[1994] 2 C.F. 189
A-1248-92
Suzanne Thibaudeau (requérante)
c.
Sa Majesté la Reine (intimée)
Répertorié : Thibaudeau c. M.R.N. (C.A.)
Cour d’appel, juges Pratte, Hugessen et Létourneau, J.C.A.—Québec, 28 février et 1er mars; Ottawa, 3 mai 1994.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Cour de l’impôt a rejeté l’appel d’une cotisation — La requérante est un parent séparé ayant la garde des enfants — L’art. 56(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu requiert l’inclusion dans le revenu de la pension alimentaire pour les enfants reçue conformément à un jugement de divorce (système inclusion-déduction) — Les parents séparés ayant la garde des enfants sont victimes d’une discrimination fondée sur la situation de famille — Dans le cadre d’une contestation fondée sur la Charte, on ne peut se fier sur l’obligation générale en droit de la famille de majorer la pension alimentaire de manière à tenir compte de ses conséquences fiscales — La détermination des pensions alimentaires pour enfants est imprécise et discrétionnaire — Il ne convient pas de chercher à l’extérieur du régime fiscal la réparation d’une injustice que ce régime a lui-même créée — Si l’obligation porte atteinte à l’art. 15 de la Charte, on ne peut logiquement soutenir qu’il n’y a aucune violation parce que la source peut être rajustée de façon à corriger l’inégalité.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à l’égalité — L’art. 56(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu requiert l’inclusion dans le revenu de la pension alimentaire pour les enfants reçue conformément à un jugement de divorce — Il ne crée pas une discrimination fondée sur le sexe — La loi qui cause des effets préjudiciables aux hommes et aux femmes n’est pas discriminatoire sur le fondement du sexe uniquement parce que les personnes touchées sont en majorité des femmes (ou des hommes) — L’élément clé n’est pas le nombre, mais la nature des effets — Une disposition législative ne crée une discrimination fondée sur le sexe que si certains membres d’un sexe subissent des effets plus préjudiciables que le groupe équivalent du sexe opposé — Ni la phrase « parents séparés qui ont la garde des enfants », ni ses composantes ne constituent un motif analogue à ceux qui sont énumérés à l’art. 15 — Les parents séparés qui ont la garde de leurs enfants sont victimes de discrimination fondée sur la « situation de famille » — Ils sont une minorité discrète et isolée ayant traditionnellement été victime de préjudice et nécessitant une protection.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Clause limitative — L’art. 56(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui requiert l’inclusion dans le revenu de la pension alimentaire pour les enfants reçue conformément à un jugement, crée une discrimination à l’égard des parents séparés qui ont la garde de leurs enfants sur le fondement de la situation de famille — L’objectif poursuivi par le système inclusion-déduction (avantage fiscal qui donne aux ex-conjoints de plus grandes ressources financières que s’ils vivaient ensemble, compensant en partie pour l’économie perdue que constitue le fait de maintenir un seul foyer) est suffisamment important pour justifier une violation de la Charte — Il existe un lien rationnel entre l’art. 56(1)b) et son objectif — Le système n’est pas justifié au regard de l’article premier car il ne satisfait pas aux critères de l’atteinte minimale et de proportionnalité — Preuve que le système fréquemment n’arrive pas à accorder un bénéfice à ceux qu’il est censé aider, il avantage presque toujours ceux qui n’ont pas besoin d’aide, et il ne contient aucun mécanisme de correction conçu pour remédier à la situation.
Contrôle judiciaire — Recours en equity — Jugements déclaratoires — Demande à la Cour de retarder toute déclaration d’invalidité afin de permettre que des modifications soient apportées à la Loi — La Cour ne peut retarder la déclaration que l’art. 56(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu est invalide dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Cour de l’impôt — La Cour ne peut qu’ordonner que la Cour de l’impôt tranche l’appel d’une manière que cette Cour elle-même aurait pu faire initialement — Les droits des individus qui leur sont garantis par la loi suprême du pays ne peuvent être suspendus sans motifs très convaincants.
Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Cour de l’Impôt a rejeté l’appel interjeté par la requérante à l’égard de sa cotisation d’impôt de 1989. La requérante est la mère de deux enfants mineurs dont elle a la garde. Aux termes du jugement prononçant le divorce, elle a droit à 1 150 $ par mois pour subvenir aux besoins des enfants. L’alinéa 56(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu requiert l’inclusion dans le calcul du revenu de toute somme reçue en vertu d’un jugement à titre de pension alimentaire payable périodiquement pour subvenir aux besoins des enfants issus du mariage, si le bénéficiaire vivait séparé en vertu d’un divorce de l’ex-conjoint tenu de faire le paiement. L’alinéa 60b) permet à l’ex-conjoint de la requérante de déduire ces mêmes sommes de son revenu aux fins de l’impôt. Des dispositions connexes prescrivent l’inclusion et la déduction semblable de paiements de nature comparable. Devant la Cour de l’impôt, la requérante a fait valoir que le système en question, appelé le système inclusion-déduction, violait ses droits à l’égalité garantis par l’article 15 de la Charte. Malgré sa conclusion que la requérante a supporté un « coût fiscal » de 3 705 $ du fait du mécanisme inclusion-déduction, la Cour de l’impôt a rejeté l’appel parce que la Cour qui a accordé la pension alimentaire a tenu compte de l’effet de l’impôt sur le revenu dans la détermination du montant des paiements en question et que, quoi qu’il en soit, il existe en droit de la famille l’obligation générale de majorer la pension alimentaire de manière à tenir compte de ses conséquences fiscales. La requérante allègue une discrimination fondée sur un motif analogue à ceux qui sont énumérés à l’article 15. L’intervenant soutient que l’alinéa 56(1)b ) établit une discrimination fondée sur le sexe. Le groupe auquel la requérante prétend appartenir réunit les parents séparés qui ont la garde des enfants et qui sont bénéficiaires d’une pension alimentaire pour subvenir aux besoins de ces derniers.
Arrêt (le juge Létourneau, J.C.A., dissident) : la demande doit être accueillie.
Le juge Hugessen, J.C.A. (aux motifs duquel a souscrit le juge Pratte, J.C.A.) : L’alinéa 56(1)b) est en apparence neutre : il ne crée aucune distinction fondée sur le sexe; il n’est pas non plus un stratagème trompeur dont les dispositions peuvent s’appliquer aux membres d’un seul sexe. La loi qui cause des effets préjudiciables à la fois aux hommes et aux femmes n’est pas discriminatoire sur le fondement du sexe uniquement parce que les personnes touchées sont en majorité des femmes (ou des hommes). Une conception aussi mécanique tendrait à saper les objectifs de la Charte. Ce n’est pas parce que plus de femmes que d’hommes subissent des effets préjudiciables, mais parce que certaines femmes, si petit que soit leur groupe, subissent des effets plus préjudiciables que le groupe d’hommes équivalent, qu’on peut dire d’une disposition qu’elle crée une discrimination fondée sur le sexe. Le sexe diffère grandement des autres motifs énumérés à l’article 15. Il existe un nombre presque infini de religions, de races, de nationalités, etc., et on ne saurait dire de ces catégories qu’elles réunissent deux sous-groupes opposés. En revanche, il n’y a que deux sexes. L’un exclut l’autre. Les femmes qui prétendent qu’une loi crée une discrimination à leur égard sur le fondement du sexe font nécessairement valoir que cette loi crée une distinction fondée sur leur caractéristique commune de qualité de femme qu’elle ne crée pas à l’égard de ceux qui possèdent les caractéristiques opposées de l’homme. Aussi, ne peut-on prétendre qu’une règle par ailleurs neutre crée une discrimination fondée sur le sexe pour la simple raison que ses effets se font sentir sur un plus grand nombre de personnes d’un sexe que de l’autre. L’élément clé n’est pas le nombre, mais la nature des effets; c’est la qualité et non la quantité qui importe. Si la loi qui entraîne des effets préjudiciables à l’égard des femmes a les mêmes effets préjudiciables à l’égard des hommes, bien que ces derniers soient moins nombreux ou qu’ils soient moins susceptibles d’en souffrir, on ne peut soutenir logiquement que la discrimination est fondée sur le sexe. Dans chaque cas, les effets de la loi doivent être soupesés; il ne suffit pas de compter le nombre de personnes touchées. L’alinéa 56(1)b) a plus d’effets préjudiciables sur les femmes que sur les hommes, car les mères ont beaucoup plus souvent la garde de leurs enfants que les pères. Cependant, comme la loi doit également avoir les mêmes effets à l’égard des pères gardiens, bien que ceux-ci soient largement minoritaires, elle n’établit aucune discrimination fondée sur le sexe.
L’alinéa 56(1)b) établit une distinction intentionnelle entre la requérante et d’autres personnes, fondée sur le fait qu’elle est un parent séparé ayant la garde de ses enfants. Le fait d’être séparé et d’être un parent sont des « caractéristiques personnelles ». D’autre part, l’inégalité créée à l’égard des parents séparés qui ont la garde de leurs enfants est discriminatoire et impose à ceux-ci un fardeau que les autres n’ont pas. On peut le vérifier en examinant chacune des composantes déterminantes du groupe. Ainsi, un parent non séparé qui a la garde de ses enfants n’est pas tenu d’inclure dans le calcul de son revenu la prestation alimentaire que le conjoint lui verse. Le parent séparé qui n’a pas garde d’enfant n’est pas tenu d’inclure cette prestation alimentaire dans le calcul de son revenu. Les personnes séparées qui ne sont pas parents et qui ont garde d’enfant, comme par exemple une grand-mère, ne sont pas tenues d’inclure dans le calcul de leur revenu les sommes reçues de l’un ou l’autre parent de l’enfant ou des deux. La troisième et dernière étape de l’analyse fondée sur l’article 15 consiste à vérifier si les caractéristiques personnelles en cause constituent des motifs analogues aux motifs énumérés. La jurisprudence commande une analyse de tout motif analogue allégué dans le contexte le plus général, afin de déterminer si ce motif a servi dans le passé, et sert encore aujourd’hui, à réserver un traitement particulier à un groupe désavantagé ou à établir une distinction à son égard. Ni la phrase « parents séparés qui ont la garde des enfants », ni ses composantes ne constituent un motif analogue à ceux qui sont énumérés à l’article 15. La description du groupe doit contenir en elle-même une certaine composante qui se retrouve dans le motif allégué, mais il est peu probable qu’il s’agisse du motif lui-même. C’est de « situation de famille » que serait le mieux qualifié le motif de discrimination dont sont victimes les parents séparés qui ont la garde de leurs enfants. Cette situation sert depuis longtemps, et encore aujourd’hui, de fondement aux stéréotypes. Le fait que la situation de famille ou autre expression semblable figure à titre de motif de discrimination interdit dans la plupart des lois relatives aux droits de la personne permet également de confirmer sa nature analogue aux motifs énumérés dans la Charte. Les parents séparés qui ont la garde d’enfants sont une minorité discrète et isolée ayant traditionnellement été victime de préjudice et nécessitant une protection.
Bien que ce soit à juste titre que le juge de la Cour de l’impôt estimait que les tribunaux devraient tenir compte des incidences fiscales, et que la cour qui a accordé le divorce de la requérante l’a effectivement fait, il a commis une erreur en considérant qu’il s’agissait là de la solution à la contestation de l’alinéa 56(1)b) fondée sur la Charte. Le régime du droit de la famille n’a pas toujours, ni même ordinairement, pour effet de corriger les inégalités créées par l’alinéa 56(1)b). La détermination des sommes affectées aux besoins des enfants est notoirement imprécise. Il est pour ainsi dire impossible de recourir au droit de la famille pour corriger toute injustice créée par le mécanisme inclusion-déduction. En outre, il ne convient pas de chercher à l’extérieur du régime fiscal la réparation d’une injustice que ce régime a lui-même créée. L’impôt sur le revenu dépend du revenu. Lorsque la Loi crée une obligation, elle le fait nécessairement sur le fondement qu’il y a une source de revenu à laquelle cette obligation peut se rattacher. Si toutefois l’obligation elle-même porte atteinte à la disposition de la Charte relative à l’égalité, on ne peut logiquement soutenir qu’il n’y a aucune violation parce que la source peut être rajustée de façon à corriger l’inégalité. Si l’impôt constitue lui-même une violation de l’article 15, recourir au régime du droit de la famille revient à mettre la charrue devant les bœufs.
Quant à l’analyse fondée sur l’article premier, l’objectif poursuivi par le système inclusion-déduction (avantage fiscal qui donne aux ex-conjoints de plus grandes ressources financières que s’ils vivaient ensemble, compensant en partie pour l’économie perdue que constitue le fait de maintenir un seul foyer) est suffisamment important pour justifier une violation de la Charte. Il existe un lien rationnel entre la disposition contestée et l’objectif législatif. Mais comme le système ne satisfait pas aux critères de l’atteinte minimale et de proportionnalité, il n’est pas justifié au regard de l’article premier. Les documents produits n’ont pas établi qu’il s’agit d’une réponse mesurée et proportionnée à un problème ressenti, mais ils ont montré que le système inclusion-déduction fréquemment n’arrive pas à accorder un bénéfice à ceux qu’il est censé aider, avantage presque toujours ceux qui n’ont pas besoin d’aide, et ne contient aucun mécanisme de correction ou de contrôle conçu pour remédier à la situation. Le gouvernement ne s’est pas acquitté de son obligation de démontrer la justification de la disposition en vertu de l’article premier.
Le désavantage fiscal subi par les parents séparés qui ont garde d’enfants n’a pas été compensé par le crédit pour l’équivalent de personne mariée, le crédit d’impôt pour personne à charge, et le crédit d’impôt pour enfant, qui sont indépendants du système inclusion-déduction. Quoi qu’il en soit, le total de tous ces crédits était inférieur au montant de l’accroissement d’impôt qu’a véritablement subi la requérante du fait du système inclusion-déduction.
L’intimée a allégué que, si l’alinéa 56(1)b) est jugé invalide en raison de l’article 15 de la Charte, l’alinéa 60b) doit également être annulé. Puisque l’alinéa 60b) n’est pas directement contesté dans la présente instance, il serait des plus inconvenant de tirer des conclusions à son égard. D’autres facteurs pourraient amener la Cour à conclure que l’alinéa survivrait à une contestation fondée sur la Charte. L’alinéa 60b) ne joue aucun rôle dans le calcul du revenu de la requérante ni dans sa cotisation.
Pour ce qui est de retarder la déclaration d’invalidité afin de permettre que des modifications soient apportées à la Loi, comme il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’un appel en matière d’impôt sur le revenu, la Cour ne peut en fin de compte qu’ordonner que la Cour de l’impôt tranche l’appel de la requérante d’une manière que cette Cour elle-même aurait pu faire initialement. Il s’agit en l’espèce des droits des individus qui leur sont garantis par la loi suprême du pays. Il faudrait des motifs très convaincants pour justifier toute suspension de ces droits. Or, aucun n’a été invoqué. Enfin, il est peu probable que cette Cour ait le dernier mot sur la question.
Le juge Létourneau, J.C.A. (dissident) : La requérante n’a pas été victime de discrimination à cause de son état civil ou de sa condition sociale. Bien que l’alinéa 56(1)b) impose à la requérante et à la catégorie de personnes dont elle fait partie un fardeau qu’il n’impose pas à d’autres groupes de statut civil différent, cette différence de traitement n’engendre pas d’inégalité et n’est pas discriminatoire. La Loi établit toute une série de distinctions et de différences de traitement en tenant compte de la réalité économique qui découle de l’état civil du contribuable. Il n’est pas en soi nécessairement discriminatoire de traiter différemment des états civils différents. Au contraire, il pourrait être discriminatoire de traiter d’une manière identique des états civils différents qui entraînent pour leurs titulaires des obligations et des responsabilités différentes et qui, par conséquent, commandent des traitements différents au plan social, politique, économique et juridique. Il faut examiner le contexte général qui entoure la Loi pour déterminer si une discrimination existe. La différence de traitement n’est pas fondée sur l’état civil (un motif analogue à ceux énumérés à l’article 15), mais résulte plutôt des contraintes et des obligations matérielles différentes qui échoient à des contribuables qui vivent une réalité économique différente à cause de leur statut personnel différent. Lue et prise littéralement et isolément, la mesure peut apparaître discriminatoire, mais elle ne l’est pas lorsqu’on la replace dans son contexte socio-économique et socio-politique et que l’on tient compte de la finalité recherchée. Le présent litige met en cause la validité constitutionnelle d’une mesure législative corrective d’une situation désavantageuse vécue jadis par le groupe de la requérante. Il soulève également le niveau d’efficacité requis d’une telle mesure pour assurer sa validité constitutionnelle. Les bénéficiaires du système inclusion-déduction sont en très grande majorité des femmes et une majorité de celles-ci, particulièrement celles à faible revenu, tirent un avantage et un bénéfice du fractionnement du revenu permis par le système. L’alinéa 56(1)b) produit donc un effet bénéfique dans la majorité des cas et contribue à redresser en partie les inégalités subies dans le passé par ce groupe de contribuables. La mesure corrective de l’alinéa 56(1)b) traite la requérante, ainsi que les personnes de son groupe, différemment des autres contribuables à cause de leur réalité sociale, politique et économique différente engendrée par leur état civil différent et, malgré ses imperfections, cette mesure n’est pas discriminatoire.
La requérante prétend que les femmes divorcées ont une condition sociale particulière à cause de leur revenu et de leur niveau d’éducation, et se retrouvent dans une position défavorisée dans la société. La prétention que la discrimination dont elle souffre est fondée sur la condition sociale est sans mérite. La requérante a décrit la condition sociale dans laquelle elle se retrouve avec les membres de son groupe, ou le résultat d’une discrimination, et non la cause. Il n’existe aucune preuve qui établisse que la supposée discrimination soit de quelque façon dictée par la condition sociale de la requérante. Au contraire, la disposition législative vise à remédier à la condition sociale dans laquelle les contribuables de son groupe se retrouvent au cas de divorce ou de séparation par suite de l’éclatement du mariage.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 15(1).
Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. 1977, ch. C-12, art. 10 (mod. par L.Q. 1982, ch. 61, art. 3).
Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 56(1)b), 60b), 63 (mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 33; 1976-77, ch. 4, art. 21; 1980-81-82-83, ch. 109, art. 19; 1984, ch. 1, art. 25; ch. 45, art. 22; 1988, ch. 55, art. 39; 1990, ch. 39, art. 13), 70(6) (mod. par S.C. 1973-74, ch. 14, art. 19; 1974-75-76, ch. 26, art. 38; 1985, ch. 45, art. 33), 73 (mod. par S.C. 1973-74, ch. 14, art. 20.1; 1977-78, ch. 32, art. 14; 1980-81-82-83, ch. 48, art. 39; ch. 140, art. 41; 1985, ch. 45, art. 35; 1986, ch. 6, art. 36; 1988, ch. 55, art. 51), 74.1(2) (mod. par L.C. 1986, ch. 55, art. 17), 118(1)a) (mod. par L.C. 1988, ch. 55, art. 92), b) (mod. idem), d) (mod. idem), 118.8 (édicté idem), 122.2 (édicté par S.C. 1978-79, ch. 5, art. 4; mod. par S.C. 1984, ch. 1, art. 65; 1988, ch. 55, art. 97), 146(16)b) (mod. par L.C. 1990, ch. 35, art. 13), 171(1) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 158, art. 58, no 2), 251 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 129; 1988, ch. 55, art. 190).
Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. (1985), ch. T-2, art. 18.28 (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 51, art. 5).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1(3) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695; R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; (1986), 26 D.L.R. (4th) 200; 24 C.C.C. (3d) 321; 50 C.R. (3d) 1; 19 C.R.R. 308; 14 O.A.C. 335; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2 W.W.R. 289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 25 C.C.E.L. 255; 10 C.H.R.R. D/5719; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255; R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933; (1991), 75 O.R. (2d) 388; 71 D.L.R. (4th) 551; 63 C.C.C. (3d) 481; 5 C.R. (4th) 253; 3 C.R.R. (2d) 1; 125 N.R. 1; 47 O.A.C. 81; R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296; (1989), 48 C.C.C. (3d) 8; 69 C.R. (3d) 97; 39 C.R.R. 306; 96 N.R. 115; 34 O.A.C. 115; Gagnon c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 264; (1986), 25 D.L.R. (4th) 481; [1986] 1 CTC 410; 86 DTC 6179; 65 N.R. 321; 1 R.F.L. (3d) 113.
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Brossard (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279; (1988), 53 D.L.R. (4th) 609; 10 C.H.R.R. D/5515; 88 CLLC 17,031; Foucher c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.J.Q. 703 (C.S.); Schachtschneider c. Canada, [1994] 1 C.F. 40 (C.A.).
DÉCISION CITÉE :
Moge c. Moge, [1992] 3 R.C.S. 813; (1992), 99 D.L.R. (4th) 456; [1993] 1 W.W.R. 481; 81 Man. R. (2d) 161; 30 W.A.C. 161.
DOCTRINE
Canada. Ministère de la Justice. Bureau de l’examen, Évaluation de la Loi sur le divorce : Étape II : Contrôle et évaluation, Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1990.
Canada. Rapport du Comité fédéral/provincial/territorial sur le droit de la famille. Les incidences économiques des règles de fixation des pensions alimentaires pour enfants : rapport de recherche mai 1992.
Dictionnaire de droit privé et Lexiques bilingues, 2e éd., Cowansville (Québec) : Éditions Yvon Blais, 1991, « état civil ».
Durnford, J. W. and S. J. Toope. « Spousal Support in Family Law and Alimony in the Law of Taxation » (1994), 42 Can. Tax J. 1.
Petit Larousse illustré, Paris : Librairie Larousse, 1984, « état civil ».
Vocabulaire juridique, publié sous la direction de Gérard Cornu, 2e éd., Presses Universitaires de France, Paris 1990, « état civil ».
Zweilbel, Ellen B. and Richard Shillington. Child Support Policy : Income Tax Treatment and Child Support Guidelines, Toronto : The Policy Research Centre on Children, Youth and Families, 1993.
DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Cour de l’impôt a rejeté l’appel de la requérante de sa cotisation d’impôt de 1989 (Thibaudeau, S. c. M.R.N. (1992), 92 DTC 2111 (angl.); 92 DTC 2098 (fr.)). Appel accueilli.
AVOCATS :
Michel C. Bernier et Richard Bourgault pour la requérante.
Guy Laperriere et Carole Johnson pour l’intimée.
Mary Eberts et Steve Tenai pour l’intervenant Support and Custody Orders for Priority Enforcement (SCOPE).
PROCUREURS :
Bernier, Beaudry, Sainte-Foy, Québec pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour l’intimée.
Tory Tory DesLauriers & Binnington, Toronto, pour l’intervenant Support and Custody Orders for Priority Enforcement (SCOPE).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Hugessen, J.C.A. : La présente demande de contrôle judiciaire vise une décision publiée de la Cour canadienne de l’impôt[1], qui a rejeté l’appel interjeté par la requérante à l’égard de sa cotisation d’impôt de 1989. L’appel en question étant régi par la « procédure informelle » de la Cour de l’impôt, le seul recours ouvert est le contrôle judiciaire[2].
La requérante est la mère de deux enfants mineurs dont elle a la garde. Aux termes du jugement prononçant le divorce entre elle et son ex-conjoint, le père des enfants, elle n’a droit à aucune pension alimentaire pour elle-même (elle détient un emploi rémunéré, quoique passablement modeste), mais elle a droit à 1 150 $ par mois pour subvenir aux besoins des enfants.
Conformément aux dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu[3], la somme reçue par la requérante pour subvenir aux besoins de ses enfants devait être incluse dans le calcul de son revenu. L’alinéa 56(1)b), tel qu’il s’appliquait lors de l’année d’imposition 1989, requérait en effet l’inclusion dans le calcul du revenu de :
56. (1) …
b) toute somme reçue dans l’année par le contribuable, en vertu d’un arrêt, d’une ordonnance ou d’un jugement rendu par un tribunal compétent ou en vertu d’un accord écrit, à titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, des enfants issus du mariage ou à la fois du bénéficiaire et des enfants issus du mariage, si le bénéficiaire vivait séparé en vertu d’un divorce, d’une séparation judiciaire ou d’un accord écrit de séparation du conjoint ou de l’ex-conjoint tenu de faire le paiement, à la date où le paiement a été reçu et durant le reste de l’année.
N’eût été cette disposition, la pension alimentaire n’aurait pas été par ailleurs imposable entre les mains du bénéficiaire en vertu des dispositions générales de la Loi qui créent une obligation fiscale.
Cette disposition trouve sa contrepartie à l’alinéa 60b), qui permettait à l’ex-conjoint de la requérante de déduire ces mêmes sommes de son revenu aux fins de l’impôt. Des dispositions connexes prescrivent l’inclusion et la déduction semblable de paiements de nature comparable, notamment ceux effectués aux parents ou par les parents dont les enfants sont nés hors des liens du mariage. L’ensemble de ces règles est fréquemment appelé succinctement le système inclusion-déduction.
Devant la Cour de l’impôt, la requérante a essentiellement fait valoir que le système en question violait ses droits à l’égalité garantis par le paragraphe 15(1) de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] :
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.
Le juge de la Cour de l’impôt a rejeté cette prétention. Bien que peu ou pas de preuve lui ait été soumise sur ce point, il était disposé à prendre connaissance d’office du fait que « l’appelante fait partie d’un groupe composé en très large majorité de femmes qui sont soit séparées ou divorcées, qui ont une certaine autonomie financière (ne recevant pas de pension pour elles-mêmes), qui ont la garde de leurs enfants et qui reçoivent une pension alimentaire imposable de leur conjoint ou ex-conjoint pour le bénéfice des enfants »[4].
(Il convient de souligner en passant que, grâce à l’intervention de SCOPE, il a été plus qu’amplement remédié devant notre Cour à l’absence de preuve que le juge de la Cour de l’impôt a remarquée. En dépit de son volume considérable, la preuve ne fait toutefois guère plus que confirmer les conclusions de fait du juge de la Cour de l’impôt sur ce point.)
Le juge de la Cour de l’impôt a ensuite ajouté (à la page 2106) :
Ce groupe de personnes ci-dessus décrit,—dont fait partie l’appelante—à cause de certaines caractéristiques personnelles ont droit à mon avis à la garantie dont traite l’article 15 de la Charte qui prohibe toute discrimination fondée sur les motifs qui y sont mentionnés ou sur des motifs analogues.
Le juge de la Cour de l’impôt a en outre conclu [à la page 2107] que « dans ses éléments essentiels la façon … de calculer l’impact fiscal pour l’appelante résultant de l’inclusion de la pension alimentaire dans son revenu » était « substantiellement » celle qu’a mentionnée le témoin expert Drouin, notamment qu’au cours de l’année 1989, la requérante avait supporté un « coût fiscal » de 3 705 $[5] du fait du mécanisme inclusion-déduction.
Malgré ces conclusions, le juge de la Cour de l’impôt a rejeté l’appel de la requérante parce qu’il était d’avis que la Cour qui avait accordé la pension alimentaire à la requérante avait en fait tenu compte de l’effet de l’impôt sur le revenu dans la détermination du montant des paiements en question et que, quoi qu’il en soit, il existait en droit de la famille l’obligation générale de majorer la pension alimentaire de manière à tenir compte de ses conséquences fiscales. Il a conclu ainsi (aux pages 2108 et 2109) :
J’en viens donc à la conclusion que si dans la détermination du montant de la pension alimentaire qui est versée pour subvenir aux besoins des enfants le tribunal prend en compte l’incidence fiscale aussi bien pour le payeur que pour la personne qui reçoit la pension alimentaire, le parent qui reçoit cette pension ne subit pas de préjudice même s’il doit inclure cette pension dans son revenu. Si un tribunal de première instance omet de considérer l’impact fiscal ou encore l’évalue incorrectement, la partie concernée devrait se prévaloir de son droit d’appel pour obtenir le redressement auquel elle a droit. Il va de soi que si le montant de la pension est établi par un accord écrit des parties, la partie qui reçoit la pension alimentaire doit s’assurer de la majoration de cette pension à un juste niveau dans les cas, bien entendu, où cette pension est imposable. Comme corollaire des propositions énoncées dans le présent paragraphe, il semble juste de dire que la personne qui reçoit la pension alimentaire pour subvenir aux besoins des enfants a, de son côté, droit de tenir compte de l’impact fiscal découlant de la réception de la pension alimentaire et de retenir sur le montant de la pension qui lui fut versée, la partie appropriée de ce montant qui représente l’impôt additionnel sur le revenu qu’elle devra acquitter par suite de l’inclusion de cette pension dans son revenu.
Une fois l’instance de contrôle judiciaire introduite devant cette Cour, et en vérité après que la date de l’audition eut été fixée, une demande d’intervention a été présentée par le groupe d’intérêt « Support and Custody Orders for Priority Enforcement » (SCOPE). L’autorisation d’intervenir a été accordée, et SCOPE a déposé en temps opportun un exposé et de nombreux documents, qui ont déjà été mentionnés.
La discrimination alléguée par la requérante et celle invoquée par l’intervenant sont fondées sur des motifs différents. L’intervenant soutient que l’alinéa 56(1)b) établit une discrimination, et que la requérante fait partie d’un groupe victime de discrimination fondée sur le sexe. La prétention de la requérante est différente. Dans son avis d’appel à la Cour canadienne de l’impôt, elle allègue ceci :
3….
f) Les dispositions des articles précités de la Loi créent envers le contribuables [sic] une injustice et une inégalité devant la Loi au seul motif de son statut de « conjoint » ou « d’ex-conjoint » ou de « parent », gardien d’enfants au bénéfice desquels est payée une pension alimentaire par rapport à tous autres gardiens d’enfants bénéficiaires d’une pension alimentaire;
g) Les dispositions des articles précités de la Loi créent envers le contribuable une injustice et une inégalité d’imposition par rapport à tout autre contribuable dont les enfants bénéficient de revenus qui ne sont pas une « pension alimentaire; [Avis d’appel, dossier de l’intimée, à la p. 5.]
À mon sens, il s’agit là d’allégations d’une discrimination fondée sur des motifs analogues à ceux qui sont énumérés à l’article 15 de la Charte. Le groupe auquel la requérante prétend appartenir et qui est victime de discrimination peut, j’estime, être à juste titre décrit comme réunissant les parents séparés[6] qui ont la garde des enfants et qui sont bénéficiaires d’une pension alimentaire pour subvenir aux besoins de ces derniers.
Il convient d’examiner ces motifs de discrimination séparément.
L’allégation de l’intervenant, portant qu’il y a discrimination fondée sur le sexe, commande l’examen de l’arrêt Symes, rendu récemment par la Cour suprême du Canada[7]. Dans cette affaire, la Cour devait se prononcer sur la contestation de l’allocation pour garde d’enfants prévue à l’article 63 de la Loi de l’impôt sur le revenu. La contestation reposait sur une allégation de discrimination fondée sur le sexe au sens de l’article 15. S’exprimant au nom de la majorité, le juge Iacobucci a rejeté la prétention parce qu’il n’avait pas été démontré que l’article 63 créait une distinction fondée sur le sexe. Il a tiré cette conclusion après avoir franchi la première étape de l’analyse à trois volets requise par les arrêts Andrews[8] et Swain[9] dans les contestations fondées sur l’article 15, que le juge Iacobucci a résumée ainsi (à la page 761) :
Premièrement, il faut déterminer si l’art. 63 crée une inégalité : l’art. 63 établit-il (intentionnellement ou non) une distinction entre l’appelante et d’autres personnes, qui est fondée sur des caractéristiques personnelles? Deuxièmement, s’il y a inégalité, la Cour doit déterminer si cette inégalité donne lieu à une discrimination : la distinction établie par l’art. 63 a-t-elle pour effet d’imposer des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de restreindre l’accès à des possibilités, bénéfices et avantages offerts à d’autres? Enfin, s’il y a à la fois inégalité et discrimination, il faut déterminer, aux fins du par. 15(1) de la Charte, si la caractéristique personnelle en cause est un motif énuméré ou un motif analogue.
À l’instar de l’article 63 [mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 33; 1976-77, ch. 4, art. 21; 1980-81-82-83, ch. 109, art. 19; 1984, ch. 1, art. 25; ch. 45, art. 22; 1988, ch. 55, art. 39; 1990, ch. 39, art. 13], l’alinéa 56(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu, contesté en l’espèce, est en apparence neutre : il ne crée ni explicitement ni implicitement une distinction fondée sur le sexe; il n’est pas non plus un stratagème trompeur dont les dispositions peuvent, en fait, et en dépit de la neutralité du libellé, s’appliquer aux membres d’un seul sexe (comme ce serait le cas par exemple du texte créant une distinction fondée sur la grossesse ou le cancer de la prostate). Mais le juge Iacobucci ne s’est pas arrêté là; il a ensuite effectué l’analyse approfondie des « effets préjudiciables » de la disposition contestée. Il est bien entendu nécessaire d’effectuer une telle analyse pour vérifier si la loi crée une distinction indirecte ou non intentionnelle fondée sur le sexe. Cette analyse serait également opportune s’il était allégué que les fonctionnaires chargés d’administrer la loi ont agi d’une manière discriminatoire, bien que rien de tel n’ait été suggéré ni dans l’arrêt Symes, ni en l’espèce.
Le sexe était l’unique caractéristique personnelle en cause dans l’arrêt Symes, et aucune autre contestation fondée sur un motif énuméré ou analogue n’a été formulée.
Dans son analyse de la première étape (à savoir si l’article crée une distinction fondée sur le sexe), le juge Iacobucci a écrit (à la page 763) :
… il n’y a pas de doute que les femmes assument une part disproportionnée des coûts sociaux de la garde des enfants. Toutefois, la question soulevée par le par. 15(1) ne vise pas à déterminer si la société impose ou non aux femmes ces coûts. Du point de vue du par. 15(1), il faut plutôt déterminer si l’art. 63 de la Loi a un effet préjudiciable sur les femmes en ce qu’il crée de façon non intentionnelle une distinction fondée sur le sexe. À mon avis, pour établir cet effet, il ne suffit pas pour l’appelante d’établir que les femmes assument une part disproportionnée de la garde des enfants dans la société. Elle doit plutôt démontrer que les femmes paient une part disproportionnée des frais de garde d’enfants. C’est seulement si les femmes paient une part disproportionnée de ces frais que l’art. 63 peut avoir un effet quelconque, puisque le seul effet de cette disposition est de limiter le montant de la déduction fiscale à cette fin. [Souligné dans le texte original.]
puis (aux pages 766 et 767) :
Dans un autre contexte, un sous-groupe différent de femmes, qui présenterait des éléments de preuve différents relativement à l’art. 63, pourrait bien arriver à démontrer les effets préjudiciables exigés par le par. 15(1). Par exemple, bien que je ne désire pas exprimer d’opinion sur ce sujet, je remarque que l’on ne s’est pas efforcé en l’espèce de faire ressortir la situation des mères célibataires. Si, par exemple, on pouvait démontrer que plus de femmes que d’hommes sont chefs de familles monoparentales, on peut imaginer que l’analyse des effets préjudiciables concernant la situation des mères célibataires pourrait bien avoir un cheminement différent, puisque les frais de garde d’enfants incomberaient alors, dans une mesure disproportionnée, à des femmes.
et ensuite (aux pages 767 et 768) :
… affirmer que l’on refuse plus souvent aux femmes la déduction visée à l’art. 63 est reconnaître une réalité : lorsque deux personnes dans un ménage assument les frais d’entretien, la femme est beaucoup plus souvent celle qui a le revenu le moins élevé. Bien que ces deux personnes participent aux frais réels de garde des enfants, la déduction est alors refusée à la femme du fait de son revenu moins élevé. En ce sens alors, la femme est plus souvent « touchée » par l’art. 63. Toutefois, cette façon de décrire l’art. 63 ne revient pas à admettre que l’art. 63 a un « effet préjudiciable » qui subordonne les femmes. Comme je l’indiquais précédemment, refuser la déduction à la femme ne ferait qu’exagérer une inégalité sociale si c’est la femme qui a assumé la plus grande partie des frais de garde des enfants. Puisqu’il manque, comme je l’ai déjà indiqué, des éléments de preuve sur ce point, la seule distinction évidente est celle qui repose sur l’état parental, et, comme je viens de le mentionner, l’argumentation de l’appelante revenait à exclure les moyens fondés sur l’état parental. [Souligné dans le texte original.]
Bien qu’il n’ait pas eu à la faire étant donné sa conclusion à la première étape, le juge Iacobucci est ensuite passé à la seconde étape, c’est-à-dire qu’il s’est demandé si la disposition contestée était discriminatoire. À cet égard, il a dit (aux pages 770 et 771) :
… il importe maintenant de se rendre compte qu’il existe une différence entre l’identification de personnes subissant l’effet défavorable d’une disposition et la démonstration qu’un groupe ou un sous-groupe subit un effet préjudiciable en droit en raison d’une disposition contestée. Comme je l’ai déjà fait remarquer, la preuve de l’inégalité est un processus comparatif : Andrews, précité. Si un groupe ou un sous-groupe de femmes pouvait prouver l’effet préjudiciable requis, la preuve proviendrait d’une comparaison avec le groupe d’hommes pertinent. En conséquence, bien qu’une disposition contestée puisse avoir une incidence négative sur des hommes pris individuellement, ceux-ci ne feraient pas partie d’un groupe ou sous-groupe d’hommes en mesure de prouver l’effet préjudiciable requis. En d’autres termes, seulement des femmes pourraient soutenir qu’il y a effet préjudiciable, ce qui est entièrement compatible avec les énoncés formulés dans l’arrêt Brooks, précité, savoir que « seules les femmes ont la possibilité de devenir enceintes » (à la p. 1242).
Prenons ce point sous un autre angle : si l’art. 63 créait un effet préjudiciable sur les femmes (ou un sous-groupe) par rapport aux hommes (ou un sous-groupe), l’étape initiale de l’analyse fondée sur le par. 15(1) serait satisfaite : il se trouverait à exister une distinction fondée sur la caractéristique personnelle que constitue le sexe. Toutefois, au deuxième stade de l’analyse fondée sur le par. 15(1), la distinction fondée sur le sexe ne pourrait être discriminatoire qu’à l’endroit des femmes ou des hommes, et non pas des deux. Le demandeur devrait établir si la distinction « a pour effet d’imposer des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d’autres » (voir l’arrêt Swain, précité, à la p. 992). En toute logique, le fardeau ou l’avantage ne pourrait exister à la fois pour les femmes et les hommes. De même, si un tribunal pouvait entreprendre la recherche plus large d’un « désavantage qui existe indépendamment de la distinction juridique précise contestée » (arrêt Turpin, à la p. 1332), je ne peux voir comment ce désavantage pourrait exister à la fois pour les hommes et les femmes. [Souligné dans le texte original.]
Ces passages me laissent perplexe. À strictement parler, ils sont évidemment des commentaires incidents, mais ils revêtent une grande autorité. On semble ainsi donner à entendre qu’une disposition législative apparemment neutre, honnête, appliquée de façon impartiale conformément à ses termes, touchant à la fois les hommes et les femmes, peut néanmoins être discriminatoire sur le fondement du sexe. Il me semble qu’une telle hypothèse, que j’accepte évidemment, nécessite une certaine explication.
De toute évidence, il ne peut y avoir de doute que dans de nombreux cas, aussi bien dans les litiges fondés sur la Charte que sur différentes lois relatives aux droits de la personne, il sera nécessaire d’effectuer une analyse des effets préjudiciables qui permettra de conclure qu’il y a eu discrimination. Il est également clair que ce n’est pas répondre à une telle prétention que de démontrer que la politique, l’action ou la loi contestée peut également avoir des effets préjudiciables sur des personnes qui ne font pas partie du groupe concerné : une disposition qui établit une discrimination à l’égard des hindous peut de même avoir des effets préjudiciables sur les bouddhistes; une politique qui établit une discrimination à l’égard des noirs ne serait pas justifiée du seul fait qu’elle cause également un préjudice aux autochtones. Mais il est certainement hors de question que la loi qui cause des effets préjudiciables à la fois aux hommes et aux femmes soit discriminatoire sur le fondement du sexe uniquement parce que les personnes touchées sont en majorité des femmes (ou des hommes). Une conception aussi mécanique tendrait à saper les objectifs de la Charte. De fait, à mon avis, ce n’est pas parce que plus de femmes que d’hommes subissent des effets préjudiciables, mais parce que certaines femmes, si petit que soit leur groupe, subissent des effets plus préjudiciables que le groupe d’hommes équivalent, qu’on peut dire d’une disposition qu’elle crée une discrimination fondée sur le sexe.
À cet égard, il importe de reconnaître que le motif que constitue le sexe diffère grandement des autres motifs énumérés. Il existe un nombre presque infini de religions, de races, de nationalités, etc., et on ne saurait dire de ces catégories qu’elles réunissent deux sous-groupes opposés. En revanche, il n’y a que deux sexes[10]. L’un exclut l’autre. L’homme est toujours l’opposé de la femme, et vice versa. Les femmes, ou tout groupe ou sous-groupe de femmes qui prétendent qu’une loi crée une discrimination à leur égard sur le fondement du sexe, font nécessairement valoir que cette loi crée une distinction fondée sur leur caractéristique commune de qualité de femme qu’elle ne crée pas à l’égard de ceux qui possèdent les caractéristiques opposées de l’homme. Il en serait de même si un groupe ou un sous-groupe d’hommes alléguait la discrimination.
Aussi, me semble-t-il que l’on ne puisse logiquement prétendre qu’une règle par ailleurs neutre crée une discrimination fondée sur le sexe pour la simple raison que ses effets se font sentir sur un plus grand nombre de personnes d’un sexe que de l’autre. Je ne crois pas non plus que c’est ce qu’entend le juge Iacobucci dans l’arrêt Symes lorsqu’il dit d’une loi qu’elle a des effets préjudiciables « disproportionnés » sur les femmes ou que « plus » de femmes que d’hommes en souffrent. L’élément clé n’est évidemment pas le nombre, mais la nature des effets; c’est la qualité et non la quantité qui importe. Si la loi qui entraîne des effets préjudiciables à l’égard des femmes a les mêmes effets préjudiciables à l’égard des hommes, bien que ces derniers soient moins nombreux ou qu’ils soient moins susceptibles d’en souffrir, on ne peut soutenir logiquement que la discrimination est fondée sur le sexe. Cela ne signifie évidemment pas que la Charte n’est pas violée car, dans de telles circonstances, il est fort probable qu’un autre motif de discrimination entre en jeu.
Prenons l’exemple suivant : c’est une vérité, bien triste hélas, qu’au Canada, un beaucoup plus grand nombre de femmes que d’hommes vivent dans la pauvreté[11]. La loi qui créerait une discrimination à l’égard des pauvres causerait donc plus d’effets préjudiciables aux femmes qu’aux hommes. On ne pourrait toutefois dire d’elle qu’elle crée une discrimination fondée sur le sexe que si elle établissait également à l’encontre des femmes pauvres une distinction qui ne vise pas les hommes pauvres, ou que si elle avait sur les femmes des effets différents de ceux qu’elle a sur les hommes. Autrement, pour trancher la contestation d’une telle loi dans le cadre de l’article 15, il faudrait déterminer si la pauvreté est un motif analogue à ceux énumérés. D’autre part, la loi imposant un test physique susceptible d’être plus facilement réussi par la plupart des hommes aurait des effets disproportionnés sur les femmes, même si certains hommes échouaient le test et que certaines femmes le réussissaient difficilement. Le test serait qualitativement différent, même pour les femmes qui le réussiraient, et il prêterait le flanc à la contestation pour discrimination fondée sur le sexe. Dans chaque cas, les effets de la loi doivent être soupesés; il ne suffit pas de compter le nombre de personnes touchées.
En l’espèce, à l’instar du juge de la Cour de l’impôt, je n’ai absolument aucun doute que l’alinéa 56(1)b) a plus d’effets préjudiciables sur les femmes que sur les hommes, car les mères ont beaucoup plus souvent la garde de leurs enfants que les pères. Cependant, comme la loi doit également avoir les mêmes effets à l’égard des pères gardiens, bien que ceux-ci soient largement minoritaires, je ne peux concevoir que l’on soutienne qu’elle établit une distinction ou une discrimination fondée sur le sexe. À mon avis, l’importance des documents indiquant l’effet numériquement disproportionné de l’alinéa 56(1)b) à l’égard des femmes doit entrer en jeu dans le contexte d’une analyse fondée sur l’article premier.
Et cette analyse doit être effectuée. Si les prétentions de l’intervenant fondées sur le sexe me semblent être problématiques, celles de la requérante fondées sur un motif analogue semblent être claires.
Mises à part les caractéristiques « non personnelles » requises par l’alinéa 56(1)b ) pour l’inclusion dans le calcul du revenu du contribuable de la pension alimentaire destinée à ses enfants, l’allégation de discrimination de la requérante est fondée sur sa qualité de parent séparé ayant la garde de ses enfants. Si on analyse cette allégation au regard des trois étapes prescrites par les arrêts Andrews, Swain et Symes, précités, le résultat me semble tomber sous le sens.
D’une part, l’alinéa 56(1)b) établit une distinction intentionnelle entre la requérante et d’autres personnes, fondée sur le fait qu’elle est un parent séparé ayant la garde de ses enfants. Il ne subsiste absolument aucun doute dans mon esprit que le fait d’être séparé et d’être un parent sont des « caractéristiques personnelles », et je remarque qu’à maintes reprises dans l’arrêt Symes, le juge Iacobucci rappelle presqu’à regret que l’appelante dans cette affaire a expressément refusé de fonder sa prétention sur sa qualité de parent. Je doute toutefois que la garde des enfants puisse à juste titre être qualifiée de « caractéristique personnelle ». Compte tenu de mon opinion sur les deux autres composantes de la prétention de la requérante, il n’est toutefois pas nécessaire d’approfondir cette question. Simplement, il n’est pas nécessaire que la description du groupe touché corresponde exactement aux motifs de discrimination; il suffit qu’au moins l’une des caractéristiques du groupe en question soit incluse dans les motifs. De fait, bien que la qualité ou l’attribut qui constitue le motif puisse être possédé par tous (race, origine nationale) ou par quelques-uns (déficience mentale ou physique), la description du groupe affecté sera presque toujours plus restrictive (immigrants haïtiens, contribuables aveugles).
D’autre part, l’inégalité créée à l’égard des parents séparés qui ont la garde de leurs enfants est discriminatoire et impose à ceux-ci un fardeau que les autres n’ont pas. On peut le vérifier en examinant simplement chacune des composantes déterminantes du groupe.
Ainsi, un parent non séparé qui a la garde de ses enfants n’est pas tenu d’inclure dans le calcul de son revenu la prestation alimentaire que le conjoint lui verse. C’est ainsi même dans les cas, rares, mais pas impossibles, où une pension alimentaire est versée conformément à une ordonnance de la cour ou à une entente écrite, alors que les époux vivent ensemble.
De même, le parent séparé qui n’a pas garde d’enfant, (par exemple un père divorcé auquel ses propres parents versent de l’argent pour l’aider à élever ou à éduquer leurs petits-enfants) n’est pas tenu d’inclure cette prestation alimentaire dans le calcul de son revenu.
Enfin, les personnes séparées qui ne sont pas parents et qui ont garde d’enfant, comme par exemple la grand-mère ou l’oncle, ne sont pas tenues d’inclure dans le calcul de leur revenu les sommes reçues de l’un ou l’autre parent de l’enfant ou des deux.
La conclusion est inévitable : la loi impose au groupe décrit, un fardeau qu’elle n’impose pas aux autres.
La troisième et dernière étape de l’analyse fondée sur l’article 15 consiste à vérifier si les caractéristiques personnelles en cause constituent des motifs analogues aux motifs de discrimination énumérés. À mon avis, tel est le cas.
La notion du « motif analogue » comme fondement de la discrimination a été adoptée par le juge McIntyre dans l’arrêt Andrews, précité, où il a dit (à la page 175) :
Les motifs énumérés au par. 15(1) ne sont pas exclusifs et les restrictions, le cas échéant, que la jurisprudence pourra apporter aux motifs de discrimination ne sont pas encore précisées. Les motifs énumérés traduisent cependant les pratiques de discrimination les plus courantes, les plus classiques et vraisemblablement les plus destructrices socialement, et ils doivent, selon le par. 15(1), recevoir une attention particulière. Les motifs énumérés eux-mêmes et les autres motifs possibles de discrimination reconnus au par. 15(1) doivent, dans les deux cas, recevoir une interprétation large et libérale de manière à refléter le fait qu’il s’agit de dispositions constitutionnelles qu’il n’est pas facile d’abroger ou de modifier, mais qui visent à fournir un « cadre permanent à l’exercice légitime de l’autorité gouvernementale » et, par la même occasion, à « la protection constante » des droits à l’égalité …
Il a ensuite ajouté (à la page 182) que le « point de vue, celui des motifs énumérés et analogues, correspond davantage aux fins de l’art. 15 », puis conclu (à la page 183) en incorporant le concept américain de la « minorité discrète et isolée ».
Le juge Wilson a, dans l’arrêt R. c. Turpin[12], élargi comme suit la portée de l’arrêt Andrews et en a fait les commentaires suivants (à la page 1332) :
Le juge McIntyre reconnaît dans l’arrêt Andrews que le « point de vue […] des motifs énumérés et analogues correspond davantage aux fins de l’art. 15 et à la définition de la discrimination exposée auparavant » (p. 182) et il laisse entendre que les personnes qui seraient victimes de discrimination dans l’affaire Andrews, c.-à-d. celles qui n’ont pas la citoyenneté et qui résident en permanence au Canada constituent « un bon exemple [… d’une] minorité discrète et isolée visée par la protection de l’art. 15 » (p. 183). De même, j’ai laissé entendre, dans les motifs de jugement que j’ai rédigés dans l’affaire Andrews, que la conclusion relative à la question de savoir si un groupe relève d’une catégorie analogue à celles qui sont expressément énumérées à l’art. 15 « ne peut pas être tirée seulement dans le contexte de la loi qui est contestée mais plutôt en fonction de la place occupée par le groupe dans les contextes social, politique et juridique de notre société » (p. 152). Si l’on ne tient pas compte du contexte général, l’analyse fondée sur l’art. 15 peut devenir un processus de classification mécanique et stérile qui dépendra exclusivement du texte de loi contesté. Si la décision quant à savoir s’il y a ou non discrimination se fonde exclusivement sur l’examen de la loi contestée, il est vraisemblable à mon avis qu’on arrivera à la même sorte d’impasse qui caractérise le critère selon lequel les personnes qui se trouvent dans une situation analogue doivent être traitées de façon analogue, que cette Cour a nettement rejeté dans l’arrêt Andrews .
Immédiatement après le passage de ses motifs dans l’arrêt Andrews auquel elle renvoie dans l’extrait de l’arrêt Turpin cité ci-dessus, le juge Wilson a apporté le commentaire important suivant (aux pages 152 et 153) :
Je crois également qu’il importe de souligner que l’éventail des minorités discrètes et isolées a changé et va continuer à changer avec l’évolution des circonstances politiques et sociales. Par exemple, en 1938, le juge Stone se disait préoccupé par les minorités religieuses, nationales et raciales. En énumérant des motifs précis à l’art. 15, les rédacteurs de la Charte ont envisagé ces préoccupations en 1982, mais ils se sont aussi attardés aux difficultés que connaissent les gens défavorisés en raison de leur origine ethnique, de leur couleur, de leur sexe, de leur âge et de déficiences mentales ou physiques. On peut prévoir que les minorités discrètes et isolées de demain vont comprendre des groupes qui ne sont pas reconnus comme tels aujourd’hui. Il est conforme au statut constitutionnel de l’art. 15 qu’il soit interprété avec suffisamment de souplesse pour assurer la « protection constante » des droits à l’égalité dans les années à venir.
À mon avis, ces décisions abordent la question des motifs de discrimination sans grande timidité. Elles commandent au contraire une analyse de tout motif analogue allégué dans le contexte le plus général, afin de déterminer si ce motif a servi dans le passé, et sert encore aujourd’hui, à réserver un traitement particulier à un groupe désavantagé ou à établir une distinction à son égard. Il s’agit d’une analyse différente de celle dans le cadre de laquelle on détermine si une disposition contestée établit une distinction ou crée une discrimination fondée sur le motif allégué. En particulier, et bien que j’aie pris grand soin d’indiquer qu’à mon sens, un simple déséquilibre ou une disproportion numérique dans l’effet de la loi ne suffira pas pour établir une distinction ou une discrimination fondée sur le sexe, il me semble que c’est le contraire lorsqu’il s’agit de savoir si un motif est analogue à ceux énumérés à l’article 15. À supposer, par exemple, que la race ne fasse pas partie des motifs énumérés, on ne se soucierait pas de savoir, pour déterminer s’il s’agit là d’un motif « analogue », si la race a toujours constitué un motif de discrimination. Manifestement, ce n’est pas le cas pour elle plus que pour les autres motifs énumérés. Il serait plutôt important d’établir que la race sert fréquemment de fondement au genre de classification préjudiciable, stéréotypée et insensée qui caractérise la discrimination. C’est ce qui fait que tous les motifs énumérés sont analogues les uns aux autres.
En d’autres termes, lorsqu’on détermine si un motif est analogue ou non à ceux qui sont énumérés à l’article 15, il est juste de vérifier s’il a fréquemment été le fondement d’une discrimination dans d’autres circonstances, mais il n’est certainement pas nécessaire que ce soit toujours le cas : si la « race » n’était pas un motif énuméré, nous n’aurions pas à démontrer, pour établir qu’il s’agit d’un motif analogue, que les êtres humains créent invariablement une discrimination à l’égard des personnes de race différente. Au contraire, lorsqu’il s’agit de savoir si une loi établit une distinction, impose un fardeau ou confère un avantage fondé sur le sexe, le lien causal entre le motif et la distinction, le fardeau ou l’avantage ne peut être établi, en tenant pour acquis que la loi est appliquée correctement, que si aucun des membres du sexe opposé ne ressent ces effets de la même façon.
Ce qui précède fait ressortir un autre point important auquel j’ai déjà fait allusion : différents facteurs entrent en jeu lorsqu’il est allégué (comme il arrive plus fréquemment dans les cas de plaintes fondées sur les droits de la personne) qu’une loi ou une politique, qu’elle soit ou non apparemment discriminatoire, est appliquée d’une façon discriminatoire; bien qu’elle puisse affecter des personnes qui ne sont pas membres du groupe visé, l’application inégale et inéquitable fondée sur le sexe serait bien sûr toujours discriminatoire. Dans un tel cas, ce n’est pas tant la loi qui est contestée, mais la manière dont elle est appliquée. En l’espèce toutefois, rien n’indique que la Loi de l’impôt sur le revenu soit appliquée autrement qu’en toute conformité avec ses termes.
J’ai distingué le groupe auquel la requérante prétend appartenir comme étant celui des parents séparés qui ont la garde des enfants. Ni cette phrase, ni ses composantes ne constituent comme tel un motif analogue à ceux qui sont énumérés à l’article 15, ce qui n’est toutefois guère surprenant. Comme je l’ai mentionné précédemment, la description du groupe doit contenir en elle-même une certaine composante qui se retrouve dans le motif allégué, mais il est peu probable qu’il s’agisse du motif lui-même. Un individu ou un groupe n’est pas victime de discrimination parce qu’il est une « race » ou une « religion », mais plutôt parce qu’il appartient à une race particulière ou pratique une religion particulière. D’un angle différent, le Haïtien ou l’Hindou victime de discrimination ne l’est pas au motif d’être haïtien ou hindou, mais au motif de la race ou de la religion.
C’est à mon avis de « situation de famille » que serait le mieux qualifié le motif de discrimination dont sont victimes les parents séparés qui ont la garde de leurs enfants. Il va à mon avis presque de soi que cette situation sert depuis longtemps, et encore aujourd’hui, de fondement aux stéréotypes. Il suffit de se rappeler les expressions traditionnelles comme « l’homme heureux en ménage », la « vieille fille », le « joyeux[13] célibataire » ou la « veuve joyeuse » à titre d’exemples. Même la loi n’est pas au-dessus de ces stéréotypes, et la contrepartie en droit civil de l’homme raisonnable (reasonable man)—en lui-même un stéréotype—est le « bon père de famille ». Et bien sûr, l’élimination des incapacités odieuses imposées par la common law et le droit civil aux femmes mariées est encore relativement récente; ces incapacités ne s’appliquant pas aux femmes célibataires, elles n’étaient pas uniquement fondées sur le sexe, mais également sur la situation de famille.
Le fait que la situation de famille ou autre expression semblable figure à titre de motif de discrimination interdit dans la plupart des lois relatives aux droits de la personne permet également de confirmer sa nature analogue aux motifs énumérés dans la Charte.
Enfin, le groupe auquel la requérante appartient et qui allègue la discrimination fondée sur la situation de famille, soit celui des parents séparés qui ont la garde d’enfants, peut facilement être considéré comme une minorité discrète et isolée ayant traditionnellement été victime de préjudice et nécessitant une protection.
Avant d’en finir avec cet aspect de la question, il y a lieu d’apporter quelques commentaires sur les motifs pour lesquels le juge de la Cour de l’impôt a rejeté la prétention de la requérante. Comme je l’ai indiqué, il était d’avis que tous les effets préjudiciables à la requérante, sur le plan fiscal, du système inclusion-déduction pourraient et devraient avoir été corrigés par l’application régulière du régime du droit de la famille.
Bien qu’on ne puisse douter que le juge estimait à juste titre que les tribunaux devraient tenir compte des incidences fiscales, et que la cour qui a accordé le divorce de la requérante l’a effectivement fait, j’estime avec égards qu’il a commis une erreur en considérant qu’il s’agissait là de la solution de la contestation de l’alinéa 56(1)b) fondée sur la Charte. Mes motifs sont doubles.
D’une part, le dossier contient de nombreux documents indiquant qu’en pratique, le régime du droit de la famille n’a pas toujours, ni même ordinairement, pour effet de corriger les inégalités créées par l’alinéa 56(1)b). En revanche, même s’il avait cet effet, il me semble qu’il ne convient tout simplement pas de chercher à l’extérieur du régime fiscal la réparation d’une injustice que ce régime a lui-même créée.
Quant au premier point, je pars de la prémisse que la Loi de l’impôt sur le revenu et le régime du droit de la famille se retrouvent à des pôles presque opposés quant à leur façon d’envisager la détermination des sommes d’argent. Le régime fiscal tente d’être précis, pour ainsi dire au sou près, et l’assujettissement à l’impôt est régi par un code de règles dont les modalités et la complexité sont légendaires. Par contre, la détermination des sommes affectées aux besoins des enfants, un peu comme l’évaluation des dommages-intérêts, est notoirement imprécise. Il existe de nombreux principes directeurs, comme le bien-être de l’enfant et l’obligation des deux parents de contribuer à ses besoins selon leurs moyens, mais ces principes laissent place à un pouvoir discrétionnaire judiciaire très étendu. Ayant moi-même eu la tâche de fixer les pensions alimentaires pour enfants, je sais qu’il ne s’agit jamais d’un calcul mathématique simple. Dans ces circonstances, il est pour ainsi dire impossible à mon avis de recourir au droit de la famille pour corriger toute injustice créée par le mécanisme inclusion-déduction. C’est simplement un instrument trop brutal pour s’acquitter de cette tâche.
En outre, la preuve soumise dans le dossier laisse fortement entendre que le droit de la famille est en fait incapable de corriger l’injustice créée par l’alinéa 56(1)b). Dans le Rapport du Comité fédéral/provincial/territorial sur le droit de la famille intitulé Les incidences économiques des règles de fixation des pensions alimentaires pour enfants : rapport de recherche (mai 1992), on peut lire ce qui suit (à la page 101) :
Toutes les personnes impliquées dans la détermination des pensions alimentaires pour enfants doivent tenir compte des incidences fiscales peu importe si les attributions résultent d’accords entre les parents, de négociations entre les avocats ou de décisions des tribunaux. Bien que les incidences fiscales devraient constituer un élément de toutes les déterminations de pensions alimentaires pour enfants, il existe des motifs de croire que ces calculs ne sont peut-être pas toujours effectués. (Une enquête sur les juges a été effectuée en février 1990 par le juge R. James Williams. Des réponses au questionnaire ont été reçues de 147 juges. Les résultats indiquent que seule une minorité d’avocats présentent les calculs relatifs à l’impôt sur le revenu aux tribunaux lorsqu’il conviendrait de le faire. De plus, l’enquête montre que la majorité des juges n’effectuent pas leurs propres calculs relatifs à l’impôt sur le revenu si l’avocat ne leur en présente pas.
Juge R. James Williams, Child Support, An Update and Revision of Quantification of Child Support, (1989) 18 R.F.L. 234), le 2 mai 1990.) De plus, lorsque les conséquences fiscales sont effectuées, il n’existe aucune ligne directrice officielle montrant la façon dont on doit en tenir compte.
puis (aux pages 101 à 103) :
La majorité des déterminations de pensions alimentaires au Canada sont effectuées par voie de négociation et de règlement. Dans les cas où les pensions alimentaires pour enfants ont été négociées entre les parents et acceptées par eux, il est impossible d’établir s’il a été tenu compte des incidences fiscales. Toutefois, que les incidences fiscales aient ou non été considérées dans l’attribution de pension alimentaire, le payeur aura la possibilité de déduire le montant total qu’il a payé à titre de pension alimentaire.
S’il faut tenir compte des incidences fiscales, plusieurs questions doivent être prises en considération. Dans la Loi sur le divorce et dans les lois provinciales et territoriales il n’est nullement indiqué, ni la façon dont les calculs doivent être effectués, ni la façon dont l’avantage de la déduction doit être partagé entre les parents.
Dans la plupart des cas, lorsque le tribunal fixe un montant représentant les besoins de l’enfant, ce montant est ensuite divisé en proportion du revenu respectif de chacun des parents. Puis, l’on augmente la part du parent non gardien afin de dédommager le parent gardien de l’impôt qu’il devra payer. La personne qui paye la pension alimentaire déduit alors le montant total payé, de son revenu, ce qui peut représenter un avantage fiscal supérieur au montant réellement payé pour compenser l’impôt que le parent gardien devra payer. Très souvent, lorsque les incidences fiscales ont été prises en considération de cette façon, le bénéfice de la déduction n’est pas transmis au parent gardien pour le bénéfice des enfants.
Lorsqu’il est manifeste que les parents n’ont pas les moyens de subvenir aux besoins de l’enfant, l’avantage de la déduction pour le parent non gardien peut être considéré afin d’inciter à augmenter légèrement le montant de la pension alimentaire pour enfants. Cependant, il n’y a pas de consensus ni de prescription quant à la façon dont cette déduction doit être partagée entre les parents.
Pour faire en sorte que les bénéfices du système fiscal soient considérés de façon équitable, il faudrait prendre deux mesures supplémentaires dans le cadre de la détermination de la pension alimentaire de chaque enfant : 1) l’avantage de la déduction pour le parent non gardien devrait être déterminé et 2) cet avantage devrait être expressément divisé entre les parents. Cependant, même si ces deux mesures étaient prises, il reste le problème de la façon dont l’avantage doit être réparti entre les parents. On pourrait alléguer que l’avantage devrait être attribué entièrement à l’enfant ou qu’il devrait être divisé entre les parents également ou en proportion de leur participation respective aux coûts engagés pour l’enfant.
La responsabilité, pour le parent gardien dont le revenu est imposable, d’inclure le montant de la pension alimentaire reçue dans son revenu est une autre question qu’il vaut la peine d’étudier. Pour le parent gardien, économiser la fraction du paiement de la pension alimentaire qui doit être payée en impôt sur le revenu à la fin de l’année peut se révéler un lourd fardeau. Bien que certains puissent soutenir que ce fardeau ne doit pas être reconnu, les parents gardiens doivent économiser la fraction de l’attribution qui concerne l’impôt. Dans certains cas, il n’est pas possible, financièrement, d’économiser cet argent chaque mois sans imposer des privations aux enfants. Il est important d’étudier cette question dans le contexte réel où elle se présente, à savoir que les deux tiers des femmes et des enfants du Canada vivent dans la pauvreté après un divorce. Cependant, dans certains cas, le crédit d’impôt pour enfants et le crédit d’impôt pour taxe sur les produits et services peuvent compenser les impôts à payer.
Un autre point important dont il faut tenir compte est que les incidences fiscales d’une attribution de pension alimentaire peuvent varier avec le passage du temps. Il serait idéal que les ordonnances alimentaires varient de façon à traduire l’évolution des taux d’imposition marginaux des parents à mesure qu’elle se produit. On s’assurerait ainsi que les parents continuent d’être responsables de la même proportion des besoins des enfants au cours des années. À l’heure actuelle, les frais juridiques qu’il faudrait engager pour faire modifier les ordonnances alimentaires ont un effet de dissuasion sur de telles demandes.
De même, dans un article intitulé Child Support Policy : Income Tax Treatment and Child Support Guidelines, par Ellen B. Zweibel et Richard Shillington, après avoir analysé l’incidence de l’« avantage fiscal » qui découlerait du système inclusion-déduction, font les commentaires suivants (à la page 17) :
[traduction] Qu’en est-il des 49 % de cas rapportés au tableau 2.3 (montants adjugés selon l’Évaluation) et des 48 % de cas rapportés au tableau 2.5 (montants adjugés selon Melson/Delaware) où les règles de l’inclusion-déduction n’ont créé aucun avantage? Comment les avocats et les juges qui exercent en droit de la famille répondent-ils au casse-tête que représentent pour ces foyers les effets de la Loi de l’impôt sur le revenu?
Le montant des pensions alimentaires destinées aux enfants est déterminé en droit de la famille en fonction des besoins des enfants et de la capacité respective des parents de subvenir à ces besoins. Dans certains cas, la pension alimentaire destinée aux enfants est rajustée aux fins de l’impôt sur le revenu. Lorsque l’obligation fiscale de la mère ayant la garde des enfants excède le dégrèvement d’impôt dont bénéficie le père, le rajustement fiscal devient plus problématique et moins susceptible d’être effectué. On ne peut plus invoquer le dégrèvement d’impôt dont bénéficie le père pour le persuader de verser un montant pleinement majoré. Si le père indemnise la mère relativement à son obligation fiscale, l’incidence sur son revenu net est plus importante que ce qu’il avait prévu et, pourrait-on soutenir, que ce dont il avait d’abord convenu. Toutefois, si la pension alimentaire n’est pas pleinement majorée, sa valeur réelle est grandement diminuée. La mère gardienne reçoit moins d’argent pour subvenir aux besoins de ses enfants qu’elle ne l’avait d’abord prévu, et elle doit elle-même combler ce manque. Les règles relatives à l’inclusion et à la déduction ne fonctionnent pas dans ces cas, et le raisonnement du ministère des Finances qui sous-tend le régime fiscal actuel n’en tient pas compte.
Dans des circonstances appropriées, les dispositions relatives à l’inclusion et à la déduction peuvent offrir un avantage aux familles dont les parents sont séparés ou divorcés. Le dégrèvement dont jouit le payeur doit excéder l’obligation fiscale du bénéficiaire. Le payeur et le bénéficiaire doivent avoir pour objectif commun d’accroître la pension alimentaire pour les enfants et, pour ce faire, ils doivent être assistés par les comptables et les avocats.
Toutefois, les circonstances ne sont pas toujours appropriées. Notre recherche démontre le risque réel qu’un nombre considérable de familles dont les parents sont séparés ou divorcés retirent peu ou pas d’avantage. La politique actuelle néglige également le fait que la pension alimentaire pour enfants est une question litigieuse et que les pères non gardiens qui cherchent à réduire au minimum leurs paiements peuvent ne pas volontiers convenir de majorer la pension ou de partager en outre tout dégrèvement d’impôt qui excède la majoration. Le raisonnement du ministère des Finances néglige également le nombre de personnes qui règlent le montant des pensions alimentaires pour enfants eux-mêmes, sans l’aide des avocats ou des comptables, le nombre d’avocats et de juges qui s’appuient sur des évaluations approximatives et le nombre de cas où, en dépit des calculs fiscaux minutieux de l’avocat de la mère qui a la garde, le phénomène du « plafonnement voilé » entre en jeu et réduit le montant en question. [Caractères gras dans le texte original.]
À mon avis, ces documents portent un dur coup à l’argument portant que le régime du droit de la famille peut être invoqué pour corriger les difficultés créées par l’alinéa 56(1)b).
Ma seconde objection à la position adoptée par le juge de la Cour de l’impôt est plus fondamentale. Elle porte en fait sur la causalité. En théorie et en fait, l’impôt sur le revenu dépend du revenu. Pas de revenu, pas d’impôt. Ainsi, lorsque la Loi de l’impôt sur le revenu crée une obligation, elle le fait nécessairement sur le fondement qu’il y a une source de revenu à laquelle cette obligation peut se rattacher. Si toutefois l’obligation elle-même porte atteinte aux dispositions de la Charte relatives à l’égalité, on ne peut logiquement soutenir qu’il n’y a aucune violation parce que la source peut être rajustée de façon à corriger l’inégalité. En termes concrets, si le régime du droit de la famille requiert une majoration de la pension alimentaire aux fins de l’impôt sur le revenu, ce ne peut être que parce que la Loi de l’impôt sur le revenu impose la pension alimentaire versée au parent célibataire gardien des enfants. Si cet impôt constitue lui-même une violation de l’article 15 de la Charte, recourir au régime du droit de la famille revient à mettre la charrue devant les bœufs.
Je conclus donc que l’alinéa 56(1)b) viole le droit des parents célibataires qui ont la garde d’enfants à l’égalité dans et devant la loi et au même bénéfice de la loi, et qu’il ne peut s’appliquer à la requérante que s’il peut être sauvegardé par l’article premier.
Les différentes étapes de l’analyse fondée sur l’article premier sont bien connues et ont été exposées à maintes reprises depuis la décision marquante de la Cour suprême du Canada dans R. c. Oakes[14].
La première étape consiste à évaluer les objectifs poursuivis par la disposition contestée et à déterminer s’ils sont suffisamment importants pour justifier une violation de la Charte.
Les objectifs poursuivis par le système inclusion-déduction sont décrits comme suit par le juge Beetz dans l’arrêt Gagnon c. La Reine[15] (à la page 268) :
Ainsi, la somme déductible pour le contribuable en vertu de l’al. 60b) est imposable pour le bénéficiaire en vertu de l’al. 56(1)b).
En permettant aux ex-conjoints ou aux conjoints séparés un fractionnement de leurs revenus (income splitting), ces dispositions ont pour but de partager entre eux le fardeau fiscal. Comme l’écrit C. Dawe dans un article intitulé « Section 60(b) of the Income Tax Act : An Analysis and Some Proposals for Reform » (1979), 5 Queen’s L.J. 153 :
[traduction] Cela donne aux conjoints de plus grandes ressources financières que s’ils vivaient ensemble, compensant en partie pour l’économie perdue que constitue le fait de maintenir un seul foyer.
De même, dans le Rapport du Comité fédéral/ provincial/territorial sur le droit de la famille, on lit ceci (aux pages 93 et 94) :
Il existe un certain nombre de raisons de principe à la déduction des paiements de pensions alimentaires par le payeur et à l’inclusion de ces montants dans le revenu imposable du bénéficiaire. La raison d’être de cette politique a été expliquée par le ministère des Finances. Tout d’abord, c’est un principe de l’impôt que, lorsqu’une déduction a été prise à l’égard d’un paiement, le bénéficiaire de ce paiement doit payer de l’impôt sur celui-ci. En second lieu, le traitement fiscal accordé à l’égard des paiements de pensions alimentaires est conforme au principe de base de l’équité selon lequel des contribuables ayant les mêmes revenus provenant de différentes sources doivent payer le même montant d’impôt. Troisièmement, l’aide fiscale apportée par la déduction peut encourager le payeur à faire des paiements réguliers et complets. (Malgré cette politique, l’Ontario a annoncé récemment que 75 % des personnes qui paient des pensions alimentaires pour enfants ne se conforment pas entièrement à l’ordonnance alimentaire.) Quatrièmement, ce traitement fiscal constitue une subvention qui profite aux enfants puisqu’elle encourage le payeur à effectuer des paiements de pensions alimentaires plus élevés.
Lorsque la politique a été élaborée, la majorité des personnes qui payaient des pensions alimentaires se trouvaient dans une tranche d’imposition plus élevée que celle des bénéficiaires. Étant donné qu’un dollar de paiement de pensions alimentaires pour enfants permet au payeur de déduire un montant d’impôt supérieur à l’augmentation d’impôt que subit le bénéficiaire, la déduction réduit les impôts fédéral et provincial combinés du couple séparé et peut encourager le payeur à augmenter le montant des paiements de pensions alimentaires pour enfants. Toutefois, comme le nombre de tranches d’imposition a été réduit, les créanciers et les débiteurs de pensions alimentaires ne sont pas nécessairement soumis à des taux d’imposition différents malgré que les uns peuvent avoir des revenus supérieurs à ceux des autres.
Selon des statistiques sur l’imposition de 1988 fournies par Revenu Canada, environ 60 % des personnes effectuant des paiements de pensions alimentaires pour enfants se trouvaient dans les deux tranches d’imposition supérieures avant la déduction des paiements de pensions alimentaires. Près de 90 % des bénéficiaires étaient soit non imposables ou dans la tranche d’imposition la plus basse. Après la déduction par le payeur et l’inclusion par le bénéficiaire des paiements de pensions alimentaires, 50 % des payeurs demeurent dans les deux tranches d’imposition les plus élevées, tandis que 80 % des bénéficiaires restent non imposables ou dans la tranche d’imposition la plus basse. De nouveau, ces montants montrent la grande disparité de revenu qui existe entre les bénéficiaires de pensions alimentaires (qui sont surtout des femmes et des enfants) (Selon l’Évaluation de la Loi sur le divorce, les femmes se sont vues attribuer la garde exclusive des enfants dans les trois quarts des cas. Dans 98 % des cas, la pension alimentaire pour enfants allait du père à la mère) et les payeurs de pensions alimentaires (qui sont surtout des hommes). Ces chiffres probants semblent aussi indiquer que, dans la vaste majorité des cas, il existe des possibilités de partager avec les enfants, les économies d’impôt provenant de la déduction des paiements de pensions alimentaires.
Bien que les deux derniers paragraphes cités ci-dessus laissent fortement à entendre que l’objectif relatif à l’« avantage fiscal » (manifestement le plus important) n’est pas atteint (j’y reviendrai davantage dans un moment), je n’hésite pas à conclure que cet objectif est suffisamment important.
De même, l’étape suivante, où la Cour doit être convaincue qu’il existe un lien rationnel entre la disposition contestée et l’objectif législatif, présente peu de difficulté. Si on pourrait soutenir dans certains cas qu’une disposition est inefficace au point de susciter un doute quant au lien rationnel qui la rattache à son objectif, je ne crois pas que ce soit le cas en l’espèce.
Les deux dernières étapes de l’analyse fondée sur l’article premier, soit l’atteinte minimale et la proportionnalité, présentent toutefois beaucoup plus de difficultés. Les deux derniers paragraphes du Rapport du Comité fédéral/provincial/territorial sur le droit de la famille cités ci-dessus donnent un aperçu de l’application excessivement importune et disproportionnée du système inclusion-déduction dans certains cas.
De même, le passage de Zweibel et de Shillington, précité, qui repose sur leur analyse effectuée à partir de données publiées par le gouvernement lui-même[16], donne à entendre que le système inclusion-déduction n’engendre un avantage fiscal que dans un peu plus de 50 p. 100 des cas.
Après avoir examiné d’autres formes de « reconnaissance fiscale » accordée à des parents célibataires ayant garde d’enfants, comme les crédits d’impôt, les mêmes auteurs concluent ce qui suit (aux pages 22 et 23) :
2.5.2.1 [traduction] Les mères qui ont la garde des enfants bénéficient d’une plus grande reconnaissance fiscale que les pères qui ne sont pas gardiens, principalement lorsqu’elles ont droit au crédit d’impôt remboursable pour enfant. Autrement, le père non gardien est avantagé.
La mère gardienne de ses enfants a joui d’une plus grande reconnaissance fiscale du coût imputable à l’éducation des enfants que le père non gardien dans 56 % des cas (95 sur 171). Toutefois, dans 97 % de ces cas (92 sur 95), la mère ayant la garde avait un revenu imposable (avant la pension alimentaire pour enfants) qui se situait dans le taux d’imposition le plus bas, et dans 90 % des cas (85 sur 95), elle avait un revenu inférieur à 20 000 $. Ainsi, la reconnaissance fiscale de la mère ayant la garde des enfants excédait celle du père non gardien principalement lorsque le revenu de celle-ci était suffisamment bas pour la rendre admissible au remboursement intégral du crédit d’impôt pour enfant.
Il importe de signaler que ce ne sont pas toutes les mères gardiennes assujetties au taux d’imposition le plus bas qui ont été avantagées. Environ un tiers de ces mères (45 sur 137) jouissaient d’une reconnaissance fiscale inférieure à celle des pères non gardiens desquels elles recevaient des paiements.
2.5.2.2 Les mères gardiennes imposées selon le taux moyen subissent des désavantages considérables.
Le changement est frappant lorsque le revenu de la mère gardienne se situe au-dessus du taux d’imposition le plus bas. Dans 91 % de ces cas (31 sur 34), la reconnaissance fiscale dont jouit la mère est inférieure à celle du père non gardien. Dans 38 cas (22 % de tous les cas rapportés dans la base de données), la mère gardienne n’a véritablement joui d’aucune reconnaissance du coût imputable à l’éducation des enfants du fait que son obligation fiscale à l’égard des paiements de pension alimentaire excédait ses crédits d’impôt relatifs aux enfants. Cette situation affectait essentiellement les mères gardiennes d’enfants imposées selon le taux applicable aux revenus moyens, soit 65 % des mères en cause.
2.5.2.3 Le régime fiscal contribue à la tendance à la baisse du niveau de vie des mères gardiennes d’enfants.
Le tableau 2.7 offre une vue du niveau de vie relatif du foyer gardien et du foyer non gardien d’enfants, aussi bien comparativement l’un à l’autre qu’au niveau de vie de la famille avant la séparation. Le niveau de vie du foyer des mères gardiennes diminue par rapport à celui de la famille avant la séparation. Il est au contraire frappant de remarquer que 57 % des pères non gardiens maintiennent ou améliorent leur niveau de vie.
L’Évaluation du ministère de la Justice[17] elle-même utilise les mêmes termes (à la page 145) :
Il sort du cadre de la présente évaluation de discuter de la meilleure façon de répartir les coûts de l’éducation des enfants. Toutefois, les données semblent indiquer, tout comme à l’Étape I, que le fardeau incombe davantage sur le parent qui a la garde soit, le plus souvent, mais pas toujours, la mère. Ainsi, sauf dans les groupes ayant les revenus les moins élevés, les hommes étaient tenus de payer environ 18 pour 100 de leur revenu brut en prestations alimentaires, soit environ 250 $ par enfant par mois. Or, dans une famille monoparentale, on [sic] estimé récemment qu’il en coûte, au strict minimum, 350 $ par mois pour élever un enfant d’âge préscolaire en sus des soins de l’enfant ou 790 $ par mois, en incluant les soins de l’enfant. Bien qu’une partie de ces coûts seront assumés par le parent ayant la garde, qui gagne habituellement moins que le parent qui n’a pas la garde, les statistiques les plus révélatrices nous indiquent que la plupart des hommes qui n’ont pas la garde jouissent encore, après le paiement des prestations alimentaires, d’un revenu qui les situe bien au-dessus du seuil de la pauvreté, tandis que la majorité des femmes qui ont la garde des enfants doivent se contenter, après avoir reçu leurs prestations alimentaires, d’un revenu qui les place en-dessous des seuils de pauvreté pour des familles de tailles diverses.
Le gouvernement s’inscrit en faux contre les chiffres soumis par Zweibel et Shillington, principalement pour le motif que la base de données utilisée (qui, tel qu’il est indiqué, a été publiée par le gouvernement lui-même) est trop restreinte et peu fiable. L’affidavit de Nathalie Martel[18] soumis par l’intimée propose l’utilisation d’une base de données élargie et plus récente, également publiée par le ministère de la Justice : « Child Support Award Database ». Sur son fondement, Mme Martel élabore ses propres chiffres pour démontrer combien de couples jouissent d’un dégrèvement d’impôt net et combien subissent un accroissement d’impôt net en raison de l’application du système actuel. Elle partage les couples selon le revenu du parent qui a la garde des enfants en tranches de revenu de 10 000 $ (une classification différente de celle qui est utilisée dans la Loi de l’impôt sur le revenu pour établir les taux marginaux, à laquelle se sont reportés Zweibel et Shillington). Les résultats suivent.
Ce n’est que dans les tranches de 0 à 10 000 $ et 10 000 $ à 20 000 $ que le nombre de gagnants (90 et 279 respectivement) est supérieur au nombre de perdants (0 et 62). Dans les autres tranches de revenus, la majorité des personnes subissent toujours un accroissement net d’impôt (c’est-à-dire que leur fardeau fiscal est plus lourd du fait du système inclusion-déduction). Voici les chiffres :
Revenu |
Gagnants |
Perdants |
20 à 30 000 $ |
42 |
105 |
30 à 40 000 $ |
2 |
71 |
40 à 50 000 $ |
6 |
18 |
50 000 $ + |
— |
7 |
Dans l’ensemble, dans 59 % des cas les parents paient moins d’impôt sur les pensions alimentaires qu’ils ne le feraient si le système inclusion-déduction n’existait pas (les gagnants); 37 % des parents subissent un accroissement d’impôt dans le cadre du régime actuel (les perdants) et, dans 4 % des cas, le résultat est neutre.
Mme Martel étant d’avis que les chiffres publiés dans la base de données qu’elle a choisie étaient peut-être biaisés du fait que des revenus moindres pouvaient avoir été déclarés (une prétention qui à mon avis n’a pas été étayée), elle les a modifiés de manière qu’ils soient conformes au profil d’ensemble des contribuables canadiens. Si on suppose, pour des fins de discussion seulement, qu’il s’agit là d’un exercice légitime, les résultats ne favorisent guère plus la prétention du gouvernement :
Revenus |
Gagnants |
Perdants |
0 à 10 000 $ |
90 |
— |
10 à 20 000 $ |
305 |
38 |
20 à 30 000 $ |
66 |
82 |
30 à 40 000 $ |
6 |
65 |
40 à 50 000 $ |
8 |
16 |
50 000 $ + |
6 |
Encore une fois, le nombre de gagnants n’excède celui des perdants que lorsque le revenu du parent qui a la garde des enfants se retrouve dans les deux tranches de revenus les plus basses. Parmi ces personnes, il doit y en avoir un nombre important qui, en raison de leur revenus très bas, ne paient absolument aucun impôt et ne peuvent par conséquent que réaliser un « gain » net du fait de l’inclusion des paiements de pension alimentaire dans un revenu qui ne justifie aucun impôt. Pour toutes les autres tranches de revenus, le nombre de perdants excède celui des gagnants.
Les pourcentages respectifs selon les chiffres corrigés sont les suivants : 67 % de gagnants, 29 % de perdants et 4 % neutres.
Quel que soit le calcul, et même lorsqu’un couple « gagne », c’est-à-dire qu’il paie moins d’impôt qu’il ne le ferait sans le système inclusion-déduction, la Loi de l’impôt sur le revenu ne requiert aucunement que ce dégrèvement ou « avantage » ainsi réalisé soit transmis aux enfants qui sont les bénéficiaires visés. Et, comme nous l’avons vu, il y a de bonnes raisons de douter que cela se produit effectivement dans de nombreux cas et que le droit de la famille remédie véritablement à la situation. D’autre part, le parent qui n’a pas la garde est évidemment pour ainsi dire toujours gagnant puisque son revenu imposable est réduit. Ce n’est que dans les circonstances très inhabituelles, où a) les paiements sont pleinement et exactement majorés pour tenir compte des conséquences fiscales et que b) le bénéficiaire qui a la garde des enfants est assujetti à un taux d’imposition supérieur à celui du payeur qui n’a pas la garde, que ce dernier est désavantagé par le système actuel. Bien qu’un tel cas puisse exister, je n’en ai jamais entendu parler.
Il résulte de tout ce qui précède que, même d’après les propres chiffres du gouvernement, le système inclusion-déduction, dont l’objectif allégué vise à avantager les parents célibataires qui ont la garde et leurs enfants, ne peut atteindre cet objectif dans au moins le tiers des cas. Rien ne garantit qu’il ne l’atteigne dans les autres cas, la preuve allant plutôt dans le sens opposé.
Étant donné que l’obligation de démontrer la justification d’une disposition en vertu de l’article premier repose sur le gouvernement, je suis d’avis que le document en question échoue lamentablement. De fait, loin d’être une réponse mesurée et proportionnée à un problème ressenti, le système inclusion-déduction fréquemment n’arrive pas à accorder un bénéfice à ceux qu’il est censé aider, il avantage presque toujours ceux qui n’ont pas besoin d’aide, et il ne contient aucun mécanisme de correction ou de contrôle conçu pour remédier à la situation. Le système ne satisfait pas aux critères de l’atteinte minimale et de proportionnalité, et il n’est pas justifié au regard de l’article premier.
Avant de conclure, certains points relativement peu importants et accessoires méritent d’être mentionnés.
Premièrement, l’intimée a donné à entendre que le désavantage fiscal subi par les parents séparés qui ont garde d’enfants était compensé par d’autres dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu. On a notamment renvoyé au crédit pour l’équivalent de personne mariée (alinéa 118(1)b) [mod. par L.C. 1988, ch. 55, art. 92], au crédit d’impôt pour personne à charge (alinéa 118(1)d) [mod., idem]) et au crédit d’impôt pour enfant (article 122.2 [édicté par S.C. 1978-79, ch. 5, art. 4; mod. par S.C. 1984, ch. 1, art. 65; 1988, ch. 55, art. 97]). Ces crédits ont été pleinement et suffisamment étudiés par le juge de la Cour de l’impôt, qui a conclu que chacun d’eux étant indépendant du système inclusion-déduction on ne pouvait dire d’eux qu’ils le corrigent. Quoi qu’il en soit, le total de tous ces crédits en 1989 était inférieur au montant de l’accroissement d’impôt qu’a véritablement subi la requérante du fait du système inclusion-déduction.
Deuxièmement, l’avocate de l’intimée a donné à entendre que toute conclusion que l’alinéa 56(1)b) est invalide ou inopérant en raison de l’article 15 de la Charte devait inévitablement entraîner la conclusion que la contrepartie « déduction » de l’alinéa 60b) doit également être annulée, et elle nous a demandé de conclure en ce sens. Je ne suis pas disposé à accéder à sa demande. D’une part, ce litige ne porte pas sur l’alinéa 60b), et il n’est pas impossible que d’autres facteurs, ou même d’autres preuves, amènent la Cour à conclure que l’alinéa survivrait à une contestation fondée sur la Charte. D’autre part, et plus important encore, l’alinéa 60b) ne joue aucun rôle dans le calcul du revenu de la requérante ni dans sa cotisation. Puisqu’il n’est pas directement contesté dans la présente instance, il serait des plus inconvenant pour nous de tirer des conclusions à son égard.
En outre, l’avocate de l’intimée nous a demandé, si nous accueillons la demande, de retarder toute déclaration d’invalidité de l’alinéa 56(1)b) pendant un certain temps afin de permettre au législateur d’apporter les modifications nécessaires à la Loi. Plusieurs motifs nous obligent à refuser cette demande. Du point de vue de la procédure, la présente instance prend la forme d’une demande de contrôle judiciaire d’un appel en matière d’impôt sur le revenu. Dans une telle instance, nos pouvoirs à titre de tribunal habilité à contrôler sont limités[19]. En particulier, nous ne pouvons en fin de compte qu’ordonner que la Cour de l’impôt tranche l’appel de la requérante d’une manière que cette Cour elle-même aurait pu faire initialement; le paragraphe 171(1) [mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 158, art. 58, no 2] de la Loi de l’impôt sur le revenu limite le pouvoir de la Cour de l’impôt à accueillir ou à rejeter l’appel. D’un point de vue plus fondamental, il s’agit en l’espèce des droits des individus qui leur sont garantis par la loi suprême du pays. Il faudrait assurément des motifs très convaincants pour justifier toute suspension de ces droits. Or, aucun n’a été invoqué. Enfin, et du point de vue pratique, les chances que cette Cour ait le dernier mot sur la question sont moindres que celles de gagner le gros lot à la loterie.
Enfin, je remarquerais le fait plutôt ironique que la requérante elle-même risque fort de ne pas sortir gagnante de ce litige. Comme je l’ai mentionné précédemment, le juge qui lui a accordé le jugement de divorce a tenu compte, bien que dans des termes approximatifs seulement, des incidences fiscales à son égard et à celui de son ex-conjoint. Cela étant, on peut croire que ce dernier demandera maintenant que les paiements soient modifiés pour tenir compte du fait que la requérante les recevra exempts d’impôt.
J’accueillerais la demande, j’annulerais la décision de la Cour de l’impôt et lui renverrais l’affaire pour une nouvelle décision qui tienne compte du fait que l’alinéa 56(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu viole les droits de la requérante en vertu de l’article 15 de la Charte.
Le juge Pratte, J.C.A. : Je souscris.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français par
Le juge Létourneau, J.C.A. : J’ai eu le bénéfice de lire l’opinion de mon collègue le juge Hugessen et je suis d’accord avec lui, pour les motifs qu’il exprime, qu’il n’y a pas, dans la présente instance, de discrimination fondée sur le sexe. Je crois cependant que la requérante, contrairement à ses prétentions, n’a pas été victime de discrimination à cause de son état civil ou de sa condition sociale.
Je suis d’accord avec mon collègue que l’article 56(1)b) de la Loi impose à la requérante et à cette catégorie de personnes dont elle fait partie un fardeau qu’il n’impose pas à d’autres groupes de statut civil différent.[20] Toutefois, je ne peux partager son point de vue que la différence de traitement qu’il crée est discriminatoire sur cette base.
Tout d’abord, la Loi de l’impôt sur le revenu opère toute une série de distinctions et de différences de traitement en tenant compte de la réalité économique qui découle de l’état civil du contribuable. Ainsi par exemple, et l’énumération n’est pas limitative, en est-il du crédit d’impôt de personne mariée (alinéa 118(1)a) [mod. par L.C. 1988, ch. 55, art. 92]), du crédit d’impôt équivalent pour personne entièrement à charge (alinéa 118(1)b)), du crédit d’impôt pour enfants ou personnes à charge (alinéa 118(1)d)), des règles d’attribution du revenu entre personnes liées (paragraphe 74.1(2) [mod. par S.C. 1986, ch. 55, art. 17] et article 251 [mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 140, art. 129; 1988, ch. 55, art. 190]), du transfert ou de l’attribution de biens au conjoint survivant (paragraphe 70(6) [mod. par S.C. 1973-74, ch. 14, art. 19; 1974-75-76, ch. 26, art. 38; 1985, ch. 45, art. 33]), du transfert de biens accumulés dans un régime enregistré d’épargne-retraite au régime enregistré d’épargne-retraite dont le conjoint est rentier (alinéa 146(16)b) [mod. par L.C. 1990, ch. 35, art. 13]), des frais de garde d’enfants (article 63), du transfert de biens entre vifs au conjoint (article 73 [mod. par S.C. 1973-74, ch. 14, art. 20.1; 1977-78, ch. 32, art. 14; 1980-81-82-83, ch. 48, art. 39; ch. 140, art. 41; 1985, ch. 45, art. 35; 1986, ch. 6, art. 36; 1988, ch. 55, art. 51]), du transfert au conjoint de certains crédits d’impôts inutilisés (article 118.8 [édicté par L.C. 1988, ch. 55, art. 92]).
Il est peut-être malheureux que la Loi utilise, pour identifier les différents groupes sujets à des impositions différentes, l’état civil, un descripteur affublé d’un potentiel discriminatoire. Parce qu’ils sont basés sur un revenu et une capacité de payer variables, ces mêmes impôts pourraient, sans aucun doute, être perçus de ces mêmes groupes en utilisant d’autres descripteurs plus neutres de sorte que le traitement différent ne saurait alors être injustement coloré d’une teinte discriminatoire par le descripteur.
À mon avis, il n’est pas en soi nécessairement discriminatoire de traiter différemment des états civils différents. Il va de soi, par exemple, qu’il en coûte plus cher pour un couple divorcé de vivre sous deux toits que de vivre ensemble sous un même toit. Au contraire, il pourrait être discriminatoire de traiter d’une manière identique des états civils différents qui entraînent pour leurs titulaires des obligations et des responsabilités différentes et qui, par conséquent, commandent des traitements différents au plan social, politique, économique et juridique. La Cour suprême rappelait en ces termes dans R. c. Turpin et subséquemment dans Symes c. Canada[21] qu’il faut examiner le contexte général qui entoure la loi pour déterminer si une discrimination existe :
Pour déterminer s’il y a discrimination pour des motifs liés à des caractéristiques personnelles d’un individu ou d’un groupe d’individus, il importe d’examiner non seulement la disposition législative contestée qui établit une distinction contraire au droit à l’égalité, mais aussi d’examiner l’ensemble des contextes social, politique et juridique. Le juge McIntyre a souligné dans l’arrêt Andrews (à la p. 167) :
En effet, comme on l’a déjà dit, une mauvaise loi ne peut être sauvegardée pour la simple raison qu’elle s’applique également à ceux qu’elle vise. Pas plus qu’une loi sera nécessairement mauvaise parce qu’elle établit des distinctions.
En conséquence, ce n’est qu’en examinant le contexte général qu’une cour de justice peut déterminer si la différence de traitement engendre une inégalité ou si, au contraire, l’identité de traitement engendre, à cause du contexte particulier, une inégalité ou présente un désavantage. À mon avis, la constatation d’une discrimination nécessitera le plus souvent, mais peut-être pas toujours, de rechercher le désavantage qui existe indépendamment de la distinction juridique précise contestée.
De même, j’ai laissé entendre, dans les motifs de jugement que j’ai rédigés dans l’affaire Andrews, que la conclusion relative à la question de savoir si un groupe relève d’une catégorie analogue à celles qui sont expressément énumérées à l’art. 15 « ne peut pas être tirée seulement dans le contexte de la loi qui est contestée mais plutôt en fonction de la place occupée par le groupe dans les contextes social, politique et juridique de notre société » (p. 152). Si l’on ne tient pas compte du contexte général, l’analyse fondée sur l’art. 15 peut devenir un processus de classification mécanique et stérile qui dépendra exclusivement du texte de loi contesté. Si la décision quant à savoir s’il y a ou non discrimination se fonde exclusivement sur l’examen de la loi contestée, il est vraisemblable à mon avis qu’on arrivera à la même sorte d’impasse qui caractérise le critère selon lequel les personnes qui se trouvent dans une situation analogue doivent être traitées de façon analogue, que cette Cour a nettement rejeté dans l’arrêt Andrews.[22] [Je souligne.]
S’en remettre à la simple et seule interprétation textuelle des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui établissent une distinction en tenant compte de l’état civil, pour ensuite conclure à de la discrimination équivaut à ignorer la réalité sociale, politique, juridique et économique dans laquelle cette Loi et ses dispositions s’insèrent et que vivent différemment les contribuables dont la situation familiale diffère. À mon sens, la différence de traitement créée par l’alinéa 56(1)b) n’engendre pas cette inégalité dont fait état la Cour suprême dans Turpin et, en conséquence, elle n’est pas discriminatoire.
La Loi de l’impôt sur le revenu est une loi à caractère essentiellement économique, voire même amorale[23], dont l’objet est de traquer les revenus et de les imposer en fonction des besoins sociaux et économiques de la collectivité tout en tenant compte de la réalité économique du contribuable, celle-ci pouvant varier selon qu’il est marié ou pas, soutien de famille ou non. Ignorer ce contexte économique, la réalité qui en est sous-jacente et l’importance que doivent nécessairement y accorder les pouvoirs publics ferait en sorte que seraient prima facie discriminatoires les nombreuses dispositions de cette Loi qui opèrent une distinction et imposent un fardeau différent sur la base d’une réalité économique différente à cause d’un état civil différent générateur de besoins différents.
À toute fin pratique, la prétention de la requérante revient à dire que la Loi de l’impôt sur le revenu est, dans son essence et dans sa structure, discriminatoire parce qu’elle tient compte de la réalité économique qu’engendre, entre autres choses, un état civil différent, et qu’en conséquence sa validité constitutionnelle doit être justifiée sous l’article 1 de la Charte. Je ne saurais accepter cette prétention précisément parce que la différence de traitement accordée ne crée pas d’inégalité d’une part puisque le législateur, à bon droit, traite différemment des situations différentes. D’autre part, la différence n’est pas fondée sur l’état civil et en conséquence sur un motif analogue à ceux énumérés à l’article 15, mais résulte plutôt des contraintes et des obligations matérielles différentes qui échoient à des contribuables qui vivent une réalité économique différente à cause de leur statut personnel différent.
Au surplus, il faut tenir compte de la nature même de la disposition législative attaquée. Avant les modifications apportées par l’alinéa 56(1)b), la Loi traitait d’une manière identique les gens mariés et les couples divorcés, ignorant ainsi la réalité économique différente vécue par ces personnes et aggravant par le fait même leur situation sociale et économique. Or, l’alinéa 56(1)b), qui fait l’objet du litige, constitue précisément une mesure de redressement des désavantages dont ce groupe de contribuables, auquel la requérante appartient, a pu faire l’objet à une époque donnée. D’ailleurs, les contribuables mariés se plaignent de ce traitement favorable accordé à la requérante et aux conjoints divorcés puisqu’ils ne peuvent, contrairement à ces derniers, fractionner leurs revenus et diminuer leurs impôts[24]. Forcément, la mesure corrective crée une distinction en tenant compte de l’état civil de ces personnes puisque c’est à ce groupe qu’elle s’adresse et que c’est ce groupe qui vit une situation économique différente et difficile suite au démantèlement de la cellule familiale. Cette distinction ne constitue pas de la discrimination pour autant. Lue et prise littéralement et isolément, la mesure peut apparaître discriminatoire, mais elle ne l’est pas lorsqu’on la replace dans son contexte socio-économique et socio-politique et que l’on tient compte de la finalité recherchée.
Le présent litige fondé sur l’alinéa 56(1)b) met en cause la validité constitutionnelle d’une mesure législative corrective d’une situation désavantageuse vécue jadis par le groupe de la requérante. Il soulève également le niveau d’efficacité requis d’une telle mesure pour assurer sa validité constitutionnelle.
Dans le cas présent, les bénéficiaires du système de déduction-inclusion sont en très grande majorité des femmes et une majorité de celles-ci, particulièrement celles à faible revenu, tirent un avantage et un bénéfice du fractionnement du revenu permis par le système[25]. L’article 56(1)b) de la Loi produit donc un effet bénéfique dans la majorité des cas et contribue à redresser en partie les inégalités subies dans le passé par ce groupe de contribuables[26].
Bien sûr, la mesure de redressement n’est pas parfaite et pourrait être améliorée[27]. Mais elle n’est pas, dans sa forme actuelle, discriminatoire pour autant. L’article 15 de la Charte n’exige pas, sous peine d’inconstitutionnalité, qu’une mesure de redressement ou d’atténuation d’un préjudice antérieur soit efficace à 100 %, sans faille et sans effet secondaire. Imposer une telle obligation de résultat aurait un effet paralysant sur toute initiative envisagée ou prise pour corriger les effets préjudiciables d’une politique passée.
En conclusion, je suis d’avis que la mesure corrective de l’alinéa 56(1)b) traite la requérante, ainsi que les personnes de son groupe, différemment des autres contribuables à cause de leur réalité sociale, politique et économique différente engendrée par leur état civil différent et que, malgré ses imperfections, cette mesure n’est pas discriminatoire. Comme le disait mon collègue le juge Linden, J.C.A., dans l’arrêt Schachtschneider c. Canada :
Traiter d’une manière juste les personnes mariées et les personnes non mariées en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, indépendamment de toute discrimination, n’est pas une tâche facile. Les efforts déjà faits aux États-Unis pour y arriver n’ont pas mené à la paix mais uniquement à une « trève difficile ». (Voir la décision Druker v. C.I.R. 697 F.2d 46 (2nd Cir. 1982); voir aussi Bittker « Federal Income Taxation and the Family » (1975), 27 Stan. L. Rev. 1389). Il est quasi impossible, semble-t-il, de créer un système qui soit parfaitement juste pour tous, et à cause de cela il faut accorder aux assemblées législatives une certaine latitude pour ce qui est de fixer les conditions de cette trève. (Ibidem, à la page 51, le juge Friendly[28].)
La requérante prétend qu’elle est aussi victime de discrimination sur la base de la condition sociale. Si je comprends bien l’argument tel qu’il a été formulé, les femmes divorcées ont une condition sociale particulière à cause de leur revenu, de leur niveau d’éducation et se retrouvent dans une position défavorisée dans la société.
En somme, elle prétend qu’elle fait partie d’un groupe défavorisé, d’une minorité, victime de stéréotypes, de désavantages historiques ou de préjugés politiques ou sociaux. À la page 74 de leur mémoire, les procureurs de la requérante écrivent :
En l’espèce, nous croyons que les articles 56(1)b, 56(1)c et 56(1)c.1 sont discriminatoires dans leur libellé et dans leur application lorsqu’ils ajoutent au revenu d’un ex-conjoint ou d’un parent gardien d’enfant bénéficiaire d’une pension alimentaire, étant manifeste qu’en pratique, ce sont des mères et ex-épouses à 99% qui doivent assumer la garde légale et physique des enfants issus du mariage avec le débiteur d’une pension alimentaire et que ces dispositions légales de la Loi de l’impôt sur le revenu ont pour effet de les ancrer davantage dans leur misère, sans justification aucune. [Les soulignés sont miens.]
Il s’agit donc d’une argumentation fondée sur un motif analogue à ceux énumérés à l’article 15 de la Charte.
La prétention de la requérante que la discrimination dont elle souffre est fondée sur la condition sociale est, à mon avis, sans mérite. Ce que la requérante décrit, c’est la condition ou situation sociale ou, si l’on préfère, l’état dans lequel elle affirme se retrouver avec les membres de son groupe. Elle expose le résultat d’une discrimination, s’il en est, et non la cause : elle confond la cause et l’effet. Au surplus, s’il est possible qu’un groupe puisse être discriminé à cause de sa condition sociale, il n’existe, dans le présent dossier, aucune preuve qui établisse que la supposée discrimination créée par l’alinéa 56(1)b) de la Loi soit de quelque façon dictée par la condition sociale de la requérante. On ne saurait prétendre que la requérante se voit imposer par cet alinéa une obligation à incidence fiscale parce qu’elle est défavorisée ou à cause de sa condition sociale. Au contraire, cette disposition législative vise à remédier à la condition sociale dans laquelle les contribuables de son groupe se retrouvent au cas de divorce ou de séparation par suite de l’éclatement du mariage.
Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.
[1] (1992), 92 DTC 2098 (C.C.I.).
[2] Aucune contestation n’a été formulée devant cette Cour quant à l’effet possible de l’art. 18.28 [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 51, art. 5] de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. (1985), ch. T-2, modifiée, qui prévoit que les jugements rendus sous le régime de la procédure informelle « ne constituent pas des précédents jurisprudentiels ».
[3] S.C. 1970-71-72, ch. 63, telle que modifiée.
[4] À la p. 2105.
[5] Réduit à 2 500 $ après qu’on eut pris en considération la majoration.
[6] Le terme « séparé » que j’utilise dans mes motifs englobe les personnes divorcées.
[7] Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695.
[8] Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143.
[9] R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933.
[10] Je n’écarte ni ne néglige la possibilité que, dans une autre affaire et d’autres circonstances, on puisse prétendre avec succès que les homosexuels ou les transsexuels constituent un troisième ou même un quatrième sexe. Cette possibilité est simplement sans aucun rapport dans le présent contexte, et même si un tribunal devait retenir un tel argument, il me semble qu’il le ferait nécessairement sur le fondement que chaque sexe ainsi déterminé est exclusif de tous les autres.
[11] Voir Moge c. Moge, [1992] 3 R.C.S. 813, aux p. 853 et 854.
[12] [1989] 1 R.C.S. 1296.
[13] La version anglaise emploie le terme « gay » et la note en bas de page explique qu’il s’agit du sens de « joyeux ».
[14] [1986] 1 R.C.S. 103.
[15] [1986] 1 R.C.S. 264.
[16] Canada, Ministère de la Justice, Bureau de l’Examen, Évaluation de la Loi sur le divorce—Étape II : Contrôle et évaluation (Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1990).
[17] Op. cit., note en bas de page 16.
[18] Dossier supplémentaire de l’intimée, à la p. 147.
[19] Voir l’art. 18.1(3) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5].
[20] Mon collègue réfère à la « situation de famille » de la requérante. Cette notion est une composante de la notion plus large « d’état civil » reconnue comme motif interdit de discrimination à l’art. 10 de la Charte des droits et libertés de la personne L.R.Q. 1977, c. C-12 [mod. par L.Q. 1982, ch. 61, art. 3]. Voir Brossard (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279 où la Cour inclut les relations familiales et la filiation dans la notion « d’état civil ». Voir aussi le Dictionnaire de droit privé et Lexiques bilingues , 2e éd., Cowansville (Québec) : Éditions Yvon Blais Inc., 1991, à la p. 233 où l’on mentionne que l’élément principal de l’état civil des personnes physiques est l’état dans la famille, le point de savoir si une personne est mariée ou non; voir la définition d’état civil dans le Petit Larousse illustré, Librairie Larousse, Paris, 1984, à la p. 386 où l’on réfère à « la condition des individus en ce qui touche les relations de famille, la naissance, le mariage, le décès, etc. »; G. Cornu, Vocabulaire juridique, 2e éd., Presses Universitaires de France, Paris, 1990, à la p. 327.
[21] [1993] 4 R.C.S. 695, aux p. 756 et 757.
[22] [1989] 1 R.C.S. 1296, aux p. 1331 et 1332.
[23] Même les revenus tirés de sources telles la prostitution ou la vente illégale de stupéfiants sont imposables.
[24] Voir l’arrêt Foucher c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.J.Q. 703 (C.S.) où le requérant, marié et père de famille, demandait l’autorisation d’exercer un recours collectif au motif que la Loi de l’impôt sur le revenu traite les gens mariés différemment des gens séparés ou divorcés.
[25] La preuve fait état d’un bénéfice de 275 millions de dollars conféré en 1990 par le système de déduction-inclusion et supporté par le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Voir l’affidavit de Nathalie Martel à la p. 148 du dossier supplémentaire de l’intimée.
[26] La preuve soumise par la requérante et l’intimée fait ressortir une controverse quant au degré d’efficacité du système. Alors que la requérante, en se référant à l’étude de Zweibel and Shillington, Child Support Policy : Income Tax Treatment and Child Support Guidelines, The Policy Research Center on Children, Youth and Families, aux p. 5, 14, 15, 17 et 24, soumet que 49 % des cas étudiés débouchaient sur une fiscalité adverse, l’intimée produit les résultats d’une analyse préparée pour le ministère de la Justice par Mme Martel, économiste à la Division de l’impôt des particuliers au ministère des Finances du Canada. Elle conclut après ajustement de son étude que le système produit 29 % de fiscalité adverse et 4 % de neutralité. Cette dernière analyse fut faite à partir d’une nouvelle banque de données élargie et plus fiable que celle utilisée par les auteurs Zweibel et Shillington où l’on retrouvait un grand nombre de variables incohérentes (par exemple, un parent avait la garde de 15 enfants). Je suis satisfait que les données de ces auteurs ont débouché sur une surévaluation du pourcentage de cas de fiscalité adverse du fait de l’exclusion d’un certain nombre de cas d’assistés sociaux et du nombre limité de cas étudiés (171 cas seulement). À mon avis, le pourcentage de fiscalité adverse se situe quelque part entre le 29 % et le 49 % soumis par l’intimée et la requérante et vraisemblablement plus près du 29 % que du 49 %.
[27] Voir l’article de J. W. Durnford et S. J. Toope intitulé « Spousal Support in Family Law and Alimony in the Law of Taxation » (1994), 42 Can. Tax J. 1, à la p. 75, où les auteurs formulent des propositions de réforme du système de déduction-inclusion pour en améliorer l’efficacité et l’équité.
[28] [1994] 1 C.F. 40 (C.A.), à la p. 77.