[2000] 2 C.F. 451
T-1618-93
CCH Canadienne Limitée (demanderesse)
c.
Le Barreau du Haut-Canada (défendeur)
T-1619-93
Thomson Canada Limitée faisant affaire sous la raison sociale de Carswell publications spécialisées Thomson (demanderesse)
c.
Le Barreau du Haut-Canada (défendeur)
T-1620-93
Canada Law Book Inc. (demanderesse)
c.
Le Barreau du Haut-Canada (défendeur)
Répertorié : CCH Canadienne Ltée c. Le Barreau du Haut-Canada (1re inst.)**
Section de première instance, juge Gibson—Toronto, 23 novembre 1998; Ottawa, 9 novembre 1999.
Droit d’auteur — Violation — Des éditeurs d’ouvrages juridiques poursuivent le Barreau du Haut-Canada au sujet du service de photocopie et des photocopieuses libre-service qu’il met à la disposition des membres du Barreau et de la magistrature de l’Ontario — Les demanderesses revendiquent un droit d’auteur sur des décisions judiciaires publiées, des sommaires, des résumés, des index analytiques et des manuels juridiques — Le défendeur aurait violé leur droit d’auteur en photocopiant et en mettant en circulation des documents — Un droit d’auteur existe dans chaque œuvre littéraire originale, sous réserve des conditions prévues à la Loi sur le droit d’auteur — Examen de la jurisprudence concernant l’« originalité » nécessaire pour créer un droit d’auteur — Des entreprises spécialisées dans l’édition d’ouvrages juridiques ne jouissent pas d’un droit d’auteur dans des décisions judiciaires publiées, y compris les sommaires et autres éléments de valeur ajoutée parce que ceux-ci sont dépourvus d’« imagination » d’« étincelle de créativité » — Dans les cas où il a été conclu qu’il existait un droit d’auteur sur certaines œuvres en litige, ce sont les demanderesses qui en sont les titulaires — La reproduction faite des manuels était « importante » — La reproduction des œuvres a porté préjudice au titulaire du droit d’auteur, au sens de l’art. 27(2)b) de la Loi sur le droit d’auteur — La transmission de copies par télécopieur constitue une communication d’une œuvre littéraire par télécommunication — Il ne s’agit pas d’une télécommunication faite « au public » au sens de l’art. 3(1)f) de la Loi — Les arguments du défendeur au sujet des œuvres sur lesquelles il a été statué qu’il existait un droit d’auteur ne sont pas fondés.
Avocats — Organisme directeur — Des entreprises spécialisées dans l’édition d’ouvrages juridiques prétendent qu’il a été porté atteinte à leur droit d’auteur dans des documents juridiques que le Barreau du Haut-Canada, par l’intermédiaire de la Grande bibliothèque d’Osgoode Hall, a photocopiés et vendus à des membres du Barreau et de la magistrature de l’Ontario — La Cour rejette l’argument selon lequel le rôle du défendeur dans l’administration de la justice lui permet d’avoir préséance sur les droits d’auteur des demanderesses — Ces affaires portent sur le paiement d’une redevance et non sur l’accès à la loi.
Les présentes actions en violation du droit d’auteur ont été intentées contre le Barreau du Haut-Canada par trois éditeurs canadiens d’ouvrages juridiques. Les faits de l’affaire et l’argumentation des avocats sont résumés dans la deuxième note de l’arrêtiste. Les quatre principales questions soulevées sont : 1) l’existence du droit d’auteur, 2) la propriété du droit d’auteur, 3) la violation du droit d’auteur et 4) les moyens de défense opposés aux actions.
Jugement : les actions sont accueillies en partie.
1) Le droit d’auteur est régi par un texte législatif. La Loi sur le droit d’auteur doit être interprétée en fonction de son objet, qui est d’avantager les auteurs. Ce faisant, cependant, elle est susceptible d’apporter au public un avantage qui se situe à une échelle beaucoup plus vaste en favorisant la publication d’œuvres pour l’avancement de la science ou, comme dans le présent cas, la diffusion plus large du droit. Un droit d’auteur existe dans chaque œuvre littéraire originale, sous réserve des conditions prévues à la Loi sur le droit d’auteur. Il faut accorder une importance particulière au mot « originale » qui fait partie intégrante de la définition de « toute œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale » de l’article 2 de la Loi. Les dispositions législatives relatives au droit d’auteur ont toujours eu pour objet, notamment, de « protéger et récompenser les efforts intellectuels des auteurs ». Bien que la Loi ne le définisse pas, le mot « auteur » a une connotation de créativité et d’ingéniosité. En ce qui concerne les compilations de données, l’originalité justifiant le droit d’auteur est une question de degré, selon l’importance du talent, du jugement ou du travail en cause dans ladite compilation. Il est possible d’appliquer ces propos à une revendication de droit d’auteur sur des motifs de jugement révisés, tant seuls qu’avec des « enrichissements » comme un intitulé particulier, des mots-clés, des titres courants, des sommaires, des tables de jurisprudence et de doctrine et des références parallèles. Un droit d’auteur, autre que celui dont la Couronne ou un juge sont titulaires, ne peut exister sur une décision judiciaire (avec un sommaire, des titres courants et d’autres éléments ajoutés par l’éditeur) qui est publiée dans un volume contenant d’autres décisions judiciaires. L’ensemble du processus, et plus particulièrement les éléments qui demandent de l’habileté et du jugement, sont dépourvus de l’« imagination » ou de l’« étincelle de créativité » qui sont maintenant essentielles à une conclusion d’originalité. Il convient d’évaluer le caractère intellectuel et créateur des décisions judiciaires enrichies en vue d’une publication pour décider si elles donnent naissance à un droit d’auteur. Les recueils de jurisprudence en litige en l’espèce sont dépourvus de l’« expression originale » et ne parviennent pas à constituer des « créations intellectuelles » envisagées par l’article 2 de la Convention de Berne, 1971. De même, un droit d’auteur, autre que celui dont la Couronne ou un juge sont titulaires, ne peut exister sur un sommaire (avec des mots-clés, un exposé de l’affaire et une conclusion) ajouté à une décision judiciaire publiée, sur un résumé jurisprudentiel (constitué d’une référence ainsi que d’une présentation succincte d’une décision judiciaire) ou sur un index analytique des décisions. Cependant, il ressort de la preuve soumise que le texte législatif annoté, qui contient des commentaires, des références et des résumés de la jurisprudence pertinente, qu’est l’ouvrage Martin’s Ontario Criminal Practice 1999 et les manuels ou les monographies portant sur des questions juridiques que sont les ouvrages Economic Negligence et Forensic Evidence in Canada témoignent du degré d’originalité, de créativité et d’ingéniosité propres à l’existence d’un droit d’auteur.
2) En règle générale, l’auteur d’une œuvre est le premier titulaire du droit d’auteur et la cession du droit d’auteur n’est valable que si elle est rédigée par écrit et signée par le titulaire du droit ou son agent dûment autorisé. La Loi sur le droit d’auteur prévoit une seule exception générale : si l’auteur crée l’œuvre dans l’exercice de son emploi, l’employeur est le premier titulaire du droit d’auteur. D’après la preuve, les auteurs des enrichissements apportés aux décisions judiciaires en litige, autres que les sommaires et les mots-clés, sont les employés des demanderesses qui ont « exécuté l’œuvre » dans l’exercice de leur emploi. Les parties ont également déposé en preuve auprès du tribunal des copies des certificats d’enregistrement du droit d’auteur qui désignent chacun l’une ou l’autre des demanderesses comme titulaire du droit d’auteur. L’article 53 de la Loi prévoit qu’un certificat d’enregistrement du droit d’auteur constitue une preuve prima facie de l’existence du droit d’auteur et du fait que la personne figurant à l’enregistrement en est le titulaire. Dans les circonstances de l’espèce, les violations du droit d’auteur qui auraient été commises ont eu lieu avant l’enregistrement. Pour les cas où il a été conclu qu’il existait un droit d’auteur autre que celui de la Couronne ou d’un juge sur l’œuvre en litige, la demanderesse concernée est le titulaire de ce droit, et ce, en raison des certificats de droit d’auteur et de la preuve des cessions qui ont été versés devant la Cour. Pour les cas où il aurait été conclu à tort qu’il n’existait pas de tel droit d’auteur, si l’on se fonde sur l’ensemble de la preuve soumise à la Cour, il ressort que la demanderesse concernée est le titulaire du droit d’auteur.
3) Aux termes du paragraphe 3(1) de la Loi sur le droit d’auteur, le « droit d’auteur » sur les œuvres littéraires comme celles qui sont en litige en l’espèce comprend le droit exclusif de les communiquer au public, par télécommunication. Ainsi les limites des « droits exclusifs » du titulaire du droit d’auteur sur les œuvres de ce genre sont fixées par ce qui constitue une « violation » de ces droits exclusifs. La preuve démontre l’existence d’une reproduction importante des décisions Myer v. Bright, R. v. CIP Inc. et Hewes v. Etobicoke et des sommaires de celles-ci. La même conclusion s’applique à la reproduction du résumé jurisprudentiel Confederation Life v. Shepherd et à celle de l’index analytique de [1997] G.S.T.C. Ce qui constitue « une partie importante » est une question de fait et les tribunaux ont accordé plus d’importance à la qualité des parties plagiées qu’à leur quantité. Il ressort de la preuve soumise que la reproduction qui a été faite des manuels intitulés Forensic Evidence in Canada et Economic Negligence était « importante ». Les copies des œuvres en litige qui ont été réalisées dans le cadre du service de photocopie n’ont pas été « vendues ». La reproduction de ces œuvres et la remise des photocopies aux personnes qui les avaient demandées constituent une mise en circulation faite « de façon à porter préjudice au titulaire du droit d’auteur » au sens de l’alinéa 27(2)b) de la Loi. La mise en mémoire dans un télécopieur en vue d’une mise en circulation ultérieure constitue une possession en vue d’une vente ou d’une mise en circulation. La transmission de copies par télécopieur constitue une communication d’une œuvre littéraire par télécommunication. Cependant, les télécommunications en l’espèce n’ont pas été faites « au public » au sens de l’alinéa 3(1)f) de la Loi.
4) Comme moyens de défense, l’avocat du défendeur invoque, en premier lieu, l’intérêt public prépondérant et l’ordre public. Le rôle du défendeur et de sa Grande bibliothèque dans l’administration de la justice ne lui permet pas d’avoir préséance sur quelque droit d’auteur que les demanderesses ont ou seraient susceptibles d’avoir sur les œuvres en litige. L’intérêt public dans la bonne administration de la justice et dans le maintien d’un accès libre à la loi ne serait pas gravement compromis par la reconnaissance des droits d’auteur des demanderesses. Les présentes actions ne mettent pas en cause l’accès à la loi, mais concernent plutôt le paiement d’une redevance. Aucune preuve n’établit que le défendeur ne pourrait obtenir des demanderesses des licences pour exploiter son service de photocopie ou que les droits afférents à ces licences seraient si prohibitifs qu’ils nuiraient à l’intérêt public ou qu’ils seraient contraires à l’ordre public. En deuxième lieu, le défendeur prétend que les demanderesses n’ont pas la qualité pour intenter les présentes actions parce qu’elles ne possèdent pas de droit d’auteur sur les œuvres en litige. Si les demanderesses étaient les titulaires du droit d’auteur sur toutes les œuvres en litige, elles en seraient les titulaires dans la mesure où le droit d’auteur découlerait du travail de leurs employés et, dans les cas où le droit d’auteur ne découlerait pas de ce travail, elles en seraient les titulaires grâce aux cessions du droit d’auteur versées en preuve. En troisième lieu, le défendeur invoque l’argument de l’utilisation équitable. Aux termes des articles 29 et 29.1 de la Loi sur le droit d’auteur, l’utilisation équitable d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur aux fins d’étude privée, de recherche, de critique ou de compte rendu ne constitue pas une violation du droit d’auteur. Les copies qu’a faites le défendeur dans le cadre de son service de photocopie répondaient à des demandes formulées, directement ou indirectement, par ses membres; il ne les a pas faites pour les utiliser lui-même à des fins de recherche, d’étude privée, de critique ou de compte rendu et, par conséquent, à des fins qui relèvent du champ de « l’utilisation équitable ». L’exception d’utilisation équitable doit être interprétée restrictivement. Cette conclusion est compatible avec les dispositions d’exception touchant les bibliothèques que le Parlement a adoptées récemment en matière d’utilisation équitable et qui sont maintenant en vigueur. La nature du problème de l’exception relative aux bibliothèques, la nature de la réponse que le Parlement lui a donnée et l’ampleur du débat public suscité par ces modifications étayent une interprétation de l’exception d’« utilisation équitable » qui ne couvre pas les activités du service de photocopie de la Grande bibliothèque en litige. En quatrième lieu, l’avocat du défendeur soutient que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de rejeter la demande d’injonction permanente présentée par les demanderesses en se fondant sur des moyens de défense et des considérations reconnus en equity qui militent contre l’octroi de cette réparation. Dans la mesure où il a été conclu que les demanderesses ou l’une d’elles sont là où les titulaires du droit d’auteur qui existe sur les œuvres en litige et que le défendeur a porté atteinte à ce droit, l’ensemble de la preuve soumise ne fournit aucun fondement en equity permettant de conclure à l’inopportunité d’accorder une injonction permanente. Aucun obstacle, fondé sur l’equity ou découlant de l’existence d’une licence implicite, n’empêche d’accorder une injonction permanente. Bien que l’avocat du défendeur ait cherché à invoquer la Charte, ou ses principes, pour convaincre la Cour de ne pas accorder une injonction permanente contre les activités du défendeur dans l’exploitation de son service de photocopie, entendre ces prétentions, dans le contexte de la présente affaire, ne serait pas faire une utilisation valable et efficace des ressources judiciaires.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, [1994] R.T. Can. no 2, art. 1705.
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle, 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 2b), 7, 15.
Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques (Acte de Paris du 2 juillet 1971 modifiée le 28 septembre 1979) (avec annexe), [1998] R.T. Can. no 18, art. 2(3).
Décret sur la reproduction de la législation fédérale, TR/97-5.
Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 2 « bibliothèque, musée ou service d’archives » (édicté par L.C. 1997, ch. 24, art. 1), « œuvre », « œuvre littéraire » (mod. par L.C. 1993, ch. 44, art. 53), « toute œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale » (mod. idem ), 3(1) (mod., idem, art. 55; 1997, ch. 24, art. 3), 13(1), (3), (4) (mod., idem, art. 10), 27(1) (mod., idem, art. 15), (2) (mod., idem), 29 (mod., idem, art. 18), 29.1 (édicté, idem), 30.1 (édicté, idem, art. 18), 30.2 (édicté, idem), 30.21 (édicté, idem), 30.3 (édicté, idem), 36(1) (mod., idem, art. 20), (2) (mod., idem).
Règlement sur les cas d’exception à l’égard des établissements d’enseignement, des bibliothèques, des musées et des services d’archives, DORS/99-325.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Compo Company Ltd. c. Blue Crest Music Inc. et autres, [1980] 1 R.C.S. 357; (1979), 105 D.L.R. (3d) 249; 45 C.P.R. (2d) 1; 29 N.R. 296; Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467; (1990), 72 D.L.R. (4th) 97; 31 C.P.R. (3d) 394; 111 N.R. 376; Télé-Direct (Publications) Inc. c. American Business Information, Inc., [1998] 2 C.F. 22 (1997), 154 D.L.R. (4th) 328; 37 B.L.R. (2d) 101; 76 C.P.R. (3d) 296; 221 N.R. 113 (C.A.); Slumber-Magic Adjustable Bed Co. v. Sleep-King Adjustable Bed Co., [1985] 1 W.W.R. 112; (1984), 3 C.P.R. (3d) 81 (C.S.C.-B.); Matthew Bender & Co., Inc. v. West Pub. Co., 158 F.3d 674 (2nd Cir. 1998); U & R Tax Services Ltd. c. H & R Block Canada Inc. (1995), 62 C.P.R. (3d) 257; 97 F.T.R. 259 (C.F. 1re inst.); Sillitoe and Others v. McGraw-Hill Book Co. (U.K.) Ltd., [1983] F.S.R. 545 (Ch.); Hy and Zel’s Inc. c. Ontario (Procureur général); Paul Magder Furs Ltd. c. Ontario (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 675; (1993), 107 D.L.R. (4th) 634; 18 C.R.R. (2d) 99; 160 N.R. 161; 67 O.A.C. 81.
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Apple Computer, Inc. c. Mackintosh Computers Ltd., [1987] 1 C.F. 173 (1986), 28 D.L.R. (4th) 178; 8 C.I.P.R. 153; 10 C.P.R. (3d) 1; 3 F.T.R. 118 (1re inst.); conf. par [1988] 1 C.F. 673 (1987), 44 D.L.R. (4th) 74; 16 C.I.P.R. 15; 18 C.P.R. (3d) 129; 81 N.R. 3 (C.A.); conf. par Apple Computer, Inc. c. Mackintosh Computers Ltd.; Apple Computer, Inc. c. 115778 Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 209; (1990), 71 D.L.R. (4th) 95; 30 C.P.R. (3d) 257; 110 N.R. 66; University of London Press v. University Tutorial Press, [1916] 2 Ch. 601; Interlego A.G. v. Tyco Industries Inc., [1989] A.C. 217 (P.C.); Édition Hurtubise H M H Ltée c. Collège d’enseignement général et professionnel André-Laurendeau, [1989] R.J.Q. 1003 (C.S.); Hager c. ECW Press Ltd., [1999] 2 C.F. 287 (1998), 85 C.P.R. (3d) 289 (1re inst.); Circle Film Enterprises Inc. v. Canadian Broadcasting Corporation, [1959] R.C.S. 602; (1959), 20 D.L.R. (2d) 211; 31 C.P.R. 57; Bishop c. Stevens, [1985] 1 C.F. 755(abrégé); (1985), 4 C.P.R. (3d) 349 (1re inst.); conf. par sub nom. Télé-Métropole Inc. c. Bishop et autres (1987), 18 C.P.R. (3d) 257; 80 N.R. 302 (C.A.F.); Réseau de Télévision CTV Ltée c. Canada (Commission du droit d’auteur), [1993] 2 C.F. 115 (1993), 99 D.L.R. (4th) 216; 46 C.P.R. (3d) 343; 149 N.R. 363 (C.A.); Telstra Corporation Ltd v Australasian Performing Right Association Ltd (1997), 146 ALR 649 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES :
Macmillan and Co., Limited v. Cooper (1923), 40 T.L.R. 186 (C.P.); Prism Hospital Software v. Hospital Medical Records Institute, [1994] 10 W.W.R. 305; (1994), 97 B.C.L.R. (2d) 201; 57 C.P.R. (3d) 129 (C.S. C.-B.); Gould Estate v. Stoddart Publishing Co. (1998), 39 O.R. (3d) 545; 161 D.L.R. (4th) 321; 43 C.C.L.T. (2d) 1; 80 C.P.R. (3d) 161; 114 O.A.C. 178 (C.A.); Blacklock (H.) & Co. v. Pearson (C. Arthur), Ld., [1915] 2 Ch. 376; Pasickniak v. Dojacek, [1928] 2 D.L.R. 545 (C.A. Man.); Allen v. Toronto Star Newspapers Ltd. (1997), 36 O.R. (3d) 201; 152 D.L.R. (4th) 518; 78 C.P.R. (3d) 115; 105 O.A.C. 191 (C. Div.); Warwick Film Productions, Ltd. v. Eisinger, [1967] 3 All E.R. 367 (Ch.); Édutile Inc. c. Assoc. pour la protection des automobilistes (1997), 81 C.P.R. (3d) 338 (C.F. 1re inst.); Feist Publications, Inc. v. Rural Telephone Service Co., Inc., 111 S. Ct. 1282 (1991); Ital-Press Ltd. c. Sicoli et al. (1999), 86 C.P.R. (3d) 129 (C.F. 1re inst.); British Columbia Jockey Club et al. v. Standen (1985), 22 D.L.R. (4th) 467; [1985] 6 W.W.R. 683; 66 B.C.L.R. 245; 8 C.P.R. (3d) 283 (C.A. C.-B); Graves v. Pocket Publications, Limited (1938), 54 T.L.R. 952 (Ch. Div.); De Garis v. Neville Jeffress Pidler Pty Ltd (1990), 95 ALR 625 (C.F. Aust.); Longman Group Ltd v Carrington Technical Institute Board of Governors, [1991] 2 NZLR 574 (H.C.); Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236; (1992), 88 D.L.R. (4th) 193; 2 Admin. L.R. (2d) 229; 5 C.P.C. (3d) 20; 8 C.R.R. (2d) 145; 16 Imm. L.R. (2d) 161; 132 N.R. 241.
DOCTRINE
Copinger, Walter Arthur. The Law of Copyright in Works of Literature, Art, Architecture, Photography, Music and the Drama : including Chapters on Mechanical, Contrivances and Cinematographs, 5th ed. by J. M. Easton. London : Stevens and Haynes, 1915.
Copinger and Skone James on Copyright, 13th ed. by E. P. Skone James et al. London : Sweet & Maxwell, 1991.
Copinger and Skone James on Copyright, 14th ed. by K. Garnett et al. London : Sweet & Maxwell, 1999.
Vaver, David « Abridgements and Abstracts : Copyright Implications », [1995] E.I.P.R. 225.
Vaver, David « Copyright in Legal Documents » (1993), 31 Osgoode Hall L.J. 661.
ACTIONS en violation du droit d’auteur dans lesquelles les demanderesses allèguent que des parties de documents juridiques primaires et secondaires, publiés par elles, ont été photocopiées par le défendeur, à sa Grande bibliothèque, à Osgoode Hall, et vendues à des membres du Barreau et de la magistrature de l’Ontario. Actions accueillies en partie.
ONT COMPARU :
Ronald E. Dimock, Glen A. Bloom et Cedric G. Lam, pour les demanderesses.
R. Scott Jolliffe, Andrew Kelly Gill et Michael R. Hilliard, pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Dimock Stratton Clarizio, Toronto, pour les demanderesses.
Gowling, Strathy & Henderson, Toronto, pour le défendeur.
NOTE DE L’ARRÊTISTE
L’arrêtiste, comme l’y autorise le paragraphe 58(2) de la Loi sur la Cour fédérale, a décidé de publier sous forme abrégée, dans le Recueil, les 164 pages des motifs du jugement prononcé dans la présente affaire par le juge Gibson. Il s’agit d’une décision importante pour la législation en matière de droit d’auteur, la profession juridique et les éditeurs d’ouvrages juridiques au Canada. Sont omises les 86 premières pages où se trouvent exposés les faits ainsi que les arguments des avocats. L’analyse et les conclusions du juge sont publiées intégralement, tandis que les points suivants ont été omis : les réparations sollicitées, la postface, les dépens, l’annexe « A » (certains articles de la (Loi sur le droit d’auteur) et l’annexe « B » (dispositions de la Loi qui n’étaient pas encore en vigueur au moment du débat). L’arrêtiste a rédigé des notes qui remplacent les parties omises.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Gibson :
Note de l’arrêtiste (qui remplace les paragraphes 1 à 114)
Trois des quatre principaux éditeurs d’ouvrages juridiques au Canada, à savoir CCH Canadienne Limitée, Carswell Publications spécialisées Thomson et Canada Law Book Inc., ont intenté des actions en violation du droit d’auteur contre le Barreau du Haut-Canada. Le quatrième, Butterworths, qui publie les Ontario Reports pour le Barreau du Haut-Canada, n’a pas engagé de poursuites. Les demanderesses reprochent au défendeur d’avoir photocopié des parties de documents juridiques, d’information primaire et secondaire, qu’elles publient et qui se trouvent dans le fonds du défendeur, dans sa Grande bibliothèque, à Osgoode Hall, et de les avoir vendus à des membres de la profession. Le Barreau fournit un service de photocopie ainsi que l’accès à des photocopieuses individuelles de libre-service. La Cour a entendu les trois actions ensemble sur la base de la preuve des pratiques de Canada Law Book Inc. Les avocats ont déposé un long exposé conjoint des faits. Il ressort que la loi impose au défendeur l’obligation de diffuser les décisions rendues par les tribunaux ontariens. La Grande bibliothèque sert les membres du Barreau et la magistrature de l’Ontario. Auparavant, les avocats devaient apporter au tribunal tous les volumes qu’ils voulaient invoquer. Toutefois, depuis le début des années 1980, ils ont l’habitude de faire des photocopies et de les remettre aux juges. Environ 75 pour 100 des photocopies faites par le défendeur visent des décisions judiciaires individuelles. Environ 19 pour 100 des demandes auxquelles répond la Grande bibliothèque visent la photocopie de documents publiés par les trois demanderesses.
À titre de réparation, telle qu’elle a été révisée au début de la plaidoirie, les demanderesses veulent obtenir un jugement déclarant qu’il existe un droit d’auteur sur certaines décisions judiciaires publiées et leur sommaire ainsi que sur certains résumés, index analytiques et manuels juridiques, qu’elles sont les titulaires de ce droit d’auteur et que le défendeur a violé ce droit en faisant des photocopies de ces documents et en les mettant en circulation. Les demanderesses ont aussi sollicité une injonction permanente.
Bien que les avocats des parties aient soulevé de nombreux points, la question fondamentale consistait à décider s’il peut exister un droit d’auteur dans des éléments de valeur ajoutée (comme des rubriques, des sommaires, des titres courants, des tables de jurisprudence et de lois et règlements) que contient une décision judiciaire publiée dans les recueils. La Cour s’est également demandée qui est l’auteur d’une décision judiciaire et des sommaires publiés dans un recueil. Parmi les moyens de défense soulevés, mentionnons l’argument selon lequel la reproduction ne visait pas une « partie importante » de l’œuvre (paragraphe 3(1) de la Loi sur le droit d’auteur). Des moyens de défense comme celui de l’« intérêt public prépondérant » (compte tenu du statut particulier du défendeur) et celui de l’exception de l’« utilisation équitable » (prévue aux articles 29 et 29.1 de la Loi sur le droit d’auteur) ont aussi été invoqués. Enfin, le défendeur a soulevé de « nombreux moyens de défense en equity » et certaines dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés.
La preuve présentée au juge de la Section de première instance comprenait un exposé de principe rédigé par le défendeur en 1992 et dans lequel il reconnaissait que : « […] dans la mesure où tout service commercial ajoute de la valeur aux jugements prononcés par les tribunaux, comme le fait de publier des jugements choisis et d’y ajouter des sommaires et d’autres enrichissements éditoriaux, le document publié est protégé par un droit d’auteur distinct en faveur de l’entité commerciale ». Les témoignages présentés pour le compte des demanderesses ont beaucoup traité du processus par lequel les décisions judiciaires sont choisies pour publication, préparées et publiées. Les témoins ont insisté sur la rédaction des sommaires. La Cour a entendu un expert sur la question de savoir si le service de photocopie est, pour le défendeur, une activité de recouvrement des coûts ou une activité génératrice de profits.
En présentant des arguments en faveur de l’existence du droit d’auteur, l’avocat des demanderesses a souligné la preuve selon laquelle l’arrêtiste principal d’une collection de jurisprudence peut recevoir et examiner jusqu’à 10 000 motifs de jugement par année, parmi lesquels il peut choisir d’en publier seulement 500. Les motifs de jugement bruts retenus pour publication sont corrigés en profondeur par le personnel de l’éditeur, tandis qu’un arrêtiste (qui ne travaille pas pour l’éditeur dans le cas des séries de recueils du secteur privé) est chargé de créer un sommaire, des mots-clés, des tables de jurisprudence, un exposé de l’instance et une conclusion. L’avocat prétend qu’il existe un droit d’auteur sur les nombreux éléments de valeur ajoutée qui sont joints à une décision publiée. Les demanderesses vont jusqu’à prétendre que les décisions judiciaires qui sont publiées dans un recueil de jurisprudence et les motifs de jugement délivrés par un tribunal constituent deux œuvres différentes. Elles signalent au juge que le défendeur lui-même se prétend titulaire du droit d’auteur sur les décisions judiciaires qu’il publie dans les Ontario Reports. Selon elles, le sommaire d’une décision judiciaire publiée est une œuvre littéraire protégée en soi parce qu’il ne s’agit pas simplement d’un résumé des motifs de jugement et que sa création exige de l’habileté et des connaissances. D’après elles, on peut en dire autant des manuels juridiques qui constituent des œuvres savantes, souvent rédigées par d’éminents professeurs de droit et qui demandent beaucoup de temps et de recherche. Leur avocat a cité un extrait du procès-verbal d’une réunion du Comité des bibliothèques du défendeur tenue en 1960 dans lequel il était mentionné que la possibilité de poursuites suscitait des inquiétudes parce que « la photocopie d’objet protégé par le droit d’auteur constitue une violation technique des lois sur le droit d’auteur […] ».
Le défendeur a laissé entendre qu’il fallait garder à l’esprit le statut particulier du Barreau et de sa Grande bibliothèque en se prononçant en l’espèce. D’après lui, le Barreau n’est pas une entreprise commerciale, mais un organisme qui sert l’intérêt public. Comme il se préoccupe de l’administration de la justice et de la primauté du droit, le Barreau a sollicité, en demande reconventionnelle, un jugement déclaratoire qui serait appelé à servir de lignes directrices dans un domaine « n’ayant pas encore été tranché par des tribunaux au Canada—. Le défendeur joue un rôle particulier dans un système de droit fondé sur l’autorité des précédents (stare decisis) et ses actions ne devraient pas être appréciées dans le contexte d’un litige qui oppose des entreprises. Le défendeur ne conteste pas que les demanderesses sont titulaires d’un droit d’auteur sur des volumes et des collections de recueils de jurisprudence complets, mais soutient que le présent litige porte sur la reproduction de décisions individuelles et de « courts » extraits de textes juridiques. Cette pratique servirait l’intérêt public et favoriserait la promotion de la justice et la primauté du droit. Le droit d’auteur qui existe sur des motifs de jugement revient à la Couronne en vertu d’une prérogative de celle-ci et le droit d’auteur cédé conformément au Décret sur la reproduction de la législation fédérale ne vise que les décisions de la Cour suprême du Canada, de la Cour fédérale du Canada et de la Cour canadienne de l’impôt. Les recueils des demanderesses ne sont que des « œuvres dérivées » des œuvres qui découlent d’œuvres existantes protégées par un droit d’auteur. La version des décisions judiciaires publiées par les demanderesses ne témoigne pas du degré minimal d’habileté, de jugement et d’efforts propre à donner naissance à un droit d’auteur distinct. Il peut arriver que des sommaires possèdent une originalité suffisante pour avoir droit à la protection du droit d’auteur, mais il faudrait trancher cette question au cas par cas. L’avocat du défendeur a cité les critères exposés dans l’ouvrage du professeur David Vaver intitulé Intellectual Property Law pour décider s’il y a eu appropriation d’une « partie importante » d’une œuvre.
Pour étayer son moyen de défense fondé sur l’intérêt public, le Barreau invoque le jugement prononcé par le lord juge Griffiths dans Lion Laboratories Ltd. v. Evans et al., [1985] 1 Q.B. 526 (C.A.) : [traduction] « Je suis intimement convaincu […] que le moyen de défense d’intérêt public peut être invoqué […] en cas de violation du droit d’auteur ». Il prétend que la reproduction dont il s’agit en l’espèce était d’un intérêt public suffisamment important pour l’emporter sur le droit des demanderesses. L’intérêt public en question était l’accès égal et libre à la loi; ce droit serait menacé si les demanderesses jouissaient de droits de monopole sur les décisions individuelles que contient leur collection de recueils de jurisprudence.
Parmi les autres moyens de défense avancés, mentionnons l’absence de qualité pour intenter les poursuites, l’utilisation équitable, la fin de non-recevoir, les retards indus, l’acquiescement, l’absence de conduite irréprochable de la part des demanderesses, l’octroi d’une licence implicite et des principes fondés sur la Chartre (c’est-à-dire que la reconnaissance des droits de monopole sur les ressources juridiques revendiqués par les demanderesses contreviendrait à la règle de droit impérative du libre accès à la justice).
En réponse, les demanderesses soutiennent que ces affaires portent sur le paiement d’une redevance et non sur l’accès à la loi. Elles ajoutent que la Grande bibliothèque n’est pas exploitée pour être utilisée par le public; elle est maintenue au bénéfice des membres du défendeur. Quant à l’« utilisation équitable », selon elles, le volume des documents copiés par le service de photocopie du défendeur empêche, à lui seul, d’invoquer la défense d’« utilisation équitable ».
* * *
ANALYSE ET CONCLUSIONS
1) Existence d’un droit d’auteur
[115] Le droit d’auteur est régi par un texte législatif. Dans l’arrêt Compo Company c. Blue Crest Music Inc. et autres[1], le juge Estey, se prononçant au nom de la Cour suprême, écrit [aux pages 372 et 373] :
[…] le droit d’auteur n’est pas régi par les principes de la responsabilité délictuelle ni par le droit de propriété mais par un texte législatif. Il ne va pas à l’encontre des droits existants en matière de propriété et de conduite et il ne relève pas des obligations et droits existant autrefois en common law. La loi concernant le droit d’auteur crée simplement des droits et obligations selon certaines conditions et circonstances établies dans le texte législatif. En droit anglais, il en est ainsi depuis la reine Anne, sous laquelle fut promulguée la première loi relative au droit d’auteur. Il n’est pas utile, aux fins de l’interprétation législative, d’introduire les principes de la responsabilité délictuelle. La loi parle d’elle-même et c’est en fonction de ses dispositions que doivent être analysés les actes de l’appelante.
[116] La Loi sur le droit d’auteur [L.R.C. (1985), ch. C-42] a pour but d’avantager les auteurs, même si, ce faisant, elle est susceptible d’apporter au public un avantage qui se situe à une échelle beaucoup plus vaste en favorisant la publication d’œuvres pour l’avancement de la science ou, comme dans le présent cas, la diffusion plus large du droit. Dans l’arrêt Bishop c. Stevens[2], Mme le juge McLachlin, se prononçant pour la Cour suprême, écrit :
Comme le souligne le juge Maugham dans l’arrêt Performing Right Society, Ltd. v. Hammond’s Bradford Brewery Co., [1934] 1 Ch. 121, à la p. 127, [traduction] « la Copyright Act de 1911 a un but unique et a été adoptée au seul profit des auteurs de toutes sortes, que leurs œuvres soient littéraires, dramatiques ou musicales ». Voir également l’article premier de la Convention de Berne révisée […]
[117] Mme le juge Reed de cette Cour écrit dans la décision Apple Computer, Inc. c. Mackintosh Computers Ltd.[3] :
[…] la Loi sur le droit d’auteur a toujours eu pour but de créer un certain monopole. Elle ne contient aucune distinction relative à l’objectif visé par l’œuvre créée, que ce soit le divertissement, l’enseignement ou autre. À mon avis, la Loi avait deux buts : encourager la publication d’œuvres, pour « l’avancement de la science » et protéger et récompenser les efforts intellectuels des auteurs, pendant un certain temps.
[118] La Cour d’appel fédérale a récemment statué que la Loi sur le droit d’auteur devait être interprétée en fonction de son objet[4].
[119] Le droit d’auteur est défini comme la panoplie de droits économiques incorporels que détiennent les auteurs des œuvres et de certains droits dits « voisins » que possèdent les artistes-interprètes, les producteurs d’enregistrements sonores et les radiodiffuseurs[5].
[120] Ainsi qu’il appert de l’extrait précédent des motifs du juge Estey dans l’arrêt Compo Company Ltd. c. Blue Crest Music Inc. et autres[6], le droit d’auteur, « produit de la loi », est connu en droit anglais au moins depuis la reine Anne, et bon nombre des principes qui sous-tendent même l’actuelle loi du Royaume-Uni restent applicables au Canada. Ainsi, on peut généralement s’appuyer en toute confiance sur la jurisprudence du Royaume-Uni et celle des autres nations dont les lois sur le droit d’auteur sont d’origine britannique. En revanche, la législation américaine en matière de droit d’auteur a évolué différemment et il faut donc analyser avec prudence la jurisprudence américaine avant de l’appliquer. Toujours dans l’arrêt Compo Company Ltd. c. Blue Crest Music Inc. et autres, le juge Estey écrit aux pages 366 et 367 :
La Copyright Act des États-Unis présente, actuellement autant qu’autrefois, plusieurs points communs avec la Loi canadienne actuelle de même qu’avec l’ancienne Copyright Act impériale. La jurisprudence américaine doit cependant être analysée avec prudence même si elle porte sur des faits semblables car la loi américaine repose sur des conceptions du droit d’auteur fondamentalement différentes des nôtres.
Cet avertissement est-il devenu moins pertinent par suite des modifications apportées à la loi, comme le fait observer la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Télé-Direct[7]? C’est une question que j’aborderai plus loin dans les présents motifs.
[121] Un droit d’auteur existe dans chaque œuvre littéraire originale, sous réserve des conditions prévues à la Loi sur le droit d’auteur[8]. Pour les besoins de la présente action, j’accorderai une importance particulière au mot « originale » que contient l’énoncé de principe général qui précède, mot qui fait partie intégrante de la définition de « toute œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale » de l’article 2 de la Loi sur le droit d’auteur. Dans l’arrêt Apple Computer, Inc. c. Mackintosh Computers Ltd.[9], le juge Hugessen, alors juge à la Cour d’appel fédérale, écrit [à la page 693] :
La seule caractéristique distinctive de l’œuvre littéraire n’est pas sa qualité littéraire ou artistique mais simplement le fait qu’elle est écrite ou imprimée.
[122] La Convention de Berne, 1971[10] précise que les transformations d’une œuvre littéraire sont protégées comme des œuvres originales. L’article 2(3) dispose :
Article 2
[…]
3) Sont protégées comme des œuvres originales, sans préjudice des droits de l’auteur de l’œuvre originale, les traductions, adaptations, arrangements de musique et autres transformations d’une œuvre littéraire ou artistique.
[123] Dans ce contexte général, l’avocat des demanderesses allègue qu’un droit d’auteur peut exister au Canada sur les œuvres littéraires appartenant aux catégories suivantes :
- les manuels[11] ;
- les abrégés[12] ;
- les sommaires et autres résumés[13] ;
- les rubriques, auxquelles, d’après les demanderesses, les mots clés seraient analogues[14] ;
- les index et répertoires et, par analogie, les systèmes de classification[15] ;
- les traductions[16] ;
- les éditions d’œuvres littéraires en tant qu’œuvres distinctes[17] ;
- la mise en page et la force du corps, les types de caractères et l’emplacement[18] ;
- le texte révisé d’une œuvre littéraire[19] ;
- les compilations constituées principalement d’œuvres littéraires[20].
[124] Je vais maintenant aborder la question de l’« originalité » qui se trouve au cœur du droit d’auteur. Comme Mme le juge McLachlin l’écrit dans l’extrait précité de la décision Slumber-Magic, à la note 20 :
[traduction] Le fondement du droit d’auteur est l’originalité du travail en question. Du moment que la composition renvoie à un travail, à un goût et à des décisions précises, il y a originalité.
Ainsi, du moins à cette époque où elle siégeait à la Cour suprême de la Colombie-Britannique, Mme le juge McLachlin écrivait que l’originalité n’exigeait pas qu’une œuvre soit l’expression d’une pensée originale ou inventive. Toutefois, en ce qui concerne les compilations, elle poursuivait en faisant remarquer que « l’originalité justifiant le droit d’auteur est une question de degré, selon l’importance du talent, du jugement ou du travail en cause ». Dans l’arrêt University of London Press v. University Tutorial Press[21], le juge Peterson écrit, aux pages 608 et 609 :
[traduction] Dans ce contexte, le mot « originale » ne signifie pas que l’œuvre doit être l’expression d’une pensée originale ou inventive. Les lois sur les droits d’auteur ne tiennent pas compte de l’originalité des idées, mais de l’expression de la pensée et, dans le cas d’une « œuvre littéraire », de l’expression de la pensée sous forme écrite ou imprimée. L’originalité requise porte sur l’expression de la pensée. La loi n’exige cependant pas que cette expression soit présentée sous une forme originale ou nouvelle, mais que l’œuvre ne soit pas copiée sur une autre œuvre—qu’elle vienne de son auteur.
[125] Dans l’ouvrage intitulé « Copyright in Legal Documents »[22], le professeur David Vaver écrit :
[traduction] Les critères quantitatifs et qualitatifs appliqués à l’originalité donnent, c’est bien connu, des résultats imprévisibles et il y a lieu d’éviter d’y avoir recours chaque fois que c’est possible. En tant que technique juridique, il peut s’avérer préférable d’accepter tous les documents qu’une personne produit, qui ne constituent pas une copie servile d’un document antérieur, comme étant des originaux de cette personne. Les juges peuvent alors se concentrer davantage sur les véritables questions en jeu : non pas celle de savoir à quelle hauteur fixer le seuil du droit d’auteur, mais plutôt quand, par qui et dans quelle mesure un droit d’auteur peut être revendiqué.
[126] Dans l’arrêt Interlego A.G. v. Tyco Industries Inc.[23], lord Oliver of Aylmerton écrit :
[traduction] Plusieurs affaires célèbres ont indiqué que l’originalité, dans le contexte du droit d’auteur littéraire, dépend du degré d’habileté, d’efforts et de jugement consacré à la préparation d’une compilation […] De même, lord Reid et lord Hodson […] insistent sur le fait que le degré d’habileté, de jugement et d’efforts est probablement le critère décisif dans le cas des compilations. Toutefois, appliquer ce critère comme le critère universel d’originalité dans toutes les affaires de droit d’auteur est non seulement injustifié, compte tenu du contexte dans lequel ces observations ont été formulées, mais manifestement erroné. Prenons l’affaire la plus simple de droit d’auteur artistique : une peinture ou une photographie. Il faut beaucoup d’habileté, de jugement et d’efforts pour exécuter une bonne copie de la peinture ou pour produire une photographie agrandie à partir d’une épreuve positive, mais nul ne saurait raisonnablement prétendre que la copie de la peinture ou l’agrandissement de la photographie est une œuvre artistique « originale » ouvrant droit pour le plagiaire à la protection d’un droit d’auteur. L’habileté, les efforts ou le jugement utilisés simplement pour copier ne peuvent conférer d’originalité. [Références omises.]
[127] Il me semble y avoir une certaine divergence entre ces propos de lord Oliver of Aylmerton et le conseil du professeur Vaver, lequel invitait à accepter comme originaux tous les documents juridiques qu’une personne produit sans copier servilement un document antérieur, et à se concentrer, non pas tant sur la question de savoir à quelle hauteur fixer le seuil du droit d’auteur, mais sur celle de savoir quand, par qui et dans quelle mesure un droit d’auteur peut être revendiqué. Cela dit, je reconnais que l’exemple utilisé par lord Oliver représente ce que le professeur Vaver aurait fort probablement appelé une « copie servile », alors que le conseil de ce dernier exclut ce cas. Ni lord Oliver ni le professeur Vaver ne donnent beaucoup de précisions permettant de décider dans quelle mesure il faut suivre leur raisonnement quand la copie est un peu moins que « servile ».
[128] Comme il fallait s’y attendre, l’avocat du défendeur fait valoir que, d’après la preuve présentée à la Cour, la proximité avec la « copie servile » est très grande, du moins en ce qui concerne les motifs de jugement. Il ajoute que, compte tenu du droit d’auteur allégué de la Couronne, les demanderesses ne possèdent aucun droit d’auteur sur chaque texte de décision individuel, incluant les enrichissements qu’elles apportent, et ce, nonobstant le Décret sur la reproduction de la législation fédérale [TR/97-5] reproduit au paragraphe 35 [omis] de l’exposé conjoint des faits et cité précédemment. Selon lui, chaque texte individuel publié par les demanderesses constitue une « œuvre dérivée », c’est-à-dire une œuvre essentiellement empruntée à des œuvres existantes qui sont protégées par un droit d’auteur de sorte qu’il n’existe pas de droit d’auteur dans celles-ci. Il me semble qu’il s’agit seulement là d’une autre façon d’alléguer que les motifs de jugement publiés par les demanderesses manquent tout simplement d’originalité.
[129] À l’évidence, aucune preuve produite devant la Cour n’indique que les demanderesses ont été autorisées, officiellement ou non, par quiconque revendiquant un droit d’auteur sur les motifs des décisions judiciaires à reproduire celles-ci avec ou sans modifications. Le Décret sur la reproduction de la législation fédérale ne contient pas de revendication expresse du droit d’auteur, même s’il est possible de prétendre qu’une telle revendication est implicite. La directive du Secrétariat du Conseil de gestion du Conseil des ministres de l’Ontario, citée à la note infrapaginale 5 [omise], indique que l’Imprimeur de la Reine de l’Ontario revendique des droits d’auteur sur les décisions judiciaires. Apparemment, l’Imprimeur de la Reine de l’Ontario exige qu’une déclaration du droit d’auteur soit publiée dans les nouvelles publications des textes juridiques de l’Ontario. Toutefois, rien de ce qui précède ne tranche la question du droit d’auteur de la Couronne.
[130] Pour les besoins de la présente action, j’estime que je n’ai pas à me prononcer sur la question du droit d’auteur de la Couronne sur les motifs d’une décision émanant des tribunaux ontariens.
[131] Dans l’arrêt Télé-Direct (Publications) Inc. c. American Business Information, Inc.[24], le juge Décary, faisant référence aux modifications apportées en 1993 à la Loi sur le droit d’auteur [L.C. 1993, ch. 44] et à l’article 1705 de l’ALÉNA [Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, [1994] R.T. Can. no 2] auquel ces modifications se rapportaient, écrit aux pages 31 et 32 :
De toute évidence, les parties à l’ALÉNA voulaient protéger les compilations de données qui constituent des « œuvres d’expression originale au sens de ladite convention [de Berne] » et des « créations intellectuelles ». L’emploi de ces deux derniers mots est très significatif : les compilations de données doivent être évaluées en fonction de leur caractère intellectuel et créateur. Ces caractéristiques étant déjà reconnues par la jurisprudence anglo-canadienne—[…] je ne puis que présumer que le gouvernement du Canada, lorsqu’il a signé l’Accord, et le Parlement, lorsqu’il a adopté les modifications de 1993 visant la Loi sur le droit d’auteur, s’attendaient à ce que la Cour adopte la thèse de la « créativité » plutôt que celle du « travail industrieux ». [Je souligne; références omises.]
Il ajoute, à la page 37 :
Il n’est pas certain qu’une somme importante de travail alliée à un degré négligeable de talent et de jugement suffirait, la plupart du temps, à conférer un caractère original à une compilation. Il importe de ne jamais perdre de vue que les dispositions législatives relatives au droit d’auteur ont toujours eu pour objet, notamment, de « protéger et récompenser les efforts intellectuels des auteurs, pendant un certain temps » (je souligne). L’emploi du mot « copyright » dans la version anglaise de la Loi a obscurci le fait que l’objet fondamental de la Loi est de protéger « le droit d’auteur ». Bien que la Loi ne le définisse pas, le mot « auteur » a une connotation de créativité et d’ingéniosité. [Références omises.]
Même si, dans l’affaire Télé-Direct, le juge Décary était saisi de la question du droit d’auteur sur une compilation, je suis convaincu qu’il est possible d’appliquer ses propos avec la même force à une revendication de droit d’auteur sur des motifs de jugement révisés, tant seuls qu’avec des « enrichissements » comme un intitulé particulier, des mots clés, des titres courants, des sommaires, des tables de jurisprudence et de doctrine et des références parallèles.
[132] Dans la décision Édutile Inc. c. Assoc. pour la protection des automobilistes[25], le juge Dubé, se prononçant sur la question de l’originalité encore dans le contexte d’une compilation, cite [à la page 343] l’affaire Édition Hurtubise H M H Ltée c. Collège d’enseignement général et professionnel André Laurendeau[26] dans laquelle le juge Tessier écrit [à la page 1010] :
Quels sont les critères déterminatifs de l’originalité d’une œuvre? De toute évidence, elle doit d’abord résulter d’un travail de création, sans constituer une copie. Cette création exige chez l’auteur un certain effort personnel, des connaissances, de l’habileté, du temps, de la réflexion, du jugement et de l’imagination. L’auteur y consacre ses énergies intellectuelles à la mesure de la nature et du contenu anticipé de l’œuvre. [Non souligné dans l’original.]
Cette expansion des critères traditionnels de jugement, d’habileté et d’efforts traduit admirablement bien, à mon avis, l’aspect créateur inhérent au concept d’originalité.
[133] Enfin, et non sans une certaine appréhension compte tenu des incertitudes admises précédemment quant au recours à la jurisprudence américaine en matière de droit d’auteur, je voudrais aborder la décision Matthew Bender & Co., Inc. v. West Pub. Co.[27] dont l’objet était analogue à celui du litige dont la Cour est présentement saisie. West, comme les demanderesses, est un éditeur d’ouvrages juridiques. Le juge de circuit Jacobs écrit [aux pages 681 à 683, 688] :
[traduction] Selon West, l’originalité et la créativité requises résident dans quatre éléments des recueils de jurisprudence qu’HyperLaw veut copier :
(i) l’arrangement de l’information qui précise le nom des parties, le tribunal et la date de la décision;
(ii) le choix et l’arrangement des renseignements concernant les avocats;
(iii) l’arrangement de l’information relative aux actes de procédure subséquents comme les modifications et les refus de nouvelles auditions; et
(iv) le choix des références parallèles ou d’autres références.
À partir de faits préexistants, qui eux-mêmes ne peuvent être protégés, chaque élément constitue soit un ajout, soit une réorganisation, de sorte que West n’a pas droit à la protection pour ces éléments de ses recueils de jurisprudence à moins qu’elle ne prouve l’existence d’une certaine créativité dans le choix ou l’arrangement de ces faits […]
[…]
L’étincelle de créativité est absente lorsque : i) les conventions de l’industrie ou d’autres facteurs extérieurs dictent un choix de sorte que toute personne préparant la compilation du genre de celle qui est en litige aurait nécessairement choisi les mêmes catégories de renseignements, […] ou (ii) l’auteur a procédé à des choix évidents, courants ou de routine […]
Ainsi, en matière de choix ou d’arrangement de l’information, la créativité réside dans la réalisation de choix non évidents parmi plus qu’un petit nombre d’options […] Toutefois, il ne suffit pas d’exercer un choix entre deux ou trois possibilités ou entre des possibilités qui ont été choisies si souvent qu’il est devenu habituel de les choisir. Protéger ce genre de choix permettrait au titulaire d’un droit d’auteur de monopoliser une expression largement utilisée et de rompre l’équilibre recherché par le droit d’auteur.
En résumé, la créativité d’un choix ou d’un arrangement est donc fonction (i) du nombre total de possibilités envisageables, (ii) de facteurs externes qui limitent la possibilité de certains choix et font perdre aux autres leur caractère créateur, et (iii) des utilisations antérieures qui font de certains choix des choix « courants ». […]
[…]
Le travail d’édition fait par West comporte beaucoup d’efforts et de soins intellectuels et est d’une utilité spéciale pour les juristes. Malheureusement pour elle, toutefois, la créativité dont il est possible de faire preuve dans la création d’un recueil de jurisprudence utile ne peut s’inscrire que dans une marge étroite. Et ce, indubitablement parce que, pour West comme pour tout autre arrêtiste d’opinions judiciaires destinées à la recherche juridique, la fidélité à l’original, qui est du domaine public, constitue la principale valeur éditoriale, de sorte que la créativité est l’ennemie de la vérité.
[134] Je suis convaincu que ce dernier paragraphe convient particulièrement bien à une grande partie de la preuve qui a été produite devant moi.
[135] Il y a lieu de faire une autre mise en garde : dans la décision Matthew Bender dont l’extrait précédent est tiré, le juge renvoie, à au moins trois reprises, à la décision Feist Publications, Inc. v. Rural Telephone Service Co., Inc.[28] alors que, dans l’affaire Hager c. ECW Press Ltd.[29], Mme le juge Reed signale ce qui suit :
Il est intéressant de noter que le Congrès américain est actuellement saisi d’un projet de loi […] visant à infirmer la décision rendue par la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire Feist […], arrêt qui a eu aux États-Unis une incidence similaire à celle de l’arrêt Télé-Direct au Canada. Il existe une controverse entre les auteurs américains et canadiens sur la question de savoir si l’arrêt Feist se limite aux affaires concernant des bases de données ou s’il aura des ramifications plus étendues. [Références omises.]
[136] Dans l’affaire Hager, le juge Reed met aussi en doute les effets de la décision Télé-Direct sur les éléments de créativité et d’originalité. Elle écrit aux pages 310 et 311 :
L’avocat des défendeurs soutient que même si auparavant l’interviewer pouvait protéger les paroles d’un interviewé par le droit d’auteur, comme dans les affaires Express Newspapers et Gould Estate, l’arrêt récent de la Cour d’appel fédérale rendu dans l’affaire Télé-Direct a infirmé ce courant jurisprudentiel. Il a fait valoir, rappelons-le, que la citation de paroles d’autrui ne comporte pas les éléments de créativité et d’originalité maintenant exigés pour que soit accordée la protection du droit d’auteur. De plus, si j’ai bien compris, l’arrêt Télé-Direct aurait fait passer le droit d’auteur canadien, du moins dans la mesure où il est pertinent aux fins actuelles, de son alignement antérieur sur le droit du Royaume-Uni à un alignement sur celui des États-Unis.
Selon moi, l’arrêt Télé-Direct n’a pas une portée aussi large. Tant aux États-Unis qu’au Canada, la jurisprudence définit l’exigence voulant que le droit d’auteur soit accordé à l’égard d’une œuvre « originale » comme signifiant que cette œuvre émane de l’auteur et qu’elle ne constitue pas un plagiat. Aux États-Unis, c’est ce à quoi la jurisprudence avait initialement abouti; l’exigence d’« originalité » n’a été ajoutée à la loi qu’en 1976. Au Canada, l’exigence voulant qu’une œuvre soit « originale » est prévue dans la loi depuis 1924, soit la date d’entrée en vigueur de la Loi de 1921 concernant le droit d’auteur […] édictée en 1921. Cette Loi s’inspirait en grande partie de la Copyright Act, 1911 du Royaume-Uni. Je ne suis pas convaincue que la Cour d’appel fédérale ait voulu s’écarter sensiblement du droit antérieur. À défaut d’une décision contraire expresse de la Cour d’appel, j’estime que les règles de droit énoncées dans les décisions Express Newspapers et Gould Estate sont toujours valables.
Le fait que l’arrêt Télé-Direct traite d’un type d’œuvre entièrement différent de celles qui sont en litige en l’espèce est une raison de plus pour hésiter à y accorder une portée trop large. Cet arrêt traitait d’une compilation de données […] Le juste critère à appliquer lorsqu’un droit d’auteur est revendiqué à l’égard d’œuvres qui consistent en des compilations de données a soulevé certains problèmes. C’est parce que ces œuvres ne sont pas susceptibles de présenter, à première vue, des indices du style personnel ou du mode d’expression de leur auteur. [Références omises.]
[137] J’estime que les types d’œuvres en litige en l’espèce, plus précisément les versions révisées et enrichies des motifs de jugement, ressemblent davantage aux œuvres en litige dans l’affaire Télé-Direct qu’à celles sur lesquelles le juge Reed était appelée à se prononcer dans l’affaire Hager. Cela dit, elles ne ressemblent pas autant aux œuvres en litige dans l’affaire Télé-Direct que celles qui m’ont été soumises dans l’affaire Ital-Press Ltd. c. Sicoli et al.[30], où j’ai adopté une interprétation de l’« originalité » qui se rapproche davantage de celle qu’a privilégiée le juge Reed dans l’affaire Hager . Me fondant entièrement sur la preuve présentée et sur l’étendue et la nature complexe des arguments soulevés dans la présente affaire, tant par écrit qu’oralement, j’adopte, pour les besoins de l’espèce, une interprétation plus large de l’« originalité » que celle que j’ai utilisée dans l’affaire Ital-Press.
[138] Dans ce contexte et compte tenu de l’ensemble de la preuve présentée à la Cour en l’espèce, j’arrive aux conclusions suivantes en ce qui a trait à l’existence d’un droit d’auteur, suivant l’exposé des questions en litige reproduit précédemment. Pour plus de commodité, j’en reprend les éléments pertinents :
[traduction] Outre le droit d’auteur dont la Couronne ou un juge sont titulaires, peut-il exister un droit d’auteur, en totalité ou en partie, sur une des publications suivantes qui comprennent des ajouts apportés aux textes législatifs et aux décisions judiciaires :
a) une décision judiciaire (avec un sommaire, des titres courants et d’autres éléments ajoutés par l’éditeur) qui est publiée dans un volume contenant d’autres décisions judiciaires,
par exemple, la décision Meyer v. Bright (1992), publiée dans 94 D.L.R. (4th) 648;
la décision judiciaire R. v. CIP Inc. (1992), publiée dans 71 C.C.C. (3d) 129;
la décision Hewes v. Etobicoke (1993), publiée dans 93 C.L.L.C. § 14,042;
[139] Dans la mesure où la question porte sur les trois décisions mentionnées, non seulement à titre d’exemples, mais comme objet de la question, ma réponse est « non ». Bien qu’il ressorte manifestement de la preuve soumise à la Cour que la préparation des décisions judiciaires publiées, incluant les sommaires, les mots clés, les références parallèles, les titres courants et d’autres points ajoutés par l’éditeur, en ce qui concerne les trois décisions en question, comporte énormément d’efforts, d’habileté et de jugement, je suis convaincu que l’ensemble du processus, et plus particulièrement les éléments qui demandent de l’habileté et du jugement, sont dépourvus de l’« imagination » ou de l’« étincelle de créativité » que je juge jusqu’à maintenant essentielles à une conclusion d’originalité. J’estime qu’il convient d’évaluer le caractère intellectuel et créateur des décisions judiciaires enrichies en vue d’une publication pour décider si elles donnent naissance à un droit d’auteur, de la même manière qu’il est possible de dire qu’il faut évaluer les compilations de données suivant l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Télé-Direct. L’article 2 de la Convention de Berne, 1971, j’en suis convaincu, vise manifestement la sorte de transformations des œuvres littéraires que représentent les recueils de jurisprudence en litige en l’espèce, mais ceux-ci sont dépourvus de l’« expression originale » et ne parviennent pas à constituer des « créations intellectuelles » envisagées par cet article, et plus particulièrement par l’article 1705 de l’ALÉNA tel qu’il est reproduit dans l’arrêt Télé-Direct [à la page 31]. Pour reprendre, encore une fois non sans une certaine appréhension, les propos tirés de l’affaire Matthew Bender [à la page 688] qui, j’en suis persuadé, s’appliquent tout aussi bien, sous le régime de la loi canadienne, aux faits de la présente affaire :
[traduction] Le travail d’édition fait par West comporte beaucoup d’efforts et de soins intellectuels et est d’une utilité spéciale pour les juristes. Malheureusement pour elle, toutefois, la créativité dont il est possible de faire preuve dans la création d’un recueil de jurisprudence utile ne peut s’inscrire que dans une marge étroite. Et ce, indubitablement parce que, pour West comme pour tout autre arrêtiste d’opinions judiciaires destinées à la recherche juridique, la fidélité à l’original, qui est du domaine public, constitue la principale valeur éditoriale, de sorte que la créativité est l’ennemie de la vérité[31]. [Non souligné dans l’original.]
[140] En l’espèce, qu’il soit ou non possible d’assimiler les motifs de jugement en litige à des opinions destinées à la recherche juridique, la fidélité à l’original, que celui-ci relève ou non du domaine public, constitue la principale valeur éditoriale. Ainsi, la créativité est-elle « l’ennemie de la vérité ».
Outre le droit d’auteur dont la Couronne ou un juge sont titulaires, peut-il exister un droit d’auteur, en totalité ou en partie, sur une des publications suivantes qui comprennent des ajouts apportés aux textes législatifs et aux décisions judiciaires :
[…]
b) un sommaire (avec des mots clés, un exposé de l’affaire et une conclusion) ajouté à une décision judiciaire publiée,
par exemple, le sommaire de la décision judiciaire Meyer v. Bright (1992), publié dans 94 D.L.R. (4th) 648;
le sommaire de la décision judiciaire R. v. CIP Inc. (1992), publié dans 71 C.C.C. (3d) 129;
le sommaire de la décision judiciaire Hewes v. Etobicoke (1993), publié dans 93 C.L.L.C. § 14,402;
[141] Encore là, et sous réserve des restrictions formulées en réponse à la première question, ma conclusion est « non ». J’arrive à cette conclusion pour les mêmes raisons que celles que j’ai données pour justifier ma réponse négative à l’égard des décisions judiciaires publiées dans ces trois mêmes affaires.
Outre le droit d’auteur dont la Couronne ou un juge sont titulaires, peut-il exister un droit d’auteur, en totalité ou en partie, sur une des publications suivantes qui comprennent des ajouts apportés aux textes législatifs et aux décisions judiciaires :
[…]
d) un résumé jurisprudentiel (constitué d’une référence ainsi que d’une présentation succincte d’une décision judiciaire),
par exemple celui de l’affaire Confederation Life v. Shepherd (1992), publié dans 37 A.C.W.S. (3d) 141;
e) un index analytique des décisions,
par exemple l’index analytique de [1997] G.S.T.C.;
[142] Encore une fois, et sous réserve des restrictions formulées en réponse à la première question, ma conclusion est « non ». J’arrive encore à cette conclusion pour les mêmes raisons que celles que j’ai données pour justifier ma réponse négative à l’égard des décisions judiciaires publiées qui sont mentionnées dans la première question en litige.
Outre le droit d’auteur dont la Couronne ou un juge sont titulaires, peut-il exister un droit d’auteur, en totalité ou en partie, sur une des publications suivantes qui comprennent des ajouts apportés aux textes législatifs et aux décisions judiciaires :
[…]
c) un texte législatif annoté (contenant un commentaire, des références et un résumé de la jurisprudence pertinente),
par exemple l’ouvrage intitulé Martin’s Ontario Criminal Practice 1999;
[…]
f) un manuel ou une monographie portant sur des questions juridiques,
par exemple Economic Negligence;
Forensic Evidence in Canada.
[143] J’arrive à la conclusion contraire en ce qui concerne le texte législatif annoté qui contient des commentaires, des références et des résumés de la jurisprudence pertinente qu’est l’ouvrage Martin’s Ontario Criminal Practice 1999, et en ce qui concerne les manuels ou les monographies portant sur des questions juridiques que sont les ouvrages Economic Negligence et Forensic Evidence in Canada. La preuve soumise me convainc que ces publications témoignent du degré d’originalité, de créativité et d’ingéniosité propres à l’existence d’un droit d’auteur.
[144] Je décline toute invitation qui m’a été présentée de faire une généralisation à partir des réponses et des conclusions précédentes.
[145] Même si ces réponses et conclusions décident de bien des questions qui restent dans la mesure où elles se rapportent à plusieurs œuvres en litige, je vais tout de même examiner chacune d’elles dans l’hypothèse où il existerait un droit d’auteur, autre que celui de la Couronne ou d’un juge, sur les œuvres en litige.
2) Propriété du droit d’auteur
[146] Les parties n’ont pas contesté devant moi la règle générale voulant que l’auteur d’une œuvre est le premier titulaire du droit d’auteur et que la cession du droit d’auteur n’est valable que si elle est rédigée par écrit et signée par le titulaire du droit ou son agent dûment autorisé[32]. La Loi sur le droit d’auteur prévoit une seule exception générale : si l’auteur crée l’œuvre dans l’exercice de son emploi, l’employeur est le premier titulaire du droit d’auteur[33]. La preuve produite devant la Cour établit clairement que les auteurs des enrichissements apportés aux décisions judiciaires en litige, autres que les sommaires et les mots clés, sont les employés des demanderesses qui ont « exécuté l’œuvre » dans l’exercice de leur emploi.
[147] D’après le témoignage de Mme Geralyn Christmas, les demanderesses ont obtenu des cessions du droit d’auteur des personnes qui rédigent les sommaires et les mots clés, et les ententes contractuelles que les demanderesses concluent normalement avec les auteurs comprennent la cession du droit d’auteur, à quelques rares exceptions près où l’on s’en tient à des « engagements d’honneur ». En l’espèce, il n’est question d’aucun « engagement d’honneur ». Relativement aux œuvres en litige en l’espèce, plusieurs cessions du droit d’auteur rédigées par écrit et plusieurs confirmations de cessions du droit d’auteur ont été versées en preuve[34] . Les parties ont également déposé auprès du tribunal[35] des copies des certificats d’enregistrement du droit d’auteur qui désignent chacun l’une ou l’autre des demanderesses comme titulaire du droit d’auteur et qui sont ainsi intitulés :
[traduction] « Texte révisé de la décision judiciaire Myer v. Bright publié dans 94 D.L.R. (4th) 648 »; « Sommaire de Myer v. Bright publié dans 94 D.L.R. (4th) 648 »; « Texte révisé de l’arrêt R. v. CIP Inc. publié dans 71 C.C.C. (3d) 129 »; « Sommaire de l’arrêt R. v. CIP Inc. publié dans 71 C.C.C. (3d) 129 »; « Compilation des décisions judiciaires publiées dans le volume 94 des Dominion Law Reports, quatrième édition »; « Système de classification du droit civil »; « Compilation des décisions judiciaires publiées dans le volume 24 des Canadian Labour Law Cases dont la référence est 93 C.L.L.C. »; « Sommaire jurisprudentiel de Confederation Life v. Shepherd publié à 37 A.C.W.S. (3d) 141 »; « Economic Negligence, The Recovery of Pure Economic Loss, (deuxième édition) »; « Chapitre 13 de Forensic Evidence in Canada »; « Martin’s Ontario Criminal Practice 1999 »; et « Index analytique de Canada GST Cases (1997, relié) ».
Il est à noter que tous les enregistrements, à l’exception du certificat pour le « Système de classification du droit civil », ont été obtenus quelques mois avant l’instruction de la présente affaire.
[148] L’article 53 de la Loi sur le droit d’auteur prévoit qu’un certificat d’enregistrement du droit d’auteur constitue une preuve prima facie de l’existence du droit d’auteur et du fait que la personne figurant à l’enregistrement en est le titulaire. Dans l’arrêt Circle Film Enterprises Inc. v. Canadian Broadcasting Corporation[36], le juge Judson écrit aux pages 606 et 607 :
[traduction] Dans une affaire où il existe une preuve qui contredit le certificat [de droit d’auteur], la force probante de celui-ci peut en être affectée, mais en l’absence de toute preuve de cette nature, sa force probante ne saurait être minimisée parce qu’aucune preuve de propriété n’est requise dans la demande d’enregistrement et que le Bureau des droits d’auteur n’assume aucune responsabilité quant à la véracité des faits déclarés dans la demande et ne procède à aucun examen indépendant. Un demandeur qui présente ce certificat a produit un élément de preuve à l’appui de sa cause, et cet élément est suffisant pour inciter le tribunal des faits à agir en sa faveur en l’absence de toute preuve contradictoire.
En ce qui concerne les enregistrements tardifs du droit d’auteur, le juge Strayer écrit dans l’affaire Bishop c. Stevens[37] :
Comme je l’ai déjà souligné, la revendication du droit d’auteur par Bishop est appuyée d’un certificat d’enregistrement du droit d’auteur daté du 19 août 1982, c’est-à-dire bien après les incidents relatifs au pré-enregistrement à Télé-Métropole. Il m’apparaît qu’en vertu du paragraphe 36(2) [l’actuel 53(2)] de la Loi sur le droit d’auteur, ce certificat d’enregistrement est néanmoins une preuve que la personne portée à l’enregistrement est titulaire du droit d’auteur. Il prouve également les détails qui y ont été inscrits […]. La date de l’enregistrement n’est pertinente, il me semble, qu’aux fins de l’application de l’article 22 [l’actuel 39] de la Loi sur le droit d’auteur qui porte que, si au moment de la violation alléguée, le droit d’auteur était dûment enregistré, le défendeur est considéré comme ayant eu un motif raisonnable de soupçonner que le droit d’auteur subsistait sur cette œuvre.
Dans les circonstances de l’espèce, les violations du droit d’auteur qui auraient été commises ont eu lieu avant l’enregistrement. Cela dit, rappelons que, pendant toute la période en cause, le défendeur était conscient de la possibilité que l’exploitation de son service de photocopie porte atteinte au droit d’auteur.
[149] Pour les cas où j’ai conclu qu’il existait un droit d’auteur autre que celui de la Couronne ou d’un juge sur l’œuvre en litige, j’estime que la demanderesse concernée est le titulaire de ce droit. J’arrive à cette conclusion surtout en raison des certificats de droit d’auteur et de la preuve des cessions qui ont été versés devant la Cour. Pour les cas où j’ai conclu qu’il n’existait pas de droit d’auteur autre que celui de la Couronne ou d’un juge, s’il appert que je me suis trompé, alors je conclurais que la demanderesse concernée est le titulaire du droit d’auteur en me fondant sur l’ensemble de la preuve soumise à la Cour et, plus particulièrement, sur le témoignage du professeur Dunlop et de Mme Geralyn Christmas ainsi que sur les pièces constituées de cessions du droit d’auteur, de confirmations de ces cessions et d’enregistrements du droit d’auteur.
3) Violation du droit d’auteur
[150] Pour plus de commodité, je reprends ici le libellé du paragraphe 27(1) [mod. par L.C. 1997, ch. 24, art. 15] et des parties pertinentes du paragraphe 27(2) [mod., idem] de la Loi sur le droit d’auteur :
27. (1) Constitue une violation du droit d’auteur l’accomplissement, sans le consentement du titulaire de ce droit, d’un acte qu’en vertu de la présente loi seul ce titulaire a la faculté d’accomplir.
(2) Constitue une violation du droit d’auteur l’accomplissement de tout acte ci-après en ce qui a trait à l’exemplaire d’une œuvre, […] ou d’une fixation d’un signal de communication alors que la personne qui accomplit l’acte sait ou devrait savoir que la production de l’exemplaire constitue une violation de ce droit […] :
a) la vente ou la location;
b) la mise en circulation de façon à porter préjudice au titulaire du droit d’auteur;
[…]
d) la possession en vue de l’un ou l’autre des actes visés aux alinéas a) à c);
[151] Aux termes du paragraphe 3(1) de la Loi sur le droit d’auteur, le « droit d’auteur » sur l’œuvre comporte le droit exclusif de produire ou de reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque et, dans le cas des œuvres littéraires comme celles qui sont en litige en l’espèce, il comprend le droit exclusif de les communiquer au public, par télécommunication. Ainsi les limites des « droits exclusifs » du titulaire du droit d’auteur sur les œuvres comme celles qui sont en litige en l’espèce sont fixées par ce qui constitue une « violation » de ces droit exclusifs.
[152] À l’exception de l’ouvrage Martin’s Ontario Criminal Practice 1999, il ressort du tableau exposé au paragraphe 50 [omis] des présents motifs que les œuvres en litige, ou des parties de ces œuvres, ont été copiées et mises en circulation. Seuls les manuels Forensic Evidence in Canada et Economic Negligence ont fait l’objet d’une reproduction de moins de 100 % de l’œuvre en litige.
[153] Le tableau inclus au paragraphe 51 [omis] des présents motifs montre que des frais ou des droits ont été perçus pour la reproduction et la remise de l’exemplaire reproduit et que, dans deux cas, cette remise s’est faite par « télécopieur » ou par « télécommunication ».
[154] Ainsi, si l’on met de côté pour le moment la série de moyens de défense soulevés par le défendeur et qu’on présume que les demanderesses sont titulaires du droit d’auteur, les questions à trancher, relativement à la violation, sont celles de savoir si, à l’égard des manuels Forensic Evidence in Canada et Economic Negligence, la reproduction a porté sur une « partie importante » de ceux-ci, si le document reproduit a été « vendu », s’il y a eu une mise en circulation faite de façon à porter préjudice au titulaire du droit d’auteur, si la mise en mémoire de reproductions dans un télécopieur constitue une possession en vue d’une vente ou d’une mise en circulation et si la mise en circulation par télécopieur est une communication de l’œuvre faite au public. Pour les besoins de l’analyse qui suit, je présumerai que les demanderesses sont titulaires du droit d’auteur sur les œuvres en litige et que le défendeur savait ou aurait dû savoir qu’en cas d’existence d’un droit d’auteur, ses actions en constituaient une violation.
[155] La revendication d’un droit d’auteur par les demanderesses sur les décisions Myer v. Bright, R. v. CIP Inc. et Hewes v. Etobicoke et sur les sommaires de celles-ci vise les décisions et les sommaires eux-mêmes et non ces décisions et sommaires en tant que partie des volumes dans lesquels ils ont été publiés ou, encore plus largement, de la collection de recueils dont ces volumes font partie. Dans l’hypothèse posée pour les besoins de la présente analyse, j’estime que la preuve soumise à la Cour démontre indubitablement l’existence d’une reproduction importante. La même conclusion s’applique à la reproduction du résumé jurisprudentiel Confederation Life v. Shepherd et à celle de l’index analytique de [1997] G.S.T.C.
[156] Le tableau reproduit au paragraphe 50 [omis] des présents motifs indique que la partie copiée de Forensic Evidence in Canada représente l’entière monographie de 32 pages contenue dans un manuel de 713 pages, soit 13 pour 100 de tout le manuel. Pour ce qui est du manuel intitulé Economic Negligence qui compte 306 pages, 69 d’entre elles ont été copiées, soit 93 pour 100 d’un chapitre et 21 pour 100 du livre.
[157] Dans l’arrêt British Columbia Jockey Club et al. v. Standen[38], le juge Macdonald cite en l’approuvant l’énoncé suivant du juge Simonds dans l’affaire Graves v. Pocket Publications, Limited[39] :
[traduction] Toutefois, la question de savoir si une partie importante de la compilation faite par le demandeur à grands frais et en se donnant beaucoup de mal a été pillée par les défendeurs pour les besoins de leur propre magazine et a été intégrée dans cet article reste toujours une question de fait.
[158] Dans l’ouvrage Copinger and Skone James on Copyright[40], les auteurs écrivent à la page 175 [paragraphes 8-26 et 8-27] :
[traduction] Il a été statué à plusieurs reprises que, dans ce contexte, « importante » porte beaucoup plus sur la qualité de la partie empruntée que sur sa quantité. La qualité, ou l’importance, de l’emprunt est souvent plus grande que la proportion que celui-ci représente par rapport à l’ensemble de l’œuvre. Ainsi, si l’appropriation est telle que la valeur de l’original s’en trouve sensiblement diminuée ou si un autre s’approprie les efforts de l’auteur original de manière importante, et dans une mesure préjudiciable, cela suffit pour constituer, en droit, un piratage pro tanto.
En se prononçant sur des questions de ce genre, il faut tenir compte de la nature et des objets du choix qui a été fait, de la quantité et de la valeur des éléments utilisés et du degré dans lequel l’utilisation peut nuire à la vente, ou diminuer les profits, directs ou indirects, ou primer sur les objets de l’œuvre originale. Il est possible qu’il y ait lieu d’examiner si le défendeur avait un animus furandi, c’est-à-dire une intention de s’emparer de cette œuvre afin de s’éviter des efforts. Un mélange de beaucoup d’ingrédients est pris en considération dans l’examen de telles questions. Bref, le caractère important de l’appropriation est une question de degré dans chaque cas et sera examiné en tenant compte de toutes les circonstances. En règle générale, il n’est guère utile d’invoquer des décisions particulières quant à la quantité appropriée. [Références omises.]
[159] Le juge Richard, tel était alors son titre, va dans le même sens quand il écrit dans l’affaire U & R Tax Services Ltd. c. H& R Block Canada Inc.[41] :
En l’espèce, la défenderesse a admis avoir copié une partie du formulaire d’U&R. Il s’agit donc maintenant d’examiner si la partie qui a été copiée était « importante » au sens que les tribunaux donnent à ce terme : [traduction] « ce qui constitue « une partie importante » est une question de fait et, à cet égard, les tribunaux ont accordé plus d’importance à la qualité des parties plagiées qu’à leur quantité ». (Hugues G. Richard, « Concept of Infringement in the Copyright Act », dans G. F. Henderson, dir., Copyright and Confidential Information Law of Canada (Toronto : Carswell, 1994) 201, à la p. 208.) Dans la jurisprudence antérieure, les tribunaux ont retenu, entre autres, les facteurs suivants :
a) la qualité et la quantité des parties plagiées;
b) la gravité de l’atteinte que l’utilisation du défendeur a portée aux activités du demandeur et la mesure dans laquelle la valeur du droit d’auteur s’en trouve diminuée;
c) la question de savoir si le document plagié est protégé à bon droit par un droit d’auteur;
d) la question de savoir si le défendeur s’est intentionnellement emparé de l’œuvre du demandeur pour épargner du temps et des efforts;
e) la question de savoir si le défendeur utilise le document plagié d’une façon identique ou similaire au demandeur.
[160] Compte tenu de ces précédents et de la preuve soumise à la Cour, je suis convaincu que la reproduction qui a été faite des manuels intitulés Forensic Evidence in Canada et Economic Negligence était « importante ».
[161] Le témoignage d’expert de M. Stephen Cole est le seul que la Cour a obtenu à propos de la rentabilité du service de photocopie. Sa brève conclusion est la suivante :
[traduction] Le service de photocopie que fournit la Grande bibliothèque a été déficitaire chaque année de 1993 à 1997 (exercices se terminant le 31 décembre). Les pertes ont été calculées sans exagération […]
Malgré l’excellent contre-interrogatoire de M. Cole mené pour le compte des demanderesses, je reste convaincu que les copies des œuvres en litige qui ont été faites dans le cadre du service de photocopie n’ont pas été « vendues ».
[162] Rappelons que, dans l’examen de « l’importance de l’appropriation », le juge Richard de cette Cour, dont c’était alors son titre, incluait le facteur de la gravité de l’atteinte subie par le titulaire du droit d’auteur en raison de la reproduction en question. Considérant ce facteur comme un facteur distinct, j’estime que, d’après la preuve, la reproduction des œuvres en litige dans le cadre du service de photocopie et la remise des photocopies aux personnes qui les avaient demandées constituent une mise en circulation faite « de façon à porter préjudice au titulaire du droit d’auteur » au sens de l’alinéa 27(2)b) de la Loi sur le droit d’auteur.
[163] Par ailleurs, j’estime que la mise en mémoire dans un télécopieur en vue d’une mise en circulation ultérieure, par transmission par télécopieur ou autrement, constitue une possession en vue d’une vente ou d’une mise en circulation. Certains éléments de preuve présentés à la Cour indiquent qu’une telle mise en mémoire a eu lieu dans l’exploitation du service de photocopie relativement à certaines des œuvres en litige. Ce point n’a pas fait l’objet d’un débat approfondi.
[164] Je répète que le droit d’auteur sur une œuvre littéraire comprend le droit exclusif de communiquer l’œuvre au public par télécommunication. Il n’est pas contesté en l’espèce qu’une transmission de copies par télécopieur constitue une communication d’une œuvre littéraire par télécommunication. Le point litigieux consiste à savoir si cette communication a été faite « au public » au sens de l’alinéa 3(1)f) de la Loi sur le droit d’auteur.
[165] Dans l’arrêt Réseau de Télévision CTV Ltée c. Canada (Commission du droit d’auteur)[42], le juge Létourneau, J.C.A. convient, au nom de la Cour [à la page 131], que l’expression « au public » à l’alinéa 3(1)f) de la Loi sur le droit d’auteur « est plus large qu’“en public” ».
[166] Dans la décision Telstra Corporation Ltd. v. Australasian Performing Right Association Ltd.[43], les juges Dawson et Gaudron écrivent à la page 657 dans le contexte du droit d’auteur :
[traduction] Au contraire, l’expression « au public » véhicule un concept plus large que l’expression « en public », puisqu’elle indique clairement que l’endroit où la communication en question se produit est sans importance. Ce qui revient à dire qu’une communication peut être faite à des membres du public en particulier dans un endroit privé ou chez quelqu’un et constituer tout de même une communication faite au public.
[167] D’après les faits dans ces deux affaires, la personne qui transmettait la télécommunication pouvait raisonnablement avoir voulu que cette communication soit reçue par de multiples personnes à différents endroits. Ces affaires visaient des télécommunications adressées à un public relativement étendu, même s’il ne s’agissait pas du public en général. Les télécommunications en question pouvaient être décrites comme partant d’un seul point, pour, comme dans le cas de la télévision payante par exemple, être reçues ou pouvoir être reçues à de multiples endroits. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Dans la présente affaire, les télécommunications, par télécopieur, provenaient d’un seul point et étaient destinées à n’atteindre qu’un seul point. On pourrait même aller jusqu’à dire, si j’ai bien compris cette technologie, que chacune d’elles ne pouvait être reçue qu’à un seul point, à moins d’une défaillance ou de quelque autre forme d’interception imprévue. Je suis convaincu que les télécommunications en question en l’espèce n’étaient pas des télécommunications faites « au public ».
4) Moyens de défense
i) Intérêt public prépondérant et ordre public
[168] Bien qu’historiquement et dans la pratique courante, le rôle du défendeur dans l’administration de la justice, la nature de sa Grande bibliothèque et sa contribution à l’administration de la justice soient indubitablement uniques, du moins en Ontario, je ne suis pas convaincu que ce rôle du défendeur, et encore moins de sa Grande bibliothèque, lui permette d’avoir préséance sur quelque droit d’auteur que les demanderesses ont ou seraient susceptibles d’avoir sur les œuvres en litige. Autrement dit, je ne suis pas convaincu que l’intérêt public dans la bonne administration de la justice, le maintien de la primauté du droit et la promotion des valeurs constitutionnelles fondamentales garanties par un accès à la loi relativement égal et libre serait gravement compromis par la reconnaissance et le respect de tout droit d’auteur dont les demanderesses sont susceptibles de jouir sur les œuvres en litige. En outre, j’estime que conclure que les demanderesses sont titulaires d’un droit d’auteur sur les motifs de jugement qu’elles publient, plus particulièrement ceux qui constituent les œuvres en litige en l’espèce, ne reviendrait pas à leur accorder un droit d’auteur exclusif sur ces motifs du simple fait des enrichissements apportées à ces motifs par des ajouts comme des sommaires, des mots clés et d’autres éléments du même genre ou encore d’autres modifications qu’elles apportent. La reconnaissance des droits des demanderesses en matière de droit d’auteur n’aurait pas pour effet de remplacer ou d’écarter en quelque sorte tout droit d’auteur sur les motifs de jugement originaux et sur d’autres versions enrichies de ces motifs de jugement.
[169] En résumé, je souscris à une conclusion déjà citée du mémoire présenté en réplique par les demanderesses, que je répète ici pour plus de commodité :
[traduction] Essentiellement, les présentes actions ne mettent pas en cause l’accès à la loi. La preuve démontre que les membres du défendeur et les autres personnes ont facilement accès à des recueils de jurisprudence et à d’autres publications juridiques par le biais de nombreuses sources autres que le défendeur. Celles-ci incluent des services de fourniture de documents qui sont autorisés par licence à reproduire les décisions judiciaires publiées et des extraits d’autres documents juridiques publiés par les demanderesses.
Essentiellement, les présentes actions concernent le paiement d’une redevance.
[170] Si l’on présume que les demanderesses sont titulaires d’un droit d’auteur sur les œuvres en litige en l’espèce, aucune preuve devant la Cour n’établit, premièrement, que le défendeur ne pourrait raisonnablement obtenir des demanderesses des licences pour exploiter son service de photocopie et, deuxièmement, que les droits afférents à ces licences seraient si prohibitifs qu’ils nuiraient à l’intérêt public ou qu’ils seraient contraires à l’ordre public. En réalité, il existe un mécanisme qui vise à faire en sorte que les droits de licence soient justes et raisonnables.
ii) Absence de qualité pour agir
[171] Comme je l’ai indiqué précédemment, le défendeur prétend que les demanderesses n’ont pas la qualité pour intenter les présentes actions. Selon lui, elles ne possèdent pas de droit d’auteur sur les œuvres en litige, soit parce qu’elles n’en sont pas les auteurs, soit parce qu’elles n’ont pas réussi à établir de manière satisfaisante qu’elles avaient obtenu des cessions des auteurs. De plus, n’étant pas les titulaires, elles ont omis de constituer parties à la présente instance les titulaires légaux du droit d’auteur sur les œuvres en litige[44].
[172] J’ai fait précédemment des observations sur l’existence du droit d’auteur et sur sa propriété. Très brièvement, je dirais que, si les demanderesses étaient les titulaires du droit d’auteur sur toutes les œuvres en litige, elles en seraient les titulaires dans la mesure où le droit d’auteur découlerait du travail de leurs employés. Et dans les cas où le droit d’auteur ne découlerait pas de ce travail, elles en seraient les titulaires grâce aux cessions du droit d’auteur versées en preuve, même s’il n’est pas certain que toutes ces cessions résisteraient à une analyse minutieuse, analyse dont elles n’ont pas fait l’objet dans le débat qui s’est déroulé devant moi.
c) Utilisation équitable
[173] Pour plus de commodité, je reproduis les dispositions pertinentes de la Loi sur le droit d’auteur qui étaient en vigueur à l’époque de l’audience [article 29 (mod. par L.C. 1997, ch. 24, art. 18) et article 29.1 (édicté, idem)] :
29. L’utilisation équitable d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur aux fins d’étude privée ou de recherche ne constitue pas une violation du droit d’auteur.
29.1 L’utilisation équitable d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur aux fins de critique ou de compte rendu ne constitue pas une violation du droit d’auteur à la condition que soient mentionnés :
a) d’une part, la source;
b) d’autre part, si ces renseignements figurent dans la source :
(i) dans le cas d’une œuvre, le nom de l’auteur,
Je ferai quelques brèves observations plus loin au sujet de l’exception relative aux bibliothèques, qui n’était pas en vigueur à l’époque de l’audience, mais qui est entrée en vigueur par proclamation le 1er septembre 1999[45] [articles 30.1 à 30.3, édictés par L.C. 1997, ch. 24, art. 18].
[174] Les copies qu’a faites le défendeur dans le cadre de son service de photocopie répondaient à des demandes formulées, directement ou indirectement, par ses membres; il ne les a pas faites pour les utiliser lui-même à des fins de recherche, d’étude privée, de critique ou de compte rendu. Avant 1996, il ne s’était jamais informé de la fin à laquelle les demandeurs destinaient les photocopies et n’avait jamais tenu de relevé à ce sujet. Depuis 1996, les demandeurs doivent préciser à quelles fins ils destinent les photocopies parmi une liste d’utilisations possibles, qui relèvent toutes du champ de « l’utilisation équitable ». Aucun autre usage, qui excéderait le champ de « l’utilisation équitable », n’est précisé et un demandeur n’a aucune possibilité particulière d’indiquer une fin qui ne s’inscrit pas dans ces limites.
[175] La Cour suprême du Canada, rappelons-le, a posé de manière indubitable qu’il n’est pas nécessaire de démontrer la connaissance ou la mens rea pour établir la violation directe du droit d’auteur : si les actions du défendeur ne relèvent pas en elles-mêmes de l’utilisation équitable ou si les actions des demandeurs de copies du service de photocopie ne relèvent pas véritablement du champ de l’utilisation équitable, alors l’absence de connaissance de la part du défendeur quant à l’usage ultime n’est pas un moyen de défense en soi[46]. Dans l’affaire Sillitoe and Others c. McGraw-Hill Book Co. (U.K.) Ltd.[47], le juge Mervyn Davies écrit :
[traduction] C’est aux défendeurs qu’il incombe de démontrer qu’il y a lieu d’appliquer une exception. M. Jeffs prétend que le paragraphe 6(1) est rédigé en termes larges et qu’il n’est pas limité à l’étudiant actuel, de sorte que, si une utilisation est équitable et destinée à des fins d’étude privée, le paragraphe s’applique que l’étude privée en question soit pour la personne même ou pour quelqu’un d’autre. En l’espèce, affirme-t-il, l’utilisation était faite à une fin d’étude privée par les étudiants interrogés qui se porteraient acquéreurs des notes. Je ne saurais accepter cet argument. Selon moi, le paragraphe 6(1) autorise ce qui, autrement, constituerait une violation dans le cas où une personne participe à une étude privée ou à une recherche. Les auteurs des notes, lorsqu’ils les ont écrites et donc lorsqu’ils utilisaient l’œuvre originale, ne participaient pas à une étude privée ou à une recherche.
J’estime que ces propos peuvent s’appliquer aux faits de la présente affaire. La reproduction faite par le défendeur, dans le cadre de son service de photocopie, n’était pas destinée à une fin qui s’inscrit dans le champ de l’utilisation équitable, même si l’usage ultime qu’en a fait le demandeur aurait pu s’inscrire dans ce champ. La conclusion tirée dans l’affaire Sillitoe, précitée, a été suivie tant en Australie qu’en Nouvelle-Zélande[48]. J’estime que l’exception de l’utilisation équitable doit être interprétée restrictivement.
[176] L’avocat du défendeur soutient que la décision Sillitoe se distingue par ses faits et que ni cette décision ni les décisions suivant son raisonnement qui ont été rendues en Australie et en Nouvelle-Zélande n’ont été, et ne devraient être, appliquées au Canada puisqu’elles sont contraires au sens évident des dispositions sur l’utilisation équitable que contient la Loi sur le droit d’auteur. J’estime néanmoins que ces décisions sont pertinentes en l’espèce, même si je conviens que les faits n’y sont pas identiques. J’estime que ma conclusion à cet égard est compatible avec les dispositions d’exception touchant les bibliothèques que le Parlement a adoptées récemment en matière d’utilisation équitable et qui sont maintenant en vigueur.
[177] Les dispositions de la Loi sur le droit d’auteur qui prévoient l’exception applicable aux bibliothèques figurent à l’annexe « B » [omise] des présents motifs. Elles doivent être interprétées en tenant compte de la définition de « bibliothèque, musée ou service d’archives » [édictée par L.C. 1997, ch. 24, art. 1] qu’on trouve à l’article 2 de la Loi et qui figure à l’annexe « A » [omise]. La question de savoir si ces dispositions constituent ou non un moyen de défense complet pour les activités du service de photocopie qui sont en litige en l’espèce n’a pas été débattue devant moi, bien qu’il y ait été fait allusion, et ce n’est pas à moi qu’il revient de la trancher. Qu’il me suffise de dire que l’exception relative aux bibliothèques atteste que les services de photocopie exploités par les bibliothèques comme la Grande bibliothèque du défendeur à Osgoode Hall constituent une préoccupation d’ordre public ayant nécessité une attention spéciale du Parlement. Les propositions législatives ont donné lieu à un large débat public. Des éditeurs juridiques comme les demanderesses et des organismes comme le défendeur ont présenté des observations aux comités parlementaires et, sans aucun doute, à d’autres personnes. Les dispositions législatives qui en résultent auraient pu servir à l’examen des questions dont la Cour est saisie. Si ces dispositions n’ont pas été invoquées, alors ce choix a été fait en pleine connaissance des questions en litige. Je me contenterai d’ajouter que la nature du problème de l’exception relative aux bibliothèques, la nature de la réponse que le Parlement lui a donnée et l’ampleur du débat public suscité par ces modifications me font pencher en faveur d’une interprétation de l’exception de l’« utilisation équitable » en vigueur à l’époque où la présente affaire a été plaidée qui ne couvre pas les activités du service de photocopie de la Grande bibliothèque en litige en l’espèce.
[178] Je reviendrai sur l’exception relative aux bibliothèques, quoique brièvement, dans le contexte de mon analyse de la déclaration demandée par le défendeur relativement à l’exploitation de photocopieuses individuelles à la Grande bibliothèque. À l’évidence, l’article 30.3 des « modifications relatives aux bibliothèques » est lié à cette question.
iv) Fin de non-recevoir, retard indu, acquiescement, etc.,
[179] Encore une fois, si l’on suppose qu’il existe un droit d’auteur sur les œuvres en litige, que les demanderesses en sont les titulaires et que le défendeur y a porté atteinte, hypothèses qui ne sont aucunement admises, le défendeur prétend que la Cour ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur des demanderesses et ce, pour une série de raisons liées surtout au retard, tant à intenter les présentes actions qu’à les poursuivre. Il n’est pas contesté que la Cour jouit du pouvoir discrétionnaire d’accorder ou de refuser une injonction permanente. Il n’est pas non plus sérieusement mis en doute que, selon ce qu’elles affirment, les demanderesses ont engagées les présentes actions à l’époque où la technologie en matière de photocopie avait évolué à un point où il était possible, tant techniquement qu’économiquement, de faire un grand nombre de photocopies de haute qualité, de sorte que l’effet du service de photocopie sur l’entreprise des demanderesses était devenu une menace économique potentielle pour celles-ci, justifiant toutes les implications que l’introduction des présentes actions représentait pour les demanderesses.
[180] Dans la mesure où j’ai conclu que les demanderesses ou l’une d’elles sont la ou les titulaires du droit d’auteur qui existe sur les œuvres en litige et que le défendeur a porté atteinte à ce droit, je suis d’avis que l’ensemble de la preuve soumise à la Cour ne fournit aucun fondement en equity permettant de conclure à l’inopportunité d’accorder une injonction permanente. De même, et dans la même mesure, j’estime que rien n’établit qu’il existait une ou plusieurs licences implicites, qui auraient justifié les actions du défendeur dans l’exploitation de son service de photocopie. Toutefois, cela ne signifie pas pour autant, selon moi, qu’il faille accorder une injonction permanente aux demanderesses. J’apporterai ultérieurement d’autres précisions sur ce point.
[181] J’ajoute que, s’il est conclu qu’il existe un droit d’auteur en faveur des demanderesses sur une série plus vaste d’œuvres en litige et que le défendeur y a porté atteinte en exploitant son service de photocopie, je conclurais tout de même qu’aucun obstacle, fondé sur l’equity ou découlant de l’existence d’une licence implicite, n’empêche d’accorder une injonction permanente aux demanderesses.
5) Charte canadienne des droits et libertés
[182] Comme il a été mentionné précédemment, l’avocat du défendeur fait valoir que, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de décider quelle réparation il convient d’accorder dans les présentes actions, la Cour est tenue d’appliquer les valeurs et principes reconnus dans la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. Il ajoute que [traduction] « la valeur constitutionnelle transcendante au cœur [des présentes affaires] est l’accès à la justice ». Selon lui, l’accès à la justice est circonscrit et sous-tendu par la primauté du droit, ainsi que par l’alinéa 2b) et les articles 7 et 15 de la Charte, de la même manière que les droits et libertés énoncés dans cet alinéa et ces articles dépendent à leur tour de l’accès à la justice.
[183] J’estime que la réponse à la prétention du défendeur à cet égard, quoique ce point n’ait pas été longuement débattu devant moi, est fonction de la qualité ou plutôt de l’absence de qualité du défendeur pour soulever des arguments fondés sur la Charte. Dans l’arrêt Hy and Zel’s Inc. c. Ontario (Procureur général); Paul Magder Furs Ltd. c. Ontario (Procureur général)[49], le juge Major, au nom des juges majoritaires, écrit à la page 688 :
Il est plus difficile dans une action civile que dans des poursuites criminelles d’établir la capacité d’une partie d’attaquer la constitutionnalité d’une loi pour des motifs fondés sur la Charte. Il incombe aux appelants d’établir qu’ils ont qualité pour soulever des questions relatives à la Charte.
J’estime que cet énoncé vaut également dans le cas où l’attaque ne porte pas sur la validité constitutionnelle d’une loi pour des motifs fondés sur la Charte, mais plutôt sur la question de savoir s’il convient qu’une loi donne ouverture à un recours comme l’injonction permanente pour protéger les droits qu’elle confère.
[184] Le juge Major poursuit ainsi à la page 690 :
Compte tenu de ces arrêts antérieurs de notre Cour, pour que les tribunaux puissent exercer leur pouvoir discrétionnaire de reconnaître la qualité pour agir dans une affaire civile où, comme en l’espèce, la partie prétend qu’il y a eu non pas violation de ses propres droits en vertu de la Charte, mais violation des droits d’autrui, (1) il doit se poser une question sérieuse quant à la validité de la Loi, (2) les appelants doivent être directement touchés par la Loi ou avoir un intérêt véritable dans sa validité, et (3) il ne doit y avoir aucune autre manière raisonnable et efficace de soumettre aux tribunaux la question de la validité de la Loi.
[185] Mme le juge L’Heureux-Dubé, rédigeant des motifs dissidents en son nom et en celui de Mme le juge McLachlin, écrit aux pages 706 et 707 :
Dans l’arrêt Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), […], notre Cour a récemment appliqué, dans le contexte d’une tentative de contester une mesure législative en invoquant la Charte, le test relatif à la qualité pour agir dans les affaires soulevant des questions d’intérêt public, qui s’est cristallisé dans l’arrêt Borowski. Le juge Cory, s’exprimant au nom de la Cour, a expliqué les diverses considérations qui influent sur la décision de reconnaître ou non la qualité pour agir. En premier lieu, la mesure législative ne devrait pas être à l’abri des contestations. En deuxième lieu, la qualité pour agir dans l’intérêt public n’est pas nécessaire lorsque, selon la prépondérance des probabilités, on peut démontrer qu’un particulier contestera la mesure. En dernier lieu, à la suite de l’insertion de la Charte dans la Constitution, la reconnaissance de la qualité pour agir demeure discrétionnaire, mais ce pouvoir discrétionnaire devrait être exercé d’une façon libérale et généreuse. Dans cette affaire, la qualité pour agir n’a pas été reconnue parce qu’il existait un autre moyen plus efficace d’aborder la question en litige. [Référence omise.]
[186] Comme il ressort des citations précédentes, les juges de la majorité et ceux de la minorité, dans l’arrêt Hy and Zel’s, partageaient sensiblement la même opinion sur la question de la qualité pour agir, même si, dans les circonstances de cette affaire, la question en litige était la qualité pour contester la constitutionnalité d’une loi. En l’espèce, l’attaque est d’une nature moins tangible. L’avocat du défendeur n’entend pas attaquer la Loi sur le droit d’auteur ou l’une de ses dispositions. Au contraire, d’après ce que j’ai cru comprendre de ses arguments, il cherche à invoquer la Charte, ou ses principes, pour convaincre la présente Cour de ne pas accorder une réparation de la nature d’une injonction permanente contre les activités du défendeur dans l’exploitation de son service de photocopie.
[187] Comme le fait remarquer le juge L’Heureux-Dubé dans les dernières lignes de l’extrait de l’arrêt Hy and Zel’s, la reconnaissance de la qualité pour présenter un argument fondé sur la Charte « demeure discrétionnaire ». Elle nuance aussi ce pouvoir discrétionnaire en indiquant qu’il devrait être exercé « d’une façon libérale et généreuse ». Elle fait remarquer que, dans l’arrêt Conseil canadien des Églises [Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236], la qualité pour agir n’a pas été reconnue parce qu’il existait un autre moyen plus efficace d’aborder la question en litige.
[188] Je suis convaincu qu’il existe un autre moyen plus efficace d’aborder les questions fondées sur la Charte que soulève le défendeur, plus précisément dans le contexte d’une instance dans laquelle une partie à un litige allègue la violation des droits et libertés que lui garantit la Charte pour les motifs :
— que la différence d’accès aux ressources de bibliothèque mises à la disposition des avocats partout en Ontario la prive d’une représentation efficace; et
— que son avocat est incapable de combler cette différence d’accès aux ressources juridiques au moyen du service de photocopie du défendeur ou d’un service équivalent d’un autre fournisseur de services.
En outre, compte tenu de la conclusion que je me propose d’adopter en ce qui concerne le prononcé d’une injonction permanente en faveur des demanderesses pour des motifs entièrement différents, je suis convaincu que ce ne serait pas faire une utilisation valable et efficace des ressources judiciaires que d’entendre les prétentions du défendeur relatives à la Charte dans le contexte de la présente affaire où, en particulier, l’exception applicable aux bibliothèques ajoutée à la Loi sur le droit d’auteur par le Parlement ne m’a pas été soumise.
6) Photocopieuses individuelles
[189] Rappelons que le défendeur demande une déclaration suivant laquelle le libre-service de photocopie de la Grande bibliothèque, facilité par la présence de photocopieuses individuelles fonctionnant à l’aide de pièces de monnaie ou d’une carte pré-payée, n’engage pas la responsabilité du défendeur pour violation des droits d’auteur des demanderesses, si tant est qu’ils existent, dans le cas où une personne qui y a recours commet une violation du droit d’auteur d’une demanderesse sans l’autorisation du défendeur. Autrement dit, le défendeur prétend que le simple fait de mettre des photocopieuses à la disposition des usagers—service de la bibliothèque sans contredit le plus utilisé d’après lui », à des fins légitimes, n’engage pas sa responsabilité parce qu’il n’« autorise » pas une violation que l’usager décide de commettre. L’avocat fait valoir qu’il existe une série d’utilisations « légitimes » du libre-service de photocopies, notamment la photocopie de documents du domaine public et les utilisations qui constituent une « utilisation équitable ». Il ressort de la preuve soumise à la Cour que, à proximité des photocopieuses en question, il y a un avis, cité précédemment mais que je répète pour plus de commodité, à l’effet suivant :
[traduction] La législation sur le droit d’auteur au Canada s’applique aux photocopies et autres reproductions qui sont faites de documents protégés. Certaines reproductions peuvent constituer une violation du droit d’auteur. La bibliothèque n’assume aucune responsabilité en cas de violations susceptibles d’être commises par les utilisateurs des photocopieuses.
[190] L’avocat des demanderesses fait remarquer que, d’après la preuve soumise à la Cour, le défendeur n’assure aucune surveillance de l’utilisation faite de ses photocopieuses individuelles et est donc incapable de protéger les titulaires de droit d’auteur contre une violation de leurs droits dans un cas où il est possible de prétendre que celle-ci est « facilitée » par la mise à la disposition des usagers de la capacité de faire des photocopies, dans les locaux du défendeur et à proximité d’œuvres protégées par le droit d’auteur et d’œuvres sur lesquelles un droit d’auteur, comme en l’espèce, pourrait raisonnablement être revendiqué, qu’il existe ou non.
[191] Encore une fois, pour reprendre des remarques faites précédemment dans les présents motifs, la demande de déclaration du défendeur soulève des questions qui sont largement couvertes par l’exception touchant les bibliothèques que le Parlement a insérée dans la Loi sur le droit d’auteur et qui est récemment entrée en vigueur. En outre, la preuve soumise quant à l’utilisation réelle des photocopieuses individuelles de la Grande bibliothèque est remarquablement limitée comparée à celle qui a été soumise à la Cour relativement au service de photocopie du défendeur.
[192] Compte tenu des considérations qui précèdent, et plus particulièrement de celles qui portent sur l’exception relative aux bibliothèques récemment adoptée et qui a été examinée plus en détail dans le contexte du moyen de défense de l’« utilisation équitable », et compte tenu des conclusions que j’ai déjà tirées, je refuse de me pencher davantage sur cette question.
* * *
Note de l’arrêtiste (remplace les paragraphes 193 à 209)
Sous la rubrique « Réparations sollicitées », le juge Gibson déclare qu’il existe un droit d’auteur seulement sur les œuvres suivantes : Martin’s Ontario Criminal Practice 1999, le manuel intitulé Economic Negligence et le chapitre 13, intitulé « Dental Evidence », du manuel Forensic Evidence in Canada, et en la distribuant. La Cour prononce un jugement déclarant que le défendeur a violé le droit d’auteur en faisant une photocopie d’une partie importante du manuel intitulé Economic Negligence et du chapitre intitulé « Dental Evidence » du manuel Forensic Evidence in Canada. Comme elle rejette la plus grande partie de la demande des demanderesses, la Cour refuse de prononcer une injonction contre le service de photocopie du défendeur.
La demande reconventionnelle du défendeur, par laquelle ce dernier cherche à obtenir un jugement très général qui reconnaîtrait que sa conduite respecte la loi, qui condamnerait la conduite des demanderesses et qui empêcherait celles-ci de jamais revendiquer de nouveau un monopole dans un droit d’auteur, est rejetée comme étant un exemple typique de mesure excessive.
Sous la rubrique « Postface » le juge Gibson mentionne un article paru dans The Lawyers Weekly au sujet de la récente affaire dans laquelle, la maison d’édition Wilson & Lafleur Ltée, a perdu son pari d’obtenir des copies des décisions judiciaires de SOQUIJ. Le juge indique que cette affaire ne s’applique pas au litige dont il est saisi, mais qu’elle valait la peine d’être signalée en raison de son importance dans le domaine du droit d’auteur en matière de décisions judiciaires.
La Cour prononcera un jugement supplémentaire sur les dépens après réception des observations écrites.
* Note de l’arrêtiste : Cette décision a été portée en appel devant la Cour d’appel fédérale.
[1] [1980] 1 R.C.S. 357.
[2] [1990] 2 R.C.S. 467, aux p. 478 et 479.
[3] [1987] 1 C.F. 173 (1re inst.), à la p. 200; conf. par [1988] 1 C.F. 673 (C.A.); conf. par [Apple Computer, Inc. c. Mackintosh Computers Ltd. : Appel Computer, Inc. c. 115778 Canada Inc.], [1990] 2 R.C.S. 209.
[4] Voir l’arrêt Télé-Direct (Publications) Inc. c. American Business Information, Inc., [1998] 2 C.F. 22(C.A.), à la p. 38.
[5] Voir l’art. 3(1) [mod. par L.C. 1993, ch. 44, art. 55; 1997, ch. 24, art. 3] de la Loi sur le droit d’auteur, annexe « A » [omise] des présents motifs.
[6] Supra, note 1.
[7] Supra, note 4.
[8] Voir les définitions de « toute œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale » [mod. par L.C. 1993, ch. 44, art. 53], d’« œuvre littéraire » [mod., idem] et d’« œuvre » aux art. 2 et 5(1) de la Loi sur le droit d’auteur, à l’annexe « A » [omise] des présents motifs.
[9] Supra, note 3.
[10] La Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques (Acte de Paris du 2 juillet 1971 modifiée le 28 septembre 1979) (avec annexe), [1998] R.T. Can. no 18 (adhésion du Canada le 28 mars 1998, en vigueur pour le Canada le 26 juin 1998), (ci-après appelée la Convention de Berne, 1971).
[11] University of London Press v. University Tutorial Press, [1916] 2 Ch. 601, à la p. 608, le juge Peterson.
[12] Voir Copinger, Walter Arthur. The Law of Copyright in Works of Literature, Art, Architecture, Photography, Music and the Drama : including Chapters on Mechanical, Contrivances and Cinematographs, 5e éd., 1915, qui contient le passage suivant à la page 158 :
[traduction] Pour constituer un bon abrégé, l’arrangement du livre abrégé doit être préservé et les idées doivent être reprises et exprimées dans une formulation qui ne copie pas mais qui condense. Copier certains passages et en omettre d’autres de manière à réduire le volume brut n’est pas la sorte d’abrégé que la Cour reconnaît comme suffisamment original pour en protéger l’auteur.
Lord Atkinson a cité cet extrait en l’approuvant dans l’affaire Macmillan and Co., Limited v. Cooper (1923), 40 T.L.R. 186 (C.P.), à la p. 187.
[13] Dans l’affaire Prism Hospital Software Inc. v. Hospital Medical Records Institute, [1994] 10 W.W.R. 305 (C.S.C.B.), le juge Parrett écrit à la page 439 :
[traduction] […] M. Trueit a examiné la liste de plus de 10 000 codes et a retranché plus de la moitié des descriptions littérales afin de les adapter au champ de 59 caractères qui leur était réservé. L’élément d’originalité découle de la troncation réalisée tout en laissant à la partie qui reste un caractère suffisamment distinctif pour être identifiable. Au cours de son travail de révision de plus de 5 000 codes tronqués par Prism, HMRI en a modifiés approximativement 200 avant que Prism les intègre à son logiciel.
À mon avis, la liste résultante de codes ICD-9 tronqués utilisés par Prism grâce au processus créateur décrit ci-dessus possède l’« originalité » nécessaire justifiant une extension de la protection du droit d’auteur. En aucun cas cela ne donne à Prism le droit de contrôler l’utilisation des codes ICD-9 en général, mais cela protège les codes tronqués qu’elle a produits au moyen du processus décrit afin d’être utilisés dans son logiciel.
De plus, dans l’ouvrage intitulé Abridgements and Abstracts : Copyright Implications, [1995] 5 E.I.P.R. 225, le professeur David Vaver écrit à la p. 233 :
[traduction] Les résumés plus courts comme les sommaires qu’un arrêtiste ajoute à une décision judiciaire sont aussi, en règle général, le résultat d’assez de temps et d’habileté pour constituer, chacun, une œuvre littéraire. [Références omises.]
[14] Gould Estate v. Stoddart Publishing Co. (1998), 39 O.R. (3d) 545 (C.A.), aux p. 550 et 551, le juge Finlayson, J.C.A.
[15] Blacklock (H.) & Co. v. Pearson (C. Arthur), Ld., [1915] 2 Ch. 376, aux p. 381 et 384, le juge Joyce.
[16] Pasickniak v. Dojacek, [1928] 2 D.L.R. 545 (C.A. Man.), à la p. 550, le juge Fullerton; J.C.A., et l’art. 2(3) de la Convention de Berne, 1971, supra, note 10.
[17] Dans Copinger and Skone James on Copyright, 14e éd. (Londres : Sweet & Maxwell, 1999), au par. 3-100, les auteurs précisent [aux p. 115 et 116] :
[traduction] En ce qui concerne les nouvelles éditions d’œuvres existantes, il importe de se demander si le rédacteur a fait preuve d’un effort d’originalité quelconque. Un tel effort peut se traduire par des ajouts ou des transformations apportés au texte qui, s’ils ne sont pas simplement négligeables, mais assez appréciables pour rendre original l’ensemble de l’œuvre, seront protégés de la même manière que toute œuvre littéraire originale, qu’ils représentent ou non une partie importante de l’œuvre […]
Il s’ensuit donc que, lorsqu’une œuvre qui n’est pas exclue de la protection du droit d’auteur est révisée, il peut exister deux droits d’auteur : celui du texte original et celui de la nouvelle édition. [Références et certaines parties du texte omises.]
[18] Allen v. Toronto Star Newspapers Ltd. (1997), 36 O.R. (3d) 201 (C. Div.), aux p. 206, 207 et 208, le juge Sedgwick.
[19] Dans l’affaire Warwick Film Productions, Ltd. v. Eisinger, [1967] 3 All E.R. 367 (Ch.), le juge Plowman écrit à la p. 379 :
[traduction] Bien qu’il ait, en grande partie, copié son compte rendu de l’instruction des procès sur celui qui avait été publié dans « Three Times Tried », il a lui-même apporté beaucoup de modifications. Certaines parties de son récit, qui sont imprimées entre crochets, représentent sa propre contribution. Par ailleurs, il a ajouté des éléments, en a omis d’autres, a modifié certains propos, a réorganisé les éléments, en a transposé certains et en a abrégé d’autres. […] Je répète encore que j’estime, après l’avoir lu, que l’ensemble du livre forme une œuvre littéraire susceptible d’être protégée par son propre droit d’auteur.
[20] Voir la décision Slumber-Magic Adjustable Bed Co. v. Sleep-King Adjustable Bed Co. [1985] 1 W.W.R. 112 (C.S.C.-B.), dans lequel Mme le juge McLachlin écrit à la p. 115 :
[traduction] Chacun sait que les compilations de contenus produits par d’autres peuvent être protégées par un droit d’auteur, pourvu que l’organisation des éléments tirés d’autres sources soit le produit de l’imagination, du choix et du travail de la demanderesse. Ce ne sont pas les divers éléments de composition qui font l’objet du droit d’auteur, mais leur arrangement général, fruit du travail de la demanderesse. Le fondement du droit d’auteur est l’originalité du travail en question. Du moment que la composition renvoie à un travail, à un goût et à des décisions précises, il y a originalité. Dans le cas d’une compilation, l’originalité justifiant le droit d’auteur est une question de degré, selon l’importance du talent, du jugement ou du travail en cause dans ladite compilation. [Référence omise.]
Bien que la Cour d’appel fédérale ait, dans l’arrêt Télé-Direct (Publications) Inc. c. American Business Information, Inc., précité, note 4, cité en l’approuvant l’extrait qui précède, elle a jugé erroné le renvoi disjonctif au « talent, jugement ou travail ». Il aurait fallu parler, à son avis, de « talent, jugement et travail ».
[21] Supra, note 11.
[22] (1993), 31 Osgoode Hall L.J. 661, à la p. 675.
[23] [1989] A.C. 217 (P.C.), aux p. 262-263.
[24] Supra, note 4.
[25] (1997), 81 C.P.R. (3d) 338 (C.F. 1re inst.).
[26] [1989] R.J.Q. 1003 (C.S.).
[27] 158 F. 3d 674 (2nd Cir. 1998).
[28] 111 S.Ct. 1282 (1991).
[29] [1999] 2 C.F. 287 (1re inst.), à la p. 311.
[30] (1999), 86 C.P.R. (3d) 129 (C.F. 1re inst.), avis d’appel déposé le 17 juin 1999 (non cité devant moi).
[31] Supra, note 27.
[32] Loi sur le droit d’auteur, art. 13(1), (4) [mod. par L.C. 1997, ch. 24, art. 10].
[33] Loi sur le droit d’auteur, art. 13(3).
[34] Voir les pièces P-6, P-8, P-10, P-12, P-14, P-16, P-18 et P-20.
[35] Pièces P-29 à P-40.
[36] [1959] R.C.S. 602.
[37] [1985] 1 C.F. 755(abrégée); (1985), 4 C.P.R. (3d) 349 (1re inst.), aux p. 357 et 358; conf. par [sub nom. Tele-Metropole Inc. c. Biship et al.] (1987), 18 C.P.R. (3d) 257 (C.A.F.); et [1990] 2 R.C.S. 467.
[38] (1985), 22 D.L.R. (4th) 467 (C.A.C.-B.), aux p. 471 et 472.
[39] (1938), 54 T.L.R. 952 (Ch. Div.) [à la p. 954].
[40] 13e éd., 1991.
[41] (1995), 62 C.P.R. (3d) 257 (C.F. 1re inst.), à la p. 268.
[42] [1993] 2 C.F. 115 (C.A.).
[43] (1997), 146 ALR 649 (H.C.).
[44] Voir les art. 13(4) et 36(1) [mod. par L.C. 1997, ch. 24, art. 20] et (2) [mod., idem] de la Loi sur le droit d’auteur.
[45] TR/99-86, 18 août 1999. Le règlement d’application intitulé Règlement sur les cas d’exception à l’égard des établissements d’enseignement, des bibliothèques, des musées et des services d’archives a été édicté par C.P. 1999-1351, 28 juillet 1999 [DORS/99-325].
[46] Voir Compo Company Ltd. c. Blue Crest Music Inc. et autres, supra, note 1.
[47] [1983] F.S.R. 545 (Ch.), à la p. 558.
[48] Voir De Garis v. Neville Jeffress Pidler Pty Ltd (1990), 95 ALR 625 (C.F. Aust.), aux p. 629 et 630; et Longman Group Ltd. v. Carrington Technical Institute Board of Governors, [1991] 2 NZLR 574 (H.C.), à la p. 584.
[49] [1993] 3 R.C.S. 675.