[2000] 4 C.F. 528
A-334-98
President and Fellows of Harvard College (appelant)
c.
Commissaire aux brevets (intimé)
et
Association canadienne du droit de l’environnement (intervenante)
Répertorié : President and Fellows of Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets) (C.A.)
Cour d’appel, juges Linden, Isaac et Rothstein, J.C.A. —Ottawa, 9 décembre 1999 et 3 août 2000.
Brevets — Brevetabilité de mammifères non humains génétiquement modifiés destinés à être utilisés dans des études de cancérogénicité — Le commissaire aux brevets a rejeté les revendications 1 à 12 de la demande de brevet au motif qu’elles ne répondaient pas à la définition du terme « invention » à l’art. 2 de la Loi sur les brevets, mais il a accueilli les revendications 13 à 26 — L’appel interjeté devant la C.F. 1re inst. a été rejeté — L’objet de la Loi sur les brevets est de promouvoir la création d’inventions d’une façon qui soit avantageuse tant pour l’inventeur que pour le public — L’invention doit être nouvelle, utile et non évidente — Comme la Loi est muette sur les inventions biotechnologiques et les nouvelles formes de vie, les revendications en cause sont jugées en fonction des exigences habituelles en matière de brevets — L’oncosouris est une « composition de matières » à la fois nouvelle, utile et non évidente et elle constitue donc une « invention » au sens de l’art. 2 de la Loi — La Loi sur les brevets n’exclut pas les organismes vivants, par exemple les mammifères non humains, de la définition du mot « invention » — Le produit en cause est le résultat à la fois de l’ingéniosité humaine dans le domaine génétique et des lois de la nature et il est donc brevetable — Les formes de vie complexes s’insèrent dans les paramètres de la Loi sur les brevets — Les dispositions de la Loi sont libellées en des termes généraux pour favoriser l’objectif du législateur qui est d’encourager les inventions — Les êtres humains ne sont pas brevetables, mais les tribunaux et le législateur devront se prononcer sur la brevetabilité des gènes humains ou des produits ou procédés au niveau génétique.
Animaux — L’appelant cherche à obtenir un brevet en vue de produire des animaux prédisposés au cancer pour des études de cancérogénicité — Le produit visé par les revendications 1 à 12 de la demande de brevet est désigné comme étant un mammifère transgénique non humain ou oncosouris — Il s’agit de savoir si ce produit est brevetable selon l’interprétation qu’il convient de donner à la Loi sur les brevets — L’oncosouris est une « composition de matières » à la fois nouvelle, utile et non évidente et elle constitue donc une « invention » au sens de l’art. 2 de la Loi — Elle n’est pas le simple résultat des lois de la nature, mais le fruit à la fois de l’ingéniosité humaine et des lois de la nature et elle est donc brevetable — Le critère permettant de déterminer l’utilité est de savoir si l’oncogène agit sur toutes les cellules de l’oncosouris — Les critères du contrôle et de la reproductibilité ont été satisfaits — Il n’est pas généralement admis que le droit des brevets ne s’applique pas aux organismes vivants — La définition du mot «invention » n’exclut pas de la brevetabilité des formes de vie supérieures telles que l’oncosouris.
Droit administratif — Contrôle judiciaire — Certiorari — Le commissaire aux brevets a rejeté les revendications 1 à 12 de la demande de brevet visant des formes de mammifères transgéniques non humains — La C.F. 1re inst. a confirmé ce refus — La C.A.F. a jugé que les décisions du commissaire aux brevets justifient une plus grande retenue judiciaire de la part de tout tribunal saisi d’une demande de contrôle judiciaire lorsque ces décisions sont rendues par le commissaire dans son champ de compétence — Même en appliquant la norme du caractère raisonnable simpliciter, qui implique une plus grande retenue judiciaire, la décision du commissaire aux brevets ne saurait tenir — Le raisonnement et les conclusions du commissaire et du juge de la C.F. 1re inst. étaient entachées de plusieurs erreurs — Le commissaire a appliqué un critère de contrôle trop large que l’obligation d’utilité ne prévoyait pas implicitement — Il a commis une erreur en fractionnant l’invention en phases en se fondant sur l’arrêt Pioneer Hi-Bred Ltd. de la C.A.F., qui portait sur des faits différents.
Il s’agit de l’appel d’un jugement par lequel la Section de première instance a confirmé la décision du commissaire aux brevets de refuser de délivrer un brevet pour les revendications 1 à 12 d’une demande de brevet se rapportant à des mammifères non humains transgéniques. L’objectif de l’appelant est de produire des animaux prédisposés au cancer en vue de les utiliser dans des études de cancérogénicité chez les animaux à l’aide d’une séquence oncogène activée. Un plasmide contenant l’oncogène est injecté dans un œuf de souris fertilisé qui est ensuite transféré chez une souris femelle « hôte » où il se développera jusqu’à terme. Si la souris ainsi produite est affectée par l’oncogène, on l’appelle « souris fondatrice ». La souris fondatrice est ensuite accouplée avec une souris n’ayant pas eu d’injection. Le commissaire aux brevets a confirmé la décision de l’examinateur des brevets de rejeter les revendications 1 à 12 au motif qu’elles ne répondaient pas à la définition du terme « invention » contenue à l’article 2 de la Loi sur les brevets. Le juge de première instance a retenu quatre critères pour interpréter cet l’article 2 : 1) le degré de contrôle de l’inventeur sur la création de l’invention revendiquée; 2) la distinction entre l’intervention humaine et les lois de la nature lors de la création de l’oncosouris; 3) la pertinence du critère de reproductibilité; 4) l’opportunité d’établir une distinction entre les formes de vie supérieures et les formes de vie inférieures. Sur le fondement de ces indices, le juge de première instance a confirmé la décision du commissaire aux brevets. En appel, la question en litige était celle de la brevetabilité de mammifères non humains génétiquement modifiés destinés à être utilisés dans des études de cancérogénicité.
Arrêt (le juge Isaac, J.C.A., étant dissident) : l’appel est accueilli.
Le juge Rothstein, J.C.A. : Un brevet protège une invention. L’objet de la Loi sur les brevets est de promouvoir la création d’inventions d’une façon qui soit avantageuse tant pour l’inventeur que pour le public. Une invention peut être tout produit ou procédé nouveau et utile ou tout perfectionnement nouveau et utile d’un produit ou d’un procédé. Aux termes de l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, l’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet. Le commissaire ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation en la matière : lorsqu’un procédé ou un produit satisfait aux exigences de la Loi, la demande de brevet doit être accueillie. S’il est vrai que le présent appel soulève des questions de principe, c’est au législateur fédéral, et non aux tribunaux, qu’il appartient de les examiner. Comme la Loi sur les brevets ne renferme aucune disposition se rapportant directement aux inventions biotechnologiques et aux nouvelles formes de vie en particulier, les revendications en cause ne sont brevetables que si elles tombent sous le coup des dispositions législatives existantes et si elles respectent les conditions et exigences habituelles en matière de brevets.
La question en litige est de savoir si les revendications 1 à 12 constituent une « invention » au sens de la définition de l’article 2 de la Loi sur les brevets. L’oncosouris est une « composition de matières » à la fois nouvelle, utile et non évidente; elle constitue donc une « invention » au sens de l’article 2 de la Loi. Les lois sur les brevets sont libellées en termes larges et généraux et on doit leur reconnaître une large portée parce que les inventions sont nécessairement imprévues et imprévisibles. La Cour doit respecter le choix de mots du législateur fédéral et se garder d’adopter une méthode d’interprétation restrictive qui contredirait sa volonté manifeste. La Loi sur les brevets n’exclut pas les organismes vivants, c’est-à-dire les mammifères non humains, de la définition du terme « invention ». Pour qu’il y ait brevetabilité, il faut qu’il y ait « une composition de matières » non présente naturellement et qui est le fruit de l’inventivité et de l’ingéniosité humaines. L’oncosouris doit être considérée comme le résultat à la fois de l’ingéniosité et des lois de la nature : ingéniosité dans la technique génétique initiale, soit la création de l’oncogène, son incorporation dans le plasmide et l’injection de ce dernier dans le zygote; lois de la nature, par l’action de l’oncogène, au cours de la gestation, sur toutes les cellules de l’oncosouris, par l’accouplement ultérieur d’une oncosouris et d’une souris non traitée, et enfin par l’intervention des lois mendéliennes d’hérédité chez la progéniture de l’oncosouris obtenue. L’ingéniosité dans le cas présent ne se limite pas à l’introduction du matériel génétique chez la souris par des moyens artificiels, mais concerne également la conception de l’oncogène critique comme tel. L’oncosouris décrite dans les revendications du brevet n’existe pas dans la nature; elle est plutôt le résultat à la fois de l’ingéniosité humaine dans le domaine génétique et des lois de la nature. Vu l’article 40 de la Loi sur les brevets, suivant une interprétation simple de l’expression « composition de matières » et compte tenu du rôle joué par l’ingéniosité et par les lois de la nature en l’espèce, il n’y a aucune raison en droit pour laquelle le produit, en l’occurrence l’oncosouris, ne serait pas brevetable.
Le commissaire aux brevets et le juge de première instance ont commis plusieurs erreurs dans leur raisonnement et leurs conclusions. Premièrement, le juge de première instance a exprimé sa préférence pour l’opinion minoritaire dans l’arrêt Diamond v. Chakrabarty de la Cour suprême des États-Unis, dans lequel la Cour avait, à cinq voix contre quatre, jugé brevetable une bactérie permettant la décomposition du pétrole brut. Bien que les décisions rendues aux États-Unis en matière de brevets ne lient pas les tribunaux canadiens, lorsque le texte législatif qui est interprété est analogue dans les deux pays et lorsque le raisonnement à la base de l’interprétation que les tribunaux américains donnent du texte en question est persuasif, il n’y a aucune raison pour laquelle les tribunaux canadiens ne devraient pas tenir compte de la jurisprudence américaine. L’opinion des juges majoritaires de la Cour suprême des États-Unis dans l’arrêt Chakrabarty fournit des pistes utiles pour conclure que la définition du mot « invention » n’exclut pas de la brevetabilité des formes de vie supérieures telles que l’oncosouris. Il n’est pas « généralement admis » que le droit des brevets ne s’applique pas aux organismes vivants. Deuxièmement, le commissaire aux brevets a refusé d’octroyer un brevet pour les revendications 1 à 12 surtout parce que les inventeurs n’exerçaient pas un contrôle complet sur toutes les caractéristiques de l’oncosouris résultante. Le juge de première instance a souscrit à cette conclusion. Le critère du contrôle fait implicitement partie de l’obligation d’utilité de l’invention. Si l’inventeur n’exerce pas sur le produit un contrôle suffisant pour que le produit ait une utilité pratique, l’obligation d’utilité contenue dans la définition du terme « invention » ne serait pas respectée. Le commissaire aux brevets et le juge de la Section de première instance ont appliqué un critère de contrôle beaucoup plus large que l’obligation d’utilité de l’invention ne comportait pas implicitement. Ils ont interpolé dans la définition du terme « invention » des mots que le législateur fédéral n’avait pas exprimés expressément ou tacitement et, ce faisant, ils ont commis une erreur de droit. L’utilité est une condition préalable à la brevetabilité et elle suppose un contrôle, en ce sens qu’on obtiendra le résultat escompté lorsqu’on utilisera ou produira le produit. En l’espèce, le résultat escompté est la production d’une oncosouris prédisposée au cancer destinée à être utilisée dans le cadre d’études de cancérogénicité. Une fois ce résultat obtenu, l’exercice d’un contrôle sur les autres attributs de la souris n’est ni nécessaire ni pertinent. Si le produit est une composition de matières qui est nouvelle, utile et non évidente, il constitue une « invention » brevetable. Troisièmement, le juge de première instance a conclu que, « pour être brevetable, une invention doit être reproductible ». À son avis, l’oncosouris n’est pas reproductible. Grâce aux méthodes exposées dans le mémoire descriptif de la demande de brevet, l’oncosouris est reproductible telle quelle, avec la présence de l’oncogène dans toutes ses cellules. Une telle souris est reproductible et est utile. L’obligation de reproductibilité, dans le contexte de l’utilité, a été respectée. Quatrièmement, le commissaire aux brevets a fractionné le processus des inventeurs en deux phases. Une fois qu’il est concédé que la plupart des inventions font appel à certaines lois de la nature, il ne peut y avoir de fondement valide pour fractionner une invention en une partie qui est le résultat de l’ingéniosité inventive et une autre partie qui ne l’est pas. Le fractionnement de l’invention en phases n’est pas légalement justifié. On a ainsi nié aux inventeurs le droit à l’invention d’un produit qui était le résultat d’une combinaison d’ingéniosité inventive et des lois de la nature, les deux constituant le fond de l’invention. Cinquièmement, le juge de la Section de première instance a commis une erreur en concluant que les formes de vie complexes ne s’insèrent pas dans les paramètres de la Loi sur les brevets. Il peut exister des raisons de principe qui militent contre la brevetabilité des formes de vie supérieures. Mais c’est au législateur fédéral et non aux tribunaux qu’il appartient de se prononcer sur la question. Sixièmement, le juge de la Section de première instance a commis une erreur en concluant que la délivrance d’un brevet pour l’oncosouris n’accorderait à son inventeur aucune protection s’ajoutant à celle que lui confère la délivrance d’un brevet pour les revendications 13 à 26. Un brevet confère une protection légale universelle, c’est-à-dire une protection qui peut être invoquée à l’encontre de toute personne qui pourrait avoir l’oncosouris en sa possession et la reproduire. Finalement, le juge de première instance et le commissaire aux brevets ont commis une erreur en accordant trop d’importance à l’arrêt Pioneer Hi-Bred Ltd. c. Canada (Commissaire des brevets) de la Cour d’appel fédérale. Les conclusions tirées dans cet arrêt au sujet du croisement de variétés de soya ne s’appliquent pas au cas présent, qui comporte une ingéniosité inventive et une intervention au niveau génétique et la création d’une nouvelle forme de vie bien précise.
Quant à la norme de contrôle judiciaire, la décision du juge de la Section de première instance est susceptible d’un contrôle judiciaire en fonction de la décision correcte. En revanche, la compétence spécialisée du commissaire aux brevets justifie une plus grande retenue judiciaire de la part de tout tribunal saisi d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par le commissaire dans son champ de compétence. Même en appliquant la norme du caractère raisonnable simpliciter, la décision du commissaire aux brevets peut légitimement faire l’objet d’un contrôle judiciaire de la Cour. Le commissaire a commis une erreur notamment en appliquant des critères de contrôle et de reproductibilité qui ne sont ni explicites ni implicites dans la Loi sur les brevets et en fractionnant l’invention en phases sans justification légale.
La dernière question soulevée est évidemment de savoir si la conclusion selon laquelle les organismes vivants sont visés par la définition du terme « invention » pourrait être étendue aux êtres humains. On ne peut élargir la portée de la Loi sur les brevets de manière à englober les êtres humains. L’obtention d’un brevet constitue une sorte de droit de propriété qui ne peut être étendu aux êtres humains. Une autre raison de tirer une telle conclusion est l’article 7 de la Charte, qui protège le droit à la liberté de la personne. Au fur et à mesure des progrès de la recherche scientifique, les tribunaux ou le législateur devront se prononcer sur la brevetabilité des gènes humains ou des produits ou procédés au niveau génétique.
Le juge Isaac, J.C.A. (dissident) : La première question que la Cour doit se poser, lorsqu’elle est saisie de l’appel d’une décision d’un tribunal administratif est celle de la norme de contrôle applicable. Le juge de première instance ne l’a pas fait. La décision du commissaire n’était pas protégée par une clause privative. Toutefois, on ne peut guère douter que le commissaire possède une expertise sur la question de la brevetabilité des inventions; il est un tribunal spécialisé. Comme la nature de la question (la brevetabilité de l’oncosouris) se situe au cœur du domaine d’expertise du commissaire, il y a lieu de faire preuve de retenue à l’égard de sa décision suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. L’objet de la Loi milite également en faveur d’une plus grande retenue à l’endroit des décisions du commissaire. La Loi reconnaît que le commissaire doit toujours avoir conscience de l’intérêt public et en tenir compte en vue de décider s’il doit accorder un brevet. Sur une question faisant l’objet d’un débat moral intense comme celle-ci, il convient que la Cour fasse preuve de réserve à l’égard des décisions du commissaire lorsqu’elles s’inspirent de considérations d’intérêt public. La décision du commissaire était raisonnable parce qu’elle adoptait une attitude prudente à l’égard de l’octroi de brevets pour les nouvelles formes de vie. Le juge de première instance a rejeté à bon droit l’appel, même s’il n’a pas vu la nécessité de procéder à un examen de la norme de contrôle. Suivant l’article 40 de la Loi, le commissaire doit s’être assuré que le demandeur est fondé en droit à obtenir un brevet. On ne peut simplement conclure qu’il faut octroyer le brevet une fois que les exigences de la Loi ont été satisfaites. L’octroi ou le refus du brevet ne relève pas d’un pouvoir discrétionnaire, mais cela ne signifie pas que le demandeur n’a pas à convaincre le commissaire et ses fonctionnaires qu’il est fondé en droit à obtenir le brevet.
La question en litige était de savoir si la décision du commissaire était raisonnable. Les décisions prises dans d’autres pays ne sont aucunement pertinentes en vue de la solution de cette question. Pour trancher le présent appel, la Cour ne doit tenir aucun compte du fait que l’oncosouris a été brevetée aux États-Unis et en Europe. La décision du commissaire était raisonnable. En l’absence de toute preuve contraire, la Cour est tenue d’accorder une certaine valeur à sa conclusion. Compte tenu de toutes les circonstances, notamment des incidences morales et éthiques du sujet, il semble que le Parlement constitue l’enceinte se prêtant le mieux à la solution des questions soulevées en l’espèce.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 24(1) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 6).
Loi sur la protection des obtentions végétales, L.C. 1990, ch. 20.
Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 2 « invention » (mod. par L.C. 1993, ch. 2, art. 2), 10 (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 28), 17, 27 (mod. idem, art. 31), 28.3 (édicté, idem, art. 33), 35(1) (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 12), 40, 41 (mod., idem, art. 16), 42 (mod., idem), 46 (mod., idem; L.C. 1993, ch. 15, art. 43).
Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, ch. P-4, art. 2, 36(1), 42, 44.
Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13.
Patent Act, 35 U.S.C. § 101 (1988).
Patents Act 1977 (R.-U.), 1977, ch. 37.
Plant Patent Act, (The), 35 U.S.C. § 161 (1930).
Plant Variety Protection Act (The), 7 U.S.C. § 2402(a) (1970).
Règles sur les brevets, DORS/96-423, Règles 30(6), 40, 45(2), 46. 47(2),(5).
Tarif des douanes, L.C. 1997, ch. 36.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Monsanto Company c. Commissaire des brevets, [1979] 2 R.C.S. 1108; (1979), 100 D.L.R. (3d) 385; 42 C.P.R. (2d) 161; 28 N.R. 181; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 11 Admin. L.R. (3d) 1; 43 Imm. L.R. (2d) 117; 226 N.R. 201; motifs modifiés [1998] 1 R.C.S. 1222; (1998), 11 Admin. L.R. (3d) 130; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; (1997), 144 D.L.R. (4th) 1; 50 Admin. L.R. (2d) 199; 71 C.P.R. (3d) 417; 209 N.R. 20; Diamond v. Chakrabarty, 447 U.S. 303 (1980); Application No. 003,389 of N.V. Organon, Re (1973), 15 C.P.R. (2d) 253 (C.A.B.).
DISTINCTION FAITE D’AVEC :
Pioneer Hi-Bred Ltd. c. Canada (Commissaire des brevets), [1987] 3 C.F. 8 (1987), 11 C.I.P.R. 158; 14 C.P.R. (3d) 491; 77 N.R. 137 (C.A.); Pioneer Hi-Bred Ltd. c. Canada (Commissaire des brevets), [1989] 1 R.C.S. 1623; (1989), 60 D.L.R. (4th) 223; 25 C.P.R. (3d) 257; 25 C.I.P.R. 3; 97 N.R. 185.
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Cadbury Schweppes Inc. c. Aliments FBI Ltée, [1999] 1 R.C.S. 142; (1999), 167 D.L.R. (4th) 577; [1999] 5 W.W.R. 751; 59 B.C.L.R. (3d) 1; 117 B.C.A.C. 161; 42 B.L.R. (2d) 159; 83 C.P.R. (3d) 289; Commissioner of Patents v. Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning, [1964] R.C.S. 49; (1963), 41 C.P.R. 9; 25 Fox Pat C. 99; Electric Fireproofing Co. of Canada v. Electric Fireproofing Co. (1910), 43 R.C.S. 182; conf. (1909), 34 C.S. Qué. 388; Tennessee Eastman Co. et al. c. Commissaire des brevets, [1974] R.C.S. 111; (1972), 33 D.L.R. (3d) 459; 8 C.P.R. (2d) 202; Perka et autres c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 232; (1984), 13 D.L.R. (4th) 1; [1984] 6 W.W.R. 289; 28 B.C.L.R. (2d) 205; 14 C.C.C. (3d) 385; 42 C.R. (3d) 113; 55 N.R. 1; Molson Breweries, société en nom collectif c. John Labatt Ltée. (2000), 5 C.P.R. (4th) 180; 252 N.R. 91 (C.A.F.); X c. Commissaire des brevets (1981), 59 C.P.R. (2d) 7; 46 N.R. 407 (C.A.F.); British Columbia Telephone Co. c. Shaw Cable Systems (B.C.) Ltd., [1995] 2 R.C.S. 739; (1995), 125 D.L.R. (4th) 443; 31 Admin. L.R. (2d) 169; 183 N.R. 184; Syndicat international des débardeurs et magasiniers, Ship and Dock Foremen, section locale 514 c. Prince Rupert Grain Ltd., [1996] 2 R.C.S. 432; (1996), 135 D.L.R. (4th) 385; 40 Admin. L.R. (2d) 1; 96 CLLC 210-037; 198 N.R. 99; Application of Abitibi Co., Re (1982), 62 C.P.R. (2d) 81 (C.A.B.); Rice v. Christiani, [1931] A.C. 770 (C.P.).
DÉCISIONS CITÉES :
Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp. (1991), 35 C.P.R. (3d) 350; 125 N.R. 218 (C.A.F.); Vanity Fair Silk Mills v. Commissioner of Patents, [1939] R.C.S. 245; [1938] 4 D.L.R. 657; Lawson v. Canada (Commissioner of Patents) (1970), 62 C.P.R. 101 (C.É.); Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.), [1981] 1 R.C.S. 504; (1981), 122 D.L.R. (3d) 203; 56 C.P.R. (2d) 145; 35 N.R. 390; Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557; (1994), 114 D.L.R. (4th) 385; [1994] 7 W.W.R. 1; 92 B.C.L.R. (2d) 145; 22 Admin. L.R. (2d) 1; 14 B.L.R. (2d) 217; 4 C.C.L.S. 117; Ex parte Hibberd, 227 U.S.P.Q. 443 (Bd. Pat. App. & Int. 1985); Application No. 016,962 (Patent No. 947,179), Re (1973), 17; C.P.R. (2d) 177 (C.A.B.); Application No. 880,719 (Patent No. 944,693), Re (1973), 18 C.P.R. (2d) 114 (Comm. appels brevets); Application for Patent Containing Claims that Read on Mental Steps Performed by a Human Operator in Deciding to Transmit a Signal, Re (1972), 23 C.P.R. (2d) 93 (Comm. des brevets).
DOCTRINE
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Fox, Harold G. The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, 4th ed. Toronto : Carswell, 1969.
Hayhurst, William L. « Exclusive Rights in Relation to Living Things » (1991), 6 I.P.J. 171.
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Kreuzer, Helen and Adrianne Massey. Reconbinant DNA and Biotechnology : A Guide for Teachers. Washington, D.C. : ASM Press, 1996.
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Vaver, David. Intellectual Property Law : Copyright, Patents, Trade-Marks. Toronto : Irwin Law, 1997.
APPEL d’une décision par laquelle la Section de première instance ([1998] 3 C.F. 510 (1998), 79 C.P.R. (3d) 98; 146 F.T.R. 279) a rejeté l’appel interjeté de la décision par laquelle le commissaire aux brevets avait refusé de délivrer un brevet d’invention pour les revendications 1 à 12 de la demande présentée par l’appelant au sujet de mammifères non humains génétiquement modifiés destinés à être utilisés dans des études de cancérogénicité. Appel accueilli.
ONT COMPARU :
A. David Morrow et Steven B. Garland pour l’appelant.
Frederick. B. Woyiwada pour l’intimé.
Paul Muldoon, Theresa A. McClenaghan et Michelle Swenarchuk pour l’intervenante.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Smart & Biggar, Ottawa, pour l’appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.
Association canadienne du droit de l’environnement, Toronto, pour l’intervenante.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1] Le juge Isaac, J.C.A. (dissident) : J’ai eu l’avantage de lire la version préliminaire des motifs que le juge Rothstein compte prononcer dans le présent appel. Je ne puis souscrire à ces motifs ni à la façon dont il propose de trancher l’appel. Comme je suis arrivé à une conclusion différente sur la façon de trancher l’appel, je dois exposer les motifs qui m’y ont conduit.
[2] Il s’agit d’un appel interjeté contre un jugement de la Section de première instance ayant rejeté l’appel formé par l’appelant, en vertu de l’article 41 de la Loi sur les brevets[1] et du paragraphe 24(1) de la Loi sur la Cour fédérale[2], à l’encontre du refus du commissaire aux brevets (le commissaire) d’accorder un brevet d’invention à l’égard des revendications 1 à 12 de la demande de l’appelant. Les motifs du jugement ont été publiés à [1998] 3 C.F. 510.
[3] L’article 41 de la Loi est ainsi conçu[3] :
41. Dans les six mois suivant la mise à la poste de l’avis, celui qui n’a pas réussi à obtenir un brevet en raison du refus ou de l’opposition du commissaire peut interjeter appel de la décision du commissaire à la Cour fédérale qui, à l’exclusion de toute autre juridiction, peut s’en saisir et en décider.
[4] Le paragraphe 24(1) de la Loi sur la Cour fédérale dispose :
24. (1) Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, la Section de première instance a compétence exclusive, en première instance, pour connaître des appels interjetés devant la Cour aux termes d’une loi fédérale.
[5] Le pouvoir du commissaire de refuser l’octroi d’un brevet d’invention est prévu à l’article 40 de la Loi, ainsi conçu[4] :
40. Chaque fois que le commissaire s’est assuré que le demandeur n’est pas fondé en droit à obtenir la concession d’un brevet, il rejette la demande et, par courrier recommandé adressé au demandeur ou à son agent enregistré, notifie à ce demandeur le rejet de la demande, ainsi que les motifs ou raisons du rejet. [Non souligné dans l’original.]
LES FAITS
[6] Les faits sur lesquels le juge s’est fondé sont exposés aux paragraphes 3 et 4 [pages 514 et 515] des motifs publiés. Il n’y a donc pas de raison de les répéter.
LE DÉROULEMENT DE LA PROCÉDURE
[7] Il sera utile de passer en revue le déroulement de la présente affaire depuis la demande de brevet jusqu’au présent appel, parce que, à mon humble avis, c’est la seule façon pour la Cour d’apprécier le caractère raisonnable des conclusions du commissaire et des motifs qui les sous-tendent. Comme je le montrerai plus loin, c’est l’appréciation à laquelle aurait dû procéder le juge de première instance, mais qu’il n’a pas effectuée.
[8] Le 21 juin 1985, l’appelant a déposé une pétition pour l’octroi d’un brevet d’invention à l’égard des animaux transgéniques décrits et revendiqués dans le mémoire descriptif[5].
[9] Le 9 avril 1987, le commissaire a avisé l’appelant, conformément au paragraphe 45(2) des Règles sur les brevets[6], d’une décision de l’examinateur relativement à la demande, à savoir une demande de précisions sur les antériorités, fondée sur l’article 40 des Règles[7].
[10] Le 23 juin 1987, l’appelant a répondu à cette demande[8].
[11] Le 21 février 1990, le commissaire a avisé l’appelant d’une autre décision prise dans l’intérêt public par l’examinateur en vertu de la règle 46 des Règles sur les brevets. L’examinateur exposait que la demande de l’appelant avait été examinée et que, sur les 24 revendications contenues dans la demande, 18 avaient été rejetées—la revendication 14 était rejetée pour absence d’activité inventive, les revendications 1 à 12 et 15 à 17 étaient rejetées parce qu’elles portaient sur un objet non brevetable et ne répondaient pas à la définition de l’invention donnée à l’article 2 [mod. par L.C. 1993, ch. 2, art. 2] de la Loi et les revendications 18 et 19 étaient rejetées parce qu’elles portaient sur une méthode de traitement médical qui ne répondait pas à la définition de l’invention donnée à l’article 2 de la Loi. L’examinateur indiquait qu’il fallait modifier la demande en fonction de la décision prise[9].
[12] Par lettre datée du 21 juin 1990, les avocats de l’appelant ont demandé une prorogation de deux mois du délai fixé pour la réponse à la « décision officielle »[10].
[13] Par lettre datée du 6 juillet 1990, le commissaire a accordé la prorogation jusqu’au 21 août 1990[11].
[14] Par lettre datée du 16 août 1990, les avocats de l’appelant ont présenté une réponse qui gagne l’approbation du juge Rothstein comme l’indiquent ses motifs et demandé le réexamen de la demande[12].
[15] Par lettres datées des 11 septembre et 5 octobre 1990, les avocats de l’appelant ont présenté des documents supplémentaires[13].
[16] Par lettre datée du 14 janvier 1992, l’examinateur S. Kemdirim a avisé l’appelant qu’une autre décision avait été prise en vertu de « l’article 46 des Règles sur les brevets dans l’intérêt public ». La lettre poursuivait en ces termes :
[traduction] Cette demande a été examinée avec la correspondance du demandeur datée du 16 août 1990, du 11 septembre 1990 et du 5 octobre 1990.
Le nombre de revendications dans la présente demande est de 24.
Les arguments du demandeur présentés dans sa modification du 16 août 1990 ont été considérés. Toutefois, il a été décidé que ces arguments ne réfutent pas les objections exposées dans la dernière décision officielle. Les objections aux revendications 1 à 12 et 14 à 19 sont maintenues[14].
[17] Des motifs étaient donnés pour le rejet de chaque revendication. Les raisons données pour le rejet des revendications 1 à 12 et 15 à 17 sont particulièrement instructives :
[traduction] Les revendications 1 à 12 et 15 à 17 sont rejetées au motif qu’elles portent sur un objet non brevetable. Un objet portant sur les végétaux ou les animaux est jugé ne pas répondre à la définition de l’invention donnée à l’article 2 de la Loi sur les brevets. Toute autre modification de cet objet ne lui confère pas la brevetabilité s’il demeure dans un état vivant ou viable.
Le demandeur a cité l’article 2 de la Loi sur les brevets et à la section 12.03.01 du Recueil des pratiques du Bureau des brevets et a fait valoir que l’article 2 et la section 12.03.01(a) du Recueil des pratiques du Bureau des brevets n’excluent pas les animaux de la brevetabilité.
L’article 2 de la Loi sur les brevets définit l’invention brevetable :
« invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.
L’article 2 établit les conditions de brevetabilité d’une fabrication ou d’une composition de matières. L’objet doit posséder les caractères de la nouveauté et de l’utilité. Si l’article 2 est muet au sujet de la brevetabilité des animaux en tant que telle, il faut faire une interprétation restrictive de la formulation employée pour définir le terme « invention ». Aussi, l’invention alléguée par le demandeur à l’égard des revendications 1 à 12 et 15 à 17 ne constitue pas une « fabrication » au sens employé dans la définition du terme « invention » à l’article 2 de la Loi sur les brevets.
En outre, comme les animaux existaient au moment où la Loi sur les brevets a été édictée, si le Parlement avait eu l’intention d’inclure les animaux parmi les objets brevetables, on trouverait des termes comme « animaux » ou « formes de vie supérieures » dans la définition du terme « invention » à l’article 2 de la Loi sur les brevets.
Contrairement à la position du demandeur, la section 12.03.01(a) du Recueil des pratiques du Bureau des brevets exclut les animaux de la brevetabilité :
« Toute matière visant les plantes et les animaux n’est pas brevetable » Article 12.03.01(a) du Recueil des pratiques de l’Office des brevets, modifié en janvier 1990. À titre de guide seulement.
Le demandeur a cité l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Pioneer Hi-Bred. Il a fait valoir que l’invention alléguée en l’espèce était essentiellement microbiologique et faisait intervenir une manipulation par l’homme du matériel génétique. Cela doit être distingué du processus naturel de croisement décrit dans l’arrêt Pioneer Hi-Bred. Il faut aussi noter que le processus de croisement décrit dans l’arrêt Pioneer Hi-Bred n’était pas reproductible.
Bien que le processus visé par les revendications 15 à 17 fasse intervenir une manipulation par l’homme de matériel génétique, il n’est pas reproductible, comme c’était le cas pour le processus de croisement traité dans l’arrêt Pioneer Hi-Bred. Cela tient à ce que l’oncogène activé injecté est incorporé au hasard dans le chromosome de l’embryon. On ne peut prédire avec la moindre certitude le locus où il sera intégré. Par conséquent, des scientifiques différents suivant l’enseignement du mémoire descriptif n’obtiendront pas les mêmes résultats, dans la mesure où ils obtiendront des lignées génétiquement différentes de souris transgéniques.
Pour les motifs qui précèdent, les revendications 1 à 12 et 15 à 17 sont rejetées[15].
[18] Par lettre datée du 13 avril 1992, les avocats de l’appelant ont demandé au commissaire une prorogation de délai en vue de répondre à la décision officielle[16].
[19] Par lettre datée du 27 avril 1992, le commissaire a accordé la prorogation de délai en vue de la réponse à la décision de l’examinateur[17].
[20] Par lettre datée du 14 juillet 1992, les avocats de l’appelant ont répondu à la décision officielle du 14 janvier 1992, par un document d’une dizaine de pages, accompagné d’une annexe de cinq pages. On y lit notamment :
[traduction] La présente lettre est déposée en réponse à la décision officielle du 14 janvier 1992.
Veuillez remplacer les pages de revendications dans le dossier par les nouvelles pages de revendications contenant les revendications 1 à 26, ci-jointes en double exemplaire.
Veuilez remplacer les pages 1 et 2 de la divulgation par les nouvelles pages de divulgation ci-jointes.
N O T E S
La revendication 1 a été modifiée de manière à restreindre la matière à un mammifère. Une modification semblable a été apportée aux revendications 2 à 15. La revendication 14 a subi une modification semblable et des étapes ont été ajoutées dans la méthode. Les revendications 18 et 19 ont été modifiées pour y intégrer l’« utilisation ». Les revendications 25 et 26 ont été ajoutées à la présente demande. On trouvera aux pages 5, 6 et 17 de la divulgation le fondement de la revendication 25 et à la page 5 de la divulgation le fondement de la revendication 26.
Compte tenu des modifications apportées aux revendications, diverses modifications mineures ont été apportées aux pages 1 et 2. Les modifications de la page 1 visent à renforcer le fondement de la revendication 1 et celles de la page 2 à renforcer le fondement des revendications 15, 14 et 3, respectivement[18]. [Non souligné dans l’original.]
[21] Ce qui se dégage clairement, à mon avis, de cette réponse, c’est le vigoureux débat entre les avocats de l’appelant et l’examinateur au sujet de la brevetabilité de l’objet de la demande. Il faut également noter que, au fil des échanges, chaque partie accepte ou rejette les positions prises par l’autre. Les extraits cités aux paragraphes 22 et 23 montrent la nature et la qualité du débat.
[22] Voici un extrait tiré de la réponse des avocats, aux pages 122 et 123 :
[traduction] Le reste de la décision officielle a trait à une objection aux revendications 1 à 12 et 15 à 17 fondée sur la non-brevetabilité de l’objet. Ainsi que l’examinateur le relève à juste titre, l’article 2 est muet au sujet de la brevetabilité des animaux en tant que tels. Toutefois, l’examinateur interprète le silence de cet article de la Loi sur les brevets comme une indication qu’il faudrait donner une interprétation restrictive de la formulation employée pour définir le terme « invention ». Avec égards, le demandeur n’est pas d’accord avec cette position. Le demandeur comprend que, dans un pays de common law comme le Canada, en l’absence d’une interdiction expresse d’une activité, comme l’obtention d’un brevet pour un animal nouveau, utile et non évident, il est loisible au demandeur d’obtenir cette protection. Le demandeur est également en désaccord, avec égards, avec la position de l’examinateur que l’objet des revendications 1 à 12 ne constitue pas une « fabrication ». Le nouveau matériel génétique, les nouveaux arrangements de matériel génétique ancien ou les combinaisons de matériel génétique nouveau et ancien sont ordinairement acceptés comme brevetables. Les vecteurs contenant un tel matériel génétique sont brevetables. Les cellules contenant un tel matériel sont brevetables. Cependant, le Bureau des brevets semble établir une démarcation entre les cellules et les ensembles différenciés de cellules prenant la forme d’un mammifère. Que les cellules soient différenciées ou non, l’objet des revendications a exigé l’intervention humaine et nous prétendons respectueusement qu’il constitue une « fabrication »[19]. [Non souligné dans l’original.]
[23] La décision finale de l’examinateur porte la date du 24 mars 1993. L’examinateur, M. Gillen, informait l’appelant que le refus des revendications 1 à 12 était maintenu, mais que les revendications 13 à 26 étaient admissibles. Je reproduis une partie des motifs donnés pour le maintien du refus des revendications 1 à 12 :
[traduction] Les revendications 1 à 12 ont pour objet un mammifère transgénique non humain. Elles sont rejetées au motif qu’elles portent sur un objet non brevetable. Il est jugé qu’une forme de vie supérieure, comme un animal, ne répond pas à la définition de l’invention donnée à l’article 2 de la Loi sur les brevets.
Le demandeur a fait valoir que « dans un pays de common law comme le Canada, en l’absence d’une interdiction expresse d’une activité, comme l’obtention d’un brevet pour un animal nouveau, utile et non évident, il est loisible au demandeur d’obtenir cette protection ». Cette position implique que, en l’absence d’une interdiction expresse dans la Loi sur les brevets, dès lors qu’un objet est nouveau, utile et non évident, il est brevetable. Ce n’est clairement pas le cas au Canada et le droit du commissaire tant d’interpréter l’article 2 de la Loi sur les brevets que de rejeter certains objets et certaines activités parce qu’elles portent sur un objet non brevetable a été confirmé par les tribunaux.
Dans l’arrêt Commissioner of Patents v. Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning, (1964) R.C.S., à la page 56, le juge Judson a écrit : « […] au Canada, le Bureau des brevets, sous le contrôle de la Cour, procède à l’examen de l’activité inventive et le demandeur peut interjeter appel auprès du plus haut tribunal. En outre, dans la catégorie particulière d’affaire qui nous occupe, portant sur les médicaments, il y a un intérêt public considérable qui est en jeu, et le commissaire doit examiner la demande avec soin pour voir si elle justifie l’octroi du monopole et pour déterminer la portée de celui-ci. » Le juge Judson a confirmé le droit du commissaire de considérer l’intérêt public dans l’interprétation de l’article 2 de la Loi. [Non souligné dans l’original.]
Dans l’affaire Lawson c. Commissaire des brevets, (1970) 62 C.P.R. 101, à la page 109, le juge Cattanach a dit : « Je pense qu’il est bien établi que tous les arts et fabrications utiles ne sont pas nécessairement inclus à l’alinéa 2d) de la Loi sur les brevets. » Dans cette affaire, la Cour de l’Échiquier a confirmé le refus du commissaire d’accorder un brevet pour un lotissement en forme de coupe de champagne.
Dans l’arrêt Tennessee Eastman c. Commissaire des brevets, (1974) R.C.S. 111, à la page 119, le juge Pigeon a écrit : « Étant arrivé à la conclusion que les méthodes de traitement médical ne sont pas visées comme “procédés” par définition d’“invention”, le même raisonnement doit, pour les même motifs, s’appliquer aux méthodes de traitement chirurgical. » Dans cette affaire, la Cour a confirmé l’interprétation du terme « invention » selon laquelle les méthodes de traitement médical ou chirurgical étaient exclues.
Dans l’arrêt Pioneer Hi-Bred Ltd. c. Commissaire des brevets (1987), 3 C.F. 8, 77 N.R. 137, la Cour d’appel fédérale a confirmé le refus du commissaire des brevets d’accorder un brevet pour une nouvelle variété végétale, son refus étant fondé sur le fait que les revendications portant sur la plante et sur ses graines avaient trait à un objet non brevetable. Le commissaire avait fondé son objection sur une interprétation de la définition du terme « invention » donnée à l’article 2 de la Loi sur les brevets.
Ces quelques arrêts démontrent clairement qu’il n’est pas exact que tout ce qui est nouveau, utile et suppose une activité inventive constitue a priori un objet brevetable. Le commissaire aux brevets a à la fois le droit et le devoir de prendre en considération l’intérêt public en vue de décider s’il doit accorder un brevet. [Non souligné dans l’original.]
Le demandeur a soutenu que « l’octroi de brevets pour les formes de vie supérieures (végétaux et animaux) est clairement envisagé dans les décisions de la Commission d’appel des brevets et des tribunaux ». Toutefois, sur la question de la brevetabilité des formes de vie supérieures, ni la Commission d’appel des brevets ni les tribunaux n’ont expressément indiqué que ces formes de vie constituent un objet brevetable.
Dans l’affaire Abitibi (Re application of Abitibi Co. (1982), 62 C.P.R. (2d) 81), le commissaire a souscrit à la recommandation de la Commission d’appel des brevets que les micro-organismes soient considérés comme un objet brevetable. La décision du commissaire établissait une distinction entre les formes de vie inférieures et les animaux. La décision Abitibi établissait la brevetabilité des formes de vie inférieures « produites en masse à la façon dont les composés chimiques sont préparés » et « formées en si grand nombre que toute quantité mesurable possédera des propriétés et caractéristiques uniformes ». Quant aux formes de vie supérieures, comme les végétaux et les animaux, la décision du commissaire concluait ainsi sur la question de leur brevetabilité : «Quant à savoir si la brevetabilité s’étend aux formes de vie supérieure—les plantes (au sens ordinaire) ou les animaux—cela est plus discutable. » [Souligné dans l’original.]
La question de la brevetabilité des formes de vie supérieures a été traitée, après la décision Abitibi, dans une demande de protection par brevet d’une plante et de ses graines, présentée par Pioneer Hi-Bred Ltd. La décision du commissaire, confirmée par la Cour d’appel fédérale (citée plus haut), a rejeté les revendications portant sur une plante de soya et sur ses graines. Le juge Marceau résumait sa position de la façon suivante : «en ce qui concerne l’intention du législateur, étant donné que le croisement des plantes était déjà bien connu à l’époque de l’adoption de la Loi, il me semble que, si on avait voulu étendre aux plantes l’application du texte législatif, on aurait premièrement prévu une définition du mot “invention” dans laquelle auraient figuré des mots comme “lignée”, “variété” ou “hybride”, et en second lieu, on aurait adopté des dispositions spéciales permettant de mieux adapter tout le système à un objet dont la caractéristique essentielle est de se reproduire automatiquement à la suite de sa croissance et de sa maturité. »
Si la question de la brevetabilité des formes de vie supérieures était « plus discutable » dans la décision Abitibi, le commissaire a conclu, dans l’affaire Pioneer Hi-Bred, qu’un type de vie supérieure, à savoir les plantes, n’entrait pas dans la définition de l’invention donnée à l’article 2 de la Loi sur les brevets. Si la Cour suprême ne s’est pas prononcée sur le rejet par le commissaire, sur le fondement de l’article 2, des revendications portant sur une plante et sur ses graines, la Cour d’appel fédérale a confirmé le rejet par le commissaire de ces revendications, fondé sur cet article de la Loi.
Si l’on accepte qu’un animal, en l’espèce un mammifère, constitue une forme de vie plus complexe et plus élevée qu’une plante, il semble logique de conclure que, si la plante est jugée non brevetable, il doit en être de même pour les animaux.
En rejetant les revendications 1 à 12, portant sur un mammifère transgénique non humain, l’examinateur est guidé par la décision du commissaire dans l’affaire Abitibi et est lié par l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Pioneer Hi-Bred. Les revendications 1 à 12 sont rejetées au motif qu’elles ont pour objet une forme de matière vivante qui n’entre pas dans la définition de l’invention donnée à l’article 2 de la Loi sur les brevets[20].
[24] Par lettre datée du 24 septembre 1993, les avocats de l’appelant ont répondu à la décision finale de l’examinateur. Leur position, résumée à la page 9 de la lettre, était la suivante :
[traduction]
1) Il n’existe pas de fondement légal pour exclure de la protection par brevet les formes de vie supérieures;
2) Il n’existe pas de précédent jurisprudentiel interdisant l’octroi de brevets pour les formes supérieures de vie créées par une intervention technique significative de l’homme;
3) Il est dans l’intérêt du public canadien de permettre les brevets pour les formes de vie supérieures.
Pour ces raisons, nous demandons respectueusement au commissaire aux brevets d’accepter les revendications 1 à 12 de la présente demande[21].
[25] Dans la lettre, les avocats demandaient également au commissaire de réviser la décision finale de l’examinateur et sollicitaient une audience devant la Commission d’appel des brevets en vertu des paragraphes 47(2) et (5), respectivement, des Règles sur les brevets.
[26] Par lettre datée du 22 juin 1994, le président de la Commission d’appel des brevets a informé les avocats de l’appelant, notamment, qu’une audience avait été fixée pour le 28 juillet 1994[22].
[27] L’audience a été tenue le 28 juillet 1994. Le 14 août 1995, le président de la Commission d’appel des brevets a informé les avocats de l’appelant de la décision du commissaire refusant l’octroi d’un brevet contenant les revendications 1 à 12 de la demande et les informant du droit d’appel prévu par la Loi[23].
[28] Le 2 février 1996, l’appelant a déposé, auprès de la Section de première instance, un avis d’appel de la décision du commissaire rejetant les revendications 1 à 12 de la demande[24]. Cet avis n’allègue pas de motifs particuliers d’erreur.
[29] Le 21 avril 1998, la Section de première instance a prononcé un jugement rejetant l’appel. C’est sur ce jugement que porte le présent appel.
LA DÉCISION DU COMMISSAIRE
[30] Bien que le juge Rothstein ait traité de la décision du commissaire dans ses motifs, j’estime nécessaire de mettre en évidence certains extraits aux fins des présents motifs.
[31] Je note, en premier lieu, la fin du premier paragraphe des motifs du commissaire :
[…] j’ai ensuite examiné le suivi donné à la demande et discuté du rejet avec la Commission avant de rendre ma décision[25]. [Non souligné dans l’original.]
[32] En second lieu, il convient de rappeler la description que donne le commissaire de l’objet de la demande :
La demande vise un mammifère transgénique, en particulier une souris transgénique qui peut servir, dans des essais, à dépister les substances soupçonnées d’être cancérigènes ou les substances susceptibles de conférer une protection contre le développement de néoplasmes[26].
[33] Troisièmement, il a noté que notre Cour, dans l’arrêt Pioneer Hi-Bred Ltd. c. Canada (Commissaire des brevets)[27] avait refusé à l’unanimité d’accepter la définition de « fabrication » et de « composition de matières » sur lesquelles s’était appuyée la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire Diamond v. Chakrabarty[28], arrêt vers lequel le juge Rothstein nous invite à nous tourner pour nous guider.
[34] Quatrièmement, il a convenu avec les avocats de l’appelant que, la Cour suprême n’ayant pas tranché l’affaire Pioneer Hi-Bred sur le fond, l’examinateur posait à tort, dans sa décision finale, qu’il devait suivre l’arrêt de notre Cour dans cette affaire. Il a reconnu, cependant, que cet arrêt de notre Cour avait une forte valeur persuasive[29].
[35] Cinquièmement, il a relevé que, dans l’affaire Application of Abitibi Co., Re[30], décision de la Commission d’appel des brevets, dont la recommandation avait été suivie par le commissaire, la Commission s’était montrée peu encline à considérer comme brevetables les revendications ayant pour objet les formes de vie supérieures.
[36] Sixièmement, après avoir rejeté l’argument présenté par les avocats de l’appelant voulant qu’il interprète les termes « fabrication » et « composition de matières » employés à l’article 2 de la Loi selon la pratique américaine, il a indiqué :
Cependant, je ne crois pas qu’on puisse accorder beaucoup d’importance à la pratique américaine lorsqu’on interprète une loi canadienne.
À mon avis, les termes « fabrication » et « composition de matières » figurant à l’article 2 s’appliquent à une chose fabriquée dont l’inventeur a le contrôle. Dans le cas de la « fabrication », il s’agit de la production d’objets à partir de produits de départ à qui l’on donne des formes, des qualités, des propriétés ou des agencements nouveaux, que ce soit à la main ou à l’aide d’une machine. Quant à l’expression « composition de matières », je l’interpréterais de façon large, pour qu’elle vise non seulement le résultat d’une combinaison chimique ou d’un mélange obtenu de façon mécanique, mais également de techniques du génie génétique ou de la microbiologie, dans la mesure où ils sont exécutés et contrôlés par l’homme. En même temps, le produit qui en résulte doit pouvoir être reproduit de façon uniforme[31]. [Non souligné dans l’original.]
[37] Finalement, il a conclu son analyse en ces termes :
Puisque les plasmides et le matériel unicellulaire transgénique sont produits sous le contrôle total de l’inventeur et peuvent être reproduits, je suis convaincu qu’il s’agit d’une « fabrication » ou d’une « composition de matières » visées à l’article 2 de la Loi. Je ferais remarquer qu’en l’espèce aucune objection fondée sur l’article 2 n’a été soulevée à l’égard des revendications.
Cependant, je ne peux étendre le sens des termes « fabrication » ou « composition de matières » à un mammifère non humain. Selon le sens ordinaire des mots, et ici je suis fortement influencé par l’arrêt de la Cour fédérale d’appel dans Pioneer Hi-Bred, je ne juge pas qu’un mammifère non humain comme une souris est visé par la définition d’« invention ». Les inventeurs n’ont pas un contrôle total sur toutes les caractéristiques de la souris qui en résulte, puisque l’intervention de l’homme a pour but d’assurer que la reproductibilité ne s’étend qu’aux gènes cancérogènes[32].
[38] Il a donc refusé d’accorder un brevet à l’égard des revendications 1 à 12[33].
LES MOTIFS DE LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
[39] Le juge de la Section de première instance a traité l’appel comme s’il s’agissait d’un appel de plein droit. Sans aucun doute en réponse aux invitations que lui avaient faites les avocats en ce sens, il a convenu que [à la page 516] « c’est la première fois que la Cour est appelée à se prononcer sur la question de savoir si une forme de vie supérieure, en l’occurrence un mammifère, est brevetable ». À mon humble avis, le juge de première instance a été induit par les avocats à croire qu’il n’avait pas simplement pour fonction de siéger en révision de la décision d’un tribunal administratif. Il est exact que l’appelant avait un droit d’appel prévu par la loi. Cependant, depuis l’arrêt Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers)[34], la première question que le tribunal doit se poser, lorsqu’il siège en appel d’une décision d’un tribunal administratif, comme en l’espèce, c’est celle de la norme de contrôle applicable. Il en est ainsi en dépit de l’existence d’un droit d’appel prévu par la loi et en dépit de l’absence de clause privative dans la loi constitutive du tribunal.
[40] Cette méthode a été confirmée dans l’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[35], où le juge Bastarache, s’exprimant au nom de la majorité, a écrit :
L’un des éléments nécessaires pour trancher la demande de contrôle judiciaire est la norme de contrôle applicable au jugement du tribunal administratif qui fait l’objet du contrôle, et cette question est de toute évidence en cause dans le présent pourvoi. Quoique notre Cour soit peu disposée à statuer sur des questions qui n’ont pas été débattues à fond devant elle, le présent pourvoi ne saurait être tranché sans détermination préalable de la norme de contrôle applicable. [Non souligné dans l’original.]
[41] Le principe établi dans cet arrêt concernant la nécessité de décider de la norme de contrôle dans les procédures de contrôle judiciaire s’applique tout autant, à mon humble avis, au droit d’appel prévu par une loi depuis l’arrêt prononcé par la Cour suprême dans l’affaire Pezim.
[42] Comme je l’ai déjà indiqué, c’est la première question que le juge de première instance aurait dû poser. Il ne l’a pas fait. C’est une question que je dois maintenant poser et à laquelle je dois répondre, parce que, à mon humble avis, le présent appel « ne saurait être tranché »[36] sans une réponse à cette question. Avec le plus grand respect pour ceux qui sont de l’opinion contraire, je suis d’avis qu’il ne suffit pas que les avocats des parties ne soulèvent pas la question de la norme de contrôle pour décharger les tribunaux de leur obligation d’analyser la norme de contrôle.
LA NORME DE CONTRÔLE
[43] Dans une série d’arrêts récents, la Cour a étudié la question de la norme de contrôle applicable aux décisions du registraire des marques de commerce, tribunal administratif établi par la Loi sur les marques de commerce[37], loi du même domaine. L’arrêt le plus récent est Molson Breweries, société en nom collectif c. John Labatt Ltée[38]. Dans cet arrêt, le juge Rothstein, s’exprimant au nom de la majorité, a formulé la norme de la manière suivante au paragraphe 29 [page 196] :
Je pense que l’approche suivie dans les affaires Benson & Hedges c. St. Regis et McDonald c. Silcorp est conforme à la conception moderne de la norme de contrôle. Même s’il y a, dans la Loi sur les marques de commerce, une disposition portant spécifiquement sur la possibilité d’un appel à la Cour fédérale, les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues comme devant faire l’objet d’une certaine déférence. Compte tenu de l’expertise du registraire, et en l’absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d’expertise, qu’elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu’elles résultent de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. [Non souligné dans l’original.]
[44] Dans l’arrêt Pushpanathan, la Cour suprême a énuméré quatre facteurs à prendre en compte dans l’application de l’analyse pragmatique et fonctionnelle en vue de déterminer la norme de contrôle appropriée : la présence ou l’absence d’une clause privative; l’expertise du décideur; l’objet de la disposition en cause et de la loi dans son ensemble; et la nature du problème en cause.
[45] Dans la présente affaire, la Loi ne comporte pas de clause privative; toutefois, ainsi que la Cour suprême l’a reconnu dans l’arrêt Pezim[39], cela ne règle pas la question. Les tribunaux dont les décisions sont soumises à un contrôle par voie d’appel peuvent exiger un certain degré de retenue lorsque d’autres facteurs le justifient.
[46] À mon humble avis, on ne peut guère douter que le commissaire possède une expertise sur la question de la brevetabilité des inventions.
[47] Dans l’arrêt X c. Commissaire des brevets[40], il s’agissait d’un appel formé en vertu de l’article 44 [S.R.C. 1970, ch. P-4] (devenu l’article 40) de la Loi à l’encontre d’une décision du commissaire qui avait approuvé la recommandation de la Commission d’appel des brevets et refusé la demande de brevet présentée par l’appelant pour une invention alléguée. L’appelant alléguait que le commissaire avait conclu à tort que le brevet ne pouvait fonctionner. Le juge en chef Thurlow, s’exprimant au nom de la Cour unanime, a jugé que le commissaire était un tribunal spécialisé et que « la Cour […] serait tenue d’accorder une certaine valeur » à sa décision. Voici les termes qu’il a employés à la page 10 de ses motifs :
Vu les pièces au dossier, soit le mémoire descriptif et la correspondance échangée entre l’appelant et le bureau des brevets, et en l’absence de tout élément de preuve sur ce point, la Cour ne me paraît pas être en mesure d’arriver à une conclusion différente de celle de la Commission pour ce qui est de savoir s’il est possible de réaliser un appareil du type de celui qui est décrit dans le mémoire descriptif et de le faire fonctionner. Même si la Cour était disposée à différer d’avis avec le commissaire et ses conseillers, elle serait tenue d’accorder une certaine valeur à leur conclusion sur la même preuve, compte tenu des connaissances techniques que ces conseillers sont censés posséder et appliquer. [Non souligné dans l’original.]
[48] Le juge en chef Thurlow a rédigé ces motifs plus d’une décennie avant l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire British Columbia Telephone Co. c. Shaw Cable Systems (B.C.) Ltd.; dans cet arrêt, le juge L’Heureux-Dubé, s’exprimant au nom d’une Cour unanime sur ce point, a écrit au paragraphe 30 :
Dans l’affaire dont nous sommes saisis, le tribunal administratif spécialisé, le CRTC, possède une vaste expertise dans son domaine de compétence. Toutefois, malgré cette expertise, la décision du CRTC en cause n’est pas protégée par une clause privative et est, en fait, assujettie à un droit d’appel expressément prévu dans la loi. Néanmoins, il a été clairement établi dans Pezim, précité, et dans Bell Canada c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 1 R.C.S. 1722, qu’un tribunal spécialisé comme le CRTC, qui agit dans les limites de son champ d’expertise et de sa compétence, doit faire l’objet d’une retenue judiciaire même lorsqu’il n’existe pas de clause privative et que la loi prévoit un droit d’appel[41].
De façon curieuse, les conceptions de la révision des décisions de tribunaux spécialisés que l’on trouve dans ces deux décisions ne présentent pas de différence significative avec celle qui est exposée par le juge Rothstein dans l’arrêt John Labatt Ltée.
[49] Il est manifeste, d’après ma récapitulation des points soulevés par les divers examinateurs dans mon rappel du déroulement de la procédure, qu’il s’agit de personnes possédant une expertise technique[42]. En outre, sur requête du demandeur, la décision finale de l’examinateur a été déférée à la Commission d’appel des brevets—autre organisme possédant une expertise en matière de brevets—en vue d’audiences selon le paragraphe 30(6) des Règles sur les brevets[43]. Il faut relever que le commissaire a indiqué, dans sa décision, qu’il avait discuté le refus de l’examinateur avec les membres de la Commission d’appel des brevets avant de rendre sa décision[44]. Pour ces raisons, à mon humble avis, le commissaire est un tribunal spécialisé.
[50] Comme la nature de la question (la brevetabilité de l’oncosouris) se situe au cœur du domaine d’expertise du commissaire, je suis d’avis qu’il faut faire preuve de retenue à l’égard de sa décision, suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter, pour reprendre les mots du juge Rothstein dans l’arrêt John Labatt Ltée.
[51] L’objet de la Loi milite également en faveur d’une plus grande retenue à l’endroit du commissaire. Selon le juge Judson qui s’exprimait au nom d’une Cour unanime dans l’arrêt Commissioner of Patents v. Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning, [traduction] « il y a un intérêt public considérable qui est en jeu » dans les brevets se rapportant aux médicaments et [traduction] « le commissaire devrait examiner la demande avec soin pour voir si elle justifie l’octroi du monopole et pour déterminer la portée de celui-ci »[45]. Or à mes yeux, il ne fait aucun doute que l’intérêt public est en cause dans les demandes du type de la présente demande.
[52] Que l’intérêt public soit d’une importance capitale dans les affaires de brevet, on en trouve une autre illustration à l’article 10 [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 28] de la Loi, qui permet au public, sous réserve de certaines mesures de protection en faveur des demandeurs de brevets[46], de consulter tous les brevets et tous les documents relatifs à ceux-ci. Si les demandes de brevet n’entraînaient que des différends bilatéraux entre les examinateurs de brevets et le demandeur, le public n’aurait pas besoin d’avoir accès aux documents se rattachant aux brevets. La Loi reconnaît de cette manière que le commissaire doit avoir conscience de l’intérêt public et s’en inspirer dans toutes les affaires de brevet.
[53] Enfin, comme l’a écrit le juge Binnie dans l’arrêt Cadbury Schweppes Inc. c. Aliments FBI Ltée :
[…] au moins un des objectifs de principe qui sous-tendent les réparations que le titulaire d’un brevet peut demander en vertu de la loi est de rendre la divulgation plus attrayante, et à ainsi faire en sorte que des connaissances utiles soient rendues publiques le plus rapidement possible conformément à l’intérêt public[47].
[54] Il est donc clair, à mes yeux, que l’un des buts de la Loi est que le commissaire doit toujours avoir conscience de l’intérêt public et en tenir compte en vue de décider s’il doit accorder un brevet. Sur une question faisant l’objet d’un débat moral intense comme celle-ci[48], il convient que la Cour fasse preuve de réserve à l’égard des décisions du commissaire lorsqu’elles s’inspirent de considérations d’intérêt public.
[55] Je conclus donc que le contrôle de la décision du commissaire doit se faire en fonction de la norme du caractère raisonnable simpliciter, c’est-à-dire, pour reprendre les termes du juge Iacobucci dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc.[49], au paragraphe 56 :
Est déraisonnable la décision qui, dans l’ensemble, n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s’il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s’il en est, pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve. Un exemple du premier type de défaut serait une hypothèse qui n’avait aucune assise dans la preuve ou qui allait à l’encontre de l’essentiel de la preuve. Un exemple du deuxième type de défaut serait une contradiction dans les prémisses ou encore une inférence non valable.
[56] À mon humble avis, si le juge de première instance avait adopté cette méthode, il aurait certainement conclu qu’il devait faire preuve de réserve à l’égard de la décision du commissaire, puisque la question relevait de sa compétence et que sa décision était raisonnable. Dans son exposé érudit, le juge a conclu que la décision du commissaire était correcte. En l’absence de toute preuve contraire sur ce point, je dois supposer qu’elle était aussi raisonnable au sens défini par le juge Iacobucci dans l’arrêt Southam.
[57] La décision du commissaire était également raisonnable parce qu’elle adoptait une attitude prudente à l’égard de l’octroi de brevets pour les nouvelles formes de vie. Comme l’a indiqué William L. Hayhurst, c.r. : [traduction] « si l’on peut juger d’après l’expérience passée du Canada en matière de propriété intellectuelle, une chose est claire : le Canada procédera avec prudence »[50]. La nécessité de cette attitude prudente à l’égard des nouvelles techniques a été soulignée dans le rapport final de la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction, qui faisait observer :
[…] même si bien des gens croient encore, comme il y a quarante ans, que « la technologie moderne peut améliorer leur vie », on note un malaise croissant à l’égard de scientifiques qui jouent les « apprentis sorciers » et des techniques « qui bouleversent la nature ». D’aucuns craignent « qu’on n’ait fait sortir le génie de la lampe » et qu’on ne puisse plus jamais l’y faire « rentrer »[51].
[58] Si l’on applique la méthode qui précède à la présente affaire, on doit conclure, à mon humble avis, que le juge de première instance a rejeté à bon droit l’appel, même s’il n’a pas vu la nécessité de procéder à un examen de la norme de contrôle.
[59] Cette conclusion est suffisante pour rejeter l’appel. Toutefois, compte tenu de la façon dont l’appel a été plaidé devant nous et par égard pour les avocats, j’estime utile de toucher à certaines des questions soulevées et traitées par le juge Rothstein dans ses motifs.
[60] Je traite d’abord des deux questions connexes du pouvoir discrétionnaire du commissaire d’octroyer ou de refuser le brevet et de la pertinence des considérations de principe. Cela nous amène à discuter de l’article 40 de la Loi.
[61] Je répète cet article pour la commodité du lecteur :
40. Chaque fois que le commissaire s’est assuré que le demandeur n’est pas fondé en droit à obtenir la concession d’un brevet, il rejette la demande et, par courrier recommandé adressé au demandeur ou à son agent enregistré, notifie à ce demandeur le rejet de la demande, ainsi que les motifs ou raisons du rejet. [Non souligné dans l’original.]
[62] Sur le fondement d’une citation de l’arrêt Monsanto Company c. Commissaire des brevets[52], le juge Rothstein arrive à la conclusion suivante [infra, au paragraphe 109] : « Il est donc évident que lorsqu’un procédé ou un produit satisfait aux exigences de la Loi sur les brevets, la demande de brevet doit être accueillie. » À mon humble avis, cette affirmation ne tient pas compte de la disposition claire de l’article 40 portant que le commissaire doit s’être assuré que le demandeur est fondé en droit à obtenir un brevet. On ne peut simplement conclure, à mon sens, qu’il faut octroyer le brevet une fois qu’il a été satisfait aux exigences de la Loi. Je conviens que l’octroi ou le refus du brevet ne relève pas d’un pouvoir discrétionnaire. Toutefois, cela ne signifie pas que le demandeur n’a pas à convaincre le commissaire et ses fonctionnaires qu’il est fondé en droit à obtenir le brevet.
[63] En outre, à mon humble avis, la citation de l’arrêt Monsanto n’appuie pas la conclusion du juge Rothstein. Dans cet arrêt, le juge Pigeon a formulé cette position en réponse à une plainte faite dans les circonstances suivantes : le demandeur avait présenté une preuve par affidavit fondée sur des principes scientifiques. Le commissaire et ses fonctionnaires n’ont pas contesté ces principes et se sont contentés de dire qu’ils n’étaient « pas convaincus que cela soit suffisant ». Le juge Pigeon, s’exprimant au nom de la Cour, a statué que cette réponse ne suffisait pas, car « si on l’acceptait, le droit d’appel deviendrait illusoire »[53]. Puis il a poursuivi en citant l’article 42 (maintenant devenu l’article 40) de la Loi et a indiqué, comme l’a dit le juge Rothstein, que l’octroi ou le refus du brevet n’est pas une question de discrétion. Je souscris respectueusement à la position du juge Pigeon que l’octroi ou le refus du brevet n’est pas une question de discrétion, mais, comme je l’ai déjà indiqué, cela ne signifie pas que le demandeur n’a pas l’obligation de convaincre le commissaire et ses fonctionnaires qu’il est fondé en droit à obtenir le brevet.
PIONEER HI-BRED ET CHAKRABARTY
[64] Dans l’affaire Pioneer Hi-Bred, notre Cour a traité de la brevetabilité de variétés de soya obtenues par croisement. L’une des questions soulevées en appel portait sur le point de savoir si les variétés de soya obtenues par croisement constituaient une « fabrication » ou une « composition de matières » au sens de l’article 2 de la Loi. Comme dans la présente affaire, le commissaire avait refusé de délivrer le brevet; l’appelant plaidait que le commissaire avait décidé à tort qu’une lignée de plante cultivée par voie naturelle et issue d’un croisement artificiel ne constitue pas une invention au sens de l’article 2 de la Loi.
[65] L’avocat de l’appelant, citant l’arrêt Chakrabarty de la Cour suprême des États-Unis et la décision du Board of Appeals and Patent Interferences des États-Unis Ex parte Hibberd[54], a invité la Cour à conclure que l’objet de la demande constituait une « fabrication » ou une « composition de matières ». On a également cité la décision de la Commission d’appel des brevets canadienne dans l’affaire Abitibi. Dans l’affaire Pioneer Hi-Bred, le juge Marceau a rédigé des motifs auxquels ont souscrit les juges Pratte et Lacombe. Après avoir passé en revue les arguments fondés sur ces décisions, il a rejeté les définitions de « fabrication » et de « composition de matières » retenues par la Cour suprême des États-Unis dans l’arrêt Chakrabarty, dans ces termes :
Même si l’on concluait que ces définitions peuvent s’appliquer à un micro-organisme obtenu grâce à un procédé de laboratoire, je ne puis aller plus loin et convenir qu’elles puissent également s’appliquer à une variété de plante produite par croisement. Une telle plante ne peut pas être vraiment considérée, autrement que sur le plan le plus métaphorique, comme ayant été produite à partir de matières premières ou comme étant une combinaison de deux substances ou plus unies par des moyens chimiques ou mécaniques. Il me semble que le sens commun et ordinaire des mots « fabrication » et « composition de matières » serait dénaturé si ceux-ci devaient s’étendre à une variété de soya unique, mais simple[55].
[66] Le juge Pratte, dans des motifs distincts, a ajouté un motif supplémentaire de rejet d’appel, le fait que le demandeur n’avait pas satisfait aux exigences de divulgation du paragraphe 36(1) de la Loi.
[67] L’appelant a formé un pourvoi en Cour suprême contre l’arrêt de notre Cour. La Cour suprême a rejeté le pourvoi pour le motif supplémentaire formulé par le juge Pratte et sans prendre position sur les vues exprimées par le juge Marceau.
[68] Compte tenu de l’importance accordée à l’arrêt Chakrabarty devant notre Cour, il n’est pas déraisonnable de supposer que l’appelant l’a invoqué en Cour suprême. L’arrêt n’est pas mentionné dans les motifs du juge Lamer [tel était alors son titre] qui s’exprimait au nom de la Cour, mais on peut raisonnablement supposer que la Cour a refusé, à tout le moins implicitement, d’adopter les définitions de « fabrication » et « composition de matières » que la Cour suprême des États-Unis avait acceptées dans cet arrêt.
[69] Dans quelle mesure faut-il attacher l’autorité du précédent aux motifs de notre Cour dans l’arrêt Pioneer Hi-Bred tels qu’ils ont été exprimés par le juge Marceau, compte tenu de la décision de la Cour suprême du Canada? Sur le fondement de décisions de la Cour d’appel d’Angleterre, le commissaire a conclu qu’il n’était pas lié par cet arrêt, lequel avait cependant une forte valeur persuasive. Je souscris à cette position. Bien que nous ne soyons pas liés par cet arrêt, la courtoisie judiciaire nous commande de témoigner d’un grand respect à son égard. Pour ce seul motif, je rejetterais le raisonnement de la majorité de la Cour suprême des États-Unis dans l’arrêt Chakrabarty et du Board of Appeals and Patent Interferences des États-Unis dans l’affaire Ex parte Hibberd.
[70] Il est manifeste, d’après ses motifs, que le juge Rothstein s’est grandement inspiré de l’arrêt Chakrabarty de la Cour suprême des États-Unis. Au paragraphe 147 de ses motifs, il indique même qu’il s’est « fortement inspiré » de cet arrêt, sans la moindre mention du fait que, dans l’affaire Pioneer Hi-Bred, les arguments fondés sur l’arrêt Chakrabarty avaient été examinés par notre Cour et rejetés à l’unanimité par elle, ainsi que probablement par la Cour suprême du Canada à l’unanimité.
NOTRE DÉCISION DEVRAIT-ELLE TENIR COMPTE DU FAIT QUE L’ONCOSOURIS A ÉTÉ BREVETÉE AUX ÉTATS-UNIS ET EN EUROPE?
[71] Au paragraphe 110 de ses motifs, le juge Rothstein a indiqué qu’« [o]n peut soutenir, pour des raisons de principe, que l’uniformité est souhaitable » entre le Canada, d’une part, et les États-Unis et l’Europe d’autre part. À mon humble avis, prendre en compte cette dimension, c’est manifestement introduire des considérations de principe dans l’élaboration de nos décisions. À mon humble avis, si le juge Rothstein a raison de penser que nous n’avons affaire qu’à un simple problème d’interprétation législative, nous devrions interpréter les termes « fabrication » et « composition de matières » dans leur sens ordinaire et en fonction du contexte législatif global. La pratique des autres pays ne fait sûrement pas partie du contexte législatif de ces définitions dans la Loi. Lorsque le Parlement décide que ces questions sont pertinentes, il le déclare[56].
[72] En outre, on ne nous a saisis d’aucune preuve concernant la nature de l’argumentation présentée aux autorités de ces pays pour les persuader d’accorder le brevet, leur régime législatif ou les normes qu’elles ont appliquées. Il s’agit là de faits que l’appelant aurait dû prouver avec le degré voulu avant qu’ils ne soient jugés recevables et considérés dans le cas où ils seraient pertinents. Cette preuve n’a pas été faite.
[73] La question que nous devons trancher dans la présente affaire est de savoir si la décision du commissaire était raisonnable. Les décisions prises dans d’autres pays ne sont aucunement pertinentes en vue de la solution de cette question.
[74] Je conclus donc que, en tranchant le présent appel, nous ne devrions tenir aucun compte du fait que l’oncosouris a été brevetée aux États-Unis et en Europe.
[75] Le commissaire, autorité à qui le Parlement a confié la responsabilité de décider ces matières, est d’avis qu’elle ne peut être brevetée ici pour les motifs qu’il a exposés. Sa décision était raisonnable. Comme le juge en chef Thurlow dans l’arrêt X c. Commissaire des brevets, supra, je suis d’avis que, en l’absence de toute preuve contraire et il n’y en avait aucune dans le dossier qu’on nous a présenté, « notre Cour est tenue d’accorder une certaine valeur à leur conclusion ».
[76] J’insiste sur le fait que, à mon avis, il faut faire preuve de retenue à l’égard des conclusions du commissaire en rappelant certaines observations faites par le juge Cory, s’exprimant au nom de la Cour, unanime, dans l’arrêt Syndicat international des débardeurs et magasiniers, Ship and Dock Foremen, section locale 514 c. Prince Rupert Grain Ltd.[57] Dans cette affaire, la Cour suprême a infirmé un arrêt de notre Cour statuant que le Conseil canadien des relations du travail n’avait pas compétence pour déterminer la composition de l’unité de négociation en vue de la négociation collective et de l’accréditation dans le cadre du Code canadien du travail. Dans l’exposé des motifs de cette décision, le juge Cory a profité de l’occasion pour avertir les tribunaux de l’approche à emprunter pour apprécier les décisions des tribunaux administratifs en général et des conseils des relations du travail en particulier. Il a fait les observations suivantes au paragraphe 20 [page 445] :
Au départ, il y a lieu de répéter qu’il serait beaucoup trop facile pour les cours de justice de conclure que les dispositions habilitantes des lois qui créent des tribunaux administratifs sont, par nature, attributives de compétence, ce qui a pour effet d’augmenter les chances que la compétence de ces tribunaux soit limitée inutilement. L’adoption d’un tel point de vue ferait en sorte que de très nombreuses décisions de ces tribunaux devraient être correctes aux yeux des cours de justice. Des avertissements très salutaires ont été lancés contre l’adoption d’un tel point de vue par les cours de justice.
Après avoir cité trois arrêts, il a poursuivi, aux paragraphes 23 et 24 (pages 446 et 447) :
Si l’on ne tient pas compte de ces avertissements, c’est le fonctionnement et même tout le concept des tribunaux administratifs qui pourront être en péril. Ces tribunaux sont souvent créés pour œuvrer dans des domaines où des connaissances techniques, une expérience et une attention précises sont indispensables pour résoudre les problèmes particuliers qui se posent. Les tribunaux administratifs sont conçus pour fonctionner rapidement, à peu de frais et moins cérémonieusement que les cours de justice. Il y a peu de doute que ces tribunaux sont nécessaires ou qu’ils jouent un rôle fort important dans la société canadienne.
C’est tout à fait à bon droit qu’on a souvent reconnu qu’une commission des relations du travail est l’exemple même du tribunal administratif hautement spécialisé. Ses membres sont des experts dans l’application des lois du travail détaillées qui régissent le domaine difficile et souvent explosif des relations du travail. Par leur travail constant dans ce domaine délicat, les commissions des relations du travail acquièrent une expérience, des compétences et une compréhension spéciales nécessaires pour résoudre les problèmes complexes des relations du travail. Il y a d’excellentes raisons de créer des commissions des relations du travail et de protéger leurs décisions au moyen de clauses privatives générales. Le Parlement et les législatures provinciales ont clairement indiqué que les décisions de ces tribunaux administratifs sur des questions relevant de leur compétence devraient être finales et lier les parties. Les cours de justice pourraient beaucoup trop facilement usurper le rôle de ces tribunaux en considérant que leur loi habilitante limite leur compétence et exige que leurs décisions soient jugées correctes par les cours de justice. Les cours devraient tout simplement faire preuve de retenue dans leur appréciation de la compétence des commissions des relations du travail et ne pas conclure trop vite à l’absence ou à l’excès de compétence.
[77] Bien que ces observations aient été formulées à propos de décisions sur la compétence, elles semblent néanmoins s’appliquer tout autant aux décisions de tribunaux spécialisés, comme le commissaire, dont les décisions exigent une expérience, des compétences et une expertise nécessaires pour résoudre des problèmes complexes que les tribunaux judiciaires ne sont pas équipés pour traiter. Il ne suffit pas à mon humble avis d’apprécier la décision d’après la norme de la décision correcte puis, après coup, de la mettre sur un lit de Procuste et de la qualifier de déraisonnable.
[78] À la suite du refus de la Cour suprême, dans l’arrêt Pioneer Hi-Bred, inclure les variétés de soya obtenues par croisement dans la définition d’« invention » à l’article 2 de la Loi, le Parlement a adopté la Loi sur la protection des obtentions végétales[58] dans un délai de onze mois suivant le rejet du pourvoi par la Cour suprême. Compte tenu de toutes les circonstances, notamment du rôle limité que notre jurisprudence a attribué aux tribunaux judiciaires dans ce domaine ainsi que des incidences morales et éthiques du sujet, il me semble que le Parlement constitue l’enceinte se prêtant le mieux à la solution des questions soulevées en l’espèce.
[79] Je ne crois pas nécessaire de traiter des autres points soulevés par le juge Rothstein dans ses motifs.
CONCLUSION
[80] Pour ces motifs, je suis d’opinion que l’appel devrait être rejeté avec dépens en faveur de l’intimé. Il n’y aura pas de dépens en faveur de l’intervenant.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Rothstein, J.C.A. :
SYNOPSIS
[81] La question en litige dans le présent appel est la brevetabilité de mammifères non humains génétiquement modifiés destinés à être utilisés dans des études de cancérogénicité. Les revendications 1 à 12 de la demande de brevet 484,723 (le brevet 723) (reproduites à l’annexe A) ont trait à des formes de mammifères non humains transgéniques. Le commissaire aux brevets a conclu que l’appelant n’avait pas droit à un brevet pour les revendications en question[59]. Les revendications 13 à 26 de la demande de brevet (reproduites à l’annexe B) concernent des méthodes de production de mammifères non humains transgéniques ou de cultures cellulaires transgéniques, des méthodes d’utilisation de mammifères non humains transgéniques, des méthodes de détection des substances soupçonnées d’être cancérigènes à l’aide de mammifères non humains transgéniques, et divers plasmides et cultures cellulaires somatiques. Les revendications 13 à 26 ont été jugées brevetables[60].
[82] L’appel interjeté devant la Section de première instance de la Cour fédérale de la décision du commissaire aux brevets de refuser de délivrer un brevet pour les revendications 1 à 12 a été rejeté[61]. Il s’agit en l’espèce de l’appel interjeté du jugement rendu par la Section de première instance de la Cour fédérale.
OBJECTIFS DES REVENDICATIONS 1 À 12 DU BREVET
[83] On trouve dans le « résumé de l’invention » de la demande de brevet une explication des objectifs visés par les inventeurs. L’objectif de l’appelant est de produire des animaux prédisposés au cancer en vue de les utiliser dans des études de cancérigénécité chez les animaux. Ces animaux peuvent alors être utilisés pour soumettre à des essais une substance soupçonnée d’être cancérigène; pour ce faire, on expose les animaux à cette substance et on observe s’il y a formation de tumeurs cancéreuses. Étant donné la propension de ces animaux à former des tumeurs, les concentrations de substances pour les essais peuvent être plus petites et, par conséquent, plus proches de celles auxquelles est exposé l’homme. On peut prévoir que les tumeurs se formeront plus rapidement chez les animaux parce qu’ils y sont déjà prédisposés. Les animaux peuvent également être utilisés pour expérimenter des substances que l’on croit être anticancérigènes. Il est donc possible, grâce aux mammifères transgéniques, d’effectuer des études de cancérogénicité plus efficaces et plus proches des études des effets que ces mêmes substances expérimentales auraient sur l’homme.
[84] La technologie grâce à laquelle est produite une souris prédisposée au cancer est décrite dans la décision du commissaire. Une séquence oncogène activée (un oncogène) est un gène qui rend une souris plus sensible au cancer[62]. On élabore un plasmide (véhicule) qui contient l’oncogène. Le plasmide est injecté dans un œuf de souris fertilisé (de préférence au stade unicellulaire (zygote) et généralement pas plus tard qu’au stade octocellulaire). L’œuf ayant reçu l’injection est ensuite transféré chez une souris femelle « hôte » où il se développera jusqu’à terme. La raison pour laquelle il est préférable d’injecter l’oncogène dans le zygote est que, si l’oncogène est bien absorbé, il affectera toutes les cellules de la souris qui se développent à partir du zygote. Si toutes les cellules[63] de la souris produite sont affectées par l’oncogène, on appelle cette dernière une « souris fondatrice »[64]. La souris fondatrice est ensuite accouplée avec une souris n’ayant pas eu d’injection. Selon l’hérédité mendélienne des locus individuels, chez 50 % de la progéniture toutes les cellules seront affectées par l’oncogène.
[85] L’appelant cherche à faire protéger le résultat de ce procédé, en l’occurrence la souris fondatrice et les souriceaux dont les cellules sont affectées par l’oncogène. Dans la présente décision, par souci de commodité, le produit visé par les revendications 1 à 12 est désigné sous le nom de mammifère non humain transgénique ou oncosouris.
GENÈSE DE L’INSTANCE
[86] La demande relative au brevet 723 a été déposée le 21 juin 1985 pour une invention intitulée [traduction] « animaux transgéniques ». L’invention avait été cédée par les inventeurs, Leder et Stewart, à l’appelant, President and Fellows of Harvard College.
[87] Le 24 mars 1993, l’examinateur a, aux termes d’une décision définitive, rejeté les revendications 1 à 12 au motif qu’elles ne répondaient pas à la définition du terme « invention » contenu à l’article 2 de la Loi sur les brevets. Il a toutefois accueilli les revendications 13 à 26.
[88] Le 4 août 1995, le commissaire aux brevets a confirmé le refus de délivrer un brevet pour les revendications 1 à 12 après avoir examiné la question et après que la Commission d’appel des brevets eut tenu une audience sur la question.
1. Décision du commissaire aux brevets
[89] Dans sa décision, le commissaire a estimé que, compte tenu de l’article 40 de la Loi sur les brevets[65], pour pouvoir rejeter une demande de brevet au motif que l’objet du brevet n’est pas brevetable, le commissaire doit s’être assuré que le demandeur n’est pas fondé en droit à obtenir la concession du brevet et motiver sa décision en se fondant sur une interprétation de la Loi sur les brevets et de toute jurisprudence applicable.
[90] Le commissaire a examiné des décisions du commissaire aux brevets, de la Cour d’appel fédérale et de la Cour suprême du Canada. Il a ensuite fait remarquer que, le 12 avril 1988, un brevet avait été délivré aux États-Unis pour des mammifères non humains transgéniques. Bien que la définition que les lois américaines et canadiennes donnent du mot « invention » soit semblable, le commissaire s’est dit d’avis que, pour interpréter la loi canadienne, on ne pouvait accorder beaucoup de poids à la réalité américaine. Après avoir examiné les mots « fabrication » et « composition de matières » dans la définition du mot « invention » contenue à l’article 2 de la Loi sur les brevets, le commissaire a conclu qu’ils exigeaient que quelque chose soit fabriqué sous le contrôle de l’inventeur et que le produit en résultant soit reproductible d’une manière constante.
[91] En ce qui concerne la demande présentée en l’espèce, le commissaire a conclu qu’il fallait distinguer deux étapes distinctes : « 1) la préparation du plasmide obtenu par génie génétique et 2) le développement d’une souris obtenue par génie génétique dans l’utérus de la souris porteuse »[66]. Au cours de la première étape, il y a une intervention humaine. Le commissaire s’est dit convaincu que la production de plasmides et du matériel unicellulaire transgénique relevait entièrement du contrôle de l’inventeur et qu’elle était reproductible et qu’il s’agissait donc d’une « fabrication » ou d’une « composition de matières » au sens de l’article 2 de la Loi sur les brevets. Le commissaire a conclu que, au cours de la seconde étape, ce sont les lois de la nature qui intervenaient. S’inspirant « fortement » de l’arrêt Pioneer Hi-Bred Ltd. c. Canada (Commissaire des brevets)[67], le commissaire a refusé de considérer qu’un mammifère non humain est brevetable et ce, parce que « [l]es inventeurs n’exercent pas un contrôle complet sur toutes les caractéristiques de la souris résultante vu que l’intervention de l’homme n’assure la reproductibilité que du gène cancérigène »[68].
[92] Pour établir une distinction entre l’espèce dont il était saisi et l’affaire Application of Abitibi Co., Re[69] (Abitibi), dans laquelle son prédécesseur s’était dit convaincu que des micro-organismes comme des levures, moisissures, bactéries, actinomycètes, algues unicellulaires, virus et protozoaires pouvaient bénéficier de la protection d’un brevet, le commissaire a conclu que des « considérations différentes »—qu’il n’a pas précisées—s’appliquaient à la brevetabilité de formes de vie inférieures, comme dans l’affaire Abitibi, par rapport à la brevetabilité de formes de vie supérieures, comme en l’espèce.
[93] Il a par conséquent refusé de délivrer un brevet pour les revendications 1 à 12.
2. Décision de la Section de première instance de la Cour fédérale
[94] L’appelant a interjeté appel devant la Section de première instance de la Cour fédérale. Le juge de la Section de première instance a d’abord déclaré que, comme la Loi sur les brevets ne renferme aucune disposition spéciale au sujet de la biotechnologie, les critères habituels de brevetabilité doivent s’appliquer. Pour être brevetable, l’objet visé doit être une « invention » au sens de la définition que l’on trouve à l’article 2 et l’objet doit être nouveau, utile et non évident. Le juge a exprimé l’avis suivant[70] :
Il est acquis aux débats que l’oncosouris est nouvelle, utile et non évidente. La question qui se pose est celle de savoir si nous sommes en présence d’une « invention » visée par la Loi sur les brevets […]
[95] Il a ensuite examiné l’arrêt Diamond v. Chakrabarty[71] de la Cour suprême des États-Unis, dans lequel la Cour avait, à cinq voix contre quatre, jugé brevetable une bactérie permettant la décomposition du pétrole brut. Les juges majoritaires avaient estimé que la bonne question à se poser n’était pas celle de savoir si l’objet de la demande de brevet était animé ou inanimé, mais plutôt celle de savoir s’il avait été fabriqué par un humain ou s’il était d’origine naturelle. Les juges ont conclu que, dans l’affaire dont ils étaient saisis, l’objet du brevet était le fruit de l’ingéniosité humaine et qu’il était brevetable. Les quatre juges dissidents ont pour leur part estimé que le régime de délivrance des brevets des États-Unis n’englobait pas les organismes vivants. Le juge de la Section de première instance a exprimé sa préférence pour l’opinion minoritaire.
[96] Il a ensuite passé à l’examen de la loi canadienne et a conclu que la question qu’il devait trancher était celle de savoir si les revendications 1 à 12 visaient un objet brevetable au sens de la définition du mot « invention » à l’article 2 de la Loi sur les brevets. Il a retenu quatre critères pour l’aider dans son interprétation de l’article 2.
[97] Le premier critère est celui du degré de contrôle de l’inventeur sur la création de l’invention revendiquée. Il a souligné qu’une souris est un être vivant complexe dont aucune des caractéristiques, sauf la présence de l’oncogène, ne relève du contrôle de l’inventeur. Bien qu’à son avis, il ne soit pas nécessaire que l’inventeur contrôle tous les aspects du processus naturel conduisant à la création du produit final, il a conclu que le produit final découlant de ce processus est entièrement inconnu et qu’il ne peut être prédit. Il a conclu qu’une fois que l’oncogène est introduit, tous les autres aspects de l’oncosouris existent indépendamment de toute intervention humaine et que les inventeurs n’exercent pas un contrôle suffisant sur l’oncosouris pour satisfaire à la condition du contrôle.
[98] La deuxième question est celle de la distinction entre l’intervention humaine et les lois de la nature lors de la création de l’oncosouris. Le juge a conclu que la création de l’oncosouris était une combinaison de la nature et de l’intervention humaine. Tout en soulignant qu’on ne retrouve pas d’oncosouris dans la nature, il a estimé que « [l]e produit issu du processus de gestation peut varier à l’infini et on ne possède aucun détail sur ce qu’il sera »[72].
[99] La troisième question est celle de la reproductibilité. Le juge a conclu que, pour qu’une invention soit brevetable, elle doit être reproductible. Il a conclu que « bien que le gène puisse être présent chez certaines souris, à un certain endroit, et avec certaines caractéristiques, la souris précise, l’endroit précis et la qualité précise du gène ne sont pas reproductibles »[73]. Il a ajouté que « [l]es variations du gène sont créées et gouvernées entièrement par les lois de la nature et elles sont infinies »[74]. Parce que l’oncosouris ne peut être reproduite à volonté, sauf en ce qui concerne l’oncogène, le critère de la reproductibilité n’est pas respecté.
[100] La quatrième question est celle de savoir s’il y a lieu de faire des distinctions entre les formes de vie supérieures et les formes de vie inférieures pour décider si un objet est brevetable. À son avis, une forme de vie complexe n’est pas brevetable.
Les formes de vie complexes ne s’insèrent pas dans les paramètres actuels de la Loi sur les brevets, à moins d’étirer le sens des mots à l’extrême limite, ce que je ne suis pas prêt à faire[75].
[101] Pour conclure, il s’est dit d’avis qu’élargir la définition du mot « invention » de manière à englober l’oncosouris ne conférerait aucune protection supplémentaire par rapport à celle dont bénéficie déjà l’appelant par l’obtention du brevet qui lui a été délivré pour les revendications 13 à 26.
[102] Pour tous ces motifs, il a rejeté l’appel.
[103] Dans ses motifs, le juge ne s’est pas penché sur la question de la norme de contrôle applicable à la décision du commissaire des brevets. Il semble que cette question n’ait pas été débattue devant lui ou encore qu’il n’ait pas jugé utile de l’examiner, compte tenu de sa décision de confirmer la décision du commissaire des brevets.
ANALYSE
1. La Loi sur les brevets
a) Objet et esprit de la Loi sur les brevets
[104] L’examen de l’objet et de l’esprit de la Loi sur les brevets est susceptible de nous fournir certaines clés en ce qui concerne la bonne méthode d’interprétation de cette loi.
[105] Un brevet protège une invention. Lorsqu’un brevet d’invention est délivré, le breveté se voit conférer « le droit, la faculté et le privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention »[76] pour la période précisée par la Loi sur les brevets, en l’occurrence 17 ans à compter de la date de la délivrance du brevet dans le cas des demandes de brevets déposées avant le 1er octobre 1989, comme c’est le cas en l’espèce, ou 20 ans à compter de la date du dépôt de toute demande de brevet déposée à compter du 1er octobre 1989[77]. Ces périodes de 17 et de 20 ans visent à permettre à l’inventeur d’exploiter son invention à l’abri de toute concurrence pendant cette période et ce, dans le but de lui permettre de récupérer les frais de recherche et de développement qu’il a dû investir pour produire l’invention et pour rentabiliser son investissement, en fonction de la valeur que les acheteurs accordent à l’invention. Le but visé est d’encourager la création de procédés ou de produits nouveaux, utiles et non évidents. Sans la protection que le brevet confère à l’invention, dès que le produit qui concrétise une nouvelle idée est commercialisé, d’autres personnes pourraient le plagier et faire concurrence à l’inventeur original sans avoir à faire de mise de fonds initiale en matière de recherche et de développement. Les concurrents qui n’ont pas eu à assumer ces coûts pourraient abaisser les prix à tel point que l’inventeur original ne pourrait récupérer les frais de recherche et de développement qu’il a investis, et encore moins rentabiliser son investissement, ce qui découragerait la création d’inventions[78].
[106] En contrepartie de la période de 17 ou de 20 ans de protection contre la concurrence dont il bénéficie, le breveté a l’obligation de divulguer entièrement son invention. Dans son arrêt récent Cadbury Schweppes Inc. c. Aliments FBI Ltée[79], la Cour suprême du Canada a parlé du « marché » qui est au cœur de la protection conférée par les brevets :
Un brevet est un monopole légal accordé en contrepartie de la divulgation totale et complète de son invention par le breveté […] Par conséquent, au moins un des objectifs de principe qui sous-tendent les réparations que le titulaire d’un brevet peut demander en vertu de la loi est de rendre la divulgation plus attrayante, et à ainsi faire en sorte que des connaissances utiles soient rendues publiques le plus rapidement possible conformément à l’intérêt public.
Ainsi, l’objet de la Loi sur les brevets est de promouvoir la création d’inventions d’une façon qui soit avantageuse tant pour l’inventeur que pour le public.
b) Obligation pour l’invention d’être nouvelle, utile et non évidente
[107] Une invention peut être tout produit ou procédé nouveau et utile ou tout perfectionnement nouveau et utile d’un produit ou d’un procédé. Voici la définition qu’en donne l’article 2 de la Loi sur les brevets :
2. Sauf disposition contraire, les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.
« invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.
[108] Aux termes de l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, l’objet visé par la revendication d’un brevet ne doit pas avoir été évident pour les personnes versées dans l’art ou la science dont relève l’objet. L’article 28.3[80] est ainsi libellé :
28.3 L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :
a) qui a été faite, plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;
b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.
L’obligation imposée à l’objet du brevet de ne pas être évident pour être brevetable était un principe de common law qui avait été affirmé par la Cour suprême du Canada[81] et que notre Cour appliquait dans les affaires de brevet dont elle était saisie[82] avant l’entrée en vigueur de l’article 28.3 en 1993. On considérait que le terme « invention » à l’article 2 supposait l’inventivité ou l’ingéniosité sans lesquelles une découverte était considérée évidente et, partant, non brevetable[83].
c) Caractère non discrétionnaire des décisions en matière de brevetabilité
[109] Aux termes de l’article 40 de la Loi sur les brevets, le commissaire aux brevets doit rejeter la demande de brevet lorsqu’il conclut que le demandeur n’est pas fondé en droit à obtenir la concession du brevet. L’article 40 dispose :
40. Chaque fois que le commissaire s’est assuré que le demandeur n’est pas fondé en droit à obtenir la concession d’un brevet, il rejette la demande et, par courrier recommandé adressé au demandeur ou à son agent enregistré, notifie à ce demandeur le rejet de la demande, ainsi que les motifs ou raisons du rejet.
Dans l’arrêt Monsanto Company c. Commissaire aux brevets[84], la Cour suprême du Canada a tenu à souligner que le commissaire ne disposait d’aucun pouvoir d’appréciation en la matière. Aux pages 1119 et 1120, après avoir cité l’article 40 (à l’époque, l’article 42) de la Loi sur les brevets, le juge Pigeon, qui écrivait au nom de la majorité, a déclaré :
J’ai souligné en droit [à l’article 42] pour faire ressortir que ce n’est pas une question de discrétion : le commissaire doit justifier tout refus. Comme l’a déclaré le juge en chef Duff dans l’arrêt Vanity Fair Silk Mills c. Commissaire des brevets[85], (à la p. 246) :
[traduction] « Il ne fait aucun doute que le commissaire des brevets ne doit pas rejeter une demande de brevet à moins qu’elle ne soit clairement dépourvue de fondement valable […] »
Il est donc évident que lorsqu’un procédé ou un produit satisfait aux exigences de la Loi sur les brevets, la demande de brevet doit être accueillie.
d) Considérations de principe
[110] On a fortement insisté dans le présent appel sur le fait que d’importantes questions de principe sont en jeu. Suivant la preuve, l’oncosouris a été brevetée aux États-Unis et en Europe. On peut soutenir, pour des raisons de principe, que l’uniformité est souhaitable et que le Canada devrait lui aussi breveter l’oncosouris. En revanche, des arguments reposant notamment sur la santé humaine et des préoccupations d’ordre écologique ont été avancés contre la délivrance d’un brevet pour l’oncosouris. Pourtant, dans le présent appel, le débat tourne uniquement autour de l’interprétation de la Loi sur les brevets et de la question de savoir si, vu l’ensemble de la preuve, le produit de l’appelant est brevetable selon cette interprétation. La Cour est tenue d’interpréter la loi telle qu’elle est, sans en élargir la portée au-delà de ce que le législateur fédéral souhaitait exprimer par le libellé de la loi et sans non plus en restreindre la portée en intercalant dans la loi des mots limitatifs que le législateur n’y a pas insérés. S’il est vrai que le présent appel soulève des questions de principe, c’est au législateur fédéral, et non aux tribunaux, qu’il appartient de les examiner.
e) Observations de la Cour suprême sur la brevetabilité des formes de vie
[111] La Cour suprême du Canada a statué que, comme la Loi sur les brevets ne renferme aucune disposition se rapportant directement aux inventions biotechnologiques et aux nouvelles formes de vie en particulier, les revendications en cause en l’espèce ne peuvent donner lieu à la délivrance d’un brevet que si elles tombent sous le coup des dispositions législatives existantes et si elles respectent les conditions et exigences habituelles en matière de brevets. À la page 1642 de l’arrêt Pioneer Hi-Bred, précité, le juge Lamer (par la suite devenu juge en chef) a déclaré ce qui suit, au sujet du croisement de diverses variétés de soya :
Il est vrai que la plupart des États accordent une protection spéciale aux producteurs de nouvelles obtentions végétales; même au pays, plusieurs projets de loi ont vu le jour au fil des ans à cette fin. Quoique ce type de législation pourrait agir comme un catalyseur pour le développement de la recherche dans le domaine scientifique au Canada, je suis cependant d’avis que cette Cour n’a pas le droit d’étendre au-delà des limites de la législation actuelle la portée de la protection par brevet. Par conséquent, puisque la Loi sur les brevets ne contient aucune disposition se rapportant directement aux inventions biotechnologiques et aux nouvelles formes de vie en particulier, cette nouvelle variété de soya ne sera brevetable que si elle remplit les conditions et exigences traditionnelles en matière de brevets. [Non souligné dans l’original.]
[112] La Cour suprême a également précisé que, lorsque le litige porte sur la brevetabilité d’une forme de vie mettant en cause une nouvelle technologie, les tribunaux devaient faire preuve d’une grande prudence en ce qui concerne la portée de leurs décisions. Voici ce que le juge Lamer déclare, à la page 1632 de l’arrêt Pioneer Hi-Bred :
C’est la brevetabilité d’une forme de vie qui est l’enjeu réel de ce pourvoi. Il s’agit en fait d’un nouveau produit développé dans le domaine de la biotechnologie, un domaine d’activités qui englobe toutes sortes de techniques qui visent un but commun, « [l]’application des principes de la science et de l’ingénierie au traitement de matières par des agents biologiques dans la production de biens et de services » […] Considéré par plusieurs comme le dernier système technologique à voir le jour au XXe siècle et le présage d’une nouvelle ère, nous devons par conséquent être très prudents quant à la portée de nos propos. [Non souligné dans l’original.]
À mon sens, les propos du juge Lamer ne signifient pas que les tribunaux doivent interpréter la Loi sur les brevets de manière restrictive chaque fois qu’un organisme vivant est en cause. Lorsqu’ils sont appelés à trancher une question d’ordre juridique concernant un organisme vivant sous le régime de la Loi sur les brevets, les tribunaux doivent plutôt être particulièrement conscients de l’importance d’être précis.
2. Brevetabilité de l’oncosouris
[113] La question en litige en l’espèce est celle de savoir si les revendications 1 à 12 constituent une « invention » au sens de la définition de l’article 2 de la Loi sur les brevets. Le juge de la Section de première instance a conclu que l’oncosouris était nouvelle, utile et non évidente. Cette conclusion n’est pas contestée dans le présent appel. Comme l’oncosouris n’est ni une « réalisation », ni un « procédé », ni une « machine », le débat porte uniquement sur la question de savoir si elle peut être considérée comme une « fabrication » ou « composition de matières ».
[114] Je conclus que l’oncosouris est une « composition de matières » à la fois nouvelle, utile et non évidente. Elle constitue donc une « invention » au sens de l’article 2 de la Loi sur les brevets. Comme j’ai conclu que l’oncosouris est une « composition de matières », il n’est pas nécessaire que je me demande si elle est aussi une « fabrication ».
[115] Dans l’arrêt Chakrabarty, précité, voici ce que le juge en chef Burger, qui s’exprimait au nom des cinq juges majoritaires, a déclaré au sujet de l’expression « composition de matières », à la page 308 :
[traduction] […] Conformément à son sens courant, l’expression « composition de matières » a été interprétée comme s’entendant de « toute composition de deux ou de plusieurs substances et […] tout objet composite, qu’ils résultent d’une combinaison chimique ou d’un mélange obtenu de façon mécanique ou qu’il s’agisse de gaz, de fluides, de poudres ou de solides. »
[116] Le juge en chef Burger a fait remarquer que les termes « manufacture » («fabrication ») et « composition of matter » (« composition de matières ») modifiés par le générique « any » (« toute ») dans la définition du mot « invention » dans la loi américaine sur les brevets étaient des termes élastiques et que [traduction] « de toute évidence, le Congrès prévoyait que l’on donnerait une large portée aux lois sur les brevets[86] ». À la page 316, le juge en chef fait remarquer que le Congrès a employé des termes généraux parce que les inventions sont souvent imprévisibles :
[traduction] Cela est particulièrement vrai dans le domaine du droit des brevets. Une règle qui ne reconnaîtrait aucune protection aux inventions imprévues contredirait le concept fondamental du droit des brevets suivant lequel la prévisibilité fait obstacle à la brevetabilité […] Le juge Douglas a rappelé que les inventions les plus utiles à l’humanité sont celles qui « repoussent les limites de la chimie, de la physique, etc. » Le Congrès a employé des termes larges et généraux en rédigeant l’article 101 précisément parce que ce genre d’inventions sont souvent imprévisibles.[Renvois omis.]
Le raisonnement des juges majoritaires est limpide. Les lois sur les brevets sont libellées en des termes larges et généraux et on doit leur reconnaître une large portée parce que les inventions sont nécessairement imprévues et imprévisibles.
[117] Je trouve ce raisonnement convaincant. Je ne vois aucune raison pour laquelle on ne devrait pas y recourir pour interpréter la définition du mot « invention » que l’on trouve à l’article 2 de la Loi sur les brevets. Le législateur fédéral a employé les mêmes termes larges et généraux que le Congrès des États-Unis. La Cour doit respecter le choix de mots du législateur fédéral et se garder d’adopter une méthode d’interprétation restrictive qui contredirait la volonté manifeste du législateur.
[118] En l’espèce, la question qui se pose est celle de savoir si l’oncosouris est une « composition de matières ». Pour comprendre ce qu’est une « oncosouris » dans le cadre de cette analyse, il faut se reporter à la revendication 1 du brevet. La revendication 1 vise à la fois l’oncosouris fondatrice, dont l’oncogène a été introduit au stade zygotique, et les générations ultérieures d’oncosouris formant la progéniture qui auront hérité de l’oncogène d’un de leurs parents.
[119] M’inspirant de la définition retenue dans l’arrêt Chakrabarty, je suis d’avis que l’oncosouris est une « composition de matières ».
[120] La méthode consiste ici à injecter un plasmide contenant l’oncogène dans un œuf de souris fertilisé. L’oncogène est formé d’ADN. Kreuzer et Massey[87] ont défini l’ADN comme étant :
[traduction] […] (acide désoxyribonucléique) Une molécule chimique qui est la matière génétique de base, présente dans toutes les cellules […] l’ADN appartient à une classe de molécules biologiques appelées acides nucléiques.
L’ADN est une substance physique et, par conséquent, une matière inerte. L’œuf de souris fertilisé est une forme de matière biologique. La combinaison de ces deux formes de matière au moyen du procédé décrit dans le brevet est donc une « composition de matières ». Cette conclusion s’accorde avec la constatation du commissaire des brevets, à savoir que « la matière unicellulaire transgénique » (l’œuf de souris fertilisé, ayant reçu l’oncogène par injection) est un « produit fabriqué » ou une « composition de matières »[88].
[121] Ce que le commissaire qualifie de « matière unicellulaire transgénique » est transféré à une souris hôte, chez qui elle se développe jusqu’à terme. L’oncosouris fondatrice ainsi obtenue est le produit de cette « composition de matières ». La modification génétique qui a été effectuée à l’étape de la cellule unique est permanente et se répète dans toutes les cellules de l’oncosouris. Bien que le processus de gestation naturelle soit nécessaire pour permettre à l’œuf de souris fertilisé de se développer en oncosouris, l’organisme ne cesse pas pour autant de devenir une « composition de matières » au terme de sa transformation entre l’étape de la cellule unique et celle de l’oncosouris. L’oncosouris fondatrice est donc elle-même une composition de matières.
[122] De façon analogue, les oncosouris formant la progéniture sont le produit, selon l’hérédité mendélienne des locus individuels, de l’accouplement d’une souris mâle et d’une souris femelle, dont l’une est une oncosouris. On pourrait alléguer que cela correspond simplement aux processus naturels de reproduction chez la souris. Mais ce point de vue ignore le fait qu’une oncosouris de la progéniture possède la séquence oncogène artificielle du fait de son introduction dans le génome de l’oncosouris fondatrice initiale. L’oncosouris de la progéniture possède un caractère génétique particulier, qui n’apparaîtrait pas dans la nature. Les oncosouris de la progéniture sont donc associées à la matière unicellulaire transgénique que le commissaire des brevets a considéré comme étant une composition de matières. Une fois cela admis, il s’ensuit qu’une oncosouris de la progéniture est une « composition de matières », malgré le fait qu’elle a acquis l’oncogène par hérédité génétique, et non par injection.
[123] Bien que le litige porte sur des organismes vivants, et en particulier sur des formes de vie supérieures, c’est-à-dire des mammifères non humains, rien dans l’expression « composition de matières » ne permet de penser que les choses vivantes sont exclues de la définition. D’ailleurs, dans l’arrêt Pioneer Hi-Bred, précité, la Cour d’appel fédérale a déclaré, sous la plume du juge Marceau, J.C.A., à la page 12 :
Je suis disposé à reconnaître que la législation canadienne en matière de brevets n’appuie pas la notion que les formes de vie ne sont absolument pas brevetables.
Statuant sur le pourvoi formé contre cet arrêt, la Cour suprême du Canada a fait remarquer, dans l’arrêt Pioneer Hi-Bred, sous la plume du juge Lamer (à la page 1627), que le juge Marceau s’était dit d’avis que la législation canadienne en matière de brevets ne déclarait pas expressément que les organismes vivants ne sont pas brevetables. La Cour suprême ne s’est pas dissociée de cet avis. En fait, à la page 1643, le juge Lamer a fait remarquer que la Loi sur les brevets ne renferme aucune disposition au sujet des nouvelles formes de vie et que, par conséquent, une nouvelle variété de soya ne serait brevetable dans ces conditions que si elle respectait les conditions et exigences habituelles en matière de brevets. De toute évidence, le juge Lamer ne déclarait pas que les formes de vie ne sont pas brevetables. Dans la décision Abitibi, précitée, le commissaire aux brevets a conclu que les cultures microbiennes et d’autres formes de vie inférieures pouvaient constituer des inventions au sens de la Loi sur les brevets. La décision Abitibi a été citée devant la Cour suprême du Canada dans l’affaire Pioneer Hi-Bred et la Cour n’a pas désapprouvé cette conclusion. Pour ces motifs, je suis persuadé que la Loi sur les brevets n’exclut pas les organismes vivants, c’est-à-dire. les mammifères non humains, de la définition du terme « invention ».
[124] Cela ne veut pas dire que l’expression « composition de matières » ne comporte aucune limite. Tant au Canada qu’aux États-Unis, les phénomènes naturels, les principes scientifiques et les conceptions théoriques ne sont pas brevetables. Au Canada, le paragraphe 27(8) [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 31] de la Loi sur les brevets déclare en effet que les principes scientifiques et les conceptions théoriques ne sont pas brevetables.
27. […]
(8) Il ne peut être octroyé de brevet pour de simples principes scientifiques ou conceptions théoriques.
[125] Dans l’arrêt Chakrabarty, le juge en chef Burger déclare, aux pages 303 et 304 :
[traduction] Cela ne veut pas dire que § 101 est sans limites ou qu’il englobe toutes les découvertes. Les lois de la nature, les phénomènes physiques et les idées abstraites ont été jugés non brevetables […] Ainsi, un nouveau minéral découvert dans le sol ou une nouvelle plante trouvée à l’état sauvage ne sont pas des matières brevetables. De même, Einstein n’aurait pas pu faire breveter sa fameuse loi E=mc[89] et Newton n’aurait pas pu faire breveter la loi de la gravité. Ces découvertes sont « des manifestations de […] la nature, mises à la disposition de tous les hommes et elles ne sont réservées exclusivement à aucun d’entre eux ». […]
Jugé dans ce contexte, le micro-organisme de l’intimé respecte de toute évidence les conditions requises pour être considéré comme un objet brevetable. Sa revendication ne porte pas sur un phénomène naturel inconnu jusqu’ici, mais sur un produit ou sur une composition de matières non présents naturellement—un produit de l’ingéniosité humaine « possédant un nom, un caractère [et une utilisation] distincts » [citations omises; non souligné dans l’original.]
Dans l’arrêt Pioneer Hi-Bred, à la page 1634, le juge Lamer a exprimé un point de vue analogue, en déclarant ce qui suit :
L’intervention effectuée par Hi-Bred ne semble en rien modifier le processus de reproduction du soya qui s’accomplit par l’application des lois de la nature. Or, une telle méthode n’a jamais permis, en regard de la jurisprudence, d’obtenir un brevet. En effet, les tribunaux ont considéré les créations qui suivent les lois de la nature comme n’étant en somme que des simples découvertes dont l’homme ne peut que découvrir l’existence sans pour autant prétendre les avoir inventées. [Non souligné dans l’original.]
[126] La définition du terme « invention » contenue dans la Loi sur les brevets n’exclut pas nécessairement les découvertes qui suivent les lois de la nature. Il semblerait donc que la raison pour laquelle les créations ou les découvertes qui suivent uniquement les lois de la nature ne répondent pas aux conditions de la brevetabilité est qu’elles ne sont pas considérées nouvelles et non évidentes. Ces créations et découvertes sont plutôt considérées comme ayant toujours existé et comme ayant été simplement dévoilées par l’homme. Un élément de plus est nécessaire pour qu’il y ait brevetabilité, en l’occurrence « une composition de matières » non présente naturellement et qui est le fruit de l’inventivité et de l’ingéniosité humaines.
[127] La question qui se pose alors est donc celle de savoir si l’oncosouris n’est que la simple découverte d’un phénomène naturel ou si elle fait appel à l’ingéniosité humaine. Ce que l’on veut faire breveter, c’est une souris qui possède une structure génétique différente de celle qu’elle aurait eu s’il n’y avait pas eu intervention humaine au stade génétique. Le juge de la Section de première instance a conclu que l’oncosouris était nouvelle et a reconnu qu’«[o]n ne retrouve pas d’oncosouris dans la nature »[90]. Ces conclusions, qui ne sont pas contestées dans le présent appel et auxquelles je souscris, sont suffisantes pour satisfaire au critère permettant de conclure que l’oncosouris n’est pas simplement le résultat des lois de la nature et qu’elle est donc brevetable.
[128] Ce point de vue trouve également un écho favorable dans la décision de l’examinateur des brevets, qui a jugé les revendications 13 à 26 brevetables. L’oncosouris est la création d’un processus décrit dans les revendications 14 et 15. Ces dernières s’énoncent comme suit :
[traduction]
14. Méthode pour produire une culture cellulaire transgénique, consistant à :
a) introduire une séquence oncogène activée dans les cellules multipotentes d’un embryon de mammifère;
b) laisser ledit embryon se développer jusqu’au stade d’animal adulte;
c) produire une culture de cellules somatiques dudit animal[91].
15. Méthode pour produire un mammifère transgénique chez qui la probabilité de formation de néoplasmes est plus grande, ladite méthode consistant à introduire une séquence oncogène activée dans un embryon de mammifère.
Si le processus permettant d’obtenir le produit est brevetable, c’est parce qu’il doit être considéré comme faisant appel à l’ingéniosité, et qu’il n’est pas simplement la découverte de la façon dont une loi de la nature fonctionne ou de l’existence d’un phénomène naturel. On doit pouvoir en conclure logiquement que le produit de ce processus doit lui aussi s’inspirer de cette ingéniosité et être brevetable.
[129] Je suis d’avis que l’oncosouris doit être considérée comme étant le résultat à la fois de l’ingéniosité et des lois de la nature : ingéniosité dans la technique génétique initiale, soit l’assemblage de l’oncogène, son incorporation dans le plasmide et l’injection de ce dernier dans le zygote; lois de la nature, par l’action de l’oncogène, au cours de la gestation, sur toutes les cellules de l’oncosouris, par l’accouplement ultérieur d’une oncosouris et d’une souris non traitée, et enfin par l’intervention des lois mendéliennes d’hérédité chez la progéniture de l’oncosouris obtenue. Cependant, l’utilisation des lois de la nature par les inventeurs n’empêche pas un produit d’être une invention, à la condition qu’une certaine inventivité ou ingéniosité soit également présente. Comme le professeur Vaver l’a expliqué :
[traduction] Des brevets peuvent évidemment être accordés pour une nouvelle application pratique de la théorie de la gravité—par exemple, une pompe à gravité améliorée[92].
[130] De fait, il y a beaucoup plus de choses qui interviennent ici que le simple accomplissement des lois de la nature. Par définition, les organismes transgéniques deviennent des êtres vivants via la manipulation humaine au niveau génétique ou moléculaire. Le New Oxford Dictionary of English définit l’adjectif « transgénique » comme suit :
[traduction] […] qui se rapporte à ou qui concerne un organisme qui renferme du matériel génétique dans lequel a été introduit artificiellement de l’ADN provenant d’un organisme non apparenté.
Dans ce cas-ci, il s’agit d’une oncosouris, dont toutes les cellules contiennent un oncogène étranger qui a été conçu et incorporé artificiellement dans le génome de la souris par une intervention humaine. Le matériel génétique ainsi introduit est lui-même une composition artificielle. Ainsi, l’ingéniosité dans le cas présent ne se limite pas seulement à l’introduction du matériel génétique chez la souris par des moyens artificiels, mais concerne également la conception de l’oncogène critique comme tel.
[131] Bien qu’on puisse alléguer que la nature produit déjà des souris avec une prédisposition génétique à la formation de cancers, il serait faux de dire que l’appelant a simplement « découvert » ou simplement « recréé » quelque chose qui existe naturellement (ou qui peut exister naturellement). Lorsqu’on essaie de déterminer objectivement si la création de l’oncosouris fait appel à l’ingéniosité humaine ou seulement aux lois de la nature, la Cour ne devrait pas assimiler la raison pour laquelle une oncosouris est utile, c.-à-d. sa prédisposition à l’apparition de cancer, à ce qui a été réellement produit. La question n’est pas de savoir s’il existe dans la nature des souris prédisposées au cancer. La question est plutôt de savoir si l’oncosouris décrite dans les revendications du brevet existe dans la nature. Il est évident que la réponse est non.
[132] Il est vrai que les lois de la nature doivent être utilisées pour la gestation, dans l’utérus de la souris hôte, du zygote ayant reçu l’oncogène par injection, avec production d’une souris fondatrice et accouplement ultérieur de la souris fondatrice pour donner naissance à la progéniture affectée par l’oncogène. Si seulement les lois de la nature étaient en cause, l’oncosouris ne serait pas brevetable. Mais, ici, le produit est le résultat à la fois de l’ingéniosité humaine dans le domaine génétique et des lois de la nature.
[133] Vu l’article 40 de la Loi sur les brevets, précitée, suivant une interprétation simple de l’expression « composition de matières » et compte tenu du rôle joué par l’ingéniosité et par les lois de la nature en l’espèce, il n’y a aucune raison en droit pour laquelle le produit, en l’occurrence l’oncosouris, ne serait pas brevetable.
3. Erreurs entachant le raisonnement des juridictions inférieures
[134] Je vais maintenant expliquer, en citant leurs motifs, les raisons pour lesquelles je me dissocie du raisonnement et des conclusions du commissaire aux brevets et du juge de première instance.
a) Importance accordée à la décision majoritaire dans l’arrêt Chakrabarty
[135] Il n’existe pas au Canada d’interprétation jurisprudentielle qui fait autorité au sujet de l’expression « composition de matières » que l’on trouve dans la définition du mot « invention » dans la Loi sur les brevets. Dans l’arrêt Electric Fireproofing Co. of Canada v. Electric Fireproofing Co.[93], le juge Idington, de la Cour suprême du Canada, a adopté le point de vue du tribunal inférieur[94] en affirmant que [traduction] « il n’est pas nécessaire que la composition soit chimique; elle peut être mécanique ». Mais se contenter d’affirmer qu’une « composition de matières » peut être soit le résultat d’une réaction chimique qui produit un nouveau composé chimique, soit un simple mélange mécanique de substances ne fait pas avancer beaucoup le débat lorsqu’il s’agit de déterminer la portée de l’expression « composition de matières ».
[136] Pour en arriver à ma conclusion, je m’appuie fortement sur l’avis exprimé par les juges majoritaires de la Cour suprême des États-Unis dans l’arrêt Chakrabarty et, ce faisant, je me dissocie de l’opinion du commissaire aux brevets et de celle du juge de la Section de première instance. Le commissaire s’est dit d’avis qu’on ne devait pas accorder beaucoup d’importance à la pratique du bureau des brevets et des marques de commerce des États-Unis consistant à ne pas refuser d’accorder des brevets pour des organismes multicellulaires vivants non humains, y compris les animaux[95]. Comme le bureau américain des brevets et des marques de commerce a délivré un brevet pour des mammifères transgéniques non humains le 12 avril 1988 en se fondant sur l’arrêt Chakrabarty, le commissaire aux brevets n’a implicitement pas accordé beaucoup de poids à l’interprétation de la définition du mot « invention » retenue par la Cour suprême des États-Unis dans cette affaire. Le commissaire n’a cité aucun précédent à l’appui de cette proposition. Il semble toutefois qu’une jurisprudence plus ancienne appuie jusqu’à un certain point cette thèse. En effet, dans l’arrêt Rice v. Christiani[96], lord Tomlin a déclaré :
[traduction] Il se peut que ceux qui ont rédigé les premières lois canadiennes portant sur les brevets se soient inspirés du droit américain plutôt que du droit anglais, mais il n’en demeure pas moins qu’il existe des différences marquées entre la loi américaine et la loi canadienne, et il n’est pas utile d’examiner l’évolution du droit américain des brevets pour interpréter le libellé de la loi qui est soumise à notre examen.
À la page 6 de son ouvrage[97], Fox fait remarquer que le droit des brevets tire ses origines de la common law de l’Angleterre et, plus précisément, de la prérogative royale qui remonte à des centaines d’années et qui permet au Souverain d’accorder un monopole d’exploitation en ce qui concerne les nouvelles inventions. En conséquence, il est souvent reconnu que le droit du Royaume-Uni fait autorité en matière d’interprétation du droit des brevets canadien.
[137] Il est toutefois douteux que la jurisprudence du Royaume-Uni soit utile pour interpréter la définition du terme « invention » que l’on trouve dans la Loi sur les brevets canadienne. Certains ont déjà soutenu[98] que le libellé de la définition du mot « invention » que l’on trouve dans la loi canadienne devrait être interprété en harmonie avec les termes « any manner of manufacture » (« tout moyen de fabrication ») de la Patents Act britannique[99]. Après avoir analysé plusieurs décisions anglaises, le professeur Fox déclare, aux pages 19 et 20 de son ouvrage :
[traduction] Il ressort de l’examen de ces décisions que sont assimilés à un « manufacture » (« moyen de fabrication ») (dans le contexte de la Patents Act du Royaume-Uni) les réalisations, machines, moyens de fabrication, procédés et compositions de matières et que, déjà en 1835, le mot « manufacture » (« moyen de fabrication ») était pratiquement considéré comme synonyme d’« invention ». On peut donc accepter en principe que les conditions régissant l’objet des brevets sont analogues dans la loi britannique et dans la loi canadienne et que la jurisprudence des tribunaux du Royaume-Uni fait autorité au Canada. [Renvois omis.]
[138] La Cour suprême du Canada a remis en question cette interprétation. Dans l’arrêt Tennessee Eastman Co. et al. c. Commissaire des brevets[100], le juge Pigeon a déclaré, au nom de la Cour :
[…] je ferai d’abord observer que je doute que des décisions visant la brevetabilité d’inventions en vertu de la loi du Royaume-Uni doivent avoir au Canada le poids que des auteurs tels que Fox (Canadian Patent Law and Practice, 4e éd., p. 19) semblent croire qu’il faut leur reconnaître. Il existe entre les lois britannique et canadienne des différences importantes qu’il n’est point nécessaire d’énumérer.
[139] Pourtant, la première version de la Loi sur les brevets canadienne, qui remonte à 1869, était modelée sur la loi sur les brevets de 1836 des États-Unis. La définition que chacune de ces lois donne du terme « invention » demeure, pour l’essentiel, presque identique. Pour pouvoir comparer les deux textes, je cite à nouveau l’article 2 de la Loi sur les brevets canadienne :
2. Sauf disposition contraire, les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.
« invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité. [Non souligné dans l’original.]
La loi sur les brevets des États-Unis[101] dispose, pour sa part :
[traduction] Quiconque invente ou découvre tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité, peut obtenir un brevet sous réserve des conditions et exigences du présent chapitre. [Non souligné dans l’original.]
Fox précise que, lorsque des dispositions législatives canadiennes et américaines sont semblables, les décisions rendues aux États-Unis sont [traduction] « traitées avec respect » sans toutefois faire autorité[102].
[traduction] […] les décisions rendues aux États-Unis ne sont acceptées qu’en ce qui concerne des aspects bien précis lorsque les lois applicables renferment des dispositions analogues. Elles sont traitées avec respect, comme il se doit, mais elles ne font toutefois pas autorité et elles ne peuvent être invoquées comme fin de non-recevoir. [Citations omises.]
[140] Je conviens, avec Fox que, bien que les décisions rendues aux États-Unis en matière de brevets ne lient évidemment pas les tribunaux canadiens, lorsque le texte législatif qui est interprété est analogue dans les deux pays et lorsque le raisonnement à la base de l’interprétation que les tribunaux américains donnent du texte en question est persuasif, il n’y a aucune raison pour laquelle les tribunaux canadiens ne devraient pas tenir compte de la jurisprudence américaine.
[141] Dans l’arrêt Chakrabarty, précité, la question en litige était celle de savoir si les micro-organismes produits par l’homme sont brevetables. Les inventeurs avaient découvert un processus grâce auquel quatre plasmides différents ayant la capacité de dégrader quatre différents constituants du pétrole pouvaient être transférés et conservés à l’état stable dans une seule bactérie pseudomonas, qui elle-même n’avait pas la capacité de dégrader le pétrole. Les juges majoritaires de la Cour :
1) ont abordé le sujet en tenant compte du principe voulant que la Cour ne devrait pas considérer comme faisant implicitement partie des lois sur les brevets des conditions ou des restrictions que le législateur n’y a pas exprimées;
2) ont interprété très largement les termes « fabrication » et « composition de matières » eu égard à l’élasticité de ces termes, surtout lorsqu’il sont modifiés par un « tout » généralisateur;
3) ont admis le fait que les lois de la nature, les phénomènes physiques et les idées abstraites ont été considérés comme non brevetables.
Compte tenu de ces principes, les juges majoritaires ont estimé que les inventeurs avaient produit une nouvelle bactérie qui, avec des caractéristiques sensiblement différentes de toutes celles que l’on retrouve dans la nature et une utilité significative, était brevetable.
[142] Je ne vois pas pourquoi l’analyse de la Cour suprême des États-Unis ne servirait pas de guide utile pour interpréter les mêmes mots dans la Loi sur les brevets canadienne. Les tribunaux canadiens ne doivent pas considérer comme faisant implicitement partie de la loi des conditions ou des restrictions que le législateur n’y a pas exprimées. Ainsi que le juge en chef Burger l’a souligné, dans le domaine du droit des brevets, le texte de la loi ne peut se confiner aux situations précises qui étaient visées lorsque la loi a été adoptée[103].
[traduction] Un principe refusant toute protection aux inventions imprévues contredirait le concept fondamental du droit des brevets suivant lequel la prévisibilité fait obstacle à la brevetabilité.
Le même principe s’applique en droit des brevets canadien.
[143] Au Canada, les objets qui sont le fruit de l’application des lois de la nature ne sont pas brevetables. Seules les créations qui font par ailleurs appel à l’ingéniosité humaine sont brevetables.
[144] Pour ces motifs, je ne suis pas d’accord avec le commissaire aux brevets pour dire qu’il n’y a pas lieu d’accorder beaucoup de poids à l’arrêt Chakrabarty. Je suis d’accord avec le juge de la Section de première instance pour dire que cette décision est pertinente et utile. Toutefois, pour les raisons qui suivent, j’estime, en ce qui concerne l’avis du juge de la Section de première instance, que l’opinion formulée par les juges majoritaires dans l’arrêt Chakrabarty doit être préférée à celle des juges minoritaires, à laquelle le juge de première instance s’est rallié.
[145] Pour en arriver à la conclusion que la loi sur les brevets des États-Unis ne s’appliquait pas aux organismes vivants, les juges minoritaires ont fait observer que, lorsque la loi est muette sur la question [à la page 319] :
[traduction] […] les tribunaux devraient laisser au Congrès le soin de se prononcer sur l’opportunité d’étendre la protection conférée par les brevets à des domaines où il est généralement admis qu’un brevet ne peut être accordé [comme par exemple les organismes vivants] et lui laisser aussi le soin de définir la portée de cette protection[104].
Sur la question fondamentale de savoir s’il est effectivement « généralement admis » que les lois sur les brevets ne s’appliquent pas aux organismes vivants, je ne suis pas convaincu par l’opinion des juges minoritaires. J’ai du mal à concilier l’idée qu’il est « généralement admis » qu’on ne peut obtenir un brevet pour un organisme vivant avec l’objet et l’esprit de la loi sur les brevets, en l’occurrence promouvoir les inventions. Ce « consensus général » ne saurait signifier qu’il y a des limites aux domaines de recherche et d’innovation qui peuvent donner lieu à des inventions brevetables. Ici, je crois que le raisonnement des juges majoritaires est plus convaincant. Ils affirment en effet que la distinction entre ce qui est brevetable et ce qui ne l’est pas ne concerne pas les êtres animés et les objets inanimés, mais plutôt les découvertes qui sont le fruit des lois de la nature, qu’elles concernent des être vivants ou non, et les inventions qui sont le résultat d’une intervention humaine[105].
[146] Il est faux de prétendre qu’au Canada, il est « généralement admis » que le droit des brevets ne s’appliquent pas aux organismes vivants. Ainsi que je l’ai déjà fait remarquer, la décision du commissaire aux brevets de délivrer un brevet pour des formes de vie inférieures telles que les levures et les moisissures en réponse à la demande de brevet présentée en 1982 dans l’affaire Abitibi va dans le sens contraire[106]. Et dans l’arrêt Pioneer Hi-Bred, la Cour suprême du Canada a accepté que la Loi sur les brevets canadienne ne refuse pas nécessairement d’accorder la protection d’un brevet aux choses vivantes[107].
[147] J’estime en conséquence que l’opinion des juges majoritaires de la Cour suprême des États-Unis dans l’arrêt Chakrabarty nous fournit des pistes utiles pour interpréter la définition du mot « invention » dans la Loi sur les brevets canadienne. Dans l’analyse qui précède (aux paragraphes 113 à 125), je me suis fortement inspiré de cette opinion pour conclure que la définition du terme « invention » n’exclut pas de la brevetabilité des formes de vie supérieures telles que l’oncosouris.
b) Contrôle
[148] Une des principales raisons pour lesquelles le commissaire aux brevets a refusé d’octroyer un brevet pour les revendications 1 à 12 était que les inventeurs n’exerçaient pas un contrôle complet sur toutes les caractéristiques de l’oncosouris résultante. À la page 7 de sa décision, il déclare :
Les inventeurs n’exercent pas un contrôle complet sur toutes les caractéristiques de la souris résultante vu que l’intervention de l’homme n’assure la reproductibilité que du gène cancérigène.
Le juge de la Section de première instance a souscrit à cette conclusion. Tout en admettant qu’il n’était pas nécessaire que l’inventeur exerce un contrôle direct sur toutes les caractéristiques de l’invention, il s’est dit d’avis qu’un certain contrôle était essentiel et que, hormis le transgène :
[…] tous les autres aspects de la souris existent de façon entièrement indépendante de toute intervention humaine[108].
[149] Les avocats qui ont plaidé devant nous n’ont pas précisé la source du critère du contrôle qui serait une condition de la brevetabilité. Aucune décision de la Cour fédérale ou de la Cour suprême du Canada n’a non plus été citée à cet égard.
[150] Le Recueil des pratiques du Bureau des brevets publié par le Bureau canadien des brevets fait toutefois mention d’un critère de contrôle :
Lorsqu’on détermine si une matière répond aux critères de la définition d’une invention prévue à l’article 2 de la Loi sur les brevets, on doit veiller à ce que les exigences reliées à la jurisprudence et à la législation canadiennes soient satisfaites :
[…]
b) la matière est opérante, contrôlable et reproductible par l’entremise des moyens décrits par l’inventeur, de façon telle qu’ils produisent inévitablement les résultats désirés lorsque mis en œuvre.
Il semble que cette allusion à un critère de contrôle dans le Recueil soit fondée sur une série de décisions de la Commission d’appel des brevets[109] dans lesquelles la Commission a appliqué des critères de « contrôle » et de « reproductibilité » pour déterminer si une chose revendiquée au titre d’«une réalisation ou un procédé » était « utile », comme l’exige la définition du terme « invention » à l’article 2 de la Loi sur les brevets. Il semble que l’extrait précité du Recueil des pratiques du Bureau des brevets soit tiré de la décision rendue par la Commission d’appel des brevets dans l’affaire Organon, précitée, aux pages 257 et 258 :
L’autre facteur à déterminer est de savoir si la « réalisation » dans le présent procédé est, comme le veut la condition préalable, une réalisation ou un procédé « utile » aux termes de l’article 2d), qui peut facilement être cité pour déterminer notamment : si l’objet de l’invention est utile en tant qu’« art manuel ou industriel » (par opposition aux beaux-arts dans lesquels la nouveauté tient uniquement à l’application des connaissances professionnelles ou de la réflexion intellectuelle ou du sens esthétique), si l’objet d’invention est contrôlable et reproductible par les moyens divulgués de manière que le résultat escompté se produise inévitablement lorsqu’ils sont utilisés, et si l’objet d’invention est utile dans la pratique courante (c’est-à-dire dans l’industrie ou le commerce) et bénéfique pour le public. [Non souligné dans l’original.]
[151] Il ressort de la décision Organon que le critère du contrôle (et de la reproductibilité) est considéré comme faisant implicitement partie de l’obligation imposée par la loi que l’« invention » soit « utile ». Dans la décision Organon, la Commission d’appel des brevets a parlé de l’importance pour la réalisation ou le procédé d’être « utile », par opposition aux « beaux-arts », où la nouveauté « tient uniquement à […] la réflexion intellectuelle ou au sens esthétique ».
[152] J’abonde dans le sens de la Commission d’appel des brevets lorsqu’elle affirme, dans la décision Organon, que le critère du contrôle fait implicitement partie de l’obligation d’utilité de l’invention. Ces propos tirés de la décision Organon ne valent toutefois que pour les réalisations et les procédés, et non pour les produits. Je suis disposé à accepter—sans toutefois trancher la question—que le critère du contrôle qui a été posé dans la décision Organon s’applique aussi aux produits. Il s’ensuit que si l’inventeur n’exerce pas sur le produit un contrôle suffisant pour que le produit ait une utilité pratique, l’obligation d’utilité contenue dans la définition du terme « invention » ne serait pas respectée.
[153] Toutefois, dans le cas qui nous occupe, le commissaire aux brevets et le juge de la Section de première instance ont appliqué un critère de contrôle beaucoup plus large que l’obligation d’utilité de l’invention ne comportait pas implicitement. À mon humble avis, ce faisant, ils ont interpolé dans la définition du terme « invention » des mots que le législateur fédéral n’avait pas exprimés expressément ou tacitement et, ce faisant, ils ont commis une erreur de droit manifeste.
[154] Le juge de la Section de première instance a accepté que les inventeurs exerçaient un contrôle sur la présence de l’oncogène dans l’oncosouris. Ce qui le préoccupait, c’était le fait qu’ils n’exerçaient aucun contrôle sur les nombreux autres attributs de la souris. Ainsi qu’il l’a souligné :
[…] il se peut qu’il existe une limite logique en ce qui concerne le pourcentage des caractéristiques devant être contrôlées pour qu’on puisse affirmer que la forme de vie entière constitue une invention. Toutefois, cette limite ne m’a pas été démontrée en l’espèce et la complexité de la question fait en sorte que le tribunal n’est probablement pas l’instance la mieux placée pour fixer des limites en la matière[110].
Je crois que les propos du juge démontrent qu’une fois que l’on étend le critère du contrôle au-delà de ce qu’implique nécessairement le texte de la loi—en l’étendant au critère de l’utilité—, on fait entrer en ligne de compte des considérations pratiquement impondérables lorsqu’on essaie de décider quel degré et quel type de contrôle est suffisant. Il n’y a pas de doute que les inventeurs n’exercent aucun contrôle et ne prétendent exercer aucun contrôle sur la longueur de la queue de l’oncosouris, sur la couleur de ses yeux ou sur la texture de son poil. La difficulté que comporte un critère élargi de contrôle est que rien dans la Loi sur les brevets ou la jurisprudence de common law ne fournit d’indice ou ne suggère de méthodologie qui pourrait donner une idée du degré ou du type de contrôle qui serait « suffisant ».
[155] En fait, pouvoir contrôler la longueur de la queue, la couleur des yeux ou la texture du poil n’a aucun intérêt eu égard à l’utilité de l’invention. Aucune raison n’a été donnée qui pourrait expliquer pourquoi, dans l’abstrait, un certain type ou degré de contrôle des caractères, non nécessairement utiles, constitue une exigence pour la brevetabilité. Je ne considère pas comme pertinent le fait que la foule d’autres caractères qui sont modifiés par la conception génétique de l’oncosouris ne soient pas sous le contrôle des inventeurs. Ce qui est important pour l’utilité du produit (l’utilisation de l’oncosouris dans les études de cancérogénécité) est que les méthodes décrites par les inventeurs permettent de produire une souris dont toutes les cellules sont affectées par l’oncogène. Le fait que les autres gènes de la souris ne sont pas contrôlés par les inventeurs ne nuit pas à l’utilité de l’invention.
[156] Le juge de la Section de première instance a reconnu que la constitution génétique de l’oncosouris, hormis la présence de l’oncogène, n’était pas pertinente pour les fins de l’invention. Cependant, il en est arrivé à la conclusion que tout, à l’exception de la présence de l’oncogène, était indépendant de l’intervention humaine et que, par conséquent, le critère du contrôle n’était pas respecté. En toute déférence, je suis d’avis que le juge a commis une erreur en imposant un critère de contrôle en ce qui concerne les caractères de l’oncosouris qui n’étaient pas pertinents pour établir son utilité.
[157] Comme l’indique la note no 64, les inventeurs ont, dans la section « Production de souris transgéniques » de la demande de brevet, divulgué que sur 28 souris analysées, 2 mâles (7 %) avaient conservé l’oncogène et avaient ultérieurement transmis la séquence oncogène via la lignée germinale dans un rapport conforme à l’hérédité mendélienne des locus individuels, soit 50 %. Le commissaire aux brevets et le juge de la Section de première instance n’ont pas fondé leur conclusion sur l’insuffisance de contrôle sur le pourcentage relativement faible de souris fondatrices dans le processus décrit par les inventeurs. J’estime que leur raisonnement est justifié pour deux raisons. La première est que le processus a été jugé brevetable par l’examinateur des brevets et que ce résultat n’a pas été contesté. La seconde est que le faible taux de production d’oncosouris fondatrices ne démontre pas que les inventeurs ne contrôlent pas le procédé et le produit. La raison du faible pourcentage n’est pas expliquée, bien que le dossier indique qu’après le dépôt de la demande de brevet « de nombreux animaux transgéniques ont été produits dans le cadre des revendications »[111]. En autant que le processus produit quelques oncosouris et des progénitures constituées d’oncosouris selon l’hérédité mendélienne, on crée un produit utile. On a donc satisfait au critère de contrôle pertinent.
[158] En somme, l’utilité est une condition préalable à la brevetabilité et elle suppose un contrôle en ce sens qu’on obtiendra le résultat escompté lorsqu’on utilisera ou produira le produit. En l’espèce, le résultat escompté est la production d’une oncosouris prédisposée au cancer destinée à être utilisée dans le cadre d’études de cancérogénicité. Une fois ce résultat obtenu, l’exercice d’un contrôle sur les autres attributs de la souris n’est ni nécessaire ni pertinent. Ce contrôle « supplémentaire » n’a rien à voir avec le résultat désiré. Si le produit est une composition de matières qui est nouvelle, utile et non évidente, il constitue une « invention » brevetable. Or, ces conditions sont remplies en l’espèce.
c) Reproductibilité
[159] Dans ses motifs, le juge de la Section de première instance a conclu que « pour être brevetable, une invention doit être reproductible »[112]. À son avis (et de celui du commissaire aux brevets), l’oncosouris n’est pas reproductible. Le commissaire aux brevets n’a cité aucune autorité pour appuyer son opinion sur la reproductibilité. Pour sa part, le juge de la Section de première instance a cité l’alinéa 27(3)b) [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 31] de la Loi sur les brevets pour justifier l’obligation de reproductibilité.
[160] L’alinéa 27(3)b) est ainsi libellé :
27. […]
(3) Le mémoire descriptif doit :
[…]
b) exposer clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’invention;
[161] Suivant l’interprétation que j’en fais, l’alinéa 27(3)b) exige que le mémoire descriptif d’une invention expose clairement les phases d’un procédé ou le mode de composition ou d’utilisation d’un composé de matières de telle sorte qu’une personne versée dans la science dont relève l’invention soit en mesure de la composer ou de l’utiliser.
[162] Le respect de l’alinéa 27(3)b) ne constitue pas une condition préalable à l’existence d’une invention. Cette disposition ne concerne que le degré de divulgation de l’invention exigé de la part de l’inventeur. Dès lors que la divulgation est suffisante pour permettre à une autre personne versée dans la science dont relève l’invention de confectionner ou d’utiliser le produit, les conditions prévues à cet alinéa sont respectées[113].
[163] Il est acquis aux débats que le mémoire descriptif divulgue suffisamment l’invention pour satisfaire aux exigences de l’alinéa 27(3)b). D’ailleurs, les revendications 13 à 26 ont été jugées brevetables et on peut implicitement en conclure que les exigences de l’alinéa 27(3)b) ont été respectées. Si les revendications portant sur le procédé ne sont pas rejetées en raison de l’alinéa 27(3)b), il en est de même des revendications portant sur le produit qui découlent des revendications relatives aux procédés brevetables.
[164] L’analyse de la question de la reproductibilité à laquelle le juge de la Section de première instance s’est livrée dans ses motifs semble être étroitement liée à la question du contrôle dont j’ai déjà fait état. Le critère de la reproductibilité semble d’ailleurs découler lui aussi de la décision Organon, dans laquelle il a été jugé qu’il fallait satisfaire à la fois au critère du contrôle et à celui de la reproductibilité dans le contexte de l’obligation d’utilité pour qu’une réalisation ou un procédé (et, pourrait-on soutenir, un produit), puisse être considéré comme une invention. Grâce aux méthodes exposées dans le mémoire descriptif de la demande de brevet, l’oncosouris est reproductible telle quelle, avec la présence de l’oncogène dans toutes ses cellules. Une telle souris est reproductible et est utile. Le fait que d’autres caractéristiques de l’oncosouris ne soient pas reproductibles à volonté par l’inventeur ou par une personne versée dans la science visée par l’invention est sans intérêt, parce que ces caractéristiques ne sont pas nécessaires pour l’utilité de l’oncosouris.
[165] Hormis l’obligation imposée à l’inventeur par l’alinéa 27(3)b) de divulguer suffisamment son invention, obligation qui ne fait l’objet d’aucun débat dans le présent appel, je ne vois dans la Loi sur les brevets aucune disposition relative à une obligation de reproductibilité que les inventeurs n’auraient pas respectée en l’espèce. L’obligation de reproductibilité découlant de la décision Organon, précitée, dans le contexte de l’utilité, a été respectée dans le cas qui nous occupe.
d) Fractionnement du processus en phases
[166] Le commissaire aux brevets a fractionné le processus des inventeurs en deux phases. La première phase, soit la conception du plasmide et de la matière unicellulaire transgénique, est brevetable car il y a eu intervention humaine. La deuxième phase, soit le développement d’une oncosouris conçue génétiquement dans l’utérus d’une souris hôte, n’a pas été considérée comme brevetable. Le juge de la Section de première instance a accepté cette distinction.
[167] En toute déférence, je ne puis retenir la distinction faite par le commissaire. Le juge de la Section de première instance a accepté à juste titre que la plupart des inventions font appel à certaines lois de la nature. Il me semble qu’une fois cette concession faite, il ne peut y avoir de fondement valide pour fractionner une invention en une partie qui est le résultat de l’ingéniosité inventive et une autre partie qui ne l’est pas. J’accepte le fait que l’on pourrait considérer la création d’une oncosouris comme comportant deux phases (ou peut-être plus). Cependant, cela ne justifie pas le fractionnement. L’oncosouris est le produit des deux phases. Si les lois de la nature peuvent être utilisées de concert avec l’ingéniosité humaine pour réaliser une invention, il ne devrait pas être important qu’elles le soient au début, au milieu ou à la fin du processus, ni que les étapes du processus puissent ou ne puissent pas être fractionnées facilement en diverses phases.
[168] Le fractionnement du processus des inventeurs en phases a également résulté dans ce cas-ci en un curieux manque de cohérence. La revendication 25 précise ce qui suit :
[traduction] Une culture de cellules somatiques provenant d’un mammifère transgénique, les cellules de ladite culture renfermant une séquence oncogène activée, intégrée dans le chromosome.
La revendication 25 a été jugée brevetable. Cependant, la culture de cellules somatiques n’est obtenue qu’une fois qu’un mammifère transgénique a été créé. On n’a pas expliqué pourquoi la culture de cellules somatiques serait considérée comme brevetable, alors que le mammifère transgénique qui en est dérivé ne l’est pas. L’approche du fractionnement en phases nous conduit à la brevetabilité de la culture de cellules somatiques provenant d’un mammifère transgénique non brevetable, lequel est lui-même dérivé d’une matière unicellulaire transgénique brevetable. Je pense qu’il y a ici un manque de cohérence qui traduit l’incongruité de l’approche consistant à fractionner en phases le processus des inventeurs.
[169] À mon humble avis, le fractionnement de l’invention en phases n’était pas légalement justifié. On a ainsi nié aux inventeurs le droit à l’invention d’un produit qui était le résultat d’une combinaison d’ingéniosité inventive et des lois de la nature, les deux constituant le fond de l’invention.
e) Formes de vie inférieures et formes de vie supérieures
[170] Le juge de la Section de première instance a conclu que les formes de vie complexes comme une oncosouris ne s’insèrent pas dans les paramètres actuels de la Loi sur les brevets. Contrairement à la décision de la Commission d’appel des brevets dans l’affaire Abitibi, le juge s’est dit d’avis qu’il y avait lieu, pour des raisons de principe, d’établir une distinction, en matière de brevetabilité, entre les formes de vie supérieures et les formes de vie inférieures. Pour en arriver à cette conclusion, il s’est appuyé également sur l’opinion des juges minoritaires dans l’arrêt Chakrabarty qui avaient affirmé que les formes de vie n’étaient absolument pas brevetables.
[171] Ainsi que nous l’avons déjà souligné, les juges majoritaires de la Cour suprême des États-Unis avaient conclu que la loi sur les brevets américaine ne comportait aucune restriction en ce qui concerne la brevetabilité des organismes vivants. Après avoir tiré cette conclusion, le juge en chef Burger a fait observer pour le compte des juges majoritaires, à la page 317, qu’il n’appartenait pas aux tribunaux de se prononcer sur les considérations d’ordre public qui pouvaient justifier de limiter la brevetabilité des formes de vie.
[traduction] Mais ce qu’il importe surtout de souligner, c’est que nous n’avons pas compétence pour statuer sur ces arguments, soit en les écartant au motif qu’il s’agit uniquement d’idées illusoires découlant de la peur de l’inconnu, soit en les retenant. Le choix qu’on nous exhorte à faire soulève des questions de principe fondamentales qui ne peuvent être résolues que par voie législative au terme du genre d’enquêtes, d’études et d’analyses auxquelles seuls les organes législatifs, et non les tribunaux, peuvent se livrer. Ce processus législatif suppose la mise en balance de valeurs et d’intérêts opposés, ce qui, dans notre régime démocratique, est l’apanage des représentants élus. Indépendamment de leur bien-fondé, les arguments qui sont invoqués devant nous devraient être formulés devant les organes politiques de l’État, à savoir le Congrès et l’Éxécutif, et non devant les tribunaux.
[172] Je partage l’avis du juge en chef Burger. Pour des raisons de principe, ce n’est pas aux tribunaux qu’il appartient de limiter la portée d’une loi alors que le libellé de celle-ci ne le justifie pas. Ce rôle incombe à l’organe législatif de l’État. Dans la décision Abitibi, des organismes vivants inférieures tels que la levure ont été jugés brevetables. Il peut exister des raisons de principe qui militent contre la brevetabilité des formes de vie supérieures (ou même des formes de vie inférieures). Mais c’est au législateur fédéral et non aux tribunaux qu’il appartient de se prononcer sur la question. Pour les motifs déjà exposés, la définition du mot « invention » que l’on trouve dans la Loi sur les brevets n’exclut pas les organismes vivants et il n’est pas loisible à la Cour d’imposer une pareille restriction pour des raisons de principe. Force m’est donc de conclure que le juge de la Section de première instance a commis une erreur en concluant que les formes de vie complexes ne s’insèrent pas dans les paramètres de la Loi sur les brevets.
f) Protection conférée par la délivrance d’un brevet pour l’oncosouris
[173] Le juge de la Section de première instance a conclu que la délivrance d’un brevet pour l’oncosouris n’accorderait à son inventeur aucune protection s’ajoutant à celle que lui confère la délivrance d’un brevet pour les revendications 13 à 26. Encore une fois, je ne suis pas de son avis. Si la protection que confèrent les brevets ne va pas plus loin, les inventeurs ne bénéficient en pratique d’aucune protection en ce qui concerne le fruit de leur ingéniosité. Ainsi que Me William Hayhurst, c.r., le déclare[114] :
[traduction] Il arrive que des brevets d’invention de procédés aient peu de valeur pratique. Il peut être difficile de découvrir si un concurrent exploite le procédé. Si un procédé permet de produire un organisme vivant qui se reproduit lui-même, il se peut qu’on ne puisse mettre le procédé en œuvre qu’une seule fois. Les concurrents qui réussissent à mettre la main sur l’organisme en question n’ont pas besoin de répéter le processus de production. Ce qui est nécessaire, c’est d’obtenir un brevet pour l’organisme […]
N’importe qui peut acheter une souris fondatrice ou tout souriceau porteur de l’oncogène et les reproduire. Même en supposant que l’inventeur ou ses cessionnaires ou titulaires de licence puissent assortir la vente de l’oncosouris d’une condition en interdisant la reproduction, une telle condition n’est opposable qu’à l’acheteur. Un brevet confère une protection légale universelle, c’est-à-dire une protection qui peut être invoquée à l’encontre de toute personne qui pourrait avoir l’oncosouris en sa possession et la reproduire. Le professeur Vaver signale les lacunes des solutions de rechange que la common law offre par rapport à la protection conférée par un brevet :
[traduction] […] la protection conférée par la common law est volatile. Elle risque de disparaître malgré tous les efforts de son propriétaire. Quelqu’un peut découvrir le secret de son propre chef ou le décompiler ou le produit qui le renferme. Des acheteurs de bonne foi d’un espion industriel peuvent tirer profit de leur achat et finir par en détruire la valeur en tant que secret commercial en publiant celui-ci. Les employés qui quittent l’entreprise peuvent également se servir de renseignements qui font désormais partie de leur bagage de connaissances et de compétences générales[115].
À mon avis, la brevetabilité de l’oncosouris accorde bel et bien une protection que ne confèrent ni la délivrance d’un brevet pour les revendications 13 à 26 ni les solutions de rechange non législatives telles que celles que propose le droit des contrats.
g)L’arrêt Pioneer Hi-Bred
[174] Il semble que certains des commentaires que le juge Marceau a formulés dans l’arrêt Pioneer Hi-Bred ont influencé considérablement les conclusions tirées par le commissaire aux brevets et le juge de la Section de première instance. On trouve ces commentaires aux pages 13 et 14 [supra, note 67] de l’arrêt Pioneer Hi-Bred de la Cour d’appel fédérale :
Je n’ai pas été convaincu. Même si l’on concluait que ces définitions [les définitions des termes « fabrication » et « composition de matières » tirées de l’arrêt Chakrabarty] peuvent s’appliquer à un micro-organisme obtenu grâce à un procédé de laboratoire, je ne puis aller plus loin et convenir qu’elles puissent également s’appliquer à une variété de plante produite par croisement. Une telle plante ne peut pas être vraiment considérée, autrement que sur le plan le plus métaphorique, comme ayant été produite à partir de matières premières ou comme étant une combinaison de deux substances ou plus unies par des moyens chimiques ou mécaniques. Il me semble que le sens commun et ordinaire des mots « fabrication » et « composition de matières » serait dénaturé si ceux-ci devaient s’étendre à une variété de soya unique, mais simple.
[…]
En résumé, en m’appuyant à la fois sur le sens ordinaire des mots de la définition du terme « invention » figurant dans la Loi et sur le contexte législatif dans lequel ils se trouvent, dans la mesure où ils peuvent indiquer l’intention du législateur, je suis convaincu que la variété de soya créée par l’appelante ne peut pas être l’objet d’un brevet d’invention.
[175] Dans l’affaire Pioneer Hi-Bred, le débat portait sur le croisement de variétés de soya. Il n’y avait pas d’intervention humaine au niveau moléculaire ou génétique comme c’est le cas en l’espèce.
[176] En l’espèce, on a procédé à une modification génétique complexe. La situation qui nous occupe en l’espèce est bien différente de celle du croisement de plantes dont il était question dans l’affaire Pioneer Hi-Bred et elle correspond à ce que le juge Lamer a, dans l’arrêt de la Cour suprême, qualifié de « deuxième type » de manipulation génétique. Voici ce qu’il déclare, à la page 1633 :
Or, cette façon d’agir [le croisement de plantes] diffère du deuxième type de manipulation génétique, laquelle requiert un changement au niveau du matériel génétique—altération du code génétique au niveau de la totalité du matériel héréditaire —, puisque dans ce dernier cas, c’est à l’intérieur même du gène que s’effectue la modification. On intervient ainsi au niveau moléculaire et c’est ultimement par réaction chimique que s’obtient le « nouveau gène » qui, par la suite, provoquera une modification du caractère qu’il contrôle. Alors que le premier moyen implique une évolution strictement fondée sur l’hérédité et les principes mendéliens, le second repose en outre sur une modification brusque et permanente de caractères héréditaires par un changement dans la qualité des gènes.
Dans le second type de manipulation génétique qui concerne la présente affaire, il y a intervention au niveau génétique, avec modification permanente et nette d’un caractère héréditaire par insertion d’une séquence oncogène activée non présente naturellement, dans l’œuf de souris fertilisé, et sa présence ultérieure dans toutes les cellules de l’oncosouris. En l’espèce, un zygote de souris est modifié par implantation d’une séquence oncogène activée non présente naturellement, avec une fonction connue, dans ce zygote, ce qui crée une forme de vie spécifique qui n’existait pas dans la nature.
[177] D’ailleurs, en délivrant un brevet pour les revendications 14 et 15, l’examinateur des brevets a conclu que le procédé de production de l’oncosouris était brevetable et ni le commissaire aux brevets ni le juge de la Section de première instance n’ont contesté cette conclusion en invoquant les propos tenus par le juge Marceau, J.C.A. dans l’arrêt Pioneer Hi-Bred. Si la brevetabilité du procédé de fabrication de l’oncosouris n’est pas refusé pour ce motif, il s’ensuit qu’on ne peut refuser de breveter l’oncosouris elle-même.
[178] Les conclusions tirées par le juge Marceau dans l’arrêt Pioneer Hi-Bred au sujet du croisement de variétés de soya ne s’appliquent pas au cas présent, qui comporte une ingéniosité inventive et une intervention au niveau génétique et la création d’une nouvelle forme de vie bien précise.
NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE
[179] Les motifs dissidents du juge Isaac, J.C.A. semblent reposer en grande partie sur la retenue judiciaire dont il a choisi de faire preuve à l’égard de la décision du commissaire aux brevets en appliquant la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter.
[180] Il est évident que la décision du juge de la Section de première instance qui fait l’objet du présent appel est susceptible d’un contrôle judiciaire en fonction de la décision correcte. Aucun des indices—compétence spécialisée, existence d’une clause privative, etc.—qui justifieraient un plus grand degré de retenue judiciaire ne s’applique en l’espèce.
[181] En revanche, la décision du commissaire aux brevets a peut-être droit à un certain degré de retenue judiciaire. Je dis « peut-être », parce que la question de la norme de contrôle n’a pas été abordée par le juge de la Section de première instance et n’a pas été soulevée par l’intimé dans le présent appel et nous n’avons pas pu bénéficier de réflexions ou d’arguments sur cette question.
[182] Il n’y a pas de clause privative en ce qui concerne les décisions du commissaire aux brevets. La loi prévoit plutôt le droit d’interjeter appel de la décision du commissaire aux brevets devant la Section de première instance de la Cour fédérale[116]. La question en litige oblige le tribunal à interpréter la Loi sur les brevets. La question en litige—celle de savoir si les formes de vie supérieures répondent à la définition du mot « invention » que l’on trouve dans la Loi sur les brevets—est fondamentale et la décision qui sera rendue en l’espèce sera importante et fera jurisprudence. Dans l’arrêt Pioneer Hi-Bred, précitée, la Cour suprême du Canada n’a pas laissé entendre qu’il fallait faire preuve de retenue judiciaire à l’égard de l’interprétation retenue par le commissaire aux brevets au sujet de la définition du mot « invention » dans la Loi sur les brevets. Ces considérations permettent de penser que la décision rendue par le commissaire aux brevets en l’espèce justifie un contrôle plus serré.
[183] En revanche, il n’y a pas de doute que la compétence spécialisée du commissaire aux brevets justifie une retenue judiciaire plus élevée de la part de tout tribunal saisi d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par le commissaire dans les limites de son champ de compétence[117]. Toutefois, plus les propositions avancées sont générales, et plus les répercussions de la décision s’écartent du domaine d’expertise fondamental du commissaire, comme c’est le cas en l’espèce, moins le tribunal est justifié de faire preuve de retenue judiciaire.
[184] Compte tenu de la méthode d’analyse fonctionnelle et pragmatique qu’il convient d’utiliser lorsqu’il s’agit de déterminer la norme de contrôle applicable, méthode qui a été appliquée et explicitée par le juge Bastarache dans l’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, le caractère général de la proposition en cause en l’espèce permet de penser que le législateur fédéral avait l’intention de confier aux tribunaux judiciaires le soin de se prononcer sur la question qui se pose dans le cas qui nous occupe. Voici à cet égard ce que déclare le juge Bastarache au paragraphe 38 [pages 1011 et 1012] de l’arrêt Pushpanathan :
Gardant à l’esprit que tous les facteurs analysés ici doivent être pris ensemble pour que l’on obtienne une image de la norme de contrôle appropriée, la généralité de la proposition tranchée sera un facteur militant en faveur de l’imposition de la norme de la décision correcte. Ce facteur recoupe nécessairement les critères déjà décrits, qui peuvent aller à l’encontre d’une telle présomption, comme l’a conclu notre Cour à la majorité dans Pasiechnyk, précité. Habituellement, cependant, plus les propositions avancées sont générales, et plus les répercussions de ces décisions s’écartent du domaine d’expertise fondamental du tribunal, moins il est vraisemblable qu’on fasse preuve de retenue. En l’absence d’une intention législative implicite ou expresse à l’effet contraire manifestée dans les critères qui précèdent, on présumera que le législateur a voulu laisser aux cours de justice la compétence de formuler des énoncés de droit fortement généralisés.
[185] Bien que j’estime, selon la méthode d’analyse fonctionnelle et pragmatique, que la décision que le commissaire aux brevets a rendue en l’espèce est probablement susceptible d’un contrôle judiciaire fondé sur la norme de la décision correcte, norme qui appelle un degré moins élevé de retenue judiciaire, je suis également convaincu que, même si l’on applique la norme plus exigeante du caractère raisonnable de la décision, la Cour peut à bon droit réviser la décision en question.
[186] L’arrêt fondamental qui définit la norme du caractère raisonnable simpliciter est Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748. Le juge Iacobucci déclare, aux pages 776 et 777 [paragraphe 56] :
Est déraisonnable la décision qui, dans l’ensemble, n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s’il existe quelque motif étayant cette conclusion.
À la page 778 [paragraphes 59 et 60], il ajoute :
La norme de la décision raisonnable simpliciter se rapproche également de la norme que notre Cour a déclaré applicable pour le contrôle des conclusions de fait des juges de première instance. Dans Stein c. « Kathy K » (Le navire), [1976] 1 R.C.S. 802, à la p. 806, le juge Ritchie a décrit la norme dans les termes suivants :
[…] il est généralement admis qu’une cour d’appel doit se prononcer sur les conclusions [de fait] tirées en première instance en recherchant si elles sont manifestement erronées et non si elles s’accordent avec l’opinion de la Cour d’appel sur la prépondérance des probabilités. (Je souligne.)
Même d’un point de vue sémantique, le rapport étroit entre le critère de la décision « manifestement erronée » et la norme de la décision raisonnable simpliciter est évident. Il est vrai que bien des choses erronées ne sont pas pour autant déraisonnables; mais quand le mot « manifestement » est accolé au mot « erroné », ce dernier mot prend un sens beaucoup plus proche de celui du mot « déraisonnable ».
Si j’applique au présent appel le raisonnement suivi par le juge Iacobucci dans l’arrêt Southam, je suis convaincu que la décision du commissaire aux brevets est manifestement déraisonnable. Le commissaire a appliqué des critères de contrôle et de reproductibilité qui ne sont ni explicites ni implicites dans la Loi sur les brevets. Il a fractionné l’invention en phases sans justification légale. Il s’est fondé sur l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Pioneer Hi-Bred pour en arriver à sa conclusion alors que cette affaire portait sur des faits de toute évidence différents de ceux de la présente espèce. De plus, il y a des contradictions frappantes qui demeurent inexpliquées entre ce qu’il a jugé brevetable et ce qu’il a considéré non brevetable. Bref, les motifs invoqués par le commissaire aux brevets ne justifient pas la conclusion à laquelle il est arrivé. Même en appliquant la norme du caractère raisonnable simpliciter, force est de constater que la décision du commissaire aux brevets peut légitimement faire l’objet d’un contrôle judiciaire de la part de la Section de première instance et de la part de notre Cour.
OBSERVATIONS DE L’INTERVENANTE
[187] L’Association canadienne du droit de l’environnement a obtenu le statut d’intervenante dans le présent appel. L’intervenante appuie la thèse de l’intimé. Elle a formulé des observations au sujet de l’interprétation de la Loi sur les brevets et de certaines questions d’intérêt public.
[188] En ce qui concerne l’interprétation de la loi, l’intervenante a soulevé deux arguments que l’intimé n’a pas invoqués. Le premier est le principe contemporanea expositio, suivant lequel on attribue aux mots employés dans la loi le sens qu’ils avaient au moment où le texte de loi a été adopté. L’intervenante soutient que la définition du mot « invention » que l’on trouve dans la Loi sur les brevets est demeurée à toutes fins utiles inchangée depuis l’adoption de la première version de la Loi sur les brevets en 1869. Elle affirme qu’à l’époque, on ne pouvait prévoir que la définition du mot « invention » engloberait des formes de vie supérieures et que cette extension de sens soulèverait de graves questions morales.
[189] Le principe contemporanea expositio ne s’applique pas à la définition du mot « invention » que l’on trouve dans la Loi sur les brevets. Ainsi que je l’ai déjà précisé, les juges majoritaires ont déjà abordé cet argument dans l’arrêt Chakrabarty, de la Cour suprême des États-Unis, dans lequel ils ont conclu qu’une règle qui ne reconnaîtrait aucune protection à une invention parce qu’elle n’était pas connue au moment de l’adoption de la loi contredirait le concept fondamental du droit des brevets suivant lequel la prévisibilité fait obstacle à la brevetabilité et que le législateur emploie des termes généraux parce que les inventions sont souvent imprévisibles.
[190] Au Canada, on a reconnu que le principe contemporanea expositio ne s’applique pas à toutes les lois. Dans l’arrêt Perka et autres c. La Reine[118], le juge Dickson (devenu plus tard juge en chef) a déclaré :
Cela ne signifie pas, bien sûr, que tous les termes de toutes les lois doivent toujours se limiter à leur sens original. On a souvent jugé que des catégories générales contenues dans des lois incluent des choses inconnues au moment de l’adoption de ces lois. Dans l’arrêt Gambart v. Ball (1863), 32 L.J.C.P. 166, par exemple, on a statué que l’Engraving Copyright Act de 1735, qui interdisait la gravure ou la reproduction [traduction] « par tout autre moyen », sans autorisation, de gravures ou imprimés s’appliquait à la reproduction photographique—un procédé inventé plus de cent ans après l’adoption de la Loi. (Voir également Maxwell, précité, aux pp. 102, 243 et 244.) Toutefois, ce mode d’interprétation est plus susceptible d’être adopté dans le cas d’une formulation législative générale. Comme le soulignent le vicomte Sankey dans l’arrêt Edwards v. Attorney-General for Canada, [1930] A.C. 124, et le vicomte Jowitt dans l’arrêt Attorney-General for Ontario v. Attorney-General for Canada (le Renvoi sur les appels au Conseil privé), [1947] A.C. 127, il est utile pour interpréter les termes de documents constitutionnels dont le sens doit être susceptible d’évoluer pour répondre aux changements de circonstances. [Non souligné dans l’original.]
[191] L’inclusion de choses inconnues doit s’appliquer à la définition du mot « invention » dans la Loi sur les brevets. La formulation législative est générale. Les inventions sont, par définition, « nouvelles ». Pour ce qui est de la définition du mot « invention » dans la Loi sur les brevets, cet argument de l’intervenante est mal fondé.
[192] L’intervenante se fonde par ailleurs sur l’adoption de la Loi sur la protection des obtentions végétales[119], qui protège dans une certaine mesure les droits des obtenteurs d’espèces végétales. L’intervenante affirme que ce texte de loi démontre que les obtentions végétales n’étaient pas protégées en vertu de la Loi sur les brevets et qu’implicitement, les autres formes de vie qui sont le fruit de manipulations génétiques ne sont, pour la même raison, pas brevetables en vertu de la Loi sur les brevets.
[193] La protection offerte par la Loi sur la protection des obtentions végétales est plus large que celle qu’accorde la Loi sur les brevets, parce qu’elle englobe le résultat de croisements découlant uniquement de l’application des lois de la nature. Il ne ressort cependant pas nécessairement de la loi en question que la définition du mot « invention » dans la Loi sur les brevets exclut les organismes vivants qui sont le fruit de l’ingéniosité humaine. Le même argument a été formulé devant la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire Chakrabarty au sujet de la loi sur la protection des obtentions végétales de ce pays et il a été rejeté. De même, il n’y a rien dans la Loi sur la protection des obtentions végétales du Canada qui permet de penser que les organismes vivants sont exclus de la définition du mot « invention » dans la Loi sur les brevets, à condition qu’ils soient le fruit de l’ingéniosité humaine et non pas seulement le produit des lois de la nature.
[194] L’intervenante a ensuite formulé plusieurs arguments qui reposent sur l’intérêt public et qui sont résumés de la façon suivante dans son mémoire :
[traduction] Parmi les considérations d’intérêt public qui entrent en jeu, mentionnons la question de l’égalité d’accès aux avantages de la biodiversité, les dangers pour la santé humaine et pour l’environnement que représentent les produits de cette technologie et, finalement, les questions se rapportant au bien-être des animaux, la réification de la vie et l’intérêt qu’a le public à ce que les résultats des recherches scientifiques soient rapidement publiés.
[195] La Cour ne saurait tenir compte de ces considérations pour deux raisons.
[196] La première est que, ainsi que l’appelant le souligne, ces considérations soulèvent des questions de fait au sujet desquelles des éléments de preuve pourraient être présentés pour défendre des points de vue opposés sur la question. Or, il n’est pas possible de le faire dans le cadre d’un appel. Faute de preuve, la Cour ne peut entendre d’observations sur ces questions.
[197] Le second point, qui est plus fondamental, est que, comme nous l’avons déjà expliqué, c’est au législateur et non aux tribunaux qu’il appartient de se prononcer sur ce type de questions. Dans ce domaine, les tribunaux ne sont pas le lieu où il convient de tenir un débat sur une question d’intérêt public. Qui plus est, le débat ne porte pas en l’espèce sur la question de savoir si l’oncosouris ou tout autre organisme vivant devrait être créé. Un brevet ne confère pas un droit concret de mettre au point ou d’utiliser une invention, mais uniquement le droit d’empêcher autrui d’utiliser ou de reproduire l’invention pour une période de temps limitée. Ainsi, même si l’oncosouris était jugée non brevetable, une telle décision n’empêcherait pas les inventeurs de mettre au point ce produit ou même tout autre organisme vivant génétiquement modifié.
[198] J’ai déjà précisé qu’à mon humble avis, le libellé de la Loi sur les brevets n’exclut pas les organismes vivants. C’est au législateur et non aux tribunaux qu’il incombe de définir les limites de la brevetabilité. Les dispositions de la Loi sur les brevets ont été conçues en des termes généraux pour remplir l’objectif du législateur, en l’occurrence promouvoir les inventions. Si quelqu’un estime que la portée de la brevetabilité devrait être limitée, il lui est loisible de demander au législateur de le faire.
PORTÉE DES REVENDICATIONS
[199] L’appelant a utilisé sa technologie pour la production de souris possédant une prédisposition génétique à la formation de tumeurs cancéreuses grâce à l’oncogène c-myc, mais prétend que le processus peut être appliqué de façon générale aux formes de vie mammaliennes, non humaines, et que la technologie est identique pour tous les oncogènes. La revendication de l’appelant couvre tous les mammifères transgéniques non humains et tous les oncogènes. Elle se justifie par le fait que, si les revendications se limitaient aux souris et au gène c-myc, un compétiteur pourrait facilement s’approprier la technologie de l’appelant en adoptant les méthodes décrites dans les revendications du brevet et en utilisant d’autres mammifères, comme les rats ou les moutons, ou d’autres oncogènes[120].
[200] Lors de l’appel entendu par notre Cour, aucun argument n’a été présenté en vue de faire limiter la brevetabilité des revendications aux souris ou au gène c-myc. Cependant, ces restrictions ont été soulevées par l’examinateur des brevets eu égard aux revendications 1 et 15[121]. La revendication 1 a été rejetée par l’examinateur, mais la revendication 15 a été considérée comme brevetable. L’appelant semble avoir convaincu l’examinateur que la revendication 15 ne devait pas être limitée aux souris ou à l’oncogène c-myc. De fait, l’examinateur a accepté la revendication 17 qui spécifiait explicitement une méthode de production de mammifère transgénique avec une séquence oncogène activée, constituée d’une séquence d’ADN provenant de l’une des 33 séquences oncogènes identifiées. Cela constitue une base suffisante permettant à la Cour d’accepter les revendications telles que formulées, c’est-à-dire couvrant tous les mammifères non humains et tous les oncogènes.
[201] Les principes juridiques relatifs à la question de la portée excessive des revendications de brevet qui s’appliquent en l’espèce sont analysés dans l’arrêt Monsanto121. Dans l’arrêt Monsanto, le commissaire aux brevets a rejeté les revendications de brevet de la requérante se rapportant à 126 composés chimiques parce qu’elles avaient une portée trop large au motif que la requérante n’avait divulgué le détail du mode de préparation que pour trois d’entre elles. À la page 1117, le juge Pigeon a statué qu’il pouvait y avoir :
[…] seulement deux motifs possibles pour rejeter des revendications comme celles en litige.
1. Il y a preuve de l’inutilité d’une partie du domaine visé;
2. Ce n’est pas une prédiction valable.
[202] Si le commissaire aux brevets décide de rejeter les revendications du brevet à cause de leur portée excessive pour l’une ou l’autre de ces raisons, l’article 42 (maintenant l’article 40) de la Loi l’oblige à justifier son refus. En décidant que la Commission d’appel des brevets avait eu tort de rejeter les revendications de Monsanto en raison de leur présumée portée excessive, le juge Pigeon a déclaré, à la page 1121 :
Dans la présente espèce, la Commission, malgré l’absence totale de preuve que la prédiction n’est pas valable, rejette les revendications et en définitive les limite au champ d’utilité prouvée plutôt que de les accueillir dans la mesure de l’utilité prédite. À mon avis, cela est contraire à l’art. 42 [maintenant l’art. 40] de la Loi sur les brevets.
[203] Le mémoire descriptif du brevet s’adresse à l’homme du métier. Bien que les diverses phases divulguées ne concernent qu’une souris et le gène c-myc, les mêmes étapes doivent être franchies pour les autres mammifères non humains et pour les autres oncogènes et l’homme du métier saurait qu’on peut s’attendre à des résultats semblables.
[204] Les seuls motifs qui justifieraient de rejeter les revendications en raison de leur portée excessive seraient les suivants : s’il y avait une preuve de l’inutilité d’une partie du domaine visé ou si l’invention divulguée par le mémoire descriptif ne constituait pas une prédiction valable. Or, le commissaire aux brevets n’a pas conclu que l’une ou l’autre des revendications était inutile ou que le mémoire descriptif ne contenait pas de prédictions valables. La Cour n’est donc pas justifiée de limiter les revendications.
IMPLICATIONS DANS LE CAS DES ÊTRES HUMAINS
[205] Une dernière question à résoudre est celle de savoir si l’on pourrait étendre la portée de la Loi sur les brevets de manière à ce qu’elle s’applique aussi aux êtres humains. En d’autres termes, la conclusion selon laquelle les organismes vivants sont visés par la définition du terme « invention » pourrait-elle être étendue aux êtres humains? Ainsi, en théorie, une personne dont le génome a été modifié par l’insertion d’un gène modifié génétiquement pour éliminer ou supprimer une prédisposition génétique à une maladie pourrait-elle faire l’objet d’un brevet?
[206] Strictement parlant, la question ne se pose pas en l’espèce, parce que les revendications du brevet se limitent à des mammifères non humains. L’extension éventuelle aux êtres humains soulève toutefois des préoccupations évidentes.
[207] La réponse est claire : on ne peut élargir la portée de la Loi sur les brevets de manière à englober les êtres humains. L’obtention d’un brevet constitue une sorte de droit de propriété. Or, les concepts du droit de la propriété ne peuvent être étendus de manière à s’appliquer aux êtres humains. Il existe sans doute d’autres raisons qui permettent de tirer une telle conclusion, dont certainement l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], qui protège le droit à la liberté. L’application de la définition du terme « invention » contenu dans la Loi sur les brevets aux mammifères non humains ne risque donc pas de rendre un être humain implicitement brevetable de la même façon que l’oncosouris.
[208] En affirmant ce qui précède, je ne formule aucune conclusion ou observation sur la brevetabilité des gènes humains ou des produits ou procédés au niveau génétique. Au fur et à mesure des progrès de la recherche scientifique, les tribunaux ou le législateur devront se prononcer sur ces questions et sur d’autres questions connexes.
DISPOSITIF
[209] L’appel sera accueilli avec dépens tant devant notre Cour que devant la Section de première instance. La décision du juge de la Section de première instance et celle du commissaire aux brevets sont annulées et l’affaire est renvoyée au commissaire aux brevets à qui il est ordonné de délivrer un brevet pour les revendications 1 à 12 de la demande de brevet.
Le juge Linden, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.
Annexe « A »
Revendications considérées comme non brevetables
1. Un mammifère transgénique non humain dont les cellules germinales et les cellules somatiques renferment une séquence oncogène activée, introduite chez ledit mammifère, ou chez un ancêtre dudit mammifère, au stade embryonnaire.
2. Le mammifère de la revendication 1, un chromosome dudit mammifère incluant une séquence codante endogène pratiquement identique à la séquence codante de ladite séquence oncogène.
3. Le mammifère de la revendication 2, ladite séquence oncogène étant incorporée dans un chromosome dudit mammifère à un site différent de celui de ladite séquence codante endogène.
4. Le mammifère de la revendication 2, où la transcription de ladite séquence oncogène est contrôlée par une séquence promotrice différente de la séquence promotrice contrôlant la transcription de ladite séquence codante endogène.
5. Le mammifère de la revendication 4, où ladite séquence promotrice contrôlant la transcription de ladite séquence oncogène est inductible.
6. Le mammifère de la revendication 1, où la séquence oncogène comprend une séquence codante d’un gène c-myc.
7. Le mammifère de la revendication 1, où la transcription de ladite séquence oncogène est contrôlée par une séquence promotrice virale.
8. Le mammifère de la revendication 7, où la séquence promotrice virale comprend une séquence promotrice MMTV.
9. Le mammifère de la revendication 7, où ladite séquence promotrice virale comprend une séquence promotrice RSV.
10. Le mammifère de la revendication 1, où la transcription de ladite séquence oncogène est contrôlée par une séquence promotrice synthétique.
11. Le mammifère de la revendication 1, ledit mammifère étant un rongeur.
12. Le mammifère de la revendication 11, ledit mammifère étant un rongeur.
Annexe « B »
Revendications considérées comme étant brevetables
13. Une méthode d’essai d’une matière soupçonnée d’être cancérigène, consistant à exposer le mammifère de la revendication 1 à ladite matière et à déceler les néoplasmes comme indice de pouvoir cancérigène.
14. Une méthode pour la production d’une culture de cellules transgéniques, consistant à :
a) introduire une séquence oncogène activée dans des cellules multipotentes d’un embryon de mammifère;
b) laisser ledit embryon se développer chez un animal adulte;
c) produire une culture de cellules somatiques dudit animal.
15. Une méthode pour produire un mammifère transgénique chez qui la probabilité de formation de néoplasmes est plus grande, ladite méthode consistant à introduire une séquence oncogène activée dans un embryon de mammifère.
16. La méthode de la revendication 15, où une séquence oncogène activée comprend un gène de fusion renfermant une séquence oncogène fusionnée à une séquence promotrice activatrice, virale ou synthétique.
17. La méthode de la revendication 15, où la séquence oncogène activée comprend une séquence d’ADN provenant de l’une des séquences oncogènes suivantes : src, yes, fps, abl, ros, fgr, erbB, fms, mos, raf, Ha-ras-1, Ki-ras 2, Ki-ras 1, myc, myb, fos, ski, rel, sis, N-myc, N-ras, Blym, mam, neu, erbA1, ra-ras, mht-myc, myc, myb-ets, raf-2, raf-1, Ha-ras-2, erB.
18. L’utilisation du mammifère transgénique de la revendication 1 dans une méthode d’essai d’une matière suspectée de modifier la formation de néoplasmes, ladite méthode consistant à traiter ledit mammifère avec ladite matière et à déceler une diminution ou une augmentation de l’incidence de néoplasmes, comparativement à un animal non traité de la revendication 1, comme indication de ladite modification.
19. L’utilisation de la revendication 18, consistant à exposer ultérieurement lesdits mammifères traités et non traités à un agent cancérigène avant, après ou en même temps que le traitement desdits mammifères avec ladite matière.
20. Un plasmide possédant le numéro d’accès ATCC 39745.
21. Un plasmide possédant le numéro d’accès ATCC 39746.
22. Un plasmide possédant le numéro d’accès ATCC 39747.
23. Un plasmide possédant le numéro d’accès ATCC 39748.
24. Un plasmide possédant le numéro d’accès ATCC 39749.
25. Une culture de cellules somatiques provenant d’un mammifère transgénique, les cellules de ladite culture contenant une séquence oncogène activée, intégrée dans un chromosome.
26. L’utilisation d’un mammifère transgénique, selon l’une quelconque des revendications 1 à 12, pour soumettre à un essai une matière suspectée de modifier la formation de néoplasmes chez un mammifère.
[1] L.R.C. (1985), ch. P-4 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 16] (ci-après la Loi).
[2] L.R.C. (1985), ch. F-7 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 6].
[3] Supra, note 1, art. 41.
[4] Supra, note 1, art. 40.
[5] Dossier d’appel, aux p. 39 à 64.
[6] DORS/96-423.
[7] Supra, note 5, à la p. 65.
[8] Ibid., aux p. 66 à 69.
[9] Ibid., aux p. 70 et 71.
[10] Ibid., aux p. 72 à 74.
[11] Ibid., à la p. 75.
[12] Ibid., aux p. 76 à 83.
[13] Ibid., aux p. 84 à 111.
[14] Ibid., à la p. 112.
[15] Ibid., aux p. 113 et 114.
[16] Ibid., aux p. 115 et 116.
[17] Ibid., à la p. 117.
[18] Ibid., aux p. 118 à 133.
[19] Ibid., aux p. 122 et 123.
[20] Ibid., aux p. 134 à 136.
[21] Ibid., à la p. 146.
[22] Ibid., à la p. 137.
[23] Ibid., à la p. 158.
[24] Ibid., aux p. 36 à 38.
[25] Ibid., à la p. 160.
[26] Ibid.
[27] [1987] 3 C.F. 8 (C.A.); conf. par [1989] 1 R.C.S. 1623 (Pioneer Hi-Bred).
[28] 447 U.S. 303 (1980) (Chakrabarty).
[29] Dossier d’appel, à la p. 164.
[30] (1982), 62 C.P.R. (2d) 81 (C.A.B.) (Abitibi).
[31] Dossier d’appel, à la p. 165.
[32] Ibid., à la p. 166.
[33] Ibid., aux p. 159 à 166.
[34] [1994] 2 R.C.S. 557 (Pezim).
[35] [1998] 1 R.C.S. 982, à la p. 1004 (Pushpanathan).
[36] Ibid. Voir aussi le juge Lamer (alors juge puîné), dans Pioneer Hi-Bred Ltd. c. Canada (Commissaire des brevets), [1989] 1 R.C.S. 1623, à la p. 1635.
[37] L.R.C. (1985), ch. T-13.
[38] (2000), 5 C.P.R. (4th) 180 (C.A.F.) (John Labatt Ltée).
[39] Supra, note 34.
[40] (1981), 59 C.P.R. (2d) 7 (C.A.F.).
[41] [1995] 2 R.C.S. 739, à la p. 757.
[42] La loi prévoit également que l’examinateur doit être « compétent », autre indication de son expertise. Voir l’art. 35 (1) [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 12] de la Loi, ainsi conçu :
35. (1) Sur requête à lui faite en la forme réglementaire et sur paiement de la taxe réglementaire, le commissaire fait examiner la demande de brevet par tel examinateur compétent recruté par le Bureau des brevets. [Non souligné dans l’original.]
[43] L’art. 30(6) est ainsi conçu : «Lorsque le refus n’est pas annulé selon le paragraphe (5), le commissaire en fait la révision et le demandeur se voit donner la possibilité de se faire entendre. » La Commission d’appel des brevets est un organisme non prévu par la loi, créé selon le Recueil des pratiques du Bureau des brevets (mars 1998), qui prévoit : «La Commission d’appel des brevets (CAB) est composée de un ou plusieurs représentants supérieurs du BCB qui n’ont pas pris part à l’examen de la demande en question. Elle révise les motifs du rejet dans la décision finale et sur demande des demandeurs, tient des audiences conformément à l’article 30(6) des Règles sur les brevets et avise le commissaire à cet effet ». [Non souligné dans l’original.]
[44] Supra, note 25.
[45] [1964] R.C.S. 49, à la p. 56.
[46] Ces mesures de protection consistent en une période de confidentialité de 18 mois et en l’absence d’examen dans le cas de brevets retirés dans les 18 mois suivant le dépôt de la demande.
[47] [1999] 1 R.C.S. 142, au par. 46 [p. 172].
[48] Voir, par ex., B. Hoffmaster, « The Ethics of Patenting Higher Life Forms » (1989), 4 I.P.J. 1, à la p. 2. Le professeur Hoffmaster raconte la façon dont l’annonce par le Patent and Trademark Office des États-Unis que les organismes vivants multicellulaires non humains étaient brevetables a [traduction] « déclenché une polémique morale ».
[49] [1997] 1 R.C.S. 748, aux p. 776 et 777 (Southam).
[50] W. L. Hayhurst, « Exclusive Rights in Relation to Living Things » (1991), 6 I.P.J. 170, à la p. 196.
[51] Canada. Un virage à prendre en douceur : rapport final de la Commission royale sur les nouvelles techniques de reproduction (Ottawa : Ministère des services gouvernementaux, 1993), à la p. 28.
[52] [1979] 2 R.C.S. 1108 (Monsanto).
[53] Ibid., à la p. 1119.
[54] 227 U.S.P.Q. 443 (Bd. Pat. App. & Int. 1985).
[55] Supra, note 27, aux p. 13 et 14.
[56] Voir, par ex., le Tarif des douanes, L.C. 1997, ch. 36. où le Parlement a dit clairement que, dans l’interprétation du tarif douanier, les règles ordinaires d’interprétation législative sont remplacées par les instruments d’interprétation élaborés par une organisation internationale.
[57] [1996] 2 R.C.S. 432, à la p. 445.
[58] L.C. 1990, ch. 20, la sanction royale a été donnée le 19 juin 1990.
[59] Décision du commissaire aux brevets en date du 4 août 1995.
[60] Décision de l’examinateur des brevets en date du 24 mars 1993.
[61] [1998] 3 C.F. 510 (1re inst.).
[62] Les inventeurs ont construit une « séquence oncogène activée » qui renferme l’ADN provenant d’un oncogène qui abrite le code génétique, ou empreinte génétique, afin de produire une protéine spécifique à cet oncogène dans les cellules d’un mammifère non humain. Cette protéine joue un certain rôle dans la croissance et la division des cellules. Des concentrations élevées de la protéine dans les cellules entraînent chez les mammifères une prédisposition à la formation de tumeurs cancéreuses. Pour « activer » l’oncogène et ainsi contrôler les concentrations accrues de protéines, les inventeurs ont fusionné l’oncogène avec une « séquence promotrice » d’ADN provenant d’une autre source. L’effet combiné du code de l’oncogène et de la séquence promotrice vise à produire un mammifère chez qui il y a une tendance à la croissance de tumeurs cancéreuses.
[63] La revendication 1 du brevet précise ce qui suit :
1. Un mammifère transgénique non humain, dont les cellules germinales et les cellules somatiques renferment une séquence oncogène activée introduite chez ledit mammifère, ou chez un ancêtre dudit mammifère, à un stade embryonnaire.
Les « cellules germinales » sont des cellules reproductrices, les « cellules somatiques » étant toutes les autres cellules de l’organisme, c.-à-d. autres que les cellules reproductrices. Il est entendu que les mammifères transgéniques non humains que l’on veut faire breveter renfermeront l’oncogène dans toutes les cellules reproductrices et somatiques.
[64] Sur 28 souris analysées par les inventeurs, 2 mâles, soit environ 7 %, avaient conservé l’oncogène.
[65] L.R.C. (1985), ch. P-4.
[66] Décision du commissaire aux brevets, supra, note 59, à la p. 6.
[67] [1987] 3 C.F. 8 (1re inst.); conf. par [1989] 1 R.C.S. 1623.
[68] Décision du commissaire aux brevets, supra, note 59, à la p. 7.
[69] (1982), 62 C.P.R. (2d) 81 (C.A.B.).
[70] Supra, note 61, au par. 12 [p. 521].
[71] 447 U.S. 303 (1980).
[72] Supra, note 61, au par. 30 [p. 530].
[73] Ibid., au par 32 [p. 531].
[74] Ibid.
[75] Ibid., au par. 35 [p. 532].
[76] L’art. 42 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 16] de la Loi sur les brevets dispose :
42. Tout brevet accordé en vertu de la présente loi contient le titre ou le nom de l’invention avec renvoi au mémoire descriptif et accorde, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, au breveté et à ses représentants légaux, pour la durée du brevet à compter de la date où il a été accordé, le droit, la faculté et le privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention, sauf jugement en l’espèce par un tribunal compétent.
[77] L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 46 (mod., idem; L.C. 1993, ch. 15. art. 43).
[78] Voir l’introduction du chapitre trois, « Patents », dans l’ouvrage de David Vaver, Intellectual Property Law : Copyright, Patents, Trade-Marks, (Toronto : Irwin Law, 1997), aux p. 113 et 114.
[79] [1999] 1 R.C.S. 142, aux p. 171 et 172 [par. 46]. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une affaire de brevets, la Cour y explique l’essentiel des règles du droit des brevets pour les distinguer des règles de droit régissant l’abus de confiance dans le contexte des secrets commerciaux.
[80] Édicté par L.C. 1993, ch 15, art. 33.
[81] La Cour suprême du Canada a affirmé que l’inventivité constituait [traduction] « un attribut essentiel de la brevetabilité » dans l’arrêt Commissioner of Patents v. Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning, [1964] R.C.S. 49, à la p. 56.
[82] Voir, par ex., l’arrêt Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp. (1991), 35 C.P.R. (3d) 350 (C.A.F.). À la p. 365, le juge Décary déclare : « Il n’existe aucune disposition particulière de la Loi sur les brevets concernant l’inventivité ou la conception originale, mais il a été jugé et il n’est plus contesté que, en utilisant les mots « invention » ou « inventeur », le législateur entend que l’inventivité ou la conception originale est requise en vue de l’obtention d’un brevet valide. »
[83] Vaver, supra, note 78, à la p. 126.
[84] [1979] 2 R.C.S. 1108.
[85] [1939] R.C.S. 245.
[86] À la p. 308.
[87] Helen Kreuzer et Adrianne Massey. Recombinant DNA and Biotechnology : A Guide for Teachers, (Washington, D.C. : ASM Press, 1996), à la p. 537.
[88] Supra, note 59, à la p. 7.
[89] Supra, note 61, au par. 29 [p. 531].
[90] Bien que la revendication 14 concerne une culture cellulaire transgénique, celle-ci exige le développement préalable de l’oncosouris.
[91] Supra, note 78, à la p. 128.
[92] (1910), 43 R.C.S. 182, à la p. 186.
[93] (1909), 34 Qué. S.C. 388, à la p. 401 (le juge Archibald).
[94] « United States Patent and Trademark Office, Animals—Patentability », 1077 Official Gazette U.S. Pat. & Trademark Office 8 (21 avril 1987).
[95] [1931] A.C. 770 (P.C.), à la p. 779.
[96] Fox, H. G., The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Invention, 4e éd. (Toronto, Carswell, 1969.
[97] Voir Fox, supra, note 96, à la p. 19. On trouve une illustration de l’application de cette conception au Canada dans le jugement rendu par le juge Cattanach dans l’affaire Lawson v. Canada (Commissioner of Patents) (1970), 62 C.P.R. 101 (C. de l’É.) dans lequel le juge déclare, à la page 111 : [traduction] « Il est donc accepté en principe que les conditions régissant l’objet des brevets sont semblables dans la loi britannique et dans la loi canadienne et que la jurisprudence des tribunaux du Royaume-Uni fait autorité au Canada. »
[98] Patents Act 1977 (R.-U.), 1977, ch. 37.
[99] [1974] R.C.S. 111, à la p. 120. La Cour suprême avait déjà exprimé des réserves semblables. Ainsi, dans l’arrêt Electric Fireproofing Co. of Canada v. Electric Fireproofing Co., supra, note 92, aux p. 185 et 186, le juge Idington avait déclaré : [traduction] « Notre loi définit ce qui est brevetable. On ne sait pas avec certitude si la portée de cette définition correspond en tous points à cet aspect de la prérogative royale que, en Angleterre, la loi confère au Souverain et lui permet d’accorder ce type de droits. »
[100] 35 U.S.C. § 101 (1988).
[101] Supra, note 96, à la p. 6.
[102] Chakrabarty, supra, note 71, à la p. 316.
[103] Les juges minoritaires sont même allés plus loin et ont conclu, dans l’affaire Chakrabarty, que la loi n’était pas muette sur la question. Ils ont fait remarquer que le Congrès avait adoté une loi étendant la protection des brevets ou une protection semblable à de nouvelles variétés de plantes (The Plant Patent Act, 35 U.S.C. § 161 (1930), et The Plant Variety Protection Act, 7 U.S.C. § 2402(a) (1970)). Les juges minoritaires ont estimé que, dans ces conditions, le Congrès devait avoir édicté la loi américaine sur les brevets en croyant que les organismes vivants ne répondaient pas à la définition du terme « invention » contenu dans la loi. Il n’est ni nécessaire ni approprié que notre Cour s’interroge sur les incidences d’autres lois américaines sur la portée de la loi sur les brevets des États-Unis.
[104] Chakrabarty, supra, note 71, à la p. 315.
[105] Dans la décision Abitibi, supra, note 69, aux p. 84 à 88, le commissaire aux brevets évoque la jurisprudence anglaise, américaine et canadienne sur la question de savoir si les formes de vie sont brevetables. L’opinion actuelle qui a cours dans tous les pays, et en particulier au Canada depuis la décision Abitibi rendue en 1982, est qu’il est « généralement admis » que le droit des brevet s’applique effectivement aux organismes vivants.
[106] Voir par. 123.
[107] Supra, note 61, au par. 24 [p. 527].
[108] Application No. 003,389 of N.V. Organon, Re (1973), 15 C.P.R. (2d) 253 (C.A.B.); Application No. 016,962 (Patent No. 947,179), Re (1973), 17 C.P.R. (2d) 177 (C.A.B.); Application No. 880,719 (Patent No. 944,693), Re (1973), 18 C.P.R. (2d) 114; (C.A.B.); Application for Patent Containing Claims that Read on Mental Steps Performed by a Human Operator in Deciding to Transmit a Signal, Re (1972), 23 C.P.R. (2d) 93 (Comm. des brevets).
[109] Supra, note 61, au par. 23 [p. 526].
[110] Extrait de la correspondance de l’appelant avec le commissaire aux brevets, en date du 14 juillet 1992, à la p. 4.
[111] Supra, note 61, au par. 31 [p. 530].
[112] Voir l’arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.), [1981] 1 R.C.S. 504, à la p. 527, le juge Dickson [tel était alors son titre].
[113] « Exclusive Rights in Relation to Living Things » (1991), 6 I.P.J. 171, à la p. 177.
[114] Supra, note 78, à la p. 114.
[115] Voir les art. 41 et 17 de la Loi sur les brevets.
[116] Voir, par analogie, une décision concernant le commissaire des marques de commerce, l’arrêt Molson Breweries c. John Labatt Ltd. (2000), 5 C.P.R. (4th) 180 (C.A.F.), aux par. 45 à 51 [p. 202 à 204].
[117] [1984] 2 R.C.S. 232, à la p. 265.
[118] L.C. 1990, ch. 20.
[119] Supra, note 110, à la p. 2.
[120] Dans « l’avis de décision finale » de l’examinateur des brevets, du 4 janvier 1992.
[121] Supra, note 84, aux p. 1114 à 1119.