[1994] 3 .C.F 361
T-3105-9
La Souveraine, Compagnie d’assurance-vie (appelante)
c.
Sa Majesté la Reine et le ministre des Finances et le surintendant des institutions financières (intimés)
Répertorié : Souveraine, Compagnie d’assurance-vie (La) c. Canada (1re inst.)
Section de première instance, juge Joyal—Calgary, 14 décembre 1993; Ottawa, 18 avril 1994.
Pratique — Plaidoiries — Requête en radiation — Appel en vertu de l’art. 702 de la Loi sur les sociétés d’assurances, à l’égard d’un ordre du ministre des Finances enjoignant au Bureau du surintendant des institutions financières de prendre le contrôle de l’appelante — Premier appel présenté en vertu de l’art. 702 — Liquidation de la société, ses dettes exigibles constituées par les polices d’assurance et ses éléments d’actif étant transférés à d’autres compagnies — Bien que l’appel soit théorique, la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire pour permettre l’audition de l’appel — Peut permettre de trancher certaines questions quant aux mesures appropriées qui doivent être prises avant que le ministre puisse délivrer un ordre de contrôle — L’appelante pourrait aussi avoir droit à des dommages-intérêts une fois l’appel réglé — Si l’appel était annulé, tout appel interjeté en vertu de la Loi sur les sociétés d’assurances deviendrait théorique, compte tenu des réalités du marché.
Pratique — Communication de documents et interrogatoire préalable — Interrogatoire préalable — Requête pour que la Cour oblige à témoigner certaines personnes qui ne sont pas parties à l’appel interjeté en vertu de l’art. 702 de la Loi sur les sociétés d’assurances à l’égard d’un ordre du ministre des Finances enjoignant au Bureau du surintendant des institutions financières de prendre le contrôle de l’appelante — L’équité de la procédure nécessite la possibilité d’interroger les témoins même si les Règles ne le permettent pas dans le cas d’un appel prévu par une loi — L’appel de l’art. 702 constitue la première occasion, tout comme une instruction en première instance, de réunir tous les renseignements pertinents.
Pratique — Communication de documents et interrogatoire préalable — Production de documents — Appel interjeté en vertu de l’art. 702 de la Loi sur les sociétés d’assurances à l’égard d’un ordre du ministre des Finances enjoignant au Bureau du surintendant des institutions financières de prendre le contrôle de l’appelante — L’appelante soutient que le dossier d’appel ne comprend pas tous les documents pertinents, en contravention de la Règle 1305 — L’appelante a le droit de prendre connaissance de tous les documents qui pourraient l’aider à appuyer ses prétentions — Si les documents susmentionnés existent, ils devraient être communiqués à l’appelante afin d’assurer le respect des exigences énoncées à la Règle 1305.
Assurance — Requêtes en annulation de l’appel interjeté en vertu de l’art. 702 de la Loi sur les sociétés d’assurances à l’égard d’un ordre du ministre des Finances enjoignant au Bureau du surintendant des institutions financières de prendre le contrôle de l’appelante — Premier appel présenté en vertu de l’art. 702 — Liquidation de société, toutes les dettes exigibles constituées par les polices d’assurance et tous les éléments d’actif transférés à d’autres compagnies — Bien que l’appel soit théorique, la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire pour permettre l’audition de l’appel, parce qu’il pourrait permettre de trancher certaines questions quant aux mesures appropriées qui doivent être prises avant que le ministre puisse délivrer un ordre de contrôle.
Il s’agit d’une requête de l’appelante pour obtenir des directives et l’autorisation de produire des documents et d’interroger certains témoins, et pour forcer une personne qui n’est pas partie au litige à venir témoigner. Les intimés demandent que l’appel soit annulé pour le motif que le litige qui oppose les parties est théorique. L’appelante a déposé un appel conformément à l’article 702 de la Loi sur les sociétés d’assurances à l’égard d’un ordre du ministre des Finances enjoignant au Bureau du surintendant des institutions financières de prendre le contrôle de la société appelante parce qu’elle n’avait pas un actif suffisant pour assurer une protection adéquate à ses créanciers et souscripteurs et qu’elle n’était pas en mesure de payer ses dettes exigibles. Subséquemment, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a rendu une ordonnance dans laquelle elle a déclaré l’appelante insolvable, et a ordonné sa liquidation. Elle a désigné le surintendant des institutions financières liquidateur provisoire de l’actif et des biens de l’appelante. Par la suite, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a créé un comité composé de cinq ex-administrateurs de l’appelante et autorisé à donner des instructions, des conseils et des renseignements aux fins du présent appel. Toutes les dettes au titre des polices d’assurance et la totalité de l’actif de l’appelante ont été transférées à d’autres sociétés d’assurance. Les intimés ont soutenu que les questions sont devenues théoriques, parce qu’il n’y a aucune entreprise d’assurance au sujet de laquelle le ministre peut rendre une nouvelle décision, le surintendant n’ayant plus le contrôle de l’appelante et la société étant sur le point d’être liquidée. Selon l’appelante, si le litige était déclaré théorique, les dispositions de la Loi sur les sociétés d’assurances qui concernent l’appel deviendraient inopérantes. Elle soutient que l’appel n’est pas théorique puisque, s’il est accueilli, il permettra aux souscripteurs, aux employés et aux créanciers d’engager des poursuites en dommages-intérêts. Le ministre ne devrait pas chercher à éviter de réexaminer l’affaire puisque ces types de procédures, où l’appel ne peut être réglé qu’après la liquidation de l’entreprise, se présenteront à nouveau inévitablement.
L’appelante soutient que le dossier d’appel produit par les intimés ne comprend pas tous les documents pertinents qu’il devrait contenir conformément à la Règle 1305. Elle fait valoir que les documents qu’une partie estime pertinents devraient être divulgués, s’il est raisonnablement possible que l’absence de ces documents l’empêche de répondre pleinement à toutes les questions de sa cause. L’appelante soutient que les documents susmentionnés sont pertinents parce qu’ils permettent de déterminer les éléments sur lesquels le ministre s’est fondé pour en arriver à sa décision.
Jugement : l’appel ne devrait pas être annulé; les requêtes portant sur la divulgation et sur l’interrogatoire des témoins devraient être accueillies.
Dans le cas où un tribunal considère que le différend concret et tangible a disparu et que la question est devenue purement théorique, il peut quand même exercer son pouvoir discrétionnaire et décider d’entendre l’affaire s’il estime que les circonstances le justifient. Bien que la question ait été théorique, l’appel ne devrait pas être annulé. Le point de vue de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, qui a jugé nécessaire de nommer des représentants aux fins du présent appel à la demande du liquidateur provisoire, devrait être respecté. L’appel pourrait permettre de trancher certaines questions quant aux mesures appropriées qui doivent être prises avant que le ministre puisse délivrer un ordre de contrôle. L’appelante pourrait aussi avoir droit à des dommages-intérêts une fois l’appel réglé.
Si le présent appel devait être annulé, tout appel fondé sur la Loi sur les sociétés d’assurances deviendrait théorique. Le législateur n’a peut-être pas tenu compte des réalités du marché touchant la sécurité financière des souscripteurs ou d’autres personnes, lorsqu’il a prévu la possibilité d’interjeter appel devant la Cour fédérale. En fait, dès qu’un ordre de contrôle est délivré, le contrôle des dommages doit être entrepris rapidement, et la liquidation suivra immédiatement. En conséquence, il n’est pas possible, faute de temps, de terminer la procédure d’appel avant que tout litige ne devienne théorique. Je ne crois pas qu’un droit d’appel prévu par une loi devrait être annulé de cette façon.
L’appelante a le droit de connaître tous les éléments susceptibles de l’aider à préparer sa cause. Si les documents mentionnés existent, ils devraient être communiqués à l’appelante, afin d’assurer le respect des exigences énoncées à la Règle 1305.
L’appelante devrait avoir, au nom de l’équité de la procédure, la possibilité d’interroger les témoins. L’appel en l’espèce n’est pas un appel normal qui a été précédé d’une instruction. Il constitue donc la première occasion, tout comme une instruction en première instance, de réunir tous les renseignements pertinents. Étant donné qu’aucune instruction n’a eu lieu et que ce type d’appel fondé sur l’article 702 est le premier qui est présenté, je permettrais l’interrogatoire préalable des témoins, comme le demande l’appelante.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Alberta Rules of Court, Alta. Reg. 390/68.
Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 39 (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144).
Loi sur le Bureau du surintendant des institutions financières, qui constitue la Partie I de la Loi sur les institutions financières et modifiant le système d’assurance-dépôts, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 18.
Loi sur les associations coopératives de crédit, L.C. 1991, ch. 48.
Loi sur les banques, L.C. 1991, ch. 46.
Loi sur les liquidations, L.R.C. (1985), ch. W-11, art. 160(1) (mod. par S.C. 1991, ch. 47, art. 748), 162(3).
Loi sur les sociétés d’assurances, L.C. 1991, ch. 47, art. 680, 684, 702 (mod. par L.C. 1991, ch. 47, art. 702(4)).
Loi sur les sociétés de fiducie et de prêt, L.C. 1991, ch. 45.
Loi sur les sociétés d’investissement, L.R.C. (1985), ch. I-22.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 2, 5, 457 (mod. par DORS/90-846, art. 15), 1305.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Palmer et autre c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759; (1979), 106 D.L.R. (3d) 212; 50 C.C.C. (2d) 193; 30 N.R. 181; Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342; (1989), 57 D.L.R. (4th) 231; [1989] 3 W.W.R. 97; 75 Sask. R. 82; 47 C.C.C. (3d) 1; 33 C.P.C. (2d) 105; 38 C.R.R. 232; 92 N.R. 110; R. c. Werry (1976), 13 N.R. 20 (C.A.F.).
DÉCISIONS EXAMINÉES :
R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326; (1991), 120 A.R. 161; [1992] 1 W.W.R. 97; 83 Alta. L.R. (2d) 193; 68 C.C.C. (3d) 1; 8 C.R. (4th) 277; 130 N.R. 277; 8 W.A.C. 161; Sun Life Assurance Co. of Canada v. Jervis, [1944] 1 All E.R. 469 (H.L.); CTV Television Network Ltd. v. Kostenuk et al., [1972] 3 O.R. 338 (1972), 28 D.L.R. (3d) 180 (C.A.).
REQUÊTE présentée par les intimés pour faire annuler l’appel interjeté en vertu de l’article 702 de la Loi sur les sociétés d’assurances, pour le motif qu’il est théorique, et requêtes présentées par l’appelante pour obtenir la communication de documents et l’autorisation d’interroger des témoins. La requête en annulation est rejetée; les requêtes pour la communication de documents et l’interrogatoire de témoins sont accueillies.
AVOCATS :
Thomas H. Ferguson et Timothy S. Ellam pour l’appelante.
Terrence Joyce pour les intimés.
PROCUREURS :
McCarthy Tétrault, Calgary, pour l’appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par
Le juge Joyal : Le litige dont je suis saisi découle d’une série de requêtes déposées le 4 novembre 1993 et le 6 décembre 1993 au nom de l’appelante et le 22 novembre 1993 au nom des intimés. L’appelante demande à la Cour des conseils et des directives ainsi que l’autorisation de produire des documents et d’interroger certains témoins, y compris une personne représentant le ministre. Elle demande également à la Cour d’obliger une personne qui n’est pas partie au litige à venir témoigner. Pour leur part, les intimés demandent que l’appel soit annulé sur le fondement que le litige qui oppose les parties est théorique.
LE CONTEXTE
Le 23 décembre 1992, l’appelante a déposé un appel conformément à l’article 702 de la Loi sur les sociétés d’assurances, L.C. 1991, ch. 47 [mod. par L.C. 1991, ch. 47, art. 702(4)], à l’égard d’un ordre ou d’un arrêté en date du 21 décembre 1992 par lequel le ministre des Finances a enjoint au Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) de prendre le contrôle de la société appelante conformément à l’article 680 de la Loi. Les faits qui semblent être à l’origine de l’appel sont les suivants.
Le surintendant des institutions financières est désigné en vertu de la Loi sur le Bureau du surintendant des institutions financières, qui constitue la Partie I de la Loi sur les institutions financières et modifiant le système d’assurance-dépôts, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 18 et ses modifications, et chargé d’administrer et d’appliquer la Loi sur les sociétés d’assurance, la Loi sur les banques [L.C. 1991, ch. 46] la Loi sur les sociétés de fiducie et de prêt [L.C. 1991, ch. 45], la Loi sur les associations coopératives de crédit [L.C. 1991, ch. 48] et la Loi sur les sociétés d’investissement [L.R.C. (1985), ch. I-22].
Le 18 novembre 1992, le surintendant a remis au ministre des Finances, qui préside le BSIF, un rapport aux termes du paragraphe 680(1) dans lequel il a indiqué que les circonstances décrites aux sous-alinéas 680(1)b)(vii) et (ix) existaient. Le surintendant estimait principalement que l’appelante n’avait pas un actif suffisant pour assurer une protection adéquate à ses créanciers et souscripteurs et qu’elle n’était pas en mesure de payer ses dettes exigibles.
Après plusieurs échanges de correspondance, le ministre a enjoint au surintendant de prendre le contrôle de l’appelante, conformément à l’alinéa 680(2)c) de la Loi sur les sociétés d’assurances. Il a également demandé au procureur général, conformément à l’article 684 de la même Loi, de requérir à l’encontre de l’appelante, devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, l’ordonnance de liquidation prévue dans la Loi sur les liquidations, L.R.C. (1985), ch. W-11.
Le 23 décembre 1992, l’appelante a déposé le présent avis d’appel à l’égard de l’ordre du ministre concernant le contrôle. Un avis d’appel supplémentaire a été déposé le 8 janvier 1993.
Le 25 janvier 1993, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a rendu une ordonnance dans laquelle elle a déclaré l’appelante insolvable, conformément au paragraphe 160(1) [mod. par L.C. 1991, ch. 47, art. 748] de la Loi sur les liquidations, et a ordonné la liquidation de l’appelante. Le surintendant des institutions financières a été désigné liquidateur provisoire de l’actif et des biens de l’appelante et a été autorisé à confier à Peat Marwick Thorne Inc. le mandat d’administrer la liquidation de l’appelante.
Par ordonnance en date du 14 avril 1993, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, à la demande du liquidateur provisoire, a créé un comité composé de cinq ex-administrateurs de l’appelante et autorisé à donner des instructions juridiques, des conseils, des renseignements et des directives à McCarthy, Tétrault aux fins du présent appel.
Le 15 juillet 1993, conformément au paragraphe 162(3) de la Loi sur les liquidations, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a approuvé l’opération relative à la réassurance proportionnelle des polices d’assurance de l’appelante selon les conditions de l’entente conclue entre La Souveraine et la Compagnie d’assurance Standard Life. La Cour d’appel de l’Alberta a rejeté l’autorisation d’interjeter appel contre l’ordonnance. Le Conseil du Trésor a approuvé ces opérations conformément à l’article 162 de la Loi sur les liquidations.
L’opération relative à la réassurance, qui est entrée en vigueur rétroactivement au 21 décembre 1992, a été conclue de façon définitive avec la Standard Life le 31 juillet 1993 et les polices d’assurance ont été transférées à celle-ci. Ces polices constituaient environ 97 p. 100 du total des dettes de l’appelante au titre des polices.
Par ordonnance datée du 14 juillet 1993, la Cour de circuit du comté d’Ingham, de l’État du Michigan, a ordonné la liquidation de l’actif de l’appelante aux États-Unis et nommé un liquidateur. Les polices d’assurance de La Souveraine qui étaient détenues aux États-Unis ont été réassurées auprès de la Franklin Life Insurance Company.
Le 2 décembre 1993, l’appelante a conclu une entente avec la Compagnie d’Assurance-vie Seabord à l’égard des polices détenues au Canada et exclues de l’opération conclue avec la Standard Life. Toutes les dettes au titre des polices d’assurance et la totalité de l’actif de l’appelante ont donc été transférées à d’autres sociétés d’assurance.
QUESTIONS EN LITIGE
Les questions dont je suis saisi concernent la production de documents, l’interrogatoire de témoins et l’autorisation d’obliger une personne à témoigner, même si elle n’est pas partie au présent litige. L’autre question que je dois trancher est celle de savoir si le présent appel devrait être annulé parce que le litige est devenu théorique. Je crois que la façon la plus logique de procéder est de commencer par l’examen de la requête en annulation de l’appel déposée par les intimés. Si cette requête est bien fondée, il n’y aura pas lieu d’examiner les autres questions.
CONCLUSIONS
1) Requête en annulation de l’appel parce que le litige est devenu théorique
L’appelante demande l’annulation de l’ordre par lequel le ministre des Finances enjoignait au surintendant :
[traduction] … conformément à l’alinéa 680(2)c) de la Loi sur les sociétés d’assurances, de prendre le contrôle de La Souveraine, Compagnie d’assurance-vie.
Lorsqu’un appel est interjeté à l’égard d’un ordre de cette nature, la Cour a le pouvoir suivant en vertu de l’article 702 de la Loi sur les sociétés d’assurances :
702. …
(2) La Cour fédérale statue sur l’appel en prenant au choix l’une des décisions suivantes :
a) rejet pur et simple;
b) annulation des mesures ou décisions en cause;
c) annulation des mesures ou décisions et renvoi de l’affaire pour réexamen.
Les intimés soulèvent d’abord la question du functus. Ils soutiennent que le surintendant, qui a pris le contrôle aux termes de l’article 680 de la Loi sur les sociétés d’assurances, l’a perdu lorsque la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a rendu les deux ordonnances fondées sur la Loi sur les liquidations le 25 janvier 1993. Ces ordonnances permettaient au surintendant de prendre le contrôle de l’appelante à titre de liquidateur pour liquider l’entreprise. Les intimés soutiennent donc que le surintendant n’avait plus le contrôle de l’appelante comme surintendant en vertu de la Loi sur les sociétés d’assurances lorsque l’ordonnance de liquidation a été rendue. L’ordre du ministre aux termes de l’alinéa 680(2)c) de la Loi sur les sociétés d’assurances a été entièrement exécuté, de sorte qu’il n’y a aucune question à renvoyer au ministre. L’annulation de la décision ne servirait aucune fin utile. L’appelante ne poursuit plus d’activités à titre de société d’assurance puisque toutes ses polices d’assurance ont été transférées.
Les intimés se fondent davantage sur la doctrine du caractère théorique du litige pour demander l’annulation de l’appel. Ils soutiennent, comme on l’a dit dans les affaires Sun Life Assurance Co. of Canada v. Jervis, [1944] 1 All E.R. 469 (H.L.) et CTV Television Network Ltd. v. Kostenuk et al., [1972] 3 O.R. 338 (C.A.), qu’il doit exister entre les parties une controverse véritable que la Cour doit trancher.
La doctrine relative au caractère théorique a été décrite par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, à la page 353 :
La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu’un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu’une question hypothétique ou abstraite. Le principe général s’applique quand la décision du tribunal n’aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l’affaire. Cet élément essentiel doit être présent non seulement quand l’action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision. En conséquence, si, après l’introduction de l’action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu’il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique. Le principe ou la pratique général s’applique aux litiges devenus théoriques à moins que le tribunal n’exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas l’appliquer.
La démarche relative à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal dans les litiges théoriques comporte une analyse en deux temps, à la page 353 :
En premier, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique. En deuxième lieu, si la réponse à la première question est affirmative, le tribunal décide s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l’affaire. La jurisprudence n’indique pas toujours très clairement si le mot « théorique » (moot) s’applique aux affaires qui ne comportent pas de litige concret ou s’il s’applique seulement à celles de ces affaires que le tribunal refuse d’entendre. Pour être précis, je considère qu’une affaire est « théorique » si elle ne répond pas au critère du « litige actuel ». Un tribunal peut de toute façon choisir de juger une question théorique s’il estime que les circonstances le justifient.
Les intimés soutiennent que les questions sont devenues théoriques, parce qu’il n’y a aucune entreprise au sujet de laquelle le ministre peut rendre une nouvelle décision, le surintendant n’ayant plus le contrôle de l’appelante et la société étant sur le point d’être liquidée.
Pour sa part, l’appelante allègue que l’appel n’est pas théorique et que la Cour de l’Alberta a nommé à bon droit un liquidateur provisoire pour contrôler l’actif de l’appelante, lequel actif comprend le présent appel. Le liquidateur provisoire qui, en réalité, est le BSIF, a recommandé à la Cour du Banc de la Reine de permettre que le présent appel procède. En outre, l’avocat du procureur général du Canada n’a pas contesté l’ordonnance dans laquelle la Cour de l’Alberta a nommé des ex-administrateurs pour aviser l’avocat agissant dans le présent appel.
Selon l’appelante, si le litige était déclaré théorique, les dispositions de la Loi sur les sociétés d’assurances qui concernent l’appel deviendraient inopérantes. Lorsqu’un ordre de contrôle est délivré, toutes les parties concluront dans bien des cas qu’il est préférable, dans l’intérêt de toutes les parties concernées, de procéder à la liquidation. L’appel n’est pas théorique puisque, s’il est accueilli, il permettra aux souscripteurs, aux employés, aux créanciers et à d’autres personnes d’engager des poursuites en dommages-intérêts.
L’appelante fait valoir que, même si la Cour en venait à la conclusion que l’appel est théorique, elle devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de façon à permettre l’audition de l’appel. Un ordre de contrôle doit, dans l’intérêt public, être délivré de façon appropriée. Le ministre ne devrait pas chercher à éviter de réexaminer l’affaire puisque ces types de procédures, où l’appel ne peut être réglé qu’après la liquidation de l’entreprise, doivent inévitablement refaire surface. L’appelante reconnaît que la seule réparation dont elle dispose sera l’annulation de la décision, mais elle soutient que cette annulation permettra de déterminer comment le ministre doit exercer les pouvoirs que la Loi lui confère, ce qui peut ouvrir la voie à des poursuites en dommages-intérêts.
Même si j’ai tendance à penser que le litige en l’espèce est effectivement théorique, je ne puis en arriver à la conclusion que l’appel devrait être annulé. La Cour du Banc de la Reine a jugé nécessaire de nommer des représentants aux fins du présent appel, à la demande du liquidateur provisoire. Je devrais tenir compte de l’opinion selon laquelle l’appel peut permettre de trancher certaines questions quant aux mesures appropriées qui doivent être prises avant que le ministre ne puisse délivrer un ordre de contrôle. Comme l’appelante le soutient, elle peut aussi avoir droit à des dommages-intérêts au moyen d’une action intentée par CompCorp, une fois que le présent appel sera réglé.
Si le présent appel devait être annulé, tout appel fondé sur la Loi sur les sociétés d’assurances deviendrait pour ainsi dire théorique. Le législateur n’a peut-être pas tenu compte des réalités du marché touchant la sécurité financière des souscripteurs ou d’autres personnes lorsqu’il a prévu la possibilité d’interjeter appel devant la Cour fédérale. En fait, dès qu’un ordre de contrôle est délivré, le contrôle des dommages doit être entrepris rapidement et la liquidation suivra immédiatement. En conséquence, il n’est pas possible, faute de temps, de terminer la procédure d’appel avant, comme les intimés l’ont dit eux-mêmes, que tout litige ne devienne théorique. Je ne crois pas qu’un droit d’appel d’origine législative devrait être annulé de cette façon.
Je procède donc à l’examen des autres questions dont je suis saisi.
2) Production des documents et interrogatoire des témoins
L’appelante soutient que le dossier d’appel produit par les intimés ne comprend pas tous les documents pertinents conformément à la Règle 1305 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663], dont le libellé est le suivant :
Règle 1305. La cause est présentée en appel sous forme de dossier qui doit être constitué (sauf, en tout cas, convention contraire entre les personnes intéressées ou ordre contraire donné par la Cour sur demande d’une personne intéressée, du sous-procureur général du Canada ou d’un conseil nommé spécialement pour faire cette demande pour le compte du tribunal) par
a) l’ordonnance ou la décision portée en appel ainsi que ses motifs;
b) toutes les pièces pertinentes, en ce qui concerne l’affaire soumise au tribunal dont l’ordonnance ou la décision fait l’objet de l’appel (ci-après appelé « le tribunal ») et qui a abouti à l’ordonnance ou à la décision portée en appel, qui sont en la possession ou sous le contrôle du tribunal;
c) une transcription de toute déposition orale faite au cours de l’audition qui, le cas échéant, a abouti à l’ordonnance ou à la décision portée en appel;
d) les affidavits, les documents déposés au cours de cette audition, comme pièces ou à un autre titre;
e) les objets déposés comme pièces au cours de cette audition.
L’appelante demande la communication de la liste des documents suivants que je reproduis de l’annexe jointe à l’affidavit de M. John White :
[traduction] 1. Les fiches de temps et les comptes rendus de toutes les réunions, discussions, appels téléphoniques et commentaires s’y rapportant, y compris les notes concernant La Souveraine, Compagnie d’Assurance-vie (« La Souveraine »), entre le personnel du Bureau du surintendant des institutions financières (« BSIF »), du ministère de la Justice (« Justice ») et du ministère des Finances (« Finances »), le ministre d’État aux finances, le ministre des Finances ou leur personnel exempt, le Bureau du premier ministre (« BPM ») ou le Bureau du Conseil privé (« BCP ») et des membres ou représentants de :
a) l’Association canadienne des compagnies d’assurance de personnes (« ACCAP »)
b) CompCorp
c) la Compagnie d’assurance Standard Life
d) la Sun Life, Compagnie d’assurance-vie
e) le personnel de La Souveraine
f) les membres ou ex-membres du conseil d’administration de La Souveraine
g) William M. Mercer Ltd.
h) Peat Marwick Thorne Inc., à titre de mandataire du liquidateur provisoire
i) Eckler Partners Ltd.
en 1992 et par la suite, jusqu’au 21 décembre 1992.
2. Les notes préparatoires, les procès-verbaux et les comptes rendus de tout membre du personnel du BSIF, de CompCorp, des Finances, de la Justice ou du ministre au sujet des deux réunions tenues avec les membres du conseil d’administration de La Souveraine et des représentants du BSIF à Ottawa et à Toronto en octobre et novembre 1992.
3. Les détails concernant toutes les études, analyses et notes préparées par le personnel du BSIF au sujet du défaut de paiement du prêt hypothécaire commercial.
4. Les détails de toutes les notes au dossier, de la présence aux réunions et des appels téléphoniques du personnel ou des représentants du BSIF à l’égard de la préparation ou de la publication des études de l’ICA/ACCAP et de la Society of Actuaries au sujet du défaut relatif aux prêts hypothécaires commerciaux.
5. Les détails relatifs à toutes les études, analyses et notes préparées par le personnel du BSIF, des Finances et de la Justice concernant La Souveraine ou ses représentants et présentées au ministre d’État, notamment les opinions ou analyses actuarielles.
6. Les originaux ou des copies conformes de tous les documents liés à La Souveraine et fournis par Eckler Partners au BSIF ainsi que les notes et analyses s’y rapportant.
7. Les fiches de temps et les comptes rendus de toutes les réunions, discussions et appels téléphoniques entre le personnel ou des représentants du BSIF et le ministre des Finances et le ministre d’État ou les conclusions de celui-ci, y compris les comptes rendus des membres du personnel détachés du BSIF pour donner des avis à l’un ou l’autre des ministres, leur personnel ou leurs conseillers en 1992, jusqu’au 21 décembre de la même année.
8. Les rapports mensuels que le BSIF a remis au ministre d’État.
Selon l’appelante, les documents qu’une partie estime pertinents devraient être divulgués, s’il est raisonnablement possible que l’absence de ces documents l’empêche de répondre pleinement à toutes les questions de sa cause. C’est le critère que la Cour suprême du Canada a formulé dans l’affaire R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326. L’appelante soutient que les documents susmentionnés sont pertinents, parce qu’ils permettent de déterminer les éléments sur lesquels le ministre s’est fondé pour en arriver à sa décision.
Les intimés allèguent quant à eux qu’ils ont déjà remis des copies des documents pertinents, comme ils l’ont certifié à la fin de leur dossier conjoint de la cause en appel. À l’exception de quelques pages qui ont été oubliées par inadvertance et que les intimés ont consenti à produire, ils soutiennent [traduction] « qu’il n’y a rien d’important » à ajouter.
Quant aux témoins, l’appelante admet que les Règles de la Cour fédérale ne permettent peut-être pas leur interrogatoire dans des appels d’origine législative, mais elle fait valoir qu’il s’agit d’un appel unique et que la Cour devrait exercer son pouvoir de la façon la plus large qui soit pour s’assurer qu’elle a devant elle les éléments de preuve appropriés. L’appelante cite la Règle 5 des Règles de la Cour fédérale, qui permet à la Cour d’adopter la procédure provinciale : les dispositions des Alberta Rules of Court [Alta. Reg. 390/68] permettent l’interrogatoire de témoins et la production de documents dans toutes les instances.
Les intimés contestent en disant que les Règles 400 à 507 des Règles de la Cour fédérale, qui portent sur la production de documents et l’interrogatoire préalable, ne s’appliquent pas aux appels, mais seulement aux actions ordinaires. Ainsi, la Règle 457 [mod. par DORS/90-846, art. 15] prévoit qu’une partie peut interroger au préalable une partie adverse lorsque la contestation est liée, c’est-à-dire, selon la version anglaise de cette Règle, « where the pleadings (ou plaidoiries écrites) are closed ». Selon la Règle 2, une plaidoirie écrite est tout acte par lequel une « action » a été engagée. D’après les intimés, l’« action » ne comprend pas un appel.
J’estime que l’appelante a le droit de connaître tous les éléments susceptibles de l’aider à préparer sa cause. Si les documents susmentionnés existent, ce que les intimés n’ont pas nié, je crois qu’ils devraient être communiqués à l’appelante, afin d’assurer le respect des exigences énoncées à la Règle 1305. Les intimés ont mentionné que certains des renseignements contenus dans les documents sont assujettis au secret professionnel de l’avocat ou à un privilège lié aux documents confidentiels du Cabinet ou prévu à l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5 [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144]. J’ignore à quels documents les intimés font allusion et, à tout événement, j’accorde la demande de divulgation de documents. Si les intimés estiment que certains renseignements ne devraient pas être divulgués, parce qu’ils sont confidentiels ou qu’ils font l’objet d’un privilège, ils devraient présenter une autre requête devant notre Cour pour mieux expliquer leur position.
Quant aux témoins, l’appelante devrait avoir, au nom de l’équité de la procédure, la possibilité de les interroger. L’appel en l’espèce n’est pas un appel régulier qui a été précédé d’une instruction. Il constitue donc la première occasion, tout comme une instruction en première instance, de réunir tous les renseignements pertinents. Compte tenu des principes énoncés dans les arrêts Palmer et autre c. La Reine, [1980] 1 S.C.R. 759, et R. c. Werry (1976), 13 N.R. 20 (C.A.F.), et du fait qu’aucune instruction en soi n’a eu lieu, sans oublier que ce type d’appel fondé sur l’article 702 de la Loi sur les sociétés d’assurances est le premier qui est présenté, je permets l’interrogatoire préalable des témoins comme le demande l’appelante.
Je demande aux avocats de préparer et de me soumettre un projet d’ordonnance pour que je l’approuve. Si les avocats ne peuvent s’entendre à ce sujet, ils pourront me consulter. Entre-temps, je demeure saisi du litige.