[1994] 3 .C.F 228
A-664-91
Procureur général du Canada (requérant)
c.
James Robinson et Commission canadienne des droits de la personne (intimés)
Répertorié : Canada (Procureur général) c. Robinson (C.A.)
Cour d’appel, juges Mahoney, Stone et Robertson, J.C.A.—Ottawa, 3 mars et 24 mai 1994.
Forces armées — Soldat épileptique, mécanicien de bord, déclaré inapte à exercer tout métier au sein des Forces armées canadiennes en raison d’une déficience — La politique générale excluant tous les épileptiques est une exigence professionnelle justifiée pour tous les métiers au sein des FAC — Politique du « soldat d’abord » — La Loi sur la défense nationale assujettit les soldats à l’obligation d’exercer des fonctions de combat — Le fait que les soldats exerçant un rôle de soutien soient moins susceptibles d’être affectés à des fonctions de combat n’est pas pertinent.
Droits de la personne — Exigence professionnelle justifiée — L’exclusion générale de tous les épileptiques est une exigence professionnelle justifiée pour tous les métiers au sein des Forces armées canadiennes — Le critère du « risque suffisant d’erreur humaine » s’applique — Analyse de la question de savoir si un examen individuel constituerait une « solution pratique autre » que l’adoption d’une règle discriminatoire compte tenu que cette règle s’appliquerait à des personnes qui peuvent être tenues d’exercer des fonctions de combat — Il n’existe pas d’obligation d’accommodement dans les cas de discrimination directe.
L’intimé Robinson, un mécanicien de bord, était membre des Forces armées depuis vingt-et-un ans lorsqu’on a diagnostiqué qu’il souffrait d’épilepsie. Il a posé sa candidature au poste de conseiller en matière d’alcoolisme à la Clinique de réadaptation pour alcooliques de la région des prairies des FAC. Bien qu’il ait été admissible à ce poste, sa candidature a été rejetée et il a été libéré des Forces armées par application de la politique des « militaires exempts de crises ». La demande visait l’annulation de la décision par laquelle le tribunal canadien des droits de la personne a statué que les FAC avaient fait preuve de discrimination fondée sur une déficience à l’égard de l’intimé. L’intimé soutenait que l’omission des FAC d’envisager la possibilité de le muter à un autre métier constituait un acte discriminatoire interdit par l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Arrêt : la demande doit être accueillie.
La première objection préliminaire portant que le tribunal avait outrepassé sa compétence n’était pas fondée. Le fait que le tribunal ait conclu que la politique des « militaires exempts de crises » des FAC contrevenait à l’article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, alors que la plainte était fondée sur l’article 7 de la Loi, n’était pas pertinent. La deuxième objection préliminaire portait que le tribunal avait porté son analyse au-delà des allégations énoncées dans la plainte. Il n’a pas décidé uniquement si l’intimé avait été victime de discrimination du fait qu’il n’avait pas obtenu le poste de conseiller en matière d’alcoolisme, mais aussi si l’omission des FAC d’envisager la possibilité de le muter à un autre métier constituait un acte discriminatoire. Ces deux allégations ne peuvent être distinguées l’une de l’autre et les parties les ont traitées toutes les deux devant le tribunal. Les formules de plainte ne sont pas des actes d’accusation en matière criminelle. Dans le contexte des droits de la personne, il faut qu’un préjudice ait effectivement été subi. Aucune preuve d’un préjudice n’a été soumise.
Étant donné qu’il n’existe pas d’obligation d’accommodement en cas de discrimination directe et que la politique des « militaires exempts de crises » des FAC crée une discrimination directe, les FAC n’avaient pas d’obligation en droit d’accommoder l’intimé en le mutant à un autre métier.
Le juge Stone, J.C.A. (le juge Mahoney, J.C.A., a souscrit à ces motifs) : La norme médicale en cause se justifiait objectivement et constituait par conséquent une exigence professionnelle justifiée du fait que tous les membres de la force régulière sont tenus, en application de l’article 33 de la Loi sur la défense nationale, de participer au combat si on le leur demande ou si les circonstances l’exigent. Il n’est pas possible de déroger à l’obligation que la Loi impose à M. Robinson en sa qualité de membre de la force régulière et qui le rend « en permanence soumis à l’obligation de service légitime ». Le fait que les membres des FAC qui exercent des rôles de soutien soient moins susceptibles d’être appelés à exercer des fonctions de combat n’est pas pertinent.
En ce qui a trait au caractère suffisant du risque d’erreur humaine, le critère établi dans l’affaire Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d’Etobicoke s’appliquait. Par conséquent, l’application par le tribunal du critère dit du risque « substantiel » constitue une erreur de droit. Il peut être approprié, dans certaines circonstances, de tenir compte de la possibilité d’un examen individuel comme « solution pratique autre » que l’adoption d’une règle discriminatoire. Lorsque le tribunal entendra à nouveau l’affaire, qui lui est renvoyée, il devra se demander s’il s’agit d’un cas où il serait possible d’avoir recours à une solution pratique autre que l’adoption d’une règle discriminatoire compte tenu que cette règle s’appliquerait à des personnes qui peuvent être tenues d’exercer des fonctions de combat.
Le juge Robertson, J.C.A. (motifs concordants quant au résultat) : Le critère en trois volets énoncé et appliqué par le tribunal révèle qu’il avait une perception fondamentalement erronée de la jurisprudence pertinente. Le tribunal a déclaré que les FAC devaient faire la preuve : (i) que les épileptiques présentent un risque d’erreur humaine suffisant pour justifier leur exclusion générale; (ii) qu’il est impossible d’évaluer individuellement le risque que présente chaque épileptique dans les FAC et (iii) que l’exclusion générale des épileptiques ne constitue pas un moyen excessif ou disproportionné d’assurer que les membres des FAC représentent un risque d’erreur humaine acceptable. (i) Il a commis une erreur en adoptant la norme du risque « substantiel » pour déterminer le degré de risque nécessaire à l’existence d’une EPJ. (ii) De plus, en présupposant que l’évaluation individuelle doit être ordonnée, si possible, le tribunal semble avoir confondu l’appréciation de la validité d’une EPJ et l’analyse de la question de savoir si une règle a été posée en termes trop larges pour être raisonnablement nécessaire. (iii) Enfin, le tribunal a commis une erreur en considérant le critère de la proportionnalité comme un critère distinct d’appréciation d’une EPJ.
On a analysé le rôle de l’évaluation individuelle et de ce qu’on appelle le critère de la proportionnalité dans l’examen de la question de savoir si une exigence professionnelle constitue une EPJ. Lorsqu’un employeur a établi qu’une exigence professionnelle est une EPJ, il n’existe aucune obligation d’« évaluer individuellement » tous les employés touchés par cette politique. Les caractéristiques et les particularités individuelles d’un employé ne sont pas pertinentes à moins qu’il ne soit démontré que l’exigence professionnelle n’est pas une EPJ. Toutefois, c’est à l’employeur qu’il incombe d’établir que l’examen individuel ne constitue pas une solution pratique autre que l’adoption d’une exigence professionnelle de prime abord discriminatoire. En l’espèce, les FAC avaient le fardeau de démontrer que la politique générale des « militaires exempts de crises » était raisonnablement nécessaire, malgré qu’il existe quatre types différents d’épilepsie et que chacun comporte un risque d’erreur humaine différent.
Pour décider si une exigence professionnelle est une EPJ, il faut déterminer la nature de l’emploi en cause. En l’espèce, il s’agissait de déterminer si tous les membres des Forces armées sont d’abord et avant tout des soldats, soumis à l’obligation d’exercer des fonctions de combat. La Loi sur la défense nationale n’exige pas que tous les membres des FAC soient en mesure d’exécuter des fonctions de combat. Elle prévoit simplement que tous les membres en service sont soumis à l’obligation de « service légitime ». Elle permet aux FAC d’adopter toute politique précisant quel service légitime peut être requis des membres des FAC. Les FAC ont même reconnu que des milliers de militaires ne répondent pas aux normes médicales minimales et sont toujours en service actif dans les Forces parce qu’ils bénéficient d’une exemption. L’une des caractéristiques distinctives d’une politique « légitime » valide est l’uniformité de son application. Toutefois, la preuve produite établit soit que les FAC n’appliquent pas la politique du « soldat d’abord » de façon uniforme, soit que cette politique est appliquée de façon discriminatoire—bien que le plaignant ait été libéré des Forces au motif qu’il était inapte aux fonctions militaires, y compris aux fonctions de combat, il a obtenu une exemption de catégorie médicale pour occuper un poste, que les FAC qualifient de poste de combat, au sein de la Milice. Il semble que la politique du « soldat d’abord » a été simplement invoquée comme un argument juridique sur lequel on insiste ou que l’on atténue, selon les circonstances.
Quant au degré de risque nécessaire pour établir l’existence d’une EPJ, le tribunal a commis une erreur de droit en appliquant le critère dit du risque « substantiel ». Le critère approprié d’appréciation d’une EPJ, énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Etobicoke, était celui de savoir s’il existait un « risque suffisant d’erreur humaine ».
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 7, 10a), 15a).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 28 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8).
Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5, art. 33(1) (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 60, ann. I, art. 15), 34(1) (mod., idem).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Canada (Procureur général) c. St. Thomas et Commission canadienne des droits de la personne (1993), 162 N.R. 228 (C.A.F.); Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d’Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202; (1982), 132 D.L.R. (3d) 14; 82 CLLC 17,005; 40 N.R. 159; Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Forces armées), [1994] 3 F.C. 188 (C.A.); Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536; (1985), 52 O.R. (2d) 799; 23 D.L.R. (4th) 321; 17 Admin. L.R. 89; 9 C.C.E.L. 185; 7 C.H.R.R. D/3102; 64 N.R. 161; 12 O.A.C. 241; Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489; (1990), 111 A.R. 241; 72 D.L.R. (4th) 417; [1990] 6 W.W.R. 193; 76 Alta. L.R. (2d) 97; 12 C.H.R.R. D/417; 90 CLLC 17,025; 113 N.R. 161.
DÉCISIONS MENTIONNÉES :
Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Saskatoon (Ville), [1989] 2 R.C.S. 1297; (1989), 65 D.L.R. (4th) 481; [1990] 1 W.W.R. 481; 81 Sask. R. 263; 11 C.H.R.R. D/204; 90 CLLC 17,001; 45 C.R.R. 363; Brossard (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279; (1988), 53 D.L.R. (4th) 609; 10 C.H.R.R. D/5515; 88 CLLC 17,031; Bhinder et autre c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et autres, [1985] 2 R.C.S. 561; (1985), 23 D.L.R. (4th) 481; 17 Admin. L.R. 111; 9 C.C.E.L. 135; 86 CLLC 17,003; 63 N.R. 185; Canadien Pacifique Ltée c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1988] 1 C.F. 209; (1987), 40 D.L.R. (4th) 586 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Rosin, [1991] 1 C.F. 391; (1990), 34 C.C.E.L. 179; 91 CLLC 17,011 (C.A.); Galbraith c. Canada (Forces armées canadiennes) (1989), 10 C.H.R.R. D/6501; 89 CLLC 17,021 (Trib. can.); Air Canada c. Carson, [1985] 1 C.F. 209; (1985), 18 D.L.R. (4th) 72; 6 C.H.R.R. D/2848; 57 N.R. 221 (C.A.).
DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE d’une décision (Robinson c. Canada (Forces armées) (1991), 15 C.H.R.R. D/95 (Trib. can.)) par laquelle le tribunal canadien des droits de la personne a statué que les Forces armées canadiennes avaient fait preuve de discrimination fondée sur une déficience à l’égard de l’intimé Robinson lorsqu’elles l’ont libéré après qu’on eut diagnostiqué qu’il souffrait d’épilepsie. La demande est accueillie.
AVOCATS :
Barbara A. McIsaac, c.r. et Frederick Woyiwada pour le requérant.
Peter C. Engelmann et William F. Pentney pour l’intimée, la Commission canadienne des droits de la personne.
Personne n’a comparu pour l’intimé James Robinson.
PROCUREURS :
Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.
Avocat principal, Commission canadienne des droits de la personne, Ottawa, pour l’intimée, la Commission canadienne des droits de la personne.
James Robinson, Belleville, Ontario, pour l’intimé James Robinson.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Stone, J.C.A. : J’ai eu l’occasion de lire l’ébauche des motifs du jugement de mon collègue, le juge Robertson. Ils contiennent un exposé chronologique et d’autres énoncés de fait, auxquels je souscris. Je suis d’accord avec la conclusion formulée par mon collègue et avec la façon dont il a traité l’objection préliminaire et l’obligation d’accommodement. J’ai toutefois certaines réticences en ce qui a trait à son analyse de la politique du « soldat d’abord ». Je dois donc aborder la question de l’examen individuel d’une manière différente.
L’un des arguments présentés au tribunal [(1991), 15 C.H.R.R. D/95] porte que la norme médicale en cause se justifiait objectivement du fait que tous les membres de la force régulière sont tenus de participer au combat si on le leur demande ou si les circonstances l’exigent. Le tribunal a examiné cet argument aux pages D/129 à D/132 de sa décision (dossier d’appel, aux pages 1449 à 1452). Cet argument se fonde sur une politique qui se reflète dans le paragraphe 33(1) de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 60, ann. I, art. 15], selon laquelle tout membre de la force régulière est « en permanence soumis à l’obligation de service légitime » et peut en outre être tenu de rendre d’autres services dans les circonstances énoncées au paragraphe 34(1) [mod., idem][1].
Il est vrai, comme mon collègue le souligne, que le 1er novembre 1985, M. Robinson a été muté à la Milice en qualité de mécanicien de bord au sol avec le grade de sergent et qu’il a obtenu une exemption de sa catégorie médicale à cet effet. Il est aussi établi, comme l’a conclu le tribunal, que M. Robinson pouvait, en sa qualité de membre de la Milice, être mobilisé automatiquement en cas de guerre. Le tribunal a aussi conclu qu’un grand nombre de militaires demeurent membres des Forces armées uniquement parce qu’ils bénéficient d’une exemption de leur catégorie médicale.
Cela dit, je ne vois pas comment les obligations militaires que la loi impose aux membres de la force régulière pourraient être écartées par les expédients de l’organisation interne des Forces armées, peu importe ce en quoi ils consistent à une époque donnée. Il ne me paraît pas importer non plus que les Forces armées aient passé outre la raison d’être de leur propre norme médicale en mutant M. Robinson à la Milice, l’obligeant ainsi à entrer en service actif en cas de guerre, ou que d’autres militaires aient pu être autorisés à demeurer dans les Forces armées grâce à une exemption de leur catégorie médicale. Selon moi, il n’est pas possible de déroger à l’obligation que la loi impose à M. Robinson en sa qualité de membre de la force régulière et qui le rend « en permanence soumis à l’obligation de service légitime ».
Le premier rôle des membres de la force régulière énoncé dans la loi a été expliqué et illustré par deux des témoins qui ont déposé à l’audience tenue devant le tribunal, savoir le commandant Silvester et le capitaine MacKnie. Le commandant Silvester a déclaré :
[traduction] Q : Quel est le premier rôle des Forces armées canadiennes?
R : Se préparer à faire ce que le gouvernement lui demande de faire en cas de guerre[2].
La preuve a clairement démontré qu’un membre de la force régulière doit être apte à participer au combat. Selon le capitaine MacKnie :
[traduction] Et lorsque vous endossez l’uniforme, vous devenez assujetti à deux ensembles de lois, si vous voulez, le Code de discipline militaire et le droit civil. Et on peut vous demander de faire des choses que vous n’aimez pas particulièrement ou que vous ne voulez pas vraiment faire, mais, à cause de votre entraînement et de l’obligation que vous avez assumée, ou bien vous les faites ou bien vous démissionnez. C’est votre seul choix[3].
Au dire de ce témoin, un membre est tenu [traduction] « d’accomplir toute tâche légitime, peu importe l’endroit et le moment »[4].
Le commandant Silvester a expliqué, par exemple, qu’il n’avait lui-même aucun contrôle sur ses affectations. Lorsqu’on lui a demandé comment il avait reçu son affectation au sein des Forces armées, il a répondu :
[traduction] Et bien, cela fait partie des conditions que de travailler là et où on nous le demande[5].
La teneur générale du témoignage du capitaine MacKnie est semblable :
[traduction] Q. Pourquoi est-ce que chaque membre doit répondre aux exigences militaires fondamentales des militaires du rang?
R. Ce sont des tâches militaires auxquelles on s’attend de tous les membres de l’armée.
Q. Et pourquoi s’attend-on à ce qu’ils possèdent ces habiletés?
R. Ça fait partie de la profession de militaire[6].
Il n’est pas contesté que tous les membres de la force régulière suivent une formation de base en maniement des armes à feu. Leur métier ne les exempte pas de leurs obligations de combat. Le commandant Silvester a cité l’exemple d’un cuisinier faisant partie d’un régiment d’infanterie. Une personne comme celle-là doit recevoir une formation de base en maniement des armes et on s’attend à ce qu’elle participe au combat au besoin[7]. Il a aussi fait état de son expérience personnelle en situation de combat en mer lorsque son bateau était en action :
[traduction] … les cuisiniers … venaient au magasin et chargeaient des fusils. Ils faisaient aussi partie des équipes de premiers soins et de lutte contre les incendies, et puis toutes sortes d’autres choses qu’on pouvait leur demander de faire[8].
Il existe certes une distinction pratique entre les postes de combat et les postes de soutien dans les Forces armées. Il ne s’ensuit toutefois pas que tous les membres des Forces armées participeront inévitablement à un combat réel, bien qu’ils demeurent en permanence soumis à cette obligation. Ce sont sans aucun doute les contraintes de la situation qui commandent qu’ils y participent et qu’ils y soient tenus. Le commandant Silvester l’a clairement établi dans son témoignage lorsqu’il a répondu aux questions de l’un des membres du tribunal :
[traduction] M. PROULX : J’aurais peut-être une question : Si je comprends bien, il existe deux types de rôles dans les Forces canadiennes, les rôles de combat et les rôles de soutien; est-ce exact ou est-ce bien cela?
LE TÉMOIN : On ne peut pas appeler cela des rôles. Non. Les rôles sont énumérés ici et les autres dont j’ai parlé plus tôt comme—nous n’avons pas compris—en vertu des « Canadian Forces Roles » à l’onglet 2 … Quelqu’un peut occuper un poste de combat ou de soutien, selon sa formation et sa profession militaire. Mais l’un n’exclut pas l’autre.
Quelqu’un peut exercer principalement un métier de soutien, mais se retrouver quand même dans un poste de combat. Quelqu’un d’autre peut exercer un métier de combat ou occuper un poste de combat, principalement, mais consacrer un certain temps à un rôle de soutien. On n’est pas nécessairement pour toujours d’un côté ou de l’autre.
M. PROULX : Est-ce une division bien nette des rôles ou seulement—
LE TÉMOIN : C’est difficile de répondre, Monsieur, mais je dirais non. Ce n’est pas très bien tranché et c’est pour çà que c’est difficile de répondre. Même si la description d’un poste militaire peut faire croire qu’il s’agit de l’un ou de l’autre. Toutes les personnes qui font partie de l’armée peuvent être tenues d’accomplir des tâches militaires ou de combat[9].
En contre-interrogatoire, il a déclaré :
[traduction] Q. Permettez-moi de vous poser une question et de vous donner un exemple; si vous ne savez pas, dites-le moi simplement : les personnes qui ont des rôles de soutien, comme vous les avez appelés, serait-il juste de dire qu’elles ont reçu leur formation principale dans ces domaines?
R. Leur formation principale dans quels domaines?
Q. Dans leur métier plutôt que dans leurs tâches militaires?
R. C’est difficile à évaluer. Si je réponds oui, je ne tiens pas compte du fait qu’elles—selon l’endroit où elles se trouvent, elles ne restent pas nécessairement à l’arrière avec le matériel. Elles pourraient très bien être déployées à l’avant, même si elles exercent un rôle de soutien. Si le cas se présentait, elles auraient reçu une formation adéquate de combattant[10].
En ce qui a trait à l’exigence voulant que tous les membres des Forces armées reçoivent une formation en défense nucléaire, biologique et chimique, le capitaine MacKnie a déclaré :
[traduction] Q. L’entraînement dans ce domaine particulier signifie-t-il nécessairement que vous participerez un jour à des fonctions de défense nucléaire, biologique ou chimique?
R. Non.
Q. Si aucune de ces choses ne signifie que vous participerez nécessairement à ces activités un jour, pourquoi les faites-vous?
R. Parce qu’on ne sait jamais quand on va participer à ces activités. C’est donc une question de donner à chaque personne une formation minimale pour qu’elle puisse fonctionner si c’est nécessaire[11].
On peut à juste titre déduire que toute la formation de base vise le même objectif général.
Lorsqu’il a rejeté la prétention du requérant selon laquelle l’EPJ en cause était raisonnablement nécessaire pour assurer l’exécution efficace du travail sans mettre en danger M. Robinson, les autres membres des Forces armées et le public en général, le tribunal a déclaré [aux pages D/128 et D/129] :
Compte tenu de la dangerosité [sic] très variable des métiers, l’intimée n’a pas réussi à convaincre le tribunal que les épileptiques, comme groupe, constituent un facteur d’accroissement du risque suffisamment élevé pour justifier leur exclusion de tous les métiers exercés dans les Forces. Lorsqu’on peut établir scientifiquement qu’un épileptique contrôlé comme le plaignant ne présente qu’un risque de 3 % à 6 % d’avoir une crise dont il est susceptible au surplus d’être prévenu par une aura, on voit mal comment on pourrait conclure à un accroissement inacceptable du risque pour lui-même ou pour autrui dans des postes aussi peu dangereux que ceux de techniciens de cellules ou de moteurs d’avion. Selon nous, le plaignant présente un risque négligeable dans le contexte de l’exercice d’une fonction de soutien au sol. L’intimée n’a donc pas convaincu le tribunal que le plaignant constitue un risque suffisant au sens d’Etobicoke dans l’exercice d’une telle fonction.
…
L’intimée prétend toutefois que, d’une part, tout militaire est susceptible d’être appelé au combat et que, d’autre part, il pourrait avoir des difficultés d’approvisionnement de son médicament sur le champ de bataille. Nous sommes d’avis que ces deux arguments sont théoriques, voire spécieux. La preuve a démontré que la possibilité qu’un militaire soit transféré d’un poste de soutien à un poste de combat est peu plausible puisque le combat exige une formation précise accordée spécifiquement aux militaires qui ont choisi d’exercer des métiers spécialisés dans le combat. Le capitaine MacKnie a du reste concédé que les exigences professionnelles à l’égard des non-officiers [General Specifications Other Ranks (GSOR)] sur les connaissances requises en matière d’armes à feu, exigences visant à faire en sorte que tout militaire puisse être appelé à aller au combat, ne font pas l’objet d’un entraînement régulier. Or, selon lui, un tel entraînement est nécessaire pour pouvoir conserver ces qualifications minimales. Qu’il s’agisse du sergent Robinson ou des officiers venus témoigner devant le tribunal, ils ont tous confirmé qu’ils n’avaient pas été entraînés régulièrement aux exigences purement militaires nécessaires à la fonction de combat. Le capitaine MacKnie a même avoué ne pas avoir reçu d’entraînement à ce sujet depuis treize ans! En d’autres termes, l’intimée n’a pas réussi à prouver qu’il serait vraisemblable pour un militaire affecté à une fonction de soutien, surtout celle hautement spécialisée de mécanicien de bord ou de technicien en aéronautique, d’être muté à un poste de combat. On n’a pas tenté non plus de prouver le caractère pratique de cette possibilité. Combien de mécaniciens de bord ou de techniciens spécialisés dans l’entretien des avions militaires ont été mutés à une fonction de combat au cours, par exemple, des dix dernières années? Une preuve fournissant une réponse à cette question aurait dû être apportée afin de démontrer que l’exigence de mobilité illimitée est autre chose qu’un énoncé théorique[12].
Certains aspects particuliers de ces extraits posent un problème. Bien que je sois d’accord pour conclure que le personnel de soutien n’est pas toujours entraîné régulièrement en ce qui a trait au maniement des armes à feu, il ne fait aucun doute qu’une formation de base dans ce domaine est nécessaire et fournie à tous les membres de la force régulière. Le capitaine MacKnie a aussi rendu un témoignage non controversé selon lequel l’habileté dans le maniement des armes à feu peut être recouvrée facilement lorsqu’on a déjà reçu la formation de base[13].
Ce n’est pas la première fois que la politique du « soldat d’abord » est débattue devant la Cour. L’affaire Canada (Procureur général) c. St. Thomas et Commission canadienne des droits de la personne (1993), 162 N.R. 228 (C.A.F.), mettait en cause l’aptitude d’un membre des Forces armées exerçant un métier particulier à travailler dans l’extrême Arctique, sur le terrain, au Canada et en Europe, ainsi qu’avec les troupes de maintien de la paix à l’étranger. Le juge en chef Isaac a déclaré, à la page 233 :
À mon avis, l’examen de cette question doit faire entrer en ligne de compte un élément contextuel que le tribunal n’a pas suffisamment pris en considération, à savoir qu’en l’espèce un soldat est en cause. En sa qualité de membre des Forces canadiennes, M. St. Thomas était d’abord et avant tout un soldat. En tant que tel, il devait vivre et travailler dans des conditions inconnues dans la vie civile et être capable de fonctionner, à bref délai, dans des conditions de stress physique et émotionnel extrême et dans des endroits où des installations médicales n’étaient peut-être pas disponibles aux fins du traitement de sa maladie ou, si elles l’étaient, n’étaient peut-être pas adéquates. Tel est, me semble-t-il, le contexte dans lequel la conduite des Forces canadiennes devrait être évaluée en l’espèce.
Selon moi, le tribunal a commis une erreur dans la façon dont il a disposé de l’argument du requérant. Cet argument n’était ni « théorique » ni « spécieux ». La loi assujettissait M. Robinson à l’obligation d’exercer des fonctions de combat. Cette obligation est très bien comprise au sein des Forces armées. Les militaires qui exercent des rôles de soutien n’en sont pas exemptés. L’exécution de cette obligation ne dépend pas d’une « mutation », notamment à un rôle de combat. Comme il était d’opinion contraire, le tribunal a rejeté l’argument du requérant et a conclu, à tort selon moi, que le requérant devait produire des éléments de preuve additionnelle quelconques pour établir le nombre de militaires exerçant un rôle de soutien qui ont été mutés à des fonctions de combat pendant une certaine période. Cette opinion ne tient tout simplement pas compte du fait que cette obligation est édictée par la loi. Elle ne peut être modifiée par une pratique administrative. La loi a force obligatoire.
En ce qui a trait au caractère suffisant du risque, je désire seulement émettre l’opinion que le critère établi dans l’affaire Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d’Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, a peut-être été expliqué, mais n’a pas été amélioré ni modifié par les décisions subséquentes. On le constate à la lecture de l’extrait, cité par mon collègue, du jugement du juge en chef Isaac dans l’affaire Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Forces armées), [1994] 3 C.F. 188 (C.A.). Il peut être approprié, dans certaines circonstances, de tenir compte de la possibilité d’un examen individuel comme « solution pratique autre » que l’adoption d’une règle discriminatoire pour apprécier la « nécessité raisonnable » (Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Saskatoon (Ville), [1989] 2 R.C.S. 1297, aux pages 1313 et 1314). J’estime que le tribunal doit se demander s’il s’agit d’un cas où il serait possible d’avoir recours à une solution pratique autre que l’adoption d’une règle discriminatoire compte tenu que cette règle s’appliquerait à des personnes qui peuvent être tenues d’exercer des fonctions de combat. (Voir Brossard (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279; Saskatchewan (Human Rights Commission), supra et Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489.)
En conséquence, j’accueillerais la demande, j’annulerais la décision du tribunal et je renverrais l’affaire au tribunal pour qu’il rende une décision compatible avec les motifs de mon collègue et avec les présents motifs dans la mesure où ils diffèrent de ceux de mon collègue.
Le juge Mahoney, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.
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Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Robertson, J.C.A. : La demande présentée en vertu de l’article 28 [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8)] vise l’annulation d’une décision rendue par un tribunal canadien des droits de la personne constitué sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, modifiée (la Loi). Le tribunal a conclu que les Forces armées canadiennes (les FAC) avaient fait preuve, contre le plaignant, James Robinson, de discrimination fondée sur une déficience (décision publiée (1992), 15 C.H.R.R. D/95, à laquelle je renverrai en précisant le numéro du paragraphe). Le plaignant, qui était mécanicien de bord, a été libéré des Forces après 21 ans de service, au motif qu’il n’était plus en mesure d’exercer des fonctions militaires. Selon le diagnostic posé, il souffre d’épilepsie.
Bien que le plaignant ne conteste pas son inaptitude à travailler comme mécanicien de bord, il s’oppose au fait d’être déclaré inapte, sur le plan médical, à exercer tout autre métier au sein des FAC. Il soutient que l’omission des FAC d’envisager la possibilité de le muter à un autre métier constitue un acte discriminatoire interdit par l’article 7 de la Loi.
Les FAC ont adopté une politique globale exigeant que tous les membres des Forces soient exempts de crises d’épilepsie (la politique des « militaires exempts de crises »). Ceux qui ne satisfont pas à cette exigence sont libérés des Forces. Les FAC soutiennent que leur politique des « militaires exempts de crises » est une exigence professionnelle justifiée (EPJ) pour tous les métiers au sens de l’alinéa 15a) de la Loi et que, par conséquent, l’allégation de discrimination n’est pas fondée en droit.
I
(a) Exposé chronologique des faits
En 1963, le plaignant s’est enrôlé dans la Marine royale canadienne à l’âge de 18 ans. Il a reçu une formation dans un certain nombre de métiers au sol dans le domaine de l’aviation, dont ceux de technicien de moteurs d’avion, de technicien de cellules d’avion et de technicien en aéronautique. En 1974, il est devenu mécanicien de bord, métier qui comporte l’exécution de tâches tant au sol qu’en vol. En 1976, il avait atteint le grade de sergent.
Lorsque le plaignant a commencé à manifester des signes de troubles épileptiques, en décembre 1981, le Conseil de révision médicale des carrières (CRMC) des FAC lui a temporairement interdit de voler. Pendant qu’il était cloué au sol, le plaignant, qui avait déjà souffert d’alcoolisme, s’est inscrit à des cours visant la réadaptation des alcooliques et a commencé à travailler bénévolement à la Clinique de réadaptation pour alcooliques de la base de Winnipeg (la CRA), desservant les Prairies, dans le cadre de la Phase 3, soit la phase « post-traitement » du programme. Le CRMC l’a déclaré apte à reprendre ses fonctions de mécanicien de bord le 11 août 1982.
Le 24 mai 1983, le plaignant a subi une crise épileptique qu’il a lui-même qualifiée de « grand mal » (un diagnostic ultérieur a établi qu’il souffrait d’épilepsie « partielle complexe »). En conséquence, les FAC ont temporairement abaissé sa catégorie médicale et l’ont affecté à des travaux légers à la base de Winnipeg. Le plaignant a de nouveau fait du bénévolat à la CRA et est devenu par la suite coordonnateur ad hoc de la Phase 3 de la CRA. Il a aussi participé à la Phase 2 du programme (thérapie de groupe et consultation clinique), puis a posé sa candidature pour devenir conseiller en matière d’alcoolisme dans le cadre de la Phase 2, pour une période de quatre ans. Bien qu’il ait été admissible à ce poste, sa candidature a été rejetée, apparemment au motif qu’aucun poste ne serait disponible au cours des trois prochaines années. Le 21 juin 1984, le CRMC a décidé que l’épilepsie du plaignant ne lui laissait d’autre choix que de le libérer des Forces. Quatre jours plus tard, le poste de conseiller en matière d’alcoolisme a été attribué à un candidat qui n’était pas qualifié pour ce poste.
La libération du plaignant des Forces a pris effet le 14 janvier 1985, mais les congés qu’il avait accumulés lui ont permis de demeurer membre régulier des FAC jusqu’au 21 mai 1985. Son nom a été inscrit sur la liste des réservistes supplémentaires du 21 mai 1985 au 1er novembre 1985, date à laquelle il a obtenu une exemption de sa catégorie médicale du CRMC et un poste de mécanicien de bord au sol dans la Milice (aviation) avec le grade de sergent. Le plaignant a ainsi pu profiter du programme d’accès du gouvernement fédéral et réintégrer son poste de coordonnateur à la CRA de la base jusqu’au 31 mars 1986. Au mois de juin 1986, le plaignant a commencé à exercer, en qualité d’employé contractuel civil au ministère de la Défense nationale, les fonctions de conseiller en matière d’alcoolisme à la clinique des Forces canadiennes de la base de Lahr, en Allemagne. Il occupait toujours ce poste à la date de l’audience tenue par le tribunal.
(b) Les catégories médicales et les exemptions
Les catégories médicales des FAC reposent sur sept facteurs. Trois d’entre eux sont pertinents en l’espèce, soit : le facteur géographique (G); le facteur professionnel (O); et l’aptitude au vol (A). L’aptitude des membres des Forces armées en rapport avec chaque facteur est évaluée au moyen d’un examen médical sur une échelle de 1 à 6 (7, pour ce qui est de l’aptitude au vol). Plus la cote est élevée, plus les fonctions qui peuvent être assignées à un membre des FAC sont limitées.
Les nouvelles recrues doivent satisfaire à la norme minimale G2 O2. Les militaires qui appartiennent déjà aux FAC peuvent voir leur cote abaissée à G3 O3 sans que ce changement entraîne de conséquences. Les membres des FAC dont la cote passe à la catégorie G6 ou O6 sont automatiquement libérés. En ce qui concerne les militaires dont la catégorie médicale se situe entre la catégorie G3 O3 et celle emportant l’exclusion obligatoire, le CRMC exerce son pouvoir discrétionnaire de recommander « un changement de catégorie ou de métier, un changement de lieu ou d’emploi, ou encore la libération ». La décision de muter un membre des Forces dépend « de l’ensemble de son dossier, par exemple de sa performance dans le métier qu’il doit quitter, de son potentiel d’avancement, de sa capacité d’effectuer des activités proprement militaires et de l’existence d’ouvertures dans le métier convoité ». (Motifs du tribunal, paragraphe 39, aux pages D/104 et D/105.)
À la suite de ses crises d’épilepsie, la catégorie médicale du plaignant a été abaissée de façon permanente à la catégorie G4 O3 A7. Si la politique des « militaires exempts de crises » n’avait pas existé, le CRMC aurait examiné le dossier du plaignant afin de déterminer s’il était qualifié pour exercer un autre métier au sein des Forces. Les FAC ont admis que le plaignant aurait facilement pu être muté pour exercer l’un de ses métiers antérieurs au sol. Toutefois, il aurait alors dû obtenir une exemption de sa catégorie médicale.
L’attribution d’une exemption de catégorie médicale constitue habituellement « une mesure d’exception ». Elle repose sur un équilibre entre le risque potentiel que présente le membre des FAC qui ne satisfait pas aux normes médicales minimales acceptables et les besoins des Forces dans le type de métier visé. Le tribunal a accepté la preuve des FAC selon laquelle, apparemment, « il y aurait ainsi quelques milliers de militaires qui ne répondent pas aux normes médicales minimales et qui sont toujours en service actif dans les Forces parce qu’ils bénéficient d’une exemption ». (Motifs du tribunal, paragraphe 37, à la page D/104.) La possibilité d’accorder au plaignant une exemption de sa catégorie médicale était toutefois exclue par la politique des « militaires exempts de crises » des FAC qui est entrée en vigueur le 6 septembre 1983. Avant cette date, le CRMC exerçait son pouvoir discrétionnaire d’abaisser les normes médicales appliquées aux militaires visés par un diagnostic d’épilepsie, selon les circonstances particulières de chaque cas. La politique des « militaires exempts de crises » exige que les personnes à l’égard desquelles un diagnostic d’épilepsie est posé soient libérées des Forces si l’on ne trouve pas « de cause à laquelle il soit possible de remédier » dans un délai de six mois. C’est pour ce motif que le plaignant a été exclu des Forces.
(c) L’épilepsie
La preuve retenue par le tribunal révèle que les personnes souffrant d’épilepsie ne constituent pas un groupe homogène. L’activité neurologique épileptique peut être localisée ou généralisée; les symptômes physiques de la maladie sont très variés. Par exemple, les personnes souffrant d’épilepsie partielle simple ne subissent pas de perte de conscience lors d’une crise et continuent à communiquer normalement, mais présentent des symptômes tels qu’un engourdissement ou des mouvements saccadés de la main. D’autres personnes, comme celles souffrant d’épilepsie partielle complexe, ont des crises qui durent de 30 à 45 secondes. Elles perdent conscience, mais n’ont pas de convulsions. Le comportement des personnes qui souffrent d’épilepsie généralisée (« petit » ou « grand » mal) diffère également. Dans le cas du petit mal, une crise dure de 15 à 30 secondes. Le sujet perd conscience et est incapable de communiquer. Il n’a cependant pas de convulsions, symptôme caractéristique du « grand » mal.
Le tribunal a accepté la preuve médicale portant que l’épilepsie ne peut pas être guérie, mais qu’elle peut être contrôlée dans 70 à 90 p. 100 des cas. La probabilité qu’on réussisse à contrôler les crises épileptiques dépend en grande partie des caractéristiques propres du sujet. Par exemple, les chances de contrôler les crises d’une personne qui n’a eu auparavant qu’une seule crise d’épilepsie sont plus élevées que celles de contrôler les crises d’une personne qui en a déjà eues plusieurs. Il a été établi que le risque que le plaignant ait une nouvelle crise d’épilepsie s’il cessait de prendre ses médicaments était de 16 p. 100. En revanche, s’il prenait ses médicaments, le risque qu’il ait une autre crise se situait entre 3 et 6 p. 100. Le risque que quiconque dans la population ait un jour une crise d’épilepsie est de 2 à 4 p. 100.
II
Le tribunal a conclu que trois actes étaient de prime abord discriminatoires au sens de l’article 7 de la Loi. Premièrement, les FAC ont refusé de continuer d’employer le plaignant en qualité de mécanicien de bord en raison de sa déficience. Deuxièmement, elles n’ont pas envisagé la possibilité de lui accorder le « bénéfice » d’une mutation éventuelle à un autre métier pour lequel il était par ailleurs qualifié. Troisièmement, elles ont refusé d’accorder au plaignant le poste de conseiller en matière d’alcoolisme.
Le tribunal a ensuite énoncé les éléments qui constituaient, selon lui, les composantes juridiques d’une EPJ. Il a réitéré l’opinion exprimée par le juge McIntyre dans l’affaire Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d’Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, à la page 208, et par le juge Beetz dans l’arrêt Brossard (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279, à la page 307, selon laquelle l’exception que constitue l’EPJ doit recevoir une interprétation restrictive. Le tribunal a déclaré que les FAC devaient faire la preuve : (i) que les épileptiques présentent un risque d’erreur humaine suffisant pour justifier leur exclusion générale; (ii) qu’il est impossible d’évaluer individuellement le risque que présente chaque épileptique dans les FAC et (iii) que l’exclusion générale des épileptiques ne constitue pas un moyen excessif ou disproportionné d’assurer que les membres des FAC représentent un risque d’erreur humaine acceptable (voir les motifs du tribunal, paragraphe 84, aux pages D/118 et D/119). Il a ensuite fait des observations relativement à chacun de ces critères.
Premièrement, le tribunal a rejeté la norme du risque « minimal » ou « réel » proposée dans l’arrêt Bhinder et autre c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et autres , [1985] 2 R.C.S. 561, et adoptée par la Cour dans l’affaire Canadien Pacifique Ltée c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1988] 1 C.F. 209 (C.A.) [ci-après appelé « Mahon »]. Le tribunal a plutôt statué que les FAC devaient établir que les épileptiques entraînaient un « accroissement suffisant » du risque d’erreur humaine par rapport aux autres membres des Forces (voir les motifs du tribunal, paragraphe 98, à la page D/123). Deuxièmement, le tribunal a conclu que, dans l’état actuel du droit, l’employeur avait l’obligation d’évaluer individuellement les capacités d’exécuter un travail de chaque employé touché par un acte ou une règle à prime abord discriminatoires (voir les motifs du tribunal, paragraphe 100, aux pages D/123 et D/124). Troisièmement, le tribunal a déclaré que, même si certains épileptiques présentaient un risque inacceptable d’erreur humaine, il incombait aux FAC de démontrer qu’il n’existait aucun moyen moins radical que la politique des « militaires exempts de crises » d’atteindre l’objectif visé par cette politique (voir les motifs du tribunal, paragraphe 103, à la page D/125). Enfin, le tribunal a conclu que la politique des « militaires exempts de crises » des FAC était discriminatoire au sens de l’alinéa 10a) de la Loi. Au paragraphe 128, à la page D/132, il a déclaré :
La « Politique de classification des troubles épileptiques » (OSSFC 26-12) constitue, par l’établissement d’une classification obligatoire inflexible éliminant toute discrétion et toute évaluation individuelle des militaires diagnostiqués épileptiques, une politique discriminatoire au sens de l’al. 10a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il ne saurait s’agir d’une exigence raisonnablement nécessaire à l’objectif de l’exécution sûre et efficace de tous les métiers dans les Forces armées canadiennes.
Selon moi, la demande doit être accueillie pour plusieurs motifs. Le critère en trois volets énoncé et appliqué par le tribunal révèle qu’il avait une perception fondamentalement erronée de la jurisprudence pertinente. Si, à la date à laquelle le tribunal a rendu sa décision, la Cour pouvait encore décider d’adopter la norme du risque « substantiel » pour déterminer le degré de risque nécessaire à l’existence d’une EPJ, le jugement récent Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Forces armées), [1994] 3 C.F. 188 (C.A.) [ci-après appelé « Husband »], a écarté définitivement ce critère. De plus, en présupposant que l’évaluation individuelle doit être ordonnée, si possible, le tribunal semble avoir confondu l’appréciation de la validité d’une EPJ et l’analyse de la question de savoir si une règle a été posée en termes trop larges pour être raisonnablement nécessaire. Enfin, le tribunal a commis une erreur en considérant le critère de la proportionnalité comme un critère distinct d’appréciation d’une EPJ. Étant donné que le dossier doit être renvoyé au tribunal, je suis également tenu d’examiner d’autres questions soulevées devant la Cour.
(a) L’objection préliminaire
Le premier argument invoqué par les FAC pour s’opposer à la décision du tribunal touche à sa compétence. Les FAC soutiennent que le tribunal a outrepassé sa compétence en portant son analyse au-delà de l’allégation de discrimination énoncée dans les formules de plainte initiale et modifiée du plaignant. Dans ces documents, le plaignant a prétendu uniquement que les FAC avaient violé l’article 7 de la Loi en refusant de lui attribuer le poste de conseiller en matière d’alcoolisme en raison de son épilepsie. En conséquence, le tribunal avait le mandat de [traduction] « déterminer si l’acte reproché constituait un acte discriminatoire fondé sur une déficience, relativement à un aspect d’un emploi, en vertu de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne ». (Dossier de demande, volume V, à la page 723.) Cet article se lit comme suit :
7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :
a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;
b) de le défavoriser en cours d’emploi.
Les FAC font maintenant valoir deux faits. Premièrement, la conclusion du tribunal se limite, en définitive, à l’existence d’une politique discriminatoire en vertu de l’article 10 de la Loi. Contrairement à l’article 7 de la Loi, qui vise les situations dans lesquelles une personne a subi les effets d’un acte discriminatoire, l’article 10 concerne l’existence même d’actes et de politiques discriminatoires. Pour l’application de cet article, le fait qu’un acte ou une politique discriminatoires aient effectivement eu des effets négatifs n’importe pas. L’article 10 se lit comme suit :
10. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite ou s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale :
a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite;
b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel.
Les FAC soutiennent également que le tribunal a outrepassé son mandat formel en examinant la question de savoir si l’omission, par les FAC, d’envisager la possibilité de muter le plaignant était discriminatoire. Étant donné que cette objection préliminaire touche au fond, je ne tiendrai pas compte du fait qu’elle a été soulevée pour la première fois lors de la plaidoirie.
La conclusion explicite du tribunal portant que la politique des « militaires exempts de crises » des FAC constitue un acte discriminatoire au sens de l’article 10 de la Loi est à la fois regrettable et inutile. La question pertinente consiste à savoir si la politique des « militaires exempts de crises » est de prime abord discriminatoire et, le cas échéant, s’il s’agit d’une EPJ en application de l’alinéa 15a) de la Loi. Voici cet alinéa :
15. Ne constituent pas des actes discriminatoires :
a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées;
Il est admis que la politique des « militaires exempts de crises » est de prime abord discriminatoire. Si on conclut que cette politique n’est pas une EPJ, il se peut qu’elle viole soit les articles 7 ou 10 de la Loi, soit les deux. Comme la question des redressements découlant de ces conclusions n’a pas été soulevée devant nous, il suffit de signaler que la conclusion formulée explicitement par le tribunal n’est effectivement pas pertinente compte tenu de son mandat quant au fond.
En ce qui a trait au deuxième argument des FAC, on ne peut nier que le tribunal a manifestement étudié des questions qui n’étaient pas soulevées dans les formules de plainte du plaignant. Il n’a pas décidé uniquement si le plaignant avait été victime de discrimination en n’obtenant pas le poste de conseiller en matière d’alcoolisme, mais également si l’omission par les FAC d’envisager la possibilité de le muter à un autre métier était discriminatoire. Selon moi, ces allégations ne peuvent être distinguées l’une de l’autre sur le plan pratique. Le système d’affectation des FAC exige que chaque membre des Forces conserve un métier en tout temps. Par conséquent, il était impossible pour le plaignant d’obtenir la spécialité de conseiller en alcoolisme sans être muté. L’omission des FAC d’envisager la possibilité de muter le plaignant à un autre métier le rendait inadmissible au poste de conseiller en matière d’alcoolisme. (On peut s’interroger sur la conclusion du tribunal portant que le plaignant aurait obtenu sa spécialité si la politique des « militaires exempts de crises » n’avait pas existé, plus particulièrement si l’on tient compte du pouvoir discrétionnaire du CRMC d’accorder des exemptions de catégorie médicale, d’une vacance dans un métier et des compétences du plaignant, notamment sur le plan médical. Cette conclusion n’a toutefois pas été contestée devant nous.)
Un élément est plus important encore. Il est manifeste que les parties ont présenté la question au tribunal en lui demandant si l’omission d’envisager la possibilité d’une mutation à un autre métier constituait de la discrimination. Les formules de plainte ne doivent pas être scrutées de la même façon qu’un acte d’accusation en matière criminelle. Dans le contexte des droits de la personne, nous devons vérifier si un préjudice a effectivement été subi. Aucune preuve à cet égard ne nous a été soumise. Pour ces motifs, je suis convaincu que le tribunal était dûment saisi des deux actes discriminatoires reprochés sous le régime de l’article 7.
(b) L’obligation d’accommodement
Il est bien établi que le plaignant n’est pas apte à exercer le métier de mécanicien de bord, peu importe que la politique des « militaires exempts de crises » constitue ou non une EPJ. Devant le tribunal, et au cours de la plaidoirie présentée à l’audience, on a soulevé la question de savoir si les FAC avaient, en droit, l’obligation d’accommoder le plaignant en le mutant à un autre métier.
Dans l’état actuel du droit, il est reconnu qu’il n’existe pas d’obligation d’accommodement en cas de discrimination directe : voir Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536; et Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489. C’est uniquement dans les cas de discrimination indirecte ou de discrimination par suite d’un effet préjudiciable qu’entre en jeu l’obligation d’accommodement et, même alors, cette obligation ne vaut que dans la mesure où il n’en résulte pas une contrainte excessive pour l’employeur. Les règles qui créent une discrimination directe doivent, dans la mesure où elles peuvent être maintenues, s’appliquer à tous les membres du groupe visé. Aucune partie n’a mis en doute la conclusion du tribunal portant que la politique des « militaires exempts de crises » crée une discrimination directe. Par conséquent, il ne peut exister en soi aucune obligation d’accommodement. Le plaignant n’aurait pu obtenir un autre poste au sein des Forces qu’au moyen du régime d’exemptions de catégorie médicale qu’elles ont elles-mêmes établi.
(c) L’évaluation individuelle et le critère de proportionnalité
Si une EPJ est, par définition, une norme d’application générale, quel rôle jouent donc l’évaluation individuelle et ce qu’on appelle le critère de proportionnalité? Selon moi, les plaidoiries écrites et orales présentées à la Cour témoignent d’une incompréhension fondamentale des principes de base posés dans les arrêts de la Cour suprême concernant les EPJ. En résumé, lorsqu’un employeur a établi qu’une exigence professionnelle est une EPJ, il n’existe aucune obligation d’« évaluer individuellement » tous les employés touchés par cette politique. Les caractéristiques et les particularités individuelles d’un employé ne sont pas pertinentes à moins qu’il ne soit démontré que l’exigence professionnelle n’est pas une EPJ. Les règles de droit dans ce domaine découlent principalement de quatre décisions rendues par la Cour suprême. Ce sont les arrêts : Etobicoke, supra; Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Saskatoon (Ville), [1989] 2 R.C.S. 1297 [ci-après appelé « Saskatoon Fire-Fighters »]; Brossard, supra; et Dairy Pool, supra.
Dans l’affaire Etobicoke, le juge McIntyre a énoncé un critère en deux volets d’appréciation des EPJ. Rappelons que, dans cette affaire, deux pompiers avaient déposé une plainte en vertu du Ontario Human Rights Code [R.S.O. 1970, ch. 318] pour protester contre la retraite obligatoire à l’âge de 60 ans stipulée dans une convention collective conclue avec le gouvernement. Le tribunal a conclu que le refus de continuer d’employer les plaignants constituait un acte discriminatoire qui n’était pas validé par l’application de la disposition du Code concernant les EPJ. Le juge McIntyre, qui a confirmé cette décision, a défini les EPJ comme comportant un volet objectif et un volet subjectif. Le volet subjectif du critère exige que les restrictions en cause soient imposées de bonne foi et non pour un motif inavoué qui irait à l’encontre des objectifs de la législation sur les droits de la personne. Le volet objectif exige qu’une EPJ soit « raisonnablement nécessaire pour assurer l’exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l’employé, ses compagnons de travail et le public en général ». (Etobicoke, à la page 208.) La question de savoir si une règle par ailleurs discriminatoire est « raisonnablement nécessaire » et le rôle de l’examen individuel à cet égard ont soulevé une vive controverse.
Le juge McIntyre a clairement indiqué qu’un employeur n’est pas tenu d’évaluer individuellement les employés exclus d’un emploi par application d’une EPJ valide. Il a reconnu que certaines personnes âgées de moins de 60 ans sont inaptes au travail de pompier alors que d’autres demeurent aptes à la tâche après leur 60e anniversaire. À la page 209, il a reconnu que le risque d’erreur humaine imprévisible peut justifier un âge de retraite fixé « arbitrairement » :
Devant l’incertitude du vieillissement, deux solutions, à mon avis, s’offrent à l’employeur. Il peut fixer l’âge de la retraite à soixante-cinq ans ou plus, et le cas échéant, il ne peut être accusé de discrimination fondée sur l’âge aux termes du Code. D’autre part, il peut, en ce qui concerne certains types d’emplois, en particulier ceux qui ont trait à la sécurité publique comme c’est le cas des pilotes de ligne aérienne, des conducteurs de trains et d’autobus, des policiers et des pompiers, estimer que le risque d’erreur humaine imprévisible que comporte le maintien de tous les employés à leur poste jusqu’à soixante-cinq ans peut justifier l’application à tous les employés d’un âge de retraite fixé arbitrairement.
Dans la décision Etobicoke, la Cour suprême a refusé de modifier la conclusion du tribunal portant que les pompiers âgés de plus de 60 ans ne présentent pas un risque d’erreur humaine inacceptable. Le fait que la preuve produite à l’appui du contraire était en très grande partie « subjective » a eu une importance déterminante dans cette décision. La Cour suprême a statué que, en l’absence d’une preuve convaincante démontrant un lien entre le processus de vieillissement et l’exécution efficace et sûre du travail de pompier, on ne pouvait reconnaître l’existence d’une EPJ obligeant les pompiers de plus de 60 ans à prendre leur retraite. Il est important de signaler que, dans l’affaire Etobicoke, l’évaluation individuelle est devenue pertinente uniquement dans le contexte de la réintégration éventuelle des plaignants une fois qu’il a été établi que la disposition prescrivant la retraite obligatoire n’était pas une EPJ. De la même façon, le risque d’erreur humaine que présente le plaignant en l’espèce n’a aucune incidence sur la question de savoir si la politique des « militaires exempts de crises » constitue une EPJ. L’état du droit sur ce point a été résumé par le juge Linden, J.C.A., dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Rosin, [1991] 1 C.F. 391 (C.A.), à la page 411 (voir également Husband, supra) :
La troisième critique formulée à l’endroit de la décision est qu’elle avait pris en considération certaines caractéristiques personnelles de Rosin en déterminant si une EPJ avait été établie. Il est vrai que dans les cas de discrimination directe, les caractéristiques d’une personne en particulier ne sont pas pertinentes. La disposition doit s’appliquer soit à toutes les personnes faisant partie du groupe, soit à aucune d’elles. La question en matière de discrimination directe n’est pas de savoir si la personne en cause peut faire le travail, mais de savoir si un parachutiste borgne peut le faire.
L’affaire Saskatoon Fire-Fighters, supra, concernait également une allégation de discrimination de prime abord découlant d’une stipulation d’une convention collective qui prescrivait la retraite obligatoire. Contrairement à ce qui s’est passé dans l’affaire Etobicoke, la preuve produite par l’employeur à l’appui de cette stipulation était abondante et loin d’être subjective. La principale question que devait trancher la Cour suprême était, encore une fois, celle de savoir si l’employeur devait examiner individuellement les employés de plus de 60 ans pour vérifier s’ils pouvaient exercer leurs fonctions de façon sûre et efficace. Sur ce point, le juge Sopinka a déclaré, aux pages 1313 et 1314 :
À mon avis, cette jurisprudence nous indique la bonne façon d’aborder la question des tests individuels. Quoiqu’il ne soit pas absolument nécessaire de faire subir des tests à chaque employé il se peut que l’employeur ne parvienne pas à s’acquitter de l’obligation qui lui incombe de prouver le caractère raisonnable de l’exigence s’il ne fournit pas une réponse satisfaisante à la question de savoir pourquoi il ne lui a pas été possible de traiter individuellement les employés, notamment en administrant des tests à chacun d’eux. S’il existe une solution pratique autre que l’adoption d’une règle discriminatoire, on peut conclure que l’employeur a agi d’une manière déraisonnable en n’adoptant pas cette autre solution. [Non souligné dans le texte original.]
Bref, c’est à l’employeur qu’il incombe d’établir que l’examen individuel ne constitue pas une solution pratique autre que l’adoption d’une exigence professionnelle à prime abord discriminatoire. Comme l’a souligné le juge McIntyre, dans l’affaire Etobicoke, la mesure dans laquelle le risque d’erreur humaine imprévisible est en cause revêt une importance cruciale. Toutefois, ces propositions apparemment claires ont été pour certains obscurcies par l’arrêt Brossard de la Cour suprême. Dans cette affaire, la Cour suprême a tranché la question de savoir si la politique générale contre le népotisme dans l’embauche adoptée par la ville de Brossard constituait une EPJ. Cette politique rendait inadmissibles tous les membres de la famille immédiate des employés à temps plein de la ville et des membres du conseil municipal. En conséquence, le plaignant ne pouvait obtenir un emploi d’été de sauveteur au service de la municipalité parce que sa mère travaillait comme dactylographe au poste de police municipal.
Après avoir évalué la politique antinépotisme, le juge Beetz, qui a rédigé l’opinion majoritaire, a déclaré que cette politique était « d’une sévérité disproportionnée à l’aptitude ou à la qualité dont elle vise à assurer la possession ». (Brossard, à la page 315.) Il a poursuivi en affirmant que la politique d’embauche revenait à « tuer une mouche avec une masse ». (Brossard, à la page 315.) Dans des motifs concordants, Madame le juge Wilson a souligné qu’on n’aurait pas dû avoir recours à cette politique générale s’il existait des « moyens moins radicaux » de protéger l’intégrité de l’administration de la ville et d’assurer l’apparence d’une telle intégrité. (Brossard, à la page 344.) En d’autres mots, une « évaluation individuelle » quelconque était nécessaire pour limiter l’application de la règle aux personnes qu’elle devait raisonnablement viser.
Tant le tribunal que la Commission soutiennent que l’arrêt Brossard établit un troisième critère distinct d’appréciation des EPJ. Selon leur raisonnement, les FAC doivent démontrer que l’exclusion générale des épileptiques n’est pas un moyen disproportionné d’assurer que les membres des Forces présentent un risque d’erreur humaine acceptable. Toutefois, le raisonnement de la Cour suprême dans l’affaire Brossard ne constitue qu’une version raffinée du volet objectif du critère d’appréciation d’une EPJ énoncé dans l’arrêt Etobicoke. Madame le juge Wilson l’a confirmé dans l’arrêt Dairy Pool, supra, lorsqu’elle a situé l’arrêt Brossard dans la logique de la jurisprudence concernant les EPJ (à la page 518) :
Bien que les termes employés dans Brossard diffèrent quelque peu de ceux utilisés dans les arrêts précédents en matière d’EPN, je ne crois pas qu’on ait voulu ainsi s’écarter de la jurisprudence antérieure de la Cour sur l’application du critère de l’EPN dans un cas de discrimination directe …
Le second volet du critère établi dans l’arrêt Brossard concerne la possibilité de solutions autres que la règle de l’employeur. À mon avis, il ne s’agit pas là d’un critère distinct pour vérifier l’existence d’une EPN mais plutôt d’un facteur à prendre en compte pour savoir si la règle est « raisonnablement nécessaire » en vertu du premier volet.
À mon avis, la jurisprudence établit clairement que moins le groupe exclu par une exigence professionnelle est homogène, plus il sera difficile pour l’employeur d’établir qu’il s’agit d’une EPJ. C’est à l’employeur qu’il revient de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, pourquoi une politique générale d’exclusion est raisonnablement nécessaire lorsque toutes les personnes qui composent le groupe exclu ne présentent pas le même risque d’erreur humaine imprévisible. Autrement dit, l’employeur doit établir que l’examen individuel n’est pas une solution de rechange pratique ou raisonnable dans les circonstances. Lorsque le groupe exclu est relativement homogène (soit toutes les personnes à l’égard desquelles un diagnostic d’épilepsie complexe partielle a été posé), le débat ne porte vraisemblablement pas sur la question de savoir si l’examen individuel est une solution de rechange raisonnable à la règle contestée, mais plutôt sur celle de savoir si les personnes comprises dans ce groupe présentent un risque d’erreur humaine suffisant pour justifier leur exclusion au moyen d’une EPJ. Par conséquent, seuls les employeurs qui formulent les exigences professionnelles en termes larges sont à juste titre appelés à produire la preuve nécessaire pour contester une demande d’« évaluation individuelle ».
Les FAC avaient le fardeau de démontrer que la politique générale des « militaires exempts de crises » est raisonnablement nécessaire, malgré qu’il existe quatre types différents d’épilepsie et que chacun comporte un risque d’erreur humaine différent. Le tribunal a reconnu que certaines personnes épileptiques dont la maladie est contrôlée, voire certaines qui ne prennent pas de médicament, ne présentent pas de risque d’erreur humaine supérieur à celui que présentent les personnes qui ne sont pas atteintes par cette maladie. On serait porté à en déduire que la politique des « militaires exempts de crises », qui exclut toutes les personnes épileptiques des Forces, sans égard à leurs caractéristiques individuelles, a une portée démesurée et ne peut être maintenue comme une EPJ. Évidemment, si les FAC ont raison et si la politique des « militaires exempts de crises » est une EPJ applicable à tous les métiers au sein des Forces, elle peut être maintenue. Il faut donc aborder maintenant la question de l’applicabilité et de l’importance de la politique dite du « soldat d’abord ».
(d) La politique du « soldat d’abord »
Pour décider si une exigence professionnelle est une EPJ, il faut déterminer la nature de l’emploi en cause. Bien que, dans la plupart des cas, la nature de l’emploi soit évidente, cette question est plus problématique lorsque ce sont les FAC qui sont l’employeur. Il existe deux façons différentes de déterminer la nature d’un emploi au sein des Forces. Les FAC soutiennent que tous les membres en service des Forces sont d’abord et avant tout des soldats. Cette politique du « soldat d’abord » repose sur le fait que le public compte sur les FAC comme organisme de défense et de maintien de la paix et elle est conforme à la raison d’être des FAC. Son application présuppose qu’une situation de guerre surgira et que tous les membres des Forces seront appelés à participer au combat ou à faire face aux situations de crise.
La politique du « soldat d’abord » se fonde sur les paragraphes 33(1) et 34(1) [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 60, ann. I, art. 15] de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5, qui se lisent comme suit :
33. (1) La force régulière, ses unités et autres éléments, ainsi que tous ses officiers et militaires du rang, sont en permanence soumis à l’obligation de service légitime.
…
34. (1) Lorsque, dans une déclaration, le gouverneur en conseil a conclu à l’existence ou l’imminence d’une catastrophe présentant un caractère de gravité lui conférant un intérêt national, la force régulière, en tout ou en partie, ou tout officier ou militaire du rang de cette force peuvent être obligés de rendre, relativement à une telle situation, les services autorisés par le ministre; leur action est alors assimilée au service militaire.
Les FAC soutiennent que ces dispositions assujettissent le plaignant à l’obligation d’exercer des fonctions de combat et que la validité de la politique du « soldat d’abord » comme EPJ doit s’apprécier en regard des risques que présentent les personnes épileptiques en situation de combat. L’autre possibilité consiste à analyser l’EPJ en reconnaissant qu’il existe de nombreux métiers au sein des FAC qui, de façon réaliste, ne comportent pas de fonctions de combat. Par exemple, le plaignant a prétendu à un stade donné qu’il était improbable qu’il se trouve jamais en situation de combat s’il était muté à l’un de ses métiers antérieurs ou même au poste de conseiller en matière d’alcoolisme. Compte tenu de la diversité des professions offertes dans les Forces, il est évident que si l’on rejette la politique du « soldat d’abord », il est plus difficile pour les FAC d’établir qu’il est raisonnablement nécessaire d’exclure les personnes épileptiques des Forces.
Le tribunal a refusé d’appliquer la politique du « soldat d’abord » pour trois motifs. Premièrement, il a conclu que les FAC n’avaient pas réussi à démontrer que les personnes exerçant des métiers non reliés au combat seraient appelées à aller au combat (voir les motifs du tribunal, paragraphe 117, à la page D/129). Deuxièmement, il a jugé inexplicable la contradiction entre la politique du « soldat d’abord » et la décision des FAC d’accorder au plaignant une exemption de sa catégorie médicale pour lui permettre de devenir membre de la Milice. (Les membres de la Réserve supplémentaire ne sont mobilisés en cas de conflit que s’ils sont toujours admissibles à une fonction donnée et si les FAC ont besoin de leurs services.) Le tribunal n’a relevé aucune différence entre les obligations militaires d’un membre de la force régulière et celles d’un membre de la Réserve appelé à entrer en service (voir les motifs du tribunal, paragraphe 22, aux pages D/100 et D/101 et paragraphe 118, aux pages D/129 et D/130). Troisièmement, il a évalué les risques découlant des besoins médicaux des personnes épileptiques en situation de combat et il a conclu que la preuve n’appuyait pas la prétention des FAC selon laquelle les personnes épileptiques accroissent suffisamment le risque d’erreur humaine en comparaison avec les autres membres (voir les motifs du tribunal, paragraphes 119 et 120, à la page D/130). (On peut se demander si, même en tenant pour acquis que la politique du « soldat d’abord » s’applique à tous les membres des Forces, cette conclusion de fait ne serait pas défavorable à l’argument des FAC portant que la politique des « militaires exempts de crises » constitue une EPJ pour tous les métiers au sein des Forces. Voir également les remarques portant sur « Le caractère suffisant du risque » formulées plus loin.)
Selon moi, le tribunal n’a pas commis d’erreur en formulant sa conclusion finale sur ce point. La politique du « soldat d’abord » n’a jamais été analysée complètement par la Cour. En dehors du contexte militaire, cette question n’a été soulevée qu’une fois devant la Cour suprême et seulement de façon incidente. Dans l’affaire Saskatoon Fire-Fighters, le tribunal a conclu que le plaignant, qui était agent de la prévention des incendies, devait effectivement, entre autres tâches, combattre les incendies. La commission a soutenu que le tribunal avait commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que les tâches réelles d’un agent de la prévention des incendies différaient de celle d’un pompier. Comme une clause privative empêchait la Cour de réviser la conclusion de fait du tribunal, le juge Sopinka s’est contenté de déclarer, à la page 1308 :
Cet argument n’est pas sans valeur, mais la commission a conclu sur les faits que les fonctions du chef de la prévention des incendies comprenaient le travail ardu du pompier.
La Cour a reconnu la politique du « soldat d’abord » à l’égard des personnes qui veulent s’enrôler dans les FAC; voir Husband, supra. C’est aussi le motif invoqué pour libérer des Forces les personnes qui ne peuvent pas accomplir une tâche nécessaire à l’exercice de leur métier; Canada (Procureur général) c. St. Thomas et Commission canadienne des droits de la personne (1993), 162 N.R. 228 (C.A.F.). On nous demande maintenant de décider si la politique du « soldat d’abord » s’applique aux membres des FAC qui veulent être mutés à des métiers dans lesquels ils ne seront pas vraisemblablement appelés à travailler dans des situations de combat, où ils présenteraient un « risque suffisant » d’erreur humaine.
Contrairement à ce que prétendent les FAC, la Loi sur la défense nationale n’exige pas que tous les membres des FAC soient en mesure d’exécuter des fonctions de combat. S’il en était autrement, la politique du « soldat d’abord » et la politique des « militaires exempts de crises » seraient inutiles : les membres épileptiques des Forces pourraient être congédiés simplement en application de la Loi sur la défense nationale. Je m’empresse d’ajouter que pareille exigence ne laisserait en fait aucune marge de manœuvre aux Forces pour conserver ou embaucher, par exemple, du personnel qualifié (comme des neurochirurgiens) qui ne satisferait pas aux normes médicales minimales des Forces.
La Loi sur la défense nationale prévoit simplement que tous les membres en service sont soumis à l’obligation de « service légitime ». Cette loi habilitante permet aux FAC d’adopter toute politique précisant quel service légitime peut être requis des membres des FAC. Par exemple, les FAC auraient pu adopter, en vertu de la Loi sur la défense nationale, une politique exemptant les personnes âgées de 45 à 55 ans ou d’un rang supérieur à un grade donné de l’application de la politique du « soldat d’abord ». Les FAC affirment plutôt qu’elles ont adopté la politique du « soldat d’abord » à l’égard de tous les membres en service des FAC.
Bien qu’il soit incontestable que les FAC ont le droit de déterminer qui peut demeurer dans les Forces et qui doit être libéré, il ne me semble pas que les FAC aient établi que la politique du « soldat d’abord » a été adoptée et appliquée de façon uniforme aux membres en service des FAC. L’une des caractéristiques distinctives d’une politique « légitime » valide est l’uniformité de son application. La preuve produite établit soit que les FAC n’appliquent pas la politique du « soldat d’abord » de façon uniforme, soit que cette politique est appliquée de façon discriminatoire. Comme cette politique n’a pas été édictée par une loi, mais prise en application d’une loi habilitante, cette conclusion ne soulève pas la question de la préclusion.
Il est évident que la politique du « soldat d’abord » est incompatible avec la pratique réelle des FAC concernant les membres en service. Le présent litige l’illustre clairement. Bien que le plaignant ait été libéré des Forces au motif qu’il était inapte aux fonctions militaires, y compris aux fonctions de combat, il a obtenu une exemption de catégorie médicale pour occuper un poste, que les FAC qualifient de poste de combat, au sein de la Milice.
On trouve d’autres exemples de cette incohérence dans la jurisprudence récente. Dans l’affaire Husband, la plaignante n’a pas été acceptée dans les FAC par application d’une norme d’acuité visuelle sans correction. Cette norme excluait les personnes juridiquement aveugles sans verres correcteurs. Selon le raisonnement des FAC, les personnes juridiquement aveugles sans verres correcteurs sont inaptes au combat. Toutefois, la preuve a aussi révélé que les FAC avaient établi une catégorie d’acuité visuelle spéciale pour les membres en service juridiquement aveugles. De la même façon, dans l’affaire Galbraith c. Canada (Forces armées canadiennes) (1989), 10 C.H.R.R. D/6501 (Trib. can.), le plaignant n’a pu s’enrôler dans les FAC parce qu’il avait subi une résection de l’intestin et qu’il présentait en conséquence un risque d’erreur humaine suffisant s’il était placé en situation de combat. Par ailleurs, les FAC ont reconnu vouloir conserver dans les Forces des personnes qui avaient subi une résection de l’intestin pendant qu’elles étaient en service. Ces deux causes laissent croire que les FAC sont disposées à offrir et offrent effectivement une forme d’« accommodement » aux employés dont la santé se détériore en raison du processus naturel de vieillissement.
Les FAC ont justifié à plusieurs reprises l’application aux recrues de la politique du « soldat d’abord »; voir les motifs du tribunal et la décision Galbraith, supra. Toutefois, je ne pense pas que le rejet de cette politique, appliquée aux membres en service des FAC et dans les circonstances de l’espèce, soit contraire ou fasse échec à la loi habilitante. Il me semble que la politique du « soldat d’abord » est simplement invoquée comme un argument juridique sur lequel on insiste ou que l’on atténue, selon les circonstances. Compte tenu des effets préjudiciables éventuels de cette politique pour les membres en service qui ont consacré leur vie professionnelle au service des FAC, je ne suis pas prêt à modifier la conclusion du tribunal sur ce point. J’examinerai maintenant la question du degré de risque nécessaire pour établir l’existence d’une EPJ.
(e) Le caractère suffisant du risque
Une EPJ existe si un « risque d’erreur humaine suffisant » justifie le maintien d’une exigence professionnelle par ailleurs discriminatoire (Etobicoke, à la page 210). La jurisprudence la plus ancienne a établi qu’un « accroissement minimal du risque » suffisait pour qu’une EPJ existe : Bhinder, supra; et Mahon, supra. Ce critère a été mis en doute par le juge MacGuigan, J.C.A. dans Air Canada c. Carson, [1985] 1 C.F. 209 (C.A.), par Madame le juge Wilson, dans une remarque incidente, dans Dairy Pool, ainsi que par le juge Linden, J.C.A., dans Canada (Procureur général) c. Rosin, [1991] 1 C.F. 391 (C.A.). Toutefois, dans l’arrêt Husband, le juge en chef a conclu, au nom de la majorité (le juge Robertson étant dissident), que les décisions Bhinder et Mahon avaient simplement réitéré le critère du « risque suffisant » énoncé dans l’arrêt Etobicoke. À la page 213 de ses motifs, le juge en chef a exposé l’état actuel du droit :
Pour conclure, je résume :
1. Ni l’arrêt Bhinder ni l’arrêt Mahon n’ont établi un nouveau critère d’appréciation du « risque suffisant » dans les situations touchant la sécurité publique.
2. Le critère appliqué dans chaque cas était celui établi dans l’arrêt Etobicoke, qui demeure incontesté et entièrement valable.
3. L’arrêt Dairy Pool n’a pas eu pour effet d’écarter les arrêts Bhinder ni Mahon en ce qui a trait au critère du risque suffisant qu’ils auraient établi.
4. L’arrêt Dairy Pool n’a pas posé un nouveau critère, soit celui du « risque substantiel », en remplacement du critère du « risque suffisant » énoncé dans l’arrêt Etobicoke.
Compte tenu de cette décision, l’application du critère dit du risque « substantiel » constitue une erreur de droit. Je dois souligner que la reconnaissance et l’application de la politique du « soldat d’abord » et du critère du risque « minimal » auraient ensemble pour effet de donner effectivement carte blanche aux FAC pour libérer des Forces toute personne atteinte d’une déficience. Il me paraît clair que pratiquement toute personne atteinte d’une déficience quelconque présentera un risque d’erreur humaine « réel » en situation de combat. Si le législateur a eu l’intention de mettre les FAC à l’abri de toute plainte relative à une déficience fondée sur l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, l’application combinée de ces politiques a, sans conteste, donné effet à cette intention. C’est là une hypothèse que je ne peux, en droit, tenir pour avérée.
III
Pour les motifs qui précèdent, j’accueillerais la demande, j’infirmerais la décision du tribunal datée du 17 juin 1991 (prononcée le 4 juillet 1991) et je renverrais l’affaire au tribunal pour qu’il tienne une nouvelle audience en tenant compte des présents motifs.
[1] Les art. 33(1) et 34(1) se lisent comme suit :
33. (1) La force régulière, ses unités et autres éléments, ainsi que tous ses officiers et militaires du rang, sont en permanence soumis à l’obligation de service légitime.
…
34. (1) Lorsque, dans une déclaration, le gouverneur en conseil a conclu à l’existence ou l’imminence d’une catastrophe présentant un caractère de gravité lui conférant un intérêt national, la force régulière, en tout ou en partie, ou tout officier ou militaire du rang de cette force peuvent être obligés de rendre, relativement à une telle situation, les services autorisés par le ministre; leur action est alors assimilée au service militaire.
[2] Preuve, vol. 2, à la p. 197.
[3] Preuve, vol. 2, aux p. 249 et 250.
[4] Preuve, vol. 2, à la p. 338.
[5] Preuve, vol. 2, à la p. 200.
[6] Preuve, vol. 2, à la p. 262.
[7] Preuve, vol. 2, à la p. 233.
[8] Preuve, vol. 2, à la p. 236.
[9] Preuve, vol. 2, aux p. 238 et 239.
[10] Preuve, vol. 2, aux p. 231 et 232.
[11] Preuve, vol. 2, à la p. 267.
[12] Preuve, vol. 10, aux p. 1450 à 1452.
[13] Preuve, vol. 2, à la p. 337.