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IMM-1712-97

Parminder Singh Saini (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (intimé)

Répertorié: Sainic. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)(1re   inst.)

Section de première instance, juge Gibson"Toronto, 7 avril; Ottawa, 29 juin 1998.

Citoyenneté et Immigration Exclusion et renvoi Procédure d'enquête en matière d'immigrationContrôle judiciaire de la décision relative au pays de destinationLe demandeur, un citoyen indien, a été condamné au Pakistan pour le rôle qu'il a joué dans le détournement d'un avion d'Air IndiaÀ sa libération de prison, il est venu au Canada sans statutLes autorités de l'immigration le détiennent depuis 1995Une mesure de renvoi conditionnel a été prise contre luiAvant qu'une décision concernant sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention ait été prise, un avis de danger a été émisIl ne peut plus demander que soit examinée sa revendication du statut de réfugié au sens de la ConventionLe demandeur a présenté des observations concernant le risque auquel il sera exposé s'il retourne en IndeL'agent chargé du renvoi a informé le demandeur qu'il serait renvoyé en IndeIl n'y a pas eu d'évaluation du risque auquel serait exposé le demandeur s'il retournait en IndeDemande accueillieD'après les faits de l'espèce, une évaluation du risque et une décision à cet égard étaient nécessairesEn vertu de l'art. 48 de la Loi sur l'immigration, les agents chargés du renvoi ont le pouvoir discrétionnaire de différer l'exécution d'une mesure de renvoi en attendant qu'une décision soit prise relativement à l'évaluation du risqueL'agent chargé du renvoi peut tenir compte d'une preuve au sujet du risque que représente le renvoi d'une personne dans un pays de destination donné, et aussi se demander si une évaluation du risque a été effectuée et une décision prise à cet égard, uniquement pour savoir s'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire de différer le renvoiIl n'y a pas eu d'évaluation appropriée du risque en l'espèceLa procédure menant à l'avis de danger ne constitue pas une évaluation du risqueLe fait que l'agent chargé du renvoi ne se soit pas demandé s'il devait ou non exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'art. 48 de la Loi sur l'immigration, en attendant la décision consécutive à une évaluation appropriée du risque, constitue une erreur susceptible de contrôle de la nature d'une négligence ou d'un refus d'exercer sa compétenceDes questions ont été certifiées.

Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision relative au pays de destination prise en vertu de la Loi sur l'immigration. Le demandeur est un citoyen de l'Inde. Il a fait dix ans de prison après avoir été reconnu coupable au Pakistan d'avoir participé au détournement d'un avion d'Air India se rendant de l'Inde au Pakistan. Après sa libération conditionnelle, on lui a ordonné de quitter le Pakistan. Il est arrivé au Canada sans statut. Il est détenu par les autorités de l'immigration depuis 1995. Une mesure de renvoi conditionnel a été prise contre lui, mais celle-ci ne fixait pas la date de renvoi ni le lieu de destination. Avant que la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention présentée par le demandeur ait été examinée, il a été informé qu'il "constituait un danger pour le public au Canada". Sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention ne pouvait donc plus être examinée. L'avis de danger a été confirmé et la mesure de renvoi conditionnel est devenue une ordonnance d'expulsion valide et toujours en vigueur qui peut être exécutée à n'importe quel moment. Le demandeur a présenté de nombreuses observations concernant le risque auquel il pourrait être exposé s'il était renvoyé en Inde. L'agent chargé du renvoi a informé le demandeur qu'il serait renvoyé en Inde. Rien n'indique si l'agent chargé du renvoi évalué le risque auquel pourrait être exposé le demandeur s'il était renvoyé en Inde et pris une décision à cet égard.

Les questions étaient les suivantes: 1) Fallait-il effectuer une évaluation du risque et prendre une décision à cet égard avant que l'agent chargé du renvoi prenne la décision relative au pays de destination? 2) Les documents du demandeur concernant le risque faisaient-ils à bon droit partie du dossier dont était saisi l'agent chargé du renvoi? 3) A-t-on procédé en l'espèce à une évaluation appropriée du risque et une décision a-t-elle été prise à cet égard? 4) L'agent chargé du renvoi a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle en négligeant de se demander s'il devait ou non exercer son pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi du demandeur jusqu'à ce qu'une telle évaluation ait été effectuée et qu'il ait eu le temps d'en examiner soigneusement le résultat?

Jugement: la demande doit être accueillie.

1) Le demandeur a prétendu devant l'agent chargé du renvoi qu'il serait soumis à la torture ou à d'autres formes de persécution s'il était renvoyé en Inde, qu'aucune évaluation du risque n'avait été effectuée ni aucune décision prise à cet égard. D'après les faits restreints et inusités de cette affaire, une évaluation du risque et une décision à cet égard étaient nécessaires.

2) Il n'existe pas de pouvoir discrétionnaire de tenir compte du risque en vertu de l'article 52 de la Loi sur l'immigration. Toutefois, en vertu de l'article 48, les agents chargés du renvoi ont le pouvoir discrétionnaire de différer l'exécution d'une ordonnance d'expulsion. L'article 48 dispose que, sous réserve des articles 49 et 50, une mesure de renvoi est exécutée dès que les circonstances le permettent. Les articles 49 et 50 ne s'appliquaient pas aux faits de l'espèce. L'article 48 couvre un large éventail de circonstances qui englobent le pouvoir discrétionnaire d'évaluer s'il est raisonnable de reporter l'exécution des mesures de renvoi en attendant de connaître la décision consécutive à l'évaluation du risque. Un agent chargé du renvoi peut tenir compte d'une preuve concluante au sujet du risque que représente le renvoi dans un pays donné et se demander si une évaluation du risque a été effectuée de façon appropriée, uniquement pour savoir s'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi.

3) D'après le dossier, aucune évaluation appropriée du risque n'a été faite et aucune décision n'a été prise à cet égard.

4) L'omission de l'agent chargé du renvoi d'examiner s'il devait ou non exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'article 48, en attendant la décision consécutive à une évaluation appropriée du risque constitue une erreur susceptible de contrôle de la nature d'une négligence ou d'un refus d'exercer sa compétence. Il faut présumer que l'agent chargé du renvoi a tenu compte de l'ensemble des documents dont il était saisi et qui indiquaient qu'aucune évaluation appropriée du risque n'avait été faite ni aucune décision prise à cet égard. Le dossier ne renfermait aucune preuve que l'agent chargé du renvoi avait songé à exercer son pouvoir discrétionnaire de différer l'exécution du renvoi.

Les questions suivantes ont été certifiées: 1) Lorsqu'une personne a fait valoir qu'elle risque d'être soumise à la torture ou mise à mort dans son pays d'origine et que cette personne est susceptible d'être renvoyée dans ce pays sans que le risque auquel ce renvoi l'expose ait été évalué d'une manière conforme aux principes de justice naturelle et de justice fondamentale, la Cour qui effectue le contrôle judiciaire de la décision relative au pays de destination touchant cette personne peut-elle tenir compte d'une preuve concernant ce risque dont était saisi l'office fédéral qui a pris la décision relative au pays de destination? 2) Lorsqu'une personne a fait valoir qu'elle risque d'être soumise à la torture ou mise à mort dans son pays d'origine, faut-il au préalable qu'une évaluation du risque ait été effectuée et qu'une décision ait été prise à cet égard conformément aux principes de justice naturelle et de justice fondamentale pour que la décision de renvoyer la personne dans ce pays soit valide, sans qu'il soit possible de différer le renvoi pour permettre que soit faite cette évaluation et que soit prise cette décision? Dans l'affirmative, d'après les faits de l'espèce, y a-t-il eu dans la procédure utilisée par l'intimé pour exprimer l'avis que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada une telle évaluation du risque et une telle décision? 3) Quand un agent d'immigration prend des mesures en vue d'exécuter l'ordonnance de renvoi touchant une personne et que celle-ci prétend qu'elle risque d'être soumise à la torture ou d'être mise à mort dans le pays où elle sera renvoyée, l'agent d'immigration doit-il vérifier qu'une évaluation du risque a été effectuée et une décision prise à cet égard?

lois et règlements

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 46.01(1)e)(i) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14; L.C. 1992, ch. 49, art. 36; 1995, ch. 15, art. 9), 48, 52 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 7; L.C. 1992, ch. 49, art. 42).

jurisprudence

décisions appliquées:

Poyanipur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 116 F.T.R. 4 (C.F. 1re inst.); Pavalaki c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] F.C.J. no 338 (1re inst.) (QL); Farhadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 3 C.F. 315 (1re inst.) (sur la question de savoir si la procédure relative à l'avis de danger incorporait une procédure appropriée d'évaluation du risque et de prise de décision à cet égard).

distinction faite avec:

Farhadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 3 C.F. 315 (1re inst.) (sur la question de savoir si une évaluation et une décision relatives au risque étaient nécessaires avant que l'agent chargé du renvoi prenne la décision relative au pays de destination).

décisions citées:

Gerist c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1584 (1re inst.) (QL); Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 2 C.F. 646 (C.A.); Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d'enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97; (1995), 124 D.L.R. (4th) 129; 31 Admin. L.R. (2d) 261; 39 C.R. (4th) 141; 180 N.R. 1; Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357; 1984, 9 D.L.R. (4th) 161; 20 Admin. L.R. 1; 11 C.C.C. (3d) 481; 8 C.R.R. 193; 53 N.R. 169; 3 O.A.C. 321.

doctrine

Hogg, Peter. Constitutional Law of Canada, 3rd ed., Scarborough: Carswell, 1992.

DEMANDE de contrôle judiciaire d'une décision relative au pays vers lequel sera renvoyé le demandeur considéré comme un danger pour le public au Canada, c'est-à-dire vers l'Inde, malgré ses observations concernant le danger auquel il pourrait être exposé s'il était renvoyé dans ce pays. Demande accueillie.

ont comparu:

H. Lorne Waldman, pour le demandeur.

David W. Tyndale, pour l'intimé.

avocats inscrits au dossier:

Jackman, Waldman & Associates, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada, pour l'intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Gibson:

CONTEXTE

Les présents motifs se rapportent à une demande de contrôle judiciaire d'une décision ou d'une ordonnance prise, ou d'une question découlant de la Loi sur l'immigration1, par suite d'un communiqué qu'un agent d'immigration (l'agent chargé du renvoi) a adressé au demandeur dans laquelle il l'informait qu'il serait renvoyé du Canada le 5 mai 1997 à destination de Delhi (Inde), en passant par Amsterdam. Le communiqué (la décision relative au pays de destination) est datée du 29 avril 1997.

Les faits ayant mené à la décision relative au pays de destination ne sont pas contestés et peuvent être résumés de la façon suivante.

Le demandeur est un citoyen de l'Inde. Il a été membre du All India Sikh Student Federation. En 1984, dans le cadre d'un plan mis au point par cet organisme, il a participé au détournement d'un avion d'Air India transportant des passagers de l'Inde vers le Pakistan. Le demandeur a été arrêté, reconnu coupable et condamné à mort au Pakistan. Par la suite, sa peine a été commuée en une peine d'emprisonnement à perpétuité. Après dix ans de prison, il a bénéficié d'une libération conditionnelle au Pakistan. À la suite de cette libération conditionnelle, on lui a ordonné de quitter le Pakistan. Il est arrivé au Canada sans statut. Il a des parents dans ce pays.

En septembre 1995, le demandeur a été arrêté par les autorités de l'immigration, qui le gardent en détention depuis ce temps.

Une mesure de renvoi conditionnel a été prise contre le demandeur. Cette mesure n'indique pas la date du renvoi ni le lieu de destination. Le demandeur a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention au Canada en alléguant une crainte fondée d'être persécuté s'il est forcé de retourner en Inde. Avant que sa revendication du statut de réfugié ait été examinée, le demandeur a reçu un avis l'informant que l'intimé envisageait la possibilité d'exprimer un avis "sur le danger qu'il constitue pour le public au Canada" (l'avis de danger) aux termes du sous-alinéa 46.01(1)e )(i) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14; L.C. 1992, ch. 49, art. 36; 1995, ch. 15, art. 9] de la Loi sur l'immigration. Le demandeur a été invité à formuler ses observations. Un délégué de l'intimé a déterminé que le demandeur constituait un "danger pour le public au Canada". Par conséquent, sa revendication du statut de réfugié ne peut plus être examinée.

L'intimé a consenti à réévaluer l'avis de danger. Après cette réévaluation, et malgré les observations exhaustives fournies par le demandeur au sujet du risque auquel il serait exposé s'il retourne en Inde, l'avis de danger a été confirmé.

La mesure de renvoi conditionnel prise contre le demandeur est devenue une ordonnance d'expulsion valide et toujours en vigueur qui peut être exécutée à n'importe quel moment.

Le demandeur a de nouveau présenté des observations détaillées aux responsables des mesures d'exécution du renvoi au ministère de l'intimé, concernant le risque auquel il pourrait être exposé s'il est renvoyé en Inde. Personne n'a fait valoir devant moi que les agents chargés du renvoi, par exemple l'agent d'immigration qui a pris la décision relative au pays de destination, n'ont pas compétence pour évaluer le risque et prendre une décision à cet égard avant d'exécuter le renvoi. Rien n'indique que l'agent chargé du renvoi a dérogé à la pratique établie et au pouvoir concernant l'évaluation et la détermination du risque dans cette affaire, malgré le volumineux dossier dont il ou elle était saisi(e).

Le demandeur a présenté une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire concernant l'avis de danger qui a été émis au nom de l'intimé contre lui. Cette autorisation lui a été refusée.

QUESTIONS EN LITIGE

Le demandeur soulève un certain nombre de questions, notamment la validité constitutionnelle des articles 48 et 52 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 7; L.C. 1992, ch. 49, art. 42] de la Loi sur l'immigration, lus de concert avec les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés2 et au regard des faits de l'espèce. Avant d'aborder les observations portant sur la Charte, j'examinerai d'abord les questions suivantes:

1. Fallait-il effectuer une évaluation du risque et prendre une décision à cet égard avant que l'agent chargé du renvoi prenne la décision relative au pays de destination?

2. Les documents du demandeur concernant le risque font-ils à bon droit partie du dossier dont était saisi l'agent chargé du renvoi?

3. A-t-on procédé en l'espèce à une évaluation du risque appropriée et une décision a-t-elle été prise à cet égard?

4. S'il n'y a pas eu d'évaluation du risque appropriée et qu'aucune décision n'a été prise à cet égard, l'agent chargé du renvoi a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle en négligeant de se demander s'il devait ou non exercer son pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi du demandeur jusqu'à ce qu'une telle évaluation ait été effectuée et qu'il ait eu le temps d'en examiner soigneusement le résultat?

ANALYSE

Le contexte factuel de cette affaire, et les arguments présentés au nom du demandeur, sont très semblables à ceux dont j'étais saisi dans l'affaire Farhadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)3 (Farhadi). Les différences de fait sont les suivantes. Dans le cas de M. Farhadi, il avait été décidé que sa revendication du statut de réfugié au Canada concernant l'Iran avait "un minimum de fondement", et de ce fait, il avait obtenu le droit d'établissement. Donc, contrairement au demandeur en l'espèce, il avait un statut au Canada. En outre, dans l'affaire Farhadi , la procédure de contrôle judiciaire concernait à la fois la décision relative au pays de destination et la décision concernant l'avis de danger.

L'avocat du demandeur s'est abondamment appuyé sur l'affaire Farhadi pour faire valoir qu'une évaluation du risque devait être effectuée avant que la décision relative au pays de destination soit prise contre le demandeur. À mon sens, l'affaire Farhadi ne permet pas de soutenir qu'une évaluation du risque et une décision à cet égard sont toujours exigées avant qu'une décision relative au pays de destination, prise dans le cadre d'une ordonnance d'expulsion valide, puisse être prise concernant le renvoi dans un pays où la personne visée craint d'être persécutée. La décision dans l'affaire Farhadi s'appuie plutôt sur des circonstances uniques en vertu desquelles la prétention crédible du requérant, selon laquelle il craignait d'être soumis à la torture s'il était renvoyé en Iran, avait un "minimum de fondement", ce qui lui avait permis d'obtenir le droit d'établissement au Canada. En m'appuyant sur les faits de cette espèce, j'ai conclu qu'une évaluation du risque et une décision à cet égard étaient nécessaires, et que celles-ci n'avaient pas été incorporées aux procédures liées à l'avis de danger.

En l'espèce, le demandeur a prétendu, de la même façon, devant l'agent chargé du renvoi qu'il sera soumis à la torture ou à d'autres formes de persécution s'il est renvoyé en Inde, et qu'aucune évaluation du risque n'a été effectuée ni aucune décision prise à cet égard. En m'appuyant sur les faits distincts, mais tout aussi restreints et inusités de cette affaire, je conclus qu'une évaluation du risque et une décision à cet égard sont nécessaires.

Comme je l'ai indiqué ci-dessus, le demandeur a déposé devant l'agent chargé du renvoi des observations détaillées concernant le risque auquel il serait exposé s'il était renvoyé en Inde, y compris les observations qu'il a faites avant le réexamen de l'avis de danger émis contre lui. La Cour est maintenant saisie de ces observations qui ont été versées au dossier certifié du tribunal, malgré ce qui est reconnu comme étant la compétence limitée de l'agent chargé du renvoi. La question est donc de savoir si l'agent chargé du renvoi avait le pouvoir discrétionnaire d'examiner les observations concernant le risque et, par implication, si la Cour est à bon droit saisie de ces observations dans la présente instance de contrôle judiciaire.

Comme on l'a noté ci-dessus dans les présents motifs, il n'a pas été contesté que les agents chargés du renvoi n'ont pas compétence pour faire les évaluations du risque et se prononcer à cet égard dans le cadre des décisions qu'ils doivent prendre relativement à la destination. Les choix qui leur sont offerts pour prendre ces décisions relatives au pays de destination sont restreints par l'article 52 de la Loi sur l'immigration, qui leur laisse peu de pouvoir discrétionnaire, sinon aucun, à moins que la personne visée n'accepte volontairement de quitter le Canada ou à moins qu'elle ne puisse être renvoyé dans un des pays mentionnés au paragraphe (2) de cet article. Dans ces circonstances, avec l'approbation de l'intimé ou sur son initiative, tout autre pays de destination peut être choisi. L'article 52 de la Loi ne confère aucun pouvoir discrétionnaire de tenir compte du risque.

Toutefois, en vertu de l'article 48 de la Loi sur l'immigration, les agents chargés du renvoi ont le pouvoir discrétionnaire de différer l'exécution d'une ordonnance d'expulsion. L'article 48 est rédigé dans les termes suivants:

48. Sous réserve des articles 49 et 50, la mesure de renvoi est exécutée dès que les circonstances le permettent.

Les articles 49 et 50 ne s'appliquent pas aux faits de l'espèce.

Dans l'affaire Poyanipur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)4, Mme le juge Simpson écrit ceci à la page 6:

Toutefois, ce qui est clair, c'est que les agents chargés du renvoi disposent d'un certain pouvoir discrétionnaire en vertu de la Loi sur l'immigration au sujet, notamment, de la rapidité avec laquelle ils peuvent procéder au renvoi une fois qu'ils ont commencé à prendre les mesures d'expulsion. L'affidavit de May indique au paragraphe 8 que les renvois doivent être exécutés aussi rapidement qu'il est "raisonnablement" possible de le faire. Cette formulation se retrouve également à l'article 48 de la Loi sur l'immigration . À mon avis, ce libellé couvre un large éventail de circonstances pouvant inclure une situation dans laquelle on pourrait se demander s'il est raisonnable d'attendre une décision imminente concernant une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire avant de procéder au renvoi. [Non souligné dans l'original.]

De même, dans l'affaire Pavalaki c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)5, Mme le juge Reed a déclaré ceci au paragraphe 12:

Je reconnais que les agents chargés du renvoi peuvent, dans certaines circonstances, reporter l'exécution d'une mesure de renvoi (certainement si un demandeur était malade, ou si le vol prévu était annulé, de tels cas doivent exister).

Même si Mme le juge Reed n'a pas fait d'observations sur la question de savoir si l'agent chargé du renvoi avait le pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi afin d'attendre le résultat d'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, je conclus qu'elle a reconnu, en principe, qu'un agent chargé du renvoi a un tel pouvoir discrétionnaire dans les circonstances6.

Je conclus que le "large éventail de circonstances" que couvre, de l'avis de Mme  le juge Simpson, l'article 48 de la Loi sur l'immigration englobe le pouvoir discrétionnaire d'évaluer s'il est raisonnable de reporter l'exécution des mesures de renvoi en attendant de connaître la décision consécutive à l'évaluation du risque. Par conséquent, il s'ensuit qu'un agent chargé du renvoi peut tenir compte d'une preuve concluante au sujet du risque que représente le renvoi de la personne visée dans un pays de destination donné et se demander si une évaluation du risque a été effectuée de façon appropriée et une décision prise à cet égard, simplement pour savoir s'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi.

À partir des observations précitées, je conclus que les documents du demandeur concernant le risque dont était saisi l'agent chargé du renvoi ont été à bon droit déposés devant cet agent, mais dans le seul but restreint de déterminer si une évaluation du risque avait été effectuée de façon appropriée et s'il était justifié de reporter l'exécution du renvoi. Donc, les observations concernant le risque et l'absence alléguée d'une évaluation appropriée et d'une décision à cet égard dont était saisi l'agent chargé du renvoi constituaient à bon droit une partie du dossier certifié dont j'ai été saisi en l'espèce.

À cet égard, les faits de l'espèce peuvent être distingués de ceux de l'affaire Farhadi. Dans cette affaire, l'office fédéral dont la décision faisait l'objet du contrôle n'avait pas été saisi d'une partie de la preuve concernant le risque qui avait été déposée devant moi. Cette preuve avait été présentée pour la première fois dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire. En décidant de cette affaire sans avoir recours à la nouvelle preuve déposée dans l'instance de contrôle judiciaire, j'ai déclaré ceci [à la page 329]:

Il est bien établi en droit qu'une cour de révision est liée par le dossier qui a été déposé devant l'office fédéral dont la décision fait l'objet [du contrôle].

Par opposition, en l'espèce, le décideur dont la décision fait l'objet du contrôle était saisi de la preuve concernant le risque. Les observations du demandeur concernant le risque qui ont été déposées en preuve, y compris les documents dont étaient saisis le délégué du ministre qui a exprimé l'avis de danger, ont donc à bon droit été déposés devant moi7.

J'aborde donc la troisième question qui a été énoncée ci-dessus, c'est-à-dire la question de savoir si une évaluation du risque a en fait été effectuée de façon appropriée et si une décision a été prise à cet égard. Le demandeur prétend qu'aucune évaluation de ce genre n'a été faite ni aucune décision prise à cet égard.

L'intimé fait au contraire valoir que l'avis de danger traitait effectivement du risque que présentait le renvoi, et que les parties savaient que le pays de destination, si la mesure était exécutée, serait l'Inde. La partie pertinente du résumé préparé à l'intention du délégué de l'intimé qui a exprimé l'avis de danger indiquait précisément que le demandeur craignait d'être persécuté à son retour en Inde. Il fait donc valoir qu'une évaluation du risque appropriée a été effectuée et une décision prise à cet égard. L'avocat de l'intimé souligne que l'agent chargé du renvoi était saisi de toute cette preuve.

D'après le dossier dont je suis saisi, je ne trouve rien qui me convainque qu'une évaluation du risque a été effectuée d'une façon appropriée ou qu'une décision a été prise à cet égard. En outre, il n'y a rien dans les faits pertinents de l'espèce qui puisse être distingué de l'affaire Farhadi quant à savoir si les procédures relatives à l'avis de danger incorporaient une évaluation appropriée du risque et une décision à cet égard. Manifestement, il n'y en avait pas. Dans l'affaire Farhadi, j'ai déclaré ceci [aux pages 333, 337 et 341]:

Les questions dont le délégué du ministre a été saisi en vertu du sous-alinéa 46.01(1)e)(iv) et du paragraphe 70(5) de la Loi étaient claires: il lui fallait déterminer si, de l'avis de l'intimé, le requérant constituait un danger pour le public au Canada. C'était la seule question dont il était saisi. Pour parvenir à une décision à cet égard, le délégué était autorisé à tenir compte, même si la loi ne l'y obligeait pas, d'autres documents que ceux qui avaient trait strictement au danger pour le public au Canada, notamment des documents ayant trait à une évaluation du risque.

. . .

Je conclus que l'avocat du requérant a raison quand il prétend qu'il n'y a pas de décision ou de conclusion finale sur la question du risque auquel sera exposé le requérant dans la décision du délégué de l'intimé. La décision du délégué indique simplement que, de l'avis du ministre, le requérant constitue un danger pour le public au Canada, et rien de plus.

. . .

Je suis convaincu que la procédure ayant mené à la formulation de l'avis de danger ne constituait tout simplement pas une évaluation et une décision relatives au risque et que, si tel était le cas, cette procédure ne comportait pas suffisamment d'attributs des principes de justice naturelle et de justice fondamentale, compte tenu des conséquences potentielles d'une décision sur l'évaluation du risque défavorable au requérant. [Non souligné dans l'original.]

CONCLUSION

Par conséquent, je ne peux que conclure par l'affirmative à la question de savoir si l'agent chargé du renvoi a commis une erreur en ne se demandant pas s'il devait exercer son pouvoir discrétionnaire pour différer le renvoi du demandeur. Il faut présumer que l'agent chargé du renvoi a tenu compte de l'ensemble des documents dont il était saisi8. Ces documents indiquent qu'aucune évaluation appropriée du risque n'a été faite et qu'aucune décision n'a été prise à cet égard. Le dossier ne renferme aucune preuve que l'agent a songé à exercer son pouvoir discrétionnaire de différer l'exécution du renvoi. À mon avis, l'omission de l'agent du renvoi d'examiner s'il devait ou non exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'article 48 de la Loi sur l'immigration, en attendant la décision consécutive à une évaluation appropriée du risque, constitue une erreur susceptible de contrôle de la nature d'une négligence ou d'un refus d'exercer sa compétence.

Pour les motifs précités, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Compte tenu de l'analyse qui précède, il est inutile et, en fait peu souhaitable, d'examiner les questions constitutionnelles soulevées9.

CERTIFICATION D'UNE OU DE PLUSIEURS QUESTIONS

À la fin de l'audition de la présente demande, j'ai réservé ma décision et je me suis engagé à faire circuler une version préliminaire de mes motifs afin de donner aux avocats la possibilité de les examiner et de soumettre d'autres observations s'ils le jugeaient approprié et de faire des recommandations concernant la certification d'une ou de plusieurs questions. La version préliminaire de mes motifs a été distribuée accompagnée d'une lettre du greffe de la Cour en date du 28 mai. L'avocat de l'intimé a fourni de brèves observations supplémentaires. L'avocat du demandeur a fait parvenir un accusé de réception sans soumettre d'autres observations.

Le 25 juin 1998, la Cour a reçu de l'avocat de l'intimé une proposition de certification de trois questions rédigées sous la forme suivante:

1. Lorsqu'une personne a fait valoir qu'elle risque d'être soumise à la torture ou mise à mort dans son pays d'origine et que cette personne est susceptible d'être renvoyée dans ce pays sans que le risque auquel ce renvoi l'expose ait été évalué d'une manière conforme aux principes de justice naturelle et de justice fondamentale, la Cour qui effectue le contrôle judiciaire de la mesure de renvoi visant cette personne peut-elle tenir compte d'une preuve concernant ce risque dont était saisi l'office fédéral qui a pris la mesure de renvoi?

2. Lorsqu'une personne a fait valoir qu'elle risque d'être soumise à la torture ou mise à mort dans son pays d'origine, faut-il au préalable qu'une évaluation du risque ait été effectuée et qu'une décision ait été prise à cet égard conformément aux principes de justice naturelle et de justice fondamentale pour que la décision de renvoyer la personne dans ce pays soit valide? Dans l'affirmative, d'après les faits de l'espèce, y a-t-il eu dans la procédure utilisée par l'intimé pour exprimer l'avis que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada une telle évaluation du risque et une telle décision?

3. Quand un agent d'immigration prend des mesures en vue d'exécuter l'ordonnance de renvoi touchant une personne et que celle-ci prétend qu'elle risque d'être soumise à la torture ou mise à mort dans le pays où elle sera renvoyée, l'agent d'immigration doit-il s'assurer ou vérifier qu'une évaluation du risque a été effectuée? Dans l'affirmative, quelle est l'étendue de l'obligation de l'agent concernant la question de savoir si une évaluation appropriée du risque a été effectuée?

Au cours d'une conférence téléphonique qui a eu lieu le 26 juin, quelques modifications aux questions proposées ont été discutées et la Cour a informé les avocats que certaines modifications seraient apportées. De façon générale, ces modifications sont de nature technique. La plus importante est peut-être la suppression de la deuxième phrase de la troisième question proposée. De l'avis de la Cour, cette phrase constitue une demande d'avis juridique plutôt qu'une proposition de question qui pourrait régler de façon définitive un appel concernant l'ordonnance visée.

Par conséquent, les trois questions suivantes seront certifiées.

1. Lorsqu'une personne a fait valoir qu'elle risque d'être soumise à la torture ou mise à mort dans son pays d'origine et que cette personne est susceptible d'être renvoyée dans ce pays sans que le risque auquel ce renvoi l'expose ait été évalué d'une manière conforme aux principes de justice naturelle et de justice fondamentale, la Cour qui effectue le contrôle judiciaire de la décision relative au pays de destination touchant cette personne peut-elle tenir compte d'une preuve concernant ce risque dont était saisi l'office fédéral qui a pris la décision relative au pays de destination?

2. Lorsqu'une personne a fait valoir qu'elle risque d'être soumise à la torture ou mise à mort dans son pays d'origine, faut-il au préalable qu'une évaluation du risque ait été effectuée et qu'une décision ait été prise à cet égard conformément aux principes de justice naturelle et de justice fondamentale pour que la décision de renvoyer la personne dans ce pays soit valide, sans qu'il soit possible de différer le renvoi pour permettre que soit faite cette évaluation et que soit prise cette décision? Dans l'affirmative, d'après les faits de l'espèce, y a-t-il eu dans la procédure utilisée par l'intimé pour exprimer l'avis que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada une telle évaluation du risque et une telle décision?

3. Quand un agent d'immigration prend des mesures en vue d'exécuter l'ordonnance de renvoi touchant une personne et que celle-ci prétend qu'elle risque d'être soumise à la torture ou mise à mort dans le pays où elle sera renvoyée, l'agent d'immigration doit-il vérifier qu'une évaluation du risque a été effectuée et une décision prise à cet égard?

1 L.R.C. (1985), ch. I-2.

2 Qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

3 [1998] 3 C.F. 315 (1re inst.). Avis d'appel déposé le 26 mars 1998 à la Cour d'appel fédérale; A-201-98.

4 (1995), 116 F.T.R. 4 (C.F. 1re inst.).

5 [1998] F.C.J. no 338 (1re inst.) (QL).

6 Voir également Gerist c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1584 (1re inst.) (QL).

7 Je note toutefois que la Cour est également saisie d'une preuve qui ne semble pas avoir été présentée à l'agent chargé du renvoi: voir, par exemple, le dossier de la demande, onglet 3, à la p. 6. Pour les motifs énoncés dans l'affaire Farhadi, précitée, je n'ai pas tenu compte de ces éléments de preuve pour décider de la présente affaire.

8 ;Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 2 C.F. 646 (C.A.).

9 Voir généralement P. Hogg, Constitutional Law of Canada (Scarborough: Carswell, 1992), à la p. 56-18; Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d'enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97; et Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357.

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