[2000] 1 C.F. 427
T-224-97
T-1221-98
Karlheinz Schreiber (demandeur)
c.
Le procureur général du Canada (défendeur)
Répertorié : Schreiber c. Canada (Procureur général) (1re inst.)
Section de première instance, juge MacKay— Vancouver, 7, 8 et 9 avril; Ottawa, 30 août 1999.
Droit administratif — Contrôle judiciaire — Jugements déclaratoires — Demande de jugement déclaratoire selon lequel les mesures coercitives de perquisition et de saisie des documents au Canada exigent une autorisation judiciaire préalable sous forme de mandat de perquisition — Le procureur général ne conteste pas cette proposition juridique — Aucune question à trancher entre les parties — Aucune question juridique à résoudre par voie de jugement déclaratoire — Il n’est pas d’usage à la Cour de rendre un jugement déclaratoire au sujet de l’état du droit pour que celui-ci soit utilisé devant un autre tribunal, i.e. les tribunaux suisses.
Droit administratif — Contrôle judiciaire — Mandamus — Demande de mandamus ordonnant le retrait de la demande d’assistance que le ministre de la Justice a envoyée aux autorités suisses pour obtenir leur aide relativement à une enquête de la GRC sur des fraudes envers le gouvernement — La demande n’est pas hors délai parce que la procédure ne pouvait être intentée qu’après le refus de retrait — Le mandamus n’est pas accordé à moins qu’il n’existe une obligation légale à caractère public envers le demandeur — Le demandeur prétend que le procureur général a l’obligation de retirer la demande d’assistance quand les faits qui y sont allégués ne sont pas fondés — Il s’appuie sur les excuses présentées pour les termes qui ont été utilisés dans la demande d’assistance et qui indiquent à tort que la GRC avait conclu à des activités criminelles — Le fondement de l’obligation de retirer la demande d’assistance n’est pas établi — Il n’est pas reconnu que les allégations de fait dans la demande d’assistance sont sans fondement — L’enquête criminelle continue — Dans la mesure où le défendeur a une obligation qui découle directement ou implicitement du droit suisse, cette obligation est due aux autorités suisses et non au demandeur — La Cour n’est pas convaincue, en l’absence d’une preuve d’abus de la part du procureur général, que l’obligation qui est due au demandeur l’emporte sur l’obligation qui est due au public en ce qui concerne l’administration de la justice.
Couronne — Prérogatives — Demande de mandamus ordonnant le retrait de la demande d’assistance que le ministre de la Justice a envoyée aux autorités suisses pour obtenir leur aide relativement à une enquête de la GRC sur des fraudes envers le gouvernement — Les lois et la prérogative sont les sources du pouvoir de la Couronne — La prérogative est le résidu des pouvoirs inhérents de la Couronne qui sont reconnus comme essentiels même en l’absence de dispositions législatives adoptées par le Parlement — L’envoi d’une demande d’assistance à un État étranger est légal du fait de la prérogative concernant l’administration de la justice, notamment la tenue d’une enquête sur des activités criminelles alléguées, et la prise de mesures pour favoriser la coopération internationale à cette fin — En envoyant la demande d’assistance, le procureur général n’agit pas simplement comme une autre personne; il agit plutôt en qualité de premier conseiller juridique de la Couronne fédérale.
Compétence de la Cour fédérale — Section de première instance — Le refus de retirer la demande d’assistance que le ministre de la Justice a envoyée aux autorités suisses pour obtenir leur aide relativement à une enquête de la GRC sur des fraudes envers le gouvernement est-elle une décision d’un office fédéral? — La décision a été prise aux termes de la prérogative royale qui est confiée au défendeur à titre de premier conseiller juridique de la Couronne fédérale — Elle peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire.
Pratique — Res judicata — Dans un litige antérieur aux présentes demandes mandamus et de jugement déclaratoire, la Section de première instance de la Cour fédérale a conclu que la demande d’assistance que le ministre de la Justice a envoyée aux autorités suisses pour obtenir leur aide relativement à une enquête de la GRC sur des fraudes envers le gouvernement constituait une atteinte au droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives, prévu à l’art. 8 de la Charte (cette décision a, par la suite, été infirmée par la C.S.C.) — Le procureur général prétend que, du fait de l’application du principe de la chose jugée, le demandeur ne peut plus maintenant contester le pouvoir d’envoyer la demande d’assistance — Le principe de la chose jugée ne s’applique pas parce que la procédure antérieure était fondée sur un exposé conjoint des faits afin que soit tranchée une question de droit dont les parties avaient convenu — La portée de cette procédure ne prévoyait pas d’argumentation au sujet du fondement du pouvoir de présenter une demande d’assistance.
Il s’agit de demandes visant l’obtention d’un mandamus ordonnant le retrait de la demande d’assistance, et d’un jugement déclaratoire concernant le droit canadien, dont le but serait de guider les tribunaux suisses. Dans une contestation antérieure de la demande d’assistance, la Section de première instance de la Cour fédérale a décidé que, sans une autorisation judiciaire préalable, la demande d’assistance constituait une atteinte au droit du demandeur prévu à l’article 8 de la Charte, c’est-à-dire à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. Cette décision a été maintenue par la Cour d’appel fédérale, mais infirmée par la Cour suprême du Canada. En 1995, une demande d’assistance avait été envoyée aux autorités suisses au nom du ministre de la Justice afin d’obtenir leur aide relativement à une enquête menée par la GRC au sujet d’allégations d’infractions visées à l’article 121 du Code criminel (fraudes envers le gouvernement). On y demandait aux autorités suisses de saisir et de remettre les dossiers et documents ayant trait aux comptes ou aux coffres de sûreté, détenus dans une banque nommément désignée de Zurich, au nom de certaines personnes ou sociétés, notamment le demandeur. La lettre comportait également une assurance que le Canada offrirait à la Suisse une collaboration réciproque. Aucun des dossiers et documents concernant les comptes bancaires ou les coffres de sûreté du demandeur qui ont pu être saisis par les autorités suisses n’a encore été remis aux représentants canadiens. Après qu’il eut reçu une lettre d’excuses pour les mots utilisés dans la demande d’assistance (lesquels indiquaient à tort que la GRC avait conclu que le demandeur avait participé à des activités criminelles), le demandeur a demandé que le défendeur retire la demande d’assistance.
Le défendeur fait valoir que la décision de ne pas retirer la demande d’assistance ne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire puisqu’il ne s’agit pas d’une décision d’un « office fédéral ». Il prétend également que certaines des observations du demandeur, en particulier celles qui contestent le pouvoir du défendeur d’envoyer la demande d’assistance, n’ont pas été soulevées à temps et qu’elles devraient être exclues du fait de l’application du principe de la chose jugée. On fait valoir que ces observations auraient pu être faites dans la première instance intentée par le demandeur et que la Cour ne devrait pas permettre qu’elles soient soulevées maintenant. Le demandeur soutient qu’à première vue la demande d’assistance est viciée et que, sans autre explication, elle peut tromper les autorités suisses.
Les deux questions principales sont de savoir si le demandeur a établi les conditions nécessaires pour obtenir une ordonnance de mandamus, et de savoir si la Cour devrait accorder le jugement déclaratoire demandé. D’autres questions préliminaires sont de savoir si la décision de ne pas révoquer ou retirer la demande d’assistance peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire, si la demande a été présentée tardivement, si la doctrine de la chose jugée empêche le demandeur de soulever certains arguments qui ont trait au pouvoir du défendeur d’envoyer la demande d’assistance et si la demande d’assistance devrait être révoquée parce qu’elle est trompeuse.
Jugement : les demandes sont rejetées.
Pour qu’une ordonnance de mandamus soit rendue, la Cour doit être convaincue qu’une obligation légale à caractère public existe envers le demandeur, que le défendeur a refusé de s’acquitter de cette obligation, et que, compte tenu de toutes les circonstances, y compris l’absence de tout autre redressement, il est justifié, d’après la prépondérance des inconvénients, de rendre une ordonnance obligeant un fonctionnaire à s’acquitter de cette obligation. Le demandeur n’a pas établi qu’il existe une obligation légale à caractère public de retirer la demande d’assistance, et que cette obligation lui est due dans les circonstances.
Les sources du pouvoir de la Couronne, c’est-à-dire du gouvernement, sont les lois et la prérogative. Cette dernière source est le résidu des pouvoirs inhérents de la Couronne, que les tribunaux reconnaissent comme essentiels même en l’absence de dispositions législatives adoptées par le Parlement. Malgré le consensus des avocats, l’envoi d’une demande d’assistance à un État étranger est légal du fait de la prérogative concernant l’administration de la justice, notamment la tenue d’une enquête sur des activités criminelles alléguées, et la prise de mesures pour favoriser la coopération internationale à cette fin. En envoyant la demande d’assistance, le procureur général n’agit pas simplement comme une autre personne; il agit plutôt en qualité de premier conseiller juridique de la Couronne fédérale.
Le demandeur prétend que le défendeur a l’obligation, qui découle de ses responsabilités officielles, professionnelles et éthiques, de retirer la demande d’assistance quand les faits qui y sont allégués ne sont pas fondés. Le fait de reconnaître que certains mots utilisés dans la demande d’assistance indiquent à tort que la GRC avait conclu à des activités criminelles, ce qui est mentionné dans la lettre d’excuses qui a été envoyée au demandeur, n’est pas une reconnaissance que les faits allégués dans la demande d’assistance ne sont pas fondés. Les excuses indiquaient expressément que l’enquête de la GRC sur l’affaire continuait.
Le demandeur prétend que le défendeur a l’obligation de retirer la demande d’assistance par suite des obligations qui découleraient des exigences du droit suisse concernant l’acceptation de toute demande d’aide. Le droit du demandeur d’obtenir la réparation recherchée doit être déterminé entièrement à partir du droit canadien et non à partir du droit suisse. On devrait laisser aux tribunaux suisses le soin de se prononcer sur l’application du droit suisse aux circonstances de l’espèce. En outre, dans la mesure où l’on peut prétendre que le défendeur a une obligation qui découle directement ou implicitement du droit suisse, cette obligation serait due aux autorités suisses et non au demandeur.
Deux autres considérations militent contre la délivrance d’une ordonnance en vue de retirer la demande d’assistance. La première considération est que le défendeur avait également une responsabilité relative à l’administration de la justice de faciliter les arrangements permettant aux autorités policières d’enquêter sur des allégations d’activités criminelles. Cette responsabilité donne lieu à une obligation d’ordre public qui est due aux citoyens en général. Si l’on pondère cette obligation avec l’obligation qui serait due au demandeur, la Cour n’est pas convaincue qu’en l’absence d’une preuve supplémentaire, c.-à.-d. certains éléments de preuve établissant qu’il y a eu manifestement des abus de la part du défendeur, la balance penche en faveur de la délivrance d’une ordonnance de mandamus. La deuxième considération est que la décision d’envoyer ou de retirer la demande d’assistance est une décision qui fait partie des fonctions d’accusation et d’enquête des conseillers juridiques de la Couronne dans l’administration de la justice. En pareils cas, la Cour doit faire preuve d’une très grande retenue à l’égard de la décision du procureur général. Il existe une pratique de longue date selon laquelle les tribunaux n’interviennent pas dans les affaires de ce genre, sauf en cas d’erreur flagrante de la part du défendeur. La décision de refuser de retirer la demande d’assistance doit être manifestement déraisonnable. Ce n’est pas le cas en l’espèce.
Il ne s’agit pas d’un cas où il est approprié d’octroyer le jugement déclaratoire recherché par le demandeur. Le défendeur ne conteste pas la proposition juridique de base que l’on voudrait faire déclarer. En fait, le procureur général y souscrit. Il n’y a donc pas de question à trancher entre les parties, et il n’y a pas de question juridique que la Cour puisse résoudre par voie de jugement déclaratoire. Qui plus est, le demandeur souhaite utiliser le jugement déclaratoire principalement comme preuve devant les tribunaux suisses. Il n’est pas d’usage à la Cour de rendre un jugement déclaratoire au sujet de l’état du droit, sans argumentation fondée sur des intérêts contradictoires, pour que celui-ci soit utilisé devant un autre tribunal.
Les questions préliminaires soulevées par le défendeur n’empêchent pas l’examen du fond des demandes. La décision de ne pas retirer la demande d’assistance a été prise aux termes du pouvoir découlant de la prérogative de la Couronne qui est confiée au défendeur à titre de premier conseiller juridique de la Couronne fédérale. La décision contestée en l’espèce par la demande de mandamus peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire.
Les procédures ayant trait à la décision de ne pas retirer la demande d’assistance ne pouvaient être intentées qu’après que le défendeur eut refusé la demande que lui adressait le demandeur pour que la demande d’assistance soit retirée. L’instance relative au mandamus a été intentée à l’intérieur du délai prescrit. Le principe de la chose jugée ne s’applique pas étant donné que la procédure antérieure traitant de la violation alléguée des droits garantis par la Charte a été entendue sur un exposé conjoint des faits afin de trancher rapidement une question de droit dont les parties avaient convenu. La portée de cette procédure, déterminée sur consentement des parties, ne prévoyait pas d’argumentation au sujet du fondement du pouvoir de présenter une demande d’assistance, en dehors de ce qui concernait l’application de la Charte.
Il est clair que les autorités suisses ont jugé que la demande d’assistance traitait d’allégations et non pas de conclusions d’activités criminelles. En outre, ils ont compris que les mesures coercitives de perquisition et de saisie de documents au Canada pourraient exiger des procédures différentes de celles qui s’appliquent en Suisse. Même si la demande d’assistance était trompeuse pour les autorités suisses (ce qui entraînerait des questions de responsabilité envers les autorités suisses en vertu des principes de courtoisie internationale), cela ne soulèverait pas de question d’obligation due au demandeur qui pourrait justifier de rendre une ordonnance de mandamus pour que la demande d’assistance soit retirée.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 8.
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 121.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2(1) « office fédéral » (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1), 18 (mod., idem , art. 4), 18.1 (édicté, idem, art. 5).
Loi sur le ministère de la Justice, L.R.C. (1985), ch. J-2, art. 4b).
Loi sur l’entraide juridique en matière criminelle, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 30, art. 3(2).
Traité d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Canada et la Confédération suisse, 7 octobre 1993, [1995] R.T. Can. no 24.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE :
Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (1993), 18 Admin. L.R. (2d) 122; 52 C.P.R. (3d) 339; 162 N.R. 177 (C.A.); conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100; (1994), 29 Admin. L.R. (2d) 1; 59 C.P.R. (3d) 82; 176 N.R. 1.
DISTINCTION FAITE D’AVEC :
A.T. Arche Treuhand A.G. v. Attorney General of Gibraltar, [1995] 1 L.R.C. 656 (S.C. Gibraltar); Air Canada c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1986] 2 R.C.S. 539; (1986), 32 D.L.R. (4th) 1; [1987] 1 W.W.R. 304; 8 B.C.L.R. (2d) 273; 22 Admin. L.R. 153; 72 N.R. 135; Teh Cheng Poh alis Char Meh v. Public Prosecutor, Malaysia, [1980] A.C. 458 (P.C.).
DÉCISIONS CITÉES :
Schreiber c. Canada (Procureur général), [1996] 3 C.F. 931 (1996), 137 D.L.R. (4th) 582; 108 C.C.C. (3d) 208; 1 C.R. (5th) 188; 116 F.T.R. 151 (1re inst.); Schreiber c. Canada (Procureur général), [1996] 3 C.F. 947 (1996), 96 DTC 6493; 118 F.T.R. 231 (1re inst.); Schreiber c. Canada (Procureur général), [1997] 2 C.F. 176; (1997), 144 D.L.R. (4th) 711; 114 C.C.C. (3d) 97; 6 C.R. (5th) 314; 210 N.R. 9 (C.A.); Schreiber c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 841; (1998), 158 D.L.R. (4th) 577; 124 C.C.C. (3d) 129; 16 C.R. (5th) 1; 225 N.R. 297; Jefford c. Canada, [1988] 2 C.F. 189 (1988), 47 D.L.R. (4th) 321; 28 C.L.R. 266; 21 C.P.R. (3d) 28 (C.A.); Re Balderstone et al. and The Queen (1983), 4 D.L.R. (4th) 162; [1983] 6 W.W.R. 438; 23 Man. R. (2d) 125; 8 C.C.C. (3d) 532; 6 C.R.R. 356 (C.A.); Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821; (1979), 105 D.L.R. (3d) 745; 50 C.C.C. (2d) 495; 16 C.R. (3d) 294; 30 N.R. 380; Gariepy c. Canada (Administrateur de la Cour fédérale), [1989] 1 C.F. 544 (1988), 22 F.T.R 86 (1re inst.).
DEMANDES visant l’obtention d’un mandamus ordonnant le retrait de la demande d’assistance qui a été envoyée aux autorités suisses au nom du ministre de la Justice afin d’obtenir leur aide relativement à une enquête de la GRC au sujet d’allégations d’infractions visées à l’article 121 du Code criminel, et d’un jugement déclaratoire concernant le droit canadien, dont le but serait de guider les tribunaux suisses. Demandes rejetées.
ONT COMPARU :
Robert W. Hladun, c.r. et Eric C. Lund pour le demandeur.
S. David Frankel, c.r. pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Hladun & Company, Edmonton, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs des ordonnances rendus par
[1] Le juge MacKay : Dans deux requêtes introductives d’instance, le demandeur recherche une réparation aux termes des articles 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4] et 18.1 [édicté, idem, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, et leurs modifications (la Loi). Les requêtes, fondées sur les mêmes faits, ont été entendues ensemble. Les présents motifs expliquent le rejet des deux requêtes au moyen d’ordonnances distinctes.
[2] La première demande déposée le 7 février 1997, faisant l’objet du dossier T-224-97, réclame une réparation sous forme de plusieurs ordonnances, essentiellement de la nature du mandamus, et la deuxième, déposée le 16 juin 1998, dans le dossier T-1221-98, recherche une déclaration sous une forme particulière. Les deux demandes ont trait à une demande d’assistance juridique, datée du 29 septembre 1995 et signée par Kimberly Prost au nom du ministre de la Justice (la demande d’assistance), qui a été envoyée aux autorités suisses pour obtenir leur aide relativement à une enquête sur les circonstances se rapportant à l’affaire Airbus.
[3] Une contestation antérieure de cette demande d’assistance, faisant l’objet du dossier T-670-96, a été traitée comme une action, sur consentement des parties, et a été entendue par mémoire spécial. Le juge Wetston de la présente Cour a souscrit à la position du demandeur qui soutenait que la demande du ministre exigeait une autorisation judiciaire préalable, conformément aux normes canadiennes applicables aux perquisitions et aux saisies de documents effectuées par la police au Canada. Sans cette autorisation judiciaire préalable, la demande d’assistance constituait une atteinte au droit du demandeur prévu à l’article 8 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], c’est-à-dire à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives[1]. Cette décision a été maintenue par la Cour d’appel[2], mais infirmée par la Cour suprême du Canada[3]. Après le prononcé de cette dernière décision en mai 1998, le demandeur a déposé la deuxième de ces deux requêtes dont est maintenant saisie la Cour, qui a ordonné que les deux requêtes soient entendues ensemble, puisqu’elles découlent des mêmes circonstances.
Le contexte
[4] La lettre de demande, signée par Mme Prost, avocate-conseil et directrice du Groupe d’assistance internationale du ministère de la Justice du Canada, sollicitait l’assistance des autorités suisses relativement à une enquête menée par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) au sujet d’allégations d’infractions visées à l’article 121 du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46]. On y demandait entre autres aux autorités suisses de saisir et de remettre les dossiers et documents ayant trait aux comptes ou aux coffres de sûreté, détenus en Suisse dans une banque nommément désignée de Zurich, au nom de certaines personnes ou sociétés, notamment M. Schreiber. La lettre de Mme Prost comportait une assurance rédigée dans les termes suivants :
[traduction] Au nom du gouvernement du Canada, je peux donner aux autorités juridiques compétentes de la Suisse l’assurance qui suit :
1. Dans des enquêtes criminelles semblables, le Canada offrira au gouvernement suisse une collaboration réciproque et il est prêt à fournir à la Suisse toute forme d’assistance qui est conforme au droit du Canada; et
[5] Cette lettre de demande a été suivie d’une autre lettre de Mme Prost adressée aux autorités suisses, le 14 novembre 1995, dans laquelle elle soulignait que la demande avait été présentée dans le contexte d’une enquête et que [traduction] « les renseignements fournis dans la demande devaient être lus dans ce contexte ». La lettre insistait sur le caractère confidentiel de la demande et sur le fait qu’elle ne devait être communiquée qu’aux personnes qui avaient besoin d’en connaître le contenu.
[6] Après que les autorités suisses eurent reçu la demande d’assistance, le procureur fédéral suisse a ordonné à la banque visée de produire les dossiers et documents ayant trait aux comptes du demandeur. Une contestation de cette ordonnance déposée par M. Schreiber et son épouse, devant la Cour fédérale suisse, a été rejetée le 1er mai 1996.
[7] Aucun des dossiers et documents concernant les comptes bancaires ou les coffres de sûreté du demandeur qui ont pu être saisis par les autorités suisses n’a encore été remis aux représentants canadiens. Ce retard est d’abord attribuable à une demande présentée au nom du défendeur pour obtenir une suspension des mesures prises par les autorités suisses suite à la demande d’assistance, comme l’avait ordonné le juge Gibson dans les conditions de l’ordonnance qu’il a rendue le 15 août 1996, et par laquelle il suspendait la décision du juge Wetston en attendant le règlement de l’appel[4]. À la suite de la décision de la Cour suprême du Canada en mai 1998, qui a statué que la Charte n’était pas applicable dans les circonstances, les autorités suisses ont apparemment été mises au courant de cette décision au nom du défendeur, qui leur a demandé de donner suite aux mesures proposées dans la demande d’assistance. L’avocat du demandeur était au courant de ces mesures en juillet 1998. Aucune autre mesure ne semble avoir été prise par les autorités suisses jusqu’à ce qu’une nouvelle demande soit présentée en mai 1999 par les représentants canadiens pour qu’il soit donné suite aux mesures demandées. Apparemment, les autorités suisses auraient pris d’autres mesures.
[8] Après avoir entendu les présentes requêtes à Vancouver, en avril 1999, et pendant que la décision était en délibéré, j’ai entendu d’autres requêtes par conférence téléphonique, au début de juillet 1999, après avoir avisé le demandeur qu’il disposait d’un temps limité pour déposer ses observations à l’encontre d’une ordonnance que le procureur fédéral suisse se proposait de prendre pour que les renseignements soient communiqués en réponse à la demande d’assistance, et de nouveau le 28 juillet 1999, après que cette ordonnance eut été rendue. Dans les deux requêtes, on demandait des ordonnances interlocutoires pour empêcher que les renseignements dont le procureur suisse avait ordonné la communication soient remis aux représentants canadiens en attendant le règlement des requêtes dont traitent les présents motifs. J’ai rejeté ces deux requêtes. Il est clair que le demandeur pouvait, et au moment de la deuxième requête il a confirmé que telle était son intention, appeler de l’ordonnance suisse devant la Cour fédérale suisse. Dans les circonstances, je n’étais pas convaincu que le demandeur avait établi qu’il subirait vraisemblablement un préjudice irréparable si l’ordonnance interlocutoire n’était pas accordée et que je devais donc accorder la réparation demandée en l’espèce. En outre, à mon avis, la prépondérance des inconvénients favorisait la position du défendeur qui soutenait que l’ordonnance interlocutoire recherchée ne devait pas être accordée. À la date des présents motifs, la Cour croit comprendre qu’aucun renseignement n’a encore été transmis par les autorités suisses en réponse à la demande d’assistance.
[9] Il est bien connu que la demande d’assistance a donné lieu à d’autres procédures, dont le résultat, au dire du demandeur, a des répercussions importantes sur les présentes instances. En novembre 1995, une action civile en dommages-intérêts, découlant vraisemblablement de la demande d’assistance, a été intentée par M. Brian Mulroney, ancien premier ministre du Canada, au sujet duquel la demande d’assistance alléguait qu’il s’était rendu coupable d’infractions faisant l’objet d’une enquête menée par la GRC, au même titre que le demandeur. Cette action a été réglée le 5 janvier 1997. Dans une entente de règlement, des excuses officielles ont été faites à M. Mulroney, et les parties à cette action civile, notamment le procureur général défendeur, ont reconnu que certaines parties de la demande d’assistance [traduction] « indiquent à tort que la GRC avait conclu que M. Mulroney avait participé à des activités criminelles ». Il a été reconnu que ces conclusions étaient injustifiées. L’entente de règlement précisait également que la GRC devait continuer à enquêter sur les allégations d’illégalité, et que la GRC et le ministère de la Justice, en envoyant la demande d’assistance, avaient agi dans les limites de leurs responsabilités légitimes.
[10] Quelques jours plus tard, dans une lettre datée du 9 janvier 1997, le ministre de la Justice de l’époque et le commissaire de la GRC ont tous deux écrit au demandeur, en joignant une copie de l’entente de règlement conclue avec M. Mulroney, et ont présenté leurs excuses à M. Schreiber, indiquant en partie ce qui suit :
[traduction] L’enquête de la GRC sur cette affaire continue. Il est important toutefois de souligner qu’il s’agit à cette étape d’une enquête, qu’aucune accusation n’a été portée, et que toutes les personnes visées par l’enquête sont présumées innocentes.
Certains mots utilisés dans la demande d’assistance indiquent, à tort, que la GRC avait conclu que vous aviez participé à des activités criminelles.
Compte tenu de ce qui précède, et pour des raisons de cohérence logique, le gouvernement du Canada et la GRC vous présentent toutes leurs excuses pour l’utilisation de ces mots, et regrettent les désagréments que votre famille et vous-même avez pu subir.
[11] Le 28 janvier 1997, Daniel A. Bellemare, sous-ministre adjoint de la Justice, a écrit aux autorités suisses pour les informer du règlement du litige concernant M. Mulroney. La lettre indique en partie ce qui suit :
[traduction] Les excuses présentées à M. Mulroney (des excuses semblables ont par la suite été faites à MM. Moores et Schreiber) portaient sur certains des termes utilisés dans la demande d’assistance qui indiquaient, à tort, que la GRC avait conclu qu’il y avait eu des activités illégales. Vous vous rappellerez que dans la lettre qu’elle vous adressait le 14 novembre 1995 (jointe aux présentes pour en faciliter la consultation), Mme Prost réitérait que la lettre de demande avait essentiellement pour but de communiquer des allégations seulement. Je pense que les autorités suisses reconnaissent depuis le début que tel était le cas.
[12] Le 30 janvier 1997, après que son client eut reçu la lettre d’excuses, l’avocat du demandeur a écrit au défendeur et lui a demandé de retirer la demande d’assistance. Il a fait valoir, au nom du demandeur, que, compte tenu des conditions du règlement du litige intenté par M. Mulroney et des lettres d’excuses envoyées au demandeur et à d’autres personnes visées, le fondement de la demande d’assistance avait été invalidé et que le gouvernement du Canada ne pouvait plus demander aux autorités suisses de s’appuyer sur cette demande d’assistance ou d’y répondre. N’obtenant aucune réponse du défendeur, le demandeur a déposé la requête introductive d’instance dans le dossier T-224-97 le 7 février 1997. Dans cette requête, il recherche des ordonnances de la nature d’un mandamus, pour enjoindre au défendeur d’envoyer aux autorités suisses une copie de l’entente de règlement entre M. Mulroney et le défendeur, ainsi qu’une copie de la lettre d’excuses qu’a reçue le demandeur; que le défendeur retire et révoque la lettre de demande datée du 29 septembre 1995, et que tous les dossiers ou documents saisis par les autorités suisses au nom du défendeur depuis la réception de la demande d’assistance soient remis sur-le-champ au demandeur.
[13] La demande visant à retirer la demande d’assistance a été répétée au nom du demandeur dans des lettres envoyées en février 1998 et en mai 1998. Le 25 mai 1998, l’avocat, agissant au nom du procureur général du Canada, lui a fait savoir que la demande d’assistance ne serait pas retirée.
[14] Le 16 juin 1998, à la suite de la décision de la Cour suprême du Canada, le demandeur a déposé le deuxième avis de requête introductive d’instance dont il est question aux présentes, dans le dossier T-1221-98, dans laquelle il recherche un jugement déclaratoire. La déclaration recherchée est rédigée dans les termes suivants :
[traduction] Le ministre de la Justice, agissant au nom du gouvernement du Canada, et assistant la Gendarmerie royale du Canada dans une enquête, n’a pas compétence pour autoriser judiciairement des mesures forcées de perquisition et de saisie exigeant d’une institution bancaire qu’elle remette les dossiers financiers détaillés de ses clients, c’est-à-dire :
tous les renseignements bancaires sur les comptes (y compris tous les documents d’ouverture, relevés d’opérations, bordereaux de dépôt, chèques, traites, formules de virement, etc., attestant les mouvements de fonds dans les comptes et toute la correspondance générale entre les clients et la banque), la fouille des coffres de sûreté et la saisie de leur contenu.
Les enquêteurs canadiens devraient obtenir l’autorisation judiciaire (un mandat de perquisition) d’une autorité judiciaire canadienne compétente pour prendre ces mesures si l’objet de la demande se trouvait au Canada.
[15] On fait instamment valoir que la déclaration recherchée affirme simplement le droit applicable au Canada relativement aux perquisitions et saisies forcées de dossiers dans ce pays, ce que le procureur de la Couronne a reconnu dans le cadre de l’appel interjeté devant la Cour suprême du Canada par suite de la décision rendue par le juge Wetston. L’avocat du procureur général ne conteste pas le droit énoncé dans la conclusion de la déclaration recherchée en l’espèce par le demandeur.
[16] À l’ouverture de l’audition de ces requêtes, les demandes de réparation du demandeur ont été modifiées et restreintes, dans son « Dossier de la demande en réplique—Observations », à une ordonnance de la nature d’un mandamus, obligeant le retrait de la demande d’assistance, et à une ordonnance de la nature d’une déclaration concernant le droit canadien, dont le but serait de guider les tribunaux suisses relativement à toute demande d’assistance future provenant du Canada. Cette dernière réparation se fonde sur l’interprétation que donne le demandeur du droit suisse et sur sa présomption que les exigences légales canadiennes, dans la mesure où il estime qu’elles sont pertinentes à la lettre de demande visée en l’espèce, n’ont pas été comprises par les autorités suisses.
[17] En octobre 1998, William H. Corbett, avocat général principal, au ministère de la Justice du Canada, a écrit à l’autorité centrale suisse à qui la demande initiale et la lettre supplémentaire avaient toutes deux été envoyées en 1995, afin de l’informer des deux contestations du demandeur faisant l’objet des présentes procédures et des allégations portées par le demandeur selon lesquelles les autorités suisses avaient été et continuaient d’être trompées relativement aux questions se rapportant à la demande d’assistance. Il indiquait plus particulièrement que le demandeur s’inquiétait de ce que les autorités suisses croyaient que la GRC avait conclu, et non pas simplement soupçonné, que les personnes nommées dans la demande d’assistance avaient commis des infractions, que l’assurance de mesures réciproques donnée par les autorités canadiennes dans la demande d’assistance était trompeuse, et que le pouvoir légal des représentants canadiens serait mal interprété.
[18] En réponse à cet avis de M. Corbett, Pascal Gossin, du Bureau fédéral de la police suisse (Bureau de l’entraide internationale), c’est-à-dire l’autorité centrale suisse relativement aux demandes d’assistance, lui a fait parvenir le 4 novembre 1998 une lettre dans laquelle il affirme, entre autres, ce qui suit :
[traduction]
i) il a été donné suite à la demande d’assistance en tenant pour acquis que les personnes faisant l’objet de l’enquête n’étaient que soupçonnées d’activités criminelles;
ii) l’« assurance » de réciprocité donnée dans la lettre a été interprétée par les autorités suisses comme « une simple volonté de la part du gouvernement du Canada d’offrir son aide à la Suisse en prenant toutes les mesures licites permises par le droit canadien », ce qui est suffisant en vertu du droit suisse pour que les autorités suisses décident de donner suite à la demande; et
iii) en vertu du droit suisse, la simple possibilité d’ordonner des mesures forcées pour donner suite à une demande étrangère est suffisante et la Cour suprême de Suisse a déjà statué que le droit canadien respectait les exigences pour justifier les mesures prises par les autorités suisses.
[19] Le droit suisse applicable, décrit dans la réponse de M. Gossin, est contesté par le demandeur qui s’appuie sur des preuves contradictoires fournies dans un affidavit déposé par un avocat suisse à l’appui de la position du demandeur, et au sujet duquel l’avocat a été contre-interrogé.
[20] Il y a une autre circonstance qui mérite d’être mentionnée. Au moment où la demande d’assistance a été envoyée, le 29 septembre 1995, le traité entre le Canada et la Suisse, conclu en 1993, au sujet de la coopération dans les enquêtes criminelles, n’était pas encore en vigueur [Traité d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Canada et la Confédération suisse, 7 octobre 1993, [1995] R.T. Can. no 24]. Ce traité a pris effet en novembre 1995, soit après l’envoi de la demande d’assistance. La Loi sur l’entraide juridique en matière criminelle[5] adoptée par le Parlement en 1988, prévoit la mise en œuvre et l’application par les autorités canadiennes, et plus particulièrement par le défendeur, de leurs responsabilités relativement aux obligations réciproques prévues dans les traités, mais cette loi n’était pas applicable à la demande d’assistance visée en l’espèce. Toutefois, elle reconnaissait clairement l’importance d’ententes existantes non prévues dans les traités entre les autorités canadiennes et les autorités étrangères, comme en fait foi le paragraphe 3(2) :
3. […]
(2) Ni la présente loi ni un traité n’ont pour effet de porter atteinte aux autres accords, arrangements ou pratiques de coopération entre une autorité compétente canadienne et une organisation ou autorité étrangère ou internationale[6].
Les questions en litige
[21] Les parties ont soulevé plusieurs questions. Certaines d’entre elles, soulevées par le défendeur, sont des questions préliminaires. Ainsi, le procureur général fait valoir que la décision d’envoyer la demande d’assistance, ou, dans le dossier T-224-97, de ne pas révoquer ou retirer la demande d’assistance, ne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire aux termes des articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale; en outre, il prétend que la requête a été présentée tardivement et que la doctrine de la chose jugée empêche le demandeur de soulever certains arguments, surtout ceux qui ont trait au pouvoir du défendeur d’envoyer la demande d’assistance.
[22] D’autres questions découlent des observations du demandeur concernant la demande d’assistance, à savoir que celle-ci devrait être révoquée parce qu’elle est trompeuse : par ses conclusions d’activités illégales expressément exprimées et que contredisent les excuses qui ont été présentées au demandeur et le règlement intervenu avec M. Mulroney, par l’assurance de réciprocité qu’elle contient, et par le fait que les autorités suisses pourraient mal interpréter les exigences légales canadiennes au sujet de l’autorisation judiciaire préalable qui doit être obtenue avant toute perquisition ou saisie forcée de documents au Canada comparables à celle qui a été demandée aux autorités suisses en l’espèce. La révocation de la demande d’assistance est appropriée et, en fait, elle s’impose compte tenu de la preuve soumise par le demandeur et de son interprétation du droit suisse.
[23] Je traiterai de ces questions brièvement après m’être d’abord prononcé sur les deux questions principales. Ces deux questions principales sont, exception faite de toutes autres questions préliminaires, de savoir si le demandeur a établi les conditions nécessaires pour obtenir une ordonnance de mandamus de la nature recherchée en l’espèce, et de savoir si la Cour devrait accorder le jugement déclaratoire demandé en l’espèce.
Le mandamus
[24] Dans l’arrêt Apotex Inc. c. Canada (Procureur général)[7], le juge Robertson de la Cour d’appel a examiné les critères pris en compte pour rendre une ordonnance de mandamus. Il s’agit d’une réparation extraordinaire qui relève du pouvoir discrétionnaire du juge. Parmi les critères à examiner, la Cour doit être convaincue qu’une obligation légale à caractère public existe envers le demandeur, que le défendeur a refusé de s’acquitter de cette obligation, et que, compte tenu de toutes les circonstances, y compris l’absence de tout autre redressement, il est justifié, d’après la prépondérance des inconvénients, de rendre une ordonnance obligeant un fonctionnaire à s’acquitter de cette obligation.
[25] En l’espèce, je ne suis pas persuadé que l’on a établi qu’une obligation légale existait envers le demandeur. En son nom, on a fait valoir qu’une obligation découle des responsabilités ministérielles, professionnelles et éthiques du procureur général dans des circonstances où il n’y a pas de pouvoir légal d’envoyer la demande d’assistance. Subsidiairement, si la Cour conclut que le défendeur a le pouvoir d’envoyer la demande d’assistance, on fait valoir que l’obligation de retirer la demande d’assistance découle des mêmes responsabilités de base du défendeur à la lumière de ce que le demandeur décrit comme une déclaration faite au nom du procureur général selon laquelle les allégations de fait dans la demande d’assistance ne sont pas fondées. Cette obligation serait étayée, par implication, par les responsabilités du Canada, en tant que pays demandeur, étant donné que ces responsabilités sont reconnues dans le droit suisse concernant les demandes d’assistance. Je vais examiner à tour de rôle chacun des fondements allégués relativement à l’obligation que le demandeur cherche à établir.
[26] L’argument du demandeur selon lequel il n’y a pas de pouvoir légal de faire une demande d’assistance, en l’absence de dispositions d’un traité qui ferait en sorte que l’affaire tombe sous le coup de la Loi sur l’entraide juridique en matière criminelle[8], est en partie une réponse à une position surprenante présentée au nom du défendeur. Reconnaissant qu’en l’espèce la Loi ne s’appliquait pas puisqu’au moment de la demande le traité conclu entre le Canada et la Suisse n’était pas encore en vigueur, l’avocat du défendeur soutient que le pouvoir d’adresser la demande ne se fonde pas sur la prérogative de la Couronne, mais plutôt sur le fait que le procureur général, comme toute autre personne, pouvait adresser une demande d’assistance aux autorités suisses. Le demandeur convient que le pouvoir ne découle pas de la prérogative, mais il conteste la proposition voulant que le défendeur soit essentiellement une personne ordinaire qui peut présenter une demande d’aide aux autorités d’un autre État.
[27] Bien que l’on puisse soutenir que l’envoi de la demande relève du pouvoir général qui est délégué au défendeur à titre de ministre de la Justice et qui consiste à exercer son autorité sur tout ce qui touche à l’administration de la justice au Canada et ne relève pas de la compétence des gouvernements provinciaux[9], à mon avis, malgré le consensus des avocats des parties, l’envoi d’une lettre de demande à un État étranger est légal du fait de la prérogative. Les sources du pouvoir de la Couronne, c’est-à-dire du gouvernement, sont doubles : les lois adoptées par le législateur et la prérogative, dans la mesure où cette dernière source est reconnue par les tribunaux. Cette dernière source est le résidu des pouvoirs inhérents de la Couronne, que les tribunaux reconnaissent comme essentiels même en l’absence de dispositions législatives adoptées par le Parlement. La mesure particulière visée en l’espèce, c’est-à-dire l’envoi ou la révocation de la demande d’assistance, à mon avis, découle de la prérogative concernant l’administration de la justice, notamment la tenue d’une enquête sur des activités criminelles alléguées, et la prise de mesures pour favoriser la coopération internationale à cette fin.
[28] Je ne suis pas convaincu que le procureur général, agissant au nom de la Couronne, n’est pas compétent ou n’est pas autorisé en droit à présenter cette demande. En agissant ainsi, le procureur général n’agit pas simplement comme une autre personne. Il agit plutôt en qualité de premier conseiller juridique de la Couronne fédérale, c’est-à-dire le gouvernement du Canada. En envoyant une lettre de demande, qui est une pratique bien connue et respectée des gouvernements des États, selon les règles de courtoisie des nations en l’absence d’un traité, le procureur général agit en vertu des lois du Canada ayant trait à la prérogative.
[29] Je traiterai maintenant de l’argument du demandeur selon lequel, si le défendeur a le pouvoir d’envoyer la demande d’assistance, il a également l’obligation, qui découle de ses responsabilités officielles, professionnelles et éthiques, de retirer cette demande quand il a été déclaré que les faits qui y sont allégués ne sont pas fondés. Je ne partage pas l’affirmation du demandeur selon laquelle les faits allégués dans la demande d’assistance sont sans fondement parce qu’à mon avis la preuve n’appuie pas cette caractérisation des circonstances.
[30] Cette caractérisation semble découler du règlement intervenu dans l’action intentée par l’ancien premier ministre Mulroney et la lettre d’excuses qui a été envoyée au demandeur à la suite de ce règlement. Elle découlerait également du contre-interrogatoire portant sur un affidavit déposé au nom du défendeur relativement aux circonstances visées en l’espèce. L’auteur de l’affidavit, M. Corbett, a été interrogé, notamment au sujet de la demande d’assistance, du règlement intervenu avec M. Mulroney et des événements subséquents. À mon avis, le fait de reconnaître que certains mots utilisés dans la demande d’assistance indiquent à tort que la GRC avait conclu à des activités criminelles, ce qui est mentionné à la fois dans la lettre d’excuses qui a été envoyée à M. Schreiber et dans la copie de l’entente de règlement qui y était jointe, n’est pas une reconnaissance que les faits allégués dans la demande d’assistance ne sont pas fondés. En fait, les excuses adressées au demandeur indiquaient expressément que [traduction] « l’enquête de la GRC sur cette affaire continue », que le règlement intervenu avec l’ancien premier ministre confirmait que l’enquête sur les allégations d’illégalité continuerait, et que la GRC et le ministère de la Justice avaient agi dans les limites de leurs responsabilités en envoyant la demande d’assistance.
[31] Pour établir le fondement de l’obligation réclamée, il ne suffit pas de déclarer au nom du défendeur que les allégations de fait dans la demande d’assistance sont sans fondement. Cela n’a pas été reconnu, à l’exception du fait qu’il a été convenu que les mots utilisés dans la demande d’assistance indiquaient à tort que la GRC avait conclu qu’il y avait eu des activités criminelles.
[32] Le demandeur prétend que le défendeur a l’obligation de retirer la demande d’assistance par suite des obligations qui découleraient des exigences du droit suisse concernant l’acceptation de toute demande d’aide. On a accordé beaucoup d’attention aux exigences qui, selon le demandeur, découleraient du droit suisse, au sujet de la nécessité pour l’État demandeur de démontrer que les exigences légales pour la présentation d’une demande ont été respectées comme si celle-ci avait été faite dans le pays d’origine, c’est-à-dire en l’espèce que l’autorisation judiciaire préalable avait été accordée pour obliger la production des dossiers. En plus, on fait valoir que le droit suisse exige que toute déclaration de réciprocité dans la demande fasse état des limites existant en vertu du droit de l’État demandeur. La preuve des experts juridiques suisses, sur ce point et sur d’autres aspects du droit suisse, a été présentée et son importance a été débattue.
[33] À mon avis, aussi intéressants que soient les avis des experts juridiques suisses, ils ne sont d’aucune utilité. Les experts de chacune des parties ne s’entendent pas sur les questions essentielles soulevées par le demandeur. Qui plus est, leurs avis ne sont pas pertinents pour résoudre la question dont je suis saisi, étant donné que le droit du demandeur d’obtenir la réparation recherchée doit être déterminé entièrement à partir du droit canadien et non à partir du droit suisse. Je laisserai aux tribunaux suisses le soin de se prononcer sur l’application du droit suisse aux circonstances de l’espèce. En outre, je note que dans la mesure où l’on peut prétendre que le défendeur a une obligation qui découle directement ou implicitement du droit suisse, cette obligation serait due aux autorités suisses et non au demandeur.
[34] Le demandeur s’appuie particulièrement sur une décision de la Cour suprême de Gibraltar, A.T. Arche Treuhand A.G. v. Attorney General of Gibraltar, [1995] 1 L.R.C. 656 (S.C.), qui critiquait le rôle joué dans cette affaire par le procureur général de Gibraltar. Au bout du compte, la Cour a exclu de la preuve produite dans une procédure criminelle intentée à Gibraltar certains renseignements bancaires fournis par les autorités suisses au procureur général de Gibraltar en réponse à deux lettres de demande d’assistance que celui-ci avait envoyées, lettres qui ont ultérieurement été décrites dans la décision comme étant trompeuses et ayant été envoyées sans aucune autorisation prévue dans le droit de Gibraltar. Dans cette affaire, les autorités suisses avaient demandé l’assurance que le procureur général avait le pouvoir de présenter les demandes d’assistance, ce qu’avait confirmé le procureur général. Le juge en chef Kneller de la Cour suprême de Gibraltar n’a eu aucune difficulté à conclure que les demandes d’assistance n’étaient pas appropriées étant donné qu’en vertu du droit de la colonie seul le gouverneur pouvait envoyer une lettre de demande. À mon avis, cette affaire n’a aucun lien pertinent avec les circonstances dont je suis saisi.
[35] Le demandeur s’appuie également sur d’autres décisions ayant trait à l’exécution d’obligations qui sont imposées à des fonctionnaires. Dans l’arrêt Air Canada c. Colombie-Britannique (Procureur général)[10], une ordonnance de mandamus a été rendue pour obliger le procureur général de la Colombie-Britannique à conseiller, ce qu’il était tenu de faire dans les circonstances, au lieutenant-gouverneur, d’accorder son autorisation à l’institution de procédures judiciaires contre la Couronne provinciale. L’action contestait la validité constitutionnelle d’une loi en vertu de laquelle la province avait perçu et conservé certaines taxes. Dans l’arrêt Teh Cheng Poh alias Char Meh v. Public Prosecutor, Malaysia[11], le Conseil privé a statué que le pouvoir réglementaire de créer une zone de sécurité pour des raisons de sécurité d’État englobait l’obligation de proposer la révocation de ces mesures de sécurité quand les conditions justifiant leur création n’existaient plus.
[36] À mon avis, aucun de ces arrêts n’est utile. En l’espèce, aucune obligation constitutionnelle n’incombe au défendeur du genre de celle que la Cour a reconnu dans l’arrêt Air Canada et il n’y a pas eu de changement fondamental de situation après l’envoi de la demande d’assistance, comme c’était le cas dans l’arrêt Teh Cheng Poh. J’ai déjà indiqué que je n’accepte pas que le fait de reconnaître que des mots inappropriés ont été utilisés dans la demande d’aide soit une reconnaissance que les allégations faisant l’objet de l’enquête ont été réfutées. Je n’interprète pas de cette façon les termes du règlement intervenu avec l’ancien premier ministre ni la lettre d’excuses qui a été envoyée au demandeur. En fait, ces deux documents précisent que l’enquête se poursuit.
[37] Pour les motifs indiqués ci-dessus, je ne suis pas convaincu que le demandeur a établi qu’il existe une obligation légale à caractère public de retirer la demande d’assistance, et que cette obligation lui est due dans les circonstances de l’espèce. Le critère premier qui aurait permis de rendre une ordonnance de mandamus n’a pas été établi.
[38] Si j’ai tort d’en arriver à cette conclusion, il y a deux autres considérations qui, à mon avis, militent contre la délivrance d’une ordonnance en vue de retirer la demande d’assistance. La première considération est qu’une autre responsabilité du défendeur est engagée en l’espèce, savoir sa responsabilité, relativement à l’administration de la justice, de faciliter les arrangements permettant aux autorités policières d’enquêter sur des allégations d’activités criminelles. Cette responsabilité donne lieu à une obligation d’ordre public qui est due aux citoyens en général. Si l’on pondère cette obligation avec l’obligation qui serait due au demandeur, je ne suis pas convaincu qu’en l’absence d’une preuve supplémentaire, par exemple, certains éléments de preuve établissant qu’il y a eu manifestement des abus de la part du défendeur, la balance penche en faveur de la délivrance d’une ordonnance de mandamus, comme celle que recherche le demandeur.
[39] La deuxième considération dont il faut tenir compte est que la décision d’envoyer la demande d’assistance, ou de la retirer une fois qu’elle a été prise, est une décision qui fait partie des fonctions d’accusation et d’enquête des conseillers juridiques de la Couronne dans l’administration de la justice. Je conviens avec le défendeur qu’en pareils cas la Cour doit faire preuve d’une très grande retenue à l’égard de la décision du procureur général. Il existe une pratique de longue date selon laquelle la Cour n’intervient pas dans les affaires de ce genre[12], sauf en cas d’erreur flagrante de la part du défendeur. En langage moderne, il faudrait à tout le moins que la décision de refuser de retirer la demande d’assistance soit considérée comme étant manifestement déraisonnable. À mon avis, ce n’est pas le cas en l’espèce.
[40] La demande de mandamus du demandeur est donc rejetée. Je ne suis pas convaincu qu’il a établi qu’il existait une obligation à caractère public, qui lui serait due, de retirer la demande d’assistance.
Le jugement déclaratoire
[41] Dans sa requête, le demandeur réclame aussi un jugement déclaratoire, dont la formulation initiale, reproduite dans les présents motifs, était détaillée et précise. Dans des observations ultérieures[13], une autre formulation a été proposée, en réponse aux suggestions faites au nom du procureur général au sujet du contenu d’une déclaration si la Cour, malgré l’opposition du défendeur, décidait qu’il y a lieu d’accorder le jugement déclaratoire. Cette nouvelle formulation proposée par le demandeur est la suivante :
[traduction] Ni le ministre de la Justice ni la GRC ne pouvaient prendre au Canada les mesures coercitives demandées à la Suisse sans avoir d’abord obtenu une autorisation judiciaire. Cette condition n’a pas été respectée en l’espèce, et il n’y a pas eu non plus de confirmation de la part des autorités judiciaires que les conditions seraient respectées si l’objet de la demande se trouvait en territoire canadien.
[42] Il ne s’agit pas d’un cas où il est approprié d’octroyer le jugement déclaratoire recherché par le demandeur. Le défendeur fait valoir qu’il ne conteste pas la proposition juridique de base que l’on voudrait faire déclarer. En fait, l’avocat du procureur général y souscrit. Il n’y a donc pas de question à trancher entre les parties, et il n’y a pas de question juridique que la Cour puisse résoudre par voie de déclaration[14]. Qui plus est, le demandeur souhaite utiliser la déclaration dans ses rapports avec les autorités suisses, et principalement comme preuve devant les tribunaux suisses. Le demandeur concède, comme le lui demande instamment le défendeur, que la présente Cour ne ferait pas de déclaration comme celle qu’il recherche pour être utilisée devant les tribunaux canadiens, mais il soutient énergiquement que cette restriction ne s’applique pas lorsque la déclaration est recherchée pour être utilisée devant un tribunal étranger. À mon avis, cet argument n’a pas de fondement. En fait, il n’est tout simplement pas d’usage à la Cour de faire une déclaration au sujet de l’état du droit, sans argumentation fondée sur des intérêts contradictoires, pour que celle-ci soit utilisée devant un autre tribunal[15].
[43] En outre, les autorités suisses ont été informées du droit canadien, comme en témoigne la lettre de M. Gossin en date du 4 novembre 1998. Si le droit suisse exige plus que ce qui a été fourni, comme le soutient le demandeur, cela sera établi par la décision des tribunaux suisses dans toute instance que le demandeur peut maintenant avoir intentée pour contester l’ordonnance du procureur suisse de remettre les renseignements en réponse à la demande d’assistance.
Les questions préliminaires
[44] Il n’est peut-être pas nécessaire pour les fins de la présente décision de traiter des questions préliminaires soulevées par le défendeur, mais j’en traiterai brièvement au cas où ma décision sur les questions principales ne serait pas maintenue en appel.
[45] Le défendeur fait valoir que la décision de ne pas retirer la demande d’assistance ne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire devant la présente Cour puisqu’il ne s’agit pas d’une décision d’un « office fédéral », aux termes du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale[16], et parce qu’il ne s’agit pas d’une décision prise dans le cadre de la « compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale ». J’ai déjà exprimé mon avis que la décision a été prise aux termes du pouvoir découlant de la prérogative de la Couronne qui est confiée au défendeur à titre de premier conseiller juridique de la Couronne fédérale. À mon avis, la décision contestée en l’espèce par la demande de mandamus peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire devant la présente Cour.
[46] La deuxième question préliminaire soulevée par le défendeur est que certaines des observations du demandeur, en particulier celles qui contestent le pouvoir du défendeur d’envoyer la demande d’assistance, n’ont pas été soulevées à temps et que, de plus, elles devraient maintenant être exclues du fait de l’application du principe de la chose jugée. On fait valoir que ces observations auraient pu être faites dans la première instance intentée par le demandeur, qui a été entendue par le juge Wetston, et que la Cour ne devrait pas permettre qu’elles soient soulevées maintenant. Pourtant, le défendeur reconnaît que les procédures ayant trait à la décision de ne pas retirer la demande d’assistance ne pouvaient être intentées qu’après que le défendeur n’eut pris aucune mesure au sujet de la demande que lui adressait le demandeur pour que la demande d’assistance soit retirée, et qu’il a finalement refusé. L’instance relative au mandamus (T-224-97) a manifestement été intentée à l’intérieur du délai prescrit. Pour ce qui est du principe de la chose jugée, à mon avis, celui-ci ne s’applique pas en l’espèce étant donné que la procédure antérieure traitant de la violation alléguée des droits garantis par la Charte a été entendue sur un exposé conjoint des faits afin de trancher rapidement une question de droit dont les parties avaient convenu. La portée de cette procédure, déterminée sur consentement des parties, ne prévoyait pas d’argumentation au sujet du fondement du pouvoir de présenter une demande d’assistance, en dehors de ce qui concernait l’application de la Charte.
[47] En résumé, les questions préliminaires soulevées par le défendeur n’empêchent pas l’examen du fond des demandes.
Vices allégués dans les demandes d’assistance
[48] Le demandeur soutient qu’à première vue la demande d’assistance est viciée et que, sans autre explication, elle peut tromper les autorités suisses. Ainsi, il soutient que les allégations d’activité criminelle de la part du suspect principal, identifié dans la demande d’assistance, soit l’ancien premier ministre Mulroney, n’ont pas été niées devant les autorités suisses. En outre, il soutient que la demande implique que le défendeur ou ses représentants ont le pouvoir d’ordonner des mesures coercitives de perquisition et de saisie de documents au Canada sans autorisation judiciaire préalable et que le Canada (ou Mme Prost) accorderait à la Suisse son aide, sur demande, sur une base réciproque. Je note que le caractère prétendument inapproprié de l’assurance de réciprocité n’a pas été débattu par le demandeur dans ses dernières observations écrites.
[49] Pour ce qui est des autres vices allégués, il est clair que les autorités suisses qui ont le pouvoir de traiter la demande provenant du Canada, c’est-à-dire la police fédérale suisse, a jugé que la demande traitait d’allégations et non pas de conclusions d’activités criminelles. En outre, cette autorité a compris que les mesures coercitives de perquisition et de saisie de documents au Canada pourraient exiger un processus différent de ceux qui s’appliquent en Suisse. Il me semble que ces faits ont été reconnus dans la lettre de M. Gossin de novembre 1998, par laquelle il répondait à la lettre de M. Corbett qui avait fait état des réclamations du demandeur, soulevées dans les demandes dont la Cour est maintenant saisie, alléguant que la demande d’assistance pouvait avoir trompé les autorités suisses.
[50] Même si j’étais persuadé que la demande d’assistance était trompeuse pour les autorités suisses, opinion que je ne partage pas, cela pourrait soulever des questions de responsabilité envers les autorités suisses en vertu des principes de courtoisie internationale, et dans l’intérêt à long terme du Canada. Cependant, cela ne soulèverait pas de question d’obligation due au demandeur qui pourrait justifier de rendre une ordonnance de mandamus pour que la demande d’assistance soit retirée.
Conclusion
[51] Pour les motifs énoncés ci-dessus, je ne suis pas convaincu que le demandeur a établi que le défendeur lui doit une obligation légale à caractère public. Il n’y a donc pas de fondement pour rendre une ordonnance de mandamus. En outre, il n’y a pas de différence d’opinions entre les parties sur la question de droit fondamental que le demandeur cherche à faire déclarer, c’est-à-dire que les mesures coercitives de perquisition et de saisie des documents au Canada exigent une autorisation judiciaire préalable sous forme de mandat de perquisition. Il n’y a donc pas entre les parties de question à juger qu’un jugement déclaratoire trancherait. Dans les circonstances, la Cour refuse de faire la déclaration sous la forme demandée, ou toute autre déclaration à l’effet semblable, dont le but avoué serait qu’elle soit utilisée comme preuve dans des procédures devant la Cour fédérale suisse ou dans les rapports du demandeur avec les autorités suisses.
[52] Deux ordonnances distinctes sont maintenant rendues, dans chacun des dossiers de la Cour, soit le dossier T-224-97, pour rejeter la demande d’une ordonnance de la nature d’un mandamus, et le dossier T-1221-98, pour rejeter la demande de déclaration sur l’état du droit canadien qui énoncerait les questions juridiques fondamentales acceptées par les parties. Les deux requêtes sont rejetées, et les dépens, sur la base habituelle des frais entre parties, sont accordés pour une seule audition des deux demandes.
[1] [1996] 3 C.F. 931 (1re inst.).
[2] [1997] 2 C.F. 176 (C.A.).
[3] Schreiber c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 841.
[4] Schreiber c. Canada (Procureur général), [1996] 3 C.F. 947 (1re inst.).
[5] L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 30.
[6] Id., art. 3(2).
[7] [1994] 1 C.F. 742 (C.A.); conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100.
[8] L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 30.
[9] Loi sur le ministère de la Justice, L.R.C. (1985), ch. J-2, art. 4b).
[10] [1986] 2 R.C.S. 539.
[11] [1980] A.C. 458 (P.C.).
[12] Voir Jefford c. Canada, [1988] 2 C.F. 189 (C.A.), à la p. 194, juge Heald, J.C.A.; Re Balderstone et al. and The Queen, (1983), 4 D.L.R. (4th) 162 (C.A. Man.), (le juge en chef Monnin).
[13] Dossier de la demande en réplique du demandeur, vol. 2—Observations, à la p. 29.
[14] Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821.
[15] Gariepy c. Canada (Administrateur de la Cour fédérale), [1989] 1 C.F. 544 (1re inst.), à la p. 556 (juge McNair).
[16] L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1).