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T-2655-95

Methanex New Zealand Ltd. (demanderesse)

c.

Fontaine Navigation S.A., Tokyo Marine Co. Ltd., les propriétaires et toutes autres personnes ayant un droit sur le navire "Kinugawa" (défendeurs )

Répertorié: Methanex New Zealand Ltd.c. Kinugawa (Le)(1re  inst.)

Section de première instance, protonotaire Hargrave" Vancouver, 20 octobre 1997; Ottawa, 9 janvier 1998.

Droit maritime Contrats Requêtes en suspension d'une action en dommages-intérêts concernant une cargaison intentée devant la Cour fédérale en faveur (i) d'un arbitrage à Londres conformément à un contrat d'affrètement; (ii) d'une poursuite au Japon conformément à un connaissement Dès l'introduction de l'action, la mutuelle de protection et d'indemnisation a donné une lettre d'engagement à déposer une défense dans le cadre de l'action intentée devant la Cour fédérale si le navire n'était pas saisi Requêtes rejetées La lettre d'engagement annulait la clause d'arbitrage conventionnelle et la clause attributive de compétence contenue dans le connaissement Constitua un motif impérieux pour écarter la règle de la cause prima facie, les clauses de compétence doivent, en tant qu'engagements contractuels, être respectées Des facteurs importants qui faisaient en sorte que la Cour de district de Tokyo ne devait pas être saisie du litige constituaient également des motifs impérieux.

Droit maritime Pratique Requêtes en suspension d'une action en dommages-intérêts concernant une cargaison intentée devant la Cour fédérale en faveur (i) d'un arbitrage à Londres conformément à un contrat d'affrètement; (ii) d'une poursuite au Japon conformément à un connaissement Les défendeurs n'ont pas nié qu'ils étaient responsables de la contamination de la cargaison Une partie ne peut pas donner un avis d'arbitrage et la Cour n'ordonnera pas la suspension d'une action en vue d'un arbitrage s'il n'existe pas de différend réel Une demande de suspension d'une instance introduite devant la Cour fédérale, contrairement à une entente contractuelle portant renvoi des différends à un tribunal étranger, doit habituellement être accueillie conformément à la règle générale voulant que les engagements conventionnels soient honorés, à moins qu'il n'existe des motifs impérieux qui font en sorte que, dans l'intérêt de la justice, le procès devrait avoir lieu là où l'action a été intentée Il existait des facteurs importants qui faisaient en sorte que la Cour de district de Tokyo ne pouvait être saisie du litigeIl doit y avoir une raison valable de saisir un autre tribunal du litigeLes défendeurs n'ont pas prouvé leur bonne foi en faisant les concessions nécessaires pour que la procédure devant un autre tribunal soit le moins préjudiciable possible au demandeur, c.-à-d. la garantie pour une réclamation et la renonciation aux dispositions applicables en matière de prescription.

Fin de non-recevoir Requêtes en suspension d'une action en dommages-intérêts concernant une cargaison intentée devant la Cour fédérale en faveur (i) d'un arbitrage à Londres conformément à un contrat d'affrètement; (ii) d'une poursuite au Japon conformément à un connaissement Le lendemain du jour où l'action a été intentée, une lettre d'engagement a été donnée pour accepter la signification et déposer une défense en conformité avec les Règles de la Cour fédérale, à condition que le navire ne soit pas saisi La lettre d'engagement annulait la clause d'arbitrage, ce qui empêchait la défenderesse Tokyo Marine de demander une suspension Une entente contractuelle portant sur la compétence n'est pas immuableLa demanderesse a respecté sa partie du contrat en ne saisissant pas le navire Les avocats ayant accepté de déposer une défense au nom de tous les défendeurs, sans faire mention d'un arbitrage, il n'y a plus de droit d'arbitrage à Londres ou de poursuite au Japon.

Il s'agissait de deux requêtes en suspension d'une action en dommages-intérêts concernant une cargaison de méthanol que le navire-citerne panaméen Kinugawa a transportée de la Colombie-Britannique au Japon. Selon toute vraisemblance, des fissures dans deux citernes à marchandises étaient à l'origine de la contamination. La défenderesse Tokyo Marine Co. Ltd. voulait un arbitrage à Londres, comme le prévoyait le contrat d'affrètement en date du 24 février 1994. La défenderesse Fontaine Navigation S.A. voulait saisir la Cour de district de Tokyo du différend, comme le prévoyait le connaissement. En dépit du fait que le contrat d'affrètement prévoyait la délivrance de connaissements prenant la forme du spécimen joint au contrat, aucun connaissement n'a jamais été annexé. Tokyo Marine Co. Ltd. a par la suite délivré un connaissement non signé daté du 7 août 1995. Ce connaissement incorporait une charte-partie datée du 24 février 1994 entre Tokyo Marine Co. Ltd. et la demanderesse. Il contenait une clause d'identité du transporteur stipulant que si Tokyo Marine Co. Ltd. n'était pas le propriétaire ou l'affréteur en coque nue du navire transporteur, le contrat de transport, attesté par le connaissement, était alors un contrat entre la demanderesse et le propriétaire du navire, Fontaine Navigation S.A. Le connaissement stipulait que les différends seraient soumis à la Cour de district de Tokyo. Il stipulait également que si la demanderesse formait un recours contre le transporteur devant un autre tribunal, elle devrait, même si elle obtenait gain de cause devant la Cour de district de Tokyo, payer au transporteur le montant intégral du jugement, majoré d'un intérêt de 15 p. 100. De plus, il imposait une pénalité de cinq millions de yen du fait de l'introduction d'une poursuite devant un autre tribunal que la Cour de district de Tokyo. Le connaissement prévoyait que la clause d'identité du transporteur et la clause de compétence contenues dans le connaissement l'emporteraient sur les stipulations incompatibles de la charte-partie. Le lendemain du jour où la présente action a été intentée, la mutuelle de protection et d'indemnisation a donné une lettre d'engagement dans laquelle elle confirmait l'action intentée contre le navire et s'engageait, si la demanderesse ne saisissait pas le navire, à accepter la signification et à déposer une défense au nom des défendeurs conformément aux Règles de la Cour fédérale; et à payer le jugement de la Cour fédérale, y compris les frais et dépens et l'intérêt, jusqu'à concurrence de 450 000 $. Elle réservait les droits ou les moyens de défense au "navire ou [aux] propriétaires".

Jugement: les requêtes doivent être rejetées.

L'arbitrage à Londres a été refusé vu l'absence de preuve de l'existence d'un différend devant être soumis à l'arbitrage. Une partie ne peut pas donner un avis d'arbitrage à moins qu'il n'existe une réclamation contestée, et un tribunal n'ordonnera pas une suspension d'instance en faveur d'un arbitrage s'il n'y a pas de différend réel.

De plus, la lettre d'engagement empêchait Tokyo Marine Co. Ltd. de demander une suspension d'instance en vue d'un arbitrage à Londres. Il s'agissait en réalité d'une entente en vigueur entre la demanderesse et Tokyo Marine Co. Ltd. relativement à l'instruction de l'action en dommages-intérêts concernant la cargaison au Canada, qui annulait la clause d'arbitrage. La lettre d'engagement n'élevait aucune objection particulière quant à la compétence de la Cour fédérale. Une entente contractuelle portant sur la compétence n'est pas immuable. Les parties à une clause d'arbitrage conventionnelle, comme les parties à une clause de compétence conventionnelle, peuvent modifier leur mécanisme de règlement des différends pour remplacer l'arbitrage par une poursuite. La demanderesse a respecté sa partie du contrat et n'a pas saisi le Kinugawa, même si elle avait un mandat pour le faire. Les avocats ayant accepté de déposer une défense au nom de tous les défendeurs, sans faire mention d'un arbitrage ni prévoir une exception à cet égard, il n'y avait plus aucun droit d'arbitrage à Londres ou de poursuite au Japon.

Tokyo Marine Co. Ltd. ne pouvait pas saisir la Cour de district de Tokyo du différend parce que rien ne permettait de prouver qu'elle était un affréteur en coque nue du Kinugawa, condition qu'elle devait remplir pour être considérée comme un transporteur en vertu du connaissement et se prévaloir de la clause de compétence de la Cour de district de Tokyo prévue dans ce document.

Un arbitrage à Londres était impossible pour Fontaine Navigation S.A., car même si le contrat d'affrètement, sous l'apparence d'une charte-partie, était incorporé dans le connaissement, la clause de compétence de la Cour de district de Tokyo qui figurait dans le connaissement l'emportait clairement sur la clause d'arbitrage contenue dans le contrat d'affrètement.

Puisqu'elle avait convenu, moyennant une contrepartie valable, de déposer une défense dans le cadre de la présente action intentée devant la Cour fédérale, Fontaine Navigation S.A. ne pouvait pas renier son engagement et insister pour qu'il y ait une poursuite devant la Cour de district de Tokyo. De plus, bien qu'une demande de suspension d'une instance introduite devant la Cour fédérale, contrairement à une entente contractuelle portant renvoi des différends à un tribunal étranger, doive habituellement être accueillie car, en règle générale, on doit respecter ses engagements, l'existence d'un autre tribunal plus pertinent ou approprié pour l'introduction de l'action et l'obtention d'une décision juste doit être prise en considération. Une fois qu'un défendeur a prouvé l'existence de la clause de compétence et montré qu'il existe un tribunal plus pertinent ou appropriée ailleurs, c'est au demandeur qu'il appartient de montrer qu'il existe des circonstances spéciales et des motifs impérieux qui font en sorte que, dans l'intérêt de la justice, le procès devrait avoir lieu là où l'action a été intentée. En supposant que Fontaine Navigation S.A. ait prouvé la clause de compétence contenue dans le connaissement, c.-à-d. Tokyo, il y avait des motifs impérieux pour lesquels la Cour de district de Tokyo n'était pas un tribunal pertinent et approprié pour connaître de la présente action, par opposition à la Cour fédérale. Une poursuite à Tokyo durerait au moins trois ans, car le Japon n'a pas de procédure sommaire semblable à celle que l'on connaît au Canada pour accélérer le traitement d'une instance. Il y a aussi l'absence de communication préalable obligatoire, et les documents pertinents doivent être traduits en japonais, ce qui suppose des frais considérables qui ne sont généralement pas recouvrables, du moins pas totalement. Les intérêts accordés ne commencent à courir qu'au moment du dépôt du bref, ce qui voudrait dire, au mieux, plus de deux ans après l'endommagement de la cargaison de la demanderesse. Il n'y a pas d'intérêt composé. La partie déboutée, au Japon, ne peut pas être condamnée au paiement des honoraires extra-judiciaires. La plupart des témoins possédant des renseignements pertinents sont probablement en Amérique du Nord. Le fait qu'un défendeur serait avantagé sur le plan de la procédure devant un tribunal étranger peut être un motif impérieux de refuser une suspension. La clause de compétence, qui diminuait les mesures de réparation que peut obtenir la demanderesse et la responsabilité du transporteur ou du navire défendeur devant la Cour de district de Tokyo, et sa clause pénale seraient selon toute vraisemblance frappées de nullité au Canada. Non seulement cette clause exonérait le transporteur de sa responsabilité, mais, vu les taux d'intérêt en vigueur, celui-ci réaliserait un bénéfice. Même la possibilité que cette clause soit prise en considération par la Cour de district de Tokyo était une raison importante de refuser d'accorder une suspension. Le même raisonnement s'appliquait à la pénalité de cinq millions de yen. Selon le droit japonais, seul le propriétaire du navire est réputé être le transporteur, tandis qu'en vertu du droit canadien, le transporteur peut être le propriétaire du navire ou l'affréteur, ou même les deux. En conséquence, le renvoi du différend à la Cour de district de Tokyo entraînerait une atténuation de la responsabilité du propriétaire du navire, ce qui avantage donc clairement la défenderesse. Comme la répétition d'une instance peut déboucher sur des jugements contradictoires et se solder par une perte de temps et d'argent, il s'agit toujours d'un motif impérieux de refuser une suspension. Comme le juge a conclu que Tokyo Marine Co. Ltd. n'avait pas droit à une suspension en vue d'un arbitrage à Londres, mais devait contester l'action au Canada, il était plus approprié de refuser une suspension à Fontaine Navigation S.A. que de l'autoriser à introduire une deuxième instance au Japon. La partie qui demande une suspension ne doit pas simplement vouloir obtenir un avantage d'ordre matériel ou procédural, mais doit avoir une raison valable et un désir de saisir un autre tribunal du litige. Un défendeur prouve habituellement sa bonne foi en faisant les concessions nécessaires pour que la procédure devant un autre tribunal soit le moins préjudiciable possible au demandeur, par exemple la garantie pour une réclamation lorsque la garantie a déjà été fournie devant un tribunal mais a peu de chances d'être obtenue devant le tribunal étranger et la renonciation aux dispositions applicables en matière de prescription. La lettre d'engagement, dans la mesure où elle se rapportait au paiement de jugements ou d'appels de ces jugements, se limitait au paiement d'un jugement rendu par la Cour fédérale du Canada. Les défenderesses, qui ont eu près de deux ans pour penser à leur requête en suspension et qui savaient que le délai pour intenter une poursuite était expiré depuis plusieurs mois avant de soutenir leur requête en suspension, n'ont pas renoncé au délai d'introduction d'une instance de manière à permettre à la demanderesse d'intenter une nouvelle poursuite au Japon.

lois et règlements

Code d'arbitrage commercial, qui constitue l'annexe de la Loi sur l'arbitrage commercial, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 17, art. 8, 16.

Convention internationale pour l'unification de certaines règles en matière de connaissement et Protocole de signature, Bruxelles, 25 août 1924 ("Règles de La Haye"), art. 3.

Règles de La Haye " Visby, qui constituent l'annexe I de la Loi sur le transport des marchandises par eau , L.C. 1993, ch. 21.

jurisprudence

décisions appliquées:

Nanisivik Mines Ltd. c. F.C.R.S. Shipping Ltd., [1994] 2 C.F. 662; (1994), 113 D.L.R. (4th) 536; 167 N.R. 294 (C.A.); Heyman v. Darwins, Ltd., [1942] 1 All E.R. 337 (H.L.); Elizabeth H., The, [1962] 1 Lloyd's Rep. 172 (Adm.); Maersk Inc. c. Coldmatic Refrigeration of Canada Ltd. (1994), 74 F.T.R. 70 (C.F. 1re inst.); Seapearl (Navire M/V) c. Seven Seas Dry Cargo Shipping Corporation of Santiago (Chili), [1983] 2 C.F. 161; (1982), 139 D.L.R. (3d) 669; 43 N.R. 517 (C.A.); Eleftheria, The, [1969] 1 Lloyd's Rep. 237 (Adm.); Donohue Inc. et autres c. Navire Ocean Link et autres (1995), 94 F.T.R. 69 (C.F. 1re inst.); Pine Hill, The, [1958] 2 Lloyd's Rep. 146 (Q.B.).

distinction faite avec:

Skagway Terminal Co. c. Le navireDaphneet autres (1988), 42 D.L.R. (4th) 200; 15 F.T.R. 63 (C.F. 1re inst.).

décisions examinées:

Gulf Canada Resources Ltd. v. Arochem International Ltd. (1992), 66 B.C.L.R. (2d) 113; 1 W.A.C. 158 (C.A.); Carling O'Keefe Breweries of Canada Ltd. c. CN Marine Inc., [1990] 1 C.F. 483; (1989), 104 N.R. 66 (C.A.); Carling O'Keefe Breweries of Canada Ltd. c. CN Marine Inc., [1987] 2 C.F. 107; (1986), 7 F.T.R. 178 (1re inst.).

décisions citées:

T1T2 Limited Partnership v. Canada (1994), 23 O.R. (3d) 66 (Div. gén.); Deluce Holdings Inc. v. Air Canada (1992), 12 O.R. (3d) 131 (Div. gén.); Ocean Fisheries Ltd. c. Pacific Coast Fishermen's Mutual Marine Insurance Co. (1997), 125 F.T.R. 20 (C.F. 1re inst.); Spiliada, The, [1987] 1 Lloyd's Rep. 1 (H.L.); Nile Rhapsody, The, [1992] 2 Lloyd's Rep. 399 (Q.B.); Trans-Continental Textile Recycling Ltd. c. Erato (Le), [1996] 1 C.F. 404; (1995), 106 F.T.R. 278 (1re inst.); Cormorant Bulk-Carriers Inc. c. Canficorp (Overseas Projects) Ltd. (1984), 54 N.R. 66 (C.A.F.); Caribbean Ispat Ltd. et al. c. Companhia De Navegacao Lloyd Brasilairo et al. (1992), 59 F.T.R. 207 (C.F. 1re inst.).

doctrine

Holtzmann, H. M. et J. E. Neuhaus. A Guide to the UNCITRAL Model Law on International Commercial Arbitration: Legislative History and Commentary. Boston: Kluwer Law and Taxation Publishers, 1989.

Mustill, M. J. et S. C. Boyd. The Law and Practice of Commercial Arbitration in England, 2nd ed. London: Butterworths, 1989.

REQUÊTES en suspension d'une action en dommages-intérêts concernant une cargaison en faveur (i) d'un arbitrage à Londres (comme le prévoyait le contrat d'affrètement) ou (ii) d'une poursuite au Japon (comme le prévoyait le connaissement). Requêtes rejetées.

avocats:

David F. McEwen pour la demanderesse.

Douglas G Morrison pour les défendeurs.

procureurs:

McEwen, Schmitt, Vancouver (C.-B.), pour la demanderesse.

Bull, Housser & Tupper, Vancouver (C.-B.), pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le protonotaire Hargrave: La présente requête déposée par les deux personnes morales défenderesses afin d'obtenir deux suspensions, l'une en vue d'un arbitrage à Londres et l'autre en vue d'une poursuite au Japon, se rapporte à une action en dommages-intérêts concernant une partie d'une cargaison de méthanol que le navire-citerne panaméen Kinugawa a transportée de Kitimat (C.-B.) à Sodugaura, au Japon. Une partie de la cargaison est arrivée au Japon contaminée: elle a été vendue sur le marché coréen à Ulsan. Une stipulation contenue dans une lettre d'engagement donnée au nom des défenderesses le 15 décembre 1995 a empêché la saisie dont le navire aurait pu faire l'objet dans le cadre de l'action intentée devant la Cour fédérale.

Selon toute vraisemblance, des fissures dans deux citernes à marchandises sont à l'origine de la contamination, mais cette question est purement accessoire dans le cadre de la présente requête. Ce sont les suspensions d'instance demandées par les défenderesses qui sont litigieuses en l'espèce: celles-ci affirment qu'il devrait y avoir un arbitrage à Londres et une poursuite devant la Cour de district de Tokyo. Outre les arguments qu'elle invoque sur l'incompétence de ces juridictions, la demanderesse se réfère à la lettre d'engagement par laquelle les défenderesses auraient accepté de déposer une défense à l'action intentée devant la Cour fédérale. Cette brève introduction étant faite, j'en viens maintenant à certains faits pertinents au litige. J'expliquerai ensuite pourquoi les deux suspensions demandées doivent être refusées.

GENÈSE DE L'INSTANCE

Il convient tout d'abord de préciser que la réclamation se rapporte à l'expédition, en août 1995, de quelque 5 215 tonnes métriques de méthanol de Kitimat jusqu'au Japon. L'analyse des échantillons de méthanol prélevés à Kitimat n'aurait révélé aucune contamination. Toutefois, l'analyse faite à Houston (Texas) des échantillons qui ont été prélevés au Japon et au dernier port de déchargement d'une partie de la cargaison en Corée a révélé que le méthanol transporté dans les citernes du centre 4 et 8 avait été contaminé par du dichlorure d'éthylène. Ces deux citernes ont été réparées après le voyage; l'inspection conjointe qui a été faite par la suite à Vancouver a démontré que les fissures dans les deux citernes avaient été réparées par soudage.

En ce qui concerne les documents de transport, un contrat d'affrètement daté du 24 février 1994 lie la demanderesse à la défenderesse Tokyo Marine Co. Ltd. Il s'agit d'une entente majeure prévoyant le transport de quelque 400 000 tonnes métriques de marchandises sur une période de deux ans, avec au moins vingt-quatre départs de Kitimat et quatre départs de New Plymouth, en Nouvelle-Zélande, à destination de ports asiatiques en 1994. Le contrat d'affrètement comporte une clause prévoyant l'arbitrage des différends à Londres:

[traduction] Tout différend issu de l'exécution du présent contrat ou s'y rattachant doit être soumis à l'arbitrage à Londres et, à cette fin, la clause 24 de la charte-partie au voyage ASBATANKVOY qui est annexée au présent contrat est incorporée au présent contrat et s'y applique avec toutes les adaptations nécessaires. (clause 18)

Le droit anglais est le droit applicable (clause 19). Bien que le contrat d'affrètement prévoie la délivrance de connaissements [traduction] "prenant la forme du spécimen joint au présent contrat" (clause 17), il semble qu'aucun connaissement n'ait jamais été annexé au contrat d'affrètement. Le contrat d'affrètement contiendrait l'entente tout entière (clauses 25 et M33).

Tokyo Marine Co. Ltd. a délivré un connaissement daté du 7 août 1995 pour le méthanol à bord du Kinugawa; l'exemplaire fourni à la Cour est un connaissement non signé qui était apparemment censé l'être par des mandataires au nom du capitaine. Le connaissement incorpore ce qu'on appelle une charte-partie, datée du 24 février 1994, entre Tokyo Marine Co. Ltd. et Methanex New Zealand Ltd.

Le connaissement contient également une clause d'identité du transporteur stipulant que si Tokyo Marine Co. Ltd. n'est pas le propriétaire ou l'affréteur en coque nue du navire transporteur, alors le contrat de transport, attesté par le connaissement, est un contrat entre Methanex New Zealand Ltd. et le propriétaire du navire, Fontaine Navigation S.A., la défenderesse Tokyo Marine Co. Ltd. n'étant plus qu'un mandataire. Il est intéressant de faire remarquer que Fontaine Navigation S.A. et Tokyo Marine Co. Ltd. ont la même adresse au Japon. Les documents déposés au nom des défenderesses n'expliquent pas la relation qui existe entre Fontaine Navigation S.A. et Tokyo Marine Co. Ltd., et ne précisent pas si Tokyo Marine Co. Ltd. a affrété le navire Kinugawa pour respecter les engagements contenus dans le contrat d'affrètement relativement au transport du méthanol.

Le connaissement qui a été délivré pour le voyage du Kinugawa visé par l'espèce stipule que les différends seront soumis à la Cour de district de Tokyo; cette stipulation est peut-être assez usuelle dans certaines circonstances, mais vient ensuite une stipulation purement draconienne, qui tracasserait n'importe quel expéditeur et devrait embarrasser un véritable transporteur ayant négocié un contrat d'affrètement exhaustif:

[traduction] . . . (si Methanex New Zealand Ltd.), . . . en dépit des stipulations de la présente clause, forme un recours, qu'il s'agisse d'une poursuite, d'un arbitrage, d'une réclamation ou d'une autre mesure (ci-après appelé le "recours"), contre le transporteur ou un tiers (ci-après collectivement appelés les "défendeurs") devant un autre tribunal que le tribunal susmentionné, les défendeurs auront le droit de réclamer aux demandeurs un montant correspondant à la perte et au dommage subis de ce fait, notamment les frais de justice, les dépenses engagées et la perte pour immobilisation du navire saisi par les demandeurs, majoré d'une pénalité de cinq millions de yen, peu importe que le tribunal saisi du recours accorde la suspension d'instance ou reconnaisse sa compétence. Si les demandeurs parviennent à obtenir le paiement d'un montant par les défendeurs ou d'autres parties, y compris les assureurs, la mutuelle de protection et d'indemnisation et les cautions des défendeurs, en formant un recours devant un autre tribunal que la Cour de district de Tokyo, les défendeurs auront le droit de recouvrer la totalité de ce montant, majoré d'un intérêt de 15 p. 100 auprès des demandeurs. [Clause 5 du connaissement.]

Il n'est guère étonnant que ce connaissement n'ait pas été annexé au contrat d'affrètement.

Pour compliquer davantage les choses, au recto du connaissement qui a été délivré pour l'expédition de la cargaison en cause, on prétend accepter à un endroit et annuler à un autre le tarif et le paiement du fret prévus dans le contrat d'affrètement, étant entendu que la clause d'identité du transporteur et la clause de compétence (parmi d'autres clauses) contenues dans le connaissement l'emportent sur les stipulations incompatibles du document qualifié de charte-partie (en date du 24 février 1994, soit la date du contrat d'affrètement). On se demande pourquoi Tokyo Marine Co. Ltd. négocierait de bonne foi et conclurait un contrat d'affrètement majeur avec Methanex New Zealand Ltd., contrat qui semble parer à toute éventualité et qui doit être valide pendant deux ans, et autoriserait ensuite un simple propriétaire de navire à imposer des conditions totalement différentes, voire abusives, à son principal client, Methanex New Zealand Ltd.

Quoi qu'il en soit, le lendemain du jour où la présente action a été intentée et où un mandat de saisie a été délivré, et apparemment en réponse à une saisie probable, la mutuelle de protection et d'indemnisation United Kingdom Mutual Steam Ship Assurance Associate (Bermuda) Ltd. a donné une lettre d'engagement, datée du 15 décembre 1995, en faveur de Methanex New Zealand Ltd. Dans cette lettre, elle confirmait l'action intentée contre le navire et s'engageait à prendre les mesures suivantes si Methanex New Zealand ne saisissait pas le navire:

[traduction]

(1) Donner à Mes Campney et Murphy l'instruction d'accepter la signification de la déclaration déposée devant la Cour fédérale du Canada et de déposer une défense au nom des défendeurs conformément aux dispositions des Règles de la Cour fédérale du Canada.

(2) Payer le montant de la réclamation, le jugement de la Cour fédérale du Canada ou l'appel définitif de ce jugement, y compris les frais et dépens et l'intérêt, jusqu'à concurrence de 450 000 $. Cette stipulation est faite dans l'unique intérêt de la demanderesse et n'empêche pas cette dernière d'exiger le paiement en question tout de suite après le prononcé du jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale, mais rien dans les présentes n'empêche les défendeurs de demander à la Cour d'accorder un sursis d'exécution sur la foi de la présente garantie ou du cautionnement visé au paragraphe (3).

(3) Fournir sur demande, le cas échéant, un cautionnement d'au plus 450 000 $ CAN dans le cadre de l'action susmentionnée. Si un tel cautionnement est fourni, il est entendu que les soussignés n'ont aucune autre obligation en vertu du paragraphe (2) des présentes.

La lettre d'engagement se termine ainsi:

[traduction] La présente lettre est rédigée entièrement sans préjudice des droits ou des moyens de défense que le navire ou les propriétaires peuvent invoquer, dont aucun ne doit être considéré comme ayant fait l'objet d'une renonciation.

ANALYSE

La lettre d'engagement

Il est opportun, à ce stade-ci, de commenter la lettre d'engagement. Cette lettre a été donnée par Mes Campney et Murphy à titre de mandataires de la mutuelle de protection et d'indemnisation. La requête en suspension et les documents à l'appui ont été préparés et déposés par Mes Campney et Murphy. Toutefois, Mes Bull, Housser et Tupper ont pris la suite, tant pour inscrire la requête pour audition, après plusieurs ajournements, que pour débattre la requête, et doivent donc être considérés comme les avocats inscrits au dossier pour les défendeurs.

Fait intéressant, la lettre d'engagement reconnaît l'existence d'une réclamation contre le navire, les propriétaires [traduction] "et d'autres personnes". L'engagement pris dans cette lettre est clair: si le navire n'est pas saisi, Mes Campney et Murphy auront pour instruction [traduction] "de déposer une défense au nom des défendeurs". Les défendeurs à l'instance qui sont nommés sont le navire, Fontaine Navigation S.A. et Tokyo Marine Co. Ltd. Comme la déclaration est antérieure à la lettre d'engagement, la portée de la lettre d'engagement est assez générale pour garantir une réclamation contre Fontaine Navigation S.A. et Tokyo Marine Co. Ltd. La portée de cette lettre devient ensuite un peu plus limitée au dernier paragraphe et réserve les droits et les moyens de défense au [traduction ] "navire ou [aux] propriétaires".

Il convient d'examiner l'incidence de cette lettre d'engagement, dont la forme est assez courante, dans le contexte tant de la demande de la défenderesse Tokyo Marine Co. Ltd. en vue d'un arbitrage à Londres, comme le prévoit le contrat d'affrètement, que de la demande de la défenderesse Fontaine Navigation S.A. en vue d'une poursuite devant la Cour de district de Tokyo, comme le prévoit le connaissement.

Arbitrage à Londres

Ainsi qu'il vient d'être mentionné, la clause 18 du contrat d'affrètement prévoit le règlement des différends par voie d'arbitrage à Londres. La clause 18 incorpore également la clause 24 d'une charte-partie au voyage Asbatankvoy qui aurait été annexée au contrat d'affrètement, mais n'a pas été jointe à l'exemplaire du contrat d'affrètement soumis à la Cour. Toutefois, l'incorporation de la clause 24 du formulaire Asbatankvoy, une fois faites les adaptations nécessaires, est assez claire. Le formulaire Asbatankvoy établit la procédure d'arbitrage.

Le point de vue étroit, à ce stade-ci, est que je dois soumettre tout différend qui s'élève entre Methanex New Zealand Ltd. et Tokyo Marine Co. Ltd. à l'arbitrage en vertu de l'article 8 du Code d'arbitrage commercial, que le Canada a adopté au moyen de la Loi sur l'arbitrage commercial, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 17. L'article 8 rend le renvoi à l'arbitrage obligatoire lorsqu'il existe une convention d'arbitrage.

Article 8

. . .

1. Le tribunal saisi d'un différend sur une question faisant l'objet d'une convention d'arbitrage renverra les parties à l'arbitrage si l'une d'entre elles le demande au plus tard lorsqu'elle soumet ses premières conclusions quant au fond du différend, à moins qu'il ne constate que la convention est caduque, inopérante ou non susceptible d'être exécutée.

Ce renvoi à l'arbitrage est évidemment subordonné aux objections juridictionnelles, et en fait à la question de savoir s'il existe un différend visé par une convention d'arbitrage.

La demanderesse prétend que sa réclamation n'a pas à être soumise à l'arbitrage car il n'existe pas de différend: selon elle, les défendeurs n'ont jamais nié qu'ils étaient responsables de la contamination de la cargaison qui s'est produite après le chargement et avant le déchargement.

L'article 16 du Code d'arbitrage commercial autorise un tribunal à se prononcer sur sa propre compétence, mais ce pouvoir n'est ni exclusif ni définitif: il est susceptible de contrôle par une cour de justice, particulièrement dans le cas d'une instance introduite en application de l'article 8: voir par exemple Holtzmann et Neuhaus, A Guide to the UNCITRAL Model Law on International Commercial Arbitration: Legislative History and Commentary, Boston: Kluwer Law and Taxation Publishers, 1989, aux pages 478, 479 et 486.

En effet, un tribunal peut interpréter une clause d'arbitrage et analyser ensuite la réclamation pour établir si, selon une interprétation appropriée, l'affaire entre dans la catégorie des désaccords et des différends qui doivent être soumis à l'arbitrage. Si la réclamation ne se rapporte pas à une question que les parties ont convenu de soumettre à l'arbitrage, le tribunal a le pouvoir discrétionnaire d'exercer sa compétence en dehors des limites imposées par le paragraphe 1 de l'article 8 du Code d'arbitrage commercial: voir par exemple T1T2 Limited Partnership v. Canada (1994), 23 O.R. (3d) 66 (Div. gén.), à la page 73; Deluce Holdings Inc. v. Air Canada (1992), 12 O.R. (3d) 131 (Div. gén.), aux pages 149 à 151; Gulf Canada Resources Ltd. v. Arochem International Ltd. (1992), 66 B.C.L.R. (2d) 113 (C.A.), à la page 120 et Ocean Fisheries Ltd. c. Pacific Coast Fishermen's Mutual Marine Insurance Co. (1997), 125 F.T.R. 20 (C.F. 1re inst.), aux pages 25 et suivantes. De fait, dans l'arrêt Gulf Canada Resources, le juge Hinkson fait remarquer que l'affaire ne se termine pas quand la demande de suspension révèle l'existence d'une convention d'arbitrage, car le tribunal a une compétence résiduelle lorsqu'il ne fait aucun doute que le différend n'est pas visé par la convention d'arbitrage. Les remarques qui précèdent sont compatibles avec l'extrait suivant de l'arrêt Nanisivik Mines Ltd. c. F.C.R.S. Shipping Ltd., [1994] 2 C.F. 662 (C.A.), à la page 671:

À mon avis, le juge des requêtes n'avait en l'espèce d'autre choix que de renvoyer à l'arbitrage la demande de Nanisivik contre Canarctic; il n'avait pas de pouvoir discrétionnaire non plus pour ce qui était du renvoi de la demande de Zinc Corp. à condition que celle-ci fût liée par la convention d'arbitrage. [Non souligné dans l'original.]

Dans l'arrêt Heyman v. Darwins, Ltd., [1942] 1 All E.R. 337, à la page 345, la Chambre des lords a formulé d'une manière légèrement différente, mais qui produit le même effet, la question de savoir si une partie est liée par une convention d'arbitrage. Lord Macmillan s'est exprimé en ces termes:

[traduction] Lorsqu'une instance est introduite par l'une des parties à un contrat qui contient une clause d'arbitrage et que l'autre partie s'appuie sur cette clause pour demander une suspension d'instance, la première chose à vérifier est la nature précise du différend qui se pose. La question suivante est de savoir si le différend est visé par la clause d'arbitrage. Il faut parfois ensuite se demander si la clause d'arbitrage est encore exécutoire ou s'il s'est produit un fait qui l'a rendue inopérante.

L'arrêt Heyman est évidemment antérieur au Code d'arbitrage commercial, mais le principe énoncé, c'est-à-dire l'examen de la nature du différend et de la question de savoir si le différend est visé par la clause d'arbitrage, puis de la question de savoir si un fait nouveau a pu rendre cette clause inopérante, est parfaitement valide aujourd'hui.

Pour en revenir à l'examen du différend, ou plus exactement de l'absence de différend, il y a un passage intéressant qui porte justement sur cette question et sur les conséquences sur le plan de la procédure dans Mustill et Boyd, The Law and Practice of Commercial Arbitration in England, 2e éd., Butterworths, 1989, à la page 12:

[traduction] Premièrement, comme la plupart des clauses d'arbitrage expriment le droit et l'obligation de recourir à l'arbitrage sous l'angle de "différends", l'auteur d'une réclamation ne peut habituellement pas donner un avis d'arbitrage valide, à moins que sa réclamation ne soit contestée. De plus, en l'absence d'un "différend" (qu'on définit comme un différend réel ), la Cour n'ordonnera pas la suspension de l'action afin que la question puisse être soumise à l'arbitrage. Les conséquences sur le plan de la procédure sont importantes car ce principe permet au demandeur, même lorsqu'il s'agit d'une situation régie par une clause d'arbitrage, de recourir à la procédure sommaire de la Cour si le défendeur ne conteste pas du tout la réclamation ou la conteste uniquement par des moyens fallacieux. Voici ce qui se passe. Le demandeur intente une poursuite devant la Haute Cour et déclare par voie d'affidavit que, selon lui, il n'y a pas de défense. Le défendeur doit ensuite répondre, également par voie d'affidavit, et exposer les motifs pour lesquels il a une défense. Si la Cour souscrit à la prétention du demandeur, elle refusera de suspendre l'instance et donnera plutôt immédiatement gain de cause au demandeur.

Dans les faits, une partie ne peut pas donner un avis d'arbitrage à moins qu'il n'existe une réclamation contestée, et un tribunal n'ordonnera pas une suspension d'instance en faveur d'un arbitrage s'il n'y a pas de différend réel.

La défenderesse Tokyo Marine Co. Ltd. affirme que les principes énoncés dans l'extrait précité de Mustill et Boyd ne s'appliquent pas en raison de la clause 24 du formulaire Asbatankvoy, qui définit la compétence: cette clause fait référence à l'arbitrage des [traduction] "désaccords et des différends", ce qui est peut-être un peu plus large. Toutefois, cette affirmation suscite deux réponses. Premièrement, la clause d'arbitrage en l'espèce s'applique aux [traduction ] "différends", ainsi que le mentionne la clause 18 du contrat d'affrètement; la clause 24 du formulaire Asbatankvoy, telle qu'elle est utilisée en l'espèce, vise simplement à établir la procédure d'arbitrage. Deuxièmement, il n'y a pas plus de raison de soumettre un désaccord fictif ou non contesté à l'arbitrage que de soumettre un différend fictif à l'arbitrage.

En l'espèce, M. Frank Wendt, un administrateur de la Waterfront Shipping Company Limited, filiale en propriété exclusive du groupe de personnes morales Methanex, déclare dans l'affidavit qu'il a produit pour la demanderesse qu'il a [traduction] "discuté de la réclamation avec des représentants de Tokyo Marine Co. Ltd. et que ceux-ci n'ont fourni aucune défense à cet égard" (paragraphe 16 de l'affidavit de M. Wendt souscrit le 20 août 1996).

Par contraste, bien que quatorze mois se soient écoulés entre le dépôt de l'affidavit de M. Wendt et l'audition de la présente requête, période au cours de laquelle Tokyo Marine Co. Ltd. aurait pu répondre sans qu'on considère qu'elle faisait une déclaration de fond sur l'affaire qui serait de nature à déclencher les pièges de l'article 8 du Code d'arbitrage commercial, celle-ci est demeurée silencieuse. En conséquence, il n'y a aucune preuve de l'existence d'un différend devant être soumis à l'arbitrage. Il existe cependant une autre raison de refuser un arbitrage à Londres, soit l'irrecevabilité résultant de la lettre d'engagement.

La lettre d'engagement

La lettre d'engagement donnée par la mutuelle de protection et d'indemnisation, dont les passages pertinents sont cités un peu plus haut, prévoit une contrepartie de valeur et prend des engagements clairs, soit, premièrement, celui d'accepter la signification et, deuxièmement, ce qui constitue le passage pertinent en l'espèce, celui de [traduction] "déposer une défense au nom des défendeurs conformément aux dispositions des Règles de la Cour fédérale du Canada". Il s'agit de savoir si cette lettre est une nouvelle entente entre Methanex New Zealand Ltd. et Tokyo Marine Co. Ltd. qui remplace la clause d'arbitrage et, partant, met Tokyo Marine Co. Ltd. dans l'impossibilité de demander une suspension d'instance. Il faut faire remarquer que la lettre d'engagement n'élève aucune objection particulière quant à la compétence de la Cour fédérale.

Pour approfondir cette idée d'irrecevabilité, il faut d'abord établir une distinction entre l'espèce et la décision rendue par le juge Collier dans l'affaire Skagway Terminal Co. c. Le navireDaphneet al. (1988), 42 D.L.R. (4th) 200 (C.F. 1re inst.). Dans cette affaire, qui se rapporte à l'endommagement d'un bassin à Skagway, une lettre d'engagement a été donnée pour empêcher la saisie du navire à Vancouver. À ce moment-là, aucune action n'avait été intentée, mais la lettre d'engagement mentionnait que si une action était intentée, les avocats accepteraient la signification et déposeraient une défense sans préjudice d'aucun droit ou moyen de défense. Le juge Collier a rejeté la demande de suspension au motif que l'Alaska n'était pas un ressort approprié, mais il a rejeté, en passant, un argument fondé sur la reconnaissance de la compétence du Canada à cause de la lettre d'engagement. Deux facteurs sont importants pour établir une distinction entre l'espèce et l'affaire The Daphne: premièrement, il s'agissait d'une réclamation en responsabilité civile délictuelle et, deuxièmement, aucune action n'avait été intentée lorsque la lettre d'engagement a été donnée, de sorte qu'il ne pouvait pas y avoir de reconnaissance. En l'espèce, il s'agit de clauses contractuelles qui, à la suite d'un examen approprié et d'une entente, peuvent toujours être modifiées par les parties, et c'est effectivement ce qui s'est passé. Qui plus est, le juge Hewson a reconnu cette capacité de s'engager à nouveau par contrat dans l'affaire The Elizabeth H., [1962] 1 Lloyd's Rep. 172 (Adm.).

Dans cette dernière affaire, le propriétaire du navire avait demandé une suspension d'instance afin qu'un différend résultant de l'endommagement et de la livraison incomplète d'une cargaison de saindoux puisse être soumis à l'arbitrage. Le navire avait été saisi. Les propriétaires avaient obtenu sa libération sur la foi d'une lettre d'engagement, donnée par le Bilbrough P & I Club, dans laquelle la mutuelle d'assurance promettait d'effectuer les paiements dont les propriétaires pourraient être tenus responsables jusqu'à concurrence d'un certain montant et s'engageait [à la page 175], [traduction] "si on le lui demandait, . . . à donner pour instruction aux avocats d'accepter au nom des propriétaires la signification de l'action intentée par l'un ou l'autre de vos clients". Le juge Hewson a qualifié la lettre d'engagement de contrat, vu l'existence d'une contrepartie, par lequel les avocats acceptaient, au nom des propriétaires, la signification d'une demande introductive d'instance, et a précisé que cet engagement était une invitation claire à poursuivre l'action, puisqu'on ne faisait nullement allusion à un arbitrage. De plus, comme les propriétaires défendeurs du navire Elizabeth H. avaient gardé le silence pendant dix-huit mois avant de présenter la demande de suspension, le juge a considéré que, par leur silence, ils avaient acquiescé à la compétence de la Cour. Ces facteurs suffisaient à démontrer que les défendeurs, ou leurs mandataires, avaient convenu d'accepter la compétence de la Cour et, partant, de modifier la clause d'arbitrage: voir la page 179.

L'affaire Maersk Inc. v. Coldmatic Refrigeration of Canada Ltd. (1994), 74 F.T.R. 70 (C.F. 1re inst.), est également pertinente. Dans cette affaire, la demanderesse cherchait à faire respecter une clause reconnaissant le droit et la compétence de l'Angleterre afin d'obtenir la suspension de la demande reconventionnelle de la défenderesse. Le juge Rothstein a statué que puisque la demanderesse avait soumis l'affaire à la Cour fédérale sans que la défenderesse ne s'y oppose, il s'ensuivait une modification de la clause de compétence contenue dans le connaissement sur laquelle reposait la poursuite qu'elle avait intentée (voir la page 73). Les faits de l'affaire Maersk sont différents de ceux de l'espèce, qui se rapporte à une lettre d'engagement, mais le principe reste le même. Une entente contractuelle portant sur la compétence n'est pas immuable. Les parties à une clause d'arbitrage conventionnelle, comme les parties à une clause de compétence conventionnelle, peuvent modifier leur mécanisme de règlement des différends pour remplacer l'arbitrage par une poursuite judiciaire.

En l'espèce, Methanex New Zealand Ltd. a respecté sa partie du contrat et n'a pas saisi le Kinugawa même si elle avait obtenu un mandat à cet effet. Par ailleurs, le libellé de la lettre d'engagement de la mutuelle de protection et d'indemnisation que Methanex a reçue va plus loin que celui de la lettre d'engagement dans l'affaire The Elizabeth H., car l'engagement qui est pris consiste non seulement à accepter la signification, comme c'était le cas dans l'affaire The Elizabeth H., mais aussi à déposer une défense au nom de tous les défendeurs. Il faut reconnaître que la lettre d'engagement réserve les droits et les moyens de défense du [traduction] "navire et [des] propriétaires", mais elle ne réserve pas expressément les droits et les moyens de défense de tous les défendeurs. De plus, les avocats ayant accepté de déposer une défense au nom de tous les défendeurs, sans faire mention d'un arbitrage ni prévoir une exception à cet égard, il n'y a pas de droit d'arbitrage à Londres ou de poursuite au Japon qui puisse être réservé ou qui puisse déclencher un arbitrage en vertu du Code d'arbitrage commercial ou une poursuite en vertu de la clause de compétence contenue dans le connaissement. Pour cette raison également, je refuse de suspendre l'instance pour permettre un arbitrage à Londres, car la lettre d'engagement, par laquelle les défendeurs se sont engagées à reconnaître la compétence de la Cour fédérale du Canada, s'applique maintenant à la place de la clause d'arbitrage contenue dans le contrat d'affrètement. Dans les faits, la lettre d'engagement est une nouvelle entente entre Methanex New Zealand Ltd. et Tokyo Marine Co. Ltd. de régler par voie de poursuite judiciaire ici au Canada la question des dommages-intérêts concernant la cargaison.

Poursuite devant la Cour de district de Tokyo

Tokyo Marine Co. Ltd. ne peut pas saisir la Cour de district de Tokyo du différend car c'est uniquement si elle était un affréteur en coque nue du Kinugawa, ce que rien ne permet d'établir, qu'elle pourrait être considérée comme un transporteur en vertu du connaissement et se prévaloir de la clause de compétence de la Cour de district de Tokyo prévue dans ce document. On peut également penser que Tokyo Marine Co. Ltd. ne voudrait pas plaider à Tokyo car il serait embarrassant d'avoir à reconnaître qu'après avoir négocié, vraisemblablement de bonne foi, un contrat d'affrètement exhaustif qui prévoit clairement le règlement des différends par voie d'arbitrage à Londres et toute la procédure connexe, elle avait l'intention de nuire à son principal client en le surprenant avec une clause de compétence plutôt contrariante dissimulée dans un connaissement qui n'a pas été joint au contrat d'affrètement.

De même qu'une poursuite à Tokyo n'est pas possible pour Tokyo Marine Co. Ltd., de même un arbitrage à Londres est impossible pour Fontaine Navigation S.A., car bien que le contrat d'affrètement, sous l'apparence d'une charte-partie, soit incorporé dans le connaissement régissant le transport du méthanol par Fontaine Navigation S.A., en tant que propriétaire du Kinugawa, la clause de compétence de la Cour de district de Tokyo qui figure dans le connaissement l'emporte clairement sur la clause d'arbitrage contenue dans le contrat d'affrètement en raison de la cinquième clause imprimée au recto du connaissement. Toutefois, il y a deux raisonnements qui amènent à conclure que Fontaine Navigation S.A. ne peut pas obtenir une suspension de la présente instance de manière à prendre avantage d'une poursuite à Tokyo.

Le premier raisonnement vient d'être longuement exposé: puisqu'elle a convenu, moyennant une contrepartie valable, de déposer une défense dans le cadre de la présente action intentée devant la Cour fédérale, Fontaine Navigation S.A. peut difficilement renier son engagement et insister pour qu'il y ait une poursuite devant la Cour de district de Tokyo.

L'autre analyse, plus conventionnelle, de la clause de compétence d'un connaissement commence par la présomption qu'une demande de suspension d'une instance introduite devant la Cour fédérale malgré une entente contractuelle portant renvoi des différends à un tribunal étranger doit habituellement être accueillie car, en règle générale, on doit respecter ses engagements: voir par exemple Navire M/V Seapearl c. Seven Seas Dry Cargo Shipping Corporation de Santiago, (Chili), [1983] 2 C.F. 161 (C.A.), aux pages 176 et 177. Il ne s'agit toutefois pas d'une règle absolue, comme l'a fait remarquer le juge Brandon (tel était alors son titre) dans l'arrêt The Eleftheria, [1969] 1 Lloyd's Rep. 237 (Adm.), que la Cour fédérale et la Cour d'appel fédérale ont examiné ou cité à maintes reprises, notamment dans l'arrêt Seapearl (précité). Le passage fréquemment cité de l'arrêt The Eleftheria se trouve à la page 242:

[traduction] Les principes établis par la jurisprudence peuvent à mon avis être résumés de la manière suivante: 1) Lorsque les demandeurs intentent des poursuites en Angleterre, en rupture d'une entente selon laquelle les différends seraient renvoyés à un tribunal étranger, et lorsque les défendeurs demandent une suspension des procédures, le tribunal anglais, à supposer que la réclamation relève autrement de sa compétence, n'est pas tenu d'accorder une suspension des procédures, mais a le pouvoir discrétionnaire de le faire. (2) Le pouvoir discrétionnaire d'accorder une suspension des procédures devrait être exercé à moins qu'on ne démontre qu'il existe des motifs sérieux pour ne pas le faire. (3) La charge de la preuve en ce qui concerne ces motifs sérieux incombe aux demandeurs. (4) En exerçant son pouvoir discrétionnaire, le tribunal devrait prendre en considération toutes les circonstances de l'affaire en cause. (5) Notamment mais sans préjudice du (4), les questions suivantes, s'il y a lieu, devraient être examinées: a) Dans quel pays peut-on trouver, ou se procurer facilement la preuve relative aux questions de faits, et quelles conséquences peut-on en tirer sur les avantages et les coûts comparés du procès devant les tribunaux anglais ou les tribunaux étrangers? b) Le droit du tribunal étranger est-il applicable et, si c'est le cas, diffère-t-il du droit anglais sur des points importants? c) Avec quel pays chaque partie a-t-elle des liens, et de quelle nature sont-ils? d) Les défendeurs souhaitent-ils vraiment porter le litige devant un tribunal étranger ou prennent-ils seulement avantage des procédures? e) Les demandeurs subiraient-ils un préjudice s'ils devaient intenter une action devant un tribunal étranger (i) parce qu'ils seraient privés de garantie à l'égard de leur réclamation; (ii) parce qu'ils seraient incapables de faire appliquer tout jugement obtenu; (iii) parce qu'il y aurait une prescription non applicable en Angleterre; ou (iv) parce que, pour des raisons politiques, raciales, religieuses ou autres, ils ne seraient pas en mesure d'obtenir un jugement équitable.

On peut résumer l'effet de l'arrêt The Eleftheria et de sa liste non limitative de facteurs et l'effet de l'arrêt Seapearl en disant qu'il ne s'agit pas de faire le total des points pour et contre une suspension, mais plutôt de chercher à savoir s'il existe un autre tribunal plus pertinent ou approprié pour l'introduction de l'action et l'obtention d'une décision juste; qu'un tribunal devrait exercer le pouvoir dont il est investi d'accorder une suspension à moins qu'il n'existe des motifs impérieux de ne pas le faire; et qu'une fois que le défendeur s'est acquitté du fardeau qui lui incombe initialement de prouver l'existence de la clause de compétence et de montrer qu'il existe un tribunal plus pertinent ou approprié ailleurs, le fardeau de la preuve est déplacé et c'est au demandeur qu'il appartient de montrer qu'il existe des circonstances spéciales et des motifs impérieux qui font en sorte que, dans l'intérêt de la justice, le procès devrait avoir lieu là où l'action a été intentée1.

La première question est de savoir si la défenderesse Fontaine Navigation S.A., en tant que requérante, s'est déchargée du fardeau initial de prouver quelle clause de compétence s'applique. L'avocat de la demanderesse doute que la défenderesse se soit acquittée de ce fardeau. Il soutient qu'au Canada, Tokyo Marine serait un transporteur puisqu'elle a négocié le contrat d'affrètement et s'est par tous les moyens présentée comme le transporteur. En fin de compte, le connaissement serait un simple reçu et le contrat d'affrètement serait le contrat de transport, tandis qu'au Japon un tribunal ferait abstraction des faits et appliquerait la présomption légale créée par la clause d'affrètement coque nue qui figure dans le connaissement. L'avocat affirme ensuite que devant un tribunal canadien, un requérant doit clairement prouver qu'il est le transporteur et que la clause sur laquelle il s'appuie, qui est déterminante quant aux obligations de la partie au différend, se trouve dans le contrat. Il s'ensuit que les défendeurs, qui ont délibérément refusé de présenter des éléments de preuve sur les liens qui les unissent et sur leur rapport avec le transport, sont incapables de convaincre la Cour quant au contrat qui est en vigueur et, partant, leur demande doit être rejetée, comme ce fut le cas dans les affaires Donohue Inc. et al. c. Navire Ocean Link et al. (1995), 94 F.T.R. 69 (C.F. 1re inst.) et The Pine Hill, [1958] 2 Lloyd's Rep. 146 (Q.B.).

La question de la compétence est assez complexe dans le cas qui nous occupe, et on peut certainement soutenir qu'aucune clause de compétence n'est applicable. Je n'irais cependant pas aussi loin: à vrai dire, toutes les parties ont fait un choix quant au tribunal compétent, soit la Cour fédérale en vertu de la lettre d'engagement, et, dans le cas de Fontaine Navigation S.A., qui est le propriétaire du Kinugawa, puisque rien ne permet d'établir que Tokyo Marine Co. Ltd. est un affréteur coque nue, la clause de compétence contenue dans le connaissement peut également être pertinente.

Pour commencer, je supposerai, à juste titre selon moi, que Fontaine Navigation S.A. a prouvé la clause de compétence contenue dans le connaissement, quoique peut-être à la surprise de Methanex New Zealand Ltd., qui aurait pu croire que le contrat d'affrètement et la clause d'arbitrage à Londres régissaient le transport du méthanol et les problèmes qui pourraient se poser pendant le transport. Fontaine Navigation S.A. a également produit l'affidavit et l'affidavit de réfutation souscrits par un avocat spécialisé en droit maritime qui possède d'excellentes références, Me Makoto Hiretsuka, qui exerce le droit à Tokyo et aide Fontaine Navigation S.A. à établir l'existence d'une cause prima facie, savoir que la Cour de district de Tokyo est un tribunal approprié, bien que, pour être juste, il faille dire que Me Hiretsuka s'emploie dans une large mesure, dans son affidavit, à répondre aux affirmations faites par l'expert de la demanderesse, Me Ohki Hirata.

Me Hirata est un associé au sein du bureau SAH & Co., auparavant Shimada, Seno, Amitani et Hirata, de Tokyo, au Japon. Il s'occupe presque exclusivement de droit maritime. Ayant examiné le connaissement, il admet que Carriage of Goods by Sea Act du Japon de 1992, qui édicte les Règles de La Haye Visby [qui constituent l'annexe I à la Loi sur le transport des marchandises par eau, L.C. 1993, ch. 21], s'appliquerait et que c'est le propriétaire du navire, Fontaine Navigation S.A., et non Tokyo Marine Co. Ltd., qui est le transporteur contractant. Me Hirata est d'avis qu'une poursuite à Tokyo durerait au moins trois ans, car le Japon n'a pas de procédure sommaire semblable à celle que l'on connaît au Canada pour accélérer le traitement d'une instance.

Me Hirata attire l'attention sur une difficulté particulière, du moins au moment où il a préparé son affidavit, soit l'absence d'interrogatoire préalable obligatoire. Dans des circonstances exceptionnelles, une partie adverse peut être contrainte de communiquer certains documents, mais Me Hirata ne connaît pas d'exemple où pareille ordonnance de communication a été rendue en ce qui concerne une réclamation relative à une cargaison. Me Hirata attire l'attention sur le fait que les documents pertinents doivent être traduits en japonais, ce qui suppose des frais considérables qui ne sont généralement pas recouvrables, du moins pas totalement.

Les tribunaux japonais accordent des intérêts, mais ceux-ci ne commencent habituellement à courir qu'au moment du dépôt du bref, ce qui veut dire, au mieux, en l'espèce, plus de deux ans après la contamination de la cargaison de la demanderesse. Il n'y a pas d'intérêt composé.

Au Japon, les dépens suivent l'issue de la cause. Toutefois, la partie déboutée, au Japon, ne peut pas être condamnée aux paiement d'honoraires d'avocats; ce facteur n'a pas beaucoup d'importance, mais il s'ajoute à tous les autres facteurs qui influent sur l'issue de la présente requête.

Me Hiretsuka répond à ces affirmations en déclarant qu'un nouveau régime judiciaire qui accélérera le traitement des instances sera mis en place en 1998; que si les défendeurs évitent les tactiques dilatoires, le tribunal peut rendre sa décision dans un délai de deux ans; qu'il y a production de documents, bien que la partie qui la demande doive prouver au juge que la partie adverse possède certains documents qui sont importants pour l'affaire; et que [traduction] "le juge invitera habituellement la partie adverse à produire ces documents" (il ne semble pas y avoir de sanction véritable à part le fait que le juge pourrait tirer une conclusion défavorable).

Me Hiretsuka affirme que la plupart des réclamations semblables à celle dont la Cour est saisie sont réglées au Japon. Mais il en va ainsi dans le monde entier. On pourrait également faire observer que les exigences en matière d'interrogatoire préalable au Canada, par opposition à celles du Japon, rendent sans doute le règlement de ces réclamations au Canada encore plus probable.

Me Hirata a ensuite répliqué à Me Hiretsuka. D'une manière générale, Me Hirata n'a pas démordu de son avis et en a tiré un argument assez convaincant. Enfin, la Cour a été saisie d'un autre affidavit de Me Hiretsuka qui n'a pas vraiment fait avancer les choses. Heureusement, pour trancher la question de la compétence, il ne s'agit pas simplement de faire le total des points, pour et contre, marqués par des spécialistes du droit du pays en question: au contraire, je peux tenir compte de toutes les circonstances de l'espèce, comme on l'a fait dans l'arrêt The Eleftheria.

J'en viens maintenant à d'autres facteurs qui indiquent que la Cour de district de Tokyo n'est pas un tribunal pertinent ou approprié pour connaître de la présente action, par opposition à la Cour fédérale. Ces facteurs constituent des motifs impérieux de passer outre à la clause de compétence contenue dans le connaissement.

Tout d'abord, les témoignages sur l'état de la cargaison au moment de son expédition et la plupart des témoignages sur sa contamination et sur les causes de cette contamination seront fournis par des témoins de la Colombie-Britannique et du Texas et au moyen de documents rédigés en anglais. Si ces témoignages devaient être présentés devant un tribunal japonais, le temps et les sommes d'argent supplémentaires qu'il faudrait y consacrer seraient considérables. La preuve des défenderesses sur ce point, vu le délai qui s'est écoulé avant le dépôt de la présente requête, est plutôt faible: selon cette preuve, [traduction] "il semblerait" que les témoins qui ont vérifié la cargaison contaminée en Corée [traduction ] "seraient" des résidents du Japon et [traduction ] "préféreraient probablement témoigner en japonais" (paragraphe 5 de l'affidavit en date du 7 février 1996 de M. Swanson). De plus, dans le même esprit, les registres d'inspection, de maintenance et de classification du navire ne sont pas conservés, mais [traduction ] "seraient conservés" à Tokyo. Au mieux, cela révèle que certains témoins et certains documents pourraient se trouver au Japon. Toutefois, rien ne permet d'affirmer avec certitude que les témoins qui se trouvaient à bord du navire devraient être amenés du Japon, pas plus que de n'importe quel autre endroit où leurs navires d'affectation pourraient se trouver. Il est probable que des témoins soient en mer ou se trouvent en Nouvelle-Zélande, aux États-Unis, au Japon, en Corée, à Panama et au Canada, mais il est juste de dire que la plupart des témoins possédant des renseignements pertinents sont probablement en Amérique du Nord. Je tiens à faire remarquer dans les présents motifs qu'il s'agit d'un facteur qui entre en ligne de compte pour trouver un tribunal approprié, mais ce n'est peut-être pas un facteur excessivement important vu la facilité avec laquelle on peut, de nos jours, faire venir des témoins, bien qu'il faille y mettre le prix. J'en viens maintenant à la question générale de l'avantage d'ordre procédural: le fait qu'un défendeur puisse être avantagé sur le plan de la procédure, devant un tribunal étranger, peut être un motif impérieux de refuser une suspension.

Souvent, un retard en soi est une indication qu'un défendeur cherche à prendre avantage de la procédure lorsqu'il demande finalement une suspension. En l'espèce, l'action a été introduite et la déclaration a été signifiée en décembre 1995. Les défenderesses ont déposé leur requête en suspension en février 1996. Il y a eu de nombreux ajournements avec le consentement des parties, certains à la demande de la demanderesse, avant que la requête ne soit finalement entendue en octobre 1997. En l'espèce, je n'attache pas trop d'importance à ce retard; toutefois, la défenderesse Fontaine Navigation S.A. serait nettement avantagée de plusieurs façons si elle obtenait une suspension afin de plaider devant la Cour de district de Tokyo.

Une partie de la clause de compétence elle-même cherche à conférer un avantage. Elle diminue tant les mesures de réparation que peut obtenir la demanderesse que la responsabilité du transporteur ou du navire défendeur devant la Cour de district de Tokyo. Au Canada, cette clause et sa clause pénale seraient selon toute vraisemblance frappées de nullité en raison de leur incompatibilité avec le paragraphe 8 de l'article 3 des Règles de La Haye [Convention internationale pour l'unification de certaines règles en matière de connaissement et Protocole de signature, Bruxelles, 25 août 1924] et des Règles de La Haye-Visby vu qu'elles exonèrent le transporteur de sa responsabilité. Aux termes de cette clause, même si la demanderesse avait gain de cause devant la Cour de district de Tokyo, elle serait tenue de payer à la défenderesse, parce qu'elle a introduit la présente instance devant la Cour fédérale et obtenu une garantie pour la réclamation, le montant intégral d'un jugement éventuel, majoré d'un intérêt de 15 p. 100. Le transporteur serait non seulement exonéré de sa responsabilité, mais, vu les taux d'intérêt en vigueur, il pourrait réaliser un bénéfice. Même la possibilité que cette clause soit prise en considération par la Cour de district de Tokyo est une raison très importante de refuser d'accorder une suspension.

Le même raisonnement et la même conclusion s'appliquent à la pénalité de cinq millions de yen que la clause de compétence entraînerait lorsqu'une instance est introduite, comme c'est le cas en l'espèce, devant un tribunal autre que la Cour de district de Tokyo.

Les deux avocats japonais qui ont présenté une preuve par affidavit sur les avantages et les inconvénients du choix de la Cour de district de Tokyo comme tribunal étaient d'accord pour dire que, selon le droit japonais, s'il existe une clause d'affrètement coque nue ou d'identité du transporteur, le propriétaire du navire est réputé être le transporteur. C'est un avantage pour la défenderesse en faveur d'une poursuite au Japon, car la Cour d'appel fédérale a, à deux reprises, déclaré que la question de savoir qui est le transporteur est une question de fait: Cormorant Bulk-Carriers Inc. c. Canficorp (Overseas Projects) Ltd. (1984), 54 N.R. 66 (C.A.F.) et Carling O'Keefe Breweries of Canada Ltd. c. CN Marine Inc., [1990] 1 C.F. 483 (C.A.), ci-après appelée Newfoundland Coast. Dans l'affaire Newfoundland Coast, la réclamation se rapportait à la perte en mer de caisses de bière chargées dans trois conteneurs de vingt pieds quelque part entre St. John's et Happy Valley au Labrador. Le litige portait sur une clause d'affrètement coque nue et il s'agissait de savoir si le transporteur était CN Marine Inc., en tant qu'affréteur à temps, ou le propriétaire véritable du Newfoundland Coast. Le juge Stone, qui a rédigé les motifs de la Cour, a fait remarquer que la jurisprudence a jusqu'à maintenant eu tendance à favoriser la validité d'une clause d'affrètement coque nue, mais qu'il est inapproprié d'énoncer des règles fermes et rigides d'application générale car l'identité du transporteur dépendait des circonstances et du libellé des documents. De fait, dans certains cas, un affréteur peut, en parole et en fait, s'engager à agir comme transporteur et, partant, s'engager comme mandant en vertu du contrat de transport avec l'expéditeur. C'est ce qui s'est passé dans l'affaire Newfoundland Coast où l'affréteur, C.N. Marine, s'était engagé à agir comme transporteur. Toutefois, le juge de première instance [[1987] 2 C.F. 107] et la Cour d'appel sont allés plus loin et ont statué que la clause d'affrètement coque nue était nulle, non avenue et sans effet parce qu'elle contrevenait au paragraphe 8 de l'article 3 des Règles de La Haye étant donné qu'elle visait à exonérer l'affréteur à temps de l'obligation de procéder de façon appropriée et soigneuse à l'arrimage des marchandises. L'avocat de la demanderesse a résumé la situation en faisant remarquer qu'en vertu du droit japonais, seul le propriétaire du navire serait le transporteur, tandis qu'en vertu du droit canadien, le transporteur peut être le propriétaire du navire ou l'affréteur, ou les deux. En conséquence, le renvoi du différend à la Cour de district de Tokyo entraînerait une atténuation de la responsabilité du propriétaire du navire, ce qui avantage donc clairement la défenderesse.

Le redoublement de l'instance qu'entraînerait l'octroi d'une suspension en l'espèce est toujours un motif impérieux de refuser une suspension: voir par exemple les affaires Donohue Inc. et al. c. Navire Ocean Link et al. (précitée) et The Pine Hill (précitée). Dans l'affaire Donohue, le juge Wetston a rejeté une requête en suspension notamment à cause du redoublement de l'instance et, partant, du risque non négligeable que le prononcé de jugements contradictoires ne cause un préjudice. Dans l'affaire The Pine Hill, le juge McNair a fait remarquer que le redoublement d'une instance pourrait non seulement déboucher sur des conclusions de fait incompatibles, mais aussi se solder par une perte de temps et d'argent (à la page 151). Ces préoccupations sont très réelles lorsqu'on les applique à la situation actuelle, car je suis arrivé à la conclusion que Tokyo Marine Co. Ltd. n'a pas droit à une suspension en vue d'un arbitrage à Londres, mais doit contester l'action au Canada: de toute évidence, il est beaucoup plus approprié de refuser une suspension à Fontaine Navigation S.A. que de l'autoriser à introduire une deuxième instance au Japon.

La partie qui demande une suspension ne doit pas simplement vouloir obtenir un avantage d'ordre matériel ou procédural, mais être de bonne foi quant à ses raisons et son intention de saisir un autre tribunal du litige. Dans un cas pareil, un défendeur prouve habituellement sa bonne foi en faisant les concessions nécessaires pour que la procédure devant un autre tribunal soit le moins préjudiciable possible au demandeur. Je songe en l'espèce à deux facteurs usuels: celui de la garantie pour une réclamation lorsque la garantie a déjà été fournie devant un tribunal mais a peu de chances d'être obtenue devant le tribunal étranger et celui de la renonciation aux dispositions applicables en matière de prescription. Un transfert de l'utilisation de la garantie et une renonciation au droit d'invoquer la prescription ont été fournis à titre d'exemples dans l'affaire Caribbean Ispat Ltd. et al. c. Companhia De Navegacao Lloyd Brasilairo et al. (1992), 59 F.T.R. 207 (C.F. 1re inst.). En l'espèce, la lettre d'engagement, dans la mesure où elle se rapporte à l'exécution de jugements ou d'appels de ces jugements, se limite au paiement d'un jugement rendu par la Cour fédérale du Canada. Voilà un motif impérieux de refuser une suspension.

Fait peut-être plus important, les défenderesses, qui ont eu près de deux ans pour penser à leur requête en suspension et qui savaient que le délai pour intenter une poursuite était expiré depuis plusieurs mois avant de soutenir leur requête en suspension, n'ont pas pensé à donner des instructions pour renoncer au délai d'introduction d'une instance de manière à permettre à la demanderesse d'intenter une nouvelle poursuite au Japon. Voilà un autre motif impérieux de refuser une suspension.

CONCLUSION

En premier lieu, je dois accorder tout le poids nécessaire à l'existence prima facie d'une cause de suspension fondée sur les clauses contractuelles, la clause d'arbitrage contenue dans le contrat d'affrètement et la clause de compétence contenue dans le connaissement, car il est impératif de le faire dans le cas d'une clause d'arbitrage valable et en vigueur, et il est très souhaitable, en l'absence d'un tribunal nettement plus approprié en remplacement de celui qui est proposé dans le connaissement, que les parties respectent leurs engagements. Comme le juge Brandon l'a fait remarquer dans l'affaire The Eleftheria (précitée), un [traduction] "[tribunal] doit éviter de reconnaître le principe en cause tout juste pour la forme pour ensuite ne pas y donner effet en raison d'une simple prépondérance des inconvénients" (à la page 245).

En ce qui concerne la clause d'arbitrage contenue dans le contrat d'affrètement entre Methanex New Zealand Ltd. et Tokyo Marine Co. Ltd., de même que la clause de compétence contenue dans le connaissement qui lie Fontaine Navigation S.A. et Methanex New Zealand Ltd., les stipulations de la lettre d'engagement montrent qu'en contrepartie de la libération du Kinugawa, les défendeurs s'engageaient à produire une défense en l'espèce. De toute évidence, cet engagement annule la clause d'arbitrage prévue dans le contrat d'affrètement et la clause de compétence contenue dans le connaissement.

La lettre d'engagement en elle-même satisfait au critère voulant qu'il faille des motifs impérieux pour écarter la règle de la cause prima facie, savoir que les clauses de compétence doivent, en tant qu'engagements contractuels, être respectées. Le juge Pratte, J.C.A. a énoncé ce critère avec vigueur dans l'arrêt Seapearl (précité). Celui-ci a accueilli l'appel interjeté contre la décision du juge de première instance d'accorder une suspension en se fondant sur la simple prépondérance des inconvénients. Le juge Pratte a fait remarquer qu'"[e]n règle générale, il est certainement dans l'intérêt de la justice que les engagements conventionnels soient honorés" (à la page 176). Il a ensuite précisé [aux pages 176 et 177]:

À priori, une requête en sursis d'instance engagée en Cour fédérale, contrairement à l'engagement de soumettre le litige à l'arbitrage ou à une juridiction étrangère, devrait être accueillie car, en règle générale, on doit respecter ses engagements. Pour écarter cette règle, il faut [traduction] "des motifs impérieux", c'est-à-dire des motifs permettant de conclure qu'il ne serait ni raisonnable ni juste, dans le cas d'espèce, de forcer la demanderesse à respecter sa promesse et de donner effet au contrat conclu avec la défenderesse.

En l'espèce, la demanderesse a de toute évidence satisfait au critère de plusieurs façons.

Outre le fait que la lettre d'engagement est un motif approprié de refuser une suspension, il existe également des facteurs importants, voire des motifs impérieux, qui font en sorte que la Cour de district de Tokyo ne saurait être saisie du litige entre Methanex New Zealand Ltd. et Fontaine Navigation S.A. Pris conjointement, ces facteurs et ces motifs ont clairement pour effet d'établir l'existence de motifs impérieux de refuser la suspension, car il ne serait ni juste ni raisonnable d'obliger Methanex New Zealand Ltd. à respecter la clause contractuelle prévue dans le connaissement.

La Cour fédérale est le tribunal approprié en l'espèce. La requête en vue d'obtenir les deux suspensions est rejetée. Je tiens toutefois à ajouter que, bien qu'il y ait un gagnant et un perdant, les deux avocats ont très bien plaidé.

1 Pour ce qui est du déplacement du fardeau de preuve, voir The Spiliada, [1987] 1 Lloyd's Rep. 1 (H.L.), à la p. 10; The Nile Rapsody, [1992] 2 Lloyd's Rep. 399 (Q.B.), à la p. 409 et Trans-Continental Textile Recycling Ltd. c. Le Erato, [1996] 1 C.F. 404 (C.F. 1re inst.), aux p. 411 et 412.

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