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[2000] 4 C.F. 321

A-823-99

Angelo Del Zotto (appelant)

c.

Le ministre du Revenu national et John Edward Thompson (intimés)

A-106-99

Herbert Noble (appelant)

c.

Le ministre du Revenu national et John Edward Thompson (intimés)

Répertorié : Del Zotto c. M.R.N. (C.A.)

Cour d’appel, juges Desjardins, Rothstein et McDonald, J.C.A.Ottawa, 26 mai 2000.

Juges et tribunaux — Appel du rejet d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un président d’enquête nommé en vertu de l’art. 231.4 de la Loi de l’impôt sur le revenu — Avant d’être nommé à la Cour, le juge de la Section de première instance de la Cour fédérale était associé au cabinet qui agissait pour l’appelant M. Del Zotto — Il a effectué 0,4 heure de travail sur le dossier — M. Del Zotto a changé d’avocat depuis — Dans certains arrêts selon lesquels le fait qu’un juge entende une affaire dans laquelle son cabinet était en cause ne donne pas lieu à une crainte raisonnable de partialité, le juge ne s’était pas occupé du dossier, que ce soit directement ou indirectement, lorsqu’il travaillait au cabinet en questionLa Cour accueille l’appel avec la plus grande prudence en dépit du fait que la participation du juge a été minimale et d’importance secondaire et qu’il a effectué du travail dans le dossier six ans avant d’avoir entendu la demande — Compte tenu de l’art. 52b)(i) de la Loi sur la Cour fédérale, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Impôt sur le revenu — Appel du rejet d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un président d’enquête nommé en vertu de l’art. 231.4 de la Loi de l’impôt sur le revenu permettant au ministre d’autoriser une personne à faire une enquête sur quoi que ce soit qui se rapporte à l’application et l’exécution de la Loi — En alléguant que le mandat est trop général, les appelants cherchent à contester celui-ci, mais cette décision n’était pas visée par la demande de contrôle judiciaire — La communication au préalable du nom des témoins, de l’objet de leur témoignage et des documents n’est pas exigée par la Loi ou par l’équité procédurale, bien que le président d’enquête ait le pouvoir discrétionnaire de l’exiger — Le droit reconnu par la loi d’être représenté par un avocat ne comporte pas le droit de contre-interroger les témoins — Aucun arrêt selon lequel une assignation prend fin avec le temps — Il est loisible au président d’enquête d’ordonner la communication préalable de questions qui doivent être posées si cela est nécessaire pour assurer l’efficacité de l’enquête — L’avocat de M. Noble n’a pas été exclu à tort — L’enquête est privée pour assurer l’efficacité de celle-ci — Le droit à la présence d’un avocat n’a pas pour effet de transformer l’enquête, au gré du contribuable, en une enquête publique.

Il s’agit d’un appel contre un jugement dans lequel la Section de première instance a rejeté une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un président d’enquête nommé en vertu du paragraphe 231.4(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui permet au ministre du Revenu national d’autoriser une personne à faire toute enquête que celle-ci estime nécessaire sur quoi que ce soit qui se rapporte à l’application et l’exécution de la Loi. L’autorisation permettait de « [f]aire enquête sur les affaires financières d’Angelo Del Zotto pour les années d’imposition 1979 à 1985 inclusivement ».

Les questions litigieuses sont les suivantes : 1) le mandat relatif à l’enquête est-il trop général? 2) M. Del Zotto a-t-il droit à une communication préalable du nom des témoins, de l’objet de leur témoignage et des documents qui seront présentés? 3) le droit de contre-interroger les témoins fait-il implicitement partie du droit reconnu par la loi d’être représenté par avocat? 4) l’assignation enjoignant à l’appelant M. Noble de comparaître est-elle périmée? 5) M. Noble se voit-il à tort refuser la communication préalable de la preuve qu’il devra fournir? 6) l’avocat de M. Noble est-il exclu à tort de l’enquête après que son client aura présenté sa preuve? et 7) existe-t-il une crainte raisonnable de partialité de la part du juge de première instance qui, avant sa nomination à la Cour fédérale, était associé au cabinet d’avocats qui agissait pour M. Del Zotto?

Arrêt : l’appel devrait être accueilli et la décision de la Section de première instance annulée.

1) Les appelants cherchent à contester le mandat établi par le sous-ministre quand la tenue de l’enquête a été autorisée, mais cette décision n’était pas visée par la demande de contrôle judiciaire.

2) Le président d’enquête doit mener l’enquête de la façon dont il l’estime nécessaire et appropriée, conformément à la Loi et eu égard aux considérations relatives à l’équité procédurale qui s’appliquent compte tenu des circonstances. Aucune de ces obligations ne prévoit la communication préalable de plein droit, bien qu’il soit loisible au président d’enquête d’exiger qu’un préavis soit signifié au sujet de la preuve qui sera demandée ou de donner aux témoins ou aux avocats suffisamment de temps pour leur permettre de fournir des éléments de preuve ou pour examiner des documents, parce qu’il s’agit de questions se rapportant à la conduite de l’enquête et qui relèvent du président d’enquête, qui a un pouvoir discrétionnaire à cet égard.

3) Le droit reconnu par la loi d’être représenté par un avocat, sans plus, ne comporte pas nécessairement le droit de contre-interroger les témoins. C’est le président d’enquête qui décide du rôle de l’avocat. Le droit de s’opposer aux questions non appropriées et de donner des précisions au sujet des témoignages, de façon que l’histoire soit communiquée au complet, suffit aux fins de l’enquête en l’espèce.

4) L’avocat de M. Noble n’a cité aucun arrêt selon lequel une assignation devienne périmée avec le temps. M. Noble était partie au litige qui a abouti à la décision que la Cour suprême du Canada a rendue par suite de la contestation de l’enquête, sur le plan constitutionnel. Il est au courant de ce qui se passe et n’a pas démontré pourquoi l’assignation ne devrait pas continuer à avoir effet.

5) Si le président d’enquête l’estime nécessaire pour assurer l’efficacité de l’enquête, il lui est loisible d’ordonner la communication préalable de certaines questions qui doivent être posées ou des documents que M. Noble devra fournir.

6) Le droit à la vie privée du contribuable peut être une considération pertinente, mais ce n’est pas l’unique raison pour laquelle il s’agit d’une enquête privée; en effet, on cherche à assurer l’efficacité de l’enquête. Le droit à la présence d’un avocat que possède un témoin et le contribuable visé par une enquête n’a pas pour effet de transformer l’enquête, au gré du contribuable, en une enquête publique.

7) M. Del Zotto avait changé d’avocat lorsque l’affaire a été entendue par le juge de première instance au mois de décembre 1999. Deux considérations sont pertinentes : (i) l’ancien cabinet du juge était directement mêlé à l’enquête Del Zotto menée en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu lorsque le juge était membre de ce cabinet; et (ii) le juge a effectué du travail (0,4 heure) dans le dossier Del Zotto. Le juge n’exerçait pas sa profession, à l’époque pertinente, dans le cabinet qui était chargé du dossier Del Zotto, il a effectué du travail dans le dossier environ six ans avant d’avoir entendu la demande de contrôle judiciaire, et sa participation a été minimale et d’importance secondaire. Selon certains arrêts, le fait qu’un juge entende une affaire dans laquelle son cabinet était en cause avant sa nomination ne donne pas lieu à une crainte raisonnable de partialité. Toutefois, dans ces affaires, le juge ne s’était pas occupé du dossier, que ce soit directement ou indirectement, lorsqu’il travaillait au cabinet en question. La situation en l’espèce s’est produite par inadvertance et résulte du changement d’avocat. Dans les circonstances, la Cour accueille avec la plus grande prudence l’appel sur ce point. L’alinéa 52b)(i) de la Loi sur la Cour fédérale autorise toutefois la Cour à rendre le jugement que la Section de première instance aurait dû rendre. Dans l’exercice de ce pouvoir, la Cour rejette la demande de contrôle judiciaire de la décision du président d’enquête.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 231.4(1) (mod. par L.C. 1999, ch. 17, art. 168), (2),(6).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 52b)(i).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181; (1987), 41 D.L.R. (4th) 429; 24 Admin. L.R. 91; 74 N.R. 33; Del Zotto (A.) c. M.R.N., [1993] 2 C.T.C. 342; (1993), 93 DTC 5455; 161 N.R. 143 (C.A.F.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Guay v. Lafleur, [1965] R.C.S. 12; (1964), 47 D.L.R. (2d) 226; [1964] C.T.C. 350; 64 DTC 5218; R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326; (1991), 120 A.R. 161; [1992] 1 W.W.R. 97; 83 Alta. L.R. (2d) 93; 68 C.C.C. (3d) 1; 8 C.R. (4th) 277; 130 N.R. 277; 8 W.A.C. 161; Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l’énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369; (1976), 68 D.L.R. (3d) 716; 9 N.R. 115.

DÉCISIONS CITÉES :

Del Zotto c. Canada, [1997] 3 C.F. 40(1997), 147 D.L.R. (4th) 457; 116 C.C.C. (3d) 123; 97 DTC 5328 (C.A.); Del Zotto c. Canada, [1999] 1 R.C.S. 3; (1999), 169 D.L.R. (4th) 130; 131 C.C.C. (3d) 353; 99 DTC 5029; R. v. Bagot, [2000] M.J. no 223 (C.A.) (QL); R. v. R.T.A., [2000] O.J. no 1319 (C. sup.) (QL).

DOCTRINE

Conseil canadien de la magistrature. Principes de déontologie judiciaire. Ottawa : Conseil de la magistrature, 1998.

Wilson, J. O. A Book for Judges. Ottawa : Minister of Supply and Services Canada, 1980.

APPEL d’une décision (Del Zotto c. M.R.N., [1999] A.C.F. no 1981 (QL)) dans laquelle la Section de première instance a rejeté une demande de contrôle judiciaire. L’appel est accueilli en raison d’une crainte raisonnable de partialité, mais la demande de contrôle judiciaire est rejetée compte tenu du pouvoir de la Cour d’appel fédérale en vertu de l’alinéa 52b)(i) de la Loi sur la Cour fédérale.

ONT COMPARU :

Thomas G. Heintzman, c.r., et William C. McDowell pour l’appelant Angelo Del Zotto.

Alan D. Gold pour l’appelant Herbert Noble.

Ivan S. Bloom, c.r., et Steven Albin pour les intimés.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tétrault, Toronto, pour l’appelant Angelo Del Zotto.

Gold & Fuerst, Toronto, pour l’appelant Herbert Noble.

Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement de la Cour prononcés à l’audience par

[1]        Le juge Rothstein, J.C.A. : Ces motifs s’appliquent aux dossiers A-823-99 et A-106-00.

[2]        Il s’agit d’appels d’une décision en date du 10 janvier 2000 dans laquelle le juge de première instance [[1999] A.C.F. no 1981 (QL)] a rejeté la demande de contrôle judiciaire d’une décision concernant Angelo Del Zotto rendue par l’honorable Keith Flanigan, c.r., président d’enquête nommé en vertu du paragraphe 231.4(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu [L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1]. Les appelants soutiennent que M. Flanigan et le juge de première instance ont commis les erreurs suivantes :

1. Le mandat relatif à l’enquête autorisée en vertu du paragraphe 231.4(1) [mod. par L.C. 1999, ch. 17, art. 168] est trop général.

2. Il n’y a pas de disposition prévoyant une communication préalable raisonnable à M. Del Zotto et à son avocat.

3. L’avocat de M. Del Zotto a uniquement la possibilité de donner des précisions au sujet des témoignages des témoins à l’enquête et il n’a pas la possibilité de contre-interroger ces derniers.

4. L’assignation enjoignant à M. Noble de comparaître à l’enquête est caduque et n’a aucun effet juridique.

5. M. Noble se voit à tort refuser la communication préalable de la preuve qu’il devra fournir.

6. L’avocat de M. Noble est exclu à tort de l’enquête après que son client aura présenté sa preuve.

7. Il existe une crainte raisonnable de partialité de la part du juge de première instance.

LE MANDAT

[3]        Le mandat relatif à l’enquête menée en vertu de l’article 231.4 est établi par le ministre du Revenu national. Le paragraphe 231.4(1) prévoit :

231.4 (1) Le ministre peut, pour l’application et l’exécution de la présente loi, autoriser une personne, qu’il s’agisse ou non d’un fonctionnaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada, à faire toute enquête que celle-ci estime nécessaire sur quoi que ce soit qui se rapporte à l’application et l’exécution de la présente loi.

Le président d’enquête n’établit pas son propre mandat et il ne peut pas modifier le mandat que le ministre a établi. L’autorisation accordée le 9 octobre 1992 aux fins de l’enquête prévoyait :

[traduction] Faire enquête sur les affaires financières d’Angelo Del Zotto pour les années d’imposition 1979 à 1985 inclusivement.

[4]        Conformément aux remarques que le juge Strayer a faites dans les motifs dissidents qu’il a exposés dans la décision Del Zotto c. Canada, [1997] 3 C.F. 40 (C.A.), lesquels ont été adoptés par la Cour suprême du Canada lorsqu’elle a accueilli l’appel interjeté contre la décision de la Cour fédérale, [1999] 1 R.C.S. 3, M. Flanigan a limité avec raison son enquête aux questions se rapportant à « l’application et l’exécution de la [Loi de l’impôt sur le revenu] ». À notre avis, c’est tout ce que M. Flanigan était autorisé à faire en vertu du paragraphe 231.4(1), puisqu’il était tenu de se conformer au libellé de la Loi (et que le ministre était également tenu de s’y conformer). En contestant la décision de M. Flanigan, les appelants cherchent à contester le mandat établi par le sous-ministre pour le compte du ministre le 9 octobre 1992, date à laquelle la tenue de l’enquête a été autorisée. Toutefois, cette décision n’était pas visée par la demande de contrôle judiciaire présentée devant la Section de première instance.

[5]        À coup sûr, l’enquête ne doit pas excéder le mandat. Toutefois, dans les limites du mandat établi par le ministre, la nature et l’étendue de l’enquête relèvent du pouvoir discrétionnaire du président d’enquête, à condition que cela ait quelque chose à voir avec l’application et l’exécution de la Loi. Ce motif que les appelants ont invoqué n’est pas fondé.

LE DROIT DE M. DEL ZOTTO À LA COMMUNICATION PRÉALABLE

[6]        M. Del Zotto soutient qu’il devrait se voir communiquer au préalable les noms des témoins, l’objet de leur témoignage et les documents qui leur seront présentés. Quant au présumé droit à la communication, M. Flanigan a cité l’arrêt Guay v. Lafleur, [1965] R.C.S. 12, dans lequel la Cour suprême a statué qu’eu égard à la nature de l’enquête, il n’appartient pas à la Cour de préciser les modalités y afférentes. Au paragraphe 19 de ses motifs, M. Flanigan a fait les remarques suivantes :

[traduction] À mon avis, ni l’arrêt Guay ni la Loi ne confèrent à la cible ou à son avocat un contrôle sur les modalités de l’enquête, si ce n’est pour s’opposer à toute dénégation de la justice naturelle ou à toute iniquité, et à coup sûr, ils ne confèrent pas à M. Del Zotto le droit de diriger la tenue de l’enquête.

Au paragraphe 22, M. Flanigan a conclu :

[traduction] Dans l’affaire dont je suis ici saisi, aucune accusation n’a été portée; même si l’on soupçonne fortement que des accusations seront portées, aucune accusation ne l’a encore été. Par conséquent, à mon avis, tant que les accusations n’auront pas été portées, le témoin ou la cible ici en cause n’ont aucun droit à la communication.

[7]        Nous souscrivons à l’approche adoptée par M. Flanigan. Elle ne va pas à l’encontre de l’arrêt R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326, selon lequel il existe un droit à la communication une fois que les accusations ont été portées. Aucune accusation n’est portée au stade de l’enquête dans la présente instance. Il incombe au président d’enquête de mener l’enquête de la façon dont il l’estime nécessaire et appropriée, conformément à la loi et eu égard aux considérations relatives à l’équité procédurale qui s’appliquent compte tenu des circonstances. Aucune de ces obligations ne prévoit la communication préalable de plein droit.

[8]        On a dit à la Cour que dans le cours de l’instance, on a donné le temps à l’avocat de M. Del Zotto d’examiner les documents une fois qu’ils avaient été produits, même si l’avocat a déclaré qu’à son avis, on ne lui avait pas accordé suffisamment de temps.

[9]        Il est loisible au président d’enquête d’exiger qu’un préavis soit signifié au sujet de la preuve qui sera demandée ou de donner aux témoins ou aux avocats suffisamment de temps pour leur permettre de fournir des éléments de preuve ou pour examiner des documents s’il n’est pas nécessaire de signifier un préavis. Il s’agit de questions se rapportant à la conduite de l’enquête; elles relèvent du président d’enquête, qui a un pouvoir discrétionnaire à cet égard.

LE DROIT DE CONTRE-INTERROGER LES TÉMOINS

[10]      M. Del Zotto soutient que le droit de contre-interroger un témoin fait implicitement partie de son [traduction] « droit d’être représenté par avocat tout au long de l’enquête », lequel est prévu au paragraphe 231.4(6). Il affirme que la seule exception est énoncée au paragraphe 231.4(6), à savoir lorsque, sur demande du ministre ou d’un témoin, le président d’enquête en décide autrement pour le motif que la présence de la personne dont les affaires donnent lieu à l’enquête et de son avocat ou de l’un d’eux nuirait à la bonne conduite de l’enquête. Autrement, le particulier en cause a le droit d’être représenté par avocat et il a le droit de charger celui-ci de tout travail dont les avocats s’acquittent normalement, c’est-à-dire contre-interroger les témoins.

[11]      Toutefois, l’avocat n’a pas cité d’arrêt selon lequel le droit reconnu par la loi d’être représenté par un avocat comporte nécessairement, sans exception aucune, le droit de contre-interroger un témoin.

[12]      Les exigences de l’équité varient selon les circonstances. Le droit reconnu par la loi d’être représenté par un avocat, sans plus, ne comporte pas nécessairement le droit de contre-interroger les témoins. C’est le président d’enquête qui décide du rôle de l’avocat. Telle est l’approche qui a été adoptée par le juge Estey dans l’arrêt Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181, à la page 231 :

Il découle de l’analyse qui précède que ni le par. 20(1) de la Loi ni le principe de l’équité ne confèrent aux appelants le droit de contre-interroger les témoins à l’enquête. L’équité est une notion souple et son contenu varie selon la nature de l’enquête et les conséquences qu’elle peut avoir pour les individus en cause. Les caractéristiques de la procédure, la nature du rapport qui en résulte et sa diffusion publique, et les sanctions qui s’ensuivront lorsque les événements qui suivent le rapport seront enclenchés, détermineront l’étendue du droit à l’assistance d’un avocat et, lorsqu’un avocat est autorisé sans plus par la Loi, le rôle de cet avocat. L’organisme d’enquête doit être maître de sa propre procédure. Lorsque cet organisme détient des pouvoirs décisionnels, des considérations différentes entrent en scène. La preuve qui pèse contre la personne qui fait l’objet de l’enquête doit lui être communiquée. C’est ce que prévoit la Loi à chaque étape de l’enquête. [Non souligné dans l’original.]

À la page 235, le juge a ajouté :

La présente instance n’a pas atteint le stade où, pour reprendre les termes de lord Wilberforce dans l’arrêt Wiseman v. Borneman, [1971] A.C. 297, à la p. 317, [traduction] « il est nécessaire de considérer la procédure dans son contexte et de se demander si elle ne joue pas injustement contre le contribuable, au point où les tribunaux se doivent de suppléer à l’omission du législateur ». Les tribunaux judiciaires doivent, dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, toujours demeurer conscients du danger qu’il y a de surcharger et de compliquer indûment le processus d’enquête sur l’application de la loi. Lorsque ce processus, à l’état embryonnaire, consiste à rassembler des matériaux bruts pour étude ultérieure, les tribunaux ne sont pas enclins à intervenir. Lorsque, par ailleurs, l’organisme qui procède à l’enquête dispose de pouvoirs de statuer, dans un sens définitif ou en ce sens qu’un effet préjudiciable peut en résulter pour l’individu, les tribunaux sont plus enclins à intervenir.

M. Flanigan s’est fondé sur l’arrêt Irvine pour conclure, au paragraphe 21 :

[traduction] En l’espèce, il suffit que le président d’enquête ait permis à toutes les parties d’être représentées par un avocat qui pourrait s’opposer aux questions non appropriées et réinterroger ses clients en vue de donner des précisions au sujet du témoignage de ces derniers et de s’assurer que l’histoire est communiquée au complet par le témoin.

L’avocat de M. Del Zotto s’est vu accorder le droit de s’opposer aux questions non appropriées et de donner des précisions au sujet des témoignages, de façon que l’histoire soit communiquée au complet. À notre avis, cela suffit aux fins de l’enquête. Nous ne pouvons constater aucune erreur dans le raisonnement de M. Flanigan ou dans sa conclusion.

L’ASSIGNATION

[13]      L’avocat de M. Noble a soutenu que l’assignation qui a été signifiée à M. Noble est caduque et que son contenu n’est plus pertinent. Il a affirmé que cette assignation n’est plus légalement valide. Toutefois, il n’a cité aucun arrêt selon lequel une assignation prend fin avec le temps ou parce que la date ou le lieu de l’audience ne sont plus ceux qui y sont inscrits. Il n’a pas non plus indiqué les critères que la Cour devrait appliquer pour déterminer à quel moment et dans quelles circonstances une assignation cesse d’être valide.

[14]      En l’espèce, M. Noble était partie au litige qui a pris naissance devant notre Cour après que la tenue de l’enquête eut été autorisée et après que l’enquête eut abouti à la décision que la Cour suprême du Canada a rendue le 21 janvier 1999 par suite de la contestation de l’enquête, sur le plan constitutionnel, par M. Del Zotto et M. Noble. M. Noble est au courant de ce qui se passe. Il ne s’agit pas ici d’une enquête inactive qui reprend après de nombreuses années. Il suffit de dire que M. Noble n’a pas démontré pourquoi l’assignation ne devrait pas continuer à avoir effet.

LE PRÉSUMÉ DROIT DE M. NOBLE À LA COMMUNICATION PRÉALABLE

[15]      Les remarques que nous faisons au sujet de l’allégation de M. Del Zotto concernant la communication préalable s’appliquent également à M. Noble. L’avocat de M. Noble soutient qu’une bonne partie de la preuve qui peut être demandée à son client est ancienne et qu’il peut être difficile de répondre aux questions en l’absence d’un préavis.

[16]      Il s’agit d’une affaire qui relève du président d’enquête. Si le président d’enquête l’estime nécessaire pour assurer l’efficacité de l’enquête, il lui est loisible d’ordonner la communication préalable de certaines questions qui doivent être posées ou des documents que M. Noble devra fournir. Par ailleurs, il peut donner à M. Noble le temps de répondre aux questions ou de produire les documents si, à son avis, les circonstances justifient la chose. Toutefois, M. Noble n’a aucun droit à la communication préalable.

EXCLUSION DE L’AVOCAT DE M. NOBLE

[17]      L’avocat de M. Noble soutient qu’il a été exclu à tort de l’enquête après que son client eut témoigné. En invoquant cet argument devant la Cour, il ne parle pas au nom de M. Noble, mais plutôt en tant qu’ami ou en tant que personne qui pourrait aider M. Del Zotto. Il dit que si M. Del Zotto renonce à son droit à la vie privée dans la conduite de l’enquête, il (M. Del Zotto) a droit à ce que toute personne qu’il veut soit présente à l’enquête.

[18]      À notre avis, la décision Del Zotto (A.) c. M.R.N., [1993] 2 C.T.C. 342 (C.A.F.) règle ce point. Dans cette décision, le juge Hugessen (tel était alors son titre) a fait les remarques suivantes à la page 344 :

Ces dispositions avaient, à leur tour, fait l’objet d’une interprétation décisive de la part de la Cour suprême dans l’arrêt Guay v. Lafleur, [1965] 2 R.C.S. 12, [1964] C.T.C. 350, 64 DTC 5218, aux pages 16 et 17 (C.T.C. 354-55). Dans cette affaire, le juge Abbott, parlant au nom de la majorité a déclaré ce qui suit :

[traduction] Les juges Hyde et Montgomery, dissidents, ont jugé que l’enquête menée par l’appelant pour le compte du ministre est de nature purement administrative, et qu’elle ne peut trancher ni décider quoi que ce soit, qu’il ne s’agit pas d’une enquête judiciaire ou quasi-judiciaire, mais d’une enquête privée à laquelle l’intimé n’a pas le droit d’être présent ni d’être représenté par un avocat.

Après avoir renvoyé aux modification apportées par suite de l’arrêt Guay v. Lafleur, le juge Hugessen ajoute [à la page 344] :

Ces dispositions [soit les modifications qui ont subséquemment été apportées à la loi] ne changent pas par ailleurs la nature de l’enquête qui reste, comme l’a dit la Cour suprême, « de nature purement administrative et […] ne peut trancher ni décider quoi que ce soit ».

Il s’agit d’une enquête privée. Le droit à la vie privée du contribuable peut être une considération pertinente, mais ce n’est pas l’unique raison pour laquelle il s’agit d’une enquête privée; en effet, à notre avis, on cherche à assurer l’efficacité de l’enquête. Des modifications ont été apportées à la procédure d’enquête prévue par la Loi de l’impôt sur le revenu depuis l’arrêt Guay v. Lafleur, mais ces modifications ne changent rien à cet aspect fondamental de l’enquête. En particulier, le droit à la présence d’un avocat que possède un témoin et le contribuable visé par une enquête n’a pas pour effet de transformer l’enquête, au gré du contribuable, en une enquête publique.

[19]      M. Flanigan a refusé de permettre à l’avocat de M. Noble d’assister à l’audience lorsque son client ne témoignait pas. Toutefois, on a dit à la Cour que M. Flanigan avait permis à l’avocat de M. Noble de demander à assister à l’enquête, à condition qu’il n’agisse pas comme avocat de M. Noble, mais qu’il aide plutôt M. Del Zotto. À notre avis, il est encore possible de présenter pareille demande.

LA CRAINTE RAISONNABLE DE PARTIALITÉ

[20]      Il s’agit en dernier lieu de savoir s’il existe une crainte raisonnable de partialité de la part du juge de première instance. L’avocat des appelants déclare que le juge était associé au cabinet qui agissait pour M. Del Zotto jusqu’à ce qu’il soit nommé à la Cour fédérale, en 1999. Selon certains éléments de preuve, le juge de première instance a effectué, en 1993, 0,4 heure de travail sur le dossier Del Zotto. Apparemment, ce travail visait à l’obtention de certains documents de la Cour canadienne de l’impôt. L’avocat des appelants affirme qu’il est impossible de savoir si le juge était au courant de renseignements confidentiels concernant l’affaire.

[21]      Les appelants se fondent sur les motifs que le juge en chef Laskin a exposés au nom des juges majoritaires dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l’énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 388 :

On sait que des avocats nommés juges se sont abstenus pendant une période raisonnable, d’entendre des affaires auxquelles d’anciens clients étaient parties même s’ils n’avaient rien eu à faire avec le dossier. A plus forte raison, nul ne siégerait dans une cause à laquelle il aurait pu prendre part à un stade quelconque de l’affaire.

[22]      Cette remarque est mentionnée dans l’ouvrage intitulé A Book for Judges, rédigé à la demande du Conseil canadien de la magistrature, où l’honorable J. O. Wilson dit, à la page 28, au sujet de la remarque précitée du juge en chef Laskin :

[traduction] Il s’agit peut-être d’une remarque incidente, mais elle vient d’une auguste source et elle énonce une norme de conduite appropriée ainsi que, dans la dernière partie de la remarque, un motif possible de récusation. Un juge qui vient d’être nommé et qui était autrefois associé à un cabinet d’avocats ne devrait pas siéger dans une affaire, lorsque l’action a été intentée pendant qu’il était associé au cabinet.

[23]      Enfin, les appelants se fondent sur le document intitulé Principes de déontologie judiciaire, du Conseil canadien de la magistrature, novembre 1998, sous la rubrique : « Conflit d’intérêts ». À la page 29, l’opinion suivante est exprimée :

2.   Les juges se récusent chaque fois qu’ils croient qu’une personne raisonnable, impartiale et bien informée aurait des motifs de soupçonner qu’il existe un conflit entre leur intérêt personnel (ou celui de leurs proches parents, de leurs amis intimes ou de leurs associés) et l’exercice de leur fonction.

3.   Il n’est pas à propos de se récuser si, selon le cas : a) l’élément laissant croire à la possibilité de conflit est négligeable ou ne permettrait pas de soutenir de manière plausible que la récusation s’impose;

[24]      Voici une parties des commentaires figurant sous la rubrique « Anciens clients », aux pages 49 et 50 :

Les juges devront parfois se demander s’il convient d’entendre des affaires qui impliquent d’anciens clients […] Trois facteurs principaux entrent en jeu. Premièrement, le juge ne doit pas entendre d’affaires dans lesquelles il se trouve réellement en situation de conflit d’intérêtspar exemple, parce qu’il a obtenu des renseignements confidentiels reliés au litige avant d’être nommé juge […]

Les lignes directrices suivantes ont un caractère général. Elles peuvent s’avérer utiles :

a)   Le juge ne devrait pas entendre d’affaires dans lesquelles lui-même ou son ancien cabinet ont agi directement, soit à titre de procureur inscrit au dossier, soit à un autre titre, avant sa nomination.

[…]

c)   En ce qui concerne les affaires impliquant d’anciens collègues, associés ou clients du juge, la ligne de conduite traditionnelle consiste à s’abstenir de les instruire pendant une certaine période. Souvent fixée à deux, trois ou cinq ans, selon les coutumes locales, et de toute façon cette période de « distanciation » se poursuit, à tout le moins, aussi longtemps qu’il existe une dette entre le cabinet et le juge. La ligne directrice a) visant les anciens clients entre également en ligne de compte.

[25]      Nous n’interprétons pas les opinions et lignes directrices données par le Conseil de la magistrature comme un code de conduite ou comme énonçant les normes définissant l’inconduite judiciaire. De fait, selon l’article 2 des Principes [à la page 3] :

2.   Les Énoncés, Principes et Commentaires se veulent de simples recommandations. L’objectif visé est, d’une part, d’aider les juges à trouver des réponses aux épineuses questions d’ordre déontologique et professionnel auxquels ils sont confrontés, et, d’autre part, d’aider le public à mieux comprendre le rôle des juges. Ils ne constituent pas un code ou une liste de comportements prohibés et ils ne doivent pas être utilisés comme tel. Ils n’énoncent pas de normes définissant l’inconduite judiciaire.

Nous ne considérons pas non plus qu’une dérogation à un énoncé ou à une ligne directrice donne nécessairement lieu à une crainte raisonnable de partialité. D’autre part, les énoncés et lignes directrices visent à indiquer les circonstances dans lesquelles une personne raisonnable, impartiale et bien informée aurait des motifs de soupçonner qu’il existe un conflit.

[26]      Quant aux faits, il convient en premier lieu de noter que M. Del Zotto a récemment changé d’avocat de sorte que, lorsque l’affaire a été entendue par le juge de première instance, au mois de décembre 1999, c’était l’avocat actuel qui agissait pour M. Del Zotto plutôt que l’ancien cabinet du juge. Nous sommes certains que si l’ancien cabinet du juge avait agi pour M. Del Zotto, le juge de première instance se serait récusé en raison de son association récente à ce cabinet. Toutefois, lorsqu’un avocat différent s’est présenté, le juge de première instance ne semble pas avoir soupçonné l’existence d’un conflit, et l’avocat non plus, semble-t-il, puisque personne n’a soulevé la question.

[27]      En l’espèce, deux considérations sont pertinentes. En premier lieu, il y a le fait que l’ancien cabinet du juge était directement mêlé à l’enquête Del Zotto menée en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu lorsque le juge était membre de ce cabinet. En second lieu, il y a le fait que le juge a effectué du travail dans le dossier Del Zotto.

[28]      Selon la preuve, le juge n’exerçait pas sa profession, à l’époque pertinente, dans le cabinet qui était chargé du dossier Del Zotto. En outre, il est clair que le juge a effectué du travail dans le dossier environ six ans avant d’avoir entendu la demande de contrôle judiciaire et que sa participation avait été minimale et d’importance secondaire.

[29]      Selon certains arrêts, il arrive parfois que le fait qu’un juge entende une affaire dans laquelle son cabinet était en cause avant sa nomination ne donne pas lieu à une crainte raisonnable de partialité. Toutefois, dans ces affaires, le juge ne s’était pas occupé du dossier, que ce soit directement ou indirectement, lorsqu’il travaillait au cabinet en question. (Voir, par exemple, R. v. Bagot, [2000] M.J. no 223 (C.A.) (QL), au paragraphe 5; et R. v. R.T.A., [2000] O.J. no 1319 (C. sup.) (QL), au paragraphe 37a.)

[30]      Eu égard aux circonstances de l’espèce, nous accueillons avec la plus grande prudence l’appel interjeté contre la décision rendue par la Section de première instance sur ce point. Toutefois, nous répétons que la situation s’est produite par inadvertance et à cause du fait inhabituel qu’il y avait eu changement d’avocat, ce qui a, semble-t-il, pris le juge et les avocats par surprise.

[31]      Cela dit, l’alinéa 52b)(i) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7] autorise notre Cour à rendre le jugement que la Section de première instance aurait dû rendre. L’alinéa 52b)(i) prévoit :

52. La Cour d’appel peut :

[…]

b) dans le cas d’un appel d’une décision de la Section de première instance :

(i) soit rejeter l’appel ou rendre le jugement que la Section de première instance aurait dû rendre et prendre toutes mesures d’exécution ou autres que celle-ci aurait dû prendre,

L’avocat des appelants convient que nous avons cette compétence et il ne demande pas que l’affaire soit renvoyée à la Section de première instance pour nouvelle décision.

[32]      Par conséquent, nous accueillons l’appel, infirmons la décision de la Section de première instance et nous concluons que la demande de contrôle judiciaire présentée contre la décision de l’honorable Keith Flanigan doit être rejetée. Cela étant, aucune ordonnance n’est rendue au sujet des dépens.

[33]      Les appelants ont demandé à présenter de nouveaux éléments de preuve dans le présent appel. Nous rejetons la requête en ce qui concerne les transcriptions de l’enquête et nous ordonnons que pareilles transcriptions soient retournées aux appelants.

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