[1994] 3 C.F. 527
T-2573-93
Robert Sutherland (requérant)
c.
Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (intimé)
et
La bande d’Indiens Peguis et le commissaire à l’information du Canada (intervenants)
Répertorié : Sutherland c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) (1re inst.)
Section de première instance, juge Rothstein—Winnipeg, 25 février; Ottawa, 6 mai 1994.
Accès à l’information — Demande de communication de renseignements financiers concernant une bande, notamment des noms de personnes devant de l’argent à la bande ou auxquelles la bande devait de l’argent, des descriptions de tâches associées aux salaires, des noms de personnes pour lesquelles des emprunts avaient été garantis par la bande, des plans de dépenses et des états de l’évolution de l’encaisse — À première vue, les noms des individus en cause constituent des « renseignements personnels » qui n’ont pas à être communiqués en vertu de l’art. 19(1) — La définition des renseignements personnels figurant à l’art. 3l) exclut les renseignements concernant des avantages facultatifs — Les avantages facultatifs sont ceux qui sont conférés par l’administration — Il incombe à la partie qui demande des renseignements de démontrer que l’exception s’applique — Le requérant n’a pas établi que les renseignements en question sont visés par l’exception prévue à l’art. 3l) — L’art. 19(2)c), qui permet la communication de renseignements personnels conformément à l’art. 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, ne s’applique pas, étant donné que les noms des individus ne sont pas visés par l’art. 8(2)a), k) et m) — Étant donné que la bande et le ministre ne se sont pas acquittés de l’obligation qui leur incombait de prouver que les états de l’évolution de l’encaisse et que les plans de dépenses étaient confidentiels et qu’ils étaient traités comme tels de façon constante, ces renseignements doivent être communiqués — Les noms des entreprises auxquelles la bande a acheté des biens ou des services doivent être communiqués car il ne s’agit pas de renseignements dont la communication causerait des pertes financières appréciables — Il est possible d’empêcher qu’on engage la responsabilité de la bande sans autorisation.
Protection des renseignements personnels — Les noms des personnes qui devaient de l’argent à la bande, auxquelles la bande devait de l’argent, pour lesquelles la bande a garanti des emprunts et dont le salaire a été fixé individuellement sont à première vue visés par la définition de « renseignements personnels » figurant à l’art. 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels puisqu’ils se rapportent à une opération financière à laquelle l’individu participait — Ils ne sont pas visés par l’exception prévue à l’art. 3l) relativement aux avantages financiers facultatifs — Pareils avantages doivent être accordés par l’administration — L’art. 8(2) autorise la communication si elle est faite a) aux fins auxquelles les renseignements ont été recueillis, k) à des autochtones en vue de l’établissement de droits, m) pour des raisons d’intérêt public qui justifieraient nettement une violation de la vie privée — Les renseignements personnels ne sont pas visés par l’art. 8(2)a) puisqu’ils ont été fournis à l’administration en vue du financement — Ils ne sont pas visés par l’art. 8(2)k) étant donné que cette disposition vise les droits officiellement reconnus aux peuples autochtones en cette qualité — En l’espèce, la demande a été présentée par un individu — Rien ne permet de conclure que le pouvoir discrétionnaire visé par l’art. 8(2)m) a été exercé d’une façon irrégulière — Les noms n’ont pas à être communiqués.
Il s’agissait d’une demande en vue de la communication de certains renseignements financiers concernant une bande, qui relevaient du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. Les renseignements demandés figuraient dans les états financiers de 1989-1990 de la bande. Ils comprenaient les noms d’individus désignés comme devant de l’argent à la bande ou auxquels la bande devait de l’argent, les descriptions de tâches associées à certains salaires, les noms de deux personnes pour lesquelles des emprunts avaient été garantis par la bande, ainsi que les plans de dépenses de la bande et les états de l’évolution de l’encaisse. En ce qui concerne les noms des individus en cause, le ministre et la bande avaient allégué la confidentialité en vertu du paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès à l’information (renseignements personnels). Sous réserve du paragraphe 19(2), le paragraphe 19(1) oblige le ministre à refuser la communication des « renseignements personnels » visés à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. L’article 3 comporte neuf alinéas qui décrivent d’une façon plus précise le genre de renseignements qui sont des « renseignements personnels » et se termine par quatre alinéas qui énoncent des exceptions à ce qui serait par ailleurs des « renseignements personnels ». À première vue, les personnes qui devaient de l’argent à la bande, auxquelles la bande devait de l’argent, pour lesquelles la bande avait garanti un emprunt, ou dont le salaire était individuellement fixé, étaient visées par l’alinéa 3b) : renseignements relatifs à des opérations financières auxquelles elles avaient participé. Le requérant avait soutenu que l’exception prévue au paragraphe 3l), qui exclut les renseignements se rapportant à des avantages financiers facultatifs, s’appliquait. En vertu de l’alinéa 19(2)c), des renseignements personnels peuvent être communiqués si pareille communication est conforme à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le requérant a soutenu que même si les noms des personnes qui avaient conclu des opérations financières avec la bande constituaient des « renseignements personnels », ils devaient être communiqués en vertu des alinéas 8(2)a) (communication aux fins auxquelles les renseignements ont été recueillis), k) (communication à des autochtones en vue de l’établissement de leurs droits), ou m) (communication dans les cas où des raisons d’intérêt public justifieraient nettement une violation de la vie privée, ou dans les cas où l’individu concerné en tirerait un avantage certain). Si les « renseignements personnels » étaient visés par le paragraphe 8(2), le début du paragraphe 8(2) et l’alinéa 19(2)c) de la Loi sur l’accès à l’information conféraient au responsable d’une institution fédérale un pouvoir discrétionnaire lorsqu’il s’agissait de déterminer si pareils renseignements devaient être communiqués.
La confidentialité a été alléguée à l’égard des plans de dépenses et des états de l’évolution de l’encaisse de la bande, en vertu de l’alinéa 20(1)b), en tant que renseignements traités comme confidentiels de façon constante. Enfin, la confidentialité a été alléguée à l’égard des noms des entreprises auxquelles la bande avait acheté des biens ou services, en vertu de l’alinéa 20(1)c), en tant que renseignements dont la communication pourrait causer des pertes financières. Il a été soutenu que les membres de la bande pourraient, sans autorisation, engager la responsabilité de cette dernière auprès de ces entreprises, et créer ainsi des dettes non autorisées pour le compte de la bande.
Jugement : la demande doit être accueillie en partie.
Les noms des personnes figurant dans les extraits de comptes débiteurs, de prêts en cours et de comptes créditeurs de la bande et des personnes pour lesquelles des prêts ont été garantis par la bande, ainsi que les descriptions de tâches associées aux salaires précis d’employés de la bande, n’ont pas à être communiqués. Les avantages facultatifs visés par l’exception prévue à l’alinéa 3l) sont ceux qui sont conférés par une institution fédérale et non par d’autres personnes dont les renseignements relèvent d’une institution fédérale. En règle générale, les renseignements concernant un individu identifiable sont des « renseignements personnels » protégés. Toutefois, certaines exceptions sont prévues à l’article 3. En décidant que certains renseignements concernant un individu n’étaient pas des « renseignements personnels » protégés, le législateur établissait l’équilibre entre les raisons d’intérêt public justifiant la communication de pareils renseignements qui relevaient d’une institution fédérale et la violation de la vie privée. Pareils renseignements pouvaient être des renseignements concernant un individu identifiable, mais le législateur avait décidé que l’intérêt public devait l’emporter. Des renseignements non administratifs peuvent relever d’une institution fédérale, comme c’était le cas pour les états et autres renseignements financiers concernant la bande en l’espèce, et ce, pour des raisons n’ayant rien à voir avec l’octroi d’avantages facultatifs par la bande. Il n’était pas évident que l’intérêt public exigeait que pareils renseignements concernant des individus identifiables fussent exemptés du droit à la vie privée. De plus, on ne savait pas trop pourquoi l’intérêt public exigerait que des fonctionnaires du gouvernement trient, aux frais du public, des renseignements reçus par une institution fédérale à une fin tout à fait différente, pour décider si une partie de ces renseignements concernant un individu identifiable était visée par l’exception concernant les avantages facultatifs. Il n’y avait aucune raison évidente liée à l’intérêt public de refuser de protéger des renseignements se rapportant aux avantages facultatifs existant entre des particuliers simplement parce que ceux-ci relevaient d’une institution fédérale à une fin tout à fait différente. Le législateur voulait probablement qu’on envisage la communication dans chaque cas individuel, conformément au paragraphe 8(2). Quoi qu’il en soit, la preuve n’établissait pas que les renseignements en question étaient visés par l’exception concernant les avantages financiers facultatifs. La partie qui veut démontrer que les renseignements concernant un individu identifiable ne sont pas des « renseignements personnels » doit prouver qu’une exception s’applique. Aucun élément de preuve ne laissait entendre que le paiement des salaires était une subvention, un don ou un avantage tel qu’il constituait un avantage facultatif. De même, rien dans la preuve ne montrait que les dettes envers certaines personnes constituaient des avantages facultatifs. Les prêts en cours se rapportaient à des avances sur salaire consenties à des employés de la bande. Les avances sur salaire sont probablement accordées sans contrepartie et il peut donc s’agir d’avantages facultatifs, mais il n’existait aucune preuve directe sur ce point. Les deux garanties fournies par la bande à l’égard des prêts visaient à permettre à certains individus d’ouvrir un commerce dans la réserve. La nature des garanties laissait entendre que celles-ci pouvaient constituer des avantages facultatifs, mais ici encore, le requérant n’avait pas démontré que l’exception concernant les avantages facultatifs s’appliquait.
Les « renseignements personnels » en question n’étaient pas visés par l’alinéa 8(2)a). Les renseignements avaient été fournis de façon à permettre à l’administration de prendre des dispositions en vue du financement de la bande. La communication des noms des individus qui avaient conclu des opérations financières avec la bande n’était pas compatible avec cet objet. De plus les « renseignements personnels » en question n’étaient pas visés par l’alinéa 8(2)k). Les demandes présentées par des individus, qui ne sont pas censés représenter une association d’autochtones, une bande d’Indiens ou une institution fédérale ou subdivision de celle-ci, ne sont pas visées par l’alinéa 8(2)k). La demande en l’espèce était présentée par un individu. L’expression « en vue de l’établissement des droits des peuples autochtones ou du règlement de leurs griefs » vise des droits ou des griefs officiellement reconnus aux peuples autochtones en cette qualité. Ces mots ne s’appliquent pas à tous les litiges entre particuliers d’ascendance autochtone. Si c’était le cas, l’alinéa 8(2)k) permettrait la communication de « renseignements personnels » dans des litiges mettant en cause des individus d’ascendance autochtone, mais non dans des litiges mettant en cause des individus d’autres communautés ethniques ou dans des litiges où la question de la race n’entre pas en ligne de compte. Le requérant n’avait pas démontré que l’alinéa 8(2)m) s’appliquait. Lorsqu’il décide, dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire conféré par le législateur, qu’aucune raison d’intérêt public ne justifierait la violation de la vie privée, le responsable de l’institution fédérale agit dans les limites de ses attributions. Pour modifier pareille décision, la Cour doit conclure que le responsable de l’institution fédérale a exercé son pouvoir discrétionnaire d’une façon irrégulière. En l’espèce, rien ne permettait de tirer pareille conclusion. Ce n’est que lorsque le responsable de l’institution fédérale décide que des raisons d’intérêt public justifieraient « nettement » la violation de la vie privée qu’il existe un pouvoir discrétionnaire de communiquer des « renseignements personnels ».
Il existait peu d’éléments de preuve au sujet de la raison pour laquelle les renseignements concernant les plans de dépenses et les états de l’évolution de l’encaisse de la bande étaient confidentiels et de la question de savoir s’ils étaient traités comme tels de façon constante par la bande. La bande et le ministre ne s’étaient pas acquittés de l’obligation qui leur incombait de prouver que ces renseignements étaient visés par l’alinéa 20(1)b) de la Loi sur l’accès à l’information. Ces renseignements devaient donc être communiqués.
Les noms des entreprises auxquelles la bande avait acheté des biens ou services ne constituaient pas un renseignement dont la divulgation risquerait de causer des pertes financières appréciables à la bande; ils devaient être communiqués. La bande peut prendre des mesures pour empêcher que sa responsabilité soit engagée sans autorisation. De toute façon, les membres de la bande pouvaient facilement déterminer les noms des entreprises avec lesquelles cette dernière traitait.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, art. 2(1), 19(1),(2), 20(1)b),c).
Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, art. 2, 3 (mod. par L.C. 1992, ch.1, art. 144), 8(1),(2).
DOCTRINE
Shorter Oxford English Dictionary, 3rd ed. Oxford : Clarendon Press, 1973, « benefit ».
DEMANDE de communication de renseignements financiers concernant une bande d’Indiens, qui relevaient du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. Demande accueillie à l’égard des plans de dépenses, des états de l’évolution de l’encaisse et des noms des entreprises auxquelles la bande avait acheté des biens ou services. La communication des noms d’individus figurant dans les extraits de comptes débiteurs, de prêts en cours et de comptes créditeurs et des personnes pour lesquelles des prêts avaient été garantis ainsi que des descriptions de tâche associées aux salaires précis d’employés n’est pas ordonnée.
AVOCATS :
D. M. Sawchuk pour le requérant.
T. A. Saunders pour l’intimé.
Vic Savino pour la bande d’Indiens Peguis, intervenante.
D. Brunet pour le commissaire à l’information du Canada, intervenant.
PROCUREURS :
Szewczyk Wasel Sawchuk, Selkirk (Manitoba), pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.
Savino & Company, Winnipeg, pour la bande d’Indiens Peguis, intervenante.
Contentieux, commissaire à l’information du Canada, pour le commissaire à l’information du Canada, intervenant.
Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par
Le juge Rothstein : Il s’agit d’une demande qu’un membre de la bande d’Indiens Peguis (la bande), Robert Sutherland, a présentée en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, dans sa forme modifiée, en vue d’obtenir la communication de certains renseignements financiers concernant la bande, qui relevaient d’une institution fédérale représentée, en l’espèce, par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministre), partie intimée.
Avant et pendant la présentation des arguments oraux, le ministre s’est engagé à communiquer certains renseignements initialement considérés comme confidentiels. Pour décrire les renseignements qui sont encore en litige, on peut se reporter au document soumis par l’avocat du Commissaire à l’information du Canada, lequel est intitulé [traduction] « LES DOCUMENTS DEMANDÉS » :
(1) Les noms de deux personnes désignées dans l’[traduction] « ANNEXE III—COMPTES DÉBITEURS » des états financiers de la bande pour l’exercice ayant pris fin le 31 mars 1990. Les montants des comptes débiteurs et les raisons y afférentes sont communiqués. Les noms correspondants n’ont pas été communiqués (partie de la page 55).
(2) Les noms d’un certain nombre de personnes désignées dans l’[traduction] « ANNEXE IV—PRÊTS EN COURS » des états financiers de la bande pour l’exercice ayant pris fin le 31 mars 1990. Les montants individuels ont été communiqués, mais les noms correspondants ne l’ont pas été (parties des pages 56 et 57).
(3) Les noms d’un certain nombre de personnes désignées dans l’[traduction] « ANNEXE V »COMPTES CRÉDITEURS » des états financiers de la bande pour l’exercice ayant pris fin le 31 mars 1990. Les montants de chaque compte créditeur et le total ont été communiqués. Seuls les noms indiqués à côté des montants individuels demeurent confidentiels (parties des pages 58 et 59).
(4) Les descriptions de tâches associées à certains salaires dans un état intitulé [traduction] « ANALYSE DU SOLDE DES AFFECTATIONS DÉTERMINÉES POUR L’EXERCICE AYANT PRIS FIN LE 31 MARS 1990 », faisant partie des états financiers de la bande pour cette année-là. Les montants individuels ont été communiqués, mais les descriptions de tâches qui correspondent aux montants ne l’ont pas été (parties des pages 41 et 42).
(5) Les noms de deux personnes dont les emprunts ont été garantis par la bande. Les noms sont indiqués dans les [traduction] « NOTES AFFÉRENTES AUX ÉTATS FINANCIERS POUR L’EXERCICE AYANT PRIS FIN LE 31 MARS 1991 » (partie de la page 16).
(6) Les plans de dépenses de la bande et les états de l’évolution de l’encaisse pour les exercices financiers 1990-1991 à 1994-1995 (pages 93, 94, 95, 107, 108 et 119).
Le ministre et la bande allèguent la confidentialité en vertu du paragraphe 19(1) (renseignements personnels), de l’alinéa 20(1)b) (renseignements qui sont traités comme confidentiels de façon constante) et de l’alinéa 20(1)c) (pertes financières résultant de la divulgation) de la Loi sur l’accès à l’information :
19. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant les renseignements personnels visés à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
…
20. (1) Le responsable d’une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :
…
b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;
c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;
Une exemption concernant les renseignements personnels est alléguée à l’égard de certains noms figurant dans les extraits de comptes débiteurs, de prêts en cours et de comptes créditeurs, des noms des personnes pour lesquelles des emprunts ont été garantis, et des descriptions de tâches associées à des salaires précis (pages 16, 41, 42, 55, 56, 57, 58 et 59).
L’exemption concernant les renseignements qui ont été traités comme confidentiels de façon constante vise les plans de dépenses et les états de l’évolution de l’encaisse (pages 93, 94, 95, 107, 108 et 119).
L’allégation concernant les pertes financières résultant de la divulgation se rapporte à certaines entreprises auprès desquelles la bande effectue des achats et dont le nom figure sur la liste des comptes créditeurs (parties des pages 58 et 59).
ALLÉGATION CONCERNANT LES RENSEIGNEMENTS PERSONNELS
Sous réserve du paragraphe 19(2), le paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès à l’information oblige le ministre à refuser la communication des « renseignements personnels » visés à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, dans sa forme modifiée. Il faut donc d’abord déterminer si les renseignements en question sont des « renseignements personnels » visés à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. La définition de l’expression « renseignements personnels » figurant à l’article 3 commence ainsi :
3. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.
…
« renseignements personnels » Les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment :
Sans limiter le caractère général de ces mots, l’article 3 comporte neuf alinéas qui, sous réserve des exceptions mentionnées dans deux alinéas, décrivent d’une façon plus précise le genre de renseignements qui sont des « renseignements personnels ». La définition des mots « renseignements personnels » se termine par quatre alinéas qui énoncent des exceptions à ce qui serait par ailleurs des « renseignements personnels ».
La Loi sur la protection des renseignements personnels, a, entre autres, pour objet de protéger des « renseignements personnels ». L’article 2 est ainsi libellé :
2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en matière de protection des renseignements personnels relevant des institutions fédérales et de droit d’accès des individus aux renseignements personnels qui les concernent.
En vertu du paragraphe 8(1), les « renseignements personnels » qui relèvent d’une institution fédérale ne doivent pas être communiqués. Le paragraphe 8(1) prévoit ceci :
8. (1) Les renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale ne peuvent être communiqués, à défaut du consentement de l’individu qu’ils concernent, que conformément au présent article.
En refusant de communiquer les présumés « renseignements personnels » en l’espèce, le ministre s’appuie sur la définition de « renseignements personnels » figurant à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et, en particulier, sur l’alinéa b) de cet article :
3. …
b) les renseignements relatifs à son éducation, à son dossier médical, à son casier judiciaire, à ses antécédents professionnels ou à des opérations financières auxquelles il a participé;
À première vue, les personnes qui doivent de l’argent à la bande, auxquelles la bande doit de l’argent, pour lesquelles la bande a garanti un emprunt, ou dont le salaire est individuellement fixé, sont visées par le début de la définition de « renseignements personnels » et par les mots « les renseignements relatifs … à des opérations financières auxquelles [elles ont] participé » figurant à l’alinéa b). Il s’agit de savoir si l’une des exceptions mentionnées dans la définition de « renseignements personnels » s’applique, de façon que pareils renseignements ne soient plus des « renseignements personnels ». Le requérant s’appuie sur l’alinéa l) qui prévoit ceci :
3. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.
…
« renseignements personnels » …
…
toutefois, il demeure entendu que, pour l’application des articles 7, 8 et 26, et de l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information, les renseignements personnels ne comprennent pas les renseignements concernant :
…
l) des avantages financiers facultatifs, notamment la délivrance d’un permis ou d’une licence accordés à un individu, y compris le nom de celui-ci et la nature précise de ces avantages;
L’avocat du requérant dit que les opérations financières ici en litige sont visées par les mots « avantages financiers facultatifs ». Il soutient que ces opérations financières constituent des avantages facultatifs parce que la décision d’y participer relevait de la discrétion de la bande.
L’expression « avantages financiers facultatifs » n’est pas définie dans la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il faut l’interpréter à l’aide des mots employés, du contexte dans lequel ces mots s’inscrivent ainsi que de l’objet et du but de la Loi. Dans The Shorter Oxford English Dictionary, 3e éd., le mot [traduction] « avantage » est notamment défini comme signifiant [traduction] « faveur », « don », « bénéfice » ou « profit ». Le mot [traduction] « facultatif » laisse entendre qu’on peut accorder l’avantage prévu à l’alinéa l) à sa discrétion, sans être tenu de le faire.
L’avocat du ministre soutient que l’alinéa l) vise uniquement les avantages facultatifs conférés ou accordés par l’administration. Toutefois, les mots « administration » ou « institution fédérale » ne figurent pas à l’alinéa l). Par contre, il est expressément fait mention des institutions fédérales dans d’autres alinéas de la définition de « renseignements personnels », c.-à-d. les alinéas e) et h) (subventions ou récompenses octroyées par les institutions fédérales), j) (renseignements concernant un cadre ou employé d’une institution fédérale) et k) [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144] (renseignements concernant un individu qui a conclu un contrat de prestation de services avec une institution fédérale). L’absence des mots « institution fédérale » à l’alinéa l) signifie-t-elle que les avantages facultatifs qui sont visés sont ceux qui sont accordés tant par des institutions fédérales que par d’autres?
L’alinéa l) inclut les permis ou les licences parmi les avantages facultatifs. Ces permis ou licences seraient probablement ceux qui ne sont pas conférés de plein droit, mais qui relèvent de la discrétion de celui qui les accorde. Cela pourrait comprendre les permis ou licences qui sont accordés par des organismes de réglementation gouvernementaux autorisés, en vertu de la loi qui les régit à accorder des permis ou des licences dans l’intérêt public ou conformément à quelque autre norme à laquelle, à leur avis, les requérants ont satisfait. L’avocat du ministre a soutenu que le fait que la délivrance de permis ou licences est expressément mentionnée à l’alinéa l) laisse entendre que les avantages facultatifs envisagés par le législateur étaient uniquement ceux qui étaient accordés par les institutions fédérales. Toutefois, bien que la délivrance d’un permis ou d’une licence laisse généralement supposer une action gouvernementale, par définition ceux-ci ne sont pas uniquement accordés par les institutions fédérales. Ainsi, les sociétés professionnelles accordent aux individus des licences leur permettant d’exercer leur profession. Ces licences donnent à leurs titulaires la possibilité d’être financièrement récompensés pour la prestation de leurs services professionnels. À mon avis, le fait que les permis et licences sont mentionnés à l’alinéa l) ne permet donc pas de déterminer si cet alinéa vise uniquement les avantages facultatifs accordés par les institutions fédérales.
Une méthode qui m’inspire davantage confiance consiste à déterminer pourquoi le législateur a décidé que certains renseignements concernant un individu identifiable, qui relèvent d’une institution fédérale, ne devraient pas être protégés à titre de renseignements personnels. En règle générale, les renseignements concernant un individu identifiable sont des « renseignements personnels » protégés. Toutefois, il y a des exceptions. Ainsi, en vertu de l’alinéa e) de la définition de « renseignements personnels », les opinions personnelles qui portent sur une proposition de subvention, de récompense ou de prix à octroyer à un autre individu par une institution fédérale visée par règlement ne sont pas considérées comme des « renseignements personnels ». De même, selon l’alinéa j) de la définition, les renseignements concernant un cadre ou employé, actuel ou ancien, d’une institution fédérale et portant sur son poste ou ses fonctions, notamment l’éventail des salaires s’appliquant à son poste, ne sont pas des « renseignements personnels ». Selon l’alinéa k) de la définition, les renseignements concernant un individu qui a conclu un contrat de prestation de services avec une institution fédérale et portant sur la nature de la prestation, ne sont pas des « renseignements personnels ». De toute évidence, en décidant que certains renseignements concernant un individu n’étaient pas des « renseignements personnels » protégés, le législateur établissait l’équilibre entre les raisons d’intérêt public justifiant la communication de pareils renseignements qui relevaient d’une institution fédérale, et la violation de la vie privée. Pareils renseignements pourraient être des renseignements concernant un individu identifiable, mais le législateur a décidé que l’intérêt public devait l’emporter.
En décidant si l’alinéa l) de la définition des mots « renseignements personnels » vise les avantages financiers facultatifs accordés non par une institution fédérale, mais par d’autres, il faut, à mon avis, déterminer s’il y a lieu de communiquer ces renseignements par ailleurs « personnels ».
Il importe de se rappeler que des renseignements non administratifs peuvent relever d’une institution fédérale, comme c’était le cas pour les états et autres renseignements financiers concernant la bande en l’espèce, et ce, pour des raisons n’ayant rien à voir avec l’octroi d’avantages facultatifs par la bande. Il n’est pas du tout évident que l’intérêt public exige que pareils renseignements concernant des individus identifiables soient exemptés du droit à la vie privée. De plus, on ne sait pas trop pourquoi l’intérêt public exigerait que des fonctionnaires du gouvernement trient, aux frais du public, des renseignements reçus par une institution fédérale à une fin tout à fait différente, pour décider si une partie de ces renseignements concernant un individu identifiable est visée par l’exception concernant les avantages facultatifs. Par conséquent, il ne semble y avoir aucune raison évidente liée à l’intérêt public de refuser de protéger des renseignements se rapportant aux avantages facultatifs existant entre des particuliers simplement parce que ceux-ci relèvent d’une institution fédérale à une fin tout à fait différente.
Bien sûr, la conclusion selon laquelle les renseignements se rapportant à des avantages facultatifs non gouvernementaux ne sont pas visés par l’exception prévue à l’alinéa l) de la définition de « renseignements personnels » ne veut pas dire que pareils renseignements ne peuvent jamais être communiqués. En vertu du paragraphe 8(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, sur lequel je reviendrai ci-après, les « renseignements personnels » peuvent, dans certains cas précis, être communiqués par le responsable d’une institution fédérale. Il me semble qu’en l’absence de quelque raison évidente permettant de penser que le législateur ne voulait pas que les renseignements concernant les avantages facultatifs non gouvernementaux qui relèvent d’une institution fédérale soient protégés à titre de renseignements personnels, le législateur voulait probablement qu’on envisage la communication dans chaque cas individuel, conformément au paragraphe 8(2).
La façon dont il convient d’interpréter l’alinéa l) de la définition de « renseignements personnels » n’est pas tout à fait claire étant donné l’absence des mots « institution fédérale », mais je crois qu’il est préférable de considérer que les avantages facultatifs mentionnés dans cet alinéa sont ceux qui sont conférés par une institution fédérale et non par d’autres personnes dont les renseignements relèvent d’une institution fédérale.
J’ajouterais que même si j’étais arrivé à la conclusion contraire, je ne crois pas qu’il ait été prouvé que les renseignements dont il est ici question puissent être considérés comme des avantages financiers facultatifs. Étant donné que la Loi sur la protection des renseignements personnels vise à protéger les « renseignements personnels », les renseignements concernant des individus identifiables sont, en règle générale, des « renseignements personnels »; ce n’est que dans le cas où une exception précise s’appliquerait, qu’il ne s’agirait pas de « renseignements personnels ». Par conséquent, la partie qui veut démontrer que les renseignements concernant un individu identifiable ne sont pas des « renseignements personnels » doit prouver qu’une exception s’applique.
Les opérations dont il est ici question visent des prêts consentis par la bande, d’autres opérations ayant donné lieu à des créances en faveur de la bande, les salaires d’individus, les dettes de la bande envers certaines personnes, ainsi que deux emprunts garantis par la bande. Toutes les opérations sont des opérations financières concernant des individus identifiables et seraient donc, à première vue, des « renseignements personnels ». J’ai examiné les affidavits du chef de la bande, Louis Stevenson, et de l’administratrice de la bande, Daphne Sharon Stevenson, ainsi que le contre-interrogatoire de ces deux affiants au sujet de leurs affidavits, en vue de déterminer s’il existait une preuve justifiant l’application de l’exception concernant les avantages facultatifs.
Quant aux salaires, je ne puis rien voir dans la preuve qui laisse entendre que le paiement des salaires n’est pas une opération courante ordinaire, mais plutôt une subvention, un don ou un avantage tel qu’il constituerait un avantage facultatif. De même, rien dans la preuve ne montre que les dettes envers certaines personnes constituent des avantages facultatifs.
Deux créances sont en litige. L’une se rapporte à l’achat d’un bureau. Rien dans la preuve ne laisse entendre qu’il s’agissait d’autre chose que d’une opération ordinaire d’achat et de vente. Rien ne montre que le prix d’achat ne correspondait pas à la juste valeur marchande, ou que l’acheteur a obtenu un autre genre d’avantage à l’égard de l’opération. L’autre créance s’élève à 2 037 $ et représente les [traduction] « frais excédentaires de construction d’une habitation ». Rien ne montre ce qui a donné lieu à cette créance, si un intérêt était payable, quelles étaient les conditions de remboursement, ou tout autre élément qui m’aiderait à déterminer s’il s’agissait d’un avantage facultatif. Cette opération laisse planer un doute dans mon esprit, mais comme je l’ai dit, la partie qui cherche à appliquer l’exception prévue à l’alinéa l) de la définition de « renseignements personnels » doit démontrer, au moyen de la preuve, que l’opération est de la nature d’un avantage facultatif. Or, le requérant ne l’a pas fait en l’espèce.
Les prêts en cours se rapportent à des avances sur salaire consenties à des employés de la bande. La preuve montre clairement que la décision de consentir pareille avance est discrétionnaire. Je pourrais présumer que les avances sur salaire sont accordées sans contrepartie, et qu’il pourrait donc s’agir d’avantages facultatifs, mais je ne dispose d’aucune preuve directe sur ce point. Ici encore, le requérant a eu la possibilité, en contre-interrogeant les auteurs des affidavits, de démontrer que les avances sur salaire constituaient des avantages facultatifs, mais il ne l’a pas fait. En l’absence de quelque autre élément de preuve sur ce point, je ne puis conclure que les prêts en cours constituent des avantages financiers facultatifs.
Deux prêts ont été garantis par la bande. Selon la preuve, ces garanties visent à permettre à certains individus d’ouvrir un commerce dans la réserve. La nature des garanties en général, et certaines parties des contre-interrogatoires de M. Stevenson et de Mme Stevenson, laissent entendre que ces garanties pourraient constituer des avantages facultatifs. D’autre part, les contre-interrogatoires ne parlent pas des conditions y afférentes, de la question de savoir si des honoraires ou d’autres frais étaient payables, de quelque autre contrepartie ou sûreté ayant pu être donnée à l’égard des garanties, ou d’autres éléments qui pourraient aider à déterminer s’il s’agit d’avantages facultatifs. Ici encore, le requérant doit démontrer que l’exception concernant les avantages facultatifs s’applique; or, compte tenu de la preuve, je ne suis pas convaincu que cela ait été fait en ce qui concerne les deux garanties en question.
Pour les motifs susmentionnés, même si l’alinéa l) de la définition de « renseignements personnels » figurant à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels comprend les renseignements se rapportant à des avantages financiers facultatifs entre des particuliers et relevant d’une institution fédérale, la preuve ne me convainc pas que les renseignements dont il est ici question soient visés par cette exception. Je conclus que les renseignements en litige sont des « renseignements personnels » au sens de l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et que, conformément au paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès à l’information, ils ne doivent pas être communiqués par le responsable d’une institution fédérale.
Toutefois, cette conclusion ne met pas un terme à l’affaire. Le paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès à l’information est assujetti au paragraphe 19(2). Or, en vertu de l’alinéa 19(2)c), des renseignements personnels peuvent être communiqués si pareille communication est conforme à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, et ce, malgré le caractère obligatoire du paragraphe 19(1). L’alinéa 19(2)c) de la Loi sur l’accès à l’information prévoit ceci :
19. …
(2) Le responsable d’une institution fédérale peut donner communication de documents contenant des renseignements personnels dans les cas où :
…
c) la communication est conforme à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Le paragraphe 8(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels prévoit notamment ceci :
8. …
(2) Sous réserve d’autres lois fédérales, la communication des renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale est autorisée dans les cas suivants :
a) communication aux fins auxquelles ils ont été recueillis ou préparés par l’institution ou pour les usages qui sont compatibles avec ces fins;
…
k) communication à toute association d’autochtones, bande d’Indiens, institution fédérale ou subdivision de celle-ci, ou à leur représentant, en vue de l’établissement des droits des peuples autochtones ou du règlement de leurs griefs;
…
m) communication à toute autre fin dans les cas où, de l’avis du responsable de l’institution :
(i) des raisons d’intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée;
(ii) l’individu concerné en tirerait un avantage certain.
L’avocat du requérant soutient que, même si les noms des personnes qui ont conclu des opérations financières avec la bande constituent des « renseignements personnels », ils doivent être communiqués en vertu des alinéas 8(2)a), k) ou m) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Si je comprends bien le rapport qui existe entre la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur l’accès à l’information, en ce qui concerne les « renseignements personnels », il faut d’abord déterminer si les « renseignements personnels » en question sont visés par le paragraphe 8(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Dans la négative, en vertu du paragraphe 8(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels et du paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès à l’information, pareils renseignements ne doivent pas être communiqués. Si les « renseignements personnels » sont visés par le paragraphe 8(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, le début du paragraphe 8(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels et l’alinéa 19(2)c) de la Loi sur l’accès à l’information confèrent au responsable d’une institution fédérale un pouvoir discrétionnaire lorsqu’il s’agit de déterminer si pareils renseignements doivent être communiqués. Par conséquent, avant de déterminer si la Cour a compétence pour examiner la décision discrétionnaire que le responsable d’une institution fédérale prend en vertu de l’alinéa 19(2)c) de la Loi sur l’accès à l’information, il faut déterminer si les renseignements en question sont visés par le paragraphe 8(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
En ce qui concerne l’alinéa 8(2)a) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, la communication des noms des individus qui ont conclu des opérations financières avec la bande n’est pas un objet pour lequel les états et autres renseignements financiers concernant la bande ont initialement été fournis à l’administration par cette dernière. Les renseignements ont été fournis de façon à permettre à l’administration de prendre des dispositions en vue du financement de la bande. En l’espèce, rien ne laisse entendre que la communication de renseignements personnels au requérant constitue une utilisation compatible avec cet objet. Les « renseignements personnels » en litige ne sont donc pas visés par l’alinéa 8(2)a) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Quant à l’alinéa 8(2)k), l’avocat du requérant soutient que son client représente le St. Peter’s Organization Working Committee, groupe composé de sept membres de la bande d’Indiens Peguis qui a pour mandat, conformément à l’affidavit de John Stevenson, de traiter avec la bande afin de [traduction] « déterminer le statut des membres initiaux de la réserve St. Peter’s ». L’avocat du requérant dit que le St. Peter’s Committee est une association d’autochtones ou une subdivision d’une association d’autochtones, et que les « renseignements personnels » en question devraient être disponibles afin de permettre au comité d’établir les droits des autochtones ou de régler leurs griefs contre la bande. Toutefois, la demande est présentée par Robert Sutherland, à titre individuel. Or, les demandes présentées par des individus, qui ne sont pas censés représenter une association d’autochtones, bande d’Indiens ou institution fédérale ou subdivision de celle-ci, ne sont pas visées par l’alinéa 8(2)k).
Néanmoins, l’avocat du requérant affirme qu’en l’espèce, son client présente de fait sa demande pour le compte du St. Peter’s Committee. Toutefois, la preuve documentaire laisse entendre que, au mieux, cela peut avoir été fait après coup, puisque la demande d’accès initiale désigne uniquement le requérant et non le St. Peter’s Committee. Par contre, une demande d’accès indépendante a expressément été présentée par le requérant, en sa qualité de représentant du St. Peter’s Reserve Committee, environ quatre mois et demi après qu’il eut présenté sa demande en l’espèce.
Quoi qu’il en soit, l’expression « en vue de l’établissement des droits des peuples autochtones ou du règlement de leurs griefs » semble viser des droits officiellement reconnus aux peuples autochtones en cette qualité. Je n’interprète pas ces mots comme s’appliquant à tous les litiges entre particuliers d’ascendance autochtone. Si c’était le cas, l’alinéa 8(2)k) de la Loi sur la protection des renseignements personnels permettrait la communication de « renseignements personnels » dans des litiges mettant en cause des individus d’ascendance autochtone, mais non dans des litiges mettant en cause des individus d’autres communautés ethniques ou dans des litiges où la question de la race n’entre pas en ligne de compte. De toute évidence, la Loi sur la protection des renseignements personnels n’a jamais envisagé pareille distinction. Je ne vois pas comment les « renseignements personnels » dont il est ici question peuvent être visés par l’alinéa 8(2)k) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Quant à l’alinéa 8(2)m), l’avocat du requérant soutient que la Cour devrait substituer son opinion à celle du responsable de l’institution fédérale en déterminant que des raisons d’intérêt public justifieraient nettement la violation de la vie privée. Je déduis de la demande que le requérant a présentée en vue d’obtenir les « renseignements personnels » en question, ainsi que du refus du ministre de communiquer ceux-ci, que le responsable de l’institution fédérale en l’espèce n’a pas conclu que des raisons d’intérêt public justifieraient nettement la violation de la vie privée. Lorsqu’il décide, dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par le législateur, qu’aucune raison d’intérêt public ne justifierait la violation de la vie privée, le responsable de l’institution fédérale agit dans les limites de ses attributions. Pour modifier pareille décision, la Cour doit conclure que le responsable de l’institution fédérale n’était pas autorisé à exercer son pouvoir discrétionnaire de la façon dont il l’a fait. Compte tenu de la preuve dont je dispose en l’espèce, rien ne me permet de tirer pareille conclusion. Il pourrait en être autrement s’il avait été démontré que le responsable de l’institution fédérale avait exercé son pouvoir discrétionnaire d’une façon irrégulière, par exemple, en faisant preuve de partialité. Cependant, tel n’est pas ici le cas. Le fait que le libellé du sous-alinéa 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels laisse entendre sa nature exceptionnelle entre également en ligne de compte. Ce n’est que lorsque le responsable de l’institution fédérale décide que des raisons d’intérêt public justifieraient « nettement » la violation de la vie privée, qu’il existe un pouvoir discrétionnaire de communiquer des « renseignements personnels ». Le requérant n’a pas démontré que l’alinéa 8(2)m) s’applique aux « renseignements personnels » dont il est ici question.
Ayant conclu que les « renseignements personnels » en question ne sont pas visés par le paragraphe 8(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, il est clair que l’alinéa 19(2)c) de la Loi sur l’accès à l’information ne s’applique pas et que le paragraphe 19(1) s’applique de façon à obliger le responsable de l’institution fédérale à refuser de communiquer les « renseignements personnels » en l’espèce.
Je tiens à ajouter que je suis arrivé à cette conclusion compte tenu de l’objet de la Loi sur l’accès à l’information, à savoir accorder un droit d’accès à l’information qui relève de l’administration, sous réserve d’exceptions précises et limitées. Le paragraphe 2(1) de cette Loi prévoit ceci :
2. (1) La présente loi a pour objet d’élargir l’accès aux documents de l’administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.
À mon avis, le paragraphe 19(1) énonce une exception précise et limitée au droit d’accès à l’information relevant d’une institution fédérale, laquelle est fondée sur l’objet de la Loi sur la protection des renseignements personnels qui, comme le dit l’article 2 de cette Loi, vise à protéger les renseignements personnels concernant les individus qui relèvent d’une institution fédérale.
Je refuse donc d’ordonner la communication des noms des personnes figurant dans les extraits de comptes débiteurs, de prêts en cours et de comptes créditeurs de la bande et des personnes pour lesquelles des prêts ont été garantis par la bande. Je refuse également d’ordonner la communication des descriptions de tâches associées aux salaires précis d’employés de la bande.
RENSEIGNEMENTS TRAITÉS COMME CONFIDENTIELS DE FAÇON CONSTANTE
La seconde catégorie de renseignements en litige est composée de documents qui, selon la bande et le ministre, comportent des renseignements commerciaux confidentiels qui sont fournis à une institution fédérale par un tiers et qui sont traités comme confidentiels de façon constante par ce tiers. Ces renseignements comprennent les plans de dépenses et les états de l’évolution de l’encaisse de la bande.
Pendant l’audience, il est devenu évident que les renseignements figurant sur au moins trois des six pages en litige avaient déjà été rendus publics. Il s’agissait des pages 93, 94 et 119 du document intitulé [traduction] « LES DOCUMENTS DEMANDÉS ». Une fois que des renseignements sont publics, il ne sert à rien d’ordonner qu’ils demeurent confidentiels. Ces pages devront être communiquées.
Quant au reste des pages visées par cette catégorie, on a laissé entendre que les renseignements qui y figurent sont déjà publics, mais la chose n’a jamais été confirmée. De toute évidence, les renseignements qui sont déjà publics sont semblables à ceux qui figurent dans ces pages. Quoi qu’il en soit, ces pages font toutes partie d’une convention de transfert concernant le mode optionnel de financement et des modifications y afférentes, intervenue entre la bande d’Indiens Peguis et Sa Majesté la Reine du chef du Canada. Les renseignements se rapportent au financement de la bande.
L’avocat de la bande soutient que les renseignements en question se rapportent à des documents concernant les négociations et qu’à ce titre, ils devraient demeurer confidentiels. Même si c’était le cas, ces renseignements datent d’il y a quelques années et leur contenu est connu par l’autre partie aux négociations. L’avocat a également soutenu que ces documents devraient demeurer confidentiels en principe. Ce n’est pas un argument pertinent qu’il m’incombe d’examiner. La confidentialité est justifiée en vertu d’une des exceptions prévues par la Loi sur l’accès à l’information ou elle ne l’est pas.
On a présenté devant moi fort peu d’éléments de preuve au sujet de la raison pour laquelle ces renseignements étaient confidentiels et, de fait, s’ils étaient traités comme tels de façon constante par la bande. À mon avis, la bande et le ministre ne se sont pas acquittés de l’obligation qui leur incombait de prouver que ces renseignements sont visés par l’alinéa 20(1)b) de la Loi sur l’accès à l’information. Ces renseignements doivent donc être communiqués.
PERTES FINANCIÈRES RÉSULTANT DE LA COMMUNICATION
La troisième catégorie de renseignements en litige concerne des renseignements qui, de l’avis de la bande, causeront des pertes financières du fait de leur communication. La bande s’appuie sur l’alinéa 20(1)c) de la Loi sur l’accès à l’information. Les noms des entreprises auxquelles la bande a acheté des biens ou services sont ici en cause. Les noms mentionnés dans les extraits de comptes créditeurs sont ceux d’entreprises auxquelles des sommes étaient dues le 31 mars 1990. L’avocat de la bande soutient que si les noms de ces entreprises étaient communiqués, les membres de la bande pourraient, sans autorisation, engager la responsabilité de cette dernière auprès de ces entreprises, et créer ainsi des dettes non autorisées pour le compte de la bande.
Cet argument n’est pas fondé. De fait, le chef de la bande, lorsqu’il a été contre-interrogé au sujet de son affidavit, a reconnu que la bande avait fait face à ce genre de problème par le passé et qu’elle avait pris des mesures pour empêcher que sa responsabilité soit engagée sans autorisation. Il est loisible à la bande en tout temps de prendre des dispositions auprès des vendeurs en stipulant qu’elle ne paiera les factures se rapportant à des biens ou services que si les achats ont été autorisés, et s’ils sont effectués par une personne autorisée, conformément aux conditions dont la bande et les vendeurs auront convenu.
Il doit également être évident, dans bien des cas, que les membres de la bande connaissent les noms des entreprises avec lesquelles cette dernière traite. Des camions viennent dans la réserve, il y a des étiquettes sur les articles qu’on achète, des boîtes sur lesquelles figurent les noms des vendeurs qui sont mises au rebut, des discussions de vive voix et d’autres façons pour les membres de la bande d’obtenir ces renseignements. À mon avis, le nom des entreprises avec lesquelles la bande traite ne constitue pas un renseignement dont la communication pourrait causer des pertes financières importantes à la bande. Ces renseignements doivent être communiqués.
CONCLUSION
Les parties des pages 16, 41, 42, 55, 56, 57, 58 et 59 à l’égard desquelles la confidentialité est alléguée, en vertu du paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès à l’information, demeureront confidentielles. Tous les autres renseignements seront communiqués. L’application de l’ordonnance sera suspendue en attendant l’issue de l’appel, de façon que celui-ci ne devienne pas futile du fait qu’on exige la communication immédiate.
À l’audience, le requérant n’a eu qu’en partie gain de cause. Toutefois, avant et pendant l’audience, certains renseignements qui étaient initialement traités comme confidentiels ont volontairement été communiqués. Le requérant a obtenu communication d’une bonne partie des renseignements demandés et seuls les « renseignements personnels » doivent demeurer confidentiels. Certaines questions se sont également posées au sujet de l’interprétation de certaines dispositions de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels, lesquelles n’avaient pas déjà été examinées dans des arrêts antérieurs. Dans ces conditions, il serait opportun d’adjuger les dépens au requérant.