Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[1994] 3 .C.F 177

T-488-94

Oak Bay Marine Group, Oak Bay Marina Ltd. et Sealand of the Pacific Ltd. (demanderesses)

c.

Margaret Jackson et Floyd Jackson et toutes les autres personnes ayant des réclamations contre les demanderesses, le navire « Ucluelet Princess » ou le Fonds devant être créé (défendeurs)

Répertorié : Oak Bay Marine Group c. Jackson (1re inst.)

Section de première instance, juge Strayer—Vancouver, 7 et 25 mars 1994.

Droit maritimePratique Requête en radiation de l’action en limitation de responsabilité intentée après le prononcé d’un jugement relatif aux blessures corporelles subies par un passager à bord du navire défendeurLa défense n’a mentionné aucune limitation de responsabilitéBien que l’action en dommages-intérêts ait allégué la négligence du capitaine, de l’équipage, du propriétaire et de l’exploitant du navire, le juge de première instance a conclu seulement à la négligence du capitaine dans la navigationL’action en limitation de responsabilité est un emploi abusif des procédures de la CourChevauchement des éléments de preuve et des arguments dans les deux actionsUtilisation inefficace des ressources de la Cour, des partiesLa pratique courante consiste à inclure l’action en limitation comme demande reconventionnelle ou à engager une action distincte avant ou peu de temps après l’engagement de l’action en dommages-intérêts.

[lc.6]Il s’agit d’une requête en radiation de la présente action en limitation de responsabilité pour le motif que cette action constitue un emploi abusif des procédures de la Cour. Les demanderesses cherchent à faire limiter leur responsabilité reconnue par un jugement rendu en faveur des défendeurs et qui accordait la somme de 160 645,25 $ pour les blessures corporelles subies par Mme Jackson alors qu’elle voyageait à bord du navire Ucluelet Princess. La déclaration alléguait la navigation négligente, l’organisation négligente du voyage, l’omission de fournir un équipage compétent, de contrôler l’exploitation du navire et de fournir les renseignements appropriés aux passagers avant le départ. Ni la défense ni les modifications ultérieures n’ont plaidé la limitation de responsabilité. Le juge de première instance a conclu à l’existence d’une seule négligence, celle qui se rapportait à la manière dont se faisait la navigation. La présente action en limitation de responsabilité a été intentée après le prononcé du jugement. Les demanderesses se sont appuyées sur le paragraphe 575(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada qui limite la responsabilité d’un propriétaire de navire en matière de dommages-intérêts lorsque des blessures sont causées à une personne à bord du navire sans qu’il y ait faute ou complicité réelle de sa part. L’article 576 porte sur la procédure permettant de revendiquer la limitation de responsabilité lorsque « plusieurs réclamations sont faites ou appréhendées ».

Jugement : la requête doit être accueillie.

L’action en limitation est un emploi abusif des procédures de la Cour. Il y aurait, dans une mesure considérable, chevauchement des éléments de preuve et des arguments dans l’action initiale en dommages-intérêts et dans l’action en limitation. Le juge de première instance n’avait pas à trancher expressément la question de savoir s’il y avait eu « faute ou complicité » de la part des autres défendeurs, au sens de la Loi sur la marine marchande du Canada, parce qu’il n’était pas saisi de l’action en limitation de responsabilité. La façon de faire aborder ces questions en économisant le plus les ressources des parties et de la Cour aurait consisté à faire juger la question de la limitation en même temps que l’action en dommages-intérêts. De prime abord, c’est faire un emploi abusif des procédures de la Cour que de forcer la Cour et les défendeurs dans la présente action à connaître un nouveau procès à l’égard essentiellement des mêmes faits.

La procédure courante est la suivante : soit que les propriétaires et exploitants des navires défendeurs incluent dans leur défense une demande reconventionnelle de limitation de responsabilité, soit qu’ils intentent une action distincte avant ou peu de temps après l’engagement de l’action en dommages-intérêts, et ils font ensuite juger les deux ensemble. Tous les témoignages sont alors entendus en même temps par le même juge pendant que les témoins nécessaires sont tous présents. Les demanderesses n’ont pas expliqué pourquoi la présente action n’a pas été intentée avant, et il n’existait aucune circonstance spéciale justifiant cette façon d’agir.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 39 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 10).

Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9, art. 572(1), 575, 576, 577.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 1012 (mod. par DORS/94-41, art. 10).

JURISPRUDENCE

DISTINCTION FAITE AVEC :

The Sisters (1876), 1 P.D. 281.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Jackson c. Ucluelet Princess (Le), [1994] F.C.J. no 137 (QL); Paterson Steamships, Ltd. v. Robin Hood Mills, Ltd. (1937), 58 Ll. L. Rep. 33 (P.C.).

DOCTRINE

Roscoe, Edward Stanley. The Admiralty Jurisdiction and Practice of the High Court of Justice, 5th ed. by Geoffrey Hutchinson, London : Stevens& Sons Ltd., 1931.

REQUÊTE en radiation de l’action en limitation de responsabilité intentée après qu’un jugement eut été rendu dans l’action en dommages-intérêts, pour le motif qu’il s’agissait d’un emploi abusif des procédures de la Cour. Requête accueillie.

AVOCATS :

Thomas S. Hawkins pour les demanderesses.

Gerald B. Stanford pour les défendeurs.

PROCUREURS :

Campney & Murphy, Vancouver, pour les demanderesses.

Gerald B. Stanford, Victoria, pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Strayer : Il s’agit d’une requête introduite par les défendeurs pour faire radier la présente action en limitation de responsabilité pour le motif qu’elle est scandaleuse, futile ou vexatoire, qu’elle constitue une déviation d’une plaidoirie antérieure, ou qu’elle constitue par ailleurs un emploi abusif des procédures de la Cour. Il est aussi demandé dans la requête que l’action soit radiée à l’égard des demanderesses Oak Bay Marine Group et Oak Bay Marina Ltd., parce qu’elles ne sont pas propriétaires du navire « Ucluelet Princess ». La Cour a été saisie de la présente action le 2 mars 1994. Dans cette action, les demanderesses cherchent à limiter la responsabilité que leur attribue le jugement prononcé en faveur des défendeurs M. et Mme Jackson dans l’action T-1865-90 le 4 février 1994 [[1994] F.C.J. no 137 (QL)]. Ce jugement condamnait les demanderesses à l’instance et d’autres personnes au paiement de 160 645,25 $, plus l’intérêt et les dépens.

Les faits de ces deux actions sont les suivants. Pendant que M. et Mme Jackson étaient, le 16 mai 1989, des passagers du navire « Ucluelet Princess » pour une excursion de pêche, Mme Jackson a fait une grave chute. Le navire après avoir franchi la crête d’une grosse vague est ensuite tombé dans son creux, projetant les Jackson en l’air et provoquant leur chute. Comme conséquence, Mme Jackson s’est fracturé la hanche et a subi d’autres blessures. Le 28 juin 1990, les Jackson saisirent cette Cour d’une action contre les demanderesses à l’instance et contre certaines autres personnes, y compris non seulement les propriétaires et exploitants du navire mais aussi les personnes responsables du programme d’excursion et d’hébergement dont le voyage en question faisait partie. Sans entrer dans les détails, il est juste de dire que la déclaration alléguait non seulement la navigation négligente, mais aussi l’organisation négligente du voyage, notamment la décision de partir le jour en question, l’omission de maintenir le navire en bon état de navigabilité, de fournir un équipage compétent, de contrôler l’exploitation du navire et de fournir les renseignements appropriés aux passagers avant le départ.

Dans leur défense dans cette action, les défenderesses, qui sont demanderesses à l’instance, niaient cette responsabilité sans mentionner aucune limite de cette responsabilité. Les modifications postérieures apportées à la défense, avec autorisation, ne se rapportaient pas à la limitation de la responsabilité.

Le procès de cette affaire, en juin 1993, a pris six jours. Bien entendu, la Cour ne disposait d’aucun acte de procédure relatif à la limitation de la responsabilité.

Le 4 février 1994, le jugement rendu accordait aux Jackson 160 645,25 $. La présente action en limitation a été intentée le 2 mars 1994.

Le juge de première instance, le juge MacKay, a expressément statué qu’il n’y avait pas eu négligence de la part des défenderesses relativement à leur décision d’aller en mer. Sa seule conclusion de négligence se rapportait à la façon dont le capitaine du navire avait navigué. En bref, il a conclu que le capitaine aurait dû mettre le moteur au ralenti beaucoup plus vite lorsqu’il a vu arriver la grosse vague. Il semble qu’il n’y ait eu aucune autre conclusion de négligence de la part de qui que ce soit.

Les demanderesses dans la présente action, presque cinq ans depuis l’accident et presque quatre ans après l’action des Jackson, se fondent maintenant sur l’article 575 de la Loi sur la marine marchande du Canada[1] pour intenter une action en limitation de leur responsabilité, qu’ils estiment se limiter à 116 802 $. Elles font valoir leur droit d’intenter leur action en limitation à ce moment. Elles s’appuient sur le paragraphe 575(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada, qui prévoit notamment :

575. (1) Le propriétaire d’un navire, immatriculé ou non au Canada, n’est pas, lorsque l’un quelconque des événements suivants se produit sans qu’il y ait faute ou complicité réelle de sa part, savoir :

a) mort ou blessures occasionnées à une personne à bord de ce navire … 

responsable des dommages-intérêts au-delà des montants suivants … [C’est moi qui souligne.]

La limitation de la responsabilité est alors calculée en fonction du tonneau de jauge du navire.

La seule disposition de Loi sur la marine marchande du Canada qui vise la procédure permettant de revendiquer cette limitation de la responsabilité est la suivante :

576. (1) Lorsqu’il est allégué qu’une responsabilité a été encourue par le propriétaire d’un navire relativement à la mort ou à des blessures corporelles, ou à la perte ou l’avarie de biens ou à la violation de tout droit à l’égard desquels sa responsabilité est limitée par l’article 575, et que plusieurs réclamations sont faites ou appréhendées relativement à cette responsabilité, la Cour d’Amirauté peut :

a) à la requête de ce propriétaire, fixer le montant de la responsabilité et répartir ce montant proportionnellement entre les différents réclamants;

b) arrêter toutes procédures pendantes devant un autre tribunal relativement à la même affaire;

c) procéder de la façon et sous réserve des règlements que le tribunal juge convenables, pour rendre les personnes intéressées parties aux procédures, pour exclure tous réclamants qui ne se présentent pas dans un certain délai, pour exiger des garanties du propriétaire et quant au paiement des frais. [C’est moi qui souligne.]

Il convient de noter que cette disposition semble s’appliquer seulement lorsque « plusieurs réclamations sont faites ou appréhendées » et ne dit pas si ou quand le propriétaire peut intenter une action distincte pour cette fin. Elle ne mentionne que les mesures prises « à la requête de ce propriétaire ». La seule règle de la Cour expressément applicable, la Règle 1012 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, mod. par DORS/94-41, art. 10], ne parle ni du moment ni des circonstances dans lesquelles cette « requête » peut être introduite.

La présente requête en radiation de l’action en limitation de responsabilité soulève une question très difficile, celle de savoir quand ces actions devraient être intentées. Il est regrettable que ce sujet n’ait pas été abordé de façon exhaustive au débat. Les demanderesses dans la présente action affirment en fait qu’une telle action peut être intentée à n’importe quel moment, et qu’il convient parfaitement d’attendre jusqu’à ce qu’il ait été statué sur une action contre le navire et ses propriétaires et que leur responsabilité ait été établie. D’autre part, l’avocat des défendeurs dans la présente action, c’est-à-dire les demandeurs ayant gain de cause dans la première action, prétend que l’action en limitation ne saurait maintenant être intentée pour diverses raisons. Je me penche maintenant sur ces raisons.

Il est allégué que l’action en limitation est maintenant interdite parce qu’elle porte sur des questions qui sont chose jugée. Sans avoir la possibilité d’examiner ce point à fond, je ne peux dire à ce stade que tel est le cas. À mon avis, l’action en limitation porte essentiellement sur la question de savoir si l’événement en question est survenu sans qu’il y ait « faute ou complicité » des propriétaires du navire. À certains égards, il s’agit peut-être là d’une question différente des allégations de responsabilité dans la première action. Étant donné que l’article 576 de la Loi sur la marine marchande du Canada reconnaît implicitement qu’il peut y avoir des actions concurrentes en responsabilité et en limitation de responsabilité, l’allégation de chose jugée n’est peut-être pas possible. Pour les motifs invoqués ci-dessous, je ne pense pas qu’il soit nécessaire de trancher la question.

Les défendeurs à l’instance prétendent également que, selon les règles de la plaidoirie, les demanderesses, en tant que défenderesses dans la première action, auraient dû plaider alors la limitation de la responsabilité prévue par la Loi sur la marine marchande du Canada en tant que moyen de défense. De même, ils soutiennent que les conclusions des demanderesses dans la présente action sont incompatibles avec celles qu’elles ont tirées dans l’action en dommages-intérêts. Ces arguments ont beaucoup de poids, mais il semble que, dans la pratique, les tribunaux ont considéré la limitation de la responsabilité, non pas comme un moyen de défense, mais comme une cause d’action. Si cette question de la limitation doit être soulevée dans la même procédure que l’action initiale en dommages-intérêts, elle est alléguée comme une demande reconventionnelle. Autrement elle fait l’objet d’une action distincte. La logique de cette pratique ou son caractère juste n’est pas évident dans un cas comme l’espèce. Il peut toutefois s’expliquer dans des cas où il existe contre les propriétaires plusieurs réclamations, véritables ou éventuelles, dont les auteurs dans certains cas ne sont peut-être pas encore connus. Puisque je tranche la question en invoquant un autre motif, je n’ai pas à prendre en considération la question des plaidoiries.

Les défendeurs dans la présente action prétendent en outre que même si la demanderesse Sealand of the Pacific Ltd., en tant que propriétaire du navire « Ucluelet Princess », peut invoquer la protection du paragraphe 575(1), les autres demanderesses dans l’action en limitation ne le peuvent, puisqu’elles ne sont pas propriétaires du navire en question. Compte tenu des dispositions de l’article 577, j’estime que les autres demanderesses sont également visées en leur qualité d’exploitants du navire. Je trouve qu’il est inutile que je m’étende sur ce sujet.

J’estime que la position la plus révélatrice des défendeurs porte sur le fait qu’une action en limitation dans ces circonstances est simplement un emploi abusif des procédures de la Cour. Il me semble clair qu’il y aurait, dans une mesure considérable, chevauchement des éléments de preuve et des arguments dans l’action initiale en dommages-intérêts et dans l’action en limitation. Dans l’action en dommages-intérêts elle-même, on alléguait qu’il y avait eu négligence non seulement de la part du capitaine et de l’équipage du navire, mais aussi de la part de certains autres défendeurs, dont le propriétaire et les exploitants du navire, relativement à la façon dont l’entreprise avait été organisée et dirigée. Le juge de première instance était tenu d’examiner toutes ces allégations, et il a conclu que la négligence déterminante était celle du capitaine. N’étant pas saisi de l’action en limitation dans les actes de procédures, il n’avait toutefois pas à trancher expressément la question de savoir s’il y avait eu « faute ou complicité » de la part des autres défendeurs, au sens de la Loi sur la marine marchande du Canada. Toutefois, si une action en limitation avait été intentée dans ces procédures, soit par voie de demande reconventionnelle, soit par voie de jonction d’une action en limitation avec l’action en dommages-intérêts, ces conclusions auraient pu être tirées avec peu ou pas de temps et d’efforts supplémentaires. Du point de vue du bon sens, la façon de faire aborder ces questions relativement à cet accident en économisant le plus les ressources des parties et de la Cour aurait consisté à faire juger la question de la limitation en même temps que l’action en dommages-intérêts. De prime abord, j’estime que c’est faire un emploi abusif des procédures de la Cour que de forcer, à ce stade-ci, la Cour et les défendeurs dans la présente action à connaître un nouveau procès à l’égard essentiellement des mêmes faits. Je me soucie également, bien que les défendeurs à l’instance n’aient pas encore invoqué la prescription, du temps qui s’est écoulé depuis l’accident en question. Le paragraphe 572(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada imposait aux Jackson d’intenter leur action contre les demanderesses et d’autres personnes en l’espèce dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle ils ont subi des blessures, c’est-à-dire dans un délai de deux ans à compter du 16 mai 1989. Cette action a en conséquence été intentée en juin 1990. La présente action a été intentée quelque quatre ans et neuf mois après l’incident. Il m’est impossible de trouver un délai de prescription applicable à l’engagement des actions en limitation de responsabilité. On peut croire que c’est le même que celui qui s’applique à l’action en dommages-intérêts, auquel cas la présente action est prescrite. Il se peut que, en application de l’article 39 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 10)], ou bien une loi sur la prescription de la Colombie-Britannique s’applique (si cet accident est survenu à l’intérieur de la province, ce dont je doute), ou bien le délai de prescription résiduel de six ans s’applique. Je n’ai entendu aucun argument à ce sujet. Il me répugne toutefois de songer à un système obligeant la partie lésée à intenter une poursuite dans les deux ans suivant l’incident, alors que le propriétaire du navire ou l’exploitant peut intenter un procès à n’importe quel moment, peut-être dans un délai allant jusqu’à six ans à partir de l’accident. On présumerait que les mêmes considérations applicables à l’écoulement du temps qui rend la preuve plus difficile vaudraient dans les deux cas. C’est là un autre facteur dont il faut tenir compte pour éviter les emplois abusifs des procédures de la Cour.

L’avocat des demanderesses à l’instance soutient avec assurance que cette procédure convient tout à fait aux cours d’amirauté. J’ai examiné la jurisprudence qu’il a citée, et il m’est impossible d’y voir la rationalisation expresse d’un système qui comporte un chevauchement de litiges et une discrimination possible dans l’application des règles de prescription. Le traité le plus récent dont on a fait état s’intitule Roscoe’s, The Admiralty Jurisdiction and Practice of the High Court of Justice[2] À la page 243, l’auteur dit que si une action est intentée contre un propriétaire de navire, ce dernier peut, au cas où l’action en dommages-intérêts serait tranchée à son encontre, [traduction] « intenter alors une action en limitation de responsabilité ». La seule autorité citée à l’appui de cette idée est la décision anglaise de 1876 The Sisters[3]. J’ai examiné cette affaire, dont les faits sont quelque peu différents de ceux de l’espèce. L’accident en question avait eu lieu le 15 octobre 1874. Une action avait été intentée contre le navire le 2 février 1875. L’action en limitation avait été engagée moins de trois semaines plus tard, soit le 22 février 1875, bien qu’elle ne fût tranchée qu’après l’établissement de la responsabilité dans la première action. Je n’y vois aucune discussion sur la question de savoir pourquoi les deux actions n’ont pas été jugées ensemble. Étant donné les dates respectives, il n’existait évidemment aucun problème concernant la prescription, et l’existence de la seconde action était connue des parties et probablement de la Cour au cours de l’instruction de la première action. L’affaire la plus pertinente portant sur le droit et la pratique au Canada citée pour le compte des demanderesses était l’affaire Paterson Steamships, Ltd. v. Robin Hood Mills, Ltd.[4], une décision du Conseil privé en appel du Canada. Dans cette affaire, l’accident était survenu en novembre 1929, et une action en dommages-intérêts avait été intentée avec succès. Apparemment, après le jugement rendu dans cette action, l’action en limitation avait été intentée en janvier 1934. Je n’y vois rien qui laisse entendre qu’on s’est opposé à cette façon de procéder, et la décision du Conseil privé n’a nullement pris en considération cet aspect. En même temps, j’ai examiné la pratique actuelle de cette Cour, et la procédure courante semble être la suivante : soit que les propriétaires et exploitants des navires défendeurs incluent dans leur défense une demande reconventionnelle de limitation de la responsabilité, soit qu’ils intentent une action distincte avant ou peu de temps après l’engagement de l’action en dommages-intérêts, et ils font ensuite juger les deux ensemble. Dans les deux cas, il y a le grand avantage de faire entendre les témoignages en même temps par le même juge pendant que les témoins nécessaires sont tous présents.

Aux fins de l’espèce, il ne m’est ni possible ni nécessaire de trancher la question de savoir s’il est permis, dans un cas donné, d’attendre la décision dans l’action en dommages-intérêts pour intenter ensuite une action en limitation de responsabilité. Il existe peut-être des cas où cette façon d’agir est sensée et appropriée, particulièrement lorsqu’il y a des réclamants autres que le demandeur dans l’action en dommages-intérêts. Mais tout droit qu’une partie cherche à faire valoir devant cette Cour sous le régime de la Loi sur la marine marchande du Canada doit être revendiqué selon les règles de procédure de cette Cour. Je tiens de ces règles le pouvoir de radier une action qui constitue un emploi abusif des procédures de la Cour. Apparemment, la présente action portera sur beaucoup des mêmes faits et sur certaines des mêmes questions dont était saisie la Cour dans l’action initiale en dommages-intérêts, T-1865-90. Presque cinq ans se sont écoulés depuis l’incident en question. Les demanderesses à l’instance ne m’ont pas expliqué pourquoi la présente action n’a pas été intentée avant. Certes, je comprends que, dans certaines affaires maritimes, une action en limitation peut être intentée indépendamment et parfois même avant toute action en dommages-intérêtspar exemple lorsque le propriétaire ou exploitant ne connaît pas le nombre de réclamations ni le nom des réclamantsmais en l’espèce, on n’a porté à mon attention aucune circonstance spéciale qui justifie cette façon d’agir. Dès le départ, il n’a fait aucun doute que les seuls demandeurs étaient M. et Mme Jackson, et la nature de leur action s’est révélée parfaitement évidente, du moins depuis juin 1990, date à laquelle leur action a été intentée relativement aux blessures corporelles de Mme Jackson.

La présente action est donc radiée parce qu’elle constitue un emploi abusif des procédures de la Cour.

Au moment de l’audition de la présente requête, j’ai également été saisi d’une requête, introduite par les demanderesses, en sursis d’exécution du jugement accordant des dommages-intérêts dans l’action T-1865-90. Je comprends que la demande de sursis d’exécution visait à permettre aux demanderesses dans l’action en limitation de responsabilité d’obtenir des directives sur la façon d’y agir. Puisque je radie l’action en question, le sursis d’exécution n’a plus sa raison d’être. Je refuse donc ce sursis d’exécution et j’ordonne aussi le versement, comme l’avaient demandé les demandeurs dans l’action T-1865-90, de la somme de 75 000 $ consignée à la Cour par les défendeurs dans cette action. Je fais remarquer que le délai d’appel dans cette action est maintenant expiré



[1] L.R.C. (1985), ch. S-9.

[2] 5e éd. par Geoffrey Hutchinson, Londres : Stevens & Sons Ltd., 1931. publié en 1931.

[3] (1876), 1 P. D. 281.

[4] (1937), 58 L1. L Rep. 33 (P.C.).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.