accès à ces boîtes aux lettres. Les requérantes distribuent également des feuillets publicitaires sans adresse comme encarts dans des journaux ou au moyen de différentes formes de couverture élargie du marché, notamment la distribution à domicile. Les requérantes soutiennent qu’elles sont dans une position désavantageuse dans le cas des immeubles d’habitation : elles doivent avoir la permission du propriétaire pour pénétrer dans un immeuble et laisser des feuillets dans l’entrée; elles ont rarement la permission de circuler dans les couloirs; on ne leur permet jamais d’avoir accès aux boîtes aux lettres de ces immeubles.
La principale question litigieuse consistait à savoir si Postes Canada a outrepassé les pouvoirs que lui confèrent la Loi sur la Société canadienne des postes et ses règlements en utilisant le contrôle d’origine législative qu’elle exerce sur les clés des boîtes aux lettres des immeubles d’habitation pour permettre à son personnel de distribuer des feuillets publicitaires sans adresse dans ces boîtes aux lettres. La compétence de la Cour pour examiner les actes accomplis par Postes Canada a été débattue en tant que question préliminaire.
Jugement : la demande doit être rejetée.
Postes Canada fait partie de l’appareil décisionnel gouvernemental et est visée par les articles 2 et 18 de la Loi sur la Cour fédérale. La décision de permettre l’accès aux boîtes aux lettres à serrure des immeubles d’habitation constitue l’exercice d’un pouvoir dérivé d’un règlement et non pas simplement l’exercice des pouvoirs généraux de gestion d’une personne morale quelconque.
Postes Canada n’a pas outrepassé la compétence qui lui est accordée par la Loi. Le Règlement sur les boîtes aux lettres lui confère le pouvoir de contrôler l’accès aux batteries de boîtes aux lettres pour la distribution du courrier. L’argument de la requérante voulant que les feuillets publicitaires sans adresse ne soient pas du « courrier » au sens où ce terme est défini dans le Règlement n’a pu être accepté. Le Règlement n’exige pas la mention d’une adresse précise sur un objet. Autrement, même des messages sans adresse émanant de députés, de sénateurs ou de ministères ne seraient pas du « courrier » et ne pourraient pas être distribués par Postes Canada dans les boîtes aux lettres des immeubles d’habitation. Par conséquent, Postes Canada n’a pas outrepassé sa compétence en donnant à ses employés accès aux boîtes aux lettres des immeubles d’habitation pour distribuer des feuillets sans adresse.
Aucun monopole illégal n’était exercé sur la distribution de feuillets sans adresse dans les boîtes aux lettres des immeubles d’habitation. L’article 14 de la Loi accorde à Postes Canada un monopole à l’égard du relevage, de la transmission et de la distribution des « lettres ». Les lettres sont non seulement les messages déposés dans une enveloppe sur laquelle une adresse est inscrite, mais aussi les objets qui sont adressés à un destinataire précis, par exemple les revues ou les cartes de crédit envoyées par la poste. Toutefois, même si Postes Canada a un monopole sur les lettres et les objets semblables aux lettres, rien ne permettait de conclure qu’il lui était interdit pour une raison ou une autre de livrer des objets autres que des lettres, ou qu’elle a illégalement élargi son monopole. L’argument des requérantes établissait des liens illogiques entre l’accès aux boîtes aux lettres et la distribution de feuillets publicitaires. Il est vrai que seule Postes Canada peut livrer des lettres et avoir accès aux boîtes aux lettres des immeubles d’habitation, mais ces deux privilèges ne sont pas liés; l’accès exclusif aux boîtes aux lettres ne saurait vouloir dire un accès exclusif pour la livraison des lettres seulement. Le législateur n’a jamais eu l’intention d’interdire à Postes Canada de distribuer des objets autres que des lettres.
Postes Canada n’a pas exercé illégalement les pouvoirs que lui confère la Loi dans un but illégitime, soit l’élimination de la concurrence que lui livrent ses rivaux du secteur privé dans le domaine de la distribution de feuillets sans adresse. Rien n’autorisait à conclure que le refus de Postes Canada de remettre les clés des boîtes aux lettres des immeubles d’habitation à des entreprises de distribution concurrentes était fondé sur des visées anticoncurrentielles. Le simple fait qu’il y avait un lien entre une activité légitime et un monopole n’établissait pas que ce monopole était exercé dans un but illégitime. Il y a trois raisons valables pour lesquelles Postes Canada a refusé de remettre les clés des boîtes aux lettres des immeubles d’habitation : (1) ce geste irait à l’encontre des attentes des clients, (2) il compromettrait la sécurité, et (3) Postes Canada n’est pas investie du pouvoir de donner accès à une propriété privée.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2 « office fédéral » (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1), 18 (mod., idem, art. 4), 18.1 (édicté, idem, art. 5).
Loi sur la Société canadienne des postes, S.C. 1980-81-82-83, ch. 54.
Loi sur la Société canadienne des postes, L.R.C. (1985), ch. C-10, art. 2 « envois » ou « courrier », « objets », 5, 14, 22, 23.
Règlement sur la définition de lettre, DORS/83-481, art. 2 « lettre ».
Règlement sur les boîtes aux lettres, DORS/83-743, art. 10 (mod. par DORS/86-105, art. 1; 87-567, art. 1), 11 (mod. par DORS/86-105, art. 2), 12 (mod., idem, art. 3), 13, annexe III.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Aeric, Inc. c. Président du conseil d’administration, Société canadienne des postes, [1985] 1 C.F. 127 (1985), 16 D.L.R. (4th) 686; 56 N.R. 289; (C.A.); Rural Dignity of Canada c. Société canadienne des postes (1991), 78 D.L.R. (4th) 211; 7 Admin. L.R. (2d) 242; 40 F.T.R. 255 (C.F. 1re inst.); conf. par (1992), 88 D.L.R. (4th) 191; 7 Admin. L.R. (2d) 242; 139 N.R. 203 (C.A.F.).
DISTINCTION FAITE AVEC :
R v Lewisham London BC, ex p Shell UK Ltd, [1988] 1 All E.R. 938 (Q.B.); Bailey v. Conole (1931), 34 W.A.L.R. 18 (S.C.); Yates (Arthur) & Co. Pty. Ltd. v. Vegetable Seeds Committee (1945), 72 C.L.R. 37 (H.C.).
DEMANDE de contrôle judiciaire de certains actes accomplis par Postes Canada relativement à la distribution d’imprimés publicitaires dans les boîtes aux lettres à serrure des immeubles d’habitation. Demande rejetée.
AVOCATS :
Neil Finkelstein et Mark C. Katz pour les requérantes.
Robert P. Armstrong et Michael A. Penny pour l’intimée.
PROCUREURS :
Blake, Cassels & Graydon, Toronto, pour les requérantes.
Tory Tory Deslauriers & Binnington, Toronto, pour l’intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par
Le juge Cullen : La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée conformément à l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, et ses modifications [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5]. Les requérantes demandent l’examen de certains actes accomplis par l’intimée, à savoir la Société canadienne des postes (Postes Canada), relativement à la distribution de matériel publicitaire non sollicité et sans adresse dans les boîtes aux lettres à serrure des immeubles d’habitation.
LES FAITS
L’Association canadienne des quotidiens (l’ACQ) est une organisation de services aux membres qui représente 82 des 108 quotidiens publiés au Canada. Les membres de l’ACQ distribuent des feuillets publicitaires sans adresse insérés dans des journaux aux abonnés de ces journaux. Ils distribuent également les mêmes feuillets à des non-abonnés en tant qu’objets uniques au moyen de différentes formes de couverture élargie du marché. Les autres requérantes exploitent diverses entreprises dont les activités consistent à distribuer des feuillets publicitaires sans adresse. Postes Canada est une société d’État constituée par le législateur en 1981 [Loi sur la Société canadienne des postes, S.C. 1980-81-82-83, ch. 54] pour exploiter un service postal répondant aux besoins de la population canadienne.
Trois grandes catégories de moyens de distribution se disputent actuellement la distribution des feuillets publicitaires sans adresse au Canada : les journaux (quotidiens et communautaires), les entreprises de distribution indépendantes et le service MÉDIAPOSTE sans adresse de Postes Canada.
La MÉDIAPOSTE sans adresse est l’un de trois types de services MÉDIAPOSTE offerts par Postes Canada. Les deux autres sont la « MÉDIAPOSTE avec adresse » et la « MÉDIAPOSTE Plus ». La MÉDIAPOSTE sans adresse—le seul type de service MÉDIAPOSTE visé par la présente espèce—se subdivise en deux options de distribution : le service à tarif économique et le service à tarif supérieur. La MÉDIAPOSTE sans adresse à tarif supérieur est distribuée par des facteurs en uniforme durant leur circuit quotidien, sous réserve des clauses de la convention collective. La MÉDIAPOSTE sans adresse à tarif économique est distribuée par une équipe distincte de facteurs à temps partiel appelés les « travailleurs de la MÉDIAPOSTE » ou par des entrepreneurs indépendants.
Les travailleurs de la MÉDIAPOSTE de Postes Canada reçoivent une formation avant leur entrée en fonction et sont supervisés par des chefs d’équipe. Les travailleurs de la MÉDIAPOSTE de Postes Canada, de même que les entrepreneurs indépendants dont Postes Canada retient les services, se voient remettre les clés requises pour avoir accès aux boîtes aux lettres des immeubles d’habitation.
Les systèmes de distribution utilisés par les journaux et les distributeurs indépendants se ressemblent entre eux et ne diffèrent guère du système de distribution de Postes Canada. La seule différence importante réside dans l’accès aux immeubles d’habitation. Les travailleurs de la MÉDIAPOSTE de Postes Canada utilisent les clés dont Postes Canada a la garde pour distribuer des feuillets publicitaires directement dans les boîtes aux lettres des immeubles d’habitation. Par contre, les requérantes doivent avoir la permission du propriétaire pour pénétrer dans un immeuble et laisser des feuillets soit dans l’entrée (dépôt dans l’entrée), soit sur des supports installés dans l’entrée ou dans des sacs qui peuvent être ramassés dans l’entrée. Les entreprises requérantes ont rarement la permission de circuler dans les couloirs des immeubles d’habitation, et on ne leur permet jamais d’avoir accès aux boîtes aux lettres de ces immeubles.
Les requérantes soutiennent que leur système de distribution dans les immeubles d’habitation est loin d’être satisfaisant. Les propriétaires sont peu disposés à autoriser la distribution de feuillets publicitaires dans l’entrée ou sur les poignées de porte des appartements parce qu’ils sont soucieux de garder les lieux propres et d’éviter les risques d’incendie, et pour des raisons de sécurité. De plus, même lorsque la distribution dans l’entrée peut être arrangée, l’expérience démontre que pas plus de cinquante pour cent des occupants ramassent les feuillets qui y sont laissés. Bien qu’aucun distributeur ne puisse garantir que le moindre feuillet qu’il distribue sera lu, seule Postes Canada peut garantir que les feuillets qu’elle distribue parviendront à tous les occupants d’un immeuble d’habitation au moyen de leur boîte aux lettres.
Les requérantes prétendent que la couverture des immeubles d’habitation est importante pour bon nombre de publicitaires. En effet, la majorité des habitants de certaines grandes villes vivent dans des immeubles d’habitation. Dans son matériel publicitaire, Postes Canada met l’accent sur sa capacité d’atteindre les occupants des immeubles d’habitation. C’est ce qui lui permet de prendre plus cher que ses concurrents pour sa « couverture totale du marché ».
LES QUESTIONS EN LITIGE
Les requérantes soutiennent que la Cour doit examiner deux questions. La principale question en litige est celle de savoir si Postes Canada a outrepassé les pouvoirs que lui confèrent la Loi sur la Société canadienne des postes, L.R.C. (1985), ch. C-10, modifiée (la Loi), et ses règlements d’application en utilisant le contrôle d’origine législative qu’elle exerce sur les clés des boîtes aux lettres des immeubles d’habitation pour permettre à son personnel de distribuer des feuillets publicitaires sans adresse dans ces boîtes aux lettres. Toutefois, les requérantes soulèvent également une question préliminaire, soit celle de savoir si la Cour a compétence pour examiner les actes accomplis par Postes Canada.
LA QUESTION DE LA COMPÉTENCE
Aux termes de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, la Section de première instance a compétence exclusive, en première instance, pour connaître de toute demande de contrôle judiciaire concernant un office fédéral. L’article 2 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1] de la Loi sur la Cour fédérale donne une définition générale de l’expression « office fédéral » :
2. …
… Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale, à l’exclusion d’un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale ou d’une personne ou d’un groupe de personnes nommés aux termes d’une loi provinciale ou de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.
Les requérantes invoquent deux moyens relativement à la compétence qu’a la Cour pour trancher les questions en litige.
Premièrement, les requérantes affirment que Postes Canada n’est pas une entreprise commerciale ordinaire. Elle fait partie de l’appareil décisionnel gouvernemental et, en tant que telle, revêt un caractère public important. Bien qu’elle soit une entité gouvernementale distincte, Postes Canada est mandataire de Sa Majesté du chef du Canada aux termes de l’article 23 de la Loi et demeure soumise à un contrôle ministériel aux termes de l’article 22 de la Loi. De fait, l’alinéa 5(2)e) de la Loi fait état d’un « programme de symbolisation fédérale » relativement à Postes Canada [en anglais : « an institution of the Government of Canada »].
Dans la décision qu’il a rendue dans l’affaire Aeric, Inc. c. Président du conseil d’administration, Société canadienne des postes, [1985] 1 C.F. 127(C.A.), le juge Ryan, J.C.A. reconnaît, à la page 137, que même si Postes Canada revêt un caractère « quasi commerciale », elle conserve des liens étroits avec le gouvernement du Canada. En fait, c’est dans l’affaire Rural Dignity of Canada c. Société canadienne des postes (1991), 78 D.L.R. (4th) 211 (C.F. 1re inst.), à la page 221; conf. par (1992), 88 D.L.R. (4th) 191 (C.A.F.), que l’on a reconnu que Postes Canada fait partie de l’appareil décisionnel gouvernemental qui est visé par les articles 2 et 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4] de la Loi sur la Cour fédérale.
Deuxièmement, les requérantes soutiennent que les actes accomplis par Postes Canada relativement aux boîtes aux lettres à serrure des immeubles d’habitation dans la présente espèce représentent l’exercice d’un pouvoir d’origine législative conféré à Postes Canada par le Règlement sur les boîtes aux lettres, DORS/83-743, et ses modifications. Ce ne sont pas simplement des accessoires des pouvoirs de nature privée que Postes Canada peut exercer de la même façon que n’importe quelle autre personne morale. Comme on pouvait s’y attendre, l’intimée fait valoir que Postes Canada ne distribue pas la MÉDIAPOSTE sans adresse en vertu d’un pouvoir d’origine législative ou d’un texte réglementaire. Cependant, cette affirmation ne tient pas compte du fait que sans le Règlement sur les boîtes aux lettres, Postes Canada n’aurait pas droit aux clés des boîtes aux lettres à serrure des immeubles d’habitation ou ne serait pas en droit de contrôler l’accès à ces boîtes aux lettres.
Dans l’affaire Aeric, précitée, le juge Ryan, J.C.A., fait une distinction entre des décisions portant sur l’exercice d’un pouvoir conféré par la loi et des décisions rendues dans le contexte d’opérations commerciales. Il s’exprime en ces termes, à la page 138 :
La décision du président du conseil examinée en l’espèce n’a pas été rendue en vertu d’un pouvoir général de gestion conféré à la Société canadienne des postes. Il a rendu sa décision en vertu d’un pouvoir qu’il tient d’un règlement approuvé par le gouverneur en conseil conformément à la Loi sur la Société canadienne des postes … Je suis persuadé que, en connaissant de l’appel en l’espèce et en le tranchant, le président est une « personne » au sens de ce mot employé dans la définition de « office, commission ou autre tribunal fédéral » donnée par la Loi sur la Cour fédérale.
Bien que la Loi accorde à Postes Canada le pouvoir général d’exercer des activités commerciales, la décision de permettre l’accès aux boîtes aux lettres à serrure des immeubles d’habitation constitue, de l’avis de la Cour, l’exercice d’un pouvoir dérivé d’un règlement et non pas simplement l’exercice des pouvoirs généraux de gestion. Par conséquent, la Cour est convaincue qu’elle a compétence pour examiner les questions en litige.
L’EXCÈS DE COMPÉTENCE
Les requérantes soutiennent que Postes Canada a outrepassé la compétence que lui accorde la Loi de trois façons. Premièrement, le Règlement sur les boîtes aux lettres pris en application de la Loi confère à Postes Canada le pouvoir de contrôler l’accès aux batteries de boîtes aux lettres pour la distribution du courrier. Les feuillets publicitaires sans adresse ne sont pas du courrier au sens où ce terme est défini dans la Loi. Par conséquent, Postes Canada a outrepassé sa compétence en utilisant son accès aux boîtes aux lettres des immeubles d’habitation pour distribuer un produit qui n’est pas du courrier. Deuxièmement, le monopole que la Loi accorde à Postes Canada se limite à la distribution de « lettres ». Le législateur n’a pas accordé à Postes Canada un monopole relativement à la distribution de feuillets sans adresse. Par conséquent, Postes Canada a outrepassé sa compétence en profitant du contrôle qu’elle exerce sur l’accès aux batteries de boîtes aux lettres des immeubles d’habitation pour établir un monopole non autorisé sur la distribution de feuillets sans adresse dans ces boîtes aux lettres. Troisièmement, le système créé par le Règlement sur les boîtes aux lettres, y compris le contrôle exercé par Postes Canada sur l’accès aux batteries de boîtes aux lettres des immeubles d’habitation, est conçu pour réaliser les objectifs publics que sont la distribution efficace du courrier dans les boîtes aux lettres des immeubles d’habitation et la sécurité du courrier. En profitant du contrôle qu’elle exerce sur cet accès pour éliminer la concurrence des distributeurs du secteur privé, Postes Canada exerce illégalement ses pouvoirs d’origine législative dans un but non public accessoire qui n’est pas autorisé par le Règlement sur les boîtes aux lettres, ni prévu par celui-ci.
Les avocats de Postes Canada ont habilement répondu à ces moyens, et la Cour examinera leurs arguments l’un après l’autre.
1. Accès aux boîtes aux lettres des immeubles d’habitation pour distribuer un produit qui n’est pas du courrier
Selon les requérantes, la Loi établit une distinction entre les « envois » ou le « courrier » et les « objets ». À l’article 2 de la Loi, le terme « envois » ou « courrier » est ainsi défini :
2. …
… Objets acceptés au dépôt mais non encore distribués aux destinataires.
Quant au terme « objets », il est ainsi défini :
2. …
… Messages, renseignements, fonds ou marchandises qui peuvent être transmis par la poste.
Par conséquent, pour constituer un « envoi » ou du « courrier », un « objet » doit également porter une adresse et être destiné à une personne ou à une organisation bien précise. Autrement, on ne peut pas affirmer qu’il est « distribué à un destinataire » comme l’exige la définition. Étant donné que les feuillets publicitaires sans adresse sont, par définition, des objets qui ne sont pas adressés à un destinataire, ils ne sont pas un « envoi » ou du « courrier » au sens de la Loi.
Les requérantes s’appuient sur leur définition du mot « envois » ou « courrier » pour affirmer que l’accès accordé par le Règlement sur les boîtes aux lettres ne devrait pas être utilisé pour distribuer de la MÉDIAPOSTE sans adresse. Le contrôle exercé par Postes Canada sur les clés des boîtes aux lettres des immeubles d’habitation découle de la partie III du Règlement sur les boîtes aux lettres, qui régit la livraison du courrier dans les immeubles d’habitation. L’article 10 [mod. par DORS/86-105, art. 1; 87-567, art. 1] du Règlement dispose qu’un service de livraison ne sera introduit dans un immeuble d’habitation que si les exigences du Règlement sont respectées. Les articles 11 [mod. par DORS/86-105, art. 2], 12 [mod. idem, art. 3] et 13 du Règlement sur les boîtes aux lettres précisent que Postes Canada ne livrera pas le courrier à un destinataire qui demeure dans un immeuble d’habitation dont la batterie de boîtes aux lettres ne satisfait pas aux exigences énoncées à l’annexe III du Règlement. L’une des exigences prévues à cette annexe veut que la batterie de boîtes aux lettres soit munie d’une serrure fournie par Postes Canada. La serrure doit être posée sous la surveillance du maître de poste local et la garde des clés est confiée à ce dernier.
Les requérantes soutiennent que l’emploi systématique du mot « courrier » dans le Règlement montre que l’économie du Règlement en ce qui a trait aux immeubles d’habitation est limitée à la livraison du « courrier », c’est-à-dire les objets adressés à un destinataire. Il s’ensuit donc que le pouvoir conféré à Postes Canada à l’égard des clés des boîtes aux lettres des immeubles d’habitation doit être exercé relativement à la livraison du courrier seulement et ne peut pas être exercé relativement à un produit qui n’est pas du courrier comme des feuillets publicitaires sans adresse. En conséquence, les requérantes affirment que Postes Canada a outrepassé sa compétence en donnant à ses employés accès aux batteries de boîtes aux lettres des immeubles d’habitation pour procéder à la distribution de feuillets publicitaires sans adresse. En réalité, Postes Canada élargit l’exercice du privilège qui lui est accordé relativement à la livraison d’objets munis d’une adresse lorsqu’elle distribue des feuillets publicitaires sans adresse, puisqu’il s’agit d’un segment non monopolistique de son entreprise.
Postes Canada affirme toutefois que l’argument des requérantes fondé sur la définition du « courrier » est fondamentalement imparfait. L’intimée reconnaît que la définition du mot « courrier » exige qu’il y ait un destinataire, mais conteste qu’une disposition de la Loi ou du Règlement prescrive que l’adresse doit être inscrite sur l’objet ou que le destinataire doit être une personne en particulier. Puisque chaque objet de la MÉDIAPOSTE a une destination projetée—qu’il s’agisse une maison ou d’un appartement à l’intérieur d’un itinéraire de facteur particulier ou d’une région du code postal —, chacun est « adressé » à un destinataire.
Les avocats de l’intimée exhortent la Cour à adopter des définitions plus larges des mots « adresser à un destinataire » que celles que préconisent les requérantes. L’intimée s’appuie sur des définitions de dictionnaires pour affirmer que ces mots pourraient également vouloir dire : faire parvenir à l’attention de quelqu’un, l’endroit où l’on peut trouver une organisation ou une personne précise, l’endroit où habite une personne ou l’endroit où une organisation est située, faire parvenir ou envoyer, l’action d’envoyer, envoyer un message écrit qui peut être lu par quelqu’un, expédier, et écrire des indications pour la livraison.
Après avoir examiné le libellé des dispositions législatives, la Cour constate que les requérantes préconisent une définition trop étroite du mot « courrier ». En termes très simples, un « objet » est la chose qui peut être placée dans le système de livraison de Postes Canada; selon la Cour, le « courrier » est un « objet » qui est dans le système de Postes Canada entre le moment où il est déposé dans une boîte aux lettres et le moment où il est distribué à l’endroit voulu ou à son destinataire. Le Règlement n’exige pas la mention d’une adresse précise sur l’objet, et la Cour n’est pas disposée à faire dire à la loi ce qu’elle ne dit pas. En fait, si la Cour adoptait la définition que les requérantes donnent au mot « courrier », les messages des députés et des sénateurs ou d’autres circulaires gouvernementales importantes qui n’ont pas d’adresse ne seraient pas du « courrier » et ne pourraient pas être distribués par Postes Canada dans les boîtes aux lettres des immeubles d’habitation.
Comme la Cour n’accepte pas la définition restrictive du mot « courrier » préconisée par les requérantes, qui aurait exclu les feuillets publicitaires sans adresse, elle n’accepte pas non plus la proposition qui, selon les requérantes, en découle, à savoir que Postes Canada a outrepassé sa compétence en donnant à ses employés accès aux batteries de boîtes aux lettres des immeubles d’habitation pour distribuer des objets qui ne sont pas du courrier. Le Règlement sur les boîtes aux lettres porte sur les caractéristiques des boîtes aux lettres et non sur leur utilisation. Comme les avocats de l’intimée l’ont fait remarquer, on peut relire sans fin le Règlement, mais on n’y trouvera pas de disposition interdisant la livraison de feuillets publicitaires dans les boîtes aux lettres.
La constatation selon laquelle la MÉDIAPOSTE sans adresse est du « courrier », combinée au fait qu’il n’existe aucune disposition législative expresse interdisant la distribution de la MÉDIAPOSTE, amène la Cour à conclure que Postes Canada n’a pas outrepassé sa compétence.
2. Monopole illégal à l’égard de la distribution de feuillets dans les boîtes aux lettres des immeubles d’habitation
Les requérantes et l’intimée reconnaissent que l’article 14 de la Loi accorde à Postes Canada un monopole à l’égard du relevage, de la transmission et de la distribution des « lettres » :
14. (1) Sous réserve de l’article 15, la Société a, au Canada, le privilège exclusif du relevage et de la transmission des lettres et de leur distribution aux destinataires.
L’article 15 ne s’applique pas à la présente espèce.
Pour l’application de la Loi, une « lettre » est définie à l’article 2 du Règlement sur la définition de lettre, DORS/83-481, comme « [u]n ou plusieurs messages ou renseignements d’une forme quelconque … destiné [sic] à être relevés, transmis ou livrés comme objet unique à un destinataire donné ». Sont expressément exclus de la définition d’une « lettre », à l’alinéa 2c), les objets « qui ne portent comme adresse que la mention “Au chef de ménage’’, “Au détenteur de case postale’’, “À l’occupant’’, “Au résident’’ ou une autre expression semblable ».
Les requérantes soutiennent que puisque les feuillets publicitaires sans adresse ne portent aucune adresse, ils ne sont pas visés par la définition d’une « lettre » pour l’exercice du privilège exclusif accordé à Postes Canada. Bien que la Loi n’accorde aucun monopole à Postes Canada à l’égard de la distribution des feuillets publicitaires sans adresse, celle-ci a exploité le contrôle qu’elle exerce sur l’accès aux boîtes aux lettres à serrure des immeubles d’habitation de manière à accorder à son personnel le droit exclusif de distribuer ces feuillets dans ces boîtes aux lettres. L’élargissement du monopole que la Loi accorde à Postes Canada de manière à inclure la distribution de feuillets publicitaires sans adresse dans les boîtes aux lettres à serrure des immeubles d’habitation est ultra vires et constitue un excès de compétence puisqu’il n’est pas sanctionné par la Loi ou le Règlement.
Comme la Cour l’a déjà mentionné, les parties reconnaissent que Postes Canada a le monopole de la livraison des « lettres ». La Cour donne le sens le plus large possible à ce terme, qui désigne non seulement les messages déposés dans une enveloppe sur laquelle une adresse est inscrite, mais aussi les objets qui sont adressés à un destinataire précis, par exemple les revues ou les cartes de crédit envoyées par la poste. Toutefois, même si Postes Canada a un monopole sur les lettres et les objets semblables aux lettres, la preuve ne permet pas d’établir qu’il lui est interdit pour une raison ou une autre de livrer des objets autres que des lettres, ou qu’elle a illégalement élargi son monopole. L’argument des requérantes est imparfait parce qu’il établit des liens illogiques entre l’accès aux boîtes aux lettres et la distribution de feuillets publicitaires.
Comme le Règlement sur les boîtes aux lettres et la preuve par affidavit l’indiquent clairement, Postes Canada ne fournit pas, ne possède pas et n’installe pas de boîtes aux lettres pour immeubles d’habitation. Ni la Loi ni le Règlement ne prescrivent que des boîtes aux lettres doivent être installées dans les immeubles d’habitation. Toutefois, la Cour souscrit à l’affirmation de M. Fish, qui est l’administrateur d’immeubles d’habitation qui a fait une déposition pour les requérantes, selon laquelle les locataires ou les propriétaires d’appartements s’attendent à recevoir leur courrier et assimileraient la livraison du courrier à d’autres services essentiels comme l’électricité, le chauffage ou l’eau. L’auteur de l’affidavit souligne également que pour ce qui est d’obtenir le « consentement » du propriétaire pour la livraison du courrier, ce consentement est illusoire puisque la seule autre possibilité c’est que les occupants ne reçoivent pas de courrier. Quoi qu’il en soit, le texte législatif est clair : l’accès de Postes Canada aux boîtes aux lettres des immeubles d’habitation s’effectue avec le consentement du propriétaire et aucun appartement n’est obligé d’avoir une boîte aux lettres. Toutefois, même si l’installation de boîtes aux lettres est facultative, une fois qu’elles sont installées, seule Postes Canada y a accès.
Selon l’interprétation que la Cour donne aux dispositions législatives, seule Postes Canada peut livrer des lettres et seule Postes Canada peut avoir accès aux boîtes aux lettres des immeubles d’habitation. Cependant, la Cour ne conclut pas que ces deux privilèges sont liés; l’accès exclusif aux boîtes aux lettres ne saurait vouloir dire un accès exclusif pour la livraison des lettres seulement. C’est sur ce point que la logique des arguments des requérantes s’écroule. Les requérantes sont incapables d’invoquer quelque disposition que ce soit de la Loi ou du Règlement qui limiterait l’accès de Postes Canada aux boîtes aux lettres des immeubles d’habitation à la livraison des lettres seulement. Postes Canada, et son organisation remplacée, distribue du courrier, y compris des feuillets publicitaires, dans les boîtes aux lettres des immeubles d’habitation depuis que des Canadiens vivent dans des immeubles d’habitation. En particulier, la Cour constate que le bureau de poste a créé le courrier de troisième classe en 1887 et a commencé à distribuer des annonces publicitaires sans adresse de troisième classe en 1903.
Par ailleurs, rien n’indique que Postes Canada a tenté d’étendre le privilège exclusif de livrer des lettres à d’autres objets comme les feuillets publicitaires. Postes Canada n’a pas cherché à empêcher qui que ce soit de distribuer des imprimés sans adresse, comme en témoigne le succès des entreprises de distribution de feuillets publicitaires des requérantes.
Après avoir examiné attentivement les dispositions législatives, les affidavits qui ont été présentés et les arguments des avocats, la Cour conclut que le législateur n’a jamais eu l’intention d’interdire à Postes Canada de distribuer des objets autres que des lettres. On garde l’impression que si le législateur voulait restreindre la distribution, comme le soutiennent les requérantes, il avait la possibilité de mettre pareille disposition dans la Loi. Il n’en a rien fait. Par ailleurs, en accordant à l’intimée la capacité d’une personne physique, il a donné d’autres signes que Postes Canada a le pouvoir implicite d’entreprendre de nouvelles démarches pour exploiter son entreprise. Mettre des feuillets publicitaires dans des boîtes aux lettres, même si ces feuillets ne sont pas des lettres proprement dites, est une activité qui se rattache directement à la mission de Postes Canada et ne constitue pas un excès de compétence.
3. Exercice illégal des pouvoirs conférés par la Loi dans un but illégitime
Les requérantes et l’intimée reconnaissent que le Règlement sur les boîtes aux lettres a été adopté pour réaliser les objectifs publics qui consistent à faciliter la distribution du courrier destiné aux occupants des immeubles d’habitation et à assurer l’exploitation du service dans les meilleures conditions de sécurité du courrier. Ces objectifs sont compatibles avec la mission de Postes Canada qui est énoncée à l’article 5 de la Loi, à savoir assurer l’essentiel du service postal habituel et la sécurité du courrier.
Les requérantes soutiennent que pour ce qui est de la distribution de la MÉDIAPOSTE sans adresse, cependant, Postes Canada a exploité la garde des clés des boîtes aux lettres des immeubles d’habitation dans un but qui est tout à fait étranger à l’objectif public qui sous-tend le Règlement sur les boîtes aux lettres, soit l’élimination de la concurrence que lui livrent ses rivaux du secteur privé dans le domaine de la distribution de feuillets publicitaires sans adresse. La preuve présentée dans les affidavits des requérantes donne à entendre que la pénétration du marché des appartements est importante pour bon nombre de publicitaires. De plus, comme on le précise dans la stratégie de marketing de Postes Canada, celle-ci est parfaitement consciente du fait que l’accès aux boîtes aux lettres à serrure des immeubles d’habitation lui procure un avantage sur ses concurrents.
Les requérantes affirment en outre que des questions de sécurité ne peuvent justifier à elles seules les actes de Postes Canada. Les travailleurs de la MÉDIAPOSTE sont une main-d’œuvre occasionnelle et non spécialisée qui a reçu un minimum de formation et dont le roulement est élevé. Ces personnes ne diffèrent sous aucun rapport essentiel des personnes qui peuvent travailler pour les requérantes et le font effectivement. Dans certains cas, il peut même s’agir des mêmes personnes.
Il serait naïf de croire que Postes Canada n’est pas consciente de l’avantage que lui procure l’accès aux boîtes aux lettres des immeubles d’habitation dans le domaine de la distribution de feuillets publicitaires. La Cour constate toutefois que les requérantes, malgré l’affaire dont la Cour est saisie, minimisent activement les avantages dont jouit Postes Canada. Ainsi, le quotidien The Ottawa Citizen affirme dans son matériel publicitaire que les feuillets qu’il distribue sont lus plus souvent et ont une pénétration qui s’approche de celle de Postes Canada.
Même si Postes Canada tirait un avantage du contrôle qu’elle exerce sur les clés des boîtes aux lettres des immeubles d’habitation, cet avantage ne suffit pas à établir un but illégitime. En gros, un monopole doit être exercé dans un but et ne peut pas être exercé dans un autre but.
L’intimée soutient que ses activités commerciales relatives à la MÉDIAPOSTE sont entièrement compatibles avec les objectifs du système législatif et l’historique des services de Postes Canada. Comme la Cour l’a déjà mentionné, Postes Canada distribue des feuillets publicitaires depuis le début du siècle. De plus, la distribution de la MÉDIAPOSTE est entièrement compatible avec les objectifs généralement avantageux qui consistent à étendre les services postaux pour répondre aux besoins des gens d’affaires et des publicitaires canadiens, à devenir financièrement autonome et à garantir la sécurité du courrier, et contribue à la réalisation de ces objectifs.
L’intimée n’est pas du tout d’accord avec les requérantes qui considèrent la MÉDIAPOSTE comme un service délibérément anticoncurrentiel. Rien n’autorise la Cour à conclure que le refus de Postes Canada de remettre les clés des boîtes aux lettres des immeubles d’habitation à des entreprises de distribution concurrentes est fondé sur des visées anticoncurrentielles. Il se peut que les mesures prises par Postes Canada pour garantir la sécurité du courrier, élargir son champ d’activité ou chercher à devenir financièrement autonome aient un effet désavantageux sur les requérantes, mais cela ne veut pas dire que Postes Canada a agi illégalement ou dans un but illégitime. La distribution de feuillets publicitaires est un service légitime de Postes Canada et, il faut en convenir, cadre très bien avec son monopole sur la livraison du courrier. Toutefois, le simple fait qu’il y ait un lien entre une activité légitime et un monopole n’établit pas que ce monopole est exercé dans un but illégitime. La Cour n’est pas convaincue par les affaires R v Lewisham London BC ex p Shell UK Ltd, [1988] 1 All E.R. 938 (B.C.); Bailey v. Conole (1931), 34 W.A.L.R. 18 (C.S.); et Yates (Arthur) & Co. Pty. Ltd. v. Vegetable Seeds Committee (1945), 72 C.L.R. 37 (H.C.), que les requérantes ont porté à sa connaissance. Rien ne permet de conclure que Postes Canada est animée du désir d’éliminer la concurrence au moyen du contrôle exclusif qu’elle exerce sur les clés des boîtes aux lettres des immeubles d’habitation.
Pourquoi Postes Canada refuse-t-elle de remettre les clés des boîtes aux lettres des immeubles d’habitation? Selon l’intimée, il existe trois raisons : (1) ce geste irait à l’encontre des attentes des clients, (2) il compromettrait la sécurité, et (3) Postes Canada n’est pas investie du pouvoir de donner accès à une propriété privée. La Cour ne doute pas que les occupants d’appartements ne seraient pas rassurés de savoir que de nombreuses personnes ont accès à leur boîte aux lettres, en particulier compte tenu du nombre de chèques et de cartes de crédit qui sont envoyés par la poste. La Cour est aussi d’avis que Postes Canada n’est pas autorisée à donner accès à une propriété privée. Bien que la Cour estime que Postes Canada a quelque peu exagéré les questions de sécurité, elle n’est pas disposée à souscrire aux prétentions des requérantes selon lesquelles la sécurité n’est qu’un prétexte pour étouffer la concurrence. Postes Canada demeure en définitive responsable de l’inconduite de ses employés et des entrepreneurs qui travaillent pour elle. La Cour a également été saisie de preuves selon lesquelles Postes Canada insiste pour que les arrangements concernant la sécurité et les programmes de formation offerts aux employés des entrepreneurs qui travaillent pour elle lui donnent satisfaction. Selon la Cour, il est indéniable que Postes Canada prend au sérieux l’obligation qui lui incombe de garantir la sécurité du courrier.
La Cour n’est pas convaincue que Postes Canada a utilisé son privilège à l’égard de la garde des clés des boîtes aux lettres des immeubles d’habitation ou son monopole à l’égard de la livraison des lettres dans un but illégitime.
ORDONNANCES DEMANDÉES ET CONCLUSION
Comme les motifs qui précèdent l’indiquent clairement, la Cour ne doute nullement que, s’agissant de la distribution de feuillets publicitaires dans les boîtes aux lettres des immeubles d’habitation, Postes Canada a agi dans les limites de sa mission législative et que la présente demande doit être rejetée. Faute d’une interdiction expresse dans la Loi, Postes Canada a le droit d’exercer cette activité qui est le prolongement logique de son obligation première de livrer des lettres. La Cour estime toutefois qu’il est opportun de faire quelques commentaires sur les ordonnances demandées par les requérantes.
Les requérantes demandent à la Cour de rendre l’une des trois ordonnances suivantes. Premièrement, les requérantes demandent à la Cour de rendre une ordonnance portant que Postes Canada a agi sans pouvoir ou a outrepassé sa compétence et, par conséquent, d’enjoindre à Postes Canada de ne plus utiliser le contrôle qu’elle exerce sur l’accès aux boîtes aux lettres à serrure des immeubles d’habitation pour distribuer des feuillets publicitaires sans adresse dans ces boîtes aux lettres. Si la Cour avait fait droit à la demande des requérantes, c’est la seule ordonnance qu’elle aurait eu compétence pour rendre.
Subsidiairement, les requérantes demandent à la Cour d’ordonner à Postes Canada de donner aux membres de l’ACQ et aux autres requérantes un accès à ces boîtes aux lettres qui est identique à celui du service MÉDIAPOSTE sans adresse de Postes Canada. Subsidiairement, les requérantes demandent à la Cour d’ordonner à Postes Canada de garantir aux membres de l’ACQ et aux autres requérantes le droit d’utiliser le service MÉDIAPOSTE sans adresse à tarif économique de Postes Canada pour distribuer des feuillets publicitaires sans adresse dans des immeubles d’habitation seulement aux frais variables de Postes Canada.
Ces deux redressements subsidiaires demandés par les requérantes ne relèvent pas de la compétence de la Cour. Il n’y a rien dans la Loi ou dans le Règlement qui permettrait à la Cour d’apporter des changements au système législatif. La Cour ne doute pas que les requérantes considèrent qu’il est désavantageux de ne pas avoir accès aux boîtes aux lettres des immeubles d’habitation ou de devoir payer un supplément pour recourir au service de distribution de Postes Canada. À vrai dire, il semble que la présente espèce découle d’une politique de Postes Canada, qui a été abandonnée en février 1994, stipulant que la distribution de la MÉDIAPOSTE aux immeubles d’habitation seulement ne serait assurée qu’au tarif supérieur. Cette politique maintenant abandonnée a eu un effet négatif important sur les requérantes. Quoi qu’il en soit, il n’appartient pas à la Cour de fixer le prix de la distribution de la MÉDIAPOSTE. C’est Postes Canada qui a le privilège d’établir les conditions de la prestation du service MÉDIAPOSTE aux immeubles d’habitation seulement et, malheureusement pour les requérantes, il n’appartient pas à la Cour d’examiner les politiques de tarification de Postes Canada. C’est au législateur qu’il incombe d’établir les paramètres de la distribution de feuillets publicitaires par Postes Canada et de fixer les tarifs. Il n’appartient pas à la Cour de légiférer.
La présente demande est rejetée.