Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[1994] 2 .C.F. 475

T-1942-92

Pineview Poultry Products Ltd., Gary Villetard exploitant une entreprise sous le nom de Villetard’s Eggs, Villetard’s Eggs, 355210 Alberta Ltd., Frank Richardson, Gary Villetard et Pat Martel (demandeurs)

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada et l’Office canadien de commercialisation des œufs (défendeurs)

et

Ministre de la Justice, gouvernement des Territoires du Nord-Ouest (intervenant)

Répertorié : Pineview Poultry Products Ltd. c. Canada (1re inst.)

Section de première instance, juge MacKay— Vancouver, 8 juin 1993; Ottawa, 27 janvier 1994.

Agriculture — Demande de radiation de la déclaration modifiée à deux reprises alléguant que le plan de commercialisation législatif qui empêche les producteurs d’œufs des T. N. -O. d’obtenir des contingents (1) ne s’applique pas aux demandeurs; (2) est contraire à l’art. 121 de la Loi constitutionnelle de 1867; (3) est contraire aux art. 6, 7, 15 de la Charte — La demande est accueillie en partie, quant à la prétention selon laquelle la législation ne s’applique pas aux demandeurs, et quant à la contestation fondée sur l’art. 7 de la Charte, puisqu’il est clair et manifeste qu’elles n’ont aucune chance de succès — Les sociétés demanderesses n’ont pas qualité pour contester la Charte.

Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs — Les demandeurs sont incapables d’obtenir des contingents du fédéral pour commercialiser des œufs produits dans les T. N.-O. dans toute province en raison du plan de commercialisation adopté en vertu d’une loi — Il est allégué que les frontières entre les T. N.-O. et les provinces constituent des obstacles à la commercialisation interprovinciale des œufs en violation de l’art. 121 de la Loi constitutionnelle de 1867 — L’art. 121 garantit la libre circulation des biens entre les provinces — Le juge en chef Laskin a dit que le plan de commercialisation n’était pas en droit et en fait relié à l’existence de frontières provinciales dans le Renvoi relativement à la Loi sur l’organisation du marché des produits agricoles, S.R.C. 1970, ch. A-7 et autres, [1978] 2 R.C.S. 1198 — L’arrêt dans le renvoi est convaincant, mais n’a pas force de chose jugée à l’égard d’une affaire subséquente — Les observations faites sans tenir compte des circonstances de l’espèce ne répondent pas complètement à la prétention des demandeurs — Il n’est pas clair et manifeste que la prétention sera rejetée après la présentation d’une preuve complète.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et sécurité — Allégation selon laquelle le plan de commercialisation des œufs, qui empêche la répartition de contingents aux producteurs des T. N.-O., est contraire à l’art. 7 de la Charte — Prétention radiée car il est clair et manifeste qu’elle n’a aucune chance de succès — Les intérêts purement économiques ne sont pas protégés par l’art. 7 de la Charte.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Liberté de circulation et d’établissement — Allégation selon laquelle les producteurs d’œufs dans les T. N.-O. ne sont pas en mesure de participer dans le commerce interprovincial parce que le plan législatif empêche l’attribution de contingents aux producteurs des T. N.-O. et en raison de l’exclusion relative aux frontières de la province de résidence — Les provinces ne peuvent réglementer la manière pour les citoyens de gagner leur vie en termes de frontières provinciales — Le Parlement ne peut non plus le faire — L’allégation n’est pas radiée car il n’est pas clair et manifeste que les ententes de commercialisation ne portent pas atteinte à l’art. 6(2)b) de la Charte.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à l’égalité — Les demandeurs sont incapables d’obtenir des contingents fédéraux pour commercialiser des œufs parce qu’il n’y a pas eu de production d’œufs dans les T. N.-O. dans les 5 ans qui ont précédé la création du plan de commercialisation — On peut prétendre que (1) les producteurs dans les T. N.-O. n’ont pas obtenu l’égalité devant la loi parce qu’il n’ont pas eu la possibilité de demander ou d’obtenir un contingent fédéral; (2) la province de résidence constitue une caractéristique personnelle qui entraînerait la conclusion que la loi est discriminatoire.

Pratique — Parties — Qualité pour agir — Allégation selon laquelle le plan de commercialisation des œufs porte atteinte à l’art. 121 de la Loi constitutionnelle de 1867 et aux art. 6, 7, 15 de la Charte — La qualité pour contester la Charte n’est pas refusée aux demandeurs à titre individuel parce qu’ils sont actionnaires ou administrateurs de la société — Les sociétés n’ont pas qualité pour contester la loi en invoquant avec les art. 6, 7, 15(1) — Il n’est pas nécessaire de conférer aux sociétés en l’espèce la qualité pour agir fondée sur l’intérêt public car l’intérêt que peuvent invoquer les demandeurs à titre individuel leur confère la qualité pour agir.

Il s’agit d’une demande de radiation de la déclaration modifiée à deux reprises parce qu’elle ne révèle aucune cause raisonnable d’action. Les demandeurs cherchaient à obtenir un redressement dont une injonction interlocutoire pour empêcher l’intervention dans le commerce interprovincial des œufs par les demandeurs. L’article 23 de la Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme prévoit que les quotas fixés par un plan de commercialisation doivent correspondre à la proportion que représente la production de cette région dans la production canadienne totale des cinq années précédant la mise en application du plan. Un plan de commercialisation administré par l’Office canadien de commercialisation des œufs (OCCO) a été établi en 1972. Le Règlement de 1987 sur l’octroi de permis visant les œufs du Canada et le Règlement de l’Office canadien de commercialisation des œufs sur le contingentement font partie de ce plan. Le Règlement sur l’octroi de permis s’applique aux personnes qui, dans une province y compris les Territoires du Nord-Ouest (T. N.-O.) et le Yukon, commercialisent des œufs dans le commerce interprovincial ou d’exportation. Il interdit de commercialiser des œufs dans le commerce interprovincial ou d’exportation sans permis, et impose la condition que le titulaire ne doit pas sciemment commercialiser des œufs dans le commerce interprovincial ou d’exportation sauf avec une personne qui détient un permis, et uniquement des œufs produits par un producteur à qui un contingent fédéral a été attribué conformément au règlement sur les contingents. L’OCCO peut refuser de délivrer ou de renouveler un permis, le suspendre ou l’annuler lorsque le demandeur ou le titulaire du permis n’a pas respecté les conditions de celui-ci. Le Règlement sur les contingents interdit à tout producteur de commercialiser des œufs dans le commerce interprovincial ou d’exportation à moins qu’un contingent fédéral ne lui ait été attribué, au nom de l’OCCO par l’office de commercialisation de la province. La demanderesse Pineview Poultry Products Ltd. est une société qui exploite une entreprise dans les T. N.-O. à titre de producteur et de commerçant d’œufs de poulets et détient un permis de vendeur délivré par l’OCCO; Gary Villetard et Pat Martel (Villetard/Martel) sont les propriétaires des installations de production d’œufs de Pineview par lesquelles ils produisent et commercialisent des œufs; Gary Villetard, exploitant une entreprise sous le nom de Villetard’s Eggs produit et commercialise des œufs en Alberta, et Villetard détient un permis d’acheteur et un permis de vendeur, délivrés par l’OCCO; Frank Richardson est l’âme dirigeante et un actionnaire de 355210 Alberta Ltd. qui exploite une entreprise dans les T. N.-O. L’OCCO a donné un avis de son intention d’annuler ou de suspendre les permis sur le fondement que Pineview et Villetard avaient enfreint les conditions de ces permis par la commercialisation d’œufs sur le marché interprovincial sans que Pineview ne détienne un contingent fédéral comme l’exige le Règlement sur les contingents. Les demandeurs ont allégué que Pineview, Villetard/Martel et 355210 n’étaient pas en mesure d’obtenir des contingents du fédéral pour commercialiser des œufs produits dans les T. N.-O. dans l’une des provinces du Canada parce qu’il n’y a pas eu de production d’œufs des T. N.-O. au cours des cinq années qui ont précédé la création du plan de commercialisation comme l’exige l’article 23 de la Loi; le Règlement sur les contingents ne prévoit pas l’attribution d’un contingent à un producteur des T. N.-O.; il n’existe aucun office de commercialisation dans les T. N.-O.

L’arrêt Renvoi relativement à la Loi sur l’organisation du marché des produits agricoles, S.R.C. ch. A-7 et autres, [1978] 2 R.C.S. 1198 a maintenu la validité aux termes de la Loi constitutionnelle de 1867 des éléments fondamentaux du système national de gestion de la production des œufs. L’article 121 de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit que tous articles du crû, de la provenance ou manufacture d’aucune des provinces seront, à dater de l’union, admis en franchise dans chacune des autres provinces. Les questions soulevées en l’espèce sont de savoir si (1) certaines dispositions du régime législatif s’appliquent à la production commerciale d’œufs dans les T. N.-O. et à la commercialisation dans les provinces du Canada d’œufs produits dans les T. N.-O.; (2) ces dispositions sont incompatibles avec l’article 121 de la Loi constitutionnelle de 1867; (3) ces dispositions sont incompatibles avec les articles 6 (droit de gagner sa vie dans toute province), 7 et 15 (droit à l’égalité) de la Charte.

Jugement : la demande est accueillie en partie. La prétention selon laquelle le plan législatif ne s’applique pas aux demandeurs et la contestation fondée sur l’article 7 de la Charte n’ont aucune chance de succès et devraient être radiées. La société demanderesse n’avait pas qualité pour contester les dispositions visées sur le fondement de la Charte.

Le Renvoi sur les œufs est un renvoi et à ce titre est seulement rendu à titre consultatif. Il n’avait pas force de chose jugée relativement à une affaire subséquente dont les faits ont été déterminés à l’instance, bien qu’il établissait clairement que le système de contingents établi est, par déduction, valide dans le cadre de la répartition des pouvoirs aux termes de la Loi constitutionnelle de 1867. Toutefois, l’arrêt précédait l’entrée en vigueur de la Charte et il n’a pas porté sur les questions relatives à la présumée incompatibilité de certaines dispositions du régime législatif prévoyant la commercialisation des œufs avec les droits garantis par la Charte. Bien que le Renvoi sur les œufs ait traité de la question de la compatibilité du régime législatif avec l’article 121 de la Loi constitutionnelle de 1867, il l’a fait dans le contexte d’un argument concernant le régime créé par une loi fédérale et celui de l’Ontario, une province participante et coopérante engagée dans des accords destinés à coordonner la commercialisation dans le commerce interprovincial ou d’exportation et dans le commerce intraprovincial. L’arrêt n’a nullement tenu compte, en examinant le régime permettant de coordonner le commerce en fonction de l’article 121, du point de vue des T. N.-O., qui à l’origine n’ont pas pris part à l’accord canadien sur la commercialisation des œufs et n’y participent toujours pas.

(1) La Loi (article 23) et le Règlement sur l’octroi de permis (articles 3, 4(1), 7(1)d) et 7(1)e)) et le Règlement sur le contingentement (articles 4(1)a), 5(2), 6 et 7(1)) s’appliquaient à la production commerciale d’œufs dans les T. N.-O. et à la commercialisation d’œufs qui y sont produits dans les provinces. La Loi, par ses termes, s’applique clairement à l’ensemble du Canada, y compris aux T. N.-O. Il ressort clairement du préambule de la proclamation qui a créé l’OCCO qu’elle est destinée à s’appliquer partout au Canada relativement à ce commerce et c’est le cas relativement à la commercialisation des œufs dans le commerce interprovincial et d’exportation. Même si on devait en déduire qu’elle ne s’applique qu’à une région du Canada à cause de l’attribution de contingents aux dix provinces qui sont précisément désignées ce qui par conséquent exclut les T. N.-O., la réglementation du commerce entre les dix provinces et les Territoires du Nord-Ouest relève entièrement de la compétence du Parlement et pourrait être prévue expressément par la proclamation aux termes de la Loi comme elle a été formulée.

La définition de « province » dans la Loi d’interprétation comprend le « Yukon et les Territoires du Nord-Ouest ». Cette définition s’applique lorsque le terme « province » est utilisé dans la Loi, dans la Proclamation et dans les règlements. Poursuivant sur le plan de l’interprétation, étant donné que le paragraphe 23(1) de la Loi et la Proclamation s’appliquent au commerce des œufs entre les Territoires et d’autres provinces du Canada, les dispositions contestées du Règlement sur l’octroi de permis et du Règlement sur le contingentement s’appliquent également aux producteurs d’œufs dans les T. N.-O. dans la mesure où ils désirent commercialiser leurs œufs dans le commerce interprovincial. Il est clair et manifeste que l’interprétation législative veut que, la Loi, la Proclamation et les règlements, notamment les dispositions particulières visées par les demandeurs, étaient destinés à s’appliquer à l’ensemble du Canada, y compris aux T. N.-O. et c’est le cas. Qui plus est, il est clair que par suite d’une instance, cette Cour ne rendrait pas un jugement déclaratoire portant qu’ils ne s’appliquent pas. Par conséquent, il convient maintenant, à bon droit, de radier de la déclaration modifiée à deux reprises la demande des demandeurs visant à obtenir un jugement déclaratoire de cette nature.

(2) Les demandeurs soutiennent que, en vertu du plan de commercialisation, les frontières entre les T. N.-O. et les provinces constituent un obstacle réel à la commercialisation interprovinciale des œufs produits dans les T. N.-O. contrairement à l’article 121 de la Loi constitutionnelle de 1867. Le juge en chef Laskin a dit dans le Renvoi sur les œufs que le plan de commercialisation n’était pas « relié en droit et en fait à l’existence de frontières provinciales ». Ces observations faites sans tenir compte des circonstances soulevées par l’espèce, ne devraient pas être adoptées comme une réponse complète à la prétention des demandeurs que les dispositions contestées portent atteinte à l’article 121. Cette question peut seulement être tranchée après avoir entendu toute l’argumentation des parties. Il n’était pas clair et manifeste que leur prétention à cet égard sera rejetée peu importe les éléments de preuve et les arguments qui pourraient être présentés.

(3) L’OCCO a contesté la qualité des sociétés demanderesses de soulever des contestations fondées sur la Charte et a allégué que les demandeurs cherchent à contourner les règles établies en matière de qualité pour agir par la présentation des demandes par des particuliers à titre d’actionnaires cherchant à présenter des arguments indirectement que des personnes morales demanderesses ne peuvent faire directement. Si le droit qui aurait été violé est protégé aux termes de la Charte, il ne convient pas de refuser la qualité d’agir au particulier qui fait valoir ce droit simplement parce qu’il est un actionnaire ou un administrateur d’une société qui ne pouvait pas invoquer le droit. Il est bien établi que les sociétés n’ont aucun intérêt garanti par l’alinéa 6(2)b) et l’article 7 de la Charte et la Cour d’appel fédérale a refusé la qualité d’agir à une société relativement à la contestation d’une loi qui aurait porté atteinte au paragraphe 15(1). À l’égard des trois exigences qui ont été énoncées dans l’arrêt Ministre de la Justice du Canada et autre c. Borowski pour accorder cette qualité dans l’intérêt public, une question importante a été soulevée relativement à l’article 15 de la Charte et les sociétés demanderesses sont véritablement intéressées par la question de la validité du plan de commercialisation et de sa législation habilitante. Toutefois, étant donné que l’intérêt peut être soulevé par des demandeurs à titre individuel, il n’est pas nécessaire d’accorder aux sociétés une qualité pour agir fondée sur l’intérêt public. Seuls les demandeurs à titre individuel Richardson, Villetard et Martel avaient qualité pour soutenir que le plan de commercialisation n’était pas compatible avec le paragraphe 15(1) de la Charte sur le fondement de leur province de résidence.

(i) Les demandeurs soutenaient qu’ils ne pouvaient commercialiser leurs œufs à l’extérieur des Territoires parce qu’ils ne pouvaient obtenir un contingent fédéral et par conséquent, ils étaient privés du droit que garantit l’alinéa 6(2)b) de gagner leur vie dans toute province. Le plan de commercialisation n’était pas sauvegardé par l’alinéa 6(3)a) parce qu’il établit une discrimination selon la province de résidence. Il a été jugé que les provinces peuvent évidemment réglementer ces droits sous réserve des exceptions contenues à l’article premier et à l’article 6 de la Charte mais pas en fonction des frontières provinciales. Il ressort implicitement du texte de l’exception par rapport aux lois d’application générale dans l’alinéa 6(3)a) que le Parlement ne peut lui non plus le faire. Les producteurs visés dans les T. N.-O. ne pourraient participer au commerce interprovincial parce que le plan empêche qu’on leur attribue un contingent dans les T. N.-O. et son effet, serait une exclusion liée à la résidence dans la province et aux frontières de celle-ci, pas simplement à l’absence d’attribution d’un contingent. Il peut être difficile pour les demandeurs à titre individuel de persuader un juge de première instance que l’accord de commercialisation porte atteinte à l’alinéa 6(2)b) de la Charte, mais à ce stade, il n’était pas clair et manifeste qu’ils n’auraient pas gain de cause s’ils avaient l’occasion de présenter leurs éléments de preuve et leurs arguments de manière complète.

(ii) Il était clair et manifeste que la prétention des demandeurs selon laquelle les dispositions contestées n’étaient pas compatibles avec l’article 7 de la Charte ne pouvait avoir gain de cause. Les intérêts purement économiques ne sont pas protégés par l’article 7.

(iii) Les demandeurs à titre individuel pouvaient faire valoir que, à titre de producteurs d’œufs dans les T. N.-O., ils n’avaient pas obtenu l’égalité devant la loi parce qu’ils n’avaient pas la possibilité de demander ou d’obtenir un contingent fédéral. La question de savoir si ce refus se rapportait à leur province de résidence à titre de producteurs est discutable et la question de savoir si leur province de résidence constituait une caractéristique personnelle qui entraînerait la conclusion que la loi est discriminatoire au sens du paragraphe 15(1) étaient des questions défendables.

Le demandeur Villetard, exploitant une entreprise sous le nom de Villetard’s Eggs, et Villetard’s Eggs ne pouvaient soutenir qu’il y a eu violation des droits que confère l’article 15 parce qu’ils ne pouvaient acheter d’œufs des producteurs des T. N.-O. Villetard est dans la même position que tout autre acheteur d’œufs situé dans une des provinces du Canada et ce groupe ne constitue pas une minorité discrète. La province de résidence ne constitue pas un moyen sur lequel l’incapacité d’acheter de producteurs dans les T. N.-O. est fondée.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 6, 7, 15(1).

Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 121.

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 35(1).

Loi sur la Commission canadienne du blé, L.R.C. (1985), ch. C-24.

Loi sur la Commission canadienne du lait, L.R.C. (1985), ch. C-15.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 50.

Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme, S.C. 1970-71-72, ch. 65, art. 17, 18, 23, 24, 32.

Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme, L.R.C. (1985), ch. F-4, art. 2, 3(3), 16, 17, 22, 23, 31.

Proclamation visant l’Office canadien de commercialisation des œufs, DORS/73-1.

Proclamation visant l’Office canadien de commercialisation des œufs, C.R.C., ch. 646, art. 2(1).

Règlement de 1987 sur l’octroi de permis visant les œufs du Canada, DORS/87-242, art. 3, 4(1), 7(1), 8, 9(1), (2).

Règlement de l’Office canadien de commercialisation des œufs sur le contingentement, DORS/86-8, art. 4(1), 5(2), 6 (mod. par DORS/86-411, art. 3), 7(1) (mod., idem, art. 4).

Règlement sur l’octroi de permis visant les œufs du Canada, DORS/73-286.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 419(1).

Rules of Court, B.C. Reg. 221/90, Règle 19(24)(a).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Ministre de la Justice du Canada et autre c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575; (1981), 130 D.L.R. (3d) 588; [1982] 1 W.W.R. 97; 12 Sask. R. 420; 64 C.C.C. (2d) 97; 24 C.P.C. 62; 24 C.R. (3d) 352; 39 N.R. 331; Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357; (1984), 9 D.L.R. (4th) 161; 11 C.C.C. (3d) 481; 53 N.R. 169; 3 O.A.C. 321; Black c. Law Society of Alberta, [1989] 1 R.C.S. 591; (1989), 96 A.R. 352; 58 D.L.R. (4th) 317; [1989] 4 W.W.R. 1; 66 Alta. L.R. (2d) 97; 38 C.R.R. 193; 98 N.R. 266.

DISTINCTION FAITE AVEC :

Groupe des éleveurs de volailles de l’est de l’Ontario c. Office canadien de commercialisation des poulets, [1985] 1 C.F. 280; (1984), 14 D.L.R. (4th) 151; 20 Admin. L.R. 91 (T.D.); Milk Bd. v. Clearview Dairy Farm Inc., [1987] 4 W.W.R. 279; (1987), 12 B.C.L.R. (2d) 116 (C.A.C.-B.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Renvoi relativement à la Loi sur l’organisation du marché des produits agricoles, S.R.C. 1970, chap. A-7 et autres, [1978] 2 R.C.S. 1198; (1978), 84 D.L.R. (3d) 257; 19 N.R. 361; Procureur général du Manitoba c. Manitoba Egg and Poultry Association et autres, [1971] R.C.S. 689; (1971), 19 D.L.R. (3d) 169; R. v. Quesnel (1985), 53 O.R. (2d) 338; 24 C.C.C. (3d) 78; 12 O.A.C. 165 (C.A.); R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296; (1989), 48 C.C.C. (3d) 8; 69 C.R. (3d) 97; 39 C.R.R. 306; 96 N.R. 115; 34 O.A.C. 115; R. c. S. (S.), [1990] 2 R.C.S. 254; (1990), 57 C.C.C. (3d) 115; 77 C.R. (3d) 273; 49 C.R.R. 79; 110 N.R. 321; 41 O.A.C. 81; Pineview Poultry Products Ltd. c. Canada, T-1942-92, juge Muldoon, jugement en date du 11-9-92, C.F. 1re inst., encore inédit; Pineview Poultry Products Ltd. et autres c. Office canadien de commercialisation des œufs et autre (1993), 151 N.R. 195 (C.A.F.); Canadian Egg Marketing Agency v. Richardson, [1993] 2 W.W.R. 453 (C.S.T.N.-O.); Demaere c. La Reine (Canada), [1983] 2 C.F. 755; (1984), 11 D.L.R. (4th) 193 (C.A.).

DÉCISIONS CITÉES :

Attorney General for Ontario v. Attorney General for Canada, [1912] A.C. 571; (1912), 3 D.L.R. 509 (P.C.); Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autres, [1980] 2 R.C.S. 735; (1980), 115 D.L.R. (3d) 1; 33 N.R. 304; Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; (1985), 18 D.L.R. (4th) 481; 12 Admin. L.R. 16; 13 C.R.R. 287; 59 N.R. 1; Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959; (1990), 74 D.L.R. (4th) 321; Gold Seal Ltd. v. Attorney General of Alberta (1921), 62 R.C.S. 424; 62 D.L.R. 62; [1921] 3 W.W.R. 710; Murphy v. Canadian Pacific Railway Company and The Attorney General of Canada, [1958] R.C.S. 626; (1958), 15 D.L.R. (2d) 145; 77 C.R.T.C. 322; Central Amusement (N.B.) v. Atlantic Lottery Corp. et al. (1991), 115 N.B.R. (2d) 429 (B.R.); Cabre Exploration Ltd. v. Arndt and Alberta (1988), 87 A.R. 149; [1988] 5 W.W.R. 289; 60 Alta. L.R. (2d) 172; 39 L.C.R. 212 (C.A.); Parkdale Hotel Ltd. c. Canada (procureur général), [1986] 2 C.F. 514; (1986), 27 D.L.R. (4th) 19; 1 F.T.R. 190 (1re inst.); Rudolf Wolff & Co. c. Canada, [1990] 1 R.C.S. 695; (1990), 69 D.L.R. (4th) 329; 43 Admin. L.R. 1; 41 C.P.C. (2d) 1; 46 C.R.R. 263; 106 N.R. 1; 39 O.A.C. 1; Organisation nationale anti-pauvreté c. Canada (Procureur général), [1989] 3 C.F. 684; (1989), 60 D.L.R. (4th) 712; 36 Admin. L.R. 197; 26 C.P.R. (3d) 440; 99 N.R. 181 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Central Cartage Co., [1990] 2 C.F. 641; (1990), 71 D.L.R. (4th) 253; 45 Admin. L.R. 1; 109 N.R. 357 (C.A.); Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2 W.W.R. 289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 25 C.C.E.L. 255; 10 C.H.R.R. D/5719; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255; Smith, Kline & French Laboratories Limited c. Procureur général du Canada, [1986] 1 C.F. 274; (1985), 24 D.L.R. (4th) 321; 7 C.P.R. (3d) 145; 19 C.R.R. 233; 12 F.T.R. 81 (1re inst.); conf. par Smith, Kline & French Laboratories Ltd. c. Canada (procureur général), [1987] 2 C.F. 359; (1986), 34 D.L.R. (4th) 584; 11 C.I.P.R. 181; 12 C.P.R. (3d) 385; 27 C.R.R. 286; 78 N.R. 30 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [1987] 1 R.C.S. xiv; Weyer c. Canada (1988), 83 N.R. 272 (C.A.F.); Renvoi relatif à l’art. 193 et à l’al. 195.1(1)(c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123; [1990] 4 W.W.R. 481; (1990), 68 Man. R. (2d) 1; 56 C.C.C. (3d) 65; 77 C.R. (3d) 1; 109 N.R. 81; Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927; (1989), 58 D.L.R. (4th) 577; 25 C.P.R. (3d) 417; 94 N.R. 167.

DEMANDE d’annulation de la déclaration modifiée à deux reprises. Demande accueillie à l’égard des prétentions alléguant l’inapplicabilité aux demandeurs du plan législatif contesté, la violation de l’article 7 de la Charte et à l’égard des contestations fondées sur la Charte par les sociétés demanderesses.

AVOCATS :

R. Graham McLennan pour les demandeurs.

James H. Smellie pour le défendeur, l’Office canadien de commercialisation des œufs.

Kirk N. Lambrecht pour la défenderesse, Sa Majesté la Reine.

Eugene Meehan pour l’intervenant.

PROCUREURS :

McLennan Ross, Edmonton, pour les demandeurs.

Osler, Hoskin & Harcourt, Ottawa, pour le défendeur, l’Office canadien de commercialisation des œufs.

Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse, Sa Majesté la Reine.

Lang Michener, Ottawa, pour l’intervenant.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge MacKay : Il s’agit d’une demande de radiation de la déclaration des demandeurs dans une action engagée contre les défendeurs le 4 août 1992 lorsque la déclaration initiale a été déposée. Cette déclaration a par la suite été remplacée par une déclaration modifiée déposée le 2 septembre 1992 et encore une fois par une modification de la déclaration modifiée envoyée aux défendeurs en septembre 1992, et déposée le 14 décembre 1992. Avant le dépôt du dernier document, le défendeur l’Office canadien de commercialisation des œufs (ci-après appelé l’« OCCO ») a déposé l’avis de requête en radiation le 16 octobre 1992, mais les avocats de toutes les parties ont convenu à l’audition de cette requête, qu’elle devait être traitée comme se rapportant à la modification de la déclaration modifiée. La requête en radiation est, évidemment, fondée sur la Règle 419(1) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663], en particulier les alinéas a), selon lesquels la déclaration des demandeurs ne révèle aucune cause raisonnable d’action et c) qu’elle est futile ou vexatoire.

Au moment de l’audition de la présente demande, aucune défense n’avait été déposée. Certaines parties avaient été ajoutées à titre de demanderesses par la modification à la déclaration modifiée et par l’ordonnance de Madame le juge McGillis rendue le 25 février 1993. Dans une autre ordonnance portant la même date, sur consentement de toutes les parties, le ministre de la Justice des Territoires du Nord-Ouest a été ajouté à titre d’intervenant.

Dans la déclaration initiale, comme dans la modification de la version modifiée, les demandeurs cherchent à obtenir un redressement, dont une injonction interlocutoire, pendant l’instance, pour empêcher l’intervention dans le commerce interprovincial des œufs par les demandeurs et une ordonnance visant la suspension des procédures engagées par l’Office de commercialisation défendeur. Les demandeurs ont demandé, au moyen d’une requête déposée le 5 août 1992, une ordonnance, aux termes de l’article 50 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, et modifications, en vue de suspendre les procédures engagées par le défendeur, l’OCCO, en vue de déterminer si les permis détenus par certains demandeurs devraient être suspendus ou révoqués, tant que l’action intentée par les demandeurs n’aura pas été réglée. Cette demande a été entendue le 7 août 1992, par mon collègue le juge Muldoon [Pineview Poultry Products Ltd. c. Canada, T-1942-92, jugement en date du 11-9-92, encore inédit], qui a refusé d’accorder une ordonnance visant à suspendre les procédures de l’OCCO, mais il a ordonné qu’aucune action ne soit prise en vue de suspendre ou de révoquer les permis de commercialisation des demandeurs tant que l’action n’aura pas été instruite ou tant que la Cour n’aura pas rendu une autre ordonnance. L’OCCO a interjeté appel de cette décision à la Cour d’appel qui, le 3 février 1993 [(1993), 151 N.R. 195], a annulé l’ordonnance et a rejeté la requête des demandeurs en suspension des procédures engagées par l’OCCO[1].

Les parties et leurs intérêts

Les diverses parties en l’espèce, qui sont toutes représentées à l’audition de la requête en annulation de l’OCCO sont les suivantes :

Les demandeurs, intimés dans la requête, sont :

—   Pineview Poultry Products Ltd. (« Pineview »), une société exploitant une entreprise dans la ville de Hay River, dans les Territoires du Nord-Ouest, à titre de producteur et de commerçant d’œufs de poulets. Elle détient le permis de vendeur no 000724, délivré par l’OCCO aux termes du règlement, permis à l’égard duquel l’OCCO a donné avis de son intention de l’annuler ou de le suspendre;

—   Gary Villetard et Pat Martel (ci-après désignés par leurs noms ou collectivement sous le nom de « Villetard/Martel ») sont les propriétaires des installations de production d’œufs de Pineview à Hay River où réside M. Martel et, présumément par l’entremise de Pineview, ils produisent et commercialisent des œufs de poulets;

—   Gary Villetard, exploitant une entreprise sous le nom de Villetard’s Eggs, et Villetard’s Eggs (collectivement désignés sous le nom de « Villetard ») exploitent une entreprise de production et de commercialisation d’œufs de poulets dans la province de l’Alberta, où le demandeur Gary Villetard réside; et Villetard détient le permis d’acheteur n 00061 et le permis de vendeur no 000059, délivrés par l’OCCO, et celui-ci a donné avis de son intention de révoquer ou de suspendre ces permis; et

—   Frank Richardson est l’âme dirigeante et un actionnaire de 355210 Alberta Ltd. qui exploite une entreprise sous le nom de Northern Poultry dans la ville de Hay River où réside M. Richardson.

Les défendeurs sont les suivants :

—   L’Office canadien de commercialisation des œufs , le requérant dans cette requête en annulation de la déclaration des demandeurs. L’OCCO est une société constituée en application de la Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme, L.R.C. (1985), ch. F-4 (la « Loi ») et la Proclamation visant l’Office canadien de commercialisation des œufs, C.R.C., ch. 646 (la « Proclamation »), exerçant les fonctions attribuées par la loi concernant la réglementation de la commercialisation interprovinciale des œufs au Canada notamment l’attribution de contingents aux producteurs et de permis d’acheteurs et de vendeurs pour cette commercialisation; et

—   Sa Majesté la Reine du chef du Canada qui appuie la requête en annulation de l’OCCO;

—   l’intervenant, le ministre de la Justice des Territoires du Nord-Ouest , a été ajouté à titre d’intervenant dans l’action par l’ordonnance du 25 février 1993, avec le consentement des parties, compte tenu de l’intérêt direct et important du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest relativement aux questions constitutionnelles et autres soulevées dans l’action par la déclaration des demandeurs et ses versions modifiées et par la requête en annulation de l’action présentée par l’OCCO.

À l’audition de la requête en annulation, des avocats distincts ont comparu pour chacun des défendeurs, l’OCCO et Sa Majesté la Reine et collectivement pour tous les demandeurs et pour l’intervenant le ministre de la Justice du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. La requête a été présentée en application de la Règle 419(1)a), c’est-à-dire, sur le fondement que la modification de la déclaration modifiée ne révèle aucune cause d’action raisonnable. Le second moyen sur lequel la requête a été fondée, c’est-à-dire que la modification de la déclaration modifiée est futile ou vexatoire aux termes de la Règle 419(1)c), n’a pas été soulevée séparément. Si, comme je le conclus, il ne peut être déterminé que certaines des prétentions du demandeur ne révèlent, à ce stade, aucune cause raisonnable d’action, ces prétentions ne peuvent être qualifiées de futiles ou vexatoires.

L’historique et le régime législatif

Les avocats de toutes les parties ont convenu aux fins de la demande d’annulation, que la Cour, après avoir déterminé que tous les faits plaidés dans la modification de la déclaration modifiée avaient été prouvés, ne devrait radier une prétention que si elle était convaincue qu’il est évident et manifeste, c’est-à-dire hors de tout doute, que les demandeurs n’ont aucune chance d’avoir gain de cause si l’action devait être entendue[2].

Les faits de l’espèce énoncés dans la modification de la déclaration modifiée des demandeurs sont les suivants, à l’exception des descriptions des parties dans cette déclaration.

[traduction] 4. Le défendeur l’Office canadien de commercialisation des œufs (« OCCO ») est une personne morale constituée aux termes de la Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme, L.R.C. (1985), ch. F-4 (la « Loi ») et la Proclamation visant l’Office canadien de commercialisation des œufs, C.R.C., ch. 646 (la « Proclamation ») et exerce des fonctions relatives à la réglementation de la commercialisation interprovinciale des œufs au Canada.

5. L’article 22 de la Loi autorise les offices de commercialisation des produits de ferme constitués par le fédéral, comme l’OCCO, à mettre en vigueur des plans de commercialisation pour promouvoir, réglementer et contrôler la commercialisation des produits réglementés, notamment les œufs, dans le commerce interprovincial ou d’exportation. Selon le paragraphe 23(1) de la Loi, les quotas de production ou de commercialisation fixés par un tel plan de commercialisation, doivent correspondre à la proportion que représente la production de cette région dans la production canadienne totale des cinq années précédant la mise en application du plan.

6. La Partie II de la Proclamation établit que le 15 décembre 1972, le plan de commercialisation que l’OCCO administre (ci-après désigné sous le nom de « plan de commercialisation ») et autorise l’OCCO à instituer, par règlement ou ordonnance un système de contingentement et d’octroi de permis pour la commercialisation des œufs dans le commerce interprovincial ou d’exportation.

7. Le Règlement de 1987 sur l’octroi de permis visant les œufs du Canada, D.O.R.S./87-242 et modifications, (le « Règlement sur l’octroi de permis ») et le Règlement de l’Office canadien de commercialisation des œufs sur le contingentement, D.O.R.S./86-8, et modification (le « Règlement sur le contingentement ») ont été pris conformément à la Loi et à la Proclamation et font partie du plan de commercialisation.

8. Le Règlement sur l’octroi de permis prévoit :

i.     Il s’applique aux personnes qui, dans une province y compris les Territoires du Nord-Ouest et le Yukon, commercialisent des œufs dans le commerce interprovincial ou d’exportation (article 3);

ii.    Nul ne doit commercialiser des œufs dans le commerce interprovincial ou d’exportation à moins de détenir le permis approprié (paragraphe 4(1));

iii.   Un permis est assujetti à la condition que le titulaire ne doit pas sciemment commercialiser des œufs dans le commerce interprovincial ou d’exportation sauf avec une personne qui détient un permis (alinéa 7(1)d);

iv.   Le permis est assujetti à la condition que le titulaire de celui-ci ne commercialise pas sciemment dans le commerce interprovincial ou d’exportation à l’exception des œufs produits par un producteur à qui un contingent fédéral a été attribué conformément au règlement sur les contingents (alinéa 7(1)e));

v.    L’OCCO peut refuser de délivrer ou de renouveler un permis, le suspendre ou l’annuler lorsque le demandeur ou le titulaire du permis n’a pas respecté les conditions de celui-ci (alinéa 8a));

vi.   Lorsque l’OCCO a l’intention de suspendre ou d’annuler un permis, il doit donner un avis de son intention de le faire et doit permettre au titulaire du permis de se présenter devant l’OCCO et de démontrer pour quelle raison le permis ne devrait pas être suspendu ou révoqué (article 9).

9. Le Règlement sur les contingents prévoit :

i.     Il est interdit à tout producteur de commercialiser des œufs dans le commerce interprovincial ou d’exportation à moins qu’un contingent fédéral ne lui ait été attribué, au nom de l’OCCO par l’office de commercialisation de la province dans laquelle sont situées ses installations de production d’œufs (alinéa 4(1)a));

ii.    Un producteur est admissible à un contingent fédéral si un contingent provincial lui est attribué en vertu des règles de l’office de commercialisation de la province où sont situées les installations de production d’œufs (paragraphe 5(2));

iii.   Le nombre d’œufs en provenance d’une province qu’un producteur est autorisé à commercialiser en vertu d’un contingent fédéral pour la période déterminée dans l’annexe incorporée à titre de partie du règlement sur le contingentement correspond au contingent provincial attribué au producteur pour cette période par l’office de commercialisation de la province moins le nombre d’œufs commercialisés au cours de la même période dans le commerce intraprovincial. (article 6, modifié par DORS/86-411);

iv.   Les contingents fédéraux sont attribués aux producteurs de chaque province de façon que le nombre total d’œufs commercialisés par les producteurs dans le commerce interprovincial et intraprovincial et selon les exemptions accordées par l’Office de commercialisation de la province n’excède pas le nombre de douzaines d’œufs précisé pour cette province à l’annexe incorporée à titre de partie du Règlement sur le contingentement (paragraphe 7(1));

v.    « Offices de commercialisation » désigne les divers offices de commercialisation des œufs des dix provinces du Canada (article 2).

10. [Mention des permis détenus par Pineview et Villetard.]

11. L’OCCO a donné un avis de son intention d’annuler ou de suspendre les permis sur le fondement que Pineview et Villetard avaient enfreint les conditions de ces permis par la commercialisation d’œufs sur le marché interprovincial sans que Pineview ne détienne un contingent fédéral comme l’exige le Règlement sur les contingents.

12. Pineview, Villetard/Martel et 355210 Alberta Ltd. ne sont pas en mesure d’obtenir des contingents du fédéral pour commercialiser des œufs produits dans les Territoires du Nord-Ouest dans l’une des provinces du Canada à cause des motifs suivants :

i.     L’article 23 de la Loi interdit l’attribution d’un contingent fédéral aux Territoires du Nord-Ouest, car il n’y a pas eu de production d’œufs des Territoires du Nord-Ouest au cours des cinq années qui ont précédé la création du plan de commercialisation.

ii.    Le Règlement sur les contingents et en particulier l’article 6 et le paragraphe 7(1) et l’annexe qui y est jointe ne prévoient pas l’attribution d’un contingent à un producteur des Territoires du Nord-Ouest.

iii.   Il n’existe aucun office de commercialisation précisé dans le Règlement sur les contingents qui pourrait accorder un contingent fédéral à un producteur dans les Territoires du Nord-Ouest.

iv.   Il n’existe aucun office de commercialisation précisé dans le Règlement sur les contingents qui pourrait accorder un contingent provincial à un producteur dans les Territoires du Nord-Ouest, ce qui constitue une condition préalable nécessaire à l’obtention par Pineview d’un contingent fédéral.

L’exposé des faits qui précède, qui a été admis comme avéré aux fins de l’examen de la requête en annulation est encore plus détaillé particulièrement en ce qui concerne le régime législatif visé en l’espèce, dans l’exposé des faits compris dans l’exposé des faits et du droit de l’OCCO, et cet exposé est accepté par les demandeurs avec certaines exceptions mentionnées ci-après. Il convient de répéter les faits qui y ont été énoncés car ils nous aident à comprendre les questions soulevées.

[traduction] 3. L’Office canadien de commercialisation des œufs (l’« Office ») a été constitué en 1972 par une proclamation du gouverneur en conseil prise en application de la Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme, S.C. 1970-71-72, ch. 65, maintenant L.R.C. (1985) ch. F-4. La proclamation a été prise par suite d’un accord fédéral-provincial de 1972 relativement à la création d’un programme global de commercialisation des œufs (l’« accord fédéral-provincial ») qui a été révisé et refondu en 1976. Les parties signataires de l’accord fédéral-provincial de 1976 étaient les ministres du fédéral et des provinces responsables de la commercialisation des produits agricoles, les agences de surveillance fédérales et provinciales des produits agricoles, les offices provinciaux de commercialisation des œufs et l’Office.

B. Les éléments fondamentaux du système de gestion de la production des œufs

4. Les éléments fondamentaux du système national de gestion de la production des œufs ont été examinés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Renvoi relatif à la Loi sur l’organisation du marché des produits agricoles, [1978] 2 R.C.S. 1198 (le « Renvoi sur les œufs »). Pour maintenir la validité aux termes de la Loi constitutionnelle de 1867 de ces éléments fondamentaux, le juge en chef Laskin les a mentionnés de la manière suivante :

a)   Le marché des œufs, au Canada et dans les provinces, est strictement réglementé; il comporte un contrôle des prix, la fixation de contingents de production et de commercialisation, l’imposition aux producteurs de plusieurs catégories de redevances et un programme d’écoulement des excédents (pour ce qui dépasse les contingents) en vertu duquel les surplus d’œufs pour l’alimentation sont principalement dirigés (page 1214);

b)   Les principaux organismes de contrôle sont, au niveau national, l’Office, et au niveau provincial, les offices provinciaux de commercialisation des œufs (page 1214);

c)   L’accord fédéral-provincial prévoit les grandes lignes du plan complet de réglementation de la commercialisation des œufs, notamment l’intégration des prescriptions fédérales et provinciales ainsi que les grandes lignes de l’organisation et des pouvoirs de l’Office (pages 1214 et 1215);

d)   Le plan prévoit des contingents identiques pour les producteurs, qu’ils soient dans le commerce intraprovincial ou sur le marché interprovincial ou d’exportation; ces contingents sont déterminés sur une base complémentaire par l’Office national et les offices de commercialisation provinciaux par rapport à une production d’œufs fixée pour chaque province (page 1215);

e)   À côté du système national et régional de contingentement, il existe un système de permis national utilisé pour conserver un dossier précis sur les mouvements des œufs aux fins de la planification de la gestion de l’approvisionnement (page 1216);

f)       Le prix payé aux producteurs est fixé après consultation entre l’Office et les offices provinciaux et est fondé sur une formule de coût de production surveillée par le Conseil national de commercialisation des produits agricoles (le « Conseil ») (pages 1216 et 1217);

g)   Les excédents d’œufs à la demande aux fins de consommation sont achetés par les offices provinciaux et l’Office et sont vendus avec une perte importante pour la transformation intérieure ou l’exportation (page 1218);

h)   Des redevances sont perçues des producteurs pour couvrir les pertes découlant du programme d’écoulement des excédents et des frais d’administration (page 1218) (le total des redevances payables par les producteurs enregistrés est actuellement en moyenne d’environ 16 cents la douzaine d’œufs).

5. Le juge en chef Laskin a résumé les caractéristiques du plan national de commercialisation des œufs de la manière suivante à la page 1219 :

Ce régime intégré est destiné à stabiliser le marché des œufs sur le plan national, en assurant à tous les producteurs un prix de producteur pour les œufs dans les limites de leurs contingents respectifs, que ces œufs soient vendus dans la province ou à l’extérieur et qu’ils soient vendus pour la consommation domestique ou finissent dans le programme d’écoulement des excédents. Toutefois les producteurs se partagent le coût de ce programme, encore une fois sur le plan national, en payant les redevances prévues.

C. Résumé des dispositions visées

6. La contestation des demandeurs sur le plan constitutionnel porte sur l’article 23 de la Loi, ainsi que sur l’alinéa 4(1)a), sur le paragraphe 5(2), sur l’article 6 et le paragraphe 7(1) du Règlement de l’Office canadien de commercialisation des œufs sur le contingentement DORS/86-8, et modifications (le « Règlement sur le contingentement ») et l’article 3, le paragraphe 4(1), et les alinéa 7(1)d) et 7(1)e) du Règlement sur l’octroi de permis visant les œufs du Canada DORS/87-242, et modifications (le « Règlement sur l’octroi de permis »). Les dispositions visées ainsi que d’autres dispositions connexes qui ne sont pas contestées, s’appliquent de la manière suivante :

a)   Aux termes de la Loi, de la proclamation et de l’accord fédéral-provincial, la production pour la commercialisation intraprovinciale, interprovinciale et d’exportation a initialement été fixée au niveau de base du marché en 1972, 475 000 000 de douzaines d’œufs par année et a été assujettie aux ajustements décrits par la suite;

b)   Conformément à ce qui est maintenant l’article 23 de la Loi, cette base a été accordée aux provinces sur le fondement de la production moyenne pour la commercialisation dans les cinq années qui ont précédé la création de l’Office, de 1967 à 1971;

c)   Comme le reconnaissent les demandeurs (modification de la déclaration modifiée, alinéa 12(i)), il n’y avait pas de production commerciale d’œufs dans les Territoires du Nord-Ouest au moment de la création de l’Office et, par conséquent, il n’y avait aucune base pour accorder un contingent à cette région;

d)   Qui plus est, les demandeurs reconnaissent également qu’il n’y a pas d’office de commercialisation des œufs dans les Territoires du Nord-Ouest (alinéa 12(ii) de la modification à la déclaration modifiée);

e)   Le Règlement sur le contingentement, adopté conformément à la Loi, prévoit :

i.    « contingent fédéral » nombre de douzaines d’œufs qu’un producteur est autorisé à commercialiser dans le commerce interprovincial et le commerce d’exportation (article 2);

ii.    « contingent provincial » nombre de douzaines d’œufs qu’un producteur est autorisé par un office de commercialisation à commercialiser dans le commerce intraprovincial dans le cadre d’un programme de réglementation de la production de la commercialisation des œufs (article 2);

iii.   un producteur d’œufs est seulement autorisé à commercialiser des œufs dans le commerce interprovincial et d’exportation si un contingent fédéral lui a été attribué (article 5);

iv.   conformément à la nature interreliée des contingents fédéral et provincial, l’admissibilité au contingent fédéral est limitée aux producteurs auxquels est attribué un contingent provincial dans le cadre d’un système de contrôle de la production ou de la commercialisation (article 4);

v.   afin de maintenir une commercialisation ordonnée, le nombre de contingents fédéraux attribué aux producteurs dans une province, ajouté aux contingents provinciaux attribués aux producteurs et à la production aux termes des exemptions de contingentement (p. ex., pour les petits couvoirs), ne doit pas dépasser l’attribution de contingent pour la province visée (article 7);

f)    L’article 4 de l’annexe de la proclamation et l’article 23 de la Loi prévoient des ajustements périodiques des attributions de contingent en plus ou en moins par rapport aux chiffres de base, comme il est nécessaire pour satisfaire aux besoins du marché;

g)   À cause d’une réduction de la consommation d’œufs au Canada, les attributions de contingents sont actuellement sous les niveaux de 1972, à l’exception de certaines provinces de l’Atlantique;

h)   Subsidiairement au système national de contingent, le Règlement sur l’octroi de permis prévoit :

i.    Toutes les personnes qui commercialisent des œufs dans les commerce interprovincial ou d’exportation sont tenues de détenir le permis d’acheteur ou de vendeur approprié délivré par l’Office (articles 3 et 4);

ii.    Bien que la délivrance et le renouvellement des permis d’acheteur et de vendeur par l’Office est normalement fait sur demande, l’Office peut refuser de délivrer ou de renouveler ou de suspendre ou de révoquer un permis pour le motif, notamment, du non respect d’une des conditions du permis (article 8);

iii.   Les conditions normales pour l’obtention du permis comprennent notamment l’exigence de se conformer à toutes les ordonnances et règlements et l’Office et de ne pas sciemment commercialiser d’œufs dans le commerce interprovincial et d’exportation à l’exception des œufs produits en vertu d’un contingent fédéral (alinéas 7(1)b) et e));

iv.   Une procédure de justification s’applique lorsque l’Office a l’intention de refuser de délivrer ou de renouveler ou de suspendre ou de révoquer un permis (article 9).

7. En l’absence de contrôle de production ou de commercialisation territorial, les producteurs des Territoires du Nord-Ouest sont autorisés par la Loi à produire et à commercialiser à l’intérieur des Territoires tous les œufs qu’ils désirent. Les dispositions visées interdisent la commercialisation dans le commerce interprovincial et d’exportation d’œufs produits sans contingent, que ces œufs aient été produits dans les Territoires du Nord-Ouest ou ailleurs au pays. Ce plan de commercialisation constitue une composante vitale d’un système de gestion de la production nationale globale confirmée par la Cour suprême du Canada dans le Renvoi sur les œufs, précité.

D. Les procédures en matière de justification et d’injonction

8. En juillet 1992, des avis de justification ont été délivrés relativement aux permis de commercialisation d’œufs détenus par les demanderesses Villetard Eggs et Pineview. Essentiellement, les avis de justification alléguaient que Villetard Eggs et Pineview avaient régulièrement enfreint les termes de leurs permis en commercialisant sciemment dans le commerce interprovincial et d’exportation des œufs produits dans les Territoires du Nord-Ouest par Pineview sans contingent fédéral.

9. Trois jours ouvrables avant la date à laquelle la première procédure de justification devant l’Office devait être entendue, les demandeurs ont engagé les présentes procédures. Pineview et Villetard Eggs ont également demandé une ordonnance provisoire pour suspendre les procédures de justification et empêcher l’Office de suspendre ou de révoquer leurs permis. Les parties demanderesses ont obtenu une suspension devant le juge Muldoon mais cette ordonnance a été annulée, avec dépens, par la Cour d’appel fédérale.

Les seules parties de cet exposé des faits par l’OCCO qui n’ont pas été admises par les demandeurs sont les alinéas 6a), b) et g) qui, selon eux, ne sont pas appuyés par la preuve dans la présente instance et la dernière phrase du paragraphe 7 qui de l’avis des demandeurs, devrait, à bon droit, se trouver dans l’argumentation plutôt que dans l’exposé des faits. À mon avis, il n’est pas important aux fins de la requête dont je suis saisi que les parties ne soient pas convenues de ces quatre facteurs, qui concernent l’application du plan de commercialisation des œufs adopté aux termes de la Loi, de la Proclamation et du précédent d’accord fédéral-provincial sur la commercialisation des œufs. En cas de différence entre les faits établis dans la déclaration et ceux établis dans l’exposé de l’OCCO à l’appui de sa requête en annulation, je suis tenu d’admettre ceux qui ont été énoncés dans le premier document.

L’intervenant, le ministre de la Justice du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, par exposé des faits et du droit déposé dans la requête, énonce certains faits, qui, bien qu’inutiles pour régler les questions en litige, soulignent l’intérêt de l’intervenant en l’espèce. À titre d’observation voici ces faits :

3. Aucun contingent fédéral de commercialisation des œufs produits dans les Territoires du Nord-Ouest dans le commerce interprovincial ne peut être obtenu dans le cadre du système de contrôle de la commercialisation.

4. Aucun producteur ne doit commercialiser d’œufs dans le commerce interprovincial qu’il n’ait un contingent fédéral.

5. Le Gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a tenté en vain depuis 1984 d’obtenir un contingent.

6. La production d’œufs a des conséquences et des avantages importants pour les Territoires du Nord-Ouest.

7. L’actionnaire majoritaire dans Pineview Poultry Products Ltd. est la bande Déné de Hay River.

Il est utile d’exposer les dispositions législatives mentionnées dans la déclaration des demandeurs, en particulier celle sur lesquelles est fondée la demande de redressement des demandeurs. La mesure législative fondamentale est la Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme, maintenant L.R.C. (1985), ch. F-4, qui autorise, aux termes de l’article 16 la création par proclamation du gouverneur en conseil d’un office compétent pour tous les produits agricoles, y compris précisément les œufs, à l’exception des produits réglementés aux termes de la Loi sur la Commission canadienne du blé [L.R.C. (1985), ch. C-24] ou la Loi sur la Commission canadienne du lait [L.R.C. (1985), ch. C-15], en matière de réglementation de la commercialisation dans le commerce interprovincial et d’exportation. En l’espèce, une telle proclamation a été faite en 1973 [DORS/73-1], créant l’OCCO, et cet office a été chargé par la proclamation d’établir, par ordonnance ou par règlement, un système de contingents en vertu duquel des contingents sont attribués à tous les membres de catégories de producteurs d’œufs de chaque province à qui des contingents sont attribués par l’office approprié, c’est-à-dire les divers offices énumérés dans la proclamation, pour chacune des dix provinces qui l’ont créé. L’article 23 de la Loi prévoit le fondement de l’attribution des contingents aux diverses régions du Canada de la manière suivante :

23. (1) Les quotas de production ou de commercialisation éventuellement fixés par un plan de commercialisation pour une région du Canada doivent correspondre à la proportion que représente la production de cette région dans la production canadienne totale des cinq années précédant la mise en application du plan.

La proclamation qui a créé l’OCCO établit également le système original de contingent par lequel des contingents ont été attribués à chacune des dix provinces du Canada. Ces contingents, du moins ces dernières années, ont été modifiés à l’occasion par modification au Règlement de l’Office canadien de commercialisation des œufs sur le contingentement [DORS/86-8].

Les dispositions du Règlement de 1987 sur l’octroi de permis visant les œufs du Canada [DORS/87-242] intéressant relativement à l’action à des demandeurs et pour la présente requête, sont les suivants :

3. Le présent règlement s’applique aux personnes qui, dans une province, y compris les Territoires du Nord-Ouest et le Yukon, commercialisent des œufs dans le commerce interprovincial ou d’exportation.

4. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), nul ne peut commercialiser des œufs dans le commerce interprovincial ou d’exportation à moins de détenir le permis approprié.

7. (1) Le permis est assujetti aux conditions suivantes :

d) le titulaire du permis ne peut sciemment commercialiser des œufs dans le commerce interprovincial avec une personne qui ne détient pas un permis;

e) le titulaire du permis ne peut sciemment commercialiser dans le commerce interprovincial ou d’exportation, des œufs produits par un producteur à qui un contingent fédéral n’a pas été attribué conformément au Règlement de 1986 de l’Office canadien de commercialisation des œufs sur le contingentement.

8. L’Office peut refuser de délivrer ou de renouveler un permis, le suspendre ou l’annuler lorsque le demandeur ou le titulaire du permis :

a) n’a pas respecté l’une des conditions du permis;

9. (1) Lorsque l’Office envisage de ne pas délivrer ou renouveler un permis, de le suspendre ou de l’annuler, il en fait part au demandeur ou au titulaire du permis par un avis qui lui est remis en mains propres ou expédié par courrier recommandé.

(2) L’avis mentionné au paragraphe (1) contient les renseignements suivants :

a) les raisons qui motivent la mesure envisagée par l’Office;

b) la date et l’heure auxquelles le demandeur ou le titulaire du permis peut se présenter devant l’Office pour faire valoir ses arguments à l’encontre de cette mesure.

Les dispositions du Règlement de l’Office canadien de commercialisation des œufs sur le contingentement qui sont intéressants en l’espèce sont les suivants :

4. (1) Il est interdit à tout producteur de commercialiser des œufs dans le commerce interprovincial ou le commerce d’exportation, à moins :

a) qu’un contingent fédéral ne lui ait été attribué, au nom de l’Office, par l’Office de commercialisation de la province dans laquelle sont situées ses installations de production d’œufs;

5….

(2) Après l’entrée en vigueur du présent règlement, le producteur est admissible à un contingent fédéral si un contingent provincial lui est attribué en vertu des règles appliquées par l’Office de commercialisation de la province où sont situées ses installations de production d’œufs.

6. [mod. par DORS/86-411, art. 3] Sous réserve du présent règlement, le nombre d’œufs en provenance d’une province qu’un producteur est autorisé à commercialiser en vertu d’un contingent fédéral pour une période mentionnée à l’annexe correspond au contingent attribué au producteur pour cette période par l’Office de commercialisation de la province, moins le nombre d’œufs qu’il commercialise au cours de la même période dans le commerce intraprovincial.

7. (1) [mod., idem, art. 4] Les contingents fédéraux sont attribués aux producteurs de chaque province de façon que le nombre total de douzaines d’œufs produit dans la province et

a) qui est autorisé à être commercialisé par les producteurs en vertu des contingents fédéraux attribués au nom de l’Office par l’Office de commercialisation de la province,

b) qui est autorisé à être commercialisé par les producteurs dans le commerce intraprovincial, en vertu des contingents provinciaux attribués par l’Office de commercialisation de la province,

c) dont on prévoit la commercialisation par les producteurs, selon les exemptions de contingent accordées par l’Office de commercialisation de la province,

au cours de la période mentionnée à l’annexe n’excède pas le nombre de douzaines d’œufs précisé à l’annexe pour cette province.

Les questions soulevées par la requête en annulation

Les questions soulevées par la requête en annulation de l’OCCO, appuyées par Sa Majesté la Reine, font directement ressortir le redressement demandé par les demandeurs dans l’action. Ces questions et les redressements qui en découlent demandés par les demandeurs sont les suivants :

1. Certaines dispositions du régime législatif s’appliquent-elles à la production commerciale d’œufs dans les Territoires du Nord-Ouest et à la commercialisation dans les provinces du Canada d’œufs produits dans les Territoires du Nord-Ouest?

(Les demandeurs visent à obtenir un jugement déclaratoire portant que l’article 23 de la Loi, l’article 3, le paragraphe 4(1), les alinéas 7(1)d) et 7(1)e) du Règlement sur l’octroi de permis et l’alinéa 4(1)a), le paragraphe 5(2), l’article 6 et le paragraphe 7(1) du Règlement sur le contingentement ne s’appliquent pas à un producteur commercial d’œufs dans les Territoires du Nord-Ouest ou à la commercialisation dans les provinces du Canada d’œufs produits dans les Territoires du Nord-Ouest.)

2. Subsidiairement, ces mêmes dispositions sont-elles incompatibles avec l’article 121 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1 [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]]?

(Les demandeurs visent à obtenir un jugement déclaratoire portant que les mêmes dispositions mentionnées précédemment sont nulles et sans effet sur le fondement qu’il porte atteinte à l’article 121 de la Loi constitutionnelle de 1867.)

3. Subsidiairement, ces mêmes dispositions sont-elles incompatibles avec l’alinéa 6(2)b), l’article 7 ou le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]?

(Les demandeurs visent à obtenir un jugement déclaratoire portant que les mêmes dispositions mentionnées précédemment sont nulles et sans effet sur le fondement qu’elles sont incompatibles avec ces articles, ou avec l’un d’entre eux, de la Charte. À l’appui de ce redressement, les demandeurs Pineview, Villetard/Martel, 355210 Alberta Ltd. et Richardson allèguent que les règlements portent atteinte aux droits que leur confèrent l’alinéa 6(2)b), l’article 7 et le paragraphe 15(1) de la Charte; et le demandeur Villetard allègue que, relativement à l’achat et à la vente d’œufs, les règlements portent atteinte aux droits que lui confèrent l’alinéa 6(2)b) et le paragraphe 15(1) de la Charte.)

Les arguments de l’OCCO, des demandeurs et de la défenderesse, Sa Majesté la Reine, qui ont été présentés en l’espèce portent sur ces questions.

Pour l’intervenant, les points en litige sont les suivants :

[traduction] L’exclusion d’un ressort entier, les Territoires du Nord-Ouest, de l’accès juste et équitable à l’OCCO, une tribune importante du Commonwealth économique du Canada peut-elle être justifiée en vertu de la Constitution?

Est-il clair et manifeste que les prétentions des demandeurs fondées sur la Constitution en vue d’avoir un accès juste et équitable au système de commercialisation des œufs sont futiles et constituent un abus des procédures? Ces prétentions peuvent-elles être rejetées lors d’une demande préliminaire interlocutoire lorsque la Cour ne peut se prononcer sur le fondement factuel, juridique et équitable complet de la présente action?

Les questions ainsi exprimées par l’intervenant ne peuvent être traitées comme des questions principales entre les demandeurs et les défendeurs. À mon avis, elles mettent l’accent sur l’exigence que la Cour soit convaincue, en ce qui a trait aux questions principales soulevées par les parties, que les prétentions des demandeurs n’ont aucune chance d’être accueillies à l’instance avant que ces prétentions ne soient radiées à cette étape préliminaire.

À titre d’information je souligne que l’intervenant, par un exposé des faits et du droit écrit et à l’audience, appuie la position des demandeurs en ce qui a trait aux présumées violations de l’article 121 de la Loi constitutionnelle de 1867 et de l’alinéa 6(2)b) et le paragraphe 15(1) de la Charte, mais ne mentionne nullement la question de l’applicabilité de la Loi et des Règlements aux Territoires du Nord-Ouest ou la présumée violation de l’article 7 de la Charte.

Je remarque également que l’avocat de l’OCCO a fait valoir à la Cour à l’audition de l’espèce que lorsqu’il sera déclaré que l’une des prétentions des demandeurs n’a aucune chance d’être accueillie à l’instance, celle-ci devrait être radiée à ce stade-ci au moyen d’une ordonnance. L’avocat des demandeurs est d’accord avec cette proposition.

Avant d’examiner les questions l’une après l’autre, il convient de répéter que la Cour suprême du Canada a jugé constitutionnel le système de commercialisation des œufs créé aux termes de la Loi, de la Proclamation et du Règlement sur l’octroi de permis, du moins en ce qui a trait à certaines de leurs dispositions qui ont été examinées dans le contexte de la répartition des pouvoirs législatifs entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux aux termes de la Loi constitutionnelle de 1867 (voir Renvoi relativement à la Loi sur l’organisation du marché des produits agricoles, S.R.C. 1970, chap. A-7 et autres[3]). Cet arrêt a été rendu dans un renvoi, portant principalement sur la délégation administrative réciproque de pouvoirs entre les offices fédéral et provinciaux en vertu d’un accord et sur l’imposition de redevances par ces offices ou pour le compte de celles-ci en matière de commercialisation. Strictement, une décision dans un renvoi est seulement rendue à titre consultatif[4]; elle n’a pas force de chose jugée relativement à une affaire subséquente dont les faits ont été déterminés à l’instance, bien qu’elle puisse être convaincante.

Il convient de préciser les questions qui ont été tranchées dans cette affaire (le Renvoi sur les œufs). En réponse à des questions précises, la Cour siégeant au complet a conclu à l’unanimité, notamment, que certaines dispositions, qui ne comprenaient pas l’article 23 actuel, de la Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme, alors S.C. 1970-71-72, ch. 65 (la loi précédente, essentiellement semblable à la Loi actuelle), n’étaient pas inconstitutionnelles. Les articles visés dans cette affaire étaient les articles 17, 18, 23 et 32 (maintenant les articles 16, 17, 22 et 31). Les trois premiers portent sur le pouvoir du gouverneur en conseil de créer par proclamation un office chargé de réglementer un produit de la ferme dans le commerce interprovincial ou d’exportation, le contenu d’une telle proclamation et les pouvoirs de l’office qui a été créé. Le dernier article mentionné autorise l’exercice par un office, lorsque l’accord fédéral-provincial le prévoit, le pouvoir pour le compte d’une province en ce qui a trait au commerce intraprovincial.

Bien que le système de contingent établi par la Proclamation qui a créé l’OCCO n’était pas directement visé dans les questions traitées dans le Renvoi sur les œufs, les conclusions de la Cour suprême relativement aux redevances imposées en application du plan de commercialisation obligeaient la Cour à examiner le système de contingent comme la base sur laquelle les accords de commercialisation et les redevances imposées étaient fondés. Le juge en chef Laskin, pour son propre compte et pour trois autres juges de la Cour a maintenu le pouvoir du Parlement d’établir des contingents à toute l’industrie s’ils se rapportaient au contrôle réglementaire du commerce interprovincial et d’exportation même si les contingents étaient fondés sur des contingents de production « dans les diverses provinces »[5]. Précédemment[6], il a fait remarquer que le système de contingent établi pour l’OCCO par la Proclamation, s’inscrivait dans le cadre du pouvoir conféré par l’article 24, maintenant l’article 23, de la Loi et la validité de cette disposition n’a pas été remise en question dans cette affaire. M. le juge Pigeon[7], pour son propre compte et pour quatre autres membres de la Cour n’était pas du même avis que le juge en chef pour dire que le système de contingents se rapportait à la production, mais dans la mesure où il visait la commercialisation, le système était valide et c’est ce qu’il a conclu à l’égard des accords de l’OCCO. Ce système vise des contingents établis par des offices de commercialisation provinciaux, agissant à l’égard du commerce intraprovincial aux termes de la loi provinciale et à l’égard du commerce interprovincial aux termes du pouvoir délégué par l’OCCO dans le cadre de la loi fédérale habilitante comprenant l’attribution de contingents par la province. Le règlement de l’Ontario en vertu duquel ces quotas ont été fixés était directement visé dans le Renvoi sur les œufs et la validité de la loi provinciale habilitante a été maintenue. À mon avis, l’arrêt établit clairement que le système de contingents établi aux termes de la Proclamation est, par déduction, valide dans le cadre de la répartition des pouvoirs aux termes de la Loi constitutionnelle de 1867.

De plus, la Cour a conclu, à l’unanimité, que la Proclamation visant l’Office canadien de commercialisation des œufs, initialement adoptée comme DORS/73-1 dans des termes essentiellement semblables à ceux qui sont maintenant en vigueur, a validement été adoptée dans le sens du droit administratif, c’est-à-dire dans le cadre de l’économie de la Loi. De même, le Règlement sur l’octroi de permis visant les œufs du Canada, alors DORS/73-286, qui était essentiellement semblable au règlement actuel de 1987 qui lui a succédé, a été adopté validement aux termes de la loi habilitante, c’est-à-dire en vertu de la Loi et de la Proclamation.

Il est évident, mais digne de mention que l’arrêt dans le Renvoi sur les œufs précède l’entrée en vigueur de la Charte canadienne des droits et libertés et, par conséquent, il n’a pas porté sur les questions soulevées en l’espèce relativement à la présumée incompatibilité de certaines dispositions du régime législatif prévoyant la commercialisation des œufs avec les droits garantis par la Charte. Bien que le renvoi ait traité de la question de la compatibilité du régime législatif avec l’article 121 de la Loi constitutionnelle de 1867, il l’a fait dans le contexte d’un argument concernant le régime créé par une loi fédérale et dans celui de l’Ontario, une province participante et coopérante engagée dans des accords destinés à coordonner la commercialisation dans le commerce interprovincial ou d’exportation et dans le commerce intraprovincial. À mon avis, l’arrêt n’a nullement tenu compte du régime habilitant permettant de coordonner le commerce aux termes de l’article 121 interprété du point de vue des Territoires du Nord-Ouest, qui à l’origine n’ont pas pris part à l’accord canadien sur la commercialisation des œufs et n’y participent toujours pas.

Cela étant dit, j’examine les questions l’une après l’autre.

L’applicabilité des accords de commercialisation des œufs par rapport au commerce des œufs produits dans les Territoires du Nord-Ouest sur le marché interprovincial ou d’exportation

L’OCCO, appuyé par sa Majesté la Reine, soutient qu’il est évident et manifeste que la Loi, la Proclamation et les Règlements s’appliquent au commerce extraterritorial des œufs produits dans les Territoires. Il soutient donc qu’il est évident que la demande des demandeurs en vue d’obtenir un jugement déclaratoire portant qu’il ne s’applique pas serait rejetée à l’instance.

Les demandeurs soutiennent le contraire. Cet argument serait fondé sur les moyens que le législateur n’avait pas l’intention que la Loi s’applique aux œufs produits dans les Territoires du Nord-Ouest et que si on l’interprète de manière à viser les Territoires, il en résulte une conclusion absurde puisque l’objet de celle-ci est de réglementer la production et la commercialisation des œufs entre les provinces, mais elle a pour effet d’interdire la commercialisation interprovinciale par les producteurs d’œufs des Territoires du Nord-Ouest.

À l’appui de ces arguments, les demandeurs soutiennent que si le législateur avait voulu que la Loi s’applique aux Territoires du Nord-Ouest, il aurait été plus raisonnable que le paragraphe 3(3) de celle-ci, qui crée le Conseil national de commercialisation des produits de ferme, prévoie la représentation de cette région, et non simplement un tiers de la représentation pour les quatre provinces de l’Ouest, les provinces centrales et les quatre provinces de l’Atlantique, comme c’est le cas.

De plus, les demandeurs soutiennent que si la Loi devait s’appliquer aux Territoires du Nord-Ouest, le législateur [traduction] « n’aurait sûrement pas adopté » le paragraphe 23(1) qui prévoit l’attribution de quotas sur le fondement de la production des cinq années précédant l’adoption du plan de commercialisation étant donné qu’une telle interprétation empêche en fait qu’un contingent soit jamais attribué aux Territoires. Même si la Cour conclut que le régime législatif a l’effet que soutiennent les demandeurs, je ne suis pas convaincu que ces arguments soient fondés car ils invitent la Cour à ignorer le sens ordinaire, à mon avis, des dispositions législatives et à examiner la sagesse, le caractère raisonnable, de ces dispositions, une question qui dépasse le rôle de la Cour en matière d’interprétation des lois.

Je ne suis pas non plus convaincu par les demandeurs que le paragraphe 2(1) de la Proclamation, qui ordonne à l’Office d’instituer un système de contingents par lequel des contingents sont fixés « pour tous les membres de différentes classes de producteurs d’œufs de chaque province auxquels des contingents sont fixés par … l’Office de commercialisation compétent », entraîne une conclusion absurde lorsqu’il est interprété en tenant compte du paragraphe 23(1) de la Loi même si ce dernier doit être interprété comme interdisant en fait l’attribution d’un contingent aux Territoires. Cette dernière disposition ne vise pas les provinces, mais mentionne plutôt l’attribution de quotas de commercialisation « pour une région du Canada ». Lorsque la Proclamation a d’abord été adoptée en 1973, il n’y avait jamais eu de production commerciale d’œufs dans les Territoires; maintenant c’est le cas et il n’y a toujours pas d’office territorial pour attribuer un contingent aux producteurs commerciaux. À mon avis, l’OCCO n’est pas tenu aux termes du paragraphe 2(1) de la Proclamation d’attribuer un contingent avant qu’un office territorial ne l’ait fait et qu’il y ait eu une production pendant cinq ans précédant immédiatement l’adoption d’un plan de commercialisation par l’OCCO.

Je m’empresse de souligner que ces deux conditions n’entraînent pas nécessairement elles-mêmes la conclusion que si elles sont satisfaites, les Territoires du Nord-Ouest obtiendraient un contingent aux termes du régime actuel. Au cours de l’argumentation, l’avocat de l’OCCO a soutenu que le régime législatif n’empêche pas la possibilité d’attribuer un contingent pour les Territoires du Nord-Ouest simplement parce que lorsque l’OCCO a été créé, il n’y avait pas de production commerciale d’oeufs dans les Territoires du Nord-Ouest. Il a mentionné le paragraphe 23(2) qui autorise une révision des contingents et a dit que l’adoption d’un plan dans l’avenir pourrait tenir compte de la production commerciale dans les Territoires établie par la suite s’il y avait un office de commercialisation dans les Territoires du Nord-Ouest qui avait attribué des contingents, bien que, de toute évidence, il n’y a pas eu un tel office et il n’existe pas actuellement. Bien que le paragraphe 23(2) de la Loi prévoie la révision de l’attribution des contingents, c’est relativement à « l’attribution de quotas additionnels destinés à répondre à la croissance prévue de la demande du marché », et actuellement la demande serait inférieure à celle qui existait lorsque les contingents ont d’abord été fixés, bien que ce fait ne ressorte pas clairement de la preuve et n’ait pas été admis par les demandeurs. Qui plus est, aux termes du paragraphe 23(2), l’OCCO est tenu, dans l’attribution de contingents additionnels, de tenir compte du principe de l’avantage comparatif de la production, un principe susceptible de ne pas favoriser dans le commerce interprovincial la commercialisation des œufs produits dans les Territoires du Nord-Ouest.

Finalement, à mon avis, les termes de la Proclamation interprétés dans leur ensemble paraissent rendre difficile l’attribution d’un contingent aux Territoires du Nord-Ouest, voire impossible, à moins que ces termes soient modifiés. Bien que cette question n’ait pas été débattue entièrement devant moi, j’accepte aux fins d’examen de la requête en annulation que l’hypothèse des demandeurs est fondée, que le régime actuel empêche l’attribution d’un contingent aux Territoires du Nord-Ouest. Et comme je le fais remarquer ultérieurement lors de l’examen de l’argument concernant l’article 121, cette hypothèse se trouve parmi des faits soulevés par les demandeurs qui sont réputés avérés.

Je suis convaincu que la Loi, particulièrement l’article 23 et l’article 3, le paragraphe 4(1), les alinéas 7(1)d) et 7(1)e) du Règlement sur l’octroi de permis et l’alinéa 4(1)a), le paragraphe 5(2), l’article 6 et le paragraphe 7(1) du Règlement sur le contingentement s’appliquent à la production commerciale d’œufs dans les Territoires du Nord-Ouest et à la commercialisation d’œufs qui y sont produits dans les provinces du Canada.

À mon avis, la Loi, par ses termes, s’applique clairement à l’ensemble du Canada, y compris aux Territoires du Nord-Ouest. L’article 23 traite de l’attribution de quotas de production ou de commercialisation « pour une région du Canada ». Le paragraphe 16(1) prévoit la création d’un office compétent pour des produits agricoles sur les marchés interprovincial ou international lorsqu’une telle création a l’appui de la majorité des producteurs du produit « au Canada ». Le paragraphe 17(1) prévoit la proclamation portant création d’un office et exige la désignation du produit agricole visé et si l’office doit exercer ses pouvoirs à l’égard de ce produit dans la mesure où il est « cultivé ou produit en quelque lieu du Canada », ou de ce produit dans la mesure où il est « cultivé ou produit dans une région du Canada » ou « dans une telle région et toute autre partie du Canada d’où [il est] expédié vers celle-ci dans le cadre du commerce interprovincial et non pour exportation ». Ces articles donnent suite aux définitions de l’article 2 de la Loi des expressions « produit agricole » ou « produit de ferme » et « produit réglementé » qui traitent des œufs, de la volaille et d’autres produits naturels de l’agriculture à l’égard desquels la majorité des producteurs de ce produit au Canada sont en faveur de la création d’un office de commercialisation et de tout produit agricole dans la mesure où il est cultivé ou produit en quelque lieu du Canada, ou dans une région du Canada désignée dans une proclamation ou dans une telle région et dans toute autre partie du Canada d’où il est expédié vers celle-ci dans le cadre du commerce interprovincial aux termes de la proclamation.

La Proclamation qui a créé l’OCCO indique dans son préambule que le produit de ferme pour lequel l’OCCO peut exercer ses pouvoirs comprend « les œufs de poules domestiques … produits au Canada », elle traite de la commercialisation dans le commerce interprovincial et d’exportation sans mentionner de restrictions quant à une région particulière du Canada et de toute évidence, bien qu’implicitement, elle est destinée à s’appliquer partout au Canada relativement à ce commerce et c’est le cas. Même si on devait en déduire qu’elle ne s’applique qu’à une région du Canada à cause de l’attribution de contingents aux dix provinces qui sont précisément désignées ce qui par conséquent exclut les Territoires du Nord-Ouest, la réglementation du commerce entre les dix provinces et les Territoires du Nord-Ouest relève entièrement de la compétence du Parlement et pourrait être prévue expressément par la Proclamation aux termes de la Loi comme elle a été formulée. À mon avis, le régime législatif prévoit clairement la réglementation du commerce interprovincial des œufs partout au Canada, y compris dans les Territoires, et notamment le commerce des œufs entre les Territoires du Nord-Ouest et toute province du Canada.

Les deux parties ont mentionné le paragraphe 35(1) de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21 qui définit le terme « province » comme une « [p]rovince du Canada, ainsi que le Territoire du Yukon et les Territoires du Nord-Ouest ». Aucun argument ne me convainc que cette définition ne s’applique pas lorsque le terme « province » est utilisé dans la Loi, dans la Proclamation et dans les règlements. Dans le Règlement sur l’octroi de permis, modifié en 1987, l’article 3, qui a alors été ajouté, établit clairement que le Règlement s’applique aux personnes qui, dans une province, y compris les Territoires du Nord-Ouest, commercialisent des œufs dans le commerce interprovincial ou d’exportation, par renvoi précis aux Territoires. Cet article est clairement fondé sur la Loi et sur la Proclamation et est simplement conforme aux dispositions de la Loi d’interprétation.

À titre de question d’interprétation, outre les questions de validité constitutionnelle dont il sera question ultérieurement, étant donné que le paragraphe 23(1) de la Loi et la Proclamation s’applique au commerce des œufs entre les Territoires et d’autres provinces du Canada, les dispositions contestées du Règlement sur l’octroi de permis et du Règlement sur le contingentement s’appliquent également aux producteurs d’œufs dans les Territoires du Nord-Ouest dans la mesure où ils désirent commercialiser leurs œufs dans le commerce interprovincial. Comme nous l’avons fait remarquer, les règlements qui ont précédé ceux qui sont actuellement en vigueur ont été maintenus, expressément ou implicitement dans le Renvoi sur les œufs. Ils s’appliquent aux producteurs d’œufs dans les Territoires.

À mon avis, il est clair et manifeste que, à titre d’interprétation législative, la Loi, la Proclamation et les règlements, notamment les dispositions particulières visées par les demandeurs, sont destinés à s’appliquer à l’ensemble du Canada, y compris aux Territoires du Nord-Ouest et c’est le cas. Qui plus est, il est clair, à mon avis, que par suite d’une instance, notre Cour ne rendrait pas un jugement déclaratoire portant qu’ils ne s’appliquent pas. Par conséquent, il convient maintenant, à bon droit, de radier de la déclaration la demande des demandeurs visant à obtenir un jugement déclaratoire de cette nature.

Les dispositions contestées et l’article 121

L’OCCO soutient qu’il est clair et manifeste que la prétention des demandeurs selon laquelle les dispositions contestées ne sont pas conformes à l’article 121 de la Loi constitutionnelle de 1867 n’a aucune chance d’être retenue à l’instance. Voici le texte de cet article :

121. Tous articles du crû, de la provenance ou manufacture d’aucune des provinces seront à dater de l’union, admis en franchise dans chacune des autres provinces.

Cet argument est fondé sur la jurisprudence, en particulier sur l’arrêt du juge en chef Laskin dans le Renvoi sur les œufs, qui a dit[8] :

Cela me conduit aux prétentions des appelants concernant l’art. 121 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Ces prétentions mettent en jeu la proclamation et les modalités du plan de commercialisation énoncées dans le D.O.R.S./73-1, plutôt que les dispositions habilitantes de la Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme.

Une réglementation fédérale qui n’impose pas directement un droit de douane mais qui, par un régime de fixation des prix destiné à stabiliser la commercialisation de produits sur le marché interprovincial, s’efforce au moyen de contingents d’instituer une mise en marché harmonieuse, en tenant dûment compte de l’expérience de production des provinces, ne peut, à mon avis, violer l’art. 121. Dans l’affaire Gold Seal Ltd. c. Dominion Express Co.[9], les juges Anglin et Mignault ont tous deux considéré que l’art. 121 interdit l’imposition de droits de douane ou de droits semblables quand des marchandises sont transportées d’une province à une autre. Le juge Rand a adopté une conception plus large de l’art. 121 dans l’arrêt Murphy c. C.P.R.[10], où il déclare, à la p. 642 :

[traduction] Je considère que l’art. 121, en plus d’être dirigé contre les droits de douane, vise à interdire qu’une réglementation du commerce ne vienne entraver, ou restreindre de quelque façon que ce soit, la libre circulation des marchandises dans tout le Dominion comme s’il n’y avait pas de frontières provinciales. Je suis bien d’accord qu’il ne fait pas disparaître pour autant toute réglementation des activités commerciales. Il vise à assurer la liberté du commerce, tout en permettant la réglementation dans ses aspects secondaires, qui sont les à-côtés du commerce. Ce qui est interdit, c’est une réglementation du commerce qui serait reliée, en droit et en fait, à l’existence des frontières provinciales.

Adoptant cette conception de l’art. 121, je ne trouve rien dans le présent régime de commercialisation qui, en tant que réglementation du commerce, soit relié en droit et en fait à l’existence de frontières provinciales. En décider autrement signifierait qu’une loi fédérale de commercialisation, rattachable au commerce interprovincial, ne pourrait valablement prendre en considération le mode de production des diverses provinces pour tenter d’instaurer l’équité dans les échanges commerciaux. Je ne trouve ici aucune idée de réglementation punitive au détriment ou en faveur de l’une des provinces.

Les demandeurs mentionnent les termes du juge Rand dans l’arrêt Murphy v. Canadian Pacific Railway Company and The Attorney General of Canada, adoptés par le juge en chef Laskin et aux propres termes de ce dernier selon qui le plan de commercialisation n’est pas « relié en droit et en fait à l’existence de frontières provinciales ». Il mentionne également les termes du juge Laskin (alors juge puîné) dans l’arrêt Procureur général du Manitoba c. Manitoba Egg and Poultry Association et autres[11] :

… permettre à chaque province de rechercher son propre avantage, pour ainsi dire, par la fermeture (au sens figuré) de ses frontières dans le but d’interdire l’entrée des marchandises venant des autres provinces, serait aller à l’encontre de l’un des objets de la Confédération, que font ressortir la liste des pouvoirs fédéraux et l’art. 121, savoir, faire de l’ensemble du Canada une seule unité économique.

Je souligne en passant que le juge Laskin, dans cette affaire, après avoir conclu que la loi provinciale visée n’était pas valide à l’égard du commerce interprovincial, a précisément dit qu’il n’avait pas jugé nécessaire d’invoquer l’article 121 et son application au plan de commercialisation visé dans cette affaire.

Les demandeurs soutiennent que, en vertu du plan de commercialisation, les frontières entre les Territoires du Nord-Ouest et les provinces constituent un obstacle réel à la commercialisation interprovinciale des œufs produits dans les Territoires et non pas simplement la réglementation de celle-ci, ce qui contrevient à l’article 121. Les demandeurs soutiennent que dans le renvoi sur la commercialisation des œufs, la Cour a examiné le plan selon les circonstances de 1978 et, j’ajoute, dans le contexte de questions formulées en ce qui a trait à la loi fédérale et à la loi complémentaire de l’Ontario à titre de province participante dans l’accord de commercialisation et n’a pas tenu compte de la position des Territoires relativement à ces accords. La Proclamation et le paragraphe 23(1) ont pour effet d’exclure les Territoires du commerce interprovincial; aucun contingent ne peut être attribué à un producteur dans les Territoires. Bien que, comme je l’ai souligné précédemment, l’avocat de l’OCCO a soutenu que cette conclusion ne découle pas nécessairement des termes du plan, l’interprétation de la Proclamation à cet égard n’a pas été entièrement examinée à ce stade. De toute façon, aux fins de la présente requête, en acceptant les faits allégués dans la modification à la déclaration modifiée des demandeurs comme avérés, je suis tenu d’admettre à titre de fait, le paragraphe 12 qui, comme je l’ai fait remarquer précédemment dans les présents motifs, établit que les demandeurs Pineview, Villetard/Martel et 355210 Alberta Ltd. ne sont pas en mesure d’obtenir des contingents du fédéral pour commercialiser les œufs produits dans les Territoires du Nord-Ouest vers les provinces du Canada en raison des dispositions de la Loi, du Règlement sur l’octroi de permis et du Règlement sur le contingentement.

L’OCCO soutient que cette situation ne découle pas du fait qu’ils se trouvent dans les Territoires, mais plutôt parce qu’il n’y a aucun office et qu’aucun contingent intraterritorial ou intraprovincial ne leur a été attribué. Ils seraient dans la même position que des producteurs dans les dix provinces auxquels aucun contingent n’a été attribué. Bien que cet argument soit fondé sur le plan économique, à mon avis, il ne semble pas tenir compte de l’élément principal de la prétention des demandeurs, que contrairement aux producteurs collectivement dans chacune des dix provinces, le fait de se trouver dans les Territoires empêche en fait qu’un contingent puisse être attribué à des producteurs qui s’y trouvent aux termes de l’actuel plan de commercialisation.

Je ne suis pas convaincu que les observations du juge en chef Laskin dans le Renvoi sur les œufs, faites sans tenir compte des circonstances soulevées par l’espèce, devraient être adoptées comme une réponse complète à la prétention des demandeurs que les dispositions contestées portent atteinte à l’article 121. Cette question peut être tranchée après avoir entendu toute l’argumentation des parties. À mon avis, les demandeurs ont le droit d’avoir l’occasion de présenter tous leurs arguments, après avoir présenté des éléments de preuve à l’instance, en ce qui a trait à leur prétention. À mon avis, il n’est pas clair et manifeste, à cette étape préliminaire, que leur prétention à cet égard sera rejetée peu importe les éléments de preuve et les arguments qui pourraient être présentés.

Les dispositions sur le contingentement et l’octroi de permis et la Charte

À titre préliminaire, l’OCCO et Sa Majesté la Reine ont soutenu que les demandeurs ne sont pas fondés à faire état de préoccupations relatives aux présumées violations des articles 6, 7 et 15 de la Charte. La contestation des demandeurs porte sur le fait que les producteurs d’œufs des Territoires du Nord-Ouest se sentent incapables d’obtenir un contingent fédéral mais les seuls producteurs qui sont parties à l’instance sont les sociétés Pineview et 355210 Alberta et à titre de sociétés, elles ne sont pas fondées à soulever ces questions.

Toutefois, je remarque, parmi d’autres faits énoncés dans la modification à la déclaration modifiée, qui aux fins de la présente requête est admise comme avérée, la déclaration dans le paragraphe 1 selon laquelle les demandeurs à titre individuel [traduction] « Gary Villetard et Pat Martel sont les propriétaires des installations de production d’œufs de Pineview à Hay River … et produisent et commercialisent des œufs de poulet ». Qui plus est, le demandeur à titre individuel Frank Richardson est décrit dans le paragraphe 3 comme exploitant [traduction] « l’entreprise de production et de commercialisation des œufs à titre d’âme dirigeante et d’actionnaire de 355210 Alberta Ltd. qui exploite une entreprise sous le nom de Northern Poultry dans la ville de Hay River » et comme résidant de cette ville. Le statut de MM. Villetard, Martel et Richardson n’est pas précisé à ce stade, mais aux fins de l’espèce, je dois admettre qu’ils sont des producteurs comme ils ont été décrits.

L’OCCO soutient que les demandeurs cherchent à contourner les règles établies en matière de qualité pour agir par la présentation des demandes par des particuliers à titre d’actionnaires de Pineview et de 355210 Alberta Ltd., cherchant à faire indirectement ce que des personnes morales demanderesses ne peuvent faire directement, c’est-à-dire de faire valoir les arguments fondés sur la Constitution que seuls les particuliers peuvent présenter aux termes de la Charte. Le ministère public est d’avis que [traduction « ayant choisi d’exploiter leur entreprise à titre de société, il ne convient pas maintenant de tenter de profiter des avantages de la Charte par l’adjonction d’actionnaires à titre de parties », mais je ne suis pas convaincu que cet argument soit fondé si les particuliers ont des intérêts protégés par la Charte auxquels on a porté atteinte. Je tiens à souligner que Frank Richardson était l’un des demandeurs inscrits dans la déclaration initiale, que sa société 355210 Alberta Ltd. et les demandeurs à titre individuel Gary Villetard et Pat Martel en tant que producteurs d’œufs ont tous été ajoutés à titre de demandeurs par la modification à la déclaration modifiée et par l’ordonnance de la Cour en février 1993. Il s’agit d’affaires où les droits des particuliers, actionnaires ou administrateurs des sociétés, ont été traités en tenant compte de la Charte même lorsque la qualité d’agir des sociétés a été refusée ou n’a pas été retenue[12] et je ne suis pas convaincu à ce stade, qu’à titre de proposition générale, si le droit qui aurait été violé est protégé aux termes de la Charte, il ne convient pas de refuser la qualité d’agir au particulier qui fait valoir ce droit simplement parce qu’il est un actionnaire ou un administrateur d’une société qui ne pouvait pas invoquer le droit.

Finalement, en ce qui a trait à Villetard, on soutient que, à titre de producteur situé en Alberta titulaire de contingent et de permis fédéral et provincial, il n’a pas la qualité d’agir pour soulever des présumées violations des droits que confère la Charte aux producteurs d’œufs dans les Territoires du Nord-Ouest. À mon avis, un tel argument ne tient pas compte de la possibilité que Villetard ait un intérêt à titre d’acheteur en Alberta d’œufs produits dans les Territoires, un achat interdit aux termes du règlement sur l’octroi de permis lorsque le producteur dans les Territoires n’a pas de contingent pour commercialiser des œufs dans le commerce interprovincial[13].

Je suis d’accord avec l’argument invoqué par l’OCCO au sujet de l’absence de qualité des sociétés demanderesses. Il semble maintenant réglé, du moins devant notre Cour, que les sociétés n’ont aucun intérêt garanti par l’alinéa 6(2)b)[14] et l’article 7[15] de la Charte qui ont été interprétés comme visant les droits des particuliers. Les demandeurs soutiennent que la question de savoir si une société a qualité pour contester la validité d’une loi qui porterait atteinte aux droits d’autres personnes aux termes de l’article 15 de la Charte, même si les intérêts de la société ne sont pas garantis par cet article, serait une question que la Cour suprême du Canada a expressément laissé sans réponse[16]. Pour notre Cour, cette question paraît avoir été tranchée à ce stade par la Cour d’appel qui a refusé la qualité d’agir à une société relativement à la contestation d’une loi qui aurait porté atteinte au paragraphe 15(1)[17].

Les demandeurs soutiennent que si la qualité d’agir est une question importante, la Cour, par son pouvoir discrétionnaire, devrait accorder cette qualité dans l’intérêt public sur le fondement des normes énoncées dans l’arrêt Ministre de la Justice du Canada et autre c. Borowski[18]. À l’égard des trois exigences qui ont été énoncées, je conviens que, en l’espèce, une question importante a été soulevée relativement au paragraphe 15(1) de la Charte et que les sociétés demanderesses sont véritablement intéressées par la question de la validité du plan de commercialisation et de sa législation habilitante. Toutefois, puisque je suis d’avis que l’intérêt en l’espèce peut être soulevé par des demandeurs à titre individuel, il n’est pas nécessaire d’accorder aux sociétés une qualité pour agir fondée sur l’intérêt public.

J’examine maintenant les divers droits conférés par la Charte auxquels, en l’espèce, on aurait porté atteinte. Dans la mesure où ces prétentions ne sont pas manifestement futiles, dans le sens que les demandeurs ne peuvent avoir gain de cause, je souligne, à l’égard de chacun d’entre eux, quel demandeur, outre les sociétés, a qualité pour faire valoir la demande.

Les dispositions contestées et l’alinéa 6(2)b) de la Charte

L’OCCO soutient qu’il est clair et manifeste que les dispositions contestées ne portent pas atteinte aux droits à la liberté de circulation que garantit le paragraphe 6(2) de la Charte. Voici le texte de cet article :

6. (1) Tout citoyen canadien a le droit de demeurer au Canada, d’y entrer ou d’en sortir.

(2) Tout citoyen canadien et toute personne ayant le statut de résident permanent au Canada ont le droit :

a) de se déplacer dans tout le pays et d’établir leur résidence dans toute province;

b) de gagner leur vie dans toute province.

(3) Les droits mentionnés au paragraphe (2) sont subordonnés :

a) aux lois et usages d’application générale en vigueur dans une province donnée, s’ils n’établissent entre les personnes aucune distinction fondée principalement sur la province de résidence antérieure ou actuelle;

b) aux lois prévoyant de justes conditions de résidence en vue de l’obtention des services sociaux publics.

(4) Les paragraphes (2) et (3) n’ont pas pour objet d’interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer, dans une province, la situation d’individus défavorisés socialement ou économiquement, si le taux d’emploi dans la province est inférieur à la moyenne nationale.

L’OCCO et Sa Majesté soutiennent que le plan de commercialisation, aux termes des dispositions contestées, ne porte pas atteinte aux « droits à la liberté de la circulation » et que l’alinéa 6(2)b) ne crée pas un droit indépendant au travail ou un droit à des contingents de production ou de commercialisation. Qui plus est, le plan s’inscrit dans le cadre de l’alinéa 6(3)a) comme une loi d’application générale en vigueur dans les Territoires du Nord-Ouest, comme ailleurs, qui n’établit « entre les personnes aucune distinction fondée principalement sur la province de résidence antérieure ou actuelle ».

Les demandeurs contestent cette position. Les demandeurs Richardson, Villetard et Martel soutiennent qu’ils ne peuvent commercialiser leurs œufs à l’extérieur des Territoires parce qu’ils ne peuvent obtenir un contingent fédéral et que cette situation les prive du droit que garantit l’alinéa 6(2)b) de gagner leur vie dans toute province du Canada. En outre, le fait que les demandeurs Villetard exploitant une entreprise sous le nom de Villetard’s Eggs et Villetard’s Eggs peuvent acheter des œufs de toute province à l’exception des Territoires du Nord-Ouest (et du Yukon) porte atteinte aux droits que leur confère l’alinéa 6(2)b). Le plan de commercialisation actuel n’est pas sauvegardé par l’alinéa 6(3)a) parce qu’il établit une discrimination selon la province de résidence.

Les deux parties se fondent sur la jurisprudence relative à l’alinéa 6(2)b). Dans l’arrêt Law Society of Upper Canada c. Skapinker[19], le juge Estey a refusé de conclure qu’un droit distinct au travail devait être déduit de l’alinéa 6(2)b); plutôt cet article assure aux citoyens et aux résidents permanents le droit de gagner leur vie dans toute province que la personne y réside ou non, lorsqu’on examine le concept de la liberté de circulation. Dans l’arrêt Black c. Law Society of Alberta, qui traitait des règles du Barreau provincial interdisant à des résidents de s’associer à des non-résidents dans la pratique du droit dans la province, le juge La Forest, lorsqu’il a conclu que la règle violait le paragraphe 6(2), a dit[20] :

À mon sens, l’al. 6(2)b) garantit non seulement le droit de gagner sa vie mais, plus précisément, le droit de gagner sa vie selon la profession ou le métier de son choix tout en étant assujetti aux mêmes conditions que les résidents.

Le paragraphe 6(2) était destiné à protéger le droit d’un citoyen (et par extension celui d’un résident permanent) de se déplacer à l’intérieur du pays, d’établir sa résidence à l’endroit de son choix et de gagner sa vie sans égard aux frontières provinciales. Les provinces peuvent évidemment réglementer ces droits (selon l’arrêt Skapinker). Cependant, sous réserve des exceptions contenues à l’article premier et à l’art. 6 de la Charte, elles ne peuvent le faire en fonction des frontières provinciales. Ce serait déroger aux droits que possède le citoyen, en sa qualité même de citoyen, d’être traité également partout au Canada.

À mon avis, si les provinces ne peuvent réglementer la manière pour les citoyens de gagner leur vie en termes de frontières provinciales, le Parlement ne peut lui non plus le faire, compte tenu de l’alinéa 6(2)b) et c’est ce qui ressort implicitement du texte de l’exception par rapport aux lois d’application générale dans l’alinéa 6(3)a).

Dans l’arrêt R. v. Quesnel[21], la validité de la loi ontarienne en matière de commercialisation et son système de contingent imposé a été contestée par le défendeur, accusé d’avoir interdit l’inspection aux termes du plan, en partie sur le fondement qu’il portait atteinte à l’article 6 de la Charte. La Cour d’appel de l’Ontario a conclu que l’article 6 ne s’appliquait pas lorsqu’un résident de la province cherchait simplement à élever des poulets sans obtenir un contingent approprié; l’alinéa 6(2)b) n’accorde pas au résident d’une province [traduction] « un droit constitutionnel indépendant de travailler dans sa province de résidence qui prévaudrait sur la disposition provinciale ». Cet article de la Charte n’enchâsse pas non plus un droit qui empêche l’application d’une loi fédérale d’application générale compatible avec l’alinéa 6(3)a), même si elle permet de traiter différemment les requérants dans la même province[22]. Finalement, il a été jugé que des dispositions législatives comparables à celle visée en l’espèce, concernant la commercialisation des poulets ne portaient pas atteinte aux droits des producteurs de l’Ontario qui cherchaient à commercialiser des poulets au Québec sans contingent interprovincial. Dans cette dernière affaire, mon collègue le juge Strayer a dit[23] :

Il me semble que, en vertu de l’alinéa 6(3)a), on puisse apporter des restrictions au droit énoncé à l’alinéa 6(2)b) au moyen de lois d’application générale pour autant que celles-ci n’établissent « entre les personnes aucune distinction fondée principalement sur la province de résidence antérieure ou actuelle ». À mon avis, les lois sur la commercialisation en question en l’espèce sont d’application générale. Se référant au système de contingentement, elles n’établissent, à l’encontre d’une personne, aucune distinction fondée sur sa province de résidence antérieure ou actuelle … On ne peut pas dire non plus que les requérants n’ont pas le droit de vendre au Québec simplement parce qu’ils sont résidents de l’Ontario. C’est plutôt parce qu’ils n’ont pas de contingents interprovinciaux, et ces contingents ont été délivrés sans qu’il ait expressément été fait mention de la résidence du producteur. Je conclus donc qu’il n’y a pas conflit avec l’article 6 de la Charte.

Je suis convaincu qu’on peut établir une distinction d’avec cette dernière affaire compte tenu du contexte dans lequel la question est soulevée en l’espèce. Dans la présente affaire, les producteurs visés dans les Territoires du Nord-Ouest, ne pourraient participer au commerce interprovincial parce que le plan tel qu’il est constitué actuellement empêche qu’on leur attribue un contingent et son effet, d’exclure la participation dans la commercialisation interprovinciale, constitue une exclusion liée à la résidence dans la province et aux frontières de celle-ci, pas simplement à l’absence d’attribution d’un contingent. Il peut être difficile pour les demandeurs à titre individuel de persuader un juge de première instance que l’accord de commercialisation porte atteinte à l’alinéa 6(2)b) de la Charte, mais à ce stade, je ne peux conclure qu’il est clair et manifeste qu’ils n’auront pas gain de cause s’ils ont l’occasion de présenter leurs éléments de preuve et leurs arguments de manière complète.

En ce qui a trait au demandeur Villetard, exploitant une entreprise sous le nom de Villetard’s Eggs, et Villetard’s Eggs, leurs droits de « gagner leur vie » en Alberta par l’achat d’œufs de producteurs des Territoires du Nord-Ouest et de producteurs d’autres provinces du Canada, peuvent être encore plus difficiles à établir comme droits garantis par l’alinéa 6(2)b ), mais encore une fois, tant que leurs éléments de preuve et leurs arguments n’auront pas été entendus de manière complète, je serais d’avis de ne pas conclure qu’ils ne peuvent avoir gain de cause à l’instance. À mon avis, il n’est pas clair et manifeste qu’il n’y a aucune possibilité qu’ils aient gain de cause dans cette demande.

Les dispositions contestées et l’article 7 de la Charte

Ni les demandeurs ni l’intervenant, qui a appuyé leur position, n’ont présenté d’arguments à l’instance à l’appui de la prétention des demandeurs selon laquelle les dispositions contestées ne sont pas compatibles avec l’article 7 de la Charte.

Je suis d’accord avec l’OCCO et Sa Majesté qu’il est clair et manifeste que cette prétention ne peut avoir gain de cause si cette affaire est entendue. Voici le texte de l’article 7 :

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Il est bien établi que des intérêts purement économiques comme ceux qui sont affirmés en l’espèce par les demandeurs ne sont pas protégés par l’article 7[24].

Le plan de commercialisation et le paragraphe 15(1) de la Charte

L’OCCO et Sa Majesté la Reine soutiennent que, outre la question de la qualité pour agir, la prétention des demandeurs selon laquelle les dispositions contestées portent atteinte au paragraphe 15(1) de la Charte ne doit pas être retenue parce qu’elle ne se rapporte pas à la discrimination selon les termes des motifs qui y sont énumérés ou de motifs analogues. Voici le texte du paragraphe 15(1) :

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

L’OCCO soutient que dans cette action, les demandeurs font valoir des droits purement économiques qui ne se rapportent pas aux caractéristiques personnelles de ceux qui prétendent être traités inégalement selon les termes énumérés au paragraphe 15(1) ou selon des termes analogues. Même si l’on peut dire que les producteurs d’œufs des Territoires du Nord-Ouest sont traités différemment en ce qui a trait à un contingent fédéral, le plan ne révèle aucune mesure discriminatoire dans le contexte de la Charte. Ces producteurs d’œufs ne peuvent être décrits comme une [traduction] « minorité discrète et isolée » du genre qui cherche à être protégée par le paragraphe 15(1).

Les demandeurs soutiennent que les demandeurs à titre individuel Richardson, Gary Villetard et Pat Martel n’ont pas obtenu l’égalité dans la loi et l’égalité devant la loi étant donné qu’ils ne pouvaient demander un contingent fédéral pour la commercialisation des œufs interprovinciale, alors que les autres producteurs d’œufs au Canada à l’extérieur des Territoires du Nord-Ouest peuvent le faire.

Ils ont également soutenu que les demandeurs Villetard exploitant une entreprise sous le nom de Villetard’s Eggs et Villetard’s Eggs n’ont pas obtenu l’égalité dans la loi parce qu’ils ne peuvent acheter d’œufs des producteurs des Territoires du Nord-Ouest étant donné que ceux-ci ne peuvent obtenir un contingent fédéral, toutefois je ne suis pas d’avis qu’il s’agit d’un déni d’égalité, ou même d’un traitement différent relatif à leur situation ou à leur résidence en Alberta, le fondement de la prétention des demandeurs selon lesquels ils n’ont pas été traités également en vertu de la loi. Villetard, décrit comme un demandeur, est dans la même position que tout autre acheteur d’œufs situé dans une des provinces du Canada et ce groupe ne constitue pas une minorité discrète, et leur province de résidence ne constitue pas un moyen sur lequel l’incapacité d’acheter de producteurs dans les Territoires du Nord-Ouest est fondée.

En l’espèce les demandeurs Richardson, Villetard et Martel soutiennent, à titre de producteurs d’œufs dans les Territoires du Nord-Ouest, que le plan de commercialisation est discriminatoire, interdisant seulement aux producteurs dans les Territoires de pouvoir demander un contingent et cette différence se rapporte à leur province de résidence, une caractéristique personnelle analogue à celles énoncées au paragraphe 15(1).

À mon avis, en l’espèce, les demandeurs Richardson, Villetard et Martel peuvent faire valoir que, à titre de producteurs d’œufs dans les Territoires du Nord-Ouest, ils n’ont pas obtenu l’égalité dans la loi parce qu’ils n’ont pas la possibilité de demander ou d’obtenir un contingent fédéral. La question de savoir si ce refus se rapporte à leur province de résidence à titre de producteurs est discutable et la question de savoir si leur province de résidence constitue une caractéristique personnelle qui entraînerait la conclusion que la loi est discriminatoire au sens du paragraphe (1) est une question défendable qui n’a pas été encore clairement tranchée.

Dans l’arrêt R. c. Turpin, tout en concluant que les dispositions du Code criminel [S.R.C. 1970, ch. C-34] visées dans cette affaire n’étaient pas discriminatoires au sens du paragraphe 15(1), Madame le juge Wilson, s’exprimant pour la Cour suprême, a dit[25] :

Je ne veux pas dire que la province de résidence d’une personne ou le lieu du procès ne pourraient pas, dans des circonstances particulières, être une caractéristique personnelle d’un individu ou d’un groupe d’individus susceptible de constituer un motif de discrimination. Je dis simplement que ce n’est pas le cas en l’espèce.

Dans ce cas particulier, les appelants prétendent appartenir à un groupe défavorisé composé de toutes les personnes accusées ailleurs qu’en Alberta d’une des infractions énumérées à l’art. 427; c’est cette prétention que j’ai rejetée. Cela n’empêche pas, à mon sens, qu’il soit possible que certaines différences dans le droit criminel ou la procédure en matière criminelle d’une province à l’autre puissent engendrer de la discrimination au sens de la définition donnée par cette Cour à la majorité dans l’arrêt Andrews[26].

Mentionnant ces observations dans l’arrêt R. c. S. (S.)[27], le juge en chef Lamer, tout en rejetant l’argument qu’il y avait eu violation du paragraphe 15(1), à l’égard des jeunes contrevenants en Ontario, par la loi fédérale autorisant l’adoption par les procureurs généraux des provinces de mesures punitives de rechange mais qui n’avaient pas été appliquées en Ontario, a fait remarquer :

Je suis d’accord avec le juge Wilson qu’il convient de procéder cas par cas pour déterminer si des distinctions fondées sur la province qui résultent de l’application d’une loi fédérale vont à l’encontre du par. 15(1) de la Charte.

Les défendeurs soutiennent qu’une contestation presque identique à celle qui est soulevée en l’espèce par les demandeurs relativement au paragraphe 15(1) de la Charte a été rejetée par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrêt Milk Bd. v. Clearview Dairy Farm Inc.[28] Dans cette affaire, la Cour a rejeté un appel contre une décision accordant une injonction contre la vente par la laiterie défenderesse, qui n’avait aucun contingent pour vendre du lait liquide ou du lait de transformation et qui a refusé un jugement déclaratoire demandé par la laiterie défenderesse selon lequel le plan de commercialisation du lait, analogue à celui visé en l’espèce relatif à la commercialisation des œufs, portait atteinte au paragraphe 15(1) de la Charte. La laiterie a fait valoir le droit de vendre du lait de transformation, sans contingent provincial, à une fromagerie située dans la province qui vendait ses produits dans le commerce intraprovincial et interprovincial. La Cour d’appel a maintenu la conclusion selon laquelle le plan de commercialisation n’avait pas porté atteinte à un droit garanti par le paragraphe 15(1). Les demandeurs établissent une distinction d’avec cette affaire. Je conviens que cette affaire ne traite pas de la question qu’ils cherchent à soulever, car l’affaire portait sur une contestation de l’attribution de contingents de lait par un office provincial, aux termes d’un accord fédéral-provincial comparable à celui concernant la commercialisation des œufs mais ce contingent se rapportait à la vente à l’intérieur de la province, une question de commerce intraprovincial. La question soulevée dans cette affaire ne traitait pas de la validité de la loi fédérale qui, soutient-on, ne permet pas de participer dans le commerce interprovincial en raison de la province de résidence des producteurs, dans les Territoires du Nord-Ouest, la question que les demandeurs cherchent à soulever en l’espèce.

Par conséquent, bien que les sociétés demanderesses n’aient pas qualité d’agir pour contester le plan de commercialisation en soutenant qu’il n’est pas conforme au paragraphe 15(1) de la Charte, et à mon avis, le demandeur Villetard exploitant une entreprise sous le nom de Villetard’s Eggs et Villetard’s Eggs ne peuvent soutenir qu’il y a eu violation des droits que confère le paragraphe 15(1), il en est autrement des demandeurs à titre individuel Richardson, Villetard et Martel à titre de producteurs dans les Territoires du Nord-Ouest. Je ne veux nullement laisser entendre qu’ils pourraient avoir gain de cause si le plan de commercialisation est contesté pour le motif qu’il porte atteinte aux droits que leur confère le paragraphe 15(1). Toutefois, à ce stade, je ne suis pas convaincu qu’il est clair et manifeste que leur prétention à cet égard n’ait aucune chance de succès si l’affaire est entendue.

Conclusion

Je résume mes conclusions.

Je n’admets pas la demande des défendeurs portant annulation de toutes les prétentions des demandeurs et par conséquent de la déclaration au complet. Toutefois, je suis convaincu que deux des prétentions des demandeurs n’ont aucune chance de succès et devraient être annulées, même à ce stade préliminaire.

À mon avis, il est clair et manifeste que la modification de la déclaration modifiée des demandeurs ne révèle pas une cause d’action raisonnable c’est-à-dire, une cause d’action qui pourrait avoir une chance de succès, dans les prétentions suivantes :

1)         que les dispositions contestées (article 23 de la Loi, article 3, le paragraphe 4(1), les l’alinéas 7(1)d) et 7(1)a) du Règlement sur l’octroi de permis et l’alinéa 4(1)a), le paragraphe 5(2), l’article 6 et le paragraphe 7(1) du Règlement sur le contingentement ne s’appliquent pas à un producteur d’œufs commercial dans les Territoires du Nord-Ouest ou à la commercialisation dans les provinces du Canada d’œufs produits dans les Territoires du Nord-Ouest;

2)         que les dispositions contestées ne sont pas conformes à l’article 7 de la Charte.

Qui plus est, je conclus qu’il est clair et manifeste que les prétentions des sociétés demanderesses contestant les dispositions visées pour le motif qu’elles ne sont pas compatibles avec les droits garantis aux citoyens ou aux résidents permanents du Canada aux termes de l’alinéa 6(2)b) de la Charte et des droits conférés aux particuliers aux termes du paragraphe 15(1), n’ont aucune chance de succès si elles devaient être entendues. Finalement, je conclus que les demandeurs Villetard, exploitant une entreprise sous le nom de Villetard’s Eggs et Villetard’s Eggs n’ont aucune chance d’avoir gain de cause quant à la prétention selon laquelle les droits garantis par le paragraphe 15(1) de la Charte ne leur sont pas conférés.

Malgré les arguments bien présentés de l’OCCO et de Sa Majesté la Reine, je ne suis pas convaincu que la jurisprudence citée empêche tous les demandeurs d’avoir gain de cause en ce qui a trait aux prétentions fondées sur l’article 121 de la Loi constitutionnelle de 1867. De même, les prétentions des demandeurs à titre individuel Richardson, Villetard et Martel à titre de producteurs d’œufs dans les Territoires du Nord-Ouest et la prétention de Villetard’s Eggs selon lesquelles les dispositions contestées portent atteinte aux droits que leur confère l’alinéa 6(2)b) de la Charte, n’ont pas, à mon avis, clairement et manifestement aucune chance de succès. J’arrive à la même conclusion en ce qui a trait aux prétentions des demandeurs à titre individuel en tant que producteurs d’œufs dans les Territoires du Nord-Ouest relativement au paragraphe 15(1) de la Charte lorsque leurs prétentions portent essentiellement sur le fait que le plan de commercialisation établit une distinction sur le fondement de la province où ils résident.

Puisque c’est ma conclusion, il n’est pas possible de radier les prétentions dont on ne peut dire qu’elles n’ont aucune chance de succès sur le fondement du moyen subsidiaire présenté dans la requête de l’OCCO. Ces prétentions ne peuvent être qualifiées de futiles ou vexatoires aux termes de la Règle 419(1)c).

Compte tenu de ces conclusions, il convient d’accueillir en partie la demande de l’OCCO et d’ordonner la radiation des parties suivantes de la modification de la déclaration modifiée :

1) le paragraphe 13 au complet;

2) dans le paragraphe 15,

a) les renvois aux sociétés demanderesses Pineview et 355210 Alberta Ltd., aux lignes 1 et 7 et 8;

b) les termes, aux lignes 5 et 6 de ce paragraphe [traduction] « et leurs droits à la liberté et le droit de ne pas en être privés sauf en conformité avec les principes de justice fondamentale prévus à l’article 7 de la Loi constitutionnelle de 1982 »;

3)         dans le paragraphe 16, le renvoi aux sociétés demanderesses Pineview et 355210 Alberta Ltd.;

4)         le paragraphe 18 au complet;

5)         dans la demande de redressement des demandeurs, après le paragraphe 19,

a) le sous-alinéa (i) au complet; et

b) dans le sous-alinéa (ii), la ligne 4, le terme « article 7 ».

Dans sa requête, l’OCCO a demandé qu’on lui adjuge les dépens dans la présente demande et dans l’instance jusqu’à présent. Je règle la demande sur le fondement que la requête est accueillie en partie seulement. Dans les circonstances, il me semble approprié à ce stade que les dépens suivent l’issue de la cause et c’est ce qui est prévu dans l’ordonnance rendue en l’espèce.



[1] Pour compléter le tableau, je note que l’OCCO dans des actions distinctes contre les demanderesses Pineview et contre Frank Richardson exploitant une entreprise sous le nom de Northern Poultry a demandé des injonctions pour leur interdire de commercialiser des œufs à l’extérieur des Territoires du Nord-Ouest où ces œufs avaient été produits. Les demandes d’injonction interlocutoire dans ces actions devant la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest ont été entendues et rejetées le 2 décembre 1992. (Canadian Egg Marketing Agency v. Richardson, [1993] 2 W.W.R. 453 (C.S.T.N.-O.).)

[2] Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735, le juge Estey, à la p. 740; Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441 le juge Dickson (alors juge puîné), aux p. 449 et 450. Voir également Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959 qui traite de la Règle 19(24)a) des Rules of Court de la C.-B., une disposition semblable à la Règle 419(1)a) des Règles de la Cour fédérale.

[3] [1978] 2 R.C.S. 1198; mentionné précédemment dans l’exposé des faits présenté par l’OCCO, avec lequel les demandeurs étaient d’accord d’une manière générale. L’arrêt est mentionné ci-après dans les présents motifs d’une manière générale comme « le Renvoi sur les œufs ».

[4] Attorney General for Ontario v. Attorney General for Canada, [1912] A.C. 571 (P.C.), à la p. 589.

[5] Supra, note 3, à la p. 1265.

[6] Idem, à la p. 1215.

[7] Idem, aux p. 1293-1297.

[8] Précité, note 3, aux p. 1266 et 1268. M. le juge Pigeon, qui a rédigé pour son propre compte et pour quatre autres juges de la Cour suprême, était d’un avis différent sur un aspect mais était d’accord en général, sans renvoi précis à l’art. 121, avec la réponse du juge en chef à la question (no 3) à l’égard de laquelle l’argument concernant l’art. 121 a été soulevé. Par conséquent, la Cour paraît avoir à l’unanimité, adopté les opinions exprimées par le juge en chef Laskin au sujet de l’argument portant sur l’art. 121.

[9] [Gold Seal Ltd. v. Attorney General of Alberta] (1921), 62 R.C.S. 424.

[10] [Murphy v. Canadian Pacific Railway Company and the Attorney General of Canada], [1958] R.C.S. 626.

[11] [1971] R.C.S. 689, à la p. 717.

[12] Voir Central Amusement (N.B.) v. Atlantic Lottery Corp. et al. (1991), 115 N.B.R. (2d) 429 (B.R.); Cabre Exploration Ltd. v. Arndt and Alberta (1988), 87 A.R. 149 (C.A.), à la p. 152; Parkdale Hotel Ltd. c. Canada (procureur général), [1986] 2 C.F. 514 (1re inst.), à la p. 521.

[13] Règlement de 1987 sur l’octroi de permis visant les œufs du Canada, art. 7(1)e).

[14] Parkdale Hotel Ltd. c. Canada (procureur général), précitée, note 12.

[15] Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, aux p. 1002 à 1004.

[16] Rudolf Wolff & Co. c. Canada, [1990] 1 R.C.S. 695, à la p. 703. Voir également Cabre Exploration Ltd. v. Arndt and Alberta (1988), 87 A.R. 149 (C.A.), à la p. 152 dans lequel la Cour d’appel de l’Alberta a maintenu la décision du juge de première instance qui a reconnu qu’une société avait suffisamment d’intérêt dans la question pour contester une loi provinciale qui aurait porté atteinte aux intérêts de parties non constituées en société.

[17] Organisation nationale anti-pauvreté c. Canada (Procureur général), [1989] 3 C.F. 684 (C.A.), le juge Stone J.C.A., aux p. 703 et 704; Canada (Procureur général) c. Central Cartage Co., [1990] 2 C.F. 641 (C.A.), le juge en chef Iacobucci, à la p. 657.

[18] [1981] 2 R.C.S. 575.

[19] [1984] 1 R.C.S. 357, aux p. 382 et 383.

[20] [1989] 1 R.C.S. 591, aux p. 617 et 618, 620 et 621.

[21] (1985), 53 O.R. (2d) 338 (C.A.), aux p. 344 et 346.

[22] Demaere c. La Reine (Canada), [1983] 2 C.F. 755 (C.A.).

[23] Groupe des éleveurs de volailles de l’est de l’Ontario c. Office canadien de commercialisation des poulets, [1985] 1 C.F. 280 (1re inst.), aux p. 321 et 322.

[24] Voir Smith, Kline & French Laboratories Limited c. Procureur général du Canada, [1986] 1 C.F. 274 (1re inst.), à la p. 313 conf. par [1987] 2 C.F. 359 (C.A.) autorisation d’interjeter pour voix refusée [1987] 1 R.C.S. xiv; Weyer c. Canada (1988), 83 N.R. 272 (C.A.F.), à la p. 276; Renvoi relatif à l’art. 193 et à l’al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123, le juge Lamer (alors juge puîné), aux p. 1166 à 1180.

[25] [1989] 1 R.C.S. 1296, aux p. 1333 et 1334.

[26] Renvoi ajouté à la citation : Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143.

[27] [1990] 2 R.C.S. 254, à la p. 289.

[28] [1987] 4 W.W.R. 279 (C.A.C.-B.), à la p. 288.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.