[1994] 3 C.F. 691
T-1181-92
Art Gallery of Ontario (requérante)
c.
La Commission canadienne d’examen des exportations de biens culturels et le Procureur général du Canada (intimés)
Répertorié : Art Gallery of Ontario c. Canada (Commission d’examen des exportations de biens culturels) (1re inst.)
Section de première instance, juge Rothstein—Toronto, 18 mai, 2 juin et 5 juillet 1994.
Contrôle judiciaire — Demande en vue de l’obtention d’une directive ordonnant à la Commission canadienne d’examen des exportations de biens culturels de tenir une audience pour réévaluer la juste valeur marchande de sculptures inuit qu’une personne se proposait de donner à la Art Gallery of Ontario — Après avoir consulté un expert, la Commission a fixé la valeur de la collection à 60 % de la moyenne de deux évaluations soumises par l’AGO — L’AGO n’a pas été avisée au préalable que des renseignements avaient été échangés entre la Commission et l’expert et n’a pas eu la possibilité de présenter des observations avant que la Commission ne prenne sa décision — La crédibilité de l’évaluation sur laquelle la Commission s’est fondée était suspecte car celle-ci avait été effectuée sans que les œuvres d’art soient examinées, et il semblait y avoir déjà eu des rapports entre l’expert et le président de la Commission — L’intimée a admis qu’il y avait eu violation des règles de justice naturelle et de l’équité procédurale ainsi que de l’art. 26 de la Loi sur l’exportation et l’importation de biens culturels (lequel exige que la Commission fasse connaître au requérant, pour l’essentiel, les renseignements qu’elle a reçus) — Il n’était pas possible de constituer un comité composé entièrement de nouveaux membres, compte tenu des exigences de l’art. 18(4) — La Commission n’a pas contre-interrogé les experts de l’AGO — Étant donné que les circonstances étaient inhabituelles, la tenue d’une audience s’avérait nécessaire pour « dissiper les doutes » et pour rétablir la confiance de la requérante dans l’équité des procédures de la Commission — La Cour a donné des directives ordonnant le réexamen.
Il s’agissait d’une demande en vue de l’obtention d’une directive enjoignant à la Commission canadienne des exportations de biens culturels de tenir une audience pour réévaluer la juste valeur marchande de biens culturels canadiens, soit 224 sculptures inuit, qu’une personne se proposait de donner à la Art Gallery of Ontario, établissement désigné. Conformément aux paragraphes 32(1) et (4) de la Loi sur l’exportation et l’importation de biens culturels, la Commission est habilitée à déterminer la juste valeur marchande des dons de biens culturels canadiens faits à des établissements désignés. En présentant une demande de certificat relatif à des biens culturels aux fins de l’impôt sur le revenu, la requérante a remis deux évaluations et a déclaré que la moyenne représentait la juste valeur marchande de la collection. La Commission avait des doutes au sujet de la juste valeur marchande proposée et a demandé une troisième évaluation, qui a été fournie. La Commission avait encore des doutes et a indiqué qu’elle avait demandé à un expert d’évaluer la collection. L’expert n’ayant pas pu effectuer l’évaluation, la Commission a consulté un autre expert sans informer la requérante de la chose avant de faire connaître sa décision. La Commission a fixé la valeur de la collection à soixante pour cent de la moyenne des deux premières évaluations, car elle estimait que les évaluations soumises par la requérante étaient beaucoup trop élevées compte tenu de la crise que traversait alors le marché. La requérante n’a pas été avisée au préalable que des renseignements avaient été échangés entre l’expert et la Commission, et elle n’a pas eu la possibilité de présenter des observations avant que la Commission fasse connaître sa décision. L’évaluation sur laquelle la Commission s’était fondée était une note d’une page et quart, écrite à la main. L’expert de la Commission n’avait pas vu la collection, mais avait simplement examiné 42 photographies. La Commission a refusé de tenir une audience comme le demandait la requérante, parce que [traduction] « [c]e n’[était] pas la procédure suivie ».
L’article 26 exige que la Commission fasse connaître au requérant, pour l’essentiel, les renseignements qu’elle a reçus au sujet d’une décision qu’elle doit prendre, et qu’elle donne à celui-ci la possibilité de présenter des observations sur ces renseignements. L’article 24 permet à la Commission d’établir ses propres règles de procédure. La Commission peut recevoir des renseignements oralement ou par écrit (article 25). L’article 27 prévoit que, dans certaines circonstances, les requérants peuvent demander une audience publique. L’article 28 prévoit que la Commission s’acquitte de son rôle sans formalisme et avec célérité, tout en respectant son obligation d’agir avec équité. L’article 22 permet à la Commission de faire appel à toute personne qui possède la compétence voulue pour l’assister en qualité d’expert-conseil.
La Commission a soutenu que, bien qu’elle soit habilitée à convoquer une audience, il n’était pas souhaitable de le faire compte tenu de la charge de travail, de la dissémination de ses membres partout au Canada et des frais de convocation d’une audience. Il s’agissait de savoir si la Cour devait ordonner la tenue d’une audience.
Jugement : la demande doit être accueillie.
L’affaire doit être renvoyée pour réexamen par un comité chargé de tenir une audience. Si la Commission sollicite des avis indépendants ou si elle veut se fonder sur les renseignements dont elle dispose déjà, elle doit produire ces renseignements, fournir le nom des personnes lui ayant fourni ces renseignements aux fins du contre-interrogatoire, et autoriser la requérante à présenter ses observations conformément à l’article 26. Le comité de réexamen doit, dans toute la mesure du possible, se composer de membres qui n’ont pas participé à la décision initiale. Le président ne doit pas participer à la décision. La décision de la Commission doit énoncer de façon détaillée les conclusions auxquelles elle est arrivée tout en expliquant et justifiant celles-ci.
Une audience devait être tenue pour les raisons suivantes : (1) la crédibilité de l’évaluation utilisée par la Commission était suspecte; (2) on a admis qu’il y avait eu violation des règles de justice naturelle ou d’équité procédurale ainsi que de l’article 26 de la Loi; (3) il n’était pas certain qu’un nouveau comité puisse être constitué pour réexaminer l’affaire; (4) la Commission n’était pas satisfaite des évaluations de la requérante, mais elle n’a pas contre-interrogé les experts de cette dernière.
(1) L’expert de la Commission n’a pas vu la collection. Son évaluation semblait quelque peu informelle. En outre, il semble y avoir déjà eu des rapports entre le président de la Commission et cet expert. Ce dernier avait été conservateur de la collection d’œuvres d’art de la Société Lavalin pendant douze ans, et le président de la Commission est l’ancien chef de direction de Lavalin.
(2) Les intimés ont admis que l’article 26 avait été violé. Ils ont également admis que la première évaluation de la juste valeur marchande des biens que la Commission avait faite ne respectait pas les règles de justice naturelle ou d’équité procédurale.
(3) Il n’était pas possible de constituer un comité composé de nouveaux membres, compte tenu des exigences établies au paragraphe 18(4) relativement au quorum.
(4) Les circonstances de l’espèce étaient telles qu’il était souhaitable d’autoriser la publicité des débats et de donner la possibilité d’effectuer un contre-interrogatoire. La requérante avait des raisons de douter de la décision initiale de la Commission. L’audience était le meilleur moyen de rétablir la confiance de la requérante dans la capacité de la Commission d’être objective. La tenue d’une audience permettrait également à la Commission de contre-interroger les experts de la requérante. Les circonstances inhabituelles de l’espèce exigeaient la tenue d’une audience.
Bien que la Commission soit habilitée à exercer ses fonctions sans formalisme et avec célérité et à élaborer ses propres règles de procédure, les articles 25 et 27 prévoient clairement la possibilité de présenter des observations orales et de demander la publicité des débats. La charge de travail de la Commission et les inconvénients laissent supposer qu’en vertu de la procédure normale, la Commission ne devrait pas être obligée de tenir des audiences, mais dans des circonstances particulières, une audience peut être nécessaire. La Cour ne devrait pas ordonner la présentation de nouvelles évaluations et de nouvelles preuves, de façon que la question soit tranchée en se fondant sur une preuve nouvelle, car cela mettrait la Cour dans une situation où, sans connaître les détails ou le fond de l’affaire, et sans avoir intérêt à en connaître le résultat, elle participerait à la présentation de la preuve des parties. Un tribunal de révision ne devrait pas assumer ce rôle. Dans le cadre de la compétence qu’elle a de déterminer la juste valeur marchande des biens culturels, la Commission devrait décider de la date appropriée à cet égard.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 39(1)a)(i.1) (mod. par L.C. 1991, ch. 49, art. 22), 118.1(10) (édicté, idem, art. 88).
Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148.
Loi sur l’exportation et l’importation de biens culturels, L.R.C. (1985), ch. C-51, art. 18, 22(1) (mod., par L.C. 1991, ch. 49, art. 217), 24, 25, 26, 27, 28, 32(1) (mod., idem, art. 218), (4).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE :
Cashin c. Société Radio-Canada, [1984] 2 C.F. 209; (1984), 8 D.L.R. (4th) 622; 8 Admin. L.R. 161; 5 C.H.R.R. D/2234; 84 CLLC 17,009; 55 N.R. 112 (C.A.).
DÉCISION CITÉE :
Northwestern Utilities Ltd. et autre c. Ville d’Edmonton, [1979] 1 R.C.S. 684; (1978), 12 A.R. 449; 89 D.L.R. (3d) 161; 7 Alta. L.R. (2d) 370; 23 N.R. 565.
DEMANDE en vue de l’obtention d’une directive ordonnant à la Commission canadienne des exportations de biens culturels de réévaluer, en tenant une audience, la juste valeur marchande de 224 sculptures inuit qu’une personne se proposait de donner à la Art Gallery of Ontario. Demande accueillie.
AVOCATS :
Peter F. C. Howard et William I. Innes pour la requérante.
Marlene I. Thomas et Tanya L. Jorgenson pour les intimés.
PROCUREURS :
Stikeman, Elliott, Toronto, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par
Le juge Rothstein :
LE LITIGE
En l’espèce, la question est de savoir si cette Cour doit ordonner à la Commission canadienne d’examen des exportations de biens culturels de tenir une audience pour réévaluer la juste valeur marchande des biens culturels canadiens que M. Samuel Sarick se propose de donner à la Art Gallery of Ontario.
Comme la Commission canadienne d’examen des exportations de biens culturels était la seule intimée désignée dans l’acte introductif d’instance, le procureur général du Canada a présenté une requête pour faire ajouter son nom comme partie intimée, puisque, selon la règle générale, les commissions et tribunaux administratifs ne sont pas entendus dans les procédures de révision faisant suite à une contestation de leurs décisions (voir l’arrêt Northwestern Utilities Ltd. et autre c. Ville d’Edmonton, [1979] 1 R.C.S. 684). Aux termes d’une ordonnance du protonotaire adjoint Giles, en date du 17 juillet 1992, le procureur général du Canada a été désigné comme intimé. Ci-après, la « Commission » désigne la Commission canadienne d’examen des exportations de biens culturels et l’« intimé », le procureur général du Canada.
Tout d’abord, l’intimé admet que la première évaluation de la juste valeur marchande des biens faite par la Commission ne respecte pas les règles de justice naturelle ou d’équité procédurale, non plus que les dispositions de la loi constitutive de la Commission, et que la juste valeur marchande contestée doit être réévaluée. La requérante concède pour sa part qu’elle n’a aucun droit d’exiger une audience, mais que, dans les circonstances de l’espèce, la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour ordonner la tenue de cette audience.
En outre, la requérante demande que le comité de réévaluation désigné par la Commission soit, dans toute la mesure possible, composé de membres autres que ceux qui ont pris part à la décision initiale et que la Commission appuie sa décision par des motifs détaillés donnés par écrit.
L’intimé soutient qu’il suffit de renvoyer la question devant la Commission pour réévaluation, sans autre directive. Toutefois, l’intimé est disposé à accepter une ordonnance enjoignant à la Commission de désigner au comité de réévaluation, dans la mesure du possible, des membres autres que ceux qui ont participé à la décision initiale. Il est aussi disposé à accepter une directive ordonnant à la Commission de fournir par écrit des motifs détaillés. Toutefois, l’intimé s’oppose à toute directive ordonnant la tenue d’une audience. Il prétend qu’au lieu d’émettre une telle directive la Cour pourrait exiger que la requérante soumette de nouvelles preuves et que, si la Commission juge utile de faire appel à ses propres sources d’information, elle ait recours à des sources différentes de celles utilisées pour rendre sa décision initiale.
La seule question à trancher est donc de déterminer si la Cour doit ordonner la tenue d’une audience.
LA PORTÉE DE LA LOI SUR L’EXPORTATION ET L’IMPORTATION DE BIENS CULTURELS
Pour replacer le litige, de même que les participants, dans une juste perspective, il est utile de faire un bref résumé du mécanisme de la Loi sur l’exportation et l’importation de biens culturels, L.R.C. (1985), ch. C-51, et ses modifications (la LEIBC), et de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148[1] et ses modifications. Je remercie M. William Innes, l’un des avocats de la requérante, qui a préparé un mémoire sur le sujet dont je me suis librement inspiré.
La LEIBC est entrée en vigueur le 6 septembre 1977, de même que certaines modifications complémentaires de la Loi de l’impôt sur le revenu. Cette loi avait pour objet de mettre en place un mécanisme visant à conserver au Canada le patrimoine national par l’action combinée de contrôles à l’exportation, de droits préférentiels d’acquisition pour certains établissements culturels désignés et de dégrèvements fiscaux pour les personnes physiques ou morales souhaitant donner des biens culturels à ces établissements désignés.
Le mécanisme fondamental de la LEIBC et des dispositions complémentaires de la Loi de l’impôt sur le revenu consiste, d’une part, à fournir un encouragement, c’est-à-dire un traitement fiscal préférentiel concernant le don ou la vente de biens culturels canadiens à des établissements désignés, et, d’autre part, à imposer certaines restrictions à l’exportation de biens culturels canadiens, de même qu’à accorder un droit d’expropriation limité dès que des biens culturels canadiens sont mis en vente.
Depuis sa création en 1977, la Commission constituée en vertu de la LEIBC est investie du pouvoir de désigner les établissements bénéficiaires et de déterminer si les biens donnés ou que l’on se propose de donner à ces établissements respectent les critères établis pour faire partie de la nomenclature des biens culturels canadiens. À l’origine, la Commission exerçait, de façon non officielle, un rôle général d’évaluation aux termes d’une entente avec Revenu Canada. Toutefois, depuis l’adoption du paragraphe 118.1(10)[2] de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui s’applique à des dons faits après le 20 février 1990[3], la Commission, conformément aux paragraphes 32(1) [mod. par L.C. 1991, ch. 49, art. 218] et (4) de la LEIBC, est habilitée à déterminer la juste valeur marchande des dons de biens culturels canadiens faits à des établissements désignés. Les paragraphes 32(1) et (4) de la LEIBC sont reproduits ci-dessous :
32. (1) Pour l’application du sous-alinéa 39(1)a)(i.1), de l’alinéa 110.1(1)c), de la définition de « total des dons de biens culturels » au paragraphe 118.1(1) et du paragraphe 118.1(10) de la Loi de l’impôt sur le revenu, lorsqu’une personne aliène ou se propose d’aliéner un objet au profit d’un établissement, ou d’une administration, désigné conformément au paragraphe (2), la personne, l’établissement ou l’administration peuvent demander par écrit à la Commission d’apprécier la conformité de l’objet aux critères d’intérêt et d’importance énoncés au paragraphe 29(3) et de fixer la juste valeur marchande de l’objet.
…
(4) La Commission étudie la demande présentée conformément au paragraphe (1) et, sauf circonstances spéciales, statue à son sujet dans les quatre mois suivant la date de sa réception.
Les comparaisons qui suivent permettront de mieux comprendre comment fonctionne l’encouragement fourni par la LEIBC au moment de la vente ou du don de biens culturels canadiens à des établissements désignés. Si un contribuable vend un tableau à un commerçant à un prix supérieur à son prix d’achat initial, il doit payer de l’impôt sur le gain en capital (ou plus-value), c’est-à-dire sur la différence entre le prix de vente du tableau et le prix de base rajusté. Par ailleurs, si le contribuable vend un tableau à un établissement désigné en vertu de la LEIBC et que ce tableau est inscrit dans la nomenclature des biens culturels canadiens, le gain en capital est réputé nul, par l’effet du sous-alinéa 39(1)a)(i.1) [mod., idem, art. 22] de la Loi de l’impôt sur le revenu, et le contribuable n’a aucun impôt à payer sur la plus-value réalisée.
Il arrive que des biens culturels canadiens soient effectivement vendus à des établissements désignés, mais les fonds affectés à ce genre d’acquisitions sont limités et les principaux établissements culturels canadiens comptent plutôt sur la générosité des donateurs. L’opération dont il est question en l’espèce en est d’ailleurs un exemple.
Si un contribuable fait don d’un tableau à une œuvre de charité ou à tout autre établissement non désigné par la Commission en vertu de la LEIBC, ou si le tableau ne fait pas partie de la nomenclature des biens culturels canadiens établie par la Commission, deux difficultés se posent. Tout d’abord, comme il s’agit d’un don, il n’y a aucun produit tiré d’une vente. Néanmoins, le contribuable doit déclarer une plus-value au moment de la cession de son tableau et remettre l’impôt exigible à ce titre. Deuxièmement, le crédit d’impôt accordé aux œuvres de charité en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (ou la déduction dans le cas d’une société), est normalement limité à vingt pour cent du revenu annuel du contribuable. Bien que la fraction non utilisée du crédit d’impôt ou de la déduction puisse être reportée sur les années ultérieures pendant un maximum de cinq ans, il peut arriver, lorsque la valeur du tableau est très élevée comparativement au revenu du donateur, que la période de cinq ans s’écoule sans que le contribuable ait pleinement utilisé le crédit d’impôt ou la déduction.
Par ailleurs, lorsque des biens culturels canadiens sont donnés à un établissement désigné, ces deux difficultés sont éliminées. Le gain en capital est réputé nul et il n’y a aucun impôt à payer sur la plus-value. En outre, la limite de vingt pour cent du revenu ne s’applique pas au crédit d’impôt ou à la déduction applicable au don, et de cette façon le contribuable peut utiliser la valeur totale du don pour soustraire son revenu à l’impôt dans l’année où le don est fait et reporter, sur les cinq années suivantes, toute fraction non utilisée du crédit d’impôt ou de la déduction pour la réclamer le plus rapidement possible.
LES FAITS
Les biens culturels canadiens visés en l’espèce se composent de 224 sculptures inuit faisant partie de la collection Sarick regroupant 3 200 sculptures inuit. La Art Gallery of Ontario est un établissement désigné et il ne fait aucun doute que les biens visés sont des biens culturels canadiens. En décembre 1991 ou en janvier 1992, la requérante a présenté à la Commission une demande de certificat relatif à des biens culturels aux fins de l’impôt sur le revenu. La requérante a remis deux évaluations des biens visés, l’une de Miriam Shiell Fine Art pour une valeur de 1 645 650 $, et l’autre de Images Art Gallery pour une valeur de 1 525 250 $. La moyenne de ces deux évaluations, soit 1 584 450 $ constitue, selon la requérante, la juste valeur marchande de la collection.
La Commission a examiné la demande au cours de sa réunion à la fin de janvier 1992 et, dans une lettre adressée à la requérante le 7 février 1992, elle indiquait qu’elle avait des doutes au sujet de la juste valeur marchande proposée pour la collection et qu’elle demandait une troisième évaluation. La requérante a donc obtenu cette troisième évaluation de Michael Neill de Willowdale (Ontario), qui établissait la valeur de la collection à 1 517 150 $.
Pour chacune de ces évaluations, les experts ont examiné les pièces de visu. L’intimé, dans la présente procédure, ne conteste pas la compétence des experts de la requérante.
La Commission a pris connaissance des évaluations à sa réunion du mois de mars 1992 et, le 3 avril 1992, a informé par écrit la requérante qu’elle avait toujours des doutes au sujet de ces évaluations. La Commission indiquait qu’elle avait demandé à Duncan McLean de Waddington & McLean d’évaluer la collection. Dans sa lettre, la Commission précisait que M. McLean communiquerait vraisemblablement avec la requérante pour prendre rendez-vous afin de voir la collection.
Le 7 avril 1992, Michael Hazley, président, et M. Glenn Lowry, administrateur de la requérante, ont rencontré à Montréal Bernard Lamarre, président, et David Walden, secrétaire de la Commission. M. Lowry a demandé à voir les évaluations qu’avait exigées la Commission avant de se prononcer. M. Lamarre lui a répondu que la requérante ne serait pas autorisée à prendre connaissance de ces évaluations avant que la Commission rende sa décision mais que, peu après celle-ci, la requérante serait informée du nom de la personne ayant effectué les évaluations et des détails essentiels de celles-ci.
Le 22 avril 1992, M. Lowry a téléphoné à M. Walden parce que M. McLean, l’évaluateur de la Commission, n’avait pas encore communiqué avec la requérante. M. Walden a informé M. Lowry que M. McLean ne pouvait effectuer l’évaluation faute de temps. La Commission a donc demandé à un autre expert de s’en charger. M. Walden a refusé de révéler le nom de cet expert ou de divulguer la teneur de son rapport. M. Walden a indiqué que la Commission avait fixé la valeur de la collection à soixante pour cent (60 %) des deux premières évaluations remises par la requérante.
La requérante a reçu la décision de la Commission le 24 avril 1992. La Commission avait décidé que la juste valeur marchande de la collection s’établissait à 950 670 $. Voici ce qu’elle indique dans sa lettre :
[traduction] Pour prendre sa décision, la Commission a examiné les trois évaluations qui lui ont été soumises avec la demande, et elle a consulté M. Leo Rosshandler de Communications Rosshandler & Associates Ltd. à Montréal. La Commission a ensuite conclu que la valeur initiale était trop élevée compte tenu du marché actuel et elle a jugé que la juste valeur marchande de cette collection s’établissait à 950 670 $ (soit 60 % de 1 584 450 $—qui est la moyenne des deux premières évaluations).
La requérante n’a pas été avisée au préalable que des renseignements avaient été échangés entre M. Rosshandler, ou toute autre personne, et la Commission, et de toute évidence elle n’a pas eu non plus la possibilité de présenter ses observations concernant l’intervention de M. Rosshandler avant que la Commission fasse connaître sa décision.
La Commission semble également avoir demandé l’avis du Musée des beaux-arts du Canada. Le Musée a fait les commentaires suivants :
[traduction] Il est difficile d’évaluer avec exactitude cette collection à partir de 42 photos seulement et sans disposer d’une liste détaillée des œuvres. Cela dit, je crois que ces évaluations sont élevées mais restent dans une fourchette de prix raisonnable.
Les observations du Musée des beaux-arts n’ont pas été communiquées à la requérante.
En guise d’évaluation, M. Rosshandler a remis une note d’une page et quart écrite à la main :
[traduction] J’ai examiné et comparé les quatre listes (deux évaluations, un imprimé d’ordinateur avec description et une liste générale des titres), de même que les photographies fournies par l’A.G.O.
Je conclus que les évaluations sont beaucoup trop élevées et irréalistes, compte tenu de la crise que traverse aujourd’hui le marché de l’art.
De façon générale, la qualité de cette collection de sculptures est bonne … certaines pièces véritablement exceptionnelles, mais il n’est peut-être pas possible d’évaluer tous les objets à partir des listes et des photographies choisies.
Les sculptures S.2403 et S.2687 de Karoo Ashevak, dont les photographies sont fournies, sont des œuvres puissantes et importantes, mais elles ne peuvent être comparées aux œuvres d’Ashevak que j’ai eu la possibilité d’acquérir pour le Musée des Beaux-Arts de Montréal.
Joe Talirunili : ce sont de bons exemples de son travail—rien de plus. Il suffit de comparer l’œuvre intitulée « Boat and Six Men », datant d’environ 1965 (S-357), avec le bateau exposé au MBAM.
Cette évaluation n’enlève rien à la qualité et à l’importance de ces deux grands artistes!
À mon avis, la collection devrait être réévaluée à environ 60 % de la somme moyenne indiquée par les experts, c’est-à-dire à 950 670 $.
M. Rosshandler n’a pas vu la collection. Son évaluation, effectuée entre le 9 et le 11 avril 1992, semble donc se fonder sur les quelque 42 photographies qui lui ont été fournies. De toute évidence, la Commission a adopté l’évaluation de M. Rosshandler telle quelle.
Après la réception de la lettre de la Commission en date du 24 avril 1992, énonçant sa décision, l’avocat de la requérante a demandé une audience. Dans une lettre qu’elle adressait à ce dernier, l’avocate de la Commission reconnaissait que la requérante avait le droit de connaître l’essentiel des renseignements communiqués à la Commission concernant la donation Sarick. La Commission était également disposée à tenir compte des observations écrites de la requérante et à rendre une décision après les avoir examinées. Toutefois, au sujet de l’audience demandée par la requérante, l’avocate de la Commission indique ce qui suit :
[traduction] Vous avez demandé, au nom de l’AGO, que la Commission convoque une audience pour prendre connaissance de vos observations. Ce n’est pas la procédure suivie par la Commission et nous avons donc reçu instruction de vous aviser qu’il n’y aura pas d’audience.
Pendant le contre-interrogatoire sur les déclarations sous serment, l’avocate de l’intimé a reconnu que rien n’empêche la Commission de convoquer une audience et qu’au fond il s’agit de déterminer s’il est nécessaire de tenir une audience dans les circonstances de l’espèce. Elle fait valoir qu’en raison de la charge de travail de la Commission, du fait que ses membres sont disséminés à travers le pays et des frais qu’entraîne la tenue d’une audience, il n’est pas du tout souhaitable d’en convoquer une.
LA COMMISSION
La Commission est constituée en vertu de l’article 18 de la LEIBC. Elle se compose d’un président et de six à douze autres membres. Au moment où la Commission a rendu sa décision en l’espèce, comme à l’heure actuelle, elle se composait de neuf membres, choisis parmi le public en général et certains groupes d’intérêt. Le quorum est de trois membres. L’article 18 est reproduit ci-dessous :
18. (1) Est constituée la Commission canadienne d’examen des exportations de biens culturels, composée de sept à treize membres, dont le président, nommés par le gouverneur en conseil sur recommandation du ministre.
(2) Les commissaires sont choisis parmi les résidents. En outre, à l’exclusion de trois d’entre eux, dont le président, ils sont choisis, en nombre égal, parmi les personnes qui sont ou ont été :
a) des dirigeants ou membres du personnel de galeries d’art, musées, archives, bibliothèques ou autres établissements analogues sis au Canada;
b) des marchands ou collectionneurs d’objets d’art, d’antiquités ou d’autres objets faisant partie du patrimoine national.
(3) La Commission peut autoriser un de ses membres à remplacer le président en cas d’absence ou d’empêchement de ce dernier ou de vacance de son poste.
(4) Le quorum est de trois membres, dont au moins un de chacune des deux catégories établies par les alinéas (2)a) et b).
J’ai été informé que quatre nouveaux membres n’ont pas participé à la décision initiale de la Commission dans le cas qui nous occupe, mais il ne semble pas qu’il soit possible pour le moment de constituer un comité de membres n’ayant pas pris part à cette décision, compte tenu des exigences établies au paragraphe 18(4) relativement au quorum et du fait qu’aucun nouveau membre n’a été nommé parmi les personnes désignées à l’alinéa 18(2)b).
La procédure suivie par la Commission est énoncée aux articles 24 à 28 de la Loi. La Commission établit ses propres règles de procédure. L’article 24 est reproduit ci-dessous :
24. Dans le cadre de la présente loi, la Commission peut établir des règles pour assurer la conduite de ses travaux et l’exercice de ses fonctions.
Des renseignements peuvent être communiqués à la Commission oralement ou par écrit, comme le prévoit l’article 25 ci-dessous :
25. La Commission peut, sans être liée par les règles juridiques ou techniques applicables en matière de preuve, prendre connaissance des renseignements qui lui sont donnés oralement ou par écrit et qu’elle estime pertinents à l’affaire dont elle est saisie.
La Loi exige que la Commission fasse connaître, pour l’essentiel, les renseignements qu’elle a reçus concernant une décision qu’elle doit prendre à un requérant et qu’elle donne à ce dernier la possibilité de présenter des observations sur ces renseignements. L’article 26 énonce les dispositions pertinentes :
26. La Commission transmet, pour l’essentiel, les renseignements qu’elle a reçus sur l’affaire dont elle est saisie, soit à la personne qui a demandé une licence pour l’objet auquel cette affaire a trait, soit à la personne, à l’établissement ou à l’administration qui lui a demandé de statuer conformément au paragraphe 32(1); avant de régler l’affaire, la Commission donne à cette personne, à cet établissement ou à cette administration la possibilité de présenter des observations sur ces renseignements.
L’avocate de l’intimé admet que la Commission a transgressé l’article 26.
Dans certaines circonstances, les requérants peuvent demander une audience comme le prévoit l’article 27 :
27. La Commission peut exclure des débats quiconque n’est pas directement intéressé par l’affaire dont elle est saisie; toutefois, la personne qui a demandé la licence pour l’objet en litige dans l’affaire peut exiger la publicité des débats.
La Commission s’acquitte de son rôle sans formalisme et avec célérité, tout en respectant son obligation d’agir avec équité. L’article 28 énonce les dispositions pertinentes :
28. La Commission règle l’affaire dont elle est saisie avec aussi peu de formalisme et autant de célérité que le permettent, à son avis, l’équité et les circonstances.
Dans l’exercice de ses fonctions, la Commission peut faire appel à toute personne qui possède la compétence voulue pour l’assister en qualité d’expert-conseil, comme le prévoit le paragraphe 22(1) [mod. par L.C. 1991, ch. 49, art. 217] :
22. (1) La Commission peut faire appel aux personnes qui ont la compétence voulue pour l’assister en qualité d’experts-conseils.
ANALYSE
À mon avis, les arguments de l’intimé concernant la charge de travail de la Commission, la dissémination de ses membres partout au Canada et les frais de convocation d’une audience doivent être rejetés. Bien que la Commission soit habilitée à exercer ses fonctions sans formalisme et avec célérité et à établir ses propres règles de procédure, il n’en reste pas moins que les articles 25 et 27 de la LEIBC prévoient clairement la possibilité de présenter des observations orales et de demander la publicité des débats. Il est vrai que la charge de travail de la Commission et la dissémination de ses membres partout au Canada laissent supposer qu’en vertu de la procédure normale, la Commission ne devrait pas être obligée de tenir des audiences pour rendre ses décisions. Toutefois, dans des circonstances particulières, une audience peut être nécessaire. La Loi reconnaît cette éventualité. L’opportunité de tenir une audience dans des circonstances particulières ne peut céder le pas à des arguments faisant valoir la charge de travail de la Commission ou les inconvénients qui en résulteraient pour ses membres. Dans l’arrêt Cashin c. Société Radio-Canada, [1984] 2 C.F. 209 (C.A.), le juge en chef Thurlow indique ce qui suit à la page 212 :
J’ajouterai le commentaire suivant : lorsque les principes de justice naturelle doivent être observés, il ne suffit pas d’affirmer pour s’y soustraire que la Commission n’est pas organisée de manière à lui permettre, dans ses procédures, de tenir des audiences pour entendre les témoins et donner l’occasion aux parties adverses de les contre-interroger. Il ne fait pas de doute que la Commission est maître de sa propre procédure. Toutefois, son pouvoir de prescrire la procédure dans un cas comme celui en l’espèce est lui-même subordonné aux principes de justice naturelle et à ce que la justice naturelle exige dans ce cas particulier.
Je suis d’avis que ces observations du juge en chef Thurlow s’appliquent, en l’espèce, à la Commission.
L’avocate de l’intimé fait valoir qu’au lieu d’ordonner la tenue d’une audience la Cour pourrait enjoindre à la requérante et à l’intimé de fournir de nouvelles évaluations et de nouvelles preuves de façon que la question soit tranchée en se fondant sur une preuve entièrement nouvelle. Selon sa thèse, si la Commission étudie la question à partir de la nouvelle preuve, cette affaire ne sera pas différente des autres affaires dont traite la Commission sans avoir à tenir une audience. À mon avis, il n’est pas souhaitable que la Cour adopte les mesures suggérées par l’avocate de l’intimé. En situation normale, les parties doivent avoir la liberté et la responsabilité de choisir la preuve qu’elles souhaitent produire. Personne ne sait s’il est possible de faire de nouvelles évaluations ou si ces dernières seront plus souhaitables que celles dont dispose déjà la Commission. Si, dans une procédure de contrôle judiciaire, cette Cour statue que certaines preuves sont admissibles ou même souhaitables, elle participe en fait à la présentation de la preuve des parties, sans connaître les détails du fond de l’affaire et sans avoir intérêt à en connaître le résultat. À mon avis, un tribunal de révision ne devrait pas assumer ce rôle, sauf dans les circonstances les plus exceptionnelles.
En l’espèce, la requérante a fait faire trois évaluations. La Commission les a rejetées toutes trois et a accepté celle de M. Rosshandler. Celui-ci n’a pas vu la collection. Le Musée des beaux-arts, auquel la Commission s’est également adressée, a hésité à fournir une évaluation sans voir la collection. L’évaluation de M. Rosshandler, qui est en fait une note d’une page et quart écrite à la main, me semble quelque peu informelle. En outre, il semble y avoir eu déjà des rapports entre le président de la Commission et M. Rosshandler. Apparemment, M. Rosshandler a été le conservateur de la collection d’œuvres d’art de la Société Lavalin pendant douze ans. Le président de la Commission est l’ancien chef de la direction de la Société Lavalin. Pour toutes ces raisons, la requérante remet en question la validité de l’évaluation de M. Rosshandler.
Dans l’arrêt Cashin, ci-dessus, le juge en chef Thurlow dit ceci à la page 211 :
Tout d’abord, aucune règle générale ne dit que, pour assurer le respect des principes de justice naturelle, il faut tenir une audience et donner à la personne dont les droits pourraient être touchés par la décision d’une autorité administrative la possibilité d’examiner tous les documents et de contre-interroger les témoins. Cependant, vu la nature de la décision qu’il fallait rendre en l’espèce, c’est-à-dire déterminer si CBC avait, en réalité, refusé de renouveler le contrat de la requérante parce que les exigences professionnelles normales exigeaient que l’image de cette dernière dans le public soit celle d’une personne objective dans l’exercice de ses fonctions, et le fait qu’il appartenait à CBC d’expliquer ce qui avait motivé sa décision, la situation exigeait manifestement, à mon avis, qu’il soit donné à la requérante l’occasion de vérifier par contre-interrogatoire les motifs avancés par CBC pour sa décision.
Comme dans l’arrêt Cashin, ci-dessus, la présente affaire est un cas dans lequel, à mon avis, certaines raisons exigent la tenue d’une audience, notamment :
(1) Pour des raisons qui soulèvent à tout le moins des doutes dans mon esprit, la crédibilité de l’évaluation utilisée par la Commission dans sa décision peut être remise en question.
(2) On a admis qu’il y a eu violation des règles de justice naturelle ou d’équité procédurale et de l’article 26 de la LEIBC. La Commission a initialement agi en secret sans transmettre à la requérante les renseignements qu’elle a reçus de M. Rosshandler et sans lui donner la possibilité de présenter ses observations à cet égard.
(3) Il n’est pas certain qu’un nouveau comité composé uniquement de membres de la Commission n’ayant pas pris part à la décision initiale puisse être constitué pour réexaminer cette affaire, compte tenu des exigences relatives au quorum énoncées au paragraphe 18(4) de la LEIBC.
(4) La Commission n’était pas satisfaite des évaluations de la requérante, mais elle n’a pas contre-interrogé les experts de cette dernière.
Les circonstances de l’espèce sont telles qu’il est souhaitable, à mon avis, d’autoriser la publicité des débats et de donner la possibilité d’effectuer un contre-interrogatoire. La requérante, s’appuyant sur la preuve qui m’a été présentée, a de bonnes raisons de douter de la décision initiale de la Commission. En effet, les éléments de preuve mettant en doute la validité de la procédure suivie par la Commission pour se prononcer sur le fond de cette affaire sont assez nombreux pour justifier le scepticisme de la requérante. La Commission doit maintenant s’efforcer de rétablir, dans toute la mesure possible, la confiance de la requérante dans l’équité de ses procédures et dans l’objectivité de l’analyse qu’elle a faite de la demande qui lui a été présentée. Je pense qu’il serait dans l’intérêt de la Commission elle-même de tout mettre en œuvre pour « dissiper les doutes ». En outre, la tenue d’une audience permettra à la Commission de contre-interroger, par l’entremise de ses avocats, les experts de la requérante. Dans les circonstances de l’espèce, l’audience est le meilleur moyen d’assurer la réalisation de ces objectifs tout en aidant la Commission à rendre une décision équitable.
Je fais toutefois observer qu’aucun élément de ma décision n’empêche la Commission, en temps normal, de suivre la procédure qu’elle juge appropriée. C’est l’aspect inusité de ce cas particulier qui justifie la tenue d’une audience.
Dans ses efforts pour me convaincre que cette Cour devrait enjoindre aux parties de présenter de nouvelles preuves au lieu d’ordonner la tenue d’une audience, l’avocate de l’intimé fait valoir que la Cour devrait statuer que la date en fonction de laquelle la juste valeur marchande de la collection Sarick doit être déterminée ne devrait pas être celle à laquelle la première demande a été faite ou la décision initiale prise, mais plutôt celle à laquelle la Commission réévaluera la question. Selon cette suggestion, il faudrait effectuer de nouvelles évaluations[4].
L’avocat de la requérante prétend que c’est à la Commission qu’il revient en tout premier lieu de décider de la date pertinente pour établir la juste valeur marchande. Je suis de cet avis. En l’espèce, la requérante n’a pas soulevé cette question dans sa demande et, en fait, celle-ci n’a pas non plus été mentionnée par l’avocate de l’intimé avant l’étape du plaidoyer. Bien que cette question ait pour but de savoir, advenant que la Commission doive examiner de nouvelles preuves, s’il est nécessaire de tenir une audience, il s’agit en fait d’un point auquel le donateur, M. Sarick, est intéressé au premier chef. Bien qu’il ait été partie à la première demande adressée à la Commission, M. Sarick n’est intervenu d’aucune manière dans la présente instance. Je ne crois pas qu’il soit approprié de décider de la date à laquelle il faut établir la juste valeur marchande de la collection sans à tout le moins accorder à M. Sarick la possibilité de présenter, lui-même ou par l’entremise de ses représentants, ses observations devant le comité de réexamen constitué par la Commission. En outre, la détermination de la juste valeur marchande est du ressort de la Commission et je ne vois aucune raison d’empêcher la Commission, du moins en premier lieu, de décider de la date appropriée à cet égard.
CONCLUSION
Cette affaire est donc renvoyée pour réexamen à un comité de la Commission chargé de tenir une audience à cette fin. La requérante aura toute latitude pour citer les témoins qu’elle juge appropriés, y compris ses premiers experts si elle entend toujours s’appuyer sur leurs évaluations. Les témoins de la requérante pourront être contre-interrogés par l’avocate de la Commission. Que celle-ci sollicite des avis indépendants ou qu’elle décide de se reposer sur les renseignements dont elle dispose déjà, elle devra produire les renseignements qu’elle détient actuellement ou qui lui seront communiqués ultérieurement et fournir le nom des personnes lui ayant fourni ces renseignements, aux fins du contre-interrogatoire, à l’avocat de la requérante et autoriser celui-ci à présenter ses observations conformément à l’article 26 de la LEIBC.
Le comité de réexamen doit, dans toute la mesure possible, se composer de membres de la Commission qui n’ont pas participé à la décision initiale. Le président de la Commission ne devrait donc pas intervenir dans cette nouvelle décision.
La décision de la Commission énoncera de façon détaillée les conclusions auxquelles elle est arrivée en fournissant les explications et les justifications adéquates.
L’avocat de la requérante préparera une ordonnance exposant ces motifs et la transmettra à l’avocate de l’intimé pour approbation avant de me la soumettre, pour que j’y appose ma signature, dans les quatorze jours suivant la date des présents motifs. Si les parties ne s’entendent pas sur l’ordonnance à rédiger, chacune d’entre elles pourra s’adresser à la Cour qui, après avoir entendu les arguments de l’une et de l’autre, émettra une ordonnance appropriée.
[1] Le 1er mars 1994, la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, est entrée en vigueur.
[2] L’art. 118.1(10) de la Loi de l’impôt sur le revenu, adopté par l’art. 88(3), L.C. 1991, ch. 49, est entré en vigueur le 17 décembre 1991.
[3] Aux termes de l’art. 88(6), L.C. 1991, ch. 49, l’art. 118.1(10) de la Loi de l’impôt sur le revenu s’applique uniquement aux dons faits après le 20 février 1990.
[4] Au début de cette affaire, des questions se sont posées quant à savoir si la donation Sarick à la requérante avait été annulée. Selon l’avocate de l’intimé, on aurait alors pu prétendre que la question en litige était hypothétique ou, à tout le moins, que la date pertinente pour établir la juste valeur marchande ne pouvait être fixée qu’après une nouvelle donation, d’où la nécessité d’effectuer de nouvelles évaluations. Cependant, une autre déclaration sous serment de M. Glenn Lowry a précisé que la donation tenait toujours.