Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-295-94

A-82-94

Kathy Marion Armstrong (appelante)

c.

Le commissaire N. D. Inkster de la Gendarmerie royale du Canada en sa qualité de commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, le sous-commissaire J. D. Farrel de la Gendarmerie royale du Canada en sa qualité d'officier compétent, le surintendant E. P. Craig de la Gendarmerie royale du Canada en sa qualité d'officier désigné, la Commission de licenciement et de rétrogradation nommée en vertu de l'article 45.2 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, modifiée, composée du surintendant J. D. Maxwell (président), de l'inspecteur D. M. A. McLay (membre) et de l'inspecteur J. P. R. Poitras (membre), et l'inspecteur Mortimer de la Gendarmerie royale du Canada en sa qualité d'officier responsable du détachement de Langley, Division "E" (intimés )

Répertorié: Armstrongc. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada) (C.A.)

Cour d'appel, juges Stone, Desjardins et McDonald, J.C.A."Vancouver, 1er  octobre 1997; Ottawa, 20 janvier 1998.

Droit administratifContrôle judiciaireCertiorariAppels de jugements de première instance rejetant des demandes pour faire annuler (i) le rejet, par le commissaire de la GRC, d'un appel formé contre la décision de la Commission de licenciement et de rétrogradation qui ordonnait le renvoi de l'appelante de la GRC et (ii) la décision de la CommissionDevant la Commission, la GRC n'a produit que des témoignages par écritL'appelante n'a pas demandé la comparution pour contre-interrogatoire des auteurs des assertions contenues dans ces témoignages écritsEn appel, un Comité externe d'examen a jugé les motifs d'inaptitude non fondésLe Commissaire a pris en considération un résumé, rédigé par une subordonnée, de tous les éléments d'information produits devant la commission(1) Il n'y a pas eu déni d'équité procédurale du fait que l'appelante n'a pas eu la possibilité de faire comparaître, pour contre-interrogatoire, les témoins de la GRCLa Loi sur la Gendarmerie royale du Canada ne dit rien sur le droit de contre-interroger les témoins dans les affaires de licenciementDans de tels cas, les instances judiciaires hésiteront à imposer à une instance adminisrative leurs règles de procédure et leurs règles de preuve, à moins que la justice naturelle ne l'exigeLes règles de justice naturelle n'exigent pas que l'appelante se voie reconnaître le droit de contre-interrogatoire en l'espèce, car les preuves soumises à l'examen de la Cour n'étaient pas contradictoires et ne visaient pas à attaquer la crédibilité de l'appelanteL'appelante n'a pas renoncé au droit de contre-interroger, faute de l'avoir demandéPour renoncer à un droit, il faut que l'intéressé sache exactement quelles sont les conséquences de son acte; la renonciation doit être claire(2) La Commission satisfaisait aux critères d'indépendance: l'inamovibilité de ses membres; leur sécurité financière; et l'indépendance institutionnelle pour ce qui est des matières administratives se rapportant directement à l'exercice de ses fonctionsUne personne informée et raisonnable la jugerait indépendante(3) Le résumé rédigé par une subordonnée contenait des observations selon lesquelles un psychologue aurait pu changer son opinion s'il avait été au courant des problèmes qu'avait l'appelante avec les travaux d'écrituresCela ne constituait pas de nouveaux éléments de preuve que l'appelante aurait dû se voir donner la possibilité de contesterLes juges de la Cour sont divisés sur la question de l'à-propos de l'observation, mais, comme le commissaire n'a fait nulle mention du psychologue, il appert qu'il a tiré ses propres conclusions et qu'il n'y a pas eu violation des règles de justice naturelle.

GRCAppels de jugements de première instance rejetant des demandes pour faire annuler (i) le rejet, par le commissaire de la GRC, d'un appel formé contre la décision de la Commission de licenciement et de rétrogradation qui ordonnait le renvoi de l'appelante de la GRC et (ii) la décision de la CommissionDevant la Commission, la GRC n'a produit que des témoignages par écritEn appel, un Comité externe d'examen a jugé les motifs d'inaptitude non fondésLe commissaire a pris en considération un résumé, rédigé par une subordonnée, de tous les éléments d'information produits devant la CommissionLa Loi sur la Gendarmerie royale du Canada contient un code détaillé et complet en ce qui concerne le licenciementElle ne prévoit pas le droit de contre-interroger(1) Dans les cas où la loi applicable ne dit rien au sujet du droit de contre-interrogatoire, les instances judiciaires hésiteront généralement à imposer à une instance administrative leurs règles de procédureLes impératifs de procédure fixés par la Loi ne portent pas atteinte au droit à un jugement équitable(2) Les dispositions de la Loi faisaient en sorte que la Commission satisfaisait aux critères d'indépendance(3) Les juges de la Cour sont divisés sur la question de l'à-propos de l'observation de la subordonnée selon laquelle un psychologue aurait pu changer son opinion s'il avait été au courant des problèmes qu'avait l'appelante avec les travaux d'écritures, mais, comme le commissaire a tiré ses propres conclusions, il n'y a pas eu violation des règles de justice naturelle.

Il s'agissait d'appels de jugements de première instance rejetant des demandes pour faire annuler (i) le rejet, par le commissaire de la GRC, d'un appel formé contre la décision de la Commission de licenciement et de rétrogradation qui ordonnait le renvoi de l'appelante de la GRC et (ii) la décision de la Commission ainsi que diverses procédures qui y aboutissaient. L'appelante, un gendarme de la GRC, s'est vu signifier un avis d'intention de licenciement pour inaptitude. Une commission de licenciement et de rétrogradation a été constituée pour réviser cette décision. Devant la Commission, la GRC n'a produit que des témoignages par écrit. À l'audience, l'appelante n'a pas demandé la comparution pour contre-interrogatoire des auteurs des assertions contenues dans ces témoignages écrits. La Commission a conclu au bien-fondé des motifs de renvoi pour inaptitude. L'appelante a fait appel au commissaire, qui a renvoyé l'affaire à un Comité externe d'examen. Ce Comité a jugé les motifs d'inaptitude non fondés. Le dossier a été transmis par la suite au commissaire, qui a conclu, après avoir pris en considération un résumé de tous les éléments d'information produits devant la Commission, que les motifs d'inaptitude étaient fondés. Dans le cadre d'un recours en contrôle judiciaire, le juge de première instance a conclu que les motifs invoqués par l'appelante n'étaient pas fondés.

Il s'agissait de savoir (1) si la procédure prévue dans la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada privait l'appelante de son droit à un jugement équitable; (2) si l'appelante s'est vu dénier la justice naturelle en raison du manque d'indépendance de la Commission; et (3) si des observations consignées par une subordonnée dans le résumé constituaient des faits ou opinions nouveaux, que l'appelante ne s'est pas vu donner la possibilité de contester.

Arrêt: les appels doivent être rejetés.

Le juge Stone, J.C.A.: Il n'y a pas eu déni d'équité procédurale du fait que l'appelante n'a pas eu la possibilité de faire comparaître, pour contre-interrogatoire, les témoins de la GRC. L'appelante n'a jamais demandé à la Commission la permission de contre-interroger les auteurs des assertions contenues dans les témoignages écrits produits par la GRC, et les preuves rapportées devant la Commission n'étaient pas contradictoires. Ainsi donc, la Commission n'a jamais expressément dénié à l'appelante le droit de contester par voie de contre-interrogatoire les faits relevés contre elle; il n'y a par conséquent pas eu violation des règles de justice naturelle. Si l'appelante avait voulu contester par contre-interrogatoire les preuves produites par la GRC, il lui incombait tout au moins d'essayer d'exprimer ce vœu à la Commission.

Le droit de contre-interrogatoire est essentiellement le droit de mettre à l'épreuve les faits relevés contre celui qui se réclame de ce droit. L'appelante a eu pleinement la possibilité de contester les témoignages produits contre elle; donc l'audience devant la Commission ne manquait pas d'équité procédurale faute de contre-interrogatoire.

(2) La Commission satisfaisait aux trois critères d'indépendance judiciaire. Le paragraphe 45.25(1), qui prescrit au commissaire de renvoyer la décision de la Commission devant le Comité d'examen avant de se pencher lui-même sur l'appel, n'a aucun rapport avec l'indépendance de la Commission.

(3) L'observation faite par la subordonnée selon laquelle un psychologue aurait pu changer son opinion s'il avait été au courant des problèmes qu'avait l'appelante avec les travaux d'écritures n'est pas interprétée comme signifiant que le résultat était connu d'avance ou comme recommandant au commissaire la suite à donner à l'affaire. Rien dans le dossier n'indiquait que celui-ci n'ait pas tiré ses propres conclusions en la matière, ainsi qu'il y était tenu par la loi.

Le juge Desjardins, J.C.A.: En faisant remarquer que le fait que le psychologue ne savait pas que l'appelante éprouvait des difficultés pour ce qui était des écritures administratives ait pu influer sur son opinion, la subordonnée n'apportait aucune preuve nouvelle, à laquelle l'appelante aurait dû avoir la possibilité de répondre. Elle ne témoignait pas et ne donnait pas sa propre interprétation. Elle ne commentait pas non plus le bien-fondé des conclusions du psychologue. Elle ne faisait que porter à l'attention du commissaire la possibilité que le témoignage d'un expert aurait pu être différent s'il avait été au courant de certains faits pertinents sur le travail de l'appelante. Il n'était pas déplacé de sa part, à ce stade des délibérations, de relever à l'attention du commissaire des faiblesses possibles dans la preuve. Les observations faites au sujet des conclusions du psychologue n'étaient pas injustifiées et il n'y aurait pas lieu de les réprouver.

Le juge McDonald, J.C.A.: (1) Les impératifs de procédure fixés par la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada ne portent pas atteinte au droit de l'appelante d'avoir un jugement équitable. Dans les cas où la loi applicable ne dit rien au sujet du droit de contre-interrogatoire, les instances judiciaires hésiteront généralement à imposer à une instance administrative leurs règles de procédure et leurs règles de preuve, à moins que la justice naturelle ne l'exige. La Loi sur la Gendarmerie royale du Canada ne prévoit pas le droit de contre-interroger les témoins dans les affaires de licenciement, bien qu'elle prévoie ce droit dans les actions disciplinaires informelles tout comme devant les commissions d'enquête. Le législateur a donc décidé de donner plus de garanties de procédure à ceux qui font l'objet d'une commission d'enquête ou d'une action disciplinaire qu'à ceux qui sont en cours de renvoi. Il n'appartient pas à la Cour de remettre en question la sagesse du Parlement.

L'appelante n'a renoncé à aucun droit qu'elle aurait pu avoir, faute d'avoir demandé à contre-interroger. Pour renoncer à un droit, il faut que l'intéressé sache exactement quelles sont les conséquences de son acte. La renonciation elle-même doit être claire. Mais les règles de justice naturelle n'exigent pas que l'appelante se voie reconnaître le droit de contre-interrogatoire en l'espèce. Les preuves soumises à l'examen de la Cour n'étaient pas contradictoires et ne visaient pas à attaquer la crédibilité de l'appelante. De surcroît, la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada prévoit une panoplie de règles et de garanties de procédure, propres à satisfaire aux impératifs de justice naturelle.

(2) La Commission satisfaisait aux critères d'indépendance: (1) l'inamovibilité de ses membres; (2) leur sécurité financière; et (3) l'indépendance institutionnelle pour ce qui est des matières administratives se rapportant directement à l'exercice de ses fonctions. Une personne informée et raisonnable la jugerait indépendante. En prévoyant que tous les membres de la Commission doivent être des officiers de la GRC, la Loi assure un degré légèrement supérieur d'indépendance puisque les officiers sont des cadres de direction et jouissent de ce fait d'une plus grande sécurité. L'un d'entre eux au moins doit être diplômé d'une école de droit. Tous les officiers membres doivent jurer qu'ils s'acquitteront impartialement de leurs fonctions. Ne peut être nommé à la Commission l'officier qui est un supérieur de l'intéressé ou est mêlé dans l'affaire pour avoir provoqué son instruction ou y avoir participé. Les noms de tous les membres de la Commission sont communiqués à l'appelant, qui a le droit d'opposer ses objections à la nomination de l'un quelconque d'entre eux. Une autre garantie de l'indépendance de la Commission tient à ce que le commissaire doit expliquer dans les motifs de sa décision pourquoi il s'écarte de la décision d'un Comité d'examen, constitué pour réviser une décision de la Commission; et le fait d'inciter un membre de la Commission à faillir à son devoir constitue une infraction punissable par procédure sommaire. Bien que ce soit le commissaire qui désigne l'officier qui nomme la Commission, celle-ci n'est nullement tenue d'avoir d'autres attributs d'indépendance que ceux que le législateur a déjà prévus dans la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada.

(3) La justice naturelle exige que le tribunal administratif divulgue aux parties, pour commentaire et réfutation, les faits dont il a connaissance et sur lesquels il compte fonder sa décision. Cependant, il lui est loisible de mettre à profit (et de s'abstenir de divulguer) son fonds accumulé d'expérience, de compétences et de connaissances spécialisées pour analyser et apprécier les éléments de preuve régulièrement soumis à son examen. Il est loisible au commissaire de demander à un de ses subordonnés de préparer un aide-mémoire ou de résumer les preuves pour l'aider dans l'exercice de ses fonctions. Cependant, il faut que les observations faites par ce subordonné et qui ne relèvent pas de son champ d'expertise ou d'expérience soient divulguées. La subordonnée en l'espèce n'était pas qualifiée pour affirmer que, si le psychologue avait été au courant des difficultés qu'éprouvait l'appelante dans les travaux d'écritures, il aurait pu avoir une autre opinion. Comme cette question ne s'est pas posée devant la Commission, l'appelante n'a pas eu la possibilité de réfuter l'assertion dont il s'agit. Puisque cette question n'a pas été expressément examinée par la Commission, le commissaire n'aurait pas dû s'y arrêter. Cependant, comme la décision du commissaire ne faisait nulle mention du psychologue et qu'il y avait suffisamment de preuves pour permettre au commissaire de tirer sa conclusion sans avoir égard à l'assertion de sa subordonnée, c'est le commissaire qui a rendu la décision finale. Il n'y a donc pas eu atteinte au droit à un jugement équitable. Les actions de la subordonnée frôlaient l'irrégularité. À l'avenir, il faudrait avertir tous ceux qui occupent un poste semblable de s'abstenir de pareilles observations. Seules les circonstances particulières de la cause ont fait qu'il n'y a pas eu atteinte au principe incarné dans l'adage audi alteram partem. La subordonnée pouvait porter à l'attention du commissaire le fait que le psychologue n'avait pas à sa disposition certains éléments d'information, mais elle ne devait pas émettre une hypothèse sur la question de savoir si son opinion aurait été différente. Autoriser un profane à conjecturer en la matière revient à saper les fondations du témoignage d'expert. Les profanes ne sont pas des experts et, de ce fait, ils ne doivent pas faire de commentaires sur ce qui peut ou ne peut pas changer l'opinion d'un expert, si celui-ci ou un autre expert n'a pas la possibilité d'exprimer son accord ou son désaccord avec les vues de ce profane. Seul un expert sait quels facteurs pourraient l'amener à changer d'avis.

lois et règlements

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, art. 24.1 (édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 15), 45.1 (édicté, idem, art. 16), 45.2 (édicté, idem), 45.19 (édicté, idem), 45.22 (édicté, idem), 45.23 (édicté, idem), 45.24 (édicté, idem), 45.25 (édicté, idem), 45.26 édicté, idem), 48 (mod., idem, art. 19, 24).

jurisprudence

décisions appliquées:

Innisfil (Municipalité du canton) c. Municipalité du canton de Vespra et autres, [1981] 2 R.C.S. 145; (1981), 123 D.L.R. (3d) 530; 15 M.P.L.R. 250; 37 N.R. 43; 12 O.M.B.R. 129; Selvarajan v. Race Relations Board, [1976] 1 All E.R. 12 (C.A.); Cardinal et autre c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643; (1985), 24 D.L.R. (4th) 44; [1986] 1 W.W.R. 577; 69 B.C.L.R. 255; 16 Admin. L.R. 233; 23 C.C.C. (3d) 118; 49 C.R. (3d) 35; 63 N.R. 353; Kane c. Conseil d'administration (Université de la Colombie-Britannique), [1980] 1 R.C.S. 1105; (1980), 110 D.L.R. (3d) 311; [1980] 3 W.W.R. 125; 18 B.C.L.R. 124; 31 N.R. 214.

décisions examinées:

Willette c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, [1985] 1 C.F. 423; (1984), 10 Admin. L.R. 149; 56 N.R. 161 (C.A.); 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d'alcool), [1996] 3 R.C.S. 919; (1996), 140 D.L.R. (4th) 577; 42 Admin. L.R. (2d) 1; 205 N.R. 1; Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3; (1995), 122 D.L.R. (4th) 129; 26 Admin. L.R. (2d) 1; [1995] 2 C.N.L.R. 92; 177 N.R. 325; County of Strathcona No. 20 and Chemcell Ltd. v. Maclab Enterprises Ltd., Provincial Planning Board and City of Edmonton (1971), 20 D.L.R. (3d) 200; [1971] 3 W.W.R. 461 (C.A. Alb.); Kuntz v. College of Physicians & Surgeons of B.C. (1987), 24 Admin. L.R. 187 (C.S.C.-B.); Lazarov c. Secrétaire d'État du Canada, [1973] C.F. 927; (1973), 39 D.L.R. (3d) 738 (C.A.).

décisions citées:

Trans Quebec & Maritimes Pipeline Inc. c. Office national de l'énergie, [1984] 2 C.F. 432; (1984), 8 Admin. L.R. 177; 54 N.R. 303 (C.A.); Valente c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673; (1985), 52 O.R. (2d) 779; 24 D.L.R. (4th) 161; 23 C.C.C. 3(d) 193; 49 C.R. (3d) 97; 19 C.R.R. 354; 37 M.V.R. 9; 64 N.R. 1; 14 O.A.C. 79; R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259; (1992), 88 D.L.R. (4th) 110; 70 C.C.C. (3d) 1; 8 C.R.R. (2d) 89; 133 N.R. 241; Toshiba Corp. c. Tribunal antidumping; Sharp Corp. c. Tribunal antidumping; Sanyo Corp. c. Tribunal antidumping (1984), 8 Admin. L.R. 173; 6 C.E.R. 258 (C.A.F.); B and W et al., Re (1985), 52 O.R. (2d) 738; 23 D.L.R. (4th) 248; 16 Admin. L.R. 99 (H.C.).

doctrine

Jones, David Phillip and Anne S. de Villars. Principles of Administrative Law, 2nd ed. Scarborough, Ontario: Carswell, 1994.

Smillie, J. A. "The Problem of "Official Notice": Reliance by Administrative Tribunals on the Personal Knowledge of their Members" (1975), Public Law 64.

APPELS de jugements de première instance rejetant des demandes pour faire annuler (i) le rejet, par le commissaire de la GRC, d'un appel formé contre la décision de la Commission de licenciement et de rétrogradation qui ordonnait le renvoi de l'appelante de la GRC et (ii) la décision de la Commission ainsi que diverses procédures qui y aboutissaient (Armstrong c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), [1994] 2 C.F. 356; (1994), 73 F.T.R. 81 (1re inst.); T-2381-93, juge Rothstein, jugement en date du 24-5-94, motifs non distribués). Appels rejetés.

avocats:

Scott M. Bluekens pour l'appelante.

George C. Carruthers pour les intimés.

procureurs:

Warner, Scarborough, Herman & Harvey, New Westminster (Colombie-Britannique), pour l'appelante.

Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.

Ce qui suit est la version française de motifs du jugement rendus par

Le juge Stone, J.C.A.: J'ai eu le privilège de lire, à l'état de projet, les motifs du jugement de mon collègue le juge McDonald. Bien que je partage sa décision ainsi que la majeure partie de son raisonnement, il y a quelques points sur lesquels mon raisonnement s'écarte du sien. J'estime donc nécessaire d'ajouter mes brefs commentaires. Je commencerai par un bref résumé des faits ainsi que de la procédure à suivre en matière de renvois, telle que la prévoit la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10 (la Loi).

Ainsi que l'a rappelé le juge de première instance dans les motifs de son jugement [[1994] 2 C.F. 356], la Loi prévoit un code exhaustif et détaillé pour ce qui est du renvoi de la GRC. Elle prévoit qu'un membre de la GRC ne peut faire l'objet d'une recommandation de renvoi avant de recevoir signification, par écrit, d'un avis1 donnant le détail des actes ou omissions constituant le motif d'inaptitude devant servir de fondement au renvoi2. L'intéressé a alors toute latitude pour examiner la documentation ou les pièces présentées à l'appui de la recommandation3, et peut demander la révision de l'affaire par une Commission de licenciement et de rétrogradation4.

Une fois constituée, la Commission de licenciement et de rétrogradation recevra la documentation et les pièces ayant servi de fondement à la recommandation de renvoi et que l'intéressé a eu la possibilité d'examiner5. Outre ce dernier, l'"officier compétent", qui est un officier de la GRC désigné à cet effet par le commissaire (en l'occurrence l'officier commandant de l'appelante), est partie à la révision6 . L'intéressé peut comparaître devant la Commission soit en personne soit par avocat pour faire des observations et produire des preuves documentaires et, avec la permission de la Commission, citer des témoins7. La Commission est tenue de signifier à l'intéressé copie de sa décision8, qui comprend notamment ses conclusions sur les faits et les motifs de sa recommandation finale en matière de renvoi9.

L'intéressé peut interjeter appel, pour quelque motif que ce soit, de la décision de la Commission au commissaire de la GRC, auquel il peut présenter par écrit ses motifs et arguments y afférents10. Avant d'examiner l'appel, le commissaire le renvoie devant le Comité externe d'examen11, qui est chargé de revoir l'affaire avec possibilité de convoquer une audience à cet effet12. Après que le Comité a terminé l'examen de l'affaire et présenté son rapport au commissaire, celui-ci se prononce sur l'appel à la lumière de la documentation et des pièces soumises à la Commission, de la transcription des audiences tenues devant la Commission, de la décision de cette dernière, des conclusions écrites dont lui-même a été saisi, ainsi que des conclusions et recommandations du Comité externe d'examen13. Si sa décision ne va pas dans le sens des conclusions et recommandations du Comité, le commissaire doit motiver son choix dans sa décision14.

Le 16 octobre 1991, l'appelante s'est vu signifier un avis l'informant qu'elle ferait l'objet d'une recommandation de renvoi. La Commission de licenciement et de rétrogradation, constituée à sa demande pour revoir son cas, a tenu des audiences pour entendre l'affaire du 2 au 6 mars 1992. Devant la Commission, la GRC n'a produit contre elle que des témoignages par écrit. À l'audience, l'appelante n'a à aucun moment demandé la comparution pour contre-interrogatoire des auteurs des assertions contenues dans ces témoignages écrits produits par la GRC. Le 8 juin 1992, la Commission a rendu sa décision par laquelle elle recommandait le renvoi de l'appelante de la GRC pour cause d'inaptitude. L'appelante a fait appel devant le commissaire et l'affaire a été renvoyée devant le Comité externe d'examen, lequel n'a pas partagé la décision de renvoi de la Commission et a recommandé que l'appelante soit transférée à un autre poste.

Le commissaire s'est alors penché sur l'appel. Il a demandé à une subordonnée, le sergent Swann, de compiler un résumé de la documentation et des pièces soumises aux instances inférieures, pour l'aider dans ses délibérations. Le sergent Swann a aussi inclus dans son résumé ses propres observations et recommandations. Par décision en date du 24 septembre 1993, le commissaire, concluant que la recommandation de renvoi était fondée, a débouté l'appelante de son appel contre la décision de la Commission.

Ainsi que le fait observer le juge McDonald, le premier point soulevé dans cet appel consiste dans la question de savoir si la procédure prévue dans la Loi privait l'appelante de son droit à un jugement équitable. En particulier, l'appelante soutient qu'il y a eu déni de justice naturelle puisqu'elle ne s'est pas vu donner la possibilité de contre-interroger les témoins à charge à l'audience devant la Commission de licenciement et de rétrogradation. Je partage, à une exception près, la conclusion tirée par le juge McDonald qu'il n'y a pas eu déni d'équité procédurale du fait que l'appelante n'a pas eu la possibilité de faire comparaître, pour contre-interrogatoire, les témoins de la GRC. À mon avis, l'affaire en instance est différente de la cause Willette c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, [1985] 1 C.F. 423 (C.A.), et la conclusion en ce sens du juge de première instance (en pages 369 et 370 des motifs de son jugement) est parfaitement judicieuse. Dans cette dernière affaire, l'agent de la GRC qui faisait l'objet de la recommandation de renvoi revendiquait expressément le droit de contre-interrogatoire, que la Commission lui a expressément refusé. Qui plus est, les témoignages produits dans cette affaire étaient contradictoires, ce qui faisait ressortir d'autant l'importance du contre-interrogatoire à titre de moyen pour l'intéressé de mettre à l'épreuve les faits relevés contre lui et pour la Commission de découvrir la vérité.

Ces deux circonstances font défaut en l'espèce. L'appelante n'a jamais demandé à la Commission la permission de contre-interroger les auteurs des assertions contenues dans les témoignages écrits produits par la GRC, et les preuves rapportées devant la Commission n'étaient pas contradictoires. Ainsi donc, la Commission n'a jamais expressément dénié à l'appelante le droit de contester par voie de contre-interrogatoire les faits relevés contre elle; il n'y a par conséquent pas eu violation des règles de justice naturelle. À mon avis, si l'appelante avait voulu contester par contre-interrogatoire les preuves produites par la GRC, il lui incombait à tout le moins d'essayer d'exprimer ce vœu à la Commission.

Le droit de contre-interrogatoire est essentiellement le droit de mettre à l'épreuve les faits relevés contre celui qui se réclame de ce droit. C'est ce qui ressort du passage suivant de l'arrêt Innisfil (Municipalité du cantan) c. Municipalité du Canton de Vespra et autres, [1981] 2 R.C.S. 145, aux pages 168 et 169:

. . . ce n'est pas un élément essentiel de la justice naturelle de soumettre au contre-interrogatoire celui qui a produit une déposition pertinente par écrit ou ex parte, pourvu que cette déposition ne soit pas tenue secrète et qu'on accorde une possibilité suffisante d'y répliquer.

Je ne doute pas qu'en l'espèce, l'appelante ait eu pleinement la possibilité de contester les témoignages produits contre elle; il m'est donc impossible de conclure que l'audience devant la Commission manquait d'équité procédurale faute de contre-interrogatoire.

Le deuxième point consiste en la question de savoir si l'appelante s'est vu dénier la justice naturelle en raison du manque d'indépendance de la Commission. Sur ce point encore, je conviens avec mon collègue le juge McDonald que la Commission satisfaisait aux trois critères d'indépendance, savoir l'inamovibilité de ses membres, leur sécurité financière et l'indépendance institutionnelle. J'ai cependant quelques réserves au sujet de sa conclusion (au paragraphe 43, infra) que le paragraphe 45.25(1) de la Loi, qui prescrit au commissaire de renvoyer la décision de la Commission devant le Comité externe d'examen avant de se pencher lui-même sur l'appel, constitue une "garantie de l'indépendance de la Commission". On peut certes voir dans cette disposition un renforcement des protections de procédure pour les membres de la GRC qui font l'objet d'une recommandation de renvoi ou de rétrogradation, mais à mon avis, elle n'a aucun rapport avec l'indépendance de la Commission.

Le troisième point consiste en la question de savoir si des observations consignées par le sergent Swann dans le résumé compilé pour le commissaire constituaient des faits ou opinions nouveaux, que l'appelante ne s'est pas vu donner la possibilité de contester. Le juge McDonald réprouve la troisième observation faite par le sergent Swann, que voici:

[traduction] Un psychologue n'était pas au courant des problèmes qu'avait l'appelante avec les travaux d'écritures, et son opinion aurait pu être différente s'il avait été informé de ce fait pendant qu'il évaluait cette dernière.

Mon collègue estime que le sergent Swann n'était pas qualifié pour exprimer cette opinion, et que celle-ci aurait dû être communiquée à l'appelante pour qu'elle puisse y répondre. Tout en concluant que le défaut par le commissaire de la communiquer ne violait pas le droit de l'appelante à un jugement équitable dans les circonstances de la cause, il estime (au paragraphe 51, infra) que l'observation du sergent Swann "frôle l'irrégularité". À l'avenir, dit-il, il faudra avertir les membres de la GRC se trouvant dans le même cas que le sergent Swann "de s'abstenir de pareilles observations" qui ne relèvent pas de leur domaine d'expertise.

La jurisprudence d'Angleterre reconnaît que le personnel subalterne a un rôle légitime à jouer pour aider les décideurs désignés par la loi et qu'il y a une limite qu'il ne doit pas franchir. Dans Selvarajan v. Race Relations Board, [1976] 1 All E.R. 12 (C.A.), qui portait sur l'obligation d'équité d'un organe d'enquête, lord Denning, M.R., a fait en page 19 cette observation au sujet du processus décisionnel du tribunal administratif:

[traduction] D'ailleurs, il n'est pas nécessaire qu'il fasse tout lui-même. Il peut employer des secrétaires et des clercs pour faire tout le travail préliminaire et leur laisser le soin de s'occuper du gros du travail. Mais, en fin de compte, l'organe d'enquête doit tirer ses propres conclusions et faire son propre rapport.

Et en page 20:

[traduction] Il est malheureux que le rapport de la conciliatrice s'ouvre par cette mention: "Cas clairement prévisible". Elle avait cependant une bonne raison de le faire. En préparant les papiers, il est très utile que le personnel subalterne estime le temps nécessaire pour les délibérations et le travail que les membres de la Commission auront à faire pour préparer un sommaire. Mais c'était une erreur de la part de ce personnel de préjuger du cas en le qualifiant de "clairement prévisible" et en recommandant à la Commission l'opinion qu'elle devrait formuler elle-même. Cette façon de faire est indésirable parce qu'elle pourrait engager les membres de la Commission à prendre un raccourci"à ne pas lire les papiers"et à se contenter d'adopter telle quelle la recommandation. Il faut que le sommaire relève les faits, le point en litige et les questions à trancher. Il ne faut pas qu'il ait pour effet de dire à la commission quelle suite il faut donner à l'affaire.

À mon avis, ces observations ont application dans l'affaire en instance. Je n'interprète pas les observations contestées en l'espèce comme signifiant que le résultat était connu d'avance ou comme recommandant au commissaire la suite à donner à l'affaire. Rien dans le dossier n'indique que celui-ci n'ait pas tiré ses propres conclusions en la matière, ainsi qu'il y était tenu par la loi.

Je me prononce de la même façon que mon collègue le juge McDonald sur les deux appels.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Desjardins, J.C.A.: Je souscris aux motifs de jugement prononcés par mon collègue le juge Stone. Je partage aussi la conclusion et la majeure partie des motifs de jugement de mon collègue le juge McDonald. Je ne partage cependant pas son observation incidente sur le dernier motif d'appel. Il s'agit en particulier des paragraphes 49, 50 et 51 de ses motifs de jugement, qu'il m'a été donné de lire à l'état de projet.

Dans le résumé soumis au commissaire avant que celui-ci ne rende sa décision, le sergent B. R. M. Swann a fait cette observation15:

[traduction] Un psychologue n'était pas au courant des problèmes qu'avait l'appelante avec les travaux d'écritures, et son opinion aurait pu être différente s'il avait été informé de ce fait pendant qu'il évaluait cette dernière.

Le juge de première instance a vu dans cette observation [à la page 381] "une remarque faite ou . . . un conseil donné au commissaire pour l'aider à étudier les éléments de preuve qui ont été présentés à la Commission de licenciement et de rétrogradation". Il a conclu qu'il ne s'agissait pas là d'un fait nouveau. Il a rejeté de ce fait l'argument proposé par l'appelante que le résumé contenait des faits et des conclusions qui n'avaient pas été soumis à la Commission de licenciement et de rétrogradation et qu'elle n'avait pas eu la possibilité de contester.

Mon collègue le juge McDonald voit dans l'observation du sergent Swann une opinion qui échappait à son domaine d'expertise, puisqu'elle n'avait pas qualité d'expert en la matière. Il juge cependant que ses observations n'étaient pas des conclusions déterminantes. En conséquence, il conclut que [au paragraphe 50, infra] "bien qu'il s'agisse là d'informations sur lesquelles le sergent Swann n'était pas qualifié pour donner son opinion, il n'y a pas eu atteinte au droit à un jugement équitable".

Je ne suis pas du même avis.

Le psychologue en question avait conclu que l'appelante n'était pas en mesure de faire son travail proprement parce que le milieu de travail n'était pas propice. Le sergent Swann faisait remarquer dans son résumé que ce psychologue ne savait pas que l'appelante éprouvait des difficultés pour ce qui était des écritures administratives, ce qui a pu influer sur son opinion. À mon avis, le sergent Swann n'a apporté aucune preuve nouvelle, à laquelle l'appelante aurait dû avoir la possibilité de répondre. Le sergent Swann ne témoignait pas et ne donnait pas sa propre interprétation. Elle ne commentait pas non plus le bien-fondé des conclusions du psychologue. Elle ne faisait que porter à l'attention du commissaire la possibilité que le témoignage d'un expert aurait pu être différent s'il avait été au courant de certains faits pertinents sur le travail de l'appelante. Il y a une grande différence entre l'assertion que l'avis d'un expert "aurait été différent" et l'assertion que cet avis "aurait pu être différent". Les éléments de preuve, pris dans leur ensemble y compris les lacunes, se trouvaient dans le dossier soumis à l'examen du commissaire. Le sergent Swann avait pour rôle, à ce stade des délibérations, de les dépouiller et de les résumer à son intention. Il n'était pas déplacé de sa part de relever à l'attention du commissaire des faiblesses possibles dans la preuve. Je ne pense pas que les observations faites par le sergent Swann au sujet des conclusions du psychologue étaient injustifiées ni qu'il y ait lieu de les réprouver.

Dans diverses causes, notre Cour a jugé que les notes de service internes comportant le résumé des preuves et des commentaires, ne portent pas atteinte à la règle audi alteram partem16.

Cela dit, je souscris à la suite que mon collègue le juge McDonald se propose de réserver à ces appels.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge McDonald, J.C.A.: Ces deux appels, entendus ensemble, portent sur les mêmes faits. Le premier appel se rapporte au jugement en date du 27 janvier 1994 par lequel la Section de première instance a rejeté la requête en ordonnance de certiorari pour annuler la décision de N. D. Inkster, commissaire de la GRC, qui rejetait l'appel contre la décision de la Commission de licenciement et de rétrogradation et ordonnait le renvoi immédiat de l'appelante de la GRC. Le second appel se rapporte au jugement en date du 24 mai 1994 [T-2381-93, juge Rothstein, non distribué], par lequel la Section de première instance a rejeté une requête en ordonnances de certiorari pour annuler la décision de la Commission de licenciement et de rétrogradation ainsi que diverses procédures qui y aboutissaient, savoir l'avis de carences professionnelles, suivi de l'avis d'intention de licenciement émanant de l'officier compétent, enfin la décision de l'officier désigné portant nomination des membres de la Commission de licenciement et de rétrogradation.

Les faits de la cause ne sont pas compliqués. L'appelante est entrée dans la Gendarmerie royale du Canada le 20 novembre 1985. Après l'entraînement de base, elle a été transférée au détachement de Langley, en Colombie-Britannique, pour y suivre le stage des recrues, après quoi elle est restée à Langley, avec rang de gendarme à la police générale, niveau 01, à la Section des services généraux.

Le 16 octobre 1991, s'étant vu signifier un avis d'intention de licenciement de la Gendarmerie royale du Canada pour inaptitude, l'appelante a demandé la révision de cette décision, et une Commission de licenciement et de rétrogradation a été constituée à cet effet. Le commissaire a désigné un officier pour nommer les membres de cette Commission. L'appelante n'a pas contesté les nominations faites à cette occasion.

Pour faciliter la présentation des témoins, la Commission a demandé au représentant de l'appelante de lui communiquer les noms des témoins qu'il comptait citer, ainsi qu'un résumé du sens général des témoignages prévus.

Le dossier monté contre l'appelante consistait surtout en dépositions écrites qui n'avaient pas été faites sous serment. Aucun témoignage de vive voix n'a été produit à l'appui des allégations émanant de l'officier qui avait formulé la plainte; les auteurs des assertions et autres dépositions écrites figurant dans l'avis n'ont pas non plus été proposés ou produits pour contre-interrogatoire par l'appelante. Celle-ci a essayé en vain de réfuter quatre assertions qui n'avaient pas été faites sous serment et qui étaient produites en preuve à l'appui des moyens documentaires de l'officier compétent. Elle n'a pas demandé la comparution pour contre-interrogatoire des auteurs de ces déclarations ou des autres documents produits en preuve par ce dernier.

La Commission a conclu au bien-fondé des motifs de renvoi pour inaptitude. L'appelante a fait appel au commissaire qui a renvoyé l'affaire au Comité externe d'examen de la Gendarmerie royale du Canada, lequel a jugé les motifs d'inaptitude non fondés et a recommandé le maintien de l'appelante au sein de la Gendarmerie royale du Canada avec transfert hors du détachement de Langley.

Le dossier a été transmis par la suite au commissaire qui a chargé un de ses subordonnés de lui préparer un résumé de tous les éléments d'information produits devant la Commission par l'officier compétent et l'appelante. Celle-ci ne s'est pas vu accorder la possibilité de présenter d'autres conclusions au commissaire, qui a jugé fondés les motifs d'inaptitude. L'appelante a alors exercé un recours en contrôle judiciaire contre cette décision.

Par ordonnances en date du 27 janvier 1994 et du 24 mai 1994, le juge de première instance a rejeté les demandes de contrôle judiciaire, concluant que les motifs invoqués par l'appelante n'étaient pas fondés. En particulier, il a jugé que le manuel administratif avait été respecté, que l'appelante n'avait subi aucun préjudice puisque la Gendarmerie royale du Canada l'avait soumise aux évaluations de rendement périodiques avant de lui signifier l'avis de carences administratives. Les trois principaux motifs invoqués en contrôle judiciaire étaient les suivants: 1) le régime légal institué par la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada pour la procédure à observer devant la Commission de licenciement et de rétrogradation privait l'appelante de son droit au jugement équitable de sa cause; 2) le régime prévu par la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada pour la nomination de la Commission de licenciement et de rétrogradation la privait de son droit au jugement équitable de sa cause par un juge des faits indépendant, comme le prescrivent les règles de justice naturelle (cette question sera désignée ci-après la question de l'indépendance de la Commission); et 3) le commissaire a pris en compte des faits, opinions et documents nouveaux en violation de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, ce qui privait l'appelante de son droit au jugement équitable de sa cause conformément aux règles de justice naturelle.

Ces motifs sont les mêmes que les motifs d'appel devant cette Cour. Pour ce qui est de savoir si le régime légal privait l'appelante de son droit à un jugement équitable et, en particulier, de son droit de contre-interroger les témoins de la partie adverse, le juge de première instance conclut que si elle ne s'était pas vu accorder la possibilité de contre-interroger les témoins de la partie adverse sur leurs déclarations, il n'y a rien dans la Loi qui lui donne ce droit. Qui plus est, elle n'a pas demandé à contre-interroger ces témoins. Elle avait donc effectivement renoncé à ce droit.

Pour ce qui est de l'indépendance de la Commission, le juge de première instance conclut qu'elle était indépendante. Ses membres ne pouvaient être les supérieurs de l'appelante ni ne pouvaient avoir participé à la constitution ou à la poursuite du dossier contre elle. Leurs noms ont été communiqués à l'appelante qui avait la possibilité de les contester. En particulier, le juge de première instance conclut que la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada prévoit un code exhaustif et qu'il n'y avait pas lieu pour lui d'exiger d'autres attributs d'indépendance au-delà de ce que prévoit le législateur.

Enfin, pour ce qui est des faits, opinions ou documents nouveaux qu'aurait introduits le résumé du sergent Swann, le juge de première instance conclut que c'est dans l'ordre des choses qu'une subordonnée prépare un aide-mémoire à l'intention du commissaire. Bien qu'une partie de son rapport fût incorporée dans la décision de ce dernier, le commissaire a quand même rédigé ses propres motifs. Il n'y a donc pas eu délégation irrégulière de pouvoirs ni violation des règles de justice naturelle.

Pour former appel contre la décision du juge de première instance, l'appelante invoque les mêmes motifs, lui reprochant de ne pas avoir conclu que ces motifs étaient fondés. Après avoir écouté attentivement l'argumentation des avocats des deux parties et examiné la grosse quantité de documents soumis à la Cour, ainsi que la décision de première instance, c'est avec regret que je conclus qu'il faut rejeter l'appel. Bien que je ne partage pas tous les motifs du jugement de première instance, je n'y ai trouvé aucune erreur justifiant l'intervention de la Cour. Comme je suis parvenu à cette décision pour des motifs légèrement différents de ceux du juge de première instance, je vais expliquer en détail comment j'y suis parvenu. Mon analyse des trois points centraux soumis à l'examen de la Cour sera précédée de quelques brèves observations sur l'obligation d'équité.

L'obligation d'équité est un principe fondamental de notre droit. Par le passé, il a été jugé que le degré d'équité auquel était tenu un organisme administratif variait selon qu'il était considéré comme organe judiciaire ou exécutif. De nos jours cependant, la caractérisation fonctionnelle n'est plus le facteur primordial. En effet, comme l'ont fait observer Jones et de Villars, [traduction] "les cours de justice doivent maintenant se concentrer sur la véritable question dont elles ont toujours été saisies, savoir si la procédure appliquée en l'occurrence a été équitable dans toutes les circonstances"17. De nos jours, les facteurs que le juge prend en considération pour dégager le degré d'équité auquel est tenu un organisme administratif sont les suivants: 1) la nature de sa décision; 2) les rapports entre cet organisme et le justiciable; et 3) les effets de la décision sur ce dernier. Il y a lieu de rappeler à ce propos cette observation du juge Le Dain dans Cardinal et autre c. Directeur de l'établissement Kent18: "Cette Cour a confirmé que, à titre de principe général de common law , une obligation de respecter l'équité dans la procédure incombe à tout organisme public qui rend des décisions administratives qui ne sont pas de nature législative et qui touchent les droits, privilèges ou biens d'une personne".

Ce qui s'est passé en l'espèce, c'est que la Commission a pris la décision, subséquemment confirmée par le commissaire, de renvoyer l'appelante. Les décisions de ce genre sont généralement considérées comme de nature administrative. Cependant, les rapports entre l'appelante et la Commission sont antagoniques, et les effets de la décision de cette dernière sont graves pour la première: elle touche directement sa capacité de gagner sa vie. Afin d'examiner s'il y a eu procédure propre à assurer la justice naturelle ou l'équité procédurale, il y a lieu de se rappeler les règles suivantes, telles qu'elles ont été évoquées par le juge Dickson (juge puîné à l'époque) dans Kane c. Conseil d'administration (Université de la Colombie-Britannique)19:

1. Il incombe aux cours de justice d'attribuer à un tribunal, tel le conseil d'administration d'une université auquel la loi donne mandat de siéger en appel, une large mesure d'autonomie de décision. Le conseil n'a pas à faire siens les rites d'une cour de justice. Il n'y a pas de litige entre des parties et pas de poursuivant ni d'accusé. Il lui est permis, dans des limites raisonnables, d'établir ses propres règles de procédure qui varieront suivant la nature de l'enquête et les circonstances de l'affaire . . . Peu de membres [du conseil d'administration] ont une formation juridique, parfois aucun. Par conséquent, il serait injuste de leur demander d'avoir, dans l'exécution de leurs fonctions quasi judiciaires, la haute tenue en matière de procédure que l'on est en droit d'attendre d'une cour. Ils ne sont pas liés par les règles de preuve strictes et les autres règles applicables aux procédures engagées devant une cour de justice. Il suffit que la cause soit entendue dans un esprit d'impartialité et conformément aux principes de justice fondamentale . . .

2. . . . Dans chaque cas, les exigences de la justice naturelle varient selon [traduction] "les circonstances de l'affaire, la nature de l'enquête, les règles qui régissent le tribunal, la question traitée, etc." . . . Les règles de justice naturelle ne peuvent être abrogées que par un texte de loi exprès ou nettement implicite en ce sens.

3. Une justice de haute qualité est exigée lorsque le droit d'une personne d'exercer sa profession ou de garder son emploi est en jeu . . . Une suspension de nature disciplinaire peut avoir des conséquences graves et permanentes sur une carrière.

4. Le tribunal doit entendre équitablement les deux parties au litige afin de leur donner la possibilité [traduction] "de rectifier ou de contredire toute déclaration pertinente préjudiciable à leurs points de vue".

Sur le premier motif d'appel"savoir si le régime légal prive l'appelante de son droit à un jugement équitable"je partage la conclusion tirée par le juge de première instance que les impératifs de procédure fixés par la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada ne portent pas atteinte à ce droit. Les parties ont passé beaucoup de temps à débattre la question de savoir si le droit de contre-interrogatoire existe dans ce cas d'espèce. Je me concentrerai donc sur cette question. Le droit de contre-interroger les témoins de la partie adverse, s'il est de la première importance dans notre système judiciaire, n'est pas un droit absolu. Dans les cas où la loi applicable ne dit rien au sujet du droit de contre-interrogatoire, les instances judiciaires hésiteront généralement à imposer à une instance administrative leurs règles de procédure et leurs règles de preuve20. La Loi sur la Gendarmerie royale du Canada ne prévoit pas le droit de contre-interroger les témoins dans les affaires de licenciement. Il est intéressant de noter cependant qu'elle prévoit ce droit dans les actions disciplinaires informelles tout comme devant les commissions d'enquête21. On peut voir que le législateur a décidé de donner plus de garanties de procédure à ceux qui font l'objet d'une commission d'enquête ou d'une action disciplinaire qu'à ceux qui sont en cours de renvoi. Si cette omission semble contestable au regard de l'importance du droit en jeu, il n'appartient pas à cette Cour de remettre en question la sagesse du Parlement. Il suffit que la Loi ne prévoie aucun droit de contre-interrogatoire pour les affaires de ce genre. Il s'ensuit que notre Cour hésitera à imposer à la Commission les attributs formels d'une instance judiciaire, à moins que la justice naturelle ne l'exige.

Dans County of Strathcona No. 20 and Chemcell Ltd. v. Maclab Enterprises Ltd., Provincial Planing Board and City of Edmonton22, la Cour d'appel de l'Alberta a conclu que, du fait que l'intimée avait la possibilité de répondre à un rapport d'expert et que la Commission tenait de la loi le pouvoir de définir ses propres règles de procédure et de pratique, le contre-interrogatoire n'était pas nécessaire. Elle s'est notamment prononcée en ces termes:

[traduction] Il ne s'ensuit pas que la privation ou la restriction du droit de contre-interrogatoire oblige toujours le juge à annuler l'ordonnance rendue dans une instance où pareille restriction a eu lieu. Si l'intéressé a à sa disposition une méthode tout aussi efficace pour réfuter les faits relevés contre lui, c'est-à-dire s'il se voit donner en toute équité la possibilité de réfuter les assertions faites à son détriment . . . il y a observation des impératifs de justice naturelle23.

Il y a cependant d'autres cas où il a été jugé qu'il faut reconnaître le droit de contre-interrogatoire à l'individu dont la réputation ou le gagne-pain est en jeu. Les deux exemples en sont Willette c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada24 et Re B and W et al.,25. Il se trouve cependant que dans Kuntz v. College of Physicians & Surgeons of B.C.26, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a jugé qu'il n'y avait pas de droit de contre-interrogatoire encore que le gagne-pain de l'intéressé fût en jeu. Il a été jugé que le contre-interrogatoire n'était pas nécessaire puisque l'intéressé pouvait rectifier ou réfuter par d'autres moyens tout fait relevé contre lui.

Le juge de première instance a distingué cette affaire de la cause Willette pour différents motifs. L'un de ces motifs est que dans la cause Willette, une demande de contre-interrogatoire avait été faite et la commission l'avait rejetée. Sauf le respect que je lui dois, je n'y vois pas une distinction valable. En l'espèce, l'intimé soutient que si la requérante l'avait voulu, elle aurait pu exercer ses droits en citant ses propres témoins avec la permission de la Commission. Ce même argument a été proposé dans Willette, et la Cour d'appel l'a rejeté par ce motif:

. . . compte tenu des circonstances de l'espèce où la preuve invoquée par la Commission était, selon ses propres termes, [traduction] "incompatible et contradictoire sous plusieurs aspects", la Commission a commis une erreur en omettant de faire ce qu'elle était clairement habilitée à faire, c'est-à-dire citer les auteurs des dispositions à l'audience pour qu'ils y témoignent en personne et soient contre-interrogés.27

Je ne suis pas d'avis non plus que faute d'avoir demandé à contre-interroger, l'appelante a renoncé au droit qu'elle aurait pu avoir. Pour renoncer à un droit, il faut que l'intéressé sache exactement quelles sont les conséquences de son acte. La renonciation elle-même doit être claire. Cela dit, j'estime cependant que le juge de première instance a eu raison de conclure que les règles de justice naturelle n'exigent pas que l'appelante se voie reconnaître le droit de contre-interrogatoire en l'espèce. Les preuves soumises à l'examen de la Cour n'étaient pas contradictoires et ne visaient pas à attaquer la crédibilité de l'appelante. De surcroît, la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada prévoit une panoplie de règles et de garanties de procédure, propres à satisfaire aux impératifs de justice naturelle. Comme il a déjà été noté, les instances judiciaires doivent se pénétrer de cette réalité que les organes administratifs ne peuvent être entravés par les attributs mêmes des tribunaux judiciaires. Ainsi donc, le juge de première instance a eu raison de conclure que le régime légal en place n'avait pas pour nature ou effet de priver l'appelante de son droit à un jugement équitable.

Le deuxième motif d'appel porte sur la question de savoir si la Commission satisfait aux critères reconnus d'indépendance. Les trois critères auxquels un tribunal administratif doit satisfaire pour être reconnu comme indépendant sont: 1) l'inamovibilité de ses membres; 2) leur sécurité financière; et 3) l'indépendance institutionnelle pour ce qui est des matières administratives se rapportant directement à l'exercice de ses fonctions28. Le test à appliquer pour l'analyse de ces facteurs consiste en la question de savoir si une personne informée et raisonnable croirait à l'indépendance du tribunal29. Dans 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d'alcool)30, la Cour suprême du Canada a jugé que "[c]es éléments objectifs visent en fait à assurer que le juge puisse raisonnablement être perçu comme indépendant, et qu'ainsi les craintes de partialité soient écartées. L'indépendance constitue donc en définitive une garantie de l'impartialité".

La Loi sur la Gendarmerie royale du Canada prévoit que tous les membres de la Commission doivent être des officiers de la Gendarmerie royale. Cela assure un degré légèrement supérieur d'indépendance puisque les officiers sont des cadres de direction et jouissent de ce fait d'une plus grande sécurité. L'un d'entre eux au moins doit aussi être diplômé d'une école de droit31. En outre, tous les officiers membres doivent jurer qu'ils s'acquitteront impartialement de leurs fonctions. Dans Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui32, le juge en chef Lamer a conclu qu'il s'agit là d'un important facteur à prendre en considération pour juger de l'indépendance. En outre, ne peut être nommé à la Commission l'officier qui est un supérieur de l'intéressé ou est mêlé dans l'affaire pour avoir provoqué son instruction ou y avoir participé33. Par ailleurs, les noms de tous les membres de la Commission sont communiqués à l'appelant qui a le droit d'opposer ses objections à la nomination de l'un quelconque d'entre eux.

Une autre garantie de l'indépendance de la Commission tient à ce que sa décision est renvoyée à un Comité externe d'examen. Si le commissaire choisit de s'écarter de la décision de ce dernier, il doit expliquer pourquoi dans les motifs de sa propre décision34. L'article 48 [mod., idem, art. 19, 24] de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada assure une garantie additionnelle en prévoyant que le fait d'inciter un membre de la Commission à faillir à son devoir constitue une infraction punissable par procédure sommaire. S'il est vrai que c'est le commissaire qui désigne l'officier qui nomme la Commission, je conviens quand même avec le juge de première instance que la Commission de licenciement et de rétrogradation n'est nullement tenue d'avoir d'autres attributs d'indépendance que ceux que le législateur a déjà prévus dans la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada. La Commission satisfait aux critères d'indépendance et je suis convaincu qu'une personne informée, raisonnable la jugerait indépendante.

Le dernier motif d'appel consiste en la question de savoir si le juge de première instance a conclu à tort que le commissaire n'avait pas été saisi de faits, opinions ou documents nouveaux, qui auraient eu pour effet de priver l'appelante de son droit à un jugement équitable. Au procès, l'appelante a soutenu que les trois observations suivantes, faites par le sergent Swann dans son résumé des faits destiné au commissaire, constituaient des faits, opinions ou documents nouveaux qui n'avaient pas été présentés à la Commission et que l'appelante n'avait pas eu la possibilité de contester:

[traduction]

1) Comme il se peut que les noteurs n'interprètent pas les points de la même façon, il est important de tenir compte de l'appréciation circonstanciée qui figure dans la partie 7A parce qu'elle peut expliquer les cotes attribuées et fournir leur raison d'être sous-jacente.

2) Par ailleurs, il se peut que les superviseurs soient peu disposés à attribuer des cotes insatisfaisantes compte tenu des nombreux documents qui doivent être présentés en pareil cas, de l'incidence que ces cotes peuvent avoir sur la carrière d'un membre et des problèmes de motivation qui peuvent en résulter.

3) Un psychologue n'était pas au courant des problèmes qu'avait l'appelante avec les travaux d'écritures, et son opinion aurait pu être différente s'il avait été informé de ce fait pendant qu'il évaluait cette dernière.

Le juge de première instance a conclu que les deux premières observations étaient des opinions et non des faits, et que la troisième observation était un commentaire ou un conseil adressé au commissaire pour l'aider à mieux saisir les éléments de preuve qui avaient été présentés à la Commission de licenciement et de rétrogradation.

Il est important de se rappeler que la règle audi alteram partem de la common law et l'obligation d'équité signifient aussi que la personne touchée par la décision du tribunal administratif doit être informée des faits relevés contre elle: ce n'est que de cette façon qu'elle peut rectifier les éléments de preuve produits à son détriment et présenter elle-même ses propres preuves35. Un partie doit aussi se voir donner la possibilité de donner sa version de l'affaire.

Une parfaite illustration de ce principe se trouve dans l'arrêt Lazarov c. Secrétaire d'État du Canada36 de notre Cour. Dans cette affaire, le ministre avait rejeté la demande de M. Lazarov sur la base de renseignements confidentiels communiqués par la police. Prononçant le jugement de la Cour, le juge d'appel Thurlow [tel était alors son titre] a conclu qu'il y avait violation des règles de justice naturelle, comme suit:

Il ne s'agit pas d'un cas où l'on prive une personne de ses biens et il est vrai que le requérant peut présenter une nouvelle demande au bout de deux ans; mais la qualité de citoyen comporte des droits et des privilèges et refuser la demande d'une personne à qui on l'accorderait par ailleurs, à partir de considérations qu'on n'a pas portées à sa connaissance et qu'elle n'a pas eu la possibilité de contester, va à l'encontre du sens commun de la justice, même si cette personne peut légalement présenter une nouvelle demande après un délai relativement court. On a l'impression que le requérant n'est pas traité de façon équitable et que l'équité exige qu'il ait au moins la possibilité de présenter son point de vue sur ces éléments de la décision.

. . .

En conséquence, à mon avis, la règle audi alteram partem s'applique chaque fois que le Ministre se propose d'exercer son pouvoir discrétionnaire de refuser une demande compte tenu des faits relatifs à un requérant donné ou à sa demande; et on doit accorder au requérant, d'une façon ou d'une autre, l'occasion de présenter son point de vue sur une considération qui, en l'absence d'une réfutation ou d'une explication, entraînerait le rejet de sa demande, s'il n'a pas déjà eu la possibilité de le faire au cours des procédures devant la Cour de la citoyenneté37.

Les opinions non divulguées ne tombent pas toutes dans le champ d'application de ce principe. Dans "The Problem of "Official Notice": Reliance by Administrative Tribunals on the Personal Knowledge of their Members"38, J. A. Smillie distingue entre l'utilisation par le tribunal administratif des faits dont il a personnellement connaissance pour suppléer aux éléments de preuve présentés régulièrement et ouvertement, d'une part, et le fait qu'il s'appuie sur son fonds accumulé de savoir et d'expérience spécialisés pour apprécier les éléments de preuve régulièrement produits. Selon Smillie, le principe de justice naturelle pose que le tribunal administratif doit divulguer aux parties, pour commentaire et réfutation, les faits dont il a connaissance et sur lesquels il compte fonder sa décision. Cependant, il lui est loisible de mettre à profit (et de s'abstenir de divulguer) son fonds accumulé d'expérience, de compétences et de connaissances spécialisées pour analyser et apprécier les éléments de preuve régulièrement soumis à son examen.

La distinction faite par Smillie a été critiquée comme étant arbitraire dans certains cas. Elle est cependant utile en l'espèce. Je conviens avec le juge de première instance qu'il était loisible au commissaire de demander à un de ses subordonnés de préparer un aide-mémoire ou de résumer les preuves pour l'aider dans l'exercice de ses fonctions. Cependant, il faut que les observations faites par ce subordonné et qui ne relèvent pas de son champ d'expertise ou d'expérience soient divulguées. Les deux premières observations susmentionnées du sergent Swann, relatives à la nécessité d'une documentation extensive et à l'effet des notes sur la carrière de l'intéressé, sont des observations qui relèvent de ses connaissances spécialisées. Je ne peux cependant conclure que sa troisième observation relative au psychologue et à ce qui aurait pu influer sur l'opinion de ce dernier, soit une observation qui tombe dans son domaine d'expertise. De fait, il n'en est vraiment rien. Le psychologue a donné une autre raison pour expliquer que l'appelante n'ait pas donné un rendement satisfaisant dans son travail, savoir que son milieu de travail n'était pas propice. Le sergent Swann affirme que si le psychologue avait été au courant des difficultés qu'éprouvait l'appelante dans les travaux d'écritures, il aurait pu avoir une autre opinion. Le sergent Swann n'est pas qualifié pour tirer cette conclusion. La seule personne qui soit habilitée à le faire est le psychologue lui-même ou un autre expert ayant les mêmes qualifications. Cette question ne s'est pas posée devant la Commission. En conséquence, l'appelante n'a pas eu la possibilité de réfuter l'assertion dont s'agit. Puisque cette question n'a pas été expressément examinée par la Commission, le commissaire n'aurait pas dû s'y arrêter.

Cependant, la décision du commissaire ne fait nulle mention du psychologue. La seule référence se trouve peut-être dans cette phrase: [traduction] "Les documents produits me portent à croire que la gendarme Armstrong donne des excuses, ou une justification si l'on veut, de son inaptitude à faire le travail voulu, à la lumière de ses responsabilités et par comparaison avec ses collègues du même niveau". Selon les documents produits devant la Cour, il y avait suffisamment de preuves pour permettre au commissaire de tirer sa conclusion sans avoir égard à l'assertion du sergent Swann. Au surplus, c'est le sergent Swann qui a préparé le résumé, mais c'est le commissaire qui a rendu la décision finale. Les observations faites par le sergent Swann n'étaient que des opinions, non pas des conclusions déterminantes. Je conclus donc que, bien qu'il s'agisse là d'informations sur lesquelles le sergent Swann n'était pas qualifié pour donner son opinion, il n'y a pas eu atteinte au droit à un jugement équitable.

J'estime cependant qu'il est important de souligner que les actions du sergent Swann frôlent l'irrégularité en l'espèce. À l'avenir, il faut avertir le sergent Swann ainsi que tous ceux qui occupent un poste semblable, de s'abstenir de pareilles observations. Même si le sergent Swann avait des connaissances spécialisées, il s'agit d'observations qui doivent être divulguées devant la Commission afin que l'appelante soit en mesure de les réfuter. Seules les circonstances particulières de la cause font qu'il n'y a pas eu atteinte au principe incarné dans l'adage audi alteram partem.

En ce qui concerne ce dernier point, je conviens qu'un tribunal administratif peut demander au personnel subalterne de compiler des résumés des faits et des preuves. Je tiens cependant à ajouter qu'à mon avis, seul un expert (en l'occurrence un psychologue) est en mesure de dire si son opinion aurait été différente s'il avait été en possession d'autres éléments d'information. Le sergent Swann peut porter à l'attention du commissaire le fait que le psychologue n'avait pas à sa disposition certains éléments d'information, mais elle ne doit pas émettre une hypothèse sur la question de savoir si son opinion aurait été différente. En effet, autoriser un profane à conjecturer en la matière revient, à mon avis, à saper les fondations du témoignage d'expert.

Les règles de preuve posent qu'un expert doit avoir qualité d'expert dans un certain domaine avant d'être autorisé à témoigner dans ce domaine. Cette règle se passe d'explications. Elle garantit que seuls ceux qui sont qualifiés peuvent rendre témoignage dans un certain domaine. Les profanes ne sont pas des experts et, de ce fait, ils ne doivent pas faire de commentaires sur ce qui peut ou ne peut pas changer l'opinion d'un expert, si celui-ci ou un autre expert n'a pas la possibilité d'exprimer son accord ou son désaccord avec les vues de ce profane. Seul un expert sait quels facteurs pourraient l'amener à changer d'avis. Le commissaire peut décider s'il veut s'en remettre au témoignage de l'expert, mais ni lui ni le sergent Swann ne peuvent dire que l'avis de celui-ci aurait pu être tout autre, à moins que ce point n'ait été soulevé devant la Commission ou que cet expert lui-même n'ait la possibilité de dire ce qu'il en pense.

Je me prononce pour le rejet des deux appels. Les intimés n'ayant pas demandé les dépens, la Cour n'en adjugera pas.

1 Art. 45.19(1) [édicté, par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 16].

2 Art. 45.19(2)a) [édicté, idem].

3 Art. 45.19(3) [édicté, idem].

4 Art. 45.19(4) [édicté, idem].

5 Art. 45.22(2) [édicté, idem].

6 Art. 45.22(1) [édicté, idem].

7 Art. 45.22(3) [édicté, idem].

8 Art. 45.23(5) [édicté, idem].

9 Art. 45.23(2) [édicté, idem].

10 Art. 45.24(2) et (3) [édicté, idem].

11 Art. 45.25(1) [édicté, idem].

12 Art. 45.25(4) [édicté, idem].

13 Art. 45.26(1) [édicté, idem].

14 Art. 45.26(5) [édicté, idem].

15 Dossier d'appel, vol. III, à la p. 363.

16 Toshiba Corp. c. Tribunal antidumping; Sharp Corp. c. Tribunal antidumping; Sanyo Corp. c. Tribunal antidumping (1984), 8 Admin. L.R. 173 (C.A.F.), à la p. 175; Trans Quebec & Maritimes Pipeline Inc. c. Office national de l'énergie, [1984] 2 C.F. 432 (C.A.).

17 Jones, David Phillip et Anne S. de Villars, Principles of Administrative Law, 2e éd. (Scarborough, Ont.: Carswell, 1994), à la p. 207.

18 [1985] 2 R.C.S. 643, à la p. 653.

19 [1980] 1 R.C.S. 1105, aux p. 1112 et 1113.

20 Jones et de Villars, Principles of Administrative Law, 2e éd. (Scarborough, Ont.: Carswell, 1994), à la p. 260.

21 Voir les art. 24.1(4) [édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 15] et 45.1(8) [édicté, idem, art. 16]. L'art. 24.1(4) porte: "Toute personne dont la commission d'enquête étudie la conduite ou les activités et qui convainc celle-ci qu'elle a dans la question dont la commission est saisie un intérêt direct et réel doit avoir toute latitude de présenter devant celle-ci des éléments de preuve, de contre-interroger les témoins et de faire des observations, soit personnellement, soit par l'intermédiaire d'un avocat ou autre représentant".

De même, l'art. 45.1(8) prévoit ce qui suit: "Les parties à une audience doivent avoir toute latitude de présenter des éléments de preuve à l'audience, d'y contre-interroger les témoins et d'y faire des observations, soit personnellement, soit par l'intermédiaire d'un avocat ou autre représentant".

22 (1971), 20 D.L.R. (3d) 200 (C.A. Alb.).

23 Id., à la p. 203.

24 [1985] 1 C.F. 423 (C.A.).

25 (1985), 52 O.R. (2d) 738 (H.C.). Voir aussi Jones et de Villars, supra, à la p. 265.

26 (1987), 24 Admin. L.R. 187 (C.S.C.-B.).

27 Supra, note 24, à la p. 433.

28 ;Valente c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673.

29 ;R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259.

30 [1996] 3 R.C.S. 919, à la p. 961.

31 L'art. 45.2(2) [édicté, idem] porte: "Au moins un des trois officiers de la commission est un diplômé d'une école de droit reconnue par le barreau d'une province."

32 [1995] 1 R.C.S. 3.

33 L'art. 45.2(4) [édicté, idem] porte: "Ne peut être nommé à titre de membre d'une commission de licenciement et de rétrogradation l'officier qui: a ) soit est le supérieur immédiat du membre dont la cause est révisée par la commission; b) soit est mêlé à l'affaire soumise à la commission pour avoir provoqué son instruction ou y avoir participé."

34 L'art. 45.26(4) porte: "Le commissaire rend, dans les meilleurs délais, une décision écrite et motivée, et en signifie copie à chacune des parties à la révision faite par la commission de licenciement et de rétrogradation, ainsi qu'au président du Comité lorsque l'affaire a été renvoyée devant le Comité conformément à l'article 45.25."

L'art. 45.26 (5) porte: "Le commissaire n'est pas lié par les conclusions ou les recommandations contenues dans le rapport portant sur une affaire qui a été renvoyée devant le Comité conformément à l'article 45.25; s'il choisit de s'en écarter, il doit toutefois motiver son choix dans sa décision."

35 Voir Jones et de Villars, à la p. 251.

36 [1973] C.F. 927 (C.A.).

37 Id., aux p. 939 et 940.

38 (1975), Public Law 64.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.