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T-139-97

Shell Canada Limitée (requérante)

c.

Le procureur général du Canada (intimé)

Répertorié: Shell Canada Ltéec. Canada (Procureur général)(1re   inst.)

Section de première instance, juge Gibson"Calgary, 8 décembre 1997; Ottawa, 19 mars 1998.

Peuples autochtones Terres Calcul, par le gestionnaire responsable des obligations fiduciaires et légales de la Couronne prévues par la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, de la redevance sur la production de gaz naturel couverte par des baux portant sur des terres situées dans une réserveLe ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien a conclu à juste titre que la requérante devait calculer la déduction pour amortissement du gaz sur la base du coût en capital initial des actifs visés réduit des crédits d'impôt à l'investissement qu'elle avait gagnés en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenuLa décision a toutefois été annulée parce que la requérante n'a pas eu l'occasion de répliquer et qu'une portée rétroactive a été donnée à la décision.

Droit administratif Contrôle judiciaire Certiorari Calcul, conformément à la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, de la redevance sur la production de gaz naturel couverte par des baux portant sur des terres situées dans une réserveLa décision du ministre a été annulée parce que la requérante n'a pas eu l'occasion de répliquer et qu'une portée rétroactive a été donnée à la décision.

La requérante avait un intérêt dans des baux portant sur des terres situées dans la réserve indienne Stoney dans la province de l'Alberta. Elle avait convenu de payer à Sa Majesté, en fiducie au bénéfice de la bande Stoney, une redevance sur la production de gaz naturel couverte par les baux. Cette redevance devait être calculée conformément au Règlement sur le pétrole et le gaz des terres indiennes. Pendant toutes les années en cause (1982 à 1989?), la requérante a calculé et remis les redevances en déduisant une déduction pour amortissement du gaz (DPAG), en tenant compte des Guidelines for the Calculation and Reporting of Gas Cost Allowance for Natural Gas and Associated By-Products on Indian Lands, lignes directrices publiées par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. En 1989, Pétrole et Gaz des Indiens du Canada (PGIC), qui était responsable de l'exécution des obligations fiduciaires et légales de la Couronne prévues par la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, a déterminé dans le cadre de vérifications que la requérante avait inclus comme éléments de sa DPAG des sommes se rapportant à des dépenses en capital admissibles qu'elle avait déduites comme crédits d'impôt à l'investissement (CII) de son impôt sur le revenu pour les années d'imposition de la période en question, ce qui avait entraîné une réduction des redevances payées. Le gestionnaire de PGIC a indiqué à la requérante que les CII devraient avoir été déduits du coût en capital pertinent pour les actifs reliés au calcul de la DPAG. Le nouveau calcul a établi que la requérante devait payer des redevances supplémentaires s'élevant à 577 025 $. La requérante a interjeté appel auprès du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et a déposé des observations détaillées et a demandé l'occasion de répliquer à la réponse de PGIC aux observations. Sans accorder l'occasion de répliquer, le ministre a confirmé la décision du gestionnaire que la DPAG aurait dû être calculée sur la base des coûts en capital d'origine des actifs pertinents moins les crédits d'impôt à l'investissement gagnés en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu.

Il s'agissait en l'espèce d'une demande de contrôle judiciaire de cette décision pour les motifs suivants: le ministre a commis une erreur de droit en interprétant mal le mot "frais" au paragraphe 2(4) de l'annexe 1 du Règlement, a rendu une décision manifestement déraisonnable vu le dossier qu'il avait devant lui, a refusé d'exercer sa compétence en se contentant d'adopter la position du gestionnaire, a manqué aux principes de justice naturelle et d'équité procédurale et s'est comporté d'une manière qui justifie une crainte raisonnable d'impartialité.

Jugement: la demande doit être accueillie.

Pour déterminer si le gestionnaire a abusé du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par le Règlement, on a invoqué l'ouvrage Principles of Administrative Law de Jones et de Villars. Les cinq catégories générales d'abus qui y sont décrites ont été examinées.

Rien ne permettait de conclure que le gestionnaire ou le ministre avaient commis un abus de pouvoir discrétionnaire ou avaient agi de mauvaise foi. Le fait que le gestionnaire avait tenu compte de l'obligation de PGIC, à titre de fiduciaire, de protéger l'intérêt de la bande Stoney ne constituait pas une considération non pertinente. L'obligation fiduciaire n'a été que l'une des considérations dont on a tenu compte et c'était là une considération appropriée. Shell, une grande société possédant un personnel compétent, aurait dû être consciente des incidences des baux conclus avec un bailleur tenu à une obligation fiduciaire.

Toutefois, le fait pour le ministre de ne pas avoir donné à la requérante l'occasion de répliquer aux observations présentées par PGIC, lorsque la requérante lui en avait fait expressément la demande, constituait une erreur donnant ouverture à un contrôle judiciaire, que l'on décrive cette erreur comme le fait d'agir sans tenir compte d'éléments pertinents ou comme un déni d'équité à l'égard de la requérante. La présente affaire se distinguait de l'affaire Sovereign Life Insurance Co. c. Canada (Ministre des Finances), [1998] 1 C.F. 299 (1re inst.), où il a été jugé qu'il n'y avait pas ouverture à un contrôle judiciaire parce que l'élément en question était sans grande importance.

Le ministre a commis une autre erreur en approuvant la décision du gestionnaire de modifier, de manière rétroactive, les frais de traitement. Selon la règle générale, les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétroactive à moins que le texte de la Loi ne le décrète expressément ou n'exige implicitement une telle interprétation. Le pouvoir du gestionnaire, en vertu de la Loi et du Règlement, de fixer les frais de traitement qu'il juge justes et raisonnables ne peut opérer de façon rétroactive. La décision du gestionnaire était manifestement rétroactive.

Le gestionnaire n'a pas commis d'erreur de droit dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Le gestionnaire a interprété que les frais de traitement ne comprennent pas les CII et cette interprétation était raisonnable vu l'étendue de son pouvoir discrétionnaire. De surcroît, cette interprétation n'impliquait pas une définition des "frais" incompatibles avec la jurisprudence.

Enfin, le gestionnaire et, de ce fait, le ministre, n'a pas abusé de son pouvoir discrétionnaire en adoptant une politique qui aurait entravé sa capacité d'examiner l'affaire avec un esprit ouvert.

lois et règlements

Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5 suppl.), ch. 1.

Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 43, 44.

Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, S.C. 1974-75-76, ch. 15, art. 4.

Règlement de 1995 sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, DORS/94-753, art. 57.

Règlement sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, C.R.C., ch. 963, ann. 1 (mod. par DORS/81-340, art. 10, 11), art. 2(4).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 1618 (édictée par DORS/92-43, art. 19).

jurisprudence

décisions appliquées:

Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 2 C.F. 646; (1997), 147 D.L.R. (4th) 93; 212 N.R. 63 (C.A.); Martindale, Ernest Smith v. The Queen, [1956-60] R.C.É. 153; Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271; (1975), 66 D.L.R. (3d) 449; [1976] CTC 1; 75 DTC 5451; 7 N.R. 401.

distinction faite avec:

Sovereign Life Insurance Co. c. Canada (Ministre des Finances), [1998] 1 C.F. 299; (1997), 135 F.T.R. 81 (1re inst.).

décision examinée:

Pétrolière Impériale Ressources Ltée c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1997] A.C.F. no 1767 (1re inst.) (QL).

décision citée:

R. c. Canadien Pacifique Ltée, [1978] 2 C.F. 439; [1977] C.T.C. 606; (1977), 77 DTC 5383 (C.A.).

doctrine

Canada. Department of Indian and Northern Affairs. Indian Minerals (West) Directorate. Guidelines for the Calculation and Reporting of Gas Cost Allowance for Natural Gas and Associated By-Products on Indian Lands. 1982.

Institut canadien des comptables agréés. Manuel de l'ICCA. Toronto: Institut canadien des comptables agréés, 1968.

Jones, D. P. et A. S. de Villars. Principles of Administrative Law, 2nd ed. Toronto: Carswell, 1994.

DEMANDE de contrôle judiciaire d'une décision du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien d'approuver la décision d'un gestionnaire de Pétrole et gaz des Indiens du Canada que la requérante devait calculer sa déduction pour amortissement du gaz sur la base du coût en capital initial des actifs visés réduit des crédits d'impôt à l'investissement qu'elle avait gagnés en vertu de Loi de l'impôt sur le revenu. La demande a été accueillie.

avocats:

Alnasir Meghji et Peter R. S. Leveque pour la requérante.

James N. Shaw pour l'intimé.

procureurs:

Bennett Jones Verchere, Calgary, pour la requérante.

Le sous-procureur général du Canada, pour l'intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Gibson:

INTRODUCTION

Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministre), portant qu'une décision du gestionnaire responsable de l'exécution des obligations fiduciaires et légales de la Couronne prévues par la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes1 (la Loi) était "justifiée". Le gestionnaire avait conclu que la requérante devait calculer la déduction pour amortissement du gaz [DPAG] sur la base du coût en capital initial des actifs visés réduit des crédits d'impôt à l'investissement qu'elle avait gagnés en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu2 . La décision du ministre, rendue en vertu de l'article 57 du Règlement de 1995 sur le pétrole et le gaz des terres indiennes3, porte la date du 18 décembre 1996.

HISTORIQUE

La requérante a un intérêt dans des baux portant sur des terres situées dans la réserve indienne Stoney dans la province d'Alberta. Aux termes de chacun de ces baux, la requérante doit payer à Sa Majesté du chef du Canada, en fiducie au bénéfice de la bande Stoney, une redevance sur la production de gaz naturel couverte par les baux. Cette redevance doit être calculée conformément au Règlement sur le pétrole et le gaz des terres indiennes4 (le Règlement), modifié. Le paragraphe 2(4) de l'annexe I du Règlement prévoit:

2. (1) . . .

(4) Lorsque le gaz est traité par une méthode autre que la gravité, la redevance pour le gaz produit de cette façon est calculée d'après le prix de vente réel de ce gaz, mais doivent être déduits les frais de traitement, que le gestionnaire peut juger justes et équitables de temps à autre, calculés sur le total de la partie de la redevance de base et de la redevance supplémentaire de la production. [Je souligne.]

Il n'est pas contesté que le gaz traité par la requérante dans le cadre de ces baux portant sur des terres de la réserve indienne Stoney était traité "par une méthode autre que la gravité". Les frais de traitement visés dans la disposition citée sont généralement appelés la "déduction pour amortissement du gaz" (la DPAG).

Pendant toutes les années en cause5, la requérante a calculé et remis les redevances en déduisant une DPAG. Elle a tenu compte des "Guidelines for the Calculation and Reporting of Gas Cost Allowance for Natural Gas and Associated By-Products on Indian Lands" (les lignes directrices), publiées par la Direction des ressources minérales des Indiens (Ouest) du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien en juillet 19826 . Ce texte prévoit notamment:

[traduction] Les immobilisations sont comptabilisées au coût d'origine pour le propriétaire à moins qu'elles ne résultent d'une opération entre personnes ayant un lien de dépendance, auquel cas elles sont comptabilisées au coût d'origine moins la déduction pour amortissement demandée. Le coût d'origine comprend les intérêts pendant la construction au sens défini.

Les lignes directrices sont précédées de la note suivante en forme de préambule:

[traduction] Toutes les personnes utilisant ces lignes directrices sont avisées de ce qu'elles n'ont aucune sanction législative ou gouvernementale officielle, et qu'elles ne lient donc d'aucune façon le Gouvernement du Canada et, en particulier, la Direction des Ressources minérales des Indiens (Ouest) du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.

La Direction des Ressources minérales des Indiens (Ouest) se réserve le droit de modifier les lignes directrices à tout moment, sans préavis, pour y apporter les changements qu'elle juge nécessaires pour refléter les changements dans les politiques, les pratiques ou les procédures du gouvernement.

En juillet 1989, Pétrole et Gaz des Indiens du Canada (PGIC) a entrepris certaines vérifications concernant notamment les demandes de déduction pour amortissement du gaz faites par la requérante, dans le calcul des redevances à payer pour les années en question. Il est ressorti de la vérification que la requérante avait inclus comme éléments de sa DPAG des sommes se rapportant à des dépenses en capital admissibles qu'elle avait déduites comme crédits d'impôt à l'investissement (CII) de son impôt sur le revenu pour les années d'imposition de la période en question, ce qui avait entraîné une réduction des redevances payées.

Dans une lettre adressée à la requérante en date du 6 juin 1994, le directeur exécutif, PGIC, (le gestionnaire) faisait référence au paragraphe 2(4) de l'annexe I, précité, et prenait la position suivante à l'égard des CII:

[traduction] Les CII devraient avoir été déduits du coût en capital pertinent pour les actifs reliés au calcul de la DPAG. PGIC appuie cette position sur le Manuel de l'ICCA qui porte en 3805.12 que: "Il faut comptabiliser les crédits d'impôt à l'investissement en utilisant la méthode de la réduction du coût". Cette recommandation était en vigueur pour tous les exercices commençant à compter du 1er janvier 1985. Avant cette date, deux méthodes étaient utilisées: la méthode de la réduction du coût, mentionnée plus haut, et la méthode de l'imputation à l'exercice. Selon cette dernière méthode, il faut comptabiliser les crédits d'impôt à l'investissement sous la forme d'une réduction de la charge d'impôt.

Le 14 décembre 1995, le gestionnaire a écrit une autre fois à la requérante. Sous le titre "Crédits d'impôt à l'investissement (CII)", le gestionnaire écrivait:

[traduction] Les crédits d'impôt à l'investissement sont retranchés de la valeur comptable du capital. L'ajustement a été fait au taux applicable dans la période pour laquelle une immobilisation a été déclarée pour le calcul de la DPAG. Cela a été fait sans que vous fournissiez le moindre renseignement pour établir que ces sommes ont été déduites à titre de crédit d'impôt ou, au contraire, ne l'ont jamais été. Donc, la valeur comptable du capital a été réduite de la somme indiquée dans l'annexe ci-jointe "Sommaire de l'ajustement du CII après vérification" et la valeur de l'ajustement est indiquée dans le nouveau calcul de la DPAG.

Essentiellement, le gestionnaire arrivait donc à la conclusion que la DPAG aurait dû être calculée sur le coût en capital d'origine des actifs pertinents réduit des CII.

Les redevances supplémentaires qui devaient être payées en raison du nouveau calcul de la DPAG s'élevaient à 1 869 730 $, somme ensuite ramenée, au terme de discussions et de négociations, à 577 025 $.

Le requérant a interjeté appel, auprès du ministre, de la décision, ou prétendue décision, du gestionnaire, rendue le 14 décembre 1995.

Les avocats de la requérante ont déposé des observations détaillées au soutien de l'appel. Ces observations comprennent notamment le paragraphe suivant:

[traduction] 24. Shell demande, par les présentes, d'avoir l'occasion de répliquer à la réponse que PGIC fera aux présentes observations.

Le ministre a accusé réception des observations déposées pour le compte de la requérante. Sans accorder l'occasion de répliquer, le ministre a écrit aux avocats de la requérante le 18 décembre 1996 pour leur communiquer la "décision finale" qui fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire. Cette lettre porte notamment:

[traduction] La question, telle qu'elle est définie dans votre lettre du 10 février 1996, consiste à décider si Shell avait le droit de calculer sa déduction pour amortissement du gaz sur la base des coûts en capital d'origine, pour elle, des actifs pertinents ou si elle devait soustraire de ces coûts d'origine les crédits d'impôt à l'investissement qu'elle a gagnés en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu en dépensant ces sommes.

J'ai examiné vos observations du 10 février 1996 et j'en suis venu à la conclusion que la mesure prise par le directeur exécutif [gestionnaire], telle qu'elle a été communiquée à Shell le 14 décembre 1995, est justifiée. Les crédits d'impôt à l'investissement sont un élément à considérer dans le calcul du coût d'un actif en vue d'établir la déduction pour amortissement du gaz.

QUESTIONS EN LITIGE

Lors de la présentation de son argumentation devant la Cour, l'avocat de la requérante a défini la question en litige à grands traits de la manière suivante:

[traduction] . . . la question . . . porte sur le calcul de la redevance due par Shell et, plus particulièrement, sur l'exercice par PGIC de son pouvoir de fixer la redevance appropriée, sur la façon dont PGIC s'y est pris pour fixer le montant exact de la redevance due par Shell, et sur la décision ultérieure du ministre des Affaires indiennes confirmant la décision de PGIC7.

Ainsi donc, la question se ramène à l'exercice par PGIC ou par le gestionnaire du pouvoir discrétionnaire, en vertu du paragraphe 2(4) de l'annexe I du Règlement précité, pour décider que les frais de traitement raisonnables et équitables impliquent que l'on réduise les coûts, tels qu'ils peuvent être établis par ailleurs, du montant des CII, en vue de calculer le prix de vente réel rajusté formant l'assiette des redevances. Cela étant dit, l'avocat a reconnu que la demande de contrôle judiciaire porte sur la décision du ministre, et non sur celle du gestionnaire.

Selon l'avocat de la requérante, en jugeant la décision du gestionnaire "justifiée", le ministre:

1) a commis une erreur de droit en interprétant mal le terme "frais" au paragraphe 2(4) de l'annexe I du Règlement;

2) a rendu une décision manifestement déraisonnable vu le dossier qu'il avait devant lui;

3) a refusé d'exercer sa compétence en se contentant d'adopter la position du gestionnaire, a manqué aux principes de justice naturelle et d'équité procédurale et s'est comporté d'une manière qui justifie une crainte raisonnable de partialité.

L'avocat de l'intimé a plaidé que la demande de contrôle judiciaire était tardive. Il a fait valoir que le gestionnaire a pris la décision qui fait l'objet de la demande dans sa lettre du 6 juin 1994, et non dans la lettre du 19 décembre 1995, laquelle ne faisait que réitérer sa décision.

POSITION DE LA REQUÉRANTE

Selon la preuve présentée, la requérante s'est prévalue, dans le calcul de la redevance due, de la DPAG établie en fonction du coût des immobilisations pertinentes. L'avocat a plaidé que cette façon de procéder était conforme au texte précité des lignes directrices. Il n'a pas été contesté que les lignes directrices ont été diffusées et que PGIC comptait qu'on les suivrait pour le calcul de la DPAG. Il n'a pas été contesté non plus que les lignes directrices sont muettes sur la déduction des CII dans le calcul de la DPAG.

L'avocat de la requérante a longuement passé en revue la preuve, pour démontrer à la Cour que, étant donné la séquence des événements et la preuve documentaire, il fallait inférer que PGIC était ambivalent sur la question de savoir s'il y avait lieu, rétroactivement, de réduire la DPAG du montant des CII. PGIC avait reçu des observations de l'Association pétrolière du Canada, faisant valoir que l'on ne devrait pas procéder à une telle réduction de la DPAG, laquelle ne serait pas conforme à la pratique de l'industrie. L'avocat a reconnu que PGIC avait également reçu un avis d'un grand cabinet d'experts-comptables, auquel il avait fait appel pour mener une vérification des calculs de redevances de la requérante et pour lui fournir des conseils; selon cet avis, il fallait réduire la DPAG du montant des CII. Il a également attiré l'attention sur le fait que ce cabinet, à peu près à la même époque, travaillait pour la bande indienne Stoney, qui se trouverait avantagée s'il fallait réduire la DPAG du montant des CII. L'avocat a invité la Cour à inférer que le gestionnaire de PGIC n'a pas pris de décision. Plutôt, face à des observations et à un avis contradictoires, il aurait simplement adopté l'avis professionnel.

L'avocat m'a invité à me reporter aux observations présentées au ministre au nom de la requérante, au soutien de l'appel formé devant lui. En particulier, il m'a invité à me reporter au très court paragraphe, précité, dans lequel la requérante demandait d'avoir l'occasion de répliquer à la réponse de PGIC à ses observations. Cette occasion de répliquer ne lui a pas été fournie. En fait, la requérante n'a pu obtenir une copie épurée des observations de PGIC que par la voie d'une demande d'accès à l'information. Cette réponse de PGIC faisait mention de l'avis que PGIC avait reçu de ses conseillers professionnels et semble même avoir comporté en annexe une copie de cet avis. L'avocat fait valoir que le ministre, en refusant d'accorder à la requérante l'occasion de répliquer, ainsi qu'elle l'avait demandé, a manqué à l'obligation d'équité à son endroit.

Dans l'affidavit produit sur ce point pour le compte de l'intimé, le déclarant décrit les considérations prises en compte pour décider qu'il fallait déduire les CII dans le calcul de la DPAG. Il atteste:

[traduction] La décision du 6 juin 1994 a été prise par le gestionnaire qui était, aux divers moments visés par la présente action, autorisé à admettre en déduction des redevances autrement payables les frais qu'il jugeait justes et raisonnables. Le gestionnaire a pris en compte les éléments suivants pour décider si les CII constituaient des frais de traitement du gaz justes et raisonnables:

a) le coût d'origine comptabilisé, tel qu'il a été déclaré par la requérante;

b) les observations verbales faites au gestionnaire avant le 6 juin 1994 à l'égard de la demande de la requérante sont essentiellement les mêmes que les observations écrites annexées à la lettre du 19 avril 1995 envoyée à l'Administration de la tribu Stoney, cette lettre et son annexe étant jointes à mon affidavit sous la cote "9";

c) la pratique de la profession comptable de comptabiliser les CII selon la méthode de la réduction du coût, qui précise les rabais à inclure en vue de déterminer les coûts;

d) la requérante cherche à faire supporter par les premières nations un coût qui lui a déjà été remboursé dans le cadre de la Loi de l'impôt sur le revenu;

e) l'obligation de PGIC, en tant que fiduciaire, de protéger l'intérêt des Premières Nations.

L'avocat de la requérante n'a pas soulevé d'objection au sujet du premier élément. Il a exprimé des doutes concernant la portée et la pertinence du second élément et, sur ce point, je suis d'accord avec sa position. Au cours du contre-interrogatoire de l'auteur de l'affidavit produit par l'intimé, il lui a fait admettre que la pratique de la "profession comptable" visée au troisième point était la position exposée dans le Manuel de l'ICCA , lequel vise à donner des conseils en vue de l'établissement d'états financiers dans le cadre de la publication de l'information financière, un but qui est sans rapport avec la détermination de la DPAG. Pour cette raison, l'avocat a plaidé que le gestionnaire a commis une erreur en tenant compte d'une considération non pertinente. En outre, l'avocat a fait valoir que la norme sur laquelle le gestionnaire s'est fondé n'est entrée en vigueur qu'en 1985, alors qu'il avait prétendu l'appliquer rétroactivement jusqu'en 1982.

L'avocat a encore plaidé que le gestionnaire a passé sous silence une considération pertinente, à savoir la pratique suivie dans l'industrie, tel qu'il appert d'une lettre de l'Association pétrolière du Canada, adressée au directeur exécutif de PGIC et datée du 28 mai 19908. Cette lettre dit notamment:

[traduction] Nous sommes conscients que l'intention de PGIC est conforme à la déclaration de l'ICCA de 1985 qui demande de réduire le coût de l'immobilisation du montant des crédits d'impôt à l'investissement et nous reconnaissons le Manuel de l'ICCA comme l'autorité en matière d'établissement d'états financiers. Par contre, s'il s'agit des normes communément acceptées dans l'industrie du pétrole et du gaz pour la comptabilisation des produits et des charges, ce sont les normes publiées par la Petroleum Accountants Society of Canada (PASC) qui sont généralement acceptées et suivies. Un bulletin de la PASC, qui confirme la pratique de l'industrie en ce qui concerne la comptabilisation des stimulants et des crédits en vue du calcul de l'intérêt dans le profit net, est pertinent par rapport à cette situation. Il excluait expressément les divers stimulants et crédits du calcul, à moins de dispositions le prévoyant spécifiquement.

L'avocat de la requérante a relevé le fait que l'auteur de l'affidavit produit par l'intimé a reconnu, en contre-interrogatoire sur son affidavit, qu'il n'avait pas pris en compte personnellement cette observation. Il n'a pas pour autant reconnu qu'elle n'avait pas été prise en compte par d'autres personnes au sein de PGIC.

L'avocat de la requérante a également formulé des critiques au sujet du quatrième élément, c'est-à-dire la préoccupation que la requérante cherchait à faire supporter aux premières nations un coût pour lequel elle avait déjà été remboursée en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. L'avocat a soutenu qu'il s'agissait purement et simplement d'une erreur de droit et que la jurisprudence établit clairement que les crédits d'impôt à l'investissement ne constituent pas un remboursement de frais. À l'appui de cette position, il a invité la Cour à se reporter à R. c. Canadien Pacifique Ltée9.

La dernière considération sur laquelle l'auteur de l'affidavit dit s'être fondé est l'obligation de PGIC, à titre de fiduciaire, de protéger l'intérêt des Premières Nations. L'avocat a soutenu qu'il fallait en inférer que le processus suivi par le gestionnaire et confirmé par le ministre n'était pas un processus mené avec un esprit ouvert, mais plutôt un processus donnant lieu à une crainte raisonnable de partialité.

POSITION DE L'INTIMÉ

L'avocat de l'intimé, en plus de plaider la tardiveté de la demande du fait que la décision du gestionnaire était exprimée dans sa lettre du 6 juin 1994, plutôt que dans celle du 14 décembre 1995, a soutenu que le ministre n'a pas commis d'erreur donnant ouverture au contrôle judiciaire en concluant que la décision du gestionnaire qui fait l'objet des débats était "justifiée". Il a souligné le vaste pouvoir discrétionnaire conféré au gestionnaire par le paragraphe 2(4) de l'annexe I du Règlement. Il a fait valoir que le gestionnaire n'a pas commis d'erreur de droit dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, qu'il n'a pas non plus omis de prendre en compte des considérations pertinentes ni pris en compte des considérations non pertinentes. Selon lui, il n'y a aucune raison justifiant de conclure à une crainte raisonnable de partialité de la part du ministre ou du gestionnaire du fait qu'ils avaient conscience, ou qu'ils tenaient compte, de l'obligation fiduciaire du ministre à l'égard de la bande Stoney. En outre, il a soutenu que le ministre n'a pas manqué à l'équité en ne donnant pas à la requérante l'occasion de répliquer aux observations que lui avait présentées PGIC, bien qu'il ait été saisi d'une demande en ce sens. Enfin, il a plaidé qu'était dépourvue de tout fondement l'allégation que le ministre avait refusé d'exercer sa compétence du fait qu'il s'était contenté de faire sienne la décision du gestionnaire.

ANALYSE

Je juge sans fondement la position de l'intimé que la demande de contrôle judiciaire était tardive et que, en l'absence d'autorisation d'un dépôt tardif, et aucune autorisation de cette nature n'a été demandée ou accordée, elle devrait être rejetée pour ce seul motif. Je vois dans la lettre du gestionnaire datée du 6 juin 1994 l'expression d'une position préliminaire en vue d'une amorce de dialogue entre la requérante et PGIC. De fait, un tel dialogue s'est ensuivi. C'est seulement dans la lettre du 14 décembre 1995 que le gestionnaire a pris une position finale sur la déduction des CII dans le calcul de la DPAG. Comme nous l'avons déjà vu, il a écrit:

[traduction] Les crédits d'impôt à l'investissement sont retranchés de la valeur comptable du capital. [Je souligne.]

Cette phrase constituait l'essence de la décision portée en appel auprès du ministre. Il n'est pas possible de dire que la décision exprimée dans cette phrase avait été prise auparavant. Donc, je conclus que l'appel au ministre a été interjeté dans le délai prévu au paragraphe 57(1) du Règlement de 1995 sur le pétrole et le gaz des terres indiennes10.

Il n'a pas été contesté que le Règlement confère au gestionnaire un vaste pourvoir discrétionnaire en vue de déterminer la DPAG. Ceci étant posé, les avocats des deux parties invoquent le passage suivant de l'ouvrage Principles of Administrative Law11 pour établir le principe que ce pouvoir discrétionnaire n'était pas illimité:

[traduction] Il ne peut toutefois y avoir de pouvoir discrétionnaire illimité. Les tribunaux ont constamment affirmé leur droit de contrôler l'exercice qu'un délégué fait de son pouvoir discrétionnaire pour une grande quantité d'abus. On peut énumérer au moins cinq catégories générales d'abus, qu'on peut décrire comme suit. Dans la première catégorie, on trouve les cas dans lesquels un délégué exerce son pouvoir discrétionnaire dans une intention illégitime, c'est-à-dire dans un but non autorisé, de mauvaise foi ou en tenant compte de considérations non pertinentes. La deuxième catégorie comprend les situations dans lesquelles le délégué se fonde sur des éléments insuffisants, notamment lorsqu'il ne dispose d'aucun élément de preuve ou qu'il ne tient pas compte d'éléments pertinents. Troisièmement, les tribunaux jugent parfois qu'il y a eu abus de pouvoir discrétionnaire lorsque le résultat est inéquitable, notamment lorsque des mesures déraisonnables, discriminatoires ou rétroactives ont été prises. Quatrièmement, il y a abus de pouvoir lorsque le délégué commet une erreur de droit dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Finalement, commet un abus de pouvoir le délégué qui refuse d'exercer son pouvoir discrétionnaire en adoptant une politique qui entrave sa capacité d'examiner des cas individuels avec un esprit ouvert.

Malgré l'argumentation habile de l'avocat, je juge que rien ne permet de conclure que le gestionnaire ou le ministre a commis un abus de pouvoir discrétionnaire tombant dans la première catégorie d'abus décrite par Jones et de Villars. Je ne vois aucune raison non plus de conclure que le gestionnaire ou le ministre ont agi dans un but non autorisé ou de mauvaise foi. En outre, je ne suis pas du tout convaincu que la prise en compte par le gestionnaire de l'obligation de PGIC, à titre de fiduciaire, de protéger l'intérêt de la bande Stoney constituait une considération non pertinente. J'ai présent à l'esprit le passage suivant [au paragraphe 34] de Pétrolière Impériale Ressources Ltée c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien)12:

Toutefois, l'obligation fiduciaire ne peut justifier la modification du sens d'un texte législatif relativement clair, particulièrement quand une telle modification introduirait un élément d'incertitude dans les ententes commerciales mettant en cause les Indiens ou les terres indiennes. À cet égard, je pense que l'observation du juge La Forest dans Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 S.C.R. 85, page 147, s'applique en l'espèce:

Je ne pense pas me tromper en affirmant que les gens d'affaires accordent beaucoup d'importance à l'élément de certitude dans leurs opérations commerciales et que, par conséquent, ce qui les inciterait le plus à faire affaires avec les Indiens serait de savoir que les affaires peuvent se dérouler avec eux de la même façon qu'avec toute autre personne. Toutes considérations spéciales, protections ou exemptions extraordinaires que les Indiens apportent avec eux sur le marché suscitent des complications et sembleraient à coup sûr éloigner des partenaires commerciaux éventuels.

Si l'obligation fiduciaire de PGIC était le seul motif pouvant "justifier la modification [par le gestionnaire] du sens d'un texte législatif relativement clair", je conclurais que la décision du gestionnaire qui sous-tend la décision du ministre soumise au contrôle judiciaire, et donc la décision du ministre lui-même, est à tout le moins suspecte. Mais ce n'est pas le cas ici. L'obligation fiduciaire de PGIC n'a été que l'une des considérations prises en compte. Je conclus que c'était là une considération appropriée. Les obligations de PGIC, du gestionnaire et du ministre à l'égard des Premières Nations dans des circonstances comme celles de la présente espèce sont des obligations qu'il ne faut jamais perdre de vue. Cela étant posé, c'est une suite naturelle de cette obligation qu'elle doit être présente à l'esprit pour déterminer quels frais de traitement sont justes et raisonnables. Je dois supposer que la requérante, une grande société possédant une vaste expérience et un personnel compétent, avait conscience des incidences des baux en cause, conclus avec un bailleur tenu d'une obligation fiduciaire.

Le deuxième type d'abus de pouvoir discrétionnaire décrit par Jones et de Villars correspond à des circonstances où le décideur, en l'occurrence le ministre, que je juge aussi investi d'un vaste pouvoir discrétionnaire dans l'exercice de sa fonction, [traduction] "se fonde sur des éléments insuffisants, notamment lorsqu'il ne dispose d'aucun élément de preuve ou qu'il ne tient pas compte d'éléments pertinents".

Dans Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)13, le juge Strayer, J.C.A. a écrit:

En outre, lorsque la Cour est saisie du dossier qui, selon une preuve non contestée, a été soumis au décideur et que rien ne permet de conclure le contraire, celle-ci doit présumer que le décideur a agi de bonne foi en tenant compte de ce dossier.

Étant donné ce principe, je ne suis pas du tout disposé à conclure, comme m'y invite l'avocat de la requérante, que le ministre n'a fait qu'approuver sans examen la décision du gestionnaire. Le ministre était saisi de la décision du gestionnaire, des observations de la requérante à l'égard de cette décision et de la réponse de PGIC aux observations de la requérante, laquelle comprenait l'avis donné à PGIC par un grand cabinet d'expert-comptables, avis déjà mentionné plus haut. Je suppose que le ministre a tenu compte de toutes ces pièces.

Il est une chose par contre dont le ministre n'était pas saisi, à savoir la réplique de la requérante aux observations présentées par PGIC. La requérante avait expressément demandé d'avoir l'occasion de répliquer. Les pièces déposées par PGIC comprenaient l'avis professionnel auquel la requérante, à l'époque, n'avait pas eu accès et n'avait donc pu répondre dans ses observations déposées auprès du ministre. Je conclus que la réponse de la requérante aux observations de PGIC dont était saisi le ministre constituait une "considération pertinente" et que le fait pour le ministre, dans les circonstances de l'affaire, de ne pas avoir donné à la requérante l'occasion de lui présenter cet élément pertinent constitue une erreur donnant ouverture au contrôle judiciaire, que l'on décrive cette erreur comme le fait d'agir sans tenir compte d'éléments pertinents ou comme un déni d'équité à l'égard de la requérante.

Par les faits, la présente affaire se distingue de l'affaire Sovereign Life Insurance Co. c. Canada (Ministre des Finances)14, où j'ai conclu que le fait pour le ministre des Finances de ne pas fournir à la Sovereign Life Insurance Company l'occasion de répondre à certains éléments qu'il a pris en compte dans sa décision ne donnait pas ouverture au contrôle judiciaire parce que l'élément en question était sans grande importance. En l'espèce, à tout le moins, l'avis professionnel donné à PGIC par un grand cabinet d'experts-comptables et soumis au ministre par PGIC à l'appui de ses observations était non seulement pertinent, mais important.

Je conclus que le ministre a commis une autre erreur donnant ouverture au contrôle judiciaire en approuvant la décision du gestionnaire de modifier, de manière rétroactive, les frais de traitement jugés par celui-ci "justes et raisonnables". Selon le paragraphe 2(4) de l'annexe I du Règlement, le pouvoir du gestionnaire de fixer, de temps à autre, les frais de traitement qu'il juge justes et raisonnables pour déterminer la DPAG ne peut, à première vue, opérer de façon rétroactive. Le pouvoir réglementaire prévu dans la Loi qui autorise le Règlement conférant ce pouvoir au gestionnaire n'autorise pas, à première vue, les règlements rétroactifs, et encore moins des décisions rétroactives prises en vertu du règlement. Dans Martindale, Ernest Smith v. The Queen15 , le président de la Cour de l'Échiquier du Canada a écrit:

[traduction] On peut donc à bon droit poser comme principe fondamental que le gouverneur en conseil n'a pas le pouvoir de prendre un décret ayant une portée rétroactive à moins que la Loi du Parlement en vertu de laquelle est pris ce décret n'autorise, soit expressément, soit implicitement, la prise d'un tel décret.

A fortiori, si le gouverneur en conseil n'a pas le pouvoir de prendre un décret ou un règlement ayant un effet rétroactif et que la loi habilitante ne prévoit pas, expressément ou implicitement, la prise d'un tel décret ou règlement, le décret ou le règlement pris en vertu du pouvoir réglementaire ne peut s'interpréter comme conférant à un délégataire, tel le gestionnaire, le pouvoir de faire des modifications rétroactives.

Dans Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national16, le juge Dickson, plus tard juge en chef, définit implicitement la rétroactivité:

. . . [une loi ou une décision qui] cherche . . . à s'immiscer dans le passé et . . . prétend . . . signifier qu'à une date antérieure, il faille considérer que le droit ou les droits des parties étaient ce qu'ils n'étaient pas alors. 

La décision du gestionnaire en l'espèce était manifestement rétroactive. Le juge Dickson concluait:

Selon la règle générale, les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétroactive à moins que le texte de la Loi ne le décrète expressément ou n'exige implicitement une telle interprétation.

Encore une fois, a fortiori, un règlement qui confère à un délégataire le pouvoir, comme en l'espèce, de décider de temps à autre quels frais de traitement sont "justes et raisonnables" ne doit pas s'interpréter comme autorisant des décisions rétroactives en l'absence de termes exprès ou d'une formulation qui exige implicitement une telle interprétation. En outre, lorsque le texte législatif définissant le pouvoir réglementaire qui habilite le délégataire ne prévoit pas expressément l'établissement de règles rétroactives, le règlement qui prétendrait donner ce pouvoir au délégataire serait ultra vires .

Pour ces motifs, je conclus que, sur ce point également, le ministre a commis un erreur donnant ouverture au contrôle judiciaire en approuvant la décision du gestionnaire.

Le quatrième type d'abus du pouvoir discrétionnaire décrit par Jones et de Villars consiste en l'erreur de droit que commet un délégataire dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Il ne fait aucun doute, vu les faits de la présente espèce, que si le gestionnaire a commis une erreur de droit en exerçant son pouvoir discrétionnaire de redéfinir la DPAG, l'exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire de juger la décision du gestionnaire "justifiée" serait à son tour vicié. Malgré l'argumentation habile de l'avocat de la requérante, je conclus que le gestionnaire n'a pas commis d'erreur de droit. La jurisprudence qu'il a citée concernant la définition des "frais" n'est pas applicable. En effet, le gestionnaire a décidé que les frais de traitement ne comprennent pas les CII ou, en d'autres termes, que les CII réduisent les frais de traitement. Je conclus que le gestionnaire pouvait raisonnablement adopter cette interprétation, compte tenu de l'ampleur de son pouvoir discrétionnaire. De surcroît, cette interprétation n'impliquait pas une définition des "frais" incompatible avec la jurisprudence. Somme toute, à cet égard, je conclus que le ministre n'a pas commis d'erreur donnant ouverture au contrôle judiciaire lorsqu'il a jugé que la décision du gestionnaire était "justifiée".

Enfin, je ne puis souscrire à la conclusion que le gestionnaire et, de ce fait, le ministre, a abusé de son pouvoir discrétionnaire en adoptant une politique qui aurait entravé sa capacité d'examiner l'affaire avec un esprit ouvert. Je réitère les observations formulées auparavant sur le fait que le gestionnaire a pris en considération les obligations de PGIC, à titre de fiduciaire, de protéger les intérêts de la bande Stoney. En outre, la preuve présentée ne me permet aucunement de déduire, du fait que le cabinet d'experts-comptables qui a donné un avis à PGIC travaillait également pour le compte de la bande Stoney à peu près à la même époque, qu'on pouvait concevoir une crainte raisonnable de partialité chez le gestionnaire ou, même, chez le cabinet d'experts-comptables, de nature à justifier la conclusion que le gestionnaire n'a pas traité cette affaire avec un esprit ouvert. Par extension, je ne suis pas non plus en mesure de conclure que le ministre pourrait avoir entravé sa capacité d'examiner l'affaire avec un esprit ouvert. En définitive, sur ce point également, aucune réparation n'est justifiée.

CONCLUSION

Sur le fondement de cette analyse, je conclus que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie, que la décision du ministre portant que la décision du gestionnaire datée du 18 décembre 1996 était "justifiée" devrait être annulée et que l'affaire devrait être renvoyée à l'intimé pour réexamen et décision compatible avec les présents motifs. L'ordonnance sera prononcée en ce sens.

DÉPENS

L'avis de requête introductif d'instance ne comportait pas de demande de dépens et ne faisait mention d'aucune "raison spéciale" qui justifierait la Cour d'exercer le pouvoir discrétionnaire prévu à la Règle 1618 des Règles de la Cour fédérale17 . Par contre, dans le mémoire déposé pour la requérante, les dépens étaient demandés. Lors de l'audience, aucune "raison spéciale" justifiant une ordonnance sur les dépens n'a été présentée. Il n'y aura pas d'ordonnance sur les dépens.

1 S.C. 1974-75-76, ch. 15, art. 4.

2 L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch.1.

3 DORS/94-753. L'art. 57 est ainsi conçu:

57. (1) Quiconque n'est pas satisfait d'une décision ou d'un ordre du directeur exécutif [le gestionnaire] ou de toute mesure prise ou omise par lui selon le présent règlement, peut, dans les 60 jours suivant la décision, l'ordre ou la mesure ou, dans le cas d'une omission, dans les 60 jours suivant le jour où l'omission a été ou aurait dû être découverte, demander par écrit au ministre de réviser la décision, l'ordre, la mesure ou l'omission en cause.

(2) Le ministre doit réviser la demande visée au paragraphe (1) et aviser le demandeur par écrit de sa décision finale.

Il n'a pas été contesté que les dispositions procédurales applicables sont celles qui étaient en vigueur au moment où l'appel au ministre a été interjeté. Il s'agit de l'art. 57 du Règlement de 1995 sur le pétrole et le gaz des terres indiennes. Les dispositions de fond applicables sont celles qui étaient en vigueur au cours de la période pertinente pour laquelle le ministre exige que les redevances soient calculées de nouveau, c.-à-d. le Règlement sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, C.R.C., ch. 963 ann. I, modifié par DORS/81-340, art. 10, 11. Cette façon d'appliquer les modifications législatives est autorisée par les art. 43 et 44 de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21.

4 C.R.C., ch. 963.

5 Il n'est pas tout à fait clair, d'après le dossier, s'il s'agit des années 1982 à 1989, ou d'un nombre moindre d'années.

6 Dossier de la demande, onglet 2 B.

7 Transcription, à la p. 4.

8 Dossier supplémentaire de la demande, onglet 2.

9 [1978] 2 C.F. 439 (C.A.).

10 Supra, note 3.

11 Jones et de Villars, Principles of Administrative Law, 2é éd. (Toronto: Carswell, 1994), à la p. 146.

12 [1997] A.C.F. no 1767 (1re inst.) (QL) . Les motifs ont été publiés après l'audience sur la présente affaire. Les motifs ont été portés à l'attention des avocats, qui ont été invités à présenter des observations par écrit. Ils se sont prévalus de cette invitation.

13 [1997] 2 C.F. 646 (C.A.), à la p. 664 . Cette affaire n'a pas été citée pendant les débats, mais elle a été mentionnée. Les avocats ont été invités à présenter des observations écrites et se sont prévalus de l'invitation.

14 [1998] 1 C.F. 299 (1re inst.). Les motifs ont été portés à l'attention des avocats, qui ont été invités à présenter des observations écrites. Ils se sont prévalus de l'invitation.

15 [1956-60] R.C.É. 153, à la p. 164.

16 [1977] 1 R.C.S. 271, à la p. 279 (affaire non citée dans les débats).

17 C.R.C., ch. 663, Règle 1618 (édictée par DORS/92-43, art. 19).

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