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[2000] 1 C.F. 647

T-1515-98

Ronald William McTague (demandeur)

c.

Le procureur général du Canada (défendeur)

Répertorié : McTague c. Canada (Procureur général) (1re inst.)

Section de première instance, juge Evans— Toronto, 1er septembre; Ottawa, 30 septembre 1999.

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Certiorari — Norme de contrôleContrôle judiciaire de la décision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) selon laquelle le demandeur n’a pas droit à une pension d’invalidité selon à l’art. 21(2)a) de la Loi sur les pensionsEn vertu de l’art. 21(2)a), des pensions sont accordées aux membres en cas d’invalidité causée par une blessure « consécutive ou rattachée directement » au service militaireAprès avoir soupé au restaurant parce qu’il n’y avait pas de cantine sur la base, le demandeur a été blessé par un véhicule automobile alors qu’il traversait la rue pour retourner à la base où il était en serviceApplication d’une analyse pragmatique ou fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer quant à l’interprétation qu’un tribunal spécialisé donne à sa loi constitutive ou à l’application qu’il en fait(i) Les termes « consécutive » ou « rattachée directement » ne sont pas propres au domaine juridiqueLeur signification doit être établie compte tenu de l’objet du régime législatif, qui est de faire en sorte que les demandes fassent l’objet d’une décision nécessitant un minimum de formalités, de frais et de retardsL’absence d’un droit d’appel des décisions du Tribunal, la création d’une série d’appels administratifs et le fait que les comités d’appel sont expressément autorisés à examiner de nouveau leurs propres décisions indiquent que le législateur ne voulait pas que les décisions du Tribunal fassent l’objet d’une surveillance judiciaire rigoureuse(ii) La nature juridictionnelle des responsabilités du Tribunal et la composition de celui-ci (inclut des membres à temps partiel; ni qualifications ni représentation de différents intérêts ne sont prescrites) indique qu’on voulait que la norme de contrôle se situe du côté de la décision correcteLa nature des droits en jeu (ceux-ci sont importants pour les personnes intéressées, mais ne tiennent pas des droits garantis par la Charte) et les motifs de la création du Tribunal (assurer un processus décisionnel équitable, accessible, peu coûteux et rapide) correspondent à une norme de contrôle fondée sur la retenue judiciaire(iii) La nature de la question litigieuse (application de l’art. 21(2)a) aux faits) indique qu’il convient d’appliquer une norme de contrôle fondée sur la retenue judiciaireL’importance de ces facteurs indique que le législateur voulait qu’une norme de contrôle fondée sur la retenue judiciaire, et non une norme fondée sur la plus grande retenue judiciaire, soit appliquée.

Pensions — Contrôle judiciaire de la décision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) selon laquelle le demandeur n’a pas droit à une pension d’invalidité selon l’art. 21(2)a) de la Loi sur les pensionsEn vertu de l’art. 21(2)a), des pensions sont accordées aux membres en cas d’invalidité causée par une blessure consécutive ou rattachée directement au service militaireAprès avoir soupé au restaurant parce qu’il n’y avait pas de cantine sur la base, le demandeur a été blessé alors qu’il traversait la rue pour retourner à la base où il était en serviceLa décision du Tribunal n’était pas déraisonnable compte tenu de l’exigence selon laquelle il doit y avoir un lien de causalité entre la blessure et le service militaireCertains faits indiquaient que la blessure satisfaisait à la définition du droit à une pension, alors que d’autres faits montraient le contraireOn ne peut pas conclure que le Tribunal n’a pas interprété l’art. 21(2)a) dans son contexte législatifL’affirmation selon laquelle la survenance de la blessure pendant un jour de travail constituait simplement le « contexte » et non une « cause contributive » distingue les liens de causalité plus forts des liens de causalité plus faibles susceptibles d’exister entre la blessure et l’exécution du service militaireL’expression « rattachée directement » exigeait que le Tribunal examine la solidité du lien de causalité entre la blessure et le service militaireIl n’y a aucune erreur de droit parce que le fait que le demandeur était au service de l’armée quand il s’est blessé ne suffit pas aux fins du droit à la pensionOn peut difficilement affirmer que le Tribunal n’a pas pris en considération des dispositions législatives exigeant une interprétation libérale lorsqu’il a dit expressément en avoir tenu compte.

Forces armées — Alors qu’il traversait la rue pour retourner au travail après avoir mangé au restaurant parce qu’il n’y avait pas de cantine sur la base, le demandeur, qui est membre des forces armées, a été heurté par un véhicule automobile et blesséLe Tribunal des anciens combattants (révision et appel) a conclu qu’il n’avait pas droit à une pension d’invalidité selon l’art. 21(2)a) de la Loi sur les pensionsEn vertu de l’art. 21(2)a), des pensions sont accordées aux membres en cas d’invalidité causée par une blessure « consécutive ou rattachée directement » au service militaireL’armée a payé le repas, mais aucune affaire militaire n’a été exécutée pendant celui-ciLe demandeur aurait pu apporter de chez lui de quoi manger et prendre son repas à la baseIl n’a pas été blessé par un membre des forces arméesLa décision du Tribunal n’est pas déraisonnableLes faits n’indiquent pas d’une façon si claire que le Tribunal devait conclure au droit à la pension que sa décision est déraisonnable.

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) a confirmé sa décision antérieure selon laquelle le demandeur n’avait pas droit à une pension d’invalidité conformément à l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions. Après avoir soupé au restaurant parce qu’il n’y avait pas de cantine sur la base, le demandeur a été heurté par un véhicule alors qu’il traversait la rue pour retourner à la base où il était en service, et il a été grièvement blessé.

En vertu de l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions, des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces en cas d’invalidité causée par une blessure consécutive ou rattachée directement au service militaire. L’article 2 prévoit que la Loi s’interprète d’une façon libérale afin que les membres des forces qui sont devenus invalides par suite de leur service militaire soient indemnisés. En vertu de l’article 31 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), la décision de la majorité des membres du comité d’appel est définitive et exécutoire.

Le ministère des Anciens combattants a rejeté la demande de pension du demandeur pour le motif que son invalidité n’était pas causée par une blessure « consécutive ou rattachée directement » au service militaire. Un comité de révision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) a rejeté l’appel de cette décision. Un comité d’appel du Tribunal a rejeté l’appel de la décision du comité de révision du Tribunal. À l’occasion d’une nouvelle audience, le Tribunal a convenu qu’il avait commis une erreur en accordant une importance indue au fait que le demandeur n’était pas « en service » quand il a été blessé, compte tenu de la décision que la Section de première instance de la Cour fédérale a rendue dans l’affaire Ewing c. Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (Can.) et al., mais il a confirmé la décision du comité d’appel : il n’y avait pas de lien de causalité suffisant entre le service militaire du demandeur et la blessure pour que l’alinéa 21(2)a) soit respecté. Même si l’armée a payé le souper du demandeur, aucune affaire militaire n’a été exécutée pendant celui-ci.

Les questions litigieuses étaient les suivantes : 1) quelle est la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer? 2) la décision du Tribunal était-elle déraisonnable? et 3) le Tribunal a-t-il commis une erreur de droit quand il a conclu que la blessure du demandeur n’était pas « consécutive » ou « rattachée directement » au service militaire?

Jugement : la demande doit être rejetée.

1) Une analyse pragmatique ou fonctionnelle doit être appliquée pour déterminer la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer quand l’interprétation qu’un tribunal spécialisé donne à sa loi constitutive ou l’application qu’il en fait est contestée. (i) Premièrement, la Cour a examiné le libellé de la loi. Les termes « consécutive » ou « rattachée directement » ne sont pas propres au domaine juridique et peuvent être appliqués aux faits d’un cas donné d’une manière conforme au but de la loi par des personnes qui ne possèdent pas l’expertise particulière des juges. Cependant, parce qu’ils figurent dans une loi, leur signification et leur application doit être établie compte tenu de l’objet du régime législatif, qui est de faire en sorte que les demandes fassent l’objet d’une décision nécessitant un minimum de formalités, de frais et de retards. Dans ce contexte, les termes utilisés pour définir le droit à une pension montrent que, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, la décision du Tribunal devrait faire l’objet d’une retenue judiciaire considérable.

Le deuxième aspect du libellé de la loi examiné concerne la question de savoir jusqu’à quel point la loi prévoit ou interdit expressément que les décisions du Tribunal soient portées devant la Cour. L’absence d’un droit d’appel des décisions du Tribunal des anciens combattants (révision et appel), la compétence exclusive de celui-ci et les dispositions d’irrévocabilité indiquent que le législateur ne voulait pas que les décisions du Tribunal fassent l’objet d’une surveillance judiciaire rigoureuse. Cette conclusion ressort également des dispositions qui créent une série d’appels administratifs contre le rejet d’une demande de pension et du fait que les comités de révision et les comités d’appel sont expressément autorisés à examiner de nouveau leurs propres décisions. Lorsque, comme en l’espèce, le législateur a établi sur mesure un système d’appels administratifs devant un organisme administratif indépendant et au sein de celui-ci, et conféré aux tribunaux concernés le pouvoir de réexaminer les décisions qu’ils ont rendues, le recours prévu par la loi sera habituellement considéré comme étant le recours approprié. En conséquence, une cour de révision ne devrait pas intervenir à la légère dans leurs décisions.

(ii) La nature essentiellement juridictionnelle des responsabilités du Tribunal indique que son expertise est relativement limitée par comparaison à celle d’un organisme de réglementation qui possède de larges fonctions et pouvoirs en matière d’élaboration de politiques, telle une commission des valeurs mobilières. Le Tribunal est composé de membres à temps plein et de membres à temps partiel et la Loi n’exige d’eux aucune qualification particulière. Par ailleurs, les membres du Tribunal ne représentent pas des intérêts différents, i.e. le ministre ou les anciens combattants. Bien que les droits sur lesquels se prononce le Tribunal soient importants pour la personne intéressée, un refus de les accorder ne livrera pas le demandeur débouté à la misère et ne l’empêchera pas d’intenter d’autres recours (telle une action en responsabilité délictuelle contre le propriétaire du véhicule automobile qui a heurté le demandeur ou une demande fondée sur la loi provinciale sur l’indemnisation des victimes d’accidents de véhicules automobiles). Ils ne sont pas étroitement liés aux droits que garantit la Charte. L’intention du législateur au moment de la création du Tribunal doit être prise en considération. L’article 40 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) indique que le législateur a tenu compte de considérations telles que le caractère équitable, l’accessibilité, le caractère peu coûteux et la rapidité du processus décisionnel quand il a conféré au Tribunal le pouvoir de déterminer si un membre des forces armées qui s’est blessé a droit à une pension. En outre, les connaissances que les membres du tribunal acquerront du fait qu’ils se trouvent régulièrement en présence de situations de fait répétitives ainsi que du régime législatif devraient accroître la qualité de leurs décisions. Bien que les pouvoirs limités du Tribunal indiquent que le législateur voulait que la norme de contrôle se situe, sur le spectre, du côté de la décision correcte, la nature des droits en jeu et les motifs de la création du Tribunal correspondent davantage à une norme de contrôle fondée sur la retenue judiciaire.

(iii) Lorsqu’il s’agit d’une question d’« interprétation », la norme de contrôle de la décision correcte peut être appropriée parce que la décision a valeur de précédent et que les aptitudes d’interprétation d’un tribunal sont importantes pour l’obtention du « meilleur » résultat. À l’inverse, une question qui, au-delà des faits de l’espèce, a peu ou pas d’importance, sera généralement considérée comme une question d’application et fera l’objet de retenue judiciaire parce qu’une décision sur celle-ci nécessite une évaluation de ces faits; or, un tel exercice relève du domaine d’expertise du tribunal et n’exige pas la dépense des ressources de la Cour aux fins de l’établissement de la décision « correcte ». La question litigieuse, soit l’application de l’alinéa 21(2)a), est une question d’« application »

L’importance des facteurs examinés indique que le législateur a voulu qu’une norme de contrôle fondée sur la retenue judiciaire, et non une norme fondée sur la plus grande retenue judiciaire, soit appliquée. La norme de contrôle de la décision « manifestement déraisonnable » est de plus en plus appliquée aux décisions des tribunaux administratifs qui sont protégés par des clauses limitatives rigides et qui ont beaucoup plus de responsabilités de réglementation que le Tribunal qui n’exerce que des fonctions juridictionnelles. Il s’agit également de la norme appropriée quand la question litigieuse concerne des conclusions quant à des faits essentiels, y compris des conclusions tirées des éléments de preuve.

2) La décision du Tribunal n’était pas déraisonnable. Certains faits indiquaient que la blessure satisfaisait à la définition du droit à une pension aux termes de l’alinéa 21(2)a), alors que d’autres faits montraient le contraire. En vertu de la Loi sur les pensions, il doit y avoir un lien de causalité entre la blessure et l’exécution du service militaire. Les faits qui étayent la décision du Tribunal sont les suivants : les blessures du demandeur ne sont pas survenues sur la base et n’ont pas été infligées par un autre membre des forces armées; le demandeur n’était pas tenu de manger dans un restaurant en particulier, et il n’était pas du tout obligé d’aller au restaurant parce qu’il aurait pu apporter de chez lui de quoi manger. Compte tenu des prescriptions de la loi selon lesquelles celle-ci doit être interprétée largement, la décision qui s’en est suivie n’était pas « déraisonnable ». Eu égard à l’exigence selon laquelle la blessure doit être « consécutive ou rattachée directement » au service militaire du demandeur, les faits que le Tribunal a pris en considération n’indiquent pas d’une façon si claire que le Tribunal devait conclure au droit à la pension que sa décision de refuser la pension est déraisonnable.

Une contradiction avec des décisions antérieures du Tribunal n’est généralement pas un motif indépendant de contrôle judiciaire. Même s’il aurait été souhaitable que le Tribunal traite des décisions dans lesquelles il a donné gain de cause aux demandeurs eu égard à des faits fort semblables, il n’était pas légalement obligé de le faire. Quand le Tribunal rend une décision qui est essentiellement fondée sur les faits de l’affaire dont il est saisi, il serait irréaliste de s’attendre à ce qu’il fasse dans ses motifs une analyse des causes reposant sur des faits semblables et, compte tenu des considérations dont les grandes lignes ont été exposées précédemment, la nécessité d’éviter un processus décisionnel arbitraire ne l’exige pas.

3) Le demandeur a allégué que, compte tenu du fait que le Tribunal a renvoyé aux nombreux antécédents juridiques de l’expression « consécutive ou rattachée directement » et qu’il est remonté à l’une des premières lois britanniques sur les accidents du travail, on pouvait conclure que le Tribunal n’avait pas envisagé l’application de l’alinéa 21(2)a) dans le contexte très différent de la Loi sur les pensions. Le demandeur a soutenu que les pensions sont payables que la blessure ait entraîné une perte de revenu ou non. Cet argument pose deux difficultés. L’article 2 de la Loi sur les pensions prévoit une obligation d’indemniser les membres des forces armées qui sont devenus invalides par suite de leur service militaire. En outre, compte tenu des motifs de sa décision, le Tribunal n’a pas de façon inopportune envisagé la loi sous un angle strictement compensatoire. Le Tribunal n’a pas conclu que le demandeur avait subi une perte de capacité de gagner un revenu par suite de sa blessure. On ne peut pas conclure que le Tribunal n’a pas interprété l’expression pertinente dans le contexte de la Loi sur les pensions.

Le demandeur a soutenu que le Tribunal avait mal interprété la Loi sur les pensions parce qu’il avait introduit des termes qui ne figuraient pas dans le texte même de la Loi, à savoir la distinction entre une « cause contributive » et le « contexte ». Le Tribunal a affirmé que la survenance de la blessure du demandeur durant un jour de travail ne fournissait pas un lien de causalité suffisant pour qu’il s’agisse d’une blessure au sens de l’alinéa 21(2)a); la survenance de la blessure pendant un jour de travail constituait simplement le « contexte » et non une « cause contributive ». Bien que ces termes ne figurent pas dans la loi, l’expression « rattachée directement » exigeait que le Tribunal examine la solidité du lien de causalité entre la blessure et le service militaire du demandeur. En mettant en contraste la « cause contributive » avec le « contexte », le Tribunal distinguait les liens de causalité plus forts des liens de causalité plus faibles susceptibles d’exister entre la blessure et l’exécution du service militaire. Comme le fait que le demandeur était au service de l’armée quand il s’est blessé ne suffit pas, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit dans sa compréhension du critère prévu par la loi.

Enfin, le demandeur a prétendu que le Tribunal n’avait pas tenu compte des prescriptions de la loi selon lesquelles celle-ci devrait être interprétée largement et que les demandeurs devraient bénéficier du doute raisonnable. Le Tribunal a affirmé dans l’introduction de sa décision initiale qu’il avait tenu compte de ces dispositions pour parvenir à sa décision. On peut difficilement affirmer que le Tribunal n’a pas pris en considération un point dont il a dit avoir tenu compte. L’objection véritable est que le Tribunal n’a pas accordé une importance suffisante aux prescriptions de la loi. Il s’agit d’une question d’application plutôt que d’une question d’interprétation, qui est assujettie à la norme de contrôle relative au caractère déraisonnable de la décision. La conclusion du Tribunal n’était ni déraisonnable ni manifestement erronée.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 15.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1(4)c) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, ch. 18, art. 3, 4, 19 (mod. par L.C. 1999, ch. 10, art. 38), 23(1), 25, 26, 31, 32(1), 39, 40.

Loi sur les pensions, L.R.C. (1985), ch. P-6, art. 2, 21(2)a) (mod. par L.C. 1990, ch. 43, art. 8), (3) (mod., idem).

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 174 D.L.R. (4th) 193 (C.S.C.).

DISTINCTION FAITE D’AVEC :

Page c. Canada (Tribunal d’appel des anciens combattants) (1994), 5 C.C.P.B. 75; 82 F.T.R. 115 (C.F. 1re inst.); Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 43 Imm. L.R. (2d) 117; 226 N.R. 201; Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554; (1993), 100 D.L.R. (4th) 658; 13 Admin. L.R. (2d) 1; 46 C.C.E.L. 1; 17 C.H.R.R. D/349; 93 CLLC 17,006; 149 N.R. 1; Brown, VAB/E-12014, jugement en date du 15-3-95.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Ewing c. Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (Can.) et al. (1998), 137 F.T.R. 298 (C.F. 1re inst.); Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; (1997), 144 D.L.R. (4th) 1; 71 C.P.R. (3d) 417; 209 N.R. 20; conf. (1995), 127 D.L.R. (4th) 329; 21 B.L.R. (2d) 68; 63 C.P.R. (3d) 67; 185 N.R. 291 (C.A.).

DÉCISIONS CITÉES :

National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324; (1990), 74 D.L.R. (4th) 449; 45 Admin. L.R. 161; 114 N.R. 81; Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557; (1994), 114 D.L.R. (4th) 385; [1994] 7 W.W.R. 1; 22 Admin. L.R. (2d) 1; 46 B.C.A.C. 1; 92 B.C.L.R. (2d) 145; 14 B.L.R. (2d) 217; 4 C.C.L.S. 117; 168 N.R. 321; 75 W.A.C. 1; Domtar Inc. c. Québec (Commission d’appel en matière de lésions professionnelles), [1993] 2 R.C.S. 756; (1993), 105 D.L.R. (4th) 385; 15 Admin. L.R. (2d) 1; 49 C.C.E.L. 1; 154 N.R. 104; 55 Q.A.C. 241; Dayco (Canada) Ltd. c. TCA-Canada, [1993] 2 R.C.S. 230; (1993), 102 D.L.R. (4th) 609; 14 Admin. L.R. (2d) 1; 93 CLLC 14,032; 152 N.R. 1; 63 O.A.C. 1; MacDonald c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 346 (1re inst.) (QL); Weare c. Canada (Procureur général) (1998), 153 F.T.R. 75 (C.F. 1re inst.); Hall c. Canada (Procureur général) (1998), 152 F.T.R. 58 (C.F. 1re inst.); Henderson c. Canada (Procureur général) (1998), 144 F.T.R. 71 (C.F. 1re inst.); Galbraith, VAB/E-122, jugement en date du 13-9-88; British Columbia Telephone Co. c. Shaw Cable Systems (B.C.) Ltd., [1995] 2 R.C.S. 739; (1995), 125 D.L.R. (4th) 443; 31 Admin. L.R. (2d) 169; 183 N.R. 184.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) a confirmé sa décision antérieure selon laquelle le demandeur, qui a été blessé alors qu’il traversait la rue pour retourner à la base des forces armées (où il était en service) à la suite d’un souper au restaurant, n’avait pas droit à une pension d’invalidité conformément à l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions parce son invalidité n’était pas causée par une blessure « consécutive ou rattachée directement » au service militaire. Demande rejetée.

ONT COMPARU :

Thomas H. Wilson pour le demandeur.

Derek Edwards pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Thomas H. Wilson, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Evans :

A.        INTRODUCTION

[1]        L’adjudant-maître Ronald William McTague devait faire une longue journée de travail au manège militaire de Fort York à Toronto le 10 novembre 1992. Il s’est présenté au travail à 7 h 30 et devait donner une formation aux recrues sur l’utilisation de l’équipement jusqu’à 23 h 30 ce soir-là.

[2]        À environ 18 h 00, le demandeur et d’autres sous-officiers sont allés souper dans un restaurant local parce qu’il n’y avait pas de cantine sur la base; autrement dit, contrairement à la plupart des autres établissements militaires, il n’y avait pas d’endroit où aller manger. Reconnaissant l’absence de cette installation de règle, l’armée a accepté de rembourser à l’adjm McTague le coût de son souper.

[3]        Alors qu’il traversait la rue pour retourner à la base, il a été heurté par un véhicule et grièvement blessé.

[4]        La demande de pension que l’adjm McTague a déposée par la suite a été rejetée pour le motif qu’il ne souffrait pas d’une invalidité causée par une blessure qui, suivant les termes utilisés dans la disposition législative pertinente, est « consécutive ou rattachée directement » au service militaire.

[5]        L’adjm McTague a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) a confirmé sa décision antérieure selon laquelle le demandeur n’avait pas droit à une pension d’invalidité. Son avocat a soutenu que le Tribunal a commis une erreur de droit quand il a conclu que, compte tenu des faits de l’espèce, la blessure du demandeur n’était pas « consécutive » ou « rattachée directement » au service militaire, et que la décision du Tribunal devrait donc être annulée.

[6]        Il avait également prétendu devant le Tribunal que la blessure était visée par l’une des situations précises mentionnées au paragraphe 21(3) [mod. par L.C. 1990, ch. 43, art. 8] de la Loi sur les pensions [L.R.C. (1985), ch. P-6], où une blessure est réputée être consécutive ou rattachée directement au service militaire. Le Tribunal n’a pas mentionné cet aspect de la demande.

[7]        Bien que l’avocat du demandeur ait soulevé cette omission dans son exposé des faits et du droit, il n’a pas sérieusement plaidé qu’elle invalidait la conclusion du Tribunal. Ni dans ses observations écrites ni dans sa plaidoirie l’avocat ne m’a-t-il pressé de conclure que le Tribunal avait commis une erreur de droit en ne concluant pas que la blessure du demandeur était visée par l’une des situations qui, en vertu du paragraphe 21(3), sont réputées donner droit à une pension conformément à l’alinéa 21(2)a) [mod. par L.C. 1990, ch. 43, art. 8].

[8]        Dans ces circonstances, je rejette toute allégation suivant laquelle les motifs du Tribunal sont mal fondés en droit du fait qu’il ne s’est pas penché sur cette question. Compte tenu de la manière dont l’avocat du demandeur a structuré son argumentation en l’espèce, je conclus qu’il a considéré l’argument relatif au paragraphe 21(3) comme étant de nature relativement mineure. En fait, l’ayant moi-même examiné, je ne pense pas que l’argument était solide.

B.        LE CADRE LÉGISLATIF

[9]        Les dispositions suivantes de la Loi sur les pensions, L.R.C. (1985), ch. P-6 sont pertinentes quant à la présente demande :

2. Les dispositions de la présente loi s’interprètent d’une façon libérale afin de donner effet à l’obligation reconnue du peuple canadien et du gouvernement du Canada d’indemniser les membres des forces qui sont devenus invalides ou sont décédés par suite de leur service militaire, ainsi que les personnes à leur charge.

[…]

21. (2) […]

a) des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l’annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d’invalidité causée par une blessure ou maladie—ou son aggravation—consécutive ou rattachée directement au service militaire; [Soulignement ajouté.]

[10]      Les dispositions suivantes de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, ch. 18, sont également pertinentes quant à la présente demande :

3. Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s’interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l’égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

[…]

31. La décision de la majorité des membres du comité d’appel vaut décision du Tribunal; elle est définitive et exécutoire.

[…]

39. Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

[…]

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande. [Soulignement ajouté.]

C.        LA DÉCISION DU TRIBUNAL

[11]      Le ministère des Anciens combattants a à l’origine rejeté la demande du demandeur et un comité de révision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) a rejeté l’appel de cette décision. Les faits principaux se rapportant à la cause et à l’étendue de la blessure du demandeur, ou aux circonstances dans lesquelles elle s’est produite, n’ont pas été contestés. Toutefois, on a conclu que ces faits ne satisfaisaient pas au critère que prévoit la loi quant au droit à la pension.

[12]      Dans une décision en date du 13 août 1997, un comité d’appel du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) a rejeté l’appel de la décision du comité de révision du Tribunal, quant au droit à la pension. Le demandeur a demandé au Tribunal de tenir une nouvelle audience compte tenu de la décision que la Cour a rendue subséquemment dans Ewing c. Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (Can.) et al. (1998), 137 F.T.R. 298 (C.F. 1re inst.). Dans cette affaire, on a conclu que le Tribunal avait mal interprété l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions pour refuser une pension au motif que le demandeur n’était pas « en service » quand il s’est blessé. Le juge Gibson a affirmé qu’une blessure pouvait être « consécutive » ou « rattachée directement » au service militaire au sens de l’alinéa 21(2)a), même si le demandeur n’était pas à ce moment-là « en service » pour d’autres fins militaires.

[13]      Dans sa décision du 1er avril 1998, le Tribunal a convenu avec l’avocat du demandeur que ses motifs étaient mal fondés parce que, compte tenu de la décision que le juge Gibson a rendue dans Ewing, ceux-ci accordaient une importance indue au fait que l’adjm McTague n’était pas « en service » quand il a été heurté par le véhicule alors qu’il retournait à la base à la suite de son souper. La question de savoir si le demandeur était « en service » au moment où il a subi la blessure était tout simplement un des facteurs dont il fallait tenir compte.

[14]      Néanmoins, le Tribunal a confirmé la décision du comité d’appel : il n’y avait pas de lien de causalité suffisant entre le service militaire du demandeur et la blessure pour que l’alinéa 21(2)a) soit respecté. Même si le souper était payé par l’armée, il ne s’agissait pas d’une occasion où il exécutait une affaire militaire, et le demandeur et ses collègues choisissaient librement où aller manger.

[15]      Cette deuxième décision du Tribunal fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. Toutefois, l’avocat du demandeur a soutenu que, afin de mieux comprendre l’analyse du Tribunal, je devrais lire conjointement les motifs que ce dernier a formulés quant à la décision soumise au présent contrôle judiciaire et ceux qu’il a exprimés relativement à sa décision initiale, à l’exception, bien entendu, de la partie de ses motifs initiaux qu’il a, par la suite, désavouée.

D.        QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE

1.         La norme de contrôle

[16]      L’avocat du demandeur a prétendu que, comme aucun fait principal n’était contesté en l’espèce, le litige était centré sur des questions de droit. En vertu de l’alinéa 18.1(4)c) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, la Cour a le pouvoir d’annuler une décision d’un tribunal fédéral, tel que le Tribunal, s’il a commis une erreur de droit en rendant sa décision. En conséquence, il incombe à la Cour de déterminer elle-même si la blessure du demandeur est « consécutive » ou « rattachée directement » au service militaire, et si elle conclut que c’est le cas, elle devrait annuler la décision du Tribunal au motif que celle-ci est erronée en droit.

[17]      L’avocat du procureur général a soutenu par ailleurs que la Cour devait faire preuve d’une certaine retenue judiciaire à l’égard de la façon dont le Tribunal a interprété et appliqué la Loi sur les pensions, en particulier si l’on tient compte de la disposition législative selon laquelle les décisions du Tribunal sont « définitives et exécutoires » (Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), article 31), et que le Tribunal a compétence exclusive pour statuer sur toute question connexe à un appel (article 26). En conséquence, il a prétendu que la décision du Tribunal n’était mal fondée en droit que si elle était manifestement déraisonnable : National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324; Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557.

[18]      L’avocat du demandeur a paru soutenir que la compétence de la Cour d’annuler la décision d’un tribunal administratif fédéral au motif que celui-ci a commis une erreur de droit lui donne le pouvoir de contrôler judiciairement toute décision du tribunal qui se rapporte à une question de droit en lui appliquant la norme de la décision correcte. Avec égards, cet argument est mal fondé en droit. En fait, il est tout à fait contraire à l’analyse pragmatique ou fonctionnelle que la Cour suprême du Canada a établie depuis le milieu des années 1980 afin de déterminer la norme de contrôle que le législateur devrait être considéré avoir prescrit implicitement quand l’interprétation qu’un tribunal spécialisé donne à sa loi constitutive ou l’application qu’il en fait est contestée dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire.

[19]      La recherche de l’intention du législateur dans ce contexte consiste au fond à dégager une façon rationnelle de répartir entre le tribunal spécialisé et la cour de révision la responsabilité de prendre des décisions. Une évaluation quant à savoir qui du tribunal ou de la cour de révision est le plus en mesure de décider des questions en litige constitue un élément important de cette recherche : Domtar Inc. c. Québec (Commission d’appel en matière de lésions professionnelles), [1993] 2 R.C.S. 756.

[20]      La préoccupation selon laquelle l’administration du régime législatif ne devrait pas être encombrée de litiges coûteux et prolongés est également importante. Dans l’administration publique, on ne peut pas envisager la qualité dans l’abstrait sans tenir compte des coûts qui y sont associés ni des incidences pour le système dont les ressources sont limitées. Par conséquent, même si une cour de révision pouvait de façon concevable rendre une « meilleure » décision que le tribunal dont la décision fait l’objet du contrôle judiciaire, on peut considérer que le législateur préfère néanmoins les avantages liés au caractère définitif, expéditif et relativement peu coûteux du processus décisionnel administratif.

[21]      Je me penche maintenant sur les éléments de la méthode d’analyse pragmatique ou fonctionnelle qui est applicable en l’espèce, en vue de déterminer la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer.

a)         le libellé de la loi

[22]      Deux questions doivent faire l’objet d’un examen en l’espèce : le libellé de la définition que prévoit la loi quant au droit à une pension du fait d’une invalidité et les dispositions relatives au contrôle judiciaire des décisions administratives qui donnent suite à des demandes de pension.

[23]      Les termes de la Loi sur les pensions qui sont pertinents en l’espèce portent que la blessure du demandeur doit être « consécutive » ou « rattachée directement » au service militaire. Ces termes ne sont pas propres au domaine juridique et peuvent être appliqués aux faits d’un cas donné d’une manière conforme au but de la loi par des personnes qui ne possèdent pas l’expertise particulière des juges.

[24]      Généralement, on exige plutôt que le décideur évalue les faits de l’affaire dont il est saisi d’une façon prudente et impartiale, en tenant compte de son expérience quant au régime législatif ou des motifs des décisions que ses collègues ont rendues dans des litiges semblables.

[25]      Cependant, parce qu’ils figurent dans une loi, même des mots non limitatifs qui sont courants dans la langue de tous les jours ont une signification juridique. Leur signification et leur application doit donc être établie compte tenu de l’objet du régime législatif particulier dans lequel ils sont utilisés. En outre, les mots en cause dans la présente affaire sont susceptibles d’évoquer des concepts bien connus des avocats d’autres contextes juridiques, notamment le droit de la responsabilité du fait d’autrui et le droit de l’indemnisation des accidents du travail.

[26]      À mon avis, eu égard au contexte, qui consiste en un régime législatif destiné à faire en sorte que les demandes fassent l’objet d’une décision nécessitant un minimum de formalités, de frais et de retards (voir, à titre d’exemple, l’article 40 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), les termes utilisés pour définir le droit à une pension montrent que, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, la décision du Tribunal devrait faire l’objet d’une retenue judiciaire considérable.

[27]      Le deuxième aspect du libellé de la loi qui doit être examiné concerne la question de savoir jusqu’à quel point la loi prévoit ou interdit expressément que les décisions du Tribunal soient portées devant la Cour. L’absence d’un droit d’appel des décisions du Tribunal des anciens combattants (révision et appel), la compétence exclusive de celui-ci et les dispositions d’irrévocabilité (articles 26 et 31 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel)) indiquent que le législateur ne voulait pas que les décisions du Tribunal fassent l’objet d’une surveillance judiciaire rigoureuse.

[28]      Cette conclusion ressort également des dispositions qui créent une série d’appels administratifs contre le rejet d’une demande de pension : appel des décisions du ministère des Anciens combattants devant le comité de révision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), article 19 [mod. par L.C. 1999, ch. 10, art. 38]) et appel des décisions du comité de révision devant le comité d’appel du Tribunal (articles 25 et 26). En outre, les comités de révision et les comités d’appel sont expressément autorisés à examiner de nouveau leurs propres décisions (paragraphes 23(1) et 32(1)).

[29]      Lorsque, comme en l’espèce, le législateur a établi sur mesure un système d’appels administratifs devant un organisme administratif indépendant et au sein de celui-ci, et conféré aux tribunaux concernés le pouvoir de réexaminer les décisions qu’ils ont rendues, le recours prévu par la loi sera habituellement considéré comme étant le recours approprié. En conséquence, une cour de révision ne devrait pas intervenir à la légère dans leurs décisions.

[30]      Pour déterminer dans quelle mesure précise une disposition d’irrévocabilité interdit ou limite le contrôle judiciaire, il faut tenir compte du contexte du régime législatif particulier dans lequel cette disposition figure (Dayco (Canada) Ltd. c. TCA-Canada, [1993] 2 R.C.S. 230). À mon avis, les dispositions examinées précédemment indiquent avec force que le législateur voulait que la Cour fasse preuve d’une retenue considérable à l’égard des décisions du Tribunal quand celles-ci sont contestées dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.

b)         l’organe décisionnel prévu par la loi et ses décisions

[31]      Un éventail de considérations sont pertinentes dans cette rubrique concise. Premièrement, le degré d’expertise du tribunal administratif doit être évalué. La nature essentiellement juridictionnelle des responsabilités du Tribunal indique que son expertise devrait être considérée comme étant relativement limitée (Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, à la page 1018) par comparaison, par exemple, à celle d’un organisme de réglementation qui possède de larges fonctions et pouvoirs en matière d’élaboration de politiques, telle une commission des valeurs mobilières (Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), précité).

[32]      En outre, la loi prévoit que le Tribunal est composé de membres à temps plein et de membres à temps partiel (article 4) et n’exige d’eux aucune qualification particulière. Au surplus, contrairement à de nombreux tribunaux « tripartites » appelés à statuer sur des litiges entre employeurs et employés (y compris les tribunaux d’indemnisation des accidents du travail dans certains ressorts), le Tribunal n’a pas, aux termes de la loi, à être composé de personnes nommées par le ministre, d’une part, et de représentants des anciens combattants (par exemple), d’autre part.

[33]      Deuxièmement, la nature des droits sur lesquels se prononce le Tribunal est également pertinente. Une pension d’invalidité est sans aucun doute d’une grande importance pour la personne intéressée, mais un refus de l’accorder n’est normalement pas susceptible de livrer le demandeur débouté à la misère, ni de l’empêcher d’intenter d’autres recours, telle, en l’espèce, une action en responsabilité délictuelle contre le propriétaire du véhicule qui a heurté l’adjm McTague ou une demande fondée sur la loi provinciale sur l’indemnisation des victimes d’accidents de véhicules automobiles.

[34]      À mon avis, les droits en cause en l’espèce ne sont pas de la même importance que le droit d’être reconnu comme réfugié (Pushpanathan, précité), ou celui de ne faire l’objet d’aucune discrimination (Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554). Les droits d’origine législative qui étaient en cause dans ces affaires étaient étroitement liés aux droits que garantissent respectivement les articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]].

[35]      Troisièmement, l’intention du législateur au moment de la création du tribunal en cause doit également être prise en considération. L’administration de programmes de prestations sociales, en particulier après que le premier palier a rendu sa décision, est généralement confiée à des tribunaux administratifs indépendants et spécialisés afin d’assurer un processus décisionnel équitable, accessible, peu coûteux et rapide.

[36]      En fait, l’article 40 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) indique que le législateur a tenu compte de ces considérations quand il a conféré à des tribunaux administratifs spécialisés le pouvoir de déterminer si un membre des forces armées qui s’est blessé a droit à une pension. En outre, bien entendu, les connaissances que les membres du tribunal acquerront du fait qu’ils se trouvent régulièrement en présence de situations de fait répétitives ainsi que du régime législatif devraient accroître la qualité de leurs décisions.

[37]      En bref, bien que les pouvoirs limités du Tribunal indiquent que le législateur voulait que la norme de contrôle se situe, sur le spectre, du côté de la décision correcte, la nature des droits en jeu et les motifs de la création du Tribunal correspondent davantage à une norme de contrôle fondée sur la retenue judiciaire.

c)         les questions litigieuses

[38]      Comme je l’ai déjà mentionné, les faits principaux en l’espèce ne sont pas contestés. Il s’agit principalement de déterminer si l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions s’applique à ces faits : en particulier, il faut se demander si la blessure de l’adjm McTague est « consécutive ou rattachée directement » au service militaire au sens de la loi.

[39]      En outre, l’avocat du demandeur a soutenu que, en se servant de termes qui ne figurent pas dans la loi pour parvenir à sa décision, le Tribunal [traduction] « s’est posé la mauvaise question » ou, en d’autres termes, a mal interprété la Loi. L’avocat a également prétendu que le Tribunal avait commis une erreur de droit parce qu’il n’avait pas appliqué la prescription de la loi selon laquelle il convient d’interpréter la loi de façon large et de tirer des éléments de preuve et de toutes les circonstances de la cause les conclusions les plus favorables possible au demandeur.

[40]      Il est possible de faire une distinction conceptuelle entre l’interprétation et l’application d’une loi, mais, en réalité, comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, les [traduction] « pures » questions d’interprétation tendent à se fondre imperceptiblement dans les demandes [traduction] « reposant sur des faits qui leur sont propres ».

[41]      Le fait qu’il s’agisse d’une question d’« interprétation » indique que la norme de contrôle de la décision correcte est appropriée parce que la décision a valeur de précédent et que les aptitudes d’interprétation d’un tribunal sont importantes pour l’obtention du « meilleur » résultat. À l’inverse, une question qui, au-delà des faits de l’espèce, a peu ou pas d’importance, sera généralement considérée comme une question d’application et fera l’objet de retenue judiciaire parce qu’une décision sur celle-ci nécessite une évaluation de ces faits; or, un tel exercice relève du domaine d’expertise du tribunal et n’exige pas la dépense des ressources de la Cour aux fins de l’établissement de la décision « correcte ».

[42]      Bien que, dans l’exercice de son art, l’avocat doit faire ressortir de la décision du tribunal des « questions générales » dont l’importance transcende les faits de l’espèce, une cour de révision, à mon avis, devrait normalement s’opposer à ce que les avocats fassent appel à des « principes » lorsque, comme en l’espèce, le libellé de la loi en cause est relativement non limitatif et de nature non technique, et qu’il invite donc le tribunal à décider de quel côté d’une ligne imprécise les faits d’une cause donnée se situent.

[43]      « Légaliser » le processus en morcelant en une série de questions d’« interprétation » ce qui devrait constituer un exercice d’évaluation de la situation factuelle dans son ensemble me semble susceptible de contrecarrer l’intention du législateur selon laquelle les tribunaux administratifs appelés à se prononcer sur le droit à une pension devraient avoir un processus décisionnel accessible, informel, rentable et rapide.

[44]      À mon avis, les questions litigieuses en l’espèce sont des questions d’« application ». Le recours du demandeur se fonde essentiellement sur l’importance insuffisante accordée par le Tribunal au fait qu’au cours d’une longue journée de travail, l’adjm McTague a été obligé de sortir pour souper parce qu’il n’y avait pas de services de restaurant sur la base, ce que l’armée a reconnu quand elle a accepté de lui rembourser son souper. Accorder une importance appropriée aux faits pertinents constitue un exercice de jugement pour lequel le Tribunal est au moins aussi bien préparé qu’une cour de révision. Une norme de contrôle fondée sur la retenue judiciaire est donc indiquée vu la nature des questions litigieuses en l’espèce.

[45]      L’allégation du demandeur selon laquelle le Tribunal a commis une erreur de droit parce qu’il ne lui a pas accordé le bénéfice du doute et qu’il n’a pas interprété la loi d’une façon large et libérale devrait être prise en compte lorsqu’il s’agira de déterminer si la décision du Tribunal ne satisfait pas à la norme relative au caractère raisonnable de la décision.

[46]      Enfin, je devrais noter que la Cour a bien établi que la norme de la décision manifestement déraisonnable, qui est moins exigeante, est applicable lorsque la question litigieuse concerne l’évaluation ou l’interprétation par le Tribunal d’éléments de preuve médicaux souvent contradictoires ou peu concluants et la conclusion qu’il en a tiré quant à savoir si l’invalidité du demandeur a été en fait causée ou aggravée par le service militaire : MacDonald c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 346 (1re inst.) (QL); Weare c. Canada (Procureur général) (1998), 153 F.T.R. 75 (C.F. 1re inst.); Hall c. Canada (Procureur général) (1998), 152 F.T.R. 58 (C.F. 1re inst.); Henderson c. Canada (Procureur général) (1998), 144 F.T.R. 71 (C.F. 1re inst.).

[47]      De telles décisions touchant les faits se situent au cœur même de la compétence spécialisée du Tribunal. Compte tenu de considérations de rentabilité et de compétence institutionnelle relative, les conclusions de fait doivent faire l’objet de la plus grande retenue judiciaire.

d)         la conclusion

[48]      L’importance des facteurs examinés précédemment dans le cadre de l’analyse pragmatique ou fonctionnelle indique qu’en l’espèce, on devrait considérer que le législateur a prescrit une norme de contrôle fondée sur la retenue judiciaire. Toutefois, ces facteurs ne montrent pas que la norme fondée sur la plus grande retenue judiciaire devrait être appliquée. La norme de contrôle de la décision « manifestement déraisonnable » semble de plus en plus réservée aux décisions des organismes administratifs qui sont protégés par des clauses limitatives rigides et qui ont beaucoup plus de responsabilités de réglementation que le Tribunal qui n’exerce que des fonctions juridictionnelles. Il s’agit également de la norme appropriée, comme je l’ai indiqué précédemment, quand la question litigieuse concerne des conclusions quant à des faits essentiels, y compris des conclusions tirées des éléments de preuve.

2.         La décision du Tribunal était-elle « déraisonnable »?

[49]      À mon avis, elle ne l’était pas. Le Tribunal était en présence d’un exemple classique d’une situation de fait se trouvant dans la « zone grise » du texte législatif pertinent : certains faits indiquaient que la blessure satisfaisait à la définition du droit à une pension aux termes de l’alinéa 21(2)a) de la Loi sur les pensions, alors que d’autres faits montraient le contraire.

[50]      Les faits suivants étayent la demande de l’adjm McTague : il s’est blessé au cours d’une pause régulière qu’il a prise dans l’exercice de ses fonctions militaires; il était tout à fait prévisible qu’il sortirait pour le souper parce qu’il n’y avait aucun service de restaurant à la base et qu’il pouvait se faire heurter par un véhicule en traversant la rue alors qu’il se rendait au restaurant ou qu’il en revenait; et l’armée a reconnu et appuyé la décision du demandeur de sortir pour le souper en lui remboursant son repas.

[51]      Cependant, en vertu de la Loi sur les pensions, un membre des forces armées n’a pas droit à une pension du simple fait qu’il se blesse pendant qu’il est au service des forces armées. Il doit y avoir un lien de causalité entre la blessure et l’exécution du service militaire. En conséquence, certains des faits étayent la décision du Tribunal selon laquelle le demandeur n’avait pas droit à une pension conformément au critère prévu par la loi.

[52]      Par exemple, ses blessures ne sont pas survenues sur la base et n’ont pas été infligées par un autre membre des forces armées. L’adjm McTague n’était pas tenu de manger dans un restaurant en particulier, et il n’était pas du tout obligé d’aller au restaurant parce qu’il aurait pu apporter de chez lui de quoi manger. Contrairement à la situation peu commune examinée dans Page c. Canada (Tribunal d’appel des anciens combattants) (1994), 5 C.C.P.B. 75 (C.F. 1re inst.), le souper n’avait aucune fin [traduction] « d’affaires », si ce n’est que de donner des forces au demandeur avant la reprise de ses activités militaires.

[53]      Pour déterminer si cette conclusion était déraisonnable, je dois également tenir compte du fait que, dans la Loi sur les pensions, le législateur prévoit que la loi doit être interprétée largement afin de permettre au Canada de s’acquitter de son obligation d’indemniser les membres des forces armées qui sont devenus invalides par suite de leur service militaire et que les conclusions les plus favorables possible aux demandeurs doivent être tirées des éléments de preuve. Le libellé semblable, mais non identique, de l’article 3 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) doit également être examiné.

[54]      Même en tenant compte de ces considérations (ce que le Tribunal, dans ses motifs, affirme avoir fait), la décision qui s’en est suivie n’était pas « déraisonnable » : elle résistera à l’« examen assez poussé » exigé dans l’arrêt Southam Inc., précité, à la page 776. Compte tenu de l’exigence selon laquelle la blessure doit être « consécutive ou rattachée directement » au service militaire du demandeur, les faits que le Tribunal a pris en considération n’indiquent pas d’une façon si claire que le Tribunal devait conclure au droit à la pension que sa décision de refuser la pension doit être considérée comme déraisonnable.

[55]      L’avocat du demandeur a également invoqué des décisions antérieures du Tribunal. À titre d’exemple, il a prétendu que, dans les décisions Galbraith (VAB/E-122; 13 septembre 1988) et Brown (VAB/E-12014; 15 mars 1995), le Tribunal a donné gain de cause aux demandeurs eu égard à des faits fort semblables aux faits de l’espèce. Toutefois, une contradiction dans la jurisprudence n’est généralement pas un motif indépendant de contrôle judiciaire : Domtar Inc., précité; British Columbia Telephone Co. c. Shaw Cable Systems (B.C.) Ltd., [1995] 2 R.C.S. 739.

[56]      L’avocat du demandeur a également soutenu que le Tribunal était à tout le moins obligé d’expliquer dans ses motifs pourquoi il avait tiré une conclusion différente de celle à laquelle il était parvenu dans les causes antérieures. En l’absence de cette obligation, a-t-il prétendu, le Tribunal serait autorisé à adopter un processus décisionnel sans scrupules et arbitraire, et il n’y aurait aucun moyen adéquat pour veiller au respect de son obligation de rendre compte.

[57]      Il aurait sans doute été souhaitable que le Tribunal traite de ces décisions mais, à mon avis, il n’était pas légalement obligé de le faire. Des tribunaux différents peuvent toujours parvenir à des conclusions différentes quant à savoir de quel côté d’une ligne imprécise se situent des faits semblables. Au surplus, il n’y a pas deux situations de fait qui soient identiques : par exemple, dans Brown, la partie demanderesse avait été blessée par un autre soldat, apparemment alors qu’ils se trouvaient sur les lieux militaires.

[58]      Dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 174 D.L.R. (4th) 193, la Cour suprême nous a récemment rappelé que, lors de l’évaluation du bien-fondé des motifs d’un tribunal, les cours de révision devraient examiner le contexte du processus décisionnel administratif dans son ensemble et veiller à ne pas établir une norme trop élevée par crainte d’alourdir indûment la bonne administration du régime législatif.

[59]      Quand le Tribunal rend une décision qui est essentiellement fondée sur les faits de l’affaire dont il est saisi, il serait irréaliste de s’attendre à ce qu’il fasse dans ses motifs une analyse des causes reposant sur des faits semblables qui ont été invoquées par l’avocat et, compte tenu des considérations dont les grandes lignes ont été exposées précédemment, la nécessité d’éviter un processus décisionnel arbitraire ne l’exige pas.

3.         Le Tribunal a-t-il mal interprété la loi?

[60]      L’avocat du demandeur a prétendu que la décision du Tribunal était déficiente sur le plan juridique parce qu’il ressortait des motifs de celle-ci que le Tribunal avait mal interprété l’expression « consécutive ou rattachée directement » au service militaire, qui est contenue dans la loi.

[61]      Premièrement, il a allégué que, compte tenu du renvoi dans les motifs de la décision du Tribunal au fait que l’expression en question avait de nombreux antécédents juridiques, notamment sa première apparition dans la loi britannique sur les accidents du travail, on pouvait conclure que le Tribunal n’avait pas envisagé son application conformément au contexte très différent de la Loi sur les pensions.

[62]      Contrairement aux lois sur les accidents du travail, les pensions visées à la Loi sur les pensions sont payables que la blessure du demandeur ait entraîné une perte de revenu ou non. Comme l’indiquent clairement l’article 2 de la Loi sur les pensions et l’article 3 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), les dispositions relatives au droit à la pension doivent plutôt être interprétées largement parce qu’elles constituent une reconnaissance législative de la dette qu’a le pays envers les hommes et les femmes qui ont accepté volontiers de mettre leur vie et leur intégrité physique en danger pour servir leur pays, et de subir les autres inconvénients liés à la carrière militaire.

[63]      Toutefois, cet argument pose deux difficultés. Malgré le caractère libéral de son libellé, l’article 2 de la Loi sur les pensions prévoit une obligation d’indemniser les membres des forces armées qui sont devenus invalides par suite de leur service militaire. Toutefois, l’article 3 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), qui est une disposition semblable, ne le fait pas.

[64]      En outre, compte tenu des motifs de sa décision, le Tribunal n’a pas de façon inopportune envisagé la loi sous un angle strictement compensatoire. Nulle part le Tribunal n’a-t-il dit si l’adjm McTague avait subi une perte de capacité de gagner un revenu par suite de sa blessure. Il a affirmé ce qui suit :

[traduction] Il appert que les décisions canadiennes en matière d’indemnisation (travailleurs et anciens combattants) quant aux blessures subies pendant les pauses repas présentent un commun dénominateur : l’emploi ou le service doit avoir constitué une « cause contributive » et non seulement le contexte dans lequel l’événement est survenu. [Tribunal des anciens combattants (révision et appel), décision no 6965033, 1er avril 1998, à la page 2.]

[65]      Cela ne me permet pas de conclure que le Tribunal n’a pas interprété l’expression pertinente dans le contexte de la Loi sur les pensions. Il avait déjà souligné que cette expression figurait également dans la loi australienne sur les anciens combattants.

[66]      Deuxièmement, l’avocat du demandeur a soutenu que le Tribunal avait mal interprété la Loi sur les pensions parce qu’il avait introduit des termes qui ne figuraient pas dans le texte même de la loi, à savoir la distinction entre une « cause contributive » et le « contexte ». En particulier, il a affirmé dans ses motifs que la survenance de la blessure du demandeur durant un jour de travail ne fournissait pas un lien de causalité suffisant pour qu’il s’agisse d’une blessure au sens de l’alinéa 21(2)a). La survenance de la blessure pendant un jour de travail constituait simplement le « contexte » et non une « cause contributive ».

[67]      Il est vrai que ces termes ne figurent pas dans la loi; toutefois, l’expression « rattachée directement » exigeait, à mon avis, que le Tribunal examine la solidité du lien de causalité entre la blessure et le service militaire du demandeur. En mettant en contraste la « cause contributive » avec le « contexte », le Tribunal distinguait les liens de causalité plus forts des liens de causalité plus faibles susceptibles d’exister entre la blessure et l’exécution du service militaire. Comme le fait que le demandeur était au service de l’armée quand il s’est blessé ne suffit pas, je conclus que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en l’espèce dans sa compréhension du critère prévu par la loi.

[68]      Enfin, l’avocat du demandeur a prétendu que le Tribunal n’avait pas tenu compte des prescriptions de la loi selon lesquelles celle-ci devrait être interprétée largement et que les demandeurs devraient, en fait, bénéficier du doute raisonnable. Il est évident, a-t-il soutenu, que le Tribunal ne l’a pas fait puisqu’il avait donné gain de cause aux demandeurs dans les décisions Galbraith, précitée, et Brown, précitée, où les faits étaient presque identiques aux faits de l’espèce.

[69]      L’avocat du demandeur a reconnu, toutefois, que le Tribunal avait affirmé dans l’introduction de sa décision initiale qu’il avait tenu compte de ces dispositions pour parvenir à sa décision. Il n’a pas contesté le fait que le Tribunal n’a pas répété cette affirmation dans les motifs qu’il a formulés relativement au nouvel examen de sa décision, soit la décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[70]      On peut difficilement affirmer que le Tribunal n’a pas pris en considération un point dont il a dit avoir tenu compte. Cependant, le Tribunal aurait incontestablement renforcé ses motifs s’il y avait indiqué plus clairement qu’il avait ces dispositions fermement à l’esprit quand il était saisi du dossier.

[71]      Quoi qu’il en soit, l’objection véritable de l’avocat du demandeur est, à mon avis, que le Tribunal n’a pas accordé une importance suffisante aux prescriptions de la loi : il s’agit d’une question d’application plutôt que d’une question d’interprétation, qui est assujettie à la norme de contrôle relative au caractère déraisonnable de la décision. Et, même si j’avais pu être porté à parvenir à une autre conclusion que celle qu’a tirée le Tribunal, je ne peux pas dire, comme je l’ai déjà indiqué, que la conclusion du Tribunal était déraisonnable ou manifestement erronée.

E.        CONCLUSION

[72]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

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