A-881-96
Kathleen Still (requérante)
c.
Le ministre du Revenu national (intimé)
Répertorié: Stillc. M.R.N. (C.A.)
Cour d'appel, juges Strayer, Linden et Robertson, J.C.A."Toronto, 8 octobre; Ottawa, 24 novembre 1997.
Contrats — Théorie de l'illégalité — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle la C.C.I. a confirmé un refus de prestations d'assurance-chômage au motif que le contrat de louage de services était illégal pour avoir enfreint le Règlement sur l'immigration de 1978 — Examen du modèle classique et de l'approche moderne de l'illégalité — Rejet du modèle classique (1) parce qu'il avait perdu son pouvoir de persuasion et n'était plus appliqué d'une manière systématique; (2) parce qu'il ne tenait pas compte de la réalité qu'une conclusion d'illégalité était fonction de l'objet de l'interdiction d'origine législative, de la réparation demandée en l'espèce et des conséquences de la conclusion que le contrat n'était pas susceptible d'exécution; (3) parce que la théorie de l'illégalité en common law varie d'une province à l'autre — Comme la théorie de l'illégalité n'émane pas du législateur, mais du pouvoir judiciaire, les juges d'aujourd'hui doivent faire en sorte qu'elle soit compatible avec les valeurs contemporaines — Il appartenait à la C.A.F. d'orienter son analyse de manière à tenir compte de l'approche moderne et du contexte de droit public dans lequel cette approche s'inscrit — Le principe suivant exprime le mieux la théorie de l'illégalité d'origine législative dans le contexte fédéral: lorsqu'un contrat est explicitement ou implicitement interdit par une loi, un tribunal peut refuser d'accorder une réparation si, compte tenu de toutes les circonstances, y compris l'objet de l'interdiction, il est contraire à l'intérêt public, reflété dans la réparation demandée, de le faire — Objet de la Loi sur l'assurance-chômage et des restrictions prévues dans le Règlement sur l'immigration — Aucun n'est déterminant — Considérations générales: (1) nul ne devrait pouvoir tirer profit de son méfait; (2) une mesure de réparation ne devrait pas affaiblir l'objet d'une loi — Les valeurs collectives sont pertinentes quant à la réprobation morale — La requérante était une immigrante légale et a agi de bonne foi — La peine était disproportionnée à l'infraction — La requérante n'était pas inadmissible aux prestations à cause de l'illégalité d'origine législative.
Assurance-chômage — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle la C.C.I. a confirmé un refus de prestations d'assurance-chômage — En attendant l'examen de sa demande de statut de résident permanent, la requérante a travaillé comme domestique sans permis — Elle croyait être légalement autorisée à travailler au Canada — L'art. 18(1) du Règlement sur l'immigration interdit aux personnes qui n'ont pas obtenu le statut de résident permanent le droit de travailler sans autorisation — La Cour de l'impôt a statué que le contrat de louage de services de la requérante était illégal parce qu'il contrevenait à l'art. 18 — La requérante était une immigrante légale et a agi de bonne foi — Elle n'était pas inadmissible aux prestations à cause de l'illégalité d'origine législative — La peine était disproportionnée à l'infraction — L'intérêt public penche en faveur de l'immigrant légal qui agit de bonne foi.
Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Personnes ayant un statut temporaire — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle la C.C.I. a confirmé un refus de prestations d'assurance-chômage — En attendant l'examen de sa demande de statut de résident permanent, la requérante a travaillé comme domestique sans permis — L'art. 18(1) du Règlement sur l'immigration interdit aux personnes qui n'ont pas obtenu le statut de résident permanent le droit de travailler sans autorisation — La Cour de l'impôt a statué que le contrat de louage de services de la requérante était illégal parce qu'il contrevenait à l'art. 18 — La requérante était une immigrante légale et a agi de bonne foi — La peine était disproportionnée à l'infraction — La requérante n'était pas inadmissible aux prestations à cause de l'illégalité d'origine législative — Le Règlement encourage des personnes comme la requérante à accepter un emploi que des Canadiens refusent d'accepter ou à travailler dans des domaines où il n'y a pas assez de Canadiens ayant les compétences voulues — Il n'était pas nécessaire de refuser la réparation pour préserver l'intégrité du système juridique.
Interprétation des lois — La requérante s'est vu refuser des prestations d'assurance-chômage au motif qu'elle avait contrevenu à l'art. 18 du Règlement sur l'immigration qui interdit à une personne n'ayant pas le statut de résident permanent de travailler sans autorisation — La C.C.I. a statué que le contrat de louage de services était illégal — Les règles ordinaires d'interprétation des lois ne s'appliquent pas pour déterminer si un emploi régi par un contrat nul est un emploi assurable — L'intention du législateur n'est pas définie au moyen d'une analyse contextuelle ou d'une analyse fondée sur l'objet visé — Si les prestations sont refusées, c'est à cause de l'intérêt public — Considérations générales: (1) nul ne devrait pouvoir tirer profit de son propre méfait; (2) une mesure de réparation ne devrait pas affaiblir l'objet de l'une ou l'autre loi — L'objet n'est pas déterminant — Les valeurs collectives sont pertinentes quant à la réprobation morale — La requérante était une immigrante légale et a agi de bonne foi — La peine était disproportionnée à l'infraction — La requérante n'était pas inadmissible aux prestations à cause de l'illégalité d'origine législative — Il n'était pas nécessaire de refuser la réparation pour préserver l'intégrité du système juridique.
Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Cour de l'impôt a confirmé un refus de prestations d'assurance-chômage. En attendant l'examen de sa demande de statut de résident permanent, et agissant de bonne foi, la requérante a accepté un emploi sans obtenir un permis de travail. Du 9 mai au 1er octobre 1993, elle a travaillé comme domestique dans un camp situé dans l'île Manitoulin (Ontario). Le 23 septembre, elle a obtenu le statut de résident permanent et, par le fait même, le droit de travailler au Canada sans permis de travail. Le 1er octobre 1993, elle a été mise à pied. Sa demande de prestations d'assurance-chômage a été refusée à cause de la violation du paragraphe 18(1) du Règlement sur l'immigration de 1978 qui interdit à quiconque, à l'exception d'un citoyen canadien ou d'un résident permanent, de prendre un emploi au Canada sans une autorisation d'emploi en cours de validité. Aucune peine n'est explicitement prévue pour la violation de cette disposition, mais l'article 98 de la Loi sur l'immigration est la disposition pénale générale qui s'applique aux affaires dans lesquelles aucune peine n'est prévue ailleurs dans la Loi ou ses règlements d'application. Cette disposition ne s'applique qu'aux personnes qui contreviennent sciemment à ces textes. Comme elle n'avait pas obtenu de permis de travail, le juge de la Cour de l'impôt a statué que le contrat de louage de services était nul parce qu'illégal. Reconnaissant que le droit avait créé des exceptions aux durs résultats que peut donner une application stricte de la théorie de l'illégalité, le juge de la Cour de l'impôt a examiné les conséquences générales que comportait l'annulation du contrat. Il a conclu que l'"utilité sociale" que comportait le fait de refuser des prestations d'assurance-chômage à la requérante reposait sur la protection de la solvabilité de la caisse d'assurance-chômage.
Les questions en litige étaient de savoir: (1) si le contrat de travail de la requérante était illégal en common law et, partant, nul ab initio; et (2) si le contrat de louage de services illégal était visé par la définition d'"emploi assurable".
Arrêt: la demande doit être accueillie. L'emploi exercé par la requérante du 9 mai au 23 septembre 1993 était un emploi assurable.
La théorie de l'illégalité se divise en deux catégories: l'illégalité en common law et l'illégalité d'origine législative. Selon le modèle classique de la théorie de l'illégalité, un contrat qui est soit explicitement soit implicitement interdit par une loi est considéré comme nul ab initio, c'est-à-dire qu'aucune des parties n'a le droit de demander l'aide des tribunaux, même si la partie qui demande réparation a agi de bonne foi. L'ignorance de la loi n'est pas une excuse. Un tribunal ne devrait pas être prompt à en déduire l'existence d'une interdiction, et il ne doit pas le faire si l'interdiction se rapporte à l'exécution d'un contrat par opposition à sa formation. Si l'interdiction se rapporte aux modalités de l'exécution, un cocontractant innocent peut avoir droit à l'exécution du contrat.
L'approche moderne du droit en matière d'illégalité rejette l'idée qu'un contrat est illégal et, partant, nul ab initio pour la simple raison qu'il est interdit par une loi. Le contrat peut être déclaré illégal mais une réparation est accordée au moyen d'une exception, ou le contrat n'est pas jugé illégal et est donc susceptible d'exécution. Dans l'un ou l'autre cas, le résultat juridique est le même. L'autre caractéristique distinctive de l'approche moderne est que le caractère exécutoire d'un contrat repose sur l'analyse du but poursuivi par le législateur en édictant l'interdiction. Selon le modèle classique, l'objet de la loi était pertinent uniquement pour déterminer si l'interdiction ne visait que la production de recettes.
De nos jours, le but d'une interdiction prévue par une loi est pertinent pour déterminer si le contrat est ou non exécutoire.
Pour répondre à la première question en litige, il fallait déterminer si le modèle classique de l'illégalité s'appliquait. Le paragraphe 18(1) du Règlement sur l'immigration de 1978 interdisait à la requérante, sinon explicitement, alors implicitement, d'accepter et d'exercer un emploi sans avoir un permis de travail. Toutefois, il ne s'agissait pas en l'espèce d'une interdiction se rapportant à l'exécution du contrat par opposition à sa formation. Par conséquent, selon le modèle classique de la théorie de l'illégalité, l'emploi exercé par la requérante du 9 mai au 23 septembre 1993 était régi par un contrat illégal qui était nul dès sa naissance. Un emploi régi par un contrat illégal ne pouvait constituer un emploi assurable. Toutefois, il ne convenait pas d'appliquer le modèle classique parce qu'il avait depuis longtemps perdu son pouvoir de persuasion et n'était plus appliqué d'une manière systématique. Cette théorie a été acceptée plus dans les entorses qui y ont été faites que dans son application du fait de la prolifération d'"exceptions" judiciaires qui, en réalité, étaient le signe d'un mouvement vers l'abandon de la théorie même. Ce modèle ne tenait pas compte non plus de la réalité que, de nos jours, une conclusion d'illégalité est fonction de l'objet de l'interdiction, de la réparation demandée et des conséquences de la conclusion qu'un contrat n'est pas susceptible d'exécution. En l'espèce, les conséquences que comporte le prononcé d'un jugement déclaratoire portant que le contrat de louage de services est illégal sont trop vastes. Le fait que tant de lois (la Loi sur les normes d'emploi et la Loi sur les accidents du travail de l'Ontario) rattachent le droit ou l'admissibilité à des prestations à l'existence d'un contrat de louage de services est une raison suffisante pour qu'un tribunal refuse l'invitation de déclarer automatiquement qu'un contrat de travail est nul en raison de son illégalité, et plus encore si le jugement déclaratoire est fondé sur les principes de la théorie classique de l'illégalité. De plus, la théorie de l'illégalité en common law peut varier d'une province à l'autre. La Cour suprême du Canada n'a pas encore tranché cette question. Chaque espèce dépend des faits qui lui sont propres et s'inscrit dans un cadre législatif particulier.
Si une loi interdit la formation d'un contrat sans préciser les conséquences contractuelles qu'entraîne le non-respect d'une interdiction, les tribunaux devraient être libres d'en déterminer les conséquences. Comme la théorie de l'illégalité émane du pouvoir judiciaire, c'est aux juges qu'il appartient de faire en sorte que ses principes soient compatibles avec les valeurs contemporaines. Le principe suivant exprime tant l'approche moderne que le contexte de droit public dans lequel elle s'inscrit: lorsqu'un contrat est explicitement ou implicitement interdit par une loi, un tribunal peut refuser d'accorder une réparation à une partie si, compte tenu de toutes les circonstances de l'espèce, y compris l'objet de l'interdiction en question, il serait contraire à l'intérêt public, reflété dans la réparation demandée, de le faire.
Dans la présente affaire, la dimension relative à l'intérêt public se manifestait de deux façons: (1) une personne ne devrait pas pouvoir tirer profit de son propre méfait (soit la réprobation morale à l'égard d'un comportement fautif); et (2) il ne convient pas d'accorder une réparation à une partie si cela avait pour effet d'affaiblir l'objet de la loi qui a été enfreinte, soit la Loi sur l'immigration, et la loi créant les prestations qui ont été refusées, soit la Loi sur l'assurance-chômage. Le but général de cette dernière loi est de procurer des prestations aux chômeurs. L'objectif qui sous-tend les restrictions prévues dans la Loi sur l'immigration est d'empêcher des personnes comme la requérante de nuire aux possibilités d'emploi de citoyens canadiens. L'objet qui sous-tend l'exigence voulant que les immigrants légaux obtiennent un permis de travail est péremptoire, mais il ne tranche pas la question litigieuse. Le refus des prestations d'assurance-chômage était une peine effective qui était disproportionnée à l'infraction. La requérante n'était passible d'aucune sanction en vertu de la Loi sur l'immigration en raison de l'infraction commise. Si cette loi ne vise que les personnes qui négligent sciemment d'obtenir un permis de travail, la Cour ne devrait pas infliger une peine représentant des milliers de dollars de prestations perdues. Si c'est l'épuisement possible de la caisse d'assurance-chômage par des travailleurs "illégaux" qu'on craignait, il ne fallait pas oublier que la requérante et l'employeur avaient versé des cotisations d'assurance-chômage au cours de la période d'emploi "illégal". Bien que le but de l'article 18 du Règlement sur l'immigration de 1978 soit de dissuader les immigrants illégaux d'affaiblir les lois du Canada, la requérante n'était pas une immigrante illégale et le Règlement sur l'immigration ne vise pas à dissuader une personne dans sa situation de travailler au Canada. Il vise plutôt à encourager ces personnes à chercher un emploi dans des domaines où il n'y a pas assez de Canadiens ayant les compétences voulues ou un emploi que des Canadiens refusent d'accepter.
En ce qui concerne la réprobation morale, il faut tenir compte des valeurs collectives. La bonne foi de la partie qui demandait une réparation en l'espèce était très importante. La requérante n'était pas une immigrante illégale. La Cour de l'impôt a conclu qu'elle a agi de bonne foi. Compte tenu des objectifs de la Loi sur l'assurance-chômage, du fait que la requérante était une immigrante légale et du fait qu'elle a agi de bonne foi, elle ne devrait pas être privée du droit d'obtenir des prestations d'assurance-chômage en raison d'une illégalité. L'objet de l'interdiction était impérieux, mais, dans les circonstances, la peine infligée était disproportionnée à l'infraction. Permettre à la requérante de réclamer des prestations d'assurance-chômage n'inciterait pas des personnes à venir au Canada et à y travailler illégalement. Ce serait une absurdité qu'un juge conclue qu'un immigrant illégal a agi de bonne foi. Le versement de cotisations d'assurance-chômage ne garantit pas le droit à des prestations. L'intérêt public penchait en faveur des immigrants légaux qui ont agi de bonne foi. Il n'était pas nécessaire de refuser d'accorder une réparation pour "préserver l'intégrité du système juridique". L'octroi de prestations d'assurance-chômage à la requérante n'était pas contraire à l'intérêt public.
Bien que l'application du modèle classique de la théorie de l'illégalité favorise la certitude sur le plan juridique et facilite l'administration, ce modèle comporte un risque de rigidité excessive. En l'espèce, la certitude doit faire place à la flexibilité.
lois et règlements
Acte concernant les banques et le commerce de banque, S.C. 1871, ch. 5, art. 40.
Code civil du Bas Canada, 1866, art. 13, 14, 15.
Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, art. 9, 1412, 1413, 1418.
Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1.
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, ch. 48.
Loi sur l'assurance-chômage, L.R.C. (1985), ch. U-1, art. 3(1).
Loi sur le courtage commercial et immobilier, L.R.O. 1990, ch. R.4, art. 22.
Loi sur le dimanche, S.R.C. 1970, ch. L-13, art. 4.
Loi sur les accidents du travail, L.R.O. 1990, ch. W.11.
Loi sur les banques, S.R.C. 1970, ch. B-1.
Loi sur les normes d'emploi, L.R.O. 1990, ch. E.14.
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 98 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 87).
Merchant Shipping (Safety and Load Line Conventions) Act, 1932 (U.K.), 1932, ch. 9.
Mortgage Brokers Registration Act, R.S.O. 1960, ch. 244.
Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 18(1) (mod. par DORS/89-80, art. 1; 95-353, art. 6), 20(1),(3).
jurisprudence
décisions appliquées:
Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S. 2; (1983), 142 D.L.R. (3d) 1; 83 CLLC 14,010; 46 N.R. 185; Sivasubramaniam c. Canada (Ministre du Revenu national—M.R.N.), [1995] A.C.I. no 1549 (QL).
distinction faite avec:
Bank of Toronto v. Perkins (1883), 8 R.C.S. 603; Polat c. Canada (Ministre du Revenu national—M.R.N.), [1996] T.C.J. no 1667 (QL); Sah c. Canada (Ministre du Revenu national—M.R.N.), [1995] A.C.I. no 982 (QL); Allendes c. Canada (Ministre du Revenu national—M.R.N.), [1995] A.C.I. no 161 (QL).
décisions examinées:
Holman v. Johnson (1775), 1 Cowp. 341; 98 E.R. 1120 (K.B.); Sidmay Ltd. v. Wehttam Investments Ltd., [1967] 1 O.R. 508; (1967), 61 D.L.R. (2d) 358 (C.A.); conf. par [1968] R.C.S. 828; (1968), 69 D.L.R. (2d) 336; Cope v. Rowlands (1836), 2 M. & W. 149; 150 E.R. 707; St. John Shipping Corpn. v. Rank (Joseph) Ltd., [1956] 3 All E.R. 683 (Q.B.); Royal Bank of Canada v. Grobman et al. (1977), 18 O.R. (2d) 636; 83 D.L.R. (3d) 415; 2 B.L.R. 145; 25 C.B.R. (N.S.) 132; 2 R.P.R. 101 (H.C.); Christie v. The York Corporation, [1940] R.C.S. 139; Hall c. Hebert, [1993] 2 R.C.S. 159; (1993), 101 D.L.R. (4th) 129; [1993] 4 W.W.R. 113; 26 B.C.A.C. 161; 78 B.C.L.R. (2d) 113; 15 C.C.L.T. (2d) 93; 45 M.V.R. (2d) 1; 152 N.R. 321; 44 W.A.C. 161; Mohamed c. Canada (Ministre du Revenu national—M.R.N.), [1995] A.C.I. no 458 (QL); Kaur c. Canada (Ministre du Revenu national—M.R.N.), [1995] A.C.I. no 950 (QL).
décisions citées:
Neider c. Carda de la Rivière-la-Paix Limitée, [1972] R.C.S. 678; (1972), 25 D.L.R. (3d) 363; [1972] 4 W.W.R. 513; Reference re Certain Titles to Land in Ontario, [1973] 2 O.R. 613 (C.A.); McDonald and McDonald v. Fellows, Fellows Doherty Bros. Realty Ltd. and Wilkinson (1979), 17 A.R. 330; 105 D.L.R. (3d) 435; [1979] 6 W.W.R. 544; 9 R.P.R. 168 (C.A.); Ball v. Crawford (1983), 53 B.C.L.R. 153 (C.A.); Roman Hotels Ltd. v. Desrochers Hotels Ltd. (1976), 69 D.L.R. (3d) 126 (C.A. Sask.); R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295; (1985), 60 A.R. 161; 18 D.L.R. (4th) 321; [1985] 3 W.W.R. 481; 37 Alta. L.R. (2d) 97; 18 C.C.C. (3d) 385; 85 CLLC 14,023; 13 C.R.R. 64; 58 N.R. 81; Archbolds (Freightage) Ltd. v. S. Spanglett Ltd., [1961] 1 Q.B. 374 (C.A.); Kingshott v. Brunskill, [1953] O.W.N. 133 (C.A.); Kocotis v. D'Angelo, [1958] O.R. 104; (1957), 13 D.L.R. (2d) 69 (C.A.); Love's Realty & Fin. Services Ltd. v. Coronet Trust, [1989] 3 W.W.R. 623 (C.A. Alb.).
doctrine
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Baker, J. H. An Introduction to English Legal History. London: Butterworths, 1971.
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Fridman, G. H. L. The Law of Contract in Canada, 3rd ed. Toronto: Carswell., 1994.
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Waddams, S. M. The Law of Contracts, 3rd ed. Toronto: Canada Law Book, 1993.
DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision de la Cour de l'impôt (Still c. Canada (Ministre du Revenu national—M.R.N.), [1996] A.C.I. no 1228 (QL)) confirmant un refus de prestations d'assurance-chômage au motif que le contrat de louage de services était illégal, la requérante n'ayant pas obtenu le permis de travail prescrit par le paragraphe 18(1) du Règlement sur l'immigration de 1978. Demande accueillie.
avocats:
Michael W. Shain pour la requérante.
Roger Leclaire pour l'intimé.
procureurs:
Manitoulin Legal Clinic, Little Current (Ontario), pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Robertson, J.C.A.:
1. Introduction
La requérante, Mme Still, est une citoyenne des États-Unis qui a été légalement admise au Canada. En attendant l'examen de sa demande de statut de résident permanent, et agissant de bonne foi, elle a accepté un emploi de domestique sans obtenir le permis de travail prescrit par la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2]. Après avoir été mise à pied, elle a demandé des prestations en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage [L.R.C. (1985), ch. U-1]. Sa demande a été rejetée au motif qu'elle avait contrevenu à la loi. La Commission de l'assurance-chômage, le conseil arbitral, le ministre du Revenu national et la Cour canadienne de l'impôt ont adopté le point de vue que le défaut de Mme Still d'obtenir un permis de travail avait entraîné la formation d'un contrat de louage de services illégal et, corrélativement, qu'un tel contrat n'était pas un "emploi assurable" au sens de la Loi sur l'assurance-chômage . Au soutien du moyen fondé sur l'illégalité, on invoque les maximes juridiques "ex dolo malo non oritur actio" et "ex turpi causa non oritur actio" adoptées par lord Mansfield dans l'affaire Holman v. Johnson (1775), 98 E.R. 1120 (K.B.), à la page 1121. Ces maximes veulent dire qu'aucun tribunal n'apportera son aide à une personne qui fonde sa cause d'action sur un acte illégal ou immoral. La théorie de l'illégalité en common law repose sur ces maximes. Le présent appel montre les difficultés que soulèvent l'adoption et l'application de principes de droit privé dans un contexte de droit administratif. Il n'existe aucun précédent dont la Cour puisse s'autoriser en l'espèce. En dernière analyse, je prononce en faveur de Mme Still.
2. Les faits
Les faits ne sont pas contestés. La requérante est mariée à un citoyen canadien et a immigré au Canada pour être avec son mari. Elle a demandé le statut de résident permanent et, le 22 septembre 1991, s'est vu délivrer le document suivant par des fonctionnaires de l'immigration:
[traduction] Les présentes attestent que, concernant la personne nommée ci-dessous, une recommandation a été envoyée au gouverneur en conseil du Canada pour l'octroi d'une dispense en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration:
KATHLEEN STILL
En attendant l'approbation du gouverneur en conseil et pourvu qu'il soit satisfait à toutes les autres exigences, la personne susnommée se verra accorder le statut de résident permanent du Canada.
La requérante a compris que le document susmentionné lui donnait à ce moment-là, et sans aucune autre démarche de sa part, le droit de travailler au Canada. Du 9 mai au 1er octobre 1993, elle a travaillé comme domestique au Camp Hiawatha situé dans l'île Manitoulin (Ontario). Le 23 septembre 1993, elle a obtenu le statut de résident permanent et, par le fait même, le droit de travailler au Canada sans permis de travail. La requérante a été mise à pied le 1er octobre 1993 et sa demande de prestations d'assurance-chômage a été refusée au motif que son contrat de louage de services était illégal et nul pour la période allant du 9 mai au 23 septembre 1993. La période au cours de laquelle elle a exercé un emploi en vertu d'un contrat de louage de services valide, soit du 23 septembre au 1er octobre 1993, n'était pas assez longue pour la rendre admissible à des prestations. La requérante a finalement interjeté appel auprès de la Cour canadienne de l'impôt [Still c. Canada (Ministre du Revenu national—M.R.N.), [1996] A.C.I. no 1228 (QL)].
Le juge de la Cour de l'impôt a conclu que la requérante croyait sincèrement qu'elle était légalement autorisée à travailler au Canada. Il a également conclu que, au cours de la période antérieure à la date à laquelle la requérante a obtenu le statut de résident permanent, elle n'était pas admissible à des prestations parce qu'elle n'exerçait pas un emploi assurable au sens du paragraphe 3(1) de la Loi sur l'assurance-chômage. Voici le texte de cette disposition:
3. (1) Un emploi assurable est un emploi non compris dans les emplois exclus et qui est, selon le cas:
a) . . . louage de services ou d'apprentissage . . . écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière; [Non soulignés dans l'original.]
En particulier, le juge de la Cour de l'impôt a statué que la requérante n'exerçait pas un emploi assurable parce qu'elle a contrevenu au paragraphe 18(1) du Règlement sur l'immigration de 1978 [DORS/78-172 (mod. par DORS/89-80, art. 1; 95-353, art. 6)] qui dispose:
18. (1) Sous réserve des paragraphes 19(1) à (2.2), il est interdit à quiconque, à l'exception d'un citoyen canadien ou d'un résident permanent, de prendre ou de conserver un emploi au Canada sans une autorisation d'emploi en cours de validité.
Aucune peine n'est explicitement prévue pour la violation de cette disposition. L'article 98 [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 87] de la Loi sur l'immigration est la disposition pénale générale qui s'applique aux affaires dans lesquelles aucune peine n'est prévue ailleurs dans la Loi ou son règlement d'application. Cette disposition ne s'applique toutefois qu'aux personnes qui contreviennent sciemment à ces textes:
98. Quiconque contrevient sciemment à la présente loi ou à ses règlements, ou aux mesures, ordres ou instructions régulièrement pris ou donnés sous leur régime et pour la violation desquels aucune peine n'est prévue, commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, une amende maximale de cinq mille dollars et un emprisonnement maximal de un an, ou l'une de ces peines.
Il est acquis que la requérante a versé des cotisations d'assurance-chômage et répondait à toutes les autres conditions de la Loi sur l'assurance-chômage. Mais comme elle n'avait pas obtenu de permis de travail, le juge de la Cour de l'impôt a statué que le contrat de louage de services conclu avec son employeur était nul parce qu'illégal. Au soutien de cette conclusion, il a invoqué la décision classique de lord Mansfield dans l'affaire Holman v. Johnson, précitée. Reconnaissant que le droit avait créé des exceptions aux durs résultats que peut donner une application stricte de la théorie de l'illégalité, le juge de la Cour de l'impôt a examiné les conséquences générales que comportait l'annulation du contrat en s'appuyant sur le raisonnement adopté dans l'affaire Royal Bank of Canada v. Grobman et al. (1977), 18 O.R. (2d) 636 (H.C.), qui fait l'objet d'une analyse plus approfondie un peu plus loin.
En fin de compte, le juge de la Cour de l'impôt a conclu que l'"utilité sociale" que comportait le fait de refuser des prestations d'assurance-chômage à la requérante reposait sur le principe voulant qu'on décourage l'emploi de non-citoyens et de non-résidents et sur le principe voulant qu'on protège la solvabilité de la caisse d'assurance-chômage en général. Il a invoqué d'autres décisions de la Cour de l'impôt au soutien de son refus d'accorder des prestations. Ces décisions devront aussi être examinées à la fin.
3. La question en litige
Les parties ont décidé de débattre la question litigieuse en demandant d'abord si le contrat de travail de la requérante est considéré comme un contrat illégal en common law et, partant, nul ab initio, c'est-à-dire dès sa formation. Ainsi qu'il sera expliqué un peu plus loin, il s'agit d'une simplification excessive d'un problème qui rend le pouvoir judiciaire perplexe depuis plus de deux siècles. Elles ont ensuite demandé à la Cour de déterminer si le contrat de louage de services illégal est visé par la définition d'emploi assurable. Selon le ministre, un emploi régi par un contrat nul n'est pas un emploi assurable. Ce moyen ne dépend pas de l'application de ce qu'on appelle les "règles ordinaires" d'interprétation des lois, comme l'avocat de la requérante l'a d'abord soutenu.
La définition d'emploi assurable que donne la Loi sur l'assurance-chômage ne fait mention ni explicitement ni implicitement du fait que ce terme inclut ou exclut un emploi obtenu en contravention d'une autre loi fédérale. De la même manière, la Loi sur l'immigration ne renferme aucune prescription explicite ou implicite qui permettrait vraisemblablement de conclure que le législateur voulait qu'une infraction à cette loi ait pour effet de priver une personne de prestations d'assurance-chômage. Il ne s'agit pas d'une affaire dans laquelle on peut isoler l'intention du législateur (concept extrêmement "fuyant") au moyen d'une analyse contextuelle de cette Loi ou d'une analyse fondée sur l'objet qu'elle vise. Si des prestations doivent être refusées à la requérante en l'espèce, ce ne sera pas pour la raison que le législateur l'entendait ainsi, mais pour la même raison pour laquelle la common law refuse de venir en aide aux parties à un contrat qui est considéré comme illégal, à savoir l'intérêt public.
Laissant de côté la question de l'interprétation des lois, il est également impératif de reconnaître que la question soumise à la Cour n'est pas de savoir si une infraction à la Loi sur l'immigration prive la requérante du droit à des prestations par ailleurs prévues par la Loi sur l'assurance-chômage. L'espèce ne pourrait jamais appuyer la proposition qu'une personne qui contrevient à une loi fédérale n'a pas droit à des prestations prévues par une autre loi. À titre d'exemple, je tiens pour acquis que le gouvernement n'a pas le droit de retenir des prestations du Régime de pensions du Canada pour la seule raison qu'une personne contrevient à la Loi de l'impôt sur le revenu [L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1]. Il faudrait que la loi applicable prévoie un droit de compensation. Alors pourquoi le ministre du Revenu national estime-t-il qu'il peut retenir les prestations d'assurance-chômage d'une personne qui satisfait à toutes les exigences de la Loi sur l'assurance-chômage quand l'infraction reprochée est une infraction à la Loi sur l'immigration? La réponse réside forcément dans le fait qu'il existe un lien rationnel entre ces lois. Ce lien est le contrat de travail censément illégal conclu par la requérante. J'en viens maintenant aux caractéristiques de la théorie de l'illégalité en matière contractuelle. Voici d'abord quelques observations générales sur l'état de la common law.
4. La théorie de l'illégalité en common law
Les organismes de réforme du droit ont été prompts à conclure que les règles de droit en matière d'illégalité laissent à désirer: voir Commission de réforme du droit de l'Ontario, Report on Amendment of the Law of Contract (1987), à la page 222; et Law Reform Commission de la Colombie-Britannique, Illegal Contracts (1982), à la page 63. Il existe une foule de décisions contradictoires sur les principes qui devraient guider les tribunaux, et l'incertitude est grande dans ce domaine. On peut soutenir que les exceptions qui se sont greffées à la règle de common law voulant qu'un contrat illégal soit nul ab initio sont si nombreuses que la validité de la règle elle-même est mise en question. Dans l'arrêt Sidmay Ltd. v. Wehttam Investments Ltd., [1967] 1 O.R. 508 (C.A.), le juge Laskin (alors juge de la Cour d'appel de l'Ontario) a douté qu'on puisse appliquer un seul principe schématique aux affaires en matière d'illégalité (à la page 534). La façon dont les universitaires ont traité cette théorie montre à quel point il est difficile de schématiser la jurisprudence. Dans son analyse, chaque commentateur présente un domaine complexe du droit d'une façon unique: voir S. M. Waddams, The Law of Contracts (3e éd.) (1993), à la page 373; G. H. L. Fridman, The Law of Contract in Canada (3e éd.) (1994), à la page 370; et G. H. Treitel, The Law of Contract (9e éd.) (1995), à la page 389. Cela étant dit, je vais tenter de faire un survol des aspects de cette théorie qui ont raisonnablement trait à la question litigieuse en l'espèce.
La théorie de l'illégalité se divise en deux catégories: l'illégalité en common law et l'illégalité d'origine législative. La première catégorie a son origine dans une affaire non publiée qui aurait été décidée en 1725. Dans l'affaire Everet v. Williams, un voleur de grand chemin a intenté contre son complice une action en equity en vue d'obtenir une reddition de comptes. Non seulement l'action a été rejetée, mais les avocats du demandeur auraient été reconnus coupables d'outrage au tribunal, condamnés à une amende et envoyés à la prison de Fleet en attendant que l'amende soit payée: voir Notes, "The Highwayman's Case (Everet v. Williams )" (1893), 9 L.Q. Rev. 197. On associe invariablement le concept d'illégalité et son effet sur les obligations et les droits contractuels des parties à une entente par ailleurs susceptible d'exécution au passage suivant des motifs prononcés par lord Mansfield dans l'affaire Holman v. Johnson, précitée, à la page 1121:
[traduction] Le principe de l'intérêt public est le suivant: ex dolo malo non oritur actio (on ne peut fonder un recours sur son propre délit). Aucun tribunal ne prêtera son aide à la personne qui fonde sa cause d'action sur un acte illégal ou immoral. Si, selon ce que le demandeur déclare lui-même ou pour quelque autre raison, la cause d'action semble avoir un fondement immoral ou reposer sur la transgression du droit positif de ce pays, le tribunal dit alors que le demandeur n'a droit à aucun secours. Tel est le motif sur lequel le tribunal se fonde; ce n'est pas qu'il cherche à protéger les intérêts du défendeur, mais il ne prêtera pas son aide à pareil demandeur.
Pour important que ce principe puisse être pour l'histoire et l'évolution de la notion d'illégalité en common law, le contexte factuel dans lequel il a été énoncé, de même que le résultat final, est aussi révélateur que le principe lui-même. Les faits dans l'affaire Holman sont simples. Le demandeur, un résident de Dunkerque (France), a vendu une certaine quantité de thé au défendeur en sachant que ce dernier allait faire entrer les marchandises en contrebande en Angleterre. Le thé a été livré au défendeur à Dunkerque et le demandeur a intenté une action en recouvrement de sa créance en Angleterre. Le défendeur acheteur a contesté l'action en invoquant l'illégalité. Lord Mansfield a statué que le demandeur avait le droit de recouvrer le prix des marchandises. Celui-ci ne s'était pas rendu coupable d'une infraction et n'avait pas contrevenu aux lois de l'Angleterre. Le demandeur était libre de passer un contrat complet pour la vente des marchandises à Dunkerque, et l'utilisation que l'acheteur entendait faire des marchandises n'avait rien à voir avec ce contrat. Lord Mansfield a fait remarquer que si le demandeur avait convenu de livrer le thé en Angleterre, où cette marchandise était interdite, alors le défendeur n'aurait pas été redevable du prix de vente.
L'affaire Holman est importante en ce qu'elle a posé le principe général (et non la règle) qu'un contrat peut être déclaré non susceptible d'exécution au motif qu'il est incompatible avec l'intérêt public. S'agissant des contrats, les moyens tirés de l'intérêt public ont leur origine dans une analyse des préceptes moraux et de ce qu'on appelle des actes criminels, c'est-à-dire un comportement jugé préjudiciable à l'intérêt public. Compte tenu de l'évolution postérieure du droit, il importe peu que lord Mansfield n'ait pas posé la règle qu'un contrat entaché d'illégalité est nul ab initio. Les historiens du droit ont montré que lord Mansfield était conscient du fait que pour être utile à l'application judicieuse du droit, ce principe ne devait pas devenir rigide. Malheureusement, les générations suivantes de juges n'ont pas vu la sagesse de cette approche adaptable. L'histoire montre que la souplesse qui caractérisait le droit des contrats au XVIIIe siècle a été remplacée au XIXe siècle et au début du XXe siècle par une rigidité doctrinale qui favorisait la certitude du droit au détriment d'autres valeurs pressantes: voir J. K. Grodecki, "In Pari Delicto Potior est Conditio Defendentis" (1955), 71 L.Q. Rev. 254, à la page 258; Waddams, précité, à la page 369; J. H. Baker, An Introduction to English Legal History (1971), à la page 174.
Depuis l'affaire Holman, les tribunaux ont été amenés à examiner de nombreuses opérations comportant des actes soi-disant immoraux ou illégaux. Mais comme cette catégorie d'illégalité est sans intérêt en l'espèce, j'en viens à l'illégalité d'origine législative. Bien que le refus d'un tribunal de connaître d'une reddition de comptes entre voleurs de grand chemin puisse sembler parfaitement légitime, le refus de donner effet à un contrat à cause d'une infraction à une loi se révèle être un aspect plus épineux de la théorie de l'illégalité. Il existe un facteur qui, jusqu'à ces derniers temps, semble avoir été négligé, soit le fait que les maximes juridiques adoptées par lord Mansfield ont été formulées bien avant la prolifération de divers systèmes de réglementation. Comme une analyse approfondie de la jurisprudence dans le domaine de l'illégalité d'origine législative ne donnerait pas grand-chose, l'analyse qui suit ne vise qu'à jeter un peu de lumière sur le droit, c'est-à-dire sur le chemin parcouru (l'ancien droit) et sur la direction qu'il semble prendre (le nouveau droit).
La jurisprudence appuie entièrement l'affirmation que le contrat qui est explicitement ou implicitement interdit par une loi est illégal et nul ab initio. Un libellé précisant que "nul ne conclut un contrat sans être titulaire d'un permis" constitue une interdiction explicite. Un libellé moins précis fait souvent dire qu'une interdiction ne peut même pas être implicite. C'est l'argument qui a été invoqué dans l'affaire Cope v. Rowlands (1836), 150 E.R. 707. Cette décision est encore citée de nos jours et demeure l'exemple classique de l'illégalité d'origine législative. Le juge Parke a énoncé ce qu'il considérait comme le droit établi (à la page 710):
[traduction] . . . si le contrat exprès ou tacite dont le demandeur demande l'exécution est explicitement ou implicitement interdit par la common law ou par un texte législatif, aucun tribunal n'accordera son aide pour lui donner effet. De plus, il est clair qu'un contrat est nul s'il est interdit par une loi, même si cette loi n'inflige qu'une peine, parce que pareille peine implique une interdiction.
Dans l'affaire Rowlands, le demandeur, un courtier non agréé, cherchait à se faire indemniser pour le travail accompli en vertu d'un contrat. La loi en question interdisait simplement à une personne non agréée d'agir comme courtier et était muette sur l'effet d'un contrat passé avec un courtier non agréé. Le demandeur a fait valoir que le législateur avait simplement voulu infliger une peine pour une violation, et non interdire le contrat passé avec le défendeur. Le juge Parke a convenu que la loi en question n'interdisait pas explicitement le contrat. La question litigieuse était donc de savoir si l'interdiction était implicite. Pour répondre à cette question, il fallait déterminer si le législateur avait édicté la loi dans un but de production de recettes au moyen de l'imposition de droits à payer pour obtenir un permis (auquel cas aucune interdiction ne pouvait être implicite) ou s'il l'avait fait pour protéger le public en empêchant les personnes n'ayant pas les compétences requises d'agir comme courtier. Il a été conclu que l'un des buts de cette disposition législative se rapportait à ce dernier objectif, de sorte que le courtier n'a pu avoir gain de cause. En effet, [traduction] "on doit considérer [que la disposition législative infligeant une peine] implique qu'il est interdit [aux personnes non agréées] d'agir comme courtier et, par conséquent, que cette disposition interdit, par déduction nécessaire, tous les contrats que ces personnes passent" (à la page 711).
Selon l'affaire Rowlands, pour conclure qu'un contrat est visé par une interdiction implicite, il faut examiner l'objet de la loi. Pour éviter complètement ce problème, le législateur a rédigé certaines lois de manière à prescrire, par exemple, qu'une personne non agréée ne peut exercer une poursuite pour services rendus. Pareille interdiction est typique des lois qui régissent l'industrie immobilière: voir l'article 22 de la Loi sur le courtage commercial et immobilier de l'Ontario [L.R.O. 1990, ch. R.4].
Ainsi qu'il vient d'être mentionné, la jurisprudence établit une distinction entre l'interdiction explicite et l'interdiction implicite. En l'absence de termes exprès, les tribunaux n'ont pas eu de mal à en inférer, à bon droit, qu'une interdiction existait. C'est certainement vrai dans le cas des contrats qui ont été passés en contravention de l'article 4 de la Loi sur le dimanche, S.R.C. 1970, ch. L-13 (abrogée), qui prévoyait entre autres choses que "nul ne peut légalement" vendre des immeubles le dimanche. Même si cette loi infligeait seulement une peine pour une violation, la Cour suprême du Canada a facilement conclu que les contrats passés le dimanche étaient illégaux et non exécutoires: voir Neider c. Carda de la Rivière-la-Paix Limitée , [1972] R.C.S. 678. Depuis, les recueils de jurisprudence sont remplis de décisions dans lesquelles les tribunaux ont eu recours à différentes techniques juridiques pour empêcher que des parties innocentes ne subissent les conséquences d'une conclusion d'illégalité en vertu de cette loi: voir par exemple Reference re Certain Titles to Land in Ontario, [1973] 2 O.R. 613 (C.A.); McDonald and McDonald v. Fellows, Fellows Doherty Bros. Realty Ltd. and Wilkinson (1979), 17 A.R. 330 (C.A.); Ball v. Crawford (1983), 53 B.C.L.R. 153 (C.A.); Roman Hotels Ltd. v. Desrochers Hotels Ltd. (1976), 69 D.L.R. (3d) 126 (C.A. Sask.). La Loi sur le dimanche a finalement été déclarée inconstitutionnelle par la Cour suprême: voir R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295.
En général, il n'est pas difficile de conclure qu'un contrat est soit explicitement, soit implicitement interdit par une loi. Cependant, il existe des cas où il ne convient pas d'en inférer qu'une telle interdiction existe. En 1957, lord Devlin a donné l'avertissement suivant: [traduction] "[L]es tribunaux devraient être lents à en inférer qu'un contrat est interdit par une loi et ne devraient le faire que lorsque cette conclusion ne fait aucun doute." Il s'est prononcé ainsi dans l'affaire St. John Shipping Corpn. v. Rank (Joseph) Ltd. , [1956] 3 All E.R. 683 (Q.B.), qui est très importante en droit anglais. En effet, c'est la première fois qu'une distinction claire était établie entre les contrats illégaux quant à leur formation et les contrats illégaux quant à leur exécution.
Un contrat est illégal quant à sa formation lorsqu'il est interdit par une loi. Il est illégal quant à son exécution, quoique légalement formé, s'il est exécuté par l'une des parties d'une manière interdite par une loi. Cette distinction s'est révélée très importante dans l'affaire St. John Shipping parce qu'on a permis au transporteur demandeur de recouvrer le plein prix prévu au contrat alors que le défendeur refusait de payer le transporteur au motif qu'il avait surchargé son navire en contravention de la Merchant Shipping (Safety and Load Line Conventions) Act, 1932 [(R.-U.), 1932, ch. 9] malgré le fait que les marchandises étaient bien arrivées. Il a été statué que les restrictions de chargement se rapportaient à l'exécution du contrat et non à sa formation. Comme le professeur Waddams l'a si habilement fait observer (à la page 381): [traduction] "Si la moindre illégalité d'origine législative, si minime qu'elle soit, commise dans le cadre de l'exécution d'un contrat frappait l'entente de nullité, il en résulterait une répartition aléatoire injuste du préjudice sans qu'il soit tenu compte d'aucun principe logique."
Malgré cette évolution opportune du droit, lord Devlin réitère les principes fondamentaux de la théorie de l'illégalité. Il est affirmé que si le contrat est explicitement ou implicitement interdit par une loi, le tribunal n'y donnera pas effet, que les parties aient ou non voulu enfreindre la loi. En d'autres termes, il importe peu que les actes illégaux aient été fortuits ou délibérés, graves ou sans importance. Par-dessus tout, on affirme que l'ignorance de la loi n'est pas une réponse acceptable à un moyen de défense fondé sur l'illégalité. Toutefois, si l'interdiction prévue par une loi se rapporte à l'exécution d'un contrat, et non à sa formation, une partie qui agit de bonne foi a droit à une réparation en dépit de la violation de la loi. Dans un cas semblable, un défendeur ne peut pas invoquer avec succès sa propre illégalité: voir Archbolds (Freightage) Ltd. v. S. Spanglett Ltd., [1961] 1 Q.B. 374 (C.A.).
Conscients de la rigidité et de l'application souvent injuste de la théorie classique de l'illégalité, les tribunaux ont trouvé plusieurs façons de soustraire une partie aux conséquences d'une illégalité au besoin. Ainsi, dans les cas où le principe ex turpi causa pourrait autrement s'appliquer, les tribunaux ont créé trois exceptions à la règle qu'un tribunal n'ordonnera pas la restitution des biens cédés en vertu d'un contrat illégal. Premièrement, la partie qui réclame la restitution des biens est moins fautive. Deuxièmement, la partie qui réclame la restitution "se repentit" avant que le contrat illégal ne soit exécuté. Troisièmement, la partie qui réclame la restitution a un droit de recouvrement distinct (par exemple, dans le cas où une indemnisation pourrait être possible en responsabilité délictuelle malgré l'existence d'un contrat illégal); voir, en général, Fridman, précité, à la page 424. Dans les cas où une partie conclut deux opérations connexes (ou fait deux promesses dans une entente), l'une étant légale, l'autre pas, les tribunaux ont été disposés à donner effet à celle qui était légale s'ils étaient convaincus que les clauses étaient "divisibles" (voir Waddams, précité, à la page 390). La difficulté avec ces exceptions à la théorie de l'illégalité tient au fait qu'il faut employer des moyens juridiques indirects pour parvenir à ce qu'on considère comme un résultat juste.
J'admets que les remarques qui précèdent ne sont qu'un exposé sommaire des règles de droit en matière d'illégalité sous leur forme doctrinale. À ce stade-ci, il est instructif d'examiner quatre décisions ontariennes, dont deux expriment clairement une opposition à la théorie de l'illégalité en common law et un refus d'appliquer aveuglément ses principes. Selon moi, ces deux affaires s'écartent de l'ancien droit, ou de ce qu'on peut appeler le "modèle classique" de la théorie de l'illégalité, et marquent le début de l'"approche moderne" ou nouvelle de l'illégalité. Les deux premières affaires examinées ci-dessous sont représentatives du modèle classique.
Dans l'affaire Kingshott v. Brunskill, [1953] O.W.N. 133 (C.A.), un fermier a vendu et livré sa récolte de pommes à un autre fermier sans calibrer les pommes comme l'exigeait un règlement provincial. Les deux parties prévoyaient que les pommes seraient calibrées avant d'être vendues au public par le second fermier qui possédait l'équipement nécessaire. Mais comme les deux fermiers ont été incapables de s'entendre sur la quantité de pommes effectivement livrée, le second fermier a refusé de payer le montant dû en invoquant l'illégalité du contrat. Le premier fermier n'a pu recouvrer ni le prix prévu au contrat ni la valeur des pommes. Le juge Roach de la Cour d'appel a conclu que le contrat était illégal puisque le règlement avait été pris dans le but de protéger le public et ne souffrait aucune exception. Il est allé jusqu'à dire que même si le second fermier était la seule partie possédant l'équipement nécessaire pour calibrer les pommes, le résultat sur le plan juridique aurait forcément dû être le même. Cette décision a été critiquée par la Commission de réforme du droit de l'Ontario et le professeur Waddams. La Commission a considéré le résultat comme une peine tout à fait disproportionnée à l'infraction. Quant au professeur Waddams, il a estimé qu'il était difficile de voir quel intérêt public la décision visait à protéger: voir Commission de réforme du droit de l'Ontario, précité, à la page 218 et Waddams, précité, à la page 381.
L'affaire Kocotis v. D'Angelo, [1958] O.R. 104 (C.A.), concerne un électricien titulaire d'un permis de "type C" (électricien d'entretien) qui a été incapable de recouvrer le prix de travaux dont l'exécution exigeait un permis de "type A" (permis d'entrepreneur en électricité) en vertu d'un règlement municipal. S'appuyant sur l'affaire Cope v. Rowlands , le juge Laidlaw de la Cour d'appel a conclu qu'il existait une interdiction implicite et que le demandeur avait sciemment contrevenu au règlement visant à protéger le public contre les erreurs commises par des personnes n'ayant pas les compétences requises. Le juge Schroeder, dissident, a conclu que l'exigence relative à l'obtention d'un permis visait, ainsi qu'il a été affirmé dans l'affaire Rowlands, à protéger des recettes et non le public. Suivant son conseil, si l'on veut restreindre le droit d'une personne d'obtenir un dédommagement pour des travaux exécutés en la dépossédant de droits reconnus en common law, il convient d'employer des termes clairs et non équivoques. J'en viens maintenant aux deux autres décisions qui, à mon sens, fournissent le fil utilisé pour tisser l'approche moderne.
Dans l'affaire Sidmay Ltd. v. Wehttam Investments Ltd., précitée, l'entreprise emprunteuse demanderesse a demandé un jugement déclaratoire portant nullité de certaines hypothèques consenties à la défenderesse, une société ontarienne fermée qui n'avait pas été inscrite sous le régime de la Mortgage Brokers Registration Act [R.S.O. 1960, ch. 244]. Les courtiers visés par cette Loi étaient tenus de s'inscrire avant de faire des opérations en Ontario. La Cour d'appel a interprété cette loi (d'une manière stricte) de telle sorte qu'elle ne s'applique pas à la défenderesse. (La Cour suprême du Canada a confirmé la décision Sidmay sur ce point seulement: voir [1968] R.C.S. 828.)
Le juge Kelly de la Cour d'appel (aux motifs duquel le juge Wells, J.C.A. a souscrit) a ensuite déclaré qu'à supposer même qu'il soit dans l'erreur en ce qui concerne la question de l'interprétation de la loi, il n'aurait pas été disposé à déclarer que l'opération hypothécaire était illégale pour deux raisons. Premièrement, la loi infligeait une peine non pas à la société non inscrite, mais uniquement à ses fondateurs, et on n'y faisait nulle part mention de l'effet d'une violation sur des obligations contractuelles. Deuxièmement, ce point de vue était compatible avec l'intention du législateur de protéger les emprunteurs, les créanciers et les détenteurs de titres. Permettre à l'entreprise emprunteuse de conserver les sommes prêtées irait à l'encontre du but même poursuivi par le législateur en prescrivant l'inscription des courtiers en premier lieu. Subsidiairement, le juge Kelly, J.C.A., a indiqué que si l'opération hypothécaire était jugée illégale, alors l'entreprise emprunteuse ne pouvait pas demander une réparation puisqu'elle n'était pas une personne que le législateur entendait protéger. Enfin, et également à titre subsidiaire, il a exprimé le point de vue qu'un jugement déclaratoire ne pourrait être rendu que si l'entreprise emprunteuse consentait à rembourser l'emprunt. Bref, le juge Kelly n'était nullement disposé à accorder une mesure de réparation à l'entreprise emprunteuse.
Le juge Laskin (alors juge de la Cour d'appel de l'Ontario) est arrivé à la même conclusion en formulant la question autrement. En supposant que l'opération hypothécaire était nulle en ce qui concerne les parties, la véritable question était de savoir si l'entreprise emprunteuse pouvait obtenir un jugement déclaratoire portant nullité de l'hypothèque sans accepter de rembourser l'emprunt. Le juge Laskin a répondu par la négative à cette question parce que l'entreprise emprunteuse était partie à une opération illégale ayant été exécutée. Il a finalement conclu [à la page 537] que les faits de cette affaire relevaient de la section 601 du Restatement of the Law of Contracts de l'American Law Institute, qui dispose: [traduction] "Si le refus d'exécuter ou d'annuler une entente illégale avait un effet préjudiciable sur les parties qu'entend protéger la loi qui rend l'opération illégale, l'exécution ou l'annulation, selon le cas, est permise."
La quatrième décision est celle qu'a rendue le juge Krever, alors juge de la Haute Cour de l'Ontario, dans l'affaire Royal Bank of Canada v. Grobman et al., précitée. L'une des deux questions soulevées dans cette affaire était de savoir si une hypothèque créée en faveur de la banque, qui dépassait le rapport prêt/garantie de 70 p. 100 prescrit par la Loi sur les banques [S.R.C. 1970, ch. B-1], était non exécutoire en raison de son illégalité. L'emprunteur a "énergiquement" invoqué le raisonnement de la Cour suprême dans l'arrêt Bank of Toronto v. Perkins (1883), 8 R.C.S. 603. Dans cette affaire, la Loi sur les banques [Acte concernant les banques et le commerce de banque, S.C. 1871, ch. 5, art. 40] disposait à ce moment-là: "La banque ne pourra, ni directement ni indirectement, prêter de l'argent . . . sur . . . hypothèque de terres". La banque demanderesse a cherché à faire reconnaître le droit que lui conférait l'hypothèque, mais l'emprunteur s'y est victorieusement opposé. À la page 610, le juge en chef Ritchie a fait remarquer: [traduction ] "Il s'agirait d'un curieux état du droit si les parties pouvaient conclure une opération interdite par le législateur et, au mépris de la loi, obliger les tribunaux à donner effet à leurs opérations illégales." Le juge Strong a rappelé quel était l'état du droit à la fin du XIXe siècle (à la page 613): [traduction] "Chaque fois que l'accomplissement d'un acte est expressément interdit par une loi, que ce soit pour des raisons fondées sur l'intérêt public ou pour d'autres raisons, les tribunaux anglais statuent que l'acte ainsi accompli est frappé de nullité, malgré l'absence de termes exprès d'annulation dans la loi même."
Répondant au moyen tiré de l'arrêt Perkins, le juge Krever a fait remarquer que, dans cette affaire, une disposition législative interdisait expressément l'octroi d'un prêt garanti par un bien-fond, alors que dans l'affaire Grobman, la Loi sur les banques n'interdisait pas de telles opérations de prêt, mais précisait simplement le montant du prêt pouvant être consenti contre la garantie d'un bien-fond. Il a ensuite indiqué que cette distinction peut être importante chaque fois qu'il s'agit de déterminer si le législateur avait l'intention d'invalider les hypothèques consenties en contravention du rapport prêt/garantie prescrit par la Loi sur les banques.
Sans expressément en dire tant, l'analyse du juge Krever appuie la proposition que si l'interdiction prévue par la loi se rapporte à l'exécution du contrat hypothécaire, et non à sa formation, la théorie de l'illégalité ne s'applique pas à l'affaire. À la lumière de l'affaire St. John Shipping Corpn. v. Rank (Joseph) Ltd., précitée, on peut valablement affirmer qu'il ne s'agissait pas d'une affaire dans laquelle le législateur interdisait explicitement ou implicitement la création d'une hypothèque. Il existe cependant un autre motif valable d'établir une distinction avec l'arrêt Bank of Toronto v. Perkins, précité.
Je m'empresse de signaler que l'affaire Perkins se rapportait à l'appel d'une décision de la Cour d'appel du Québec et a été décidée sur la base de l'illégalité en common law et des articles 13, 14 et 15 du Code civil du Bas Canada [1866]. (La Cour suprême paraît avoir été indécise quant au droit qui était applicable.) L'article 13 du Code civil dispose: "On ne peut déroger par des conventions particulières aux lois qui intéressent l'ordre public ou les bonnes mœurs." L'article 14 dispose: "Les lois prohibitives emportent nullité, quoiqu'elle n'y soit pas prononcée." L'article 15 prévoit que la disposition qui prescrit qu'une chose se fera ou sera faite est obligatoire. Bref, dans l'affaire Perkins , le Code civil, comme la théorie de l'illégalité, a eu pour effet d'annuler l'hypothèque (voir l'analyse ci-dessous sur le caractère bijuridique de la Cour fédérale).
La décision rendue par le juge Krever dans l'affaire Grobman est mieux connue pour la critique que ce dernier fait de la théorie de l'illégalité aux pages 651 et 652 de ses motifs: [traduction] "Selon ma compréhension de l'évolution des règles de droit existantes concernant les contrats, la pensée judiciaire moderne s'est développée d'une manière qui a considérablement modifié la réaction instinctive consistant à invoquer l'illégalité." Il a formulé cette approche moderne en ces termes (à la page 653): "Les conséquences graves que comporte l'annulation du contrat, l'utilité sociale de ces conséquences et la détermination de la catégorie de personnes pour lesquelles l'interdiction a été adoptée sont tous des facteurs dont la Cour tiendra compte."
Le juge Krever a ensuite adopté le raisonnement du juge d'appel Laskin dans l'arrêt Sidmay et le principe énoncé dans Restatement of the Law of Contracts, précité. En fin de compte, il a statué qu'il serait incompatible avec la raison d'être de la restriction touchant le prêt d'argent de considérer la garantie comme non exécutoire.
Il convient à ce stade-ci de se demander comment il se fait que le modèle classique de l'illégalité diffère de l'approche moderne. Selon moi, cette dernière approche rejette l'idée qu'un contrat est illégal et, partant, nul ab initio pour la simple raison qu'il est interdit par une loi. Il existe deux façons d'exprimer cette conclusion juridique: (1) le contrat peut être déclaré illégal mais une réparation est accordée au moyen d'une exception, ou (2) le contrat n'est pas jugé illégal et est donc susceptible d'exécution. Dans l'un ou l'autre cas, le résultat juridique est le même. L'autre caractéristique distinctive de l'approche moderne est que le caractère exécutoire d'un contrat repose sur l'analyse du but poursuivi par le législateur en édictant l'interdiction. Selon le modèle classique, l'objet de la loi était pertinent uniquement pour déterminer si l'interdiction ne visait que la production de recettes. De nos jours, le but d'une interdiction prévue par une loi est pertinent pour déterminer si le contrat est ou non exécutoire. Cela étant dit, je suis en mesure de traiter la théorie de l'illégalité telle qu'elle s'applique aux faits de l'espèce.
5. Analyse
D'entrée de jeu, le ministre a soutenu que le contrat de louage de services entre la requérante et le Camp Hiawatha était illégal parce que la requérante n'a pas obtenu le permis de travail prescrit par la Loi sur l'immigration. Je dois donc commencer mon analyse par l'examen de cette question. Évidemment, la réponse est déterminée par la question de savoir si le modèle classique de l'illégalité est applicable. Il convient à ce stade-ci d'exposer sommairement les principes de ce modèle.
Un contrat qui est soit explicitement, soit implicitement interdit par une loi est normalement considéré comme nul ab initio. C'est-à-dire qu'à première vue, aucune des parties n'a le droit de demander l'aide des tribunaux. Il en est ainsi même si la partie qui demande réparation a agi de bonne foi. L'ignorance de la loi n'est pas une excuse. Cependant, un tribunal ne devrait pas être prompt à en déduire l'existence d'une interdiction, et ne doit pas le faire si l'interdiction se rapporte à l'exécution d'un contrat par opposition à sa formation. Si l'interdiction se rapporte aux modalités de l'exécution, alors un cocontractant innocent peut avoir droit à l'exécution du contrat.
Quand on applique le cadre doctrinal qui vient d'être exposé aux faits de l'espèce, la première question qui se pose est de savoir s'il est possible d'affirmer que le paragraphe 18(1) du Règlement sur l'immigration de 1978 interdit explicitement ou implicitement à une personne comme la requérante d'accepter et d'exercer un emploi sans avoir un permis de travail. À mon avis, le libellé de cette disposition ne laisse plus de doute que la requérante a contrevenu à la loi: "il est interdit à quiconque , à l'exception d'un citoyen canadien ou d'un résident permanent, de prendre ou de conserver un emploi au Canada" [soulignement ajouté]. Quand bien même j'admettrais que ces termes n'expriment pas une interdiction explicite, il reste qu'on peut certainement en déduire l'existence d'une interdiction. Pour parvenir à cette conclusion, je tiens compte de l'avertissement donné par lord Devlin dans l'affaire St. John Shipping Corpn. , précitée, de ne pas rapidement en déduire l'existence d'une interdiction. Toutefois, l'espèce n'est certainement pas une affaire au sujet de laquelle on peut dire que l'interdiction se rapporte à l'exécution du contrat par opposition à sa formation.
Selon le modèle classique de la théorie de l'illégalité, la bonne foi de la requérante n'est pas un facteur pertinent. Par conséquent, l'emploi qu'elle a exercé au cours de la période allant du 9 mai au 23 septembre 1993 était régi par un contrat illégal qui était nul ab initio. En supposant qu'il en soit ainsi, la question suivante consiste à savoir si un emploi régi par un contrat illégal peut constituer un emploi assurable au sens de la Loi sur l'assurance-chômage. Si j'admets que le contrat de louage de services conclu par la requérante était nul dès sa naissance, alors il faut assurément répondre à cette question par la négative. Cependant, je ne suis pas disposé à accepter le modèle classique pour plusieurs raisons.
Premièrement, je suis d'avis que le modèle classique a depuis longtemps perdu son pouvoir de persuasion et n'est plus appliqué d'une manière systématique. Cette théorie est acceptée plus dans les entorses qui y sont faites que dans son application du fait de la prolifération de ce qu'on appelle des "exceptions" judiciaires à la règle. Je ne suis pas le premier à reconnaître que ces exceptions sont véritablement le signe d'un mouvement vers l'abandon de la théorie même (voir le paragraphe 24 des présents motifs et l'arrêt Love's Realty & Fin. Services Ltd. v. Coronet Trust , [1989] 3 W.W.R. 623 (C.A. Alb.), le juge Kerans, J.C.A., à la page 629). À mon avis, des affaires comme Sidmay et Grobman marquent un tournant dans l'histoire de la théorie de l'illégalité tout en conservant la caractéristique fondamentale à l'origine de son existence. Cette caractéristique réside dans le pouvoir qu'ont les tribunaux de refuser d'accorder un redressement à quiconque contrevient à une interdiction prévue par une loi, ce refus étant fondé sur la raison et non sur l'arbitraire.
La deuxième raison de rejeter le modèle classique réside dans le fait que ce modèle ne tient pas compte de la réalité que, de nos jours, une conclusion d'illégalité est fonction non seulement de l'objet de l'interdiction, mais aussi de la réparation demandée et des conséquences de la conclusion qu'un contrat n'est pas susceptible d'exécution. Il importe de rappeler que les règles de droit en matière d'illégalité sont apparues à la faveur d'une vive controverse entre des parties à un contrat censément illégal. En l'espèce, il n'existe pas de controverse semblable entre les parties contractantes, et les conséquences que comporte le prononcé d'un jugement déclaratoire portant que le contrat de louage de services est illégal sont trop vastes. À titre d'exemple, je pourrais être disposé à supposer qu'un tribunal ontarien ne tiendrait pas l'employeur de la requérante responsable d'une rupture de contrat si cet employeur l'avait congédiée après avoir appris qu'elle ne possédait pas le permis de travail requis. Mais dois-je supposer que la requérante n'aurait pas le droit de recevoir le salaire impayé gagné avant le congédiement ni, du reste, le droit de bénéficier de la protection prévue par la Loi sur les normes d'emploi de l'Ontario [L.R.O. 1990, ch. E.14]? Qu'en est-il si l'employeur de la requérante a embauché cette dernière en sachant fort bien qu'elle n'avait pas de permis de travail? Ce facteur rendrait-il sa demande de paiement de la rémunération impayée plus acceptable? Qu'en est-il si la requérante avait subi un accident du fait de son travail? Un tribunal ontarien conclurait-il qu'elle n'avait droit à aucune indemnisation en vertu de la Loi sur les accidents du travail [L.R.O. 1990, ch. W.11] de cette province? Le fait qu'un si grand nombre de lois rattachent le droit ou l'admissibilité à des prestations à l'existence d'un contrat de louage de services est une raison suffisante pour qu'un tribunal refuse l'invitation de déclarer automatiquement qu'un contrat de travail est nul en raison de son illégalité, et plus encore si le jugement déclaratoire est fondé sur les principes de la théorie classique de l'illégalité.
Il me paraît en outre important de faire remarquer que la théorie de l'illégalité en common law peut varier d'une province à l'autre. La Cour suprême du Canada n'a pas encore rendu d'arrêt de principe sur cette question. Chaque espèce dépend des faits qui lui sont propres et s'inscrit dans un cadre législatif particulier. On peut soutenir que la Cour devrait appliquer la théorie de l'illégalité en common law telle qu'elle est comprise et appliquée dans chaque province. En théorie, les conséquences juridiques qu'entraîne le défaut d'une personne d'obtenir un permis de travail de la manière prescrite par la Loi sur l'immigration pourraient être déterminées par la common law de la province dans laquelle le contrat de travail a été conclu. Vu le caractère bijuridique de la Cour fédérale, nous ne saurions perdre de vue le fait que les affaires émanant du Québec doivent être tranchées en vertu des dispositions relatives à l'illégalité qui figurent au Code civil du Québec [L.Q. 1991, ch. 64]. L'article 13 qui était en vigueur lorsque l'affaire Bank of Toronto v. Perkins, précitée, a été décidée est devenu l'article 9 du nouveau Code civil. L'article 1413 de ce Code dispose: "Est nul le contrat dont l'objet est prohibé par la loi ou contraire à l'ordre public": Voir aussi les articles 1412 et 1418. (Jusqu'à ce jour, les décisions rendues par la Cour de l'impôt dans des affaires émanant du Québec, et portant sur la question qui nous a été soumise, ne font référence à aucune décision relevant du droit civil.)
Il est vrai que la Cour a uniquement besoin de trancher la question de la légalité dans le contexte fédéral et que rien de ce qu'elle décide en ce qui concerne la validité ou le caractère exécutoire d'un contrat de travail ne lie les provinces. Néanmoins, j'estime que la Cour fédérale devrait s'efforcer de favoriser l'uniformité des décisions judiciaires sur la question du droit à des prestations d'assurance-chômage.
Le professeur Waddams affirme que si une loi interdit la formation d'un contrat, les tribunaux devraient être libres de déterminer les conséquences d'une infraction à cette loi (à la page 372). Je suis d'accord avec lui. Si les législatures ne veulent pas préciser les conséquences contractuelles qu'entraîne le non-respect d'une interdiction prévue par une loi et se contentent d'infliger une peine ou une sanction administrative, alors il est entièrement du ressort d'un tribunal de déterminer, dans les faits, si d'autres sanctions devraient être prises. Comme la théorie de l'illégalité n'émane pas du législateur, mais du pouvoir judiciaire, c'est aux juges d'aujourd'hui qu'il appartient de faire en sorte que ses principes soient compatibles avec les valeurs contemporaines. Il n'y a qu'à regarder la décision maintenant odieuse rendue par la Cour suprême dans l'affaire Christie v. The York Corporation, [1940] R.C.S. 139, pour saisir l'importance de cette observation. Dans cette affaire, les principes classiques du droit des contrats ont confirmé le droit d'un marchand de refuser d'accepter une offre faite par une personne de couleur. Même en l'absence de dispositions législatives sur les droits de la personne, nous savons que cette affaire n'aurait pas été tranchée de la même façon aujourd'hui.
Je remarque également que, dans le domaine du droit de la responsabilité civile délictuelle, un acte fautif commis par un demandeur n'est plus aussi gros de conséquences qu'il ne l'était dans le passé. Auparavant, un demandeur était dans l'impossibilité d'obtenir une indemnisation quand on pouvait lui imputer une faute, mais une réforme législative qui a débouché sur l'adoption de lois provinciales sur le partage de la responsabilité a donné lieu à l'élaboration du concept de la négligence comparative. Même quand le demandeur est en partie responsable, le défendeur n'est plus déchargé de toute responsabilité. C'est plutôt l'indemnisation qui est réduite. En ce qui concerne les actes illégaux commis par un demandeur, l'application de la règle ex turpi causa a été beaucoup restreinte. Le juge McLachlin a expliqué le nouveau principe dans l'arrêt Hall c. Hebert, [1993] 2 R.C.S. 159, à la page 169:
À mon avis, les tribunaux ne devraient pouvoir empêcher l'indemnisation en matière délictuelle du fait de la conduite immorale ou illégale du demandeur que dans des circonstances très limitées. Selon moi, ce pouvoir est fondé sur le devoir qu'ont les tribunaux de préserver l'intégrité du système juridique, et il ne peut être exercé que lorsque cette préoccupation est en cause.
En conclusion, la mesure dans laquelle les préceptes de la théorie de l'illégalité en common law conviennent mal pour trancher la question litigieuse en l'espèce est un facteur qui incite la Cour à orienter son analyse de manière à tenir compte à la fois de l'approche moderne et du contexte de droit public dans lequel cette approche s'inscrit. Selon moi, c'est le principe (et non la règle) suivant qui exprime le mieux la théorie de l'illégalité d'origine législative dans le contexte fédéral: lorsqu'un contrat est explicitement ou implicitement interdit par une loi, un tribunal peut refuser d'accorder une réparation à une partie si, compte tenu de toutes les circonstances de l'espèce, y compris l'objet de l'interdiction en question, il était contraire à l'intérêt public, reflété dans la réparation demandée, de le faire.
Comme la théorie de l'illégalité repose sur l'idée qu'il serait contraire à l'intérêt public d'autoriser une personne à exercer une action en vertu d'un contrat interdit par une loi, il n'est qu'opportun de définir les considérations générales qui l'emportent sur le droit apparent qu'a la requérante de toucher des prestations d'assurance-chômage. Bien entendu, l'intérêt public est un concept changeant qu'il est plus facile d'illustrer que de définir (p. ex. l'affaire des voleurs de grand chemin examinée précédemment). Dans la présente affaire, la dimension relative à l'intérêt public se manifeste de deux façons. D'abord, il y a la ferme conviction qu'une personne ne devrait pas pouvoir tirer profit de son méfait. C'est une autre façon de marquer sa réprobation morale à l'égard d'un comportement fautif. Ensuite, il y a l'idée qu'il ne convient pas d'accorder une réparation à une partie si cela avait pour effet d'affaiblir l'objet des deux lois fédérales en cause dans la présente demande de contrôle judiciaire. D'une part, il faut tenir compte du principe qui sous-tend la loi à laquelle la requérante a contrevenu, à savoir la Loi sur l'immigration, mais, d'autre part, il faut également tenir compte du principe qui sous-tend la loi créant les prestations qui ont été refusées, à savoir la Loi sur l'assurance-chômage.
L'objet de la Loi sur l'assurance-chômage est exposé dans les motifs prononcés par le juge Wilson dans l'arrêt Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S. 2. Dans cette affaire, la Cour suprême a examiné l'interprétation d'une disposition de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage [S.C. 1970-71-72, ch. 48] prévoyant qu'un prestataire qui a perdu son emploi du fait d'une grève n'était pas admissible à des prestations à moins de s'être mis à exercer une autre occupation "d'une façon régulière". Le juge Wilson, qui a prononcé les motifs au nom de la Cour, a conclu qu'il était "légitime . . . de se demander ce que visait le législateur" en adoptant la disposition. Elle a conclu qu'une interprétation "libérale" de la disposition relative à la réadmissibilité aux prestations résoudrait le litige en faveur du prestataire et réaliserait le but général de la Loi, qui est de procurer des prestations aux chômeurs.
Par contre, il y a les objectifs qui sous-tendent les restrictions prévues dans la Loi sur l'immigration. L'énoncé le plus clair de l'objet qui sous-tend l'exigence voulant qu'une personne obtienne un permis de travail avant d'exercer un emploi se trouve aux paragraphes 20(1) et (3) du Règlement sur l'immigration de 1978. Le paragraphe 20(1) dispose que l'agent d'immigration ne peut délivrer d'autorisation d'emploi s'il "est d'avis" que l'embauchage de personnes comme la requérante "nuira à celui des citoyens canadiens ou des résidents permanents au Canada". Le paragraphe 20(3) précise que pour être en mesure de se faire une opinion, l'agent d'immigration doit se demander si l'employeur éventuel a fait des efforts raisonnables pour embaucher ou former des citoyens canadiens ou des résidents permanents. Il doit également tenir compte du facteur suivant: "si les conditions de travail et le salaire offert [par l'employeur éventuel] sont de nature à attirer des citoyens canadiens ou des résidents permanents". On peut considérer ce dernier facteur comme une façon politiquement correcte d'affirmer que si des Canadiens ne veulent pas accepter des emplois faiblement rémunérés, ces emplois peuvent être offerts à des immigrants légaux.
Selon le bon sens, on peut sérieusement douter qu'une personne qui travaille comme domestique puisse nuire aux possibilités d'emploi des Canadiens. Je refuse toutefois de poursuivre ce genre d'analyse parce qu'il n'appartient pas à la Cour de faire des suppositions sur la question de savoir si la requérante aurait obtenu un permis de travail si elle en avait fait la demande. Statuer autrement reviendrait à imposer au ministre le fardeau de prouver dans chaque cas qu'un permis de travail n'aurait pas été délivré. En fin de compte, je reconnais que l'objet qui sous-tend l'exigence voulant que les immigrants légaux obtiennent un permis de travail est péremptoire, mais il ne tranche pas la question litigieuse en l'espèce. J'en viens maintenant à l'autre considération générale mentionnée plus haut, à savoir la ferme conviction qu'une personne ne devrait pas tirer profit de son propre méfait.
La réprobation morale est susceptible d'apparaître lorsqu'une personne entre au Canada clandestinement ou par des moyens frauduleux, y obtient un emploi et tente ensuite d'obtenir des prestations d'assurance-chômage après avoir perdu son emploi. On ne saurait évidemment assimiler l'intérêt public à l'opinion publique. Il existe cependant des circonstances dans lesquelles les valeurs collectives ont un fondement rationnel et ne reflètent pas une réaction instinctive à un problème aux multiples facettes. Bien que la réprobation morale de l'emploi obtenu au mépris flagrant des lois canadiennes ne soit pas une considération générale déraisonnable, on ne devrait pas laisser ce sentiment dégénérer en l'opinion que quiconque obtient un emploi au Canada sans détenir un permis de travail devrait être ainsi jugé.
À mon sens, la Cour est saisie d'une affaire dans laquelle la bonne foi de la partie qui demande une réparation revêt une très grande importance. Mme Still n'est pas une immigrante illégale. En concluant qu'elle a agi de bonne foi, le juge de la Cour de l'impôt a tenu compte du document que lui ont délivré les autorités fédérales. Le passage pertinent [au paragraphe 1] de ce document est ainsi libellé: "La [requérante] est par les présentes en droit de demander une autorisation d'emploi et(ou) d'étude". On peut dire que ce document a l'une ou l'autre des utilités suivantes. Premièrement, il renforce la conclusion du juge de la Cour de l'impôt que la requérante a agi de bonne foi (par ignorance de la loi). Sinon, on peut dire que ce document a induit la requérante en erreur en l'amenant à croire qu'elle pouvait obtenir un emploi sans être titulaire d'un permis de travail. Comme ce moyen n'a pas été invoqué devant nous, je m'abstiens de faire d'autres commentaires.
Il existe un autre facteur qui me paraît important. On peut se demander si le refus d'accorder des prestations d'assurance-chômage est une peine effective qui est disproportionnée à l'infraction. Je remarque que la loi n'inflige aucune peine expresse pour l'infraction en question et qu'une déclaration de culpabilité ne pourrait pas être obtenue sous le régime de la disposition pénale générale à cause de l'exigence voulant qu'une personne contrevienne sciemment à la Loi sur l'immigration. En fait, la requérante n'est passible d'aucune sanction en vertu de cette loi en raison de l'infraction commise. Si la Loi sur l'immigration ne vise que les personnes qui violent sciemment l'obligation d'obtenir un permis de travail, pourquoi la Cour devrait-elle infliger une peine qui s'élève à plusieurs milliers de dollars de prestations? Le juge de la Cour de l'impôt a exprimé des craintes au sujet de l'épuisement possible de la caisse d'assurance-chômage par des travailleurs "illégaux", mais il convient de noter qu'en l'espèce tant la requérante que l'employeur ont versé des cotisations d'assurance-chômage au cours de la période d'emploi "illégal", de sorte que la solvabilité de la caisse n'a pas été menacée. Le juge de la Cour de l'impôt a également conclu que l'"utilité sociale" que comporte le fait de refuser des prestations d'assurance-chômage à la requérante réside dans le fait qu'on découragerait l'emploi "de non-citoyens et de non-résidents". Je présume que le juge de la Cour de l'impôt a voulu dire que le but de l'exigence relative à l'obtention d'un permis de travail est de dissuader les immigrants illégaux d'affaiblir les lois du Canada. En réponse à cela, je fais simplement remarquer que la requérante, Mme Still, n'est pas une immigrante illégale et que la Loi sur l'immigration ne vise pas à la dissuader de travailler au Canada. Elle vise plutôt à l'encourager à chercher un emploi dans des domaines où il n'y a pas assez de Canadiens ayant les compétences voulues ou un emploi que des Canadiens refusent d'accepter. Plus d'une nation s'est faite grâce aux efforts de ceux qui appartiennent à cette dernière catégorie.
Compte tenu des objectifs de la Loi sur l'assurance-chômage, du fait que la requérante est une immigrante légale et du fait qu'elle a agi de bonne foi, je ne suis pas disposé à conclure qu'elle n'a pas le droit d'obtenir des prestations d'assurance-chômage en raison d'une illégalité. Je reconnais que l'objet de l'interdiction est impérieux, mais, dans les circonstances de l'espèce, la peine infligée est disproportionnée à l'infraction. Permettre à la requérante de réclamer des prestations d'assurance-chômage n'inciterait pas des personnes à venir au Canada et à y travailler illégalement. En fait, ce ne serait ni plus ni moins qu'une absurdité qu'un juge conclue qu'un immigrant illégal au Canada a agi de bonne foi. Le versement de cotisations d'assurance-chômage ne garantirait pas en soi le droit à des prestations. Personne ne se voit donner la licence d'abuser des services sociaux du Canada. En définitive, l'intérêt public penche en faveur des immigrants légaux qui ont agi de bonne foi. Comme l'a dit le juge McLachlin dans l'arrêt Hall c. Hebert, précité, il ne s'agit pas d'une affaire dans laquelle il faut refuser d'accorder une réparation pour "préserver l'intégrité du système juridique". En conclusion, il est dans l'intérêt public, et non l'inverse, d'accorder des prestations d'assurance-chômage à la requérante.
Il est évident que certains aimeraient mieux que le modèle classique de la théorie de l'illégalité s'applique en l'espèce. Il faut reconnaître que cette approche favorise la certitude sur le plan juridique et facilite l'administration, du moins pour la Commission de l'assurance-chômage. Cependant, une approche uniforme, bien que pratique, comporte un risque de rigidité excessive. Il existe des cas, et la présente affaire en est un, où la certitude doit faire place à la souplesse, comme lord Mansfield en conviendrait sûrement. Si je suis dans l'erreur, le législateur peut modifier la loi.
Comme il n'existe aucun précédent dont la Cour puisse s'autoriser en l'espèce et que la Cour canadienne de l'impôt a exprimé des opinions contradictoires sur l'approche qu'il convient d'adopter, il est opportun que je commente la jurisprudence. Avant de le faire, je tiens à faire remarquer que bon nombre de décisions de la Cour de l'impôt font ressortir le fait que le prestataire n'est pas représenté et que le ministre se borne à invoquer la contravention de la loi et la théorie de l'illégalité au soutien de la simple affirmation que le prestataire n'exerçait pas un emploi assurable. Par conséquent, les observations que je fais sur le bien-fondé de ces décisions ont un caractère indicatif seulement.
Seulement une des six décisions de la Cour canadienne de l'impôt se rapporte à un prestataire qui n'était pas titulaire d'un permis de travail. Dans l'affaire Polat c. Canada (Ministre du Revenu national—M.R.N.), [1996] T.C.J. no 1667 (QL), le prestataire avait demandé un permis de travail mais avait commencé à travailler avant de l'obtenir parce qu'il estimait que les fonctionnaires de l'immigration mettaient trop de temps à traiter sa demande. Il a eu gain de cause devant la Cour de l'impôt, mais nous remarquons que les faits relatés amènent à conclure qu'il savait qu'il agissait illégalement. Rien ne porte à croire que le prestataire dans l'affaire Polat était de bonne foi, comme dans l'affaire dont nous sommes saisis. La bonne foi était également absente dans l'affaire Sah c. Canada (Ministre du Revenu national—M.R.N.), [1995] A.C.I. no 982 (QL). Dans cette affaire, le prestataire avait obtenu un permis de travail qui le limitait à un employeur particulier dans l'industrie de la haute technologie. Passant outre à cette restriction, il a cherché et trouvé un autre employeur dans cette industrie. On lui a refusé à juste titre des prestations d'assurance-chômage. Les quatre autres affaires concernent des prestataires qui ont obtenu un permis de travail mais ne l'ont pas renouvelé comme l'exigeait la loi. À mon avis, certaines de ces affaires sont plus épineuses que d'autres.
L'affaire Allendes c. Canada (Ministre du Revenu national—M.R.N.), [1995] A.C.I. no 161 (QL) illustre la mauvaise foi d'une prestataire. Après qu'on eut refusé sa demande de renouvellement d'un permis de travail, la prestataire a continué à travailler pour son mari. Le juge de la Cour de l'impôt a prononcé à juste titre contre elle. Par contre, il ne ressort pas des faits de l'affaire Sivasubramaniam c. Canada (Ministre du Revenu national—M.R.N.), [1995] A.C.I. no 1549 (QL) que le prestataire était de mauvaise foi. Celui-ci s'était renseigné auprès de fonctionnaires de l'immigration au sujet du renouvellement de son permis de travail et a été avisé que cette démarche était inutile pourvu qu'il continue de travailler pour le même employeur, ce qu'il a fait. Le prestataire a eu gain de cause devant la Cour canadienne de l'impôt et la décision semble être compatible avec les présents motifs. Dans l'affaire Mohamed c. Canada (Ministre du Revenu national—M.R.N.), [1995] A.C.I. no 458 (QL), le prestataire a continué d'exercer son emploi en attendant de connaître le résultat de sa demande de renouvellement de permis. Les faits de cette affaire ne sont pas relatés de façon assez détaillée, et la même remarque vaut pour l'affaire Kaur c. Canada (Ministre du Revenu national—M.R.N.), [1995] A.C.I. no 950 (QL). Pour ce seul motif, il serait déplacé de faire d'autres remarques sur ces affaires.
6. Dispositif
En conclusion, je suis d'avis que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, que la décision en date du 18 septembre 1996 de la Cour canadienne de l'impôt doit être annulée et que l'affaire doit être renvoyée à la Cour de l'impôt pour qu'elle effectue un nouvel examen en tenant compte du fait que l'emploi exercé par la requérante au cours de la période allant du 9 mai au 23 septembre 1993 était un emploi assurable au sens de la Loi sur l'assurance-chômage.
Le juge Strayer, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
Le juge Linden, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.