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[1996] 1 C.F. 644

A-694-94

Procureur général du Canada (requérant)

c.

Robert M. Purcell (intimé)

Répertorié : Canada (Procureur général) c. Purcell (C.A.)

Cour d’appel, juges Stone, Strayer et Robertson, J.C.A.—Halifax, 5 octobre; Ottawa, 21 décembre 1995.

Assurance-chômage — Contrôle judiciaire du rejet par le juge-arbitre d—un appel d’une décision du Conseil concluant que le prestataire n’avait pas fait sciemment de déclarations fausses ou trompeuses — Le requérant était chauffeur de taxi pendant qu’il recevait des prestations d’assurance- chômage — A répondu « Non » à la question « Avez-vous travaillé au cours de la période en question? » sur les cartes de déclaration — La Commission a décidé qu’il n’était pas chômeur et lui a imposé une pénalité conformément à l’art. 33 de la Loi qui lui donne le pouvoir discrétionnaire d’imposer une pénalité lorsque « à son avis » un prestataire fait « sciemment » des déclarations fausses ou trompeuses — L’expression « à son avis » ne met pas la décision de la Commission à l’abri d’un contrôle judiciaire — Ce pouvoir discrétionnaire n’est pas de nature administrative — À partir du moment où la preuve démontre que le prestataire a donné une réponse inexacte à une question très simple sur la carte de déclaration, il incombe à ce dernier d’expliquer pourquoi il a fourni des réponses inexactes — Le juge-arbitre a commis une erreur en imposant à la Commission d’établir l’intention de tromper.

Droit administratif Contrôle judiciaire Certiorari Lart. 33 de la Loi sur lassurance-chômage donne à la Commission le pouvoir discrétionnaire dimposer une pénalité lorsque « à son avis » des déclarations fausses ou trompeuses ont été faites « sciemment » — La question de savoir si le prestataire a fait « sciemment » des déclarations fausses ou trompeuses nest pas de nature administrativeLe législateur na pas souhaité que de telles conclusions soient finales et définitives parce que : 1) lopinion porte sur une conclusion de fait qui nexige aucune connaissance technique particulière; 2) le Conseil a la compétence nécessaire pour procéder à un examen de novo des questions de fait; 3) le Conseil est en meilleure position pour trancher de manière objective les questions de faitLa conclusion est confortée par le caractère punitif des conséquences pécuniaires découlant de toute décision dimposer une pénalité.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la conclusion du juge-arbitre selon laquelle le Conseil n’a commis aucune erreur lorsqu’il a décidé que le prestataire n’avait pas sciemment fait des déclarations fausses ou trompeuses. Le prestataire avait été licencié à cause d’un manque de travail dans un chantier naval. Alors qu’il touchait des prestations d’assurance-chômage, il avait travaillé comme chauffeur de taxi mais n’avait déclaré aucun des gains tirés de cette occupation. La Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada a décidé que le prestataire n« était pas chômeur et qu’il n’avait donc pas droit aux prestations, se fondant sur le fait qu’en tant que chauffeur de taxi indépendant, il était maître de son horaire de travail. La Commission a également invoqué le paragraphe 33(1) de la Loi sur lassurance-chômage qui lui donne le pouvoir discrétionnaire d’imposer une pénalité lorsque « à son avis » les faits démontrent qu’un prestataire a fait « sciemment » des déclarations ou des observations fausses ou trompeuses et lui a imposé une pénalité de 5 362 $. La Commission a conclu que le prestataire avait sciemment fait de fausses déclarations parce qu’il avait répondu « Oui » à la question « Avez-vous travaillé au cours de la période en question? » figurant sur les cartes de déclaration qu’il devait chaque quinzaine remplir quand il était rappelé au travail au chantier, mais avait répondu « Non » pour les semaines où il n’avait fait que conduire un taxi. Le prestataire avait été informé qu’il n’aurait pas droit aux prestations d’assurance-chômage s’il était titulaire d’une licence de taxi. Il avait très peu d’instruction et sa demande de prestations avait été remplie par un ami. Le Conseil a confirmé la décision selon laquelle le prestataire n’avait droit à aucune prestation étant donné qu’il n« était pas chômeur mais a conclu qu’il n’avait pas sciemment fait de déclarations fausses ou trompeuses. Le juge-arbitre a rejeté les appels contre ces deux décisions déclarant qu’il incombait à la Commission de prouver que le prestataire avait sciemment fait de fausses déclarations.

Les questions sont de savoir si, d’une part, l’expression « à son avis » avait pour effet de mettre la décision de la Commission d’imposer une pénalité, à l’abri du contrôle exercé par le conseil arbitral; et si, d’autre part, le Conseil et le juge-arbitre ont commis une erreur de droit en imposant à la Commission le fardeau d’établir qu’il y avait, de la part du prestataire, une « intention de tromper ».

Arrêt : la demande doit être accueillie.

L’expression « à son avis » n’a pas juridiquement pour effet de mettre la décision de la Commission à l’abri de tout contrôle pour ce qui est de la question de savoir si un prestataire a sciemment fait une déclaration fausse ou trompeuse. Cet aspect du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 33 (1) n’est pas de caractère administratif. Bien que cette expression, prise isolément, comporte a priori l’idée que de telles conclusions de la Commission sont définitives et concluantes, on ne peut considérer que le législateur a voulu aboutir à un tel résultat sur le plan du droit et cela pour les raisons suivantes : 1) l’opinion en question porte sur une conclusion de fait qui n’exige aucune connaissance technique particulière; 2) le Conseil a la compétence nécessaire pour procéder à un examen de novo des questions de fait; et 3) il est en meilleure position pour trancher de manière objective les questions de fait. Cette conclusion est confortée par le caractère punitif des conséquences pécuniaires découlant de toute décision d’imposer une pénalité au titre du paragraphe 33(1). Le Conseil a la compétence nécessaire pour se prononcer de novo sur la question de savoir si un prestataire a sciemment fait une déclaration fausse ou trompeuse. C’est au départ à la Commission qu’il appartient de prouver qu’un prestataire a sciemment fait une déclaration fausse ou trompeuse.

À partir du moment où la preuve démontre qu’un prestataire a donné une réponse inexacte à une question très simple ou à des questions figurant sur la carte de déclaration, il y a renversement du fardeau de la preuve et c’est alors au prestataire qu’il appartient d’expliquer l’existence de ses réponses inexactes. Le juge-arbitre a commis une erreur en exigeant de la Commission qu’elle établisse « une intention de tromper ».

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur Lassurance-chômage, L.R.C. (1985), ch. U-1, art. 8, 10 (mod. par L.C.1990, ch 40, art. 8), 25(11), 27, 30(1) (mod. par L.C. 1990, ch. 40, art. 22; 1993, ch. 13, art. 20), 33(1) (mod. par L.C. 1990, ch. 40, art. 25), 41(10), 79(1),(2).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 28 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8).

Loi sur lemploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, ch. P-32, art. 21.

Règlement sur lassurance-chômage, C.R.C., ch. 1576, art. 43.

Règlements sur lImmigration, Partie I, DORS/62-36, art. 34(3)f) (mod. par DORS/67-434, art. 2).

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Canada (Procureur général) c. Gates, [1995] 3 C.F. 17(C.A.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Nenn c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 631; (1981), 122 D.L.R. (3) 577; 36 N.R. 487.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Canada (Procureur général) c. Smith (1994), 167 N.R. 105 (C.A.F.); Dunham (1995), CUB 29211; Gana c. Ministre de la Main-dœuvre et de lImmigration, [1970] R.C.S. 699; (1970), 13 D.L.R. (3d) 699.

DÉCISIONS CITÉES :

Boulis c. Ministre de la Main-dœuvre et de lImmigration, [1974] R.C.S. 875; (1972), 26 D.L.R. (3d) 216; Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3; (1992), 88 D.L.R. (4th) 1; [1992] 2 W.W.R. 193; 84 Alta. L.R. (2d) 129; 3 Admin. L.R. (2d) 1; 7 C.E.L.R. (N.S.) 1; 132 N.R. 321; Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121; (1959), 16 D.L.R. (2d) 689; Calgary Power Ltd. and Halmrast v. Copithorne, [1959] R.C.S. 24; (1958), 16 D.L.R. (2d) 241; Swain et al. v. Dennison et al., [1967] R.C.S. 7; (1966), 59 D.L.R. (2d) 357; 58 W.W.R. 232; Blachford c. La Commission de la Fonction publique du Canada, [1983] 1 C.F. 109(1re inst.); Kennedy c. Canada (Commission de la fonction publique), [1990] 2 C.F. 181 (1990), 34 F.T.R. 52 (1re inst.); Everett c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) (1994), 25 Admin. L.R. (2d) 112; 169 N.R. 100 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Plourde, [1990] A.C.F. no 944 (C.A.F.) (QL); Canada (Procureur général) c. Phung, [1994] F.C.J. no 1754 (C.A.F.) (QL); Le procureur général du Canada c. Desjardins, [1981] 1 C.F. 220(C.A.); Procureur général du Canada c. Findenigg, [1984] 1 C.F. 65 (C.A.); Re La Reine et Harbour (1986), 26 D.L.R. (4th) 96; [1986] 3 W.W.R. 300; 86 CLLC 14,017; 67 N.R. 267 (C.A.F.); Brunet c. Canada (Commission de lemploi et de limmigration), [1988] A.C.F. no 829 (C.A.F.) (QL); Chartier c. Canada (Commission de lEmploi et de lImmigration), [1990] A.C.F. no 832 (C.A.F.) (QL); Canada (Procureur général) c. Simard, [1994] A.C.F. no 290 (C.A.F.) (QL); Canada (Procureur général) c. Frew, [1994] A.C.F. no 988 (C.A.F.) (QL); R. c. Friesen, [1994] C.F.J. no 1363 (C.A.F.) (QL); Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; (1984), 10 D.L.R. (4th) 1; [1984] CTC 294; 84 DTC 6305; 53 N.R. 241; Lor-Wes Contracting Ltd. c. La Reine, [1986] 1 C.F. 346 [1985] CTC 79; (1985), 85 DTC 5310; 60 N.R. 321 (C.A.); Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557; [1994] 7 W.W.R. 1; (1994), 92 B.C.L.R. (2d) 145; 4 C.C.L.S. 117; Mihai (1986), CUB 12720.

DOCTRINE

Evans, J. M. et al. Administrative Law : Cases, Texts and Materials, 3rd ed., Toronto : Emond Montgomery Publications Ltd., 1989.

Wade, H. W. R. Administrative Law, 5th ed., Oxford : Clarendon Press, 1982.

Wade, H. W. R. Administrative Law, 6th ed., Oxford : Clarendon Press, 1992.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la conclusion du juge-arbitre selon laquelle le Conseil n’avait pas commis d’erreur en statuant que le prestataire n’avait pas fait sciemment de déclarations fausses ou trompeuses, telles que proscrites par le paragraphe 33(1) de la Loi sur lassurance-chômage. Demande accueillie.

AVOCATS :

Anne-Marie Lévesque pour le requérant.

Kenneth MacInnis pour l’intimé.

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.

Kenneth MacInnis Associates, Halifax, pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Robertson, J.C.A. : La présente demande de contrôle judiciaire soulève deux questions touchant la manière dont il convient d’interpréter et d’appliquer le paragraphe 33(1) de la Loi sur l’assurance-chômage, L.R.C. (1985), ch. U-1, modifiée [par L.C. 1990, ch. 40, art. 25] (la Loi). Aux termes de ce paragraphe, la Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada (la Commission) a le pouvoir discrétionnaire d’imposer une pénalité lorsque « à son avis » les faits démontrent qu’un prestataire a fait « sciemment » des déclarations ou des observations fausses ou trompeuses. Voici intégralement cité le texte du paragraphe 33(1) :

33. (1) Lorsque la Commission prend connaissance de faits qui, à son avis, démontrent qu’un prestataire ou une personne agissant pour le compte de celui-ci a, relativement à une demande de prestations, ou à l’occasion de renseignements exigés par la présente loi ou par les règlements, sciemment fait une déclaration fausse ou trompeuse, fourni un renseignement faux ou trompeur ou présenté des observations fausses ou trompeuses, elle peut infliger au prestataire, pour chacun des déclarations, renseignements ou observations faux ou trompeurs, une pénalité dont le montant ne dépasse pas le triple de son taux de prestations hebdomadaires.

La première question, essentielle en l’espèce, est celle de savoir si l’expression « à son avis » a pour effet de mettre la décision de la Commission d’imposer une pénalité, à l’abri du contrôle exercé par le Conseil arbitral (le Conseil). La Commission soutient que pareille décision ne peut être infirmée que s’il est démontré que son pouvoir discrétionnaire n’a pas été exercé « judiciairement ». À cette réserve près, la Commission fait valoir qu’elle est seul juge de la question de savoir si un prestataire a sciemment fait une déclaration fausse ou trompeuse. La fonction de contrôle attribuée, en appel, au Conseil se limiterait donc à décider si la Commission a formulé l’opinion ainsi prévue.

La Commission estime en l’espèce que le Conseil a commis une erreur lorsqu’il a infirmé la décision de la Commission après avoir conclu que le prestataire, M. Purcell, n’avait pas sciemment fait de déclarations fausses ou trompeuses. On fait valoir que le juge-arbitre se serait associé à l’erreur en rejetant l’appel interjeté par la Commission. Je ne suis pas de cet avis. Pour les motifs que je vais exposer ici, j’estime que le Conseil a la compétence voulue pour formuler sa propre opinion sur la question de savoir si un prestataire a sciemment fait une déclaration fausse ou trompeuse. Cette conclusion ne suffit pas cependant pour trancher la présente demande de contrôle judiciaire.

La seconde question, subsidiaire, a trait à l’attribution et à l’application du fardeau de la preuve incombant en l’espèce. La Commission soutient que le Conseil et le juge-arbitre ont commis une erreur de droit en imposant à la Commission le fardeau d’établir qu’il y avait, de la part du prestataire, une « intention de tromper ». La Commission estime que ce n’est pas cette norme de preuve qui est applicable en l’espèce et elle estime que, par conséquent, les deux organismes de contrôle ont commis une erreur de droit. J’admets l’argument. Ainsi qu’il sera expliqué, l’arrêt récemment rendu par cette Cour dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Gates, [1995] 3 C.F. 17 justifie pleinement cette conclusion.

Il est clair que le premier argument développé par la Commission constitue un changement essentiel par rapport à la position que celle-ci avait précédemment adoptée. Pour accepter l’argument il faudrait, nécessairement, abandonner les actuelles conditions juridiques que la Cour a imposées à l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré à la Commission en ce qui concerne l’imposition d’une pénalité au titre du paragraphe 33(1) de la Loi. Compte tenu de ces circonstances particulières, du fait que cette question précise n’a pas été évoquée en premier ressort et que le prestataire n’a pas été assisté d’un avocat lors de l’audition de cette affaire, la Cour a pris la décision inédite d’enjoindre à la Commission d’aider le prestataire à retenir et à rémunérer les services d’un avocat. En cela nous avons agi uniquement dans le but de pouvoir disposer des observations écrites présentées en réponse aux arguments développés par la Commission sur cette question. Je m’empresse d’ajouter que nous étions convaincus que le prestataire n’avait pas lui-même les moyens de retenir les services d’un avocat. Selon les conditions fixées dans notre ordonnance, la Commission avait jusqu’au 15 décembre 1995 la possibilité de présenter un mémoire en réplique. Il a été convenu que la présente demande, fondée sur l’article 28 [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8)], serait réglé sur production des documents écrits à moins qu’il ne paraisse nécessaire d’entendre de nouvelles plaidoiries. Ce besoin ne s’est pas fait sentir. Mon analyse commence donc par l’exposé habituel des faits pertinents de la cause.

Le prestataire avait déposé une demande de prestations d’assurance-chômage après avoir été licencié du chantier naval de Halifax dont le plan de charge était insuffisant. Alors qu’il touchait des prestations, le prestataire a travaillé quelque temps comme chauffeur de taxi. Il n’a cependant déclaré aucun des gains tirés de cette occupation. La Commission a en fin de compte décidé que le prestataire n’était pas chômeur au sens de la Loi et du Règlement [Règlement sur l’assurance-chômage, C.R.C., ch. 1576] et qu’il n’avait donc pas droit aux prestations. Cette décision était fondée sur le fait qu’en tant que chauffeur de taxi indépendant, le prestataire était maître de son horaire de travail : voir les articles 8 et 10 [mod. par L.C. 1990, ch. 40, art. 8] de la Loi ainsi que l’article 43 du Règlement. Se fondant également sur le paragraphe 33(1) de la Loi, la Commission a imposé une pénalité de 5 362 $ au prestataire qui n’avait pas déclaré l’intégralité de ses gains. Le prestataire devra en outre rembourser à la Commission les surpaiements qui lui ont été faits en raison de ses fausses déclarations.

Voici les faits sur lesquels la Commission s’est fondée pour décider que le prestataire avait sciemment fait de fausses déclarations. De temps à autre le prestataire était rappelé pour travailler au chantier naval de Halifax. À ces époques-là il touchait encore des prestations d’assurance-chômage. À chaque fois, le prestataire répondait « Oui » à la question 1 figurant sur les cartes de déclaration qu’il devait chaque quinzaine remplir et renvoyer à la Commission. La question numéro 1 est « Avez-vous travaillé au cours de la période en question? » Le prestataire a donc déclaré la totalité de la rémunération obtenue au chantier naval de Halifax. Mais, sur les cartes de déclaration, le prestataire avait répondu « Non » à la question numéro 1 pour les semaines où il n’avait fait que conduire un taxi. Suite à un appel téléphonique anonyme lui apprenant que, alors qu’il touchait les prestations d’assurance-chômage, le prestataire travaillait comme chauffeur de taxi, la Commission a demandé au prestataire de se présenter dans ses services. Au cours de l’entrevue qui a suivi, le prestataire a reconnu avoir conduit un taxi, les vendredis et samedis soirs seulement, et avoir été informé, lors du dépôt de sa demande de prestations, qu’il n’aurait pas droit aux prestations d’assurance-chômage s’il était titulaire d’une licence de taxi (dossier de demande du requérant, aux pages 52 et 53). Devant le Conseil, M. Clarke, un ami du prestataire, a présenté des observations au nom de M. Purcell. M. Clarke a fait valoir que le prestataire n’avait bénéficié que d’une scolarité assez sommaire et qu’il n’était pas « très capable » lorsqu’il s’agissait de remplir des formulaires et que, de fait, sa « demande » de prestations avait été remplie par quelqu’un d’autre.

Le Conseil a confirmé la décision de la Commission selon laquelle le prestataire n’avait droit à aucune prestation étant donné qu’il n’était pas chômeur. Mais, contrairement à ce qu’avait décidé la Commission, le Conseil a conclu que le prestataire n’avait pas sciemment fait des déclarations fausses ou trompeuses. La Commission a en effet décidé (dossier de demande du requérant, à la page 99) :

Après examen de l’ensemble de la preuve, la Commission constate que le prestataire conduisait effectivement un taxi même s’il ne faisait que peu d’heures par semaine. Nous constatons également qu’il ne l’a pas indiqué sur ses cartes de déclaration. La question est de savoir s’il a sciemment fait des déclarations fausses ou trompeuses. Son représentant, M. Clarke, a présenté au nom du prestataire des arguments instructifs. M. Clarke a fait remarquer que le prestataire n’a bénéficié que d’une scolarité sommaire et qu’il n’est pas très capable lorsqu’il s’agit de remplir des formulaires, sa demande de prestations ayant été, de fait, remplie par quelqu’un d’autre étant donné que le prestataire avait du mal à la remplir lui-même.

Les deux parties ont interjeté appel devant un juge-arbitre contre les décisions rendues respectivement à leur encontre. Les deux appels ont été rejetés. La présente demande ne concerne que la conclusion du juge-arbitre selon laquelle le Conseil n’a commis aucune erreur lorsqu’il a décidé que le prestataire n’avait pas sciemment fait les déclarations fausses ou trompeuses que réprime le paragraphe 33(1) de la Loi. Sur ce point, le savant juge-arbitre a conclu en ces termes (dossier de demande du requérant, à la page 121) :

Le conseil arbitral n’était de toute évidence pas convaincu que le prestataire avait sciemment fait de fausses déclarations. Sur ce point la preuve incombe à la Commission. Le Conseil arbitral était disposé à accorder au prestataire le bénéfice du doute, ce qu’il a effectivement fait. En tranchant ainsi, le Conseil a manifestement évalué la crédibilité du prestataire et a conclu en sa faveur. Je ne suis pas convaincu d’avoir sur ce point à intervenir au niveau des conclusions du conseil arbitral.

L’avocat du prestataire s’empresse de faire une distinction entre le droit qu’a le Conseil de dire si un prestataire a sciemment fait des déclarations fausses et trompeuses et le droit qu’a la Commission de dire s’il y a lieu d’imposer une pénalité à partir du moment où elle estime que cette condition préalable est remplie. À supposer que le Conseil ait en l’espèce conclu que le prestataire avait sciemment fait des fausses déclarations, l’avocat reconnaît que, dans cette hypothèse, la décision qu’a prise la Commission d’imposer une pénalité n’aurait pas pu être infirmée par le Conseil. En pareille hypothèse, la décision d’imposer ou non une pénalité appartient à la Commission. C’est aussi mon avis. J’estime qu’en affirmant le contraire on porterait atteinte à la responsabilité qu’a la Commission de protéger contre les abus le dispositif législatif qui a été mis en place. Cela ne règle cependant pas la question du fait que l’exercice du pouvoir discrétionnaire en cause est subordonné à l’avis non pas du Conseil mais de la Commission. En dernière analyse, la question est donc de savoir si l’avis de la Commission doit être considéré comme définitif et concluant ou si le Conseil est compétent pour formuler à son tour un avis concernant ce qui est essentiellement une question de fait.

Pour trancher la question, il faut d’abord reconnaître que le droit ne connaît pas la notion de pouvoir discrétionnaire absolu. Tout pouvoir discrétionnaire doit être exercé « conformément au droit » et un tel pouvoir est, par conséquent, soumis à un certain nombre de limites implicites. Toute décision fondée sur une mauvaise compréhension de faits, ce qui n’est pas la même chose qu’une inférence fondée sur des faits non contestés, sera annulée, comme le serait une décision fondée sur une erreur tangible : voir Canada (Procureur général) c. Smith (1994), 167 N.R. 105 (C.A.F.) affaire dans laquelle la pénalité imposée par la Commission dépassait le maximum prescrit[1]. L’avocat de la Commission reconnaît qu’un pouvoir discrétionnaire doit être exercé « judiciairement ». J’entends par cela que si l’on parvient à établir que le décideur a agi de mauvaise foi, ou dans un but ou pour un motif irrégulier, qu’il a pris en compte un facteur non pertinent ou ignoré un facteur pertinent ou qu’il a agi de manière discriminatoire, toute décision découlant de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire sera annulée : voir Boulis c. Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration, [1974] R.C.S. 875, à la page 877; Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, aux pages 76 et 77.

Ces limites qu’impose la common law traduisent l’idée qu’un pouvoir discrétionnaire qui n’est pas soumis à contrôle est contraire à l’idée que tout pouvoir conféré à l’exécutif par le législateur est intrinsèquement limité : voir W. Wade, Administrative Law, 5e éd. (Oxford : Clarendon Press, 1982) à la page 355; et J. M. Evans et autres, Administrative Law : Cases, Texts and Materials, 3e éd. (Toronto : Emond Montgomery, 1989) à la page 653; et Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, le juge Rand, à la page 140.

On ne saurait affirmer en l’espèce que la Commission n’a pas agi de façon judiciaire. Il s’agit de décider si le Conseil a la compétence voulue pour substituer son opinion à celle de la Commission sur la question de savoir si un prestataire a sciemment fait une déclaration fausse ou trompeuse. Pour trancher cette question, il y a deux manières de procéder qui me paraissent en l’espèce parfaitement compatibles. La première consiste à considérer la question de la compétence comme une question d’interprétation d’une disposition législative, en l’espèce l’interprétation de l’expression « à son avis ». La deuxième consiste à suivre la démarche retenue par la Cour suprême et à préciser la nature du pouvoir discrétionnaire en cause afin de dire s’il est ou non soumis à un contrôle. On attachera une importance particulière à la question de savoir si le pouvoir en question est un pouvoir d’ordre « administratif ». La jurisprudence de la Cour suprême révèle que les organismes de contrôle ne doivent pas s’immiscer dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire d’ordre « administratif », à moins, bien sûr, qu’il y ait eu violation des limites expressément ou implicitement posées à son exercice. Cela, on peut sans craindre de se tromper, l’affirmer en se fondant sur la jurisprudence : voir Calgary Power Ltd. and Halmrast v. Copithorne, [1959] R.C.S. 24; Swain et al. v. Dennison et al., [1967] R.C.S. 7; Gana c. Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration, [1970] R.C.S. 699; et Nenn c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 631; voir aussi, en ce qui concerne cette dernière affaire, Blachford c. La Commission de la Fonction publique du Canada, [1983] 1 C.F. 109(1re inst.), et Kennedy c. Canada (Commission de la fonction publique), [1990] 2 C.F. 181(1re inst.), le juge Strayer, à la page 187.

Il suffit, dans le contexte du présent appel, d’examiner brièvement deux décisions de la Cour suprême : Gana c. Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration et Nenn c. La Reine. Dans l’affaire Gana, la Cour suprême avait à décider si la Commission d’appel de l’immigration et un enquêteur spécial avaient la compétence voulue pour examiner et modifier le nombre de « points » accordés par un agent d’immigration à un demandeur afin de se prononcer sur l’admissibilité de celui-ci au Canada. Selon l’argument développé par le ministre, tout contrôle de la décision de l’agent d’immigration était interdit par les termes utilisés au début de l’alinéa 34(3)f) du Règlement sur l’immigration, Partie I, DORS/62-36 modifié [par DORS/67-434, art. 2], paragraphe qui commence par l’expression : « si un fonctionnaire à l’immigration est d’avis ». La Cour suprême en a décidé autrement. Se prononçant au nom de la Cour, le juge Spence a ainsi déclaré à la page 709 :

À mon avis ces mots [si… est d’avis] signifient simplement que le fonctionnaire à l’immigration doit faire l’appréciation du requérant, mais non que sa conclusion est définitive et sans appel. L’avocat du ministre invoque Calgary Power Ltd. et al. c. Copithorne à l’appui de la prétention que la décision du fonctionnaire à l’immigration n’est pas susceptible de révision, mais dans cette affaire-là, on a jugé qu’il s’agissait d’une décision administrative d’un ministre de Sa Majesté que lui seul avait le droit de prendre en vertu de la loi sans aucune disposition prévoyant un appel. [Non souligné dans l’original]

C’est à la conclusion inverse qu’est parvenue la Cour suprême dans l’arrêt Nenn c. La Reine où était en question le sens juridique qu’il convenait d’attribuer à l’expression « de l’avis de » employée à l’article 21 de la Loi sur l’emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, ch. P-32. Aux termes de cette disposition, la personne qui s’est vu refuser un poste dans la Fonction publique peut faire appel de la nomination du candidat reçu devant un organisme constitué par la Commission de la fonction publique. Si la nomination en question a été effectuée « sans concours », l’intéressé n’a le droit de faire appel que si « de l’avis » de la Commission, les chances d’avancement du candidat non reçu « sont ainsi amoindries ». Dans l’affaire Nenn, le Conseil avait décidé que les chances d’avancement de l’appelant au sein de la Fonction publique n’avaient pas été amoindries par la nomination d’un autre candidat. L’appelant demandait l’annulation de cette décision. La Cour suprême a, entre autres, estimé que la décision était « de nature administrative non légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire. » (le juge Martland, à la page 636). Dans la présente affaire, il nous incombe simplement de dire à quelle catégorie appartient la décision en cause. À toutes fins utiles, la distinction entre les décisions quasi judiciaires et les décisions d’ordre administratif a été abandonnée, voir Everett c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) (1994), 25 Admin. L.R. (2d) 112 (C.A.F.), le juge MacGuigan, à la page 120.

Il serait trompeur de laisser entendre que la Cour suprême a eu l’occasion d’esquisser un schéma d’analyse englobant tous les éléments permettant de classer les divers types de pouvoirs discrétionnaires. J’estime que l’on peut tout au plus affirmer que pour contrôler la manière dont a été exercé un pouvoir discrétionnaire, on va fréquemment tenir compte des facteurs suivants : (1) la manière dont est formulé le pouvoir discrétionnaire en question et notamment la question de savoir si ce pouvoir est énoncé en des termes subjectifs; (2) la nature et le rôle de l’organisme décideur; (3) la nature ou le caractère de la décision discrétionnaire, c’est-à-dire dans quelle mesure elle a un objet spécifique ou, au contraire, un objet général; et (4) l’existence d’un droit d’appel et la portée attribuée à celui-ci. Ce n’est qu’après avoir examiné ces divers facteurs que l’on peut dire si le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 33(1) de la Loi est ou non de caractère administratif, et décider si le Conseil était compétent pour intervenir au niveau de la décision prise par la Commission : voir, de manière générale, Evans, précité, à la page 657 et suivantes.

Le mode d’analyse exposé ci-dessus ne fait pas partie de l’argument principal développé par la Commission, argument essentiellement fondé sur les déclarations que la Cour a eu l’occasion de faire à l’égard de la manière dont la Commission a exercé divers autres pouvoirs discrétionnaires prévus ici et là dans la Loi. Il y a maintenant lieu d’examiner l’argument sur lequel se fonde la Commission.

En résumé, la Commission fait valoir que si le Conseil n’a pas la compétence nécessaire pour contrôler les décisions discrétionnaires rendues par la Commission en vertu d’autres dispositions de la Loi, le Conseil n’est évidemment pas compétent pour contrôler les décisions prises en vertu du paragraphe 33(1) de la Loi. À l’appui de son argument la Commission invoque plus précisément les pouvoirs discrétionnaires prévus aux paragraphes 30(1) [mod. par L.C. 1990, ch. 40, art. 22], 33(1), 41(10) et 79(1) de la Loi, ainsi que la jurisprudence qui s’y rapporte.

Avant d’être modifié en 1993 [L.C. 1993, ch. 13, art. 20], le paragraphe 30(1) de la Loi donnait à la Commission le pouvoir d’imposer une période d’exclusion de six à douze semaines pour toute violation de l’article 27 de la Loi. Le paragraphe 33(1) confère à la Commission le pouvoir de fixer le montant de la pénalité applicable à ceux qui font sciemment une déclaration fausse ou trompeuse, sous réserve d’un maximum que la loi elle-même prescrit. Le paragraphe 41(10) [l’ancien paragraphe 55(10)] prévoit que la Commission pourra suspendre certaines des conditions et exigences prévues lorsque « à son avis » les circonstances le justifient. Le paragraphe 79(1) prévoit que s’il existe des « raisons spéciales » de le faire, la Commission peut accorder un délai supplémentaire à ceux qui entendent interjeter appel de sa décision devant le Conseil. Je conviens avec l’avocat de la Commission que, en ce qui concerne ces divers paragraphes, la Cour a décidé que ni le Conseil, ni un juge-arbitre ne peut exercer les pouvoirs discrétionnaires que le législateur a confiés à la Commission, et qu’une décision prise dans le cadre de l’exercice de ces mêmes pouvoirs discrétionnaires ne saurait être annulée à moins d’avoir été prise « de façon non judiciaire » ou à moins d’être « entachée d’une erreur fondamentale » : voir Canada (Procureur général) c. Plourde, [1990] A.C.F. no 944 (C.A.F.) (QL); et Canada (Procureur général) c. Phung, [1994] F.C.J. no 1754 (C.A.F.) (QL) respectivement.

Sans le déclarer expressément, la Cour a considéré que les décisions prises en fonction des pouvoirs discrétionnaires indiqués plus haut constituaient l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire administratif et a par là même restreint le pouvoir qu’a le Conseil de contrôler de telles décisions en appel, tout en mettant les décisions de la Commission à l’abri d’un tel contrôle : en ce qui concerne le paragraphe 30(1) voir Canada (Procureur général) c. Phung, précité; en ce qui concerne le paragraphe 41(10) voir Le procureur général du Canada c. Desjardins, [1981] 1 C.F. 220(C.A.); Procureur général du Canada c. Findenigg, [1984] 1 C.F. 65 (C.A.); et Re La Reine et Harbour (1986), 26 D.L.R. (4th) 96 (C.A.F.); en ce qui concerne le paragraphe 79(1), voir Brunet c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), [1988] A.C.F. no 829 (C.A.F.) (QL); Chartier c. Canada (Commission de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] A.C.F. no 832 (C.A.F.) (QL); et Canada (Procureur général) c. Plourde, précité; en ce qui concerne le paragraphe 33(1) voir : Canada (Procureur général) c. Simard, [1994] A.C.F. no 290 (C.A.F.) (QL); Canada (Procureur général) c. Frew, [1994] A.C.F. no 988 (C.A.F.) (QL); R. c. Friesen, [1994] F.C.J. no 1363 (C.A.F.) (QL) et Canada (Procureur général) c. Smith, précité.

Cela ne veut cependant pas dire qu’envers la Commission, il y ait lieu de faire preuve d’une retenue absolue en ce qui concerne toutes les autres questions relevant d’un pouvoir discrétionnaire et notamment pour ce qui est de la question de savoir si un prestataire a sciemment fait une déclaration fausse ou trompeuse. Il n’y a pas lieu en l’espèce de se baser sur un raisonnement par analogie. L’expression « à son avis » ne saurait être interprétée dans l’absolu. Les mots doivent être pris dans leur contexte global en tenant compte de l’esprit et de l’objet de la Loi : voir Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; et Lor-Wes Contracting Ltd. c. La Reine, [1986] 1 C.F. 346(C.A.), le juge d’appel MacGuigan, à la page 352. Cette règle d’interprétation des lois nous impose le mode d’analyse exposé plus haut. Sans cela, mon analyse s’achèverait sur une lecture littérale, non pas du paragraphe 33(1) de la Loi, mais de la simple expression « à son avis ».

En résumé, la présente demande de contrôle judiciaire n’a pas trait à la manière dont les tribunaux considèrent les autres pouvoirs discrétionnaires dont est investie la Commission. Il ne s’agit pas non plus du montant de la pénalité imposée par la Commission. Ce qui retient ici notre attention c’est, plutôt, le pouvoir qu’a la Commission d’imposer en premier ressort une telle pénalité et la compétence du Conseil pour exercer un contrôle à l’égard d’une telle décision en se fondant sur sa propre évaluation des faits. Mon analyse prend pour point de départ la manière dont est formulé le pouvoir discrétionnaire en question.

Prise isolément, l’expression « à son avis » donnerait raison à la Commission lorsque celle-ci soutient que le législateur entendait limiter la compétence du Conseil en matière de contrôle. On ne saurait écarter à la légère le fait qu’on a recouru pour énoncer le pouvoir discrétionnaire de la Commission à une formulation subjective et non pas objective. Il suffit d’une brève explication pour souligner toute l’importance que revêt, au plan juridique, la différence entre les deux : voir, pour un examen général de la question, W. Wade, Administrative Law, 6e édition (Oxford : Clarendon Press, 1992), aux pages 445 et 446.

La compétence nécessaire pour exercer un pouvoir discrétionnaire peut ou non dépendre de l’existence de certaines circonstances ou de certains faits. Lorsque le pouvoir en question est soumis à une ou à plusieurs conditions préalables, il est possible de formuler celles-ci soit de manière subjective, soit de manière objective. Le paragraphe 33(1) de la Loi est actuellement formulé de manière subjective : « La Commission peut imposer une pénalité si, à son avis, le prestataire a fait une fausse déclaration ». Mais, le législateur aurait très facilement pu formuler ce pouvoir en des termes objectifs : « Lorsqu’un prestataire fait sciemment une fausse déclaration la Commission peut imposer une pénalité ». Le fait que le législateur ait choisi d’utiliser une formulation subjective entraîne des conséquences sur le plan du droit.

L’on peut dire, de manière générale, que lorsque le pouvoir discrétionnaire est formulé en des termes subjectifs, le champ d’exercice du pouvoir de contrôle est, a priori, plus étroit que lorsque le pouvoir est formulé en des termes objectifs. L’expression « à son avis » donne à penser que, au lieu de décider objectivement si la condition préalable à l’exercice du pouvoir conféré par la loi est remplie, le Conseil ne peut que constater si la Commission s’est fait l’opinion prévue avant d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’imposer une pénalité. Mais, le fait que le législateur ait, au paragraphe 33(1) de la Loi, formulé le pouvoir discrétionnaire en question de manière subjective ne suffit pas, en droit, à régler la question qui se pose en l’espèce.

Le deuxième facteur énoncé dans le cadre de la démarche exposée plus haut nous oblige à nous interroger sur le genre d’organisme décideur dont il s’agit. Il est clair en l’espèce que la Commission n’est ni un organisme réglementaire, ni un tribunal spécialisé à l’égard des décisions duquel on doit faire preuve de retenue conformément aux principes énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557. Plus précisément, il ne s’agit pas d’une affaire où l’organisme décideur, en l’espèce la Commission, possède des connaissances techniques particulières qui lui sont nécessaires pour formuler une opinion concernant ce qui est essentiellement une question de fait. Au niveau des faits, la présente affaire s’oppose nettement à l’affaire Nenn. Dans cette autre affaire, en effet, il a été décidé que l’organisme décideur, la Commission de la fonction publique, « possède les connaissances pour exprimer une opinion sur la question de savoir si les chances d’avancement dans la Fonction publique d’un candidat non reçu ont été amoindries par la nomination » (à la page 637). Il est bien évident que la question de savoir si une personne a ou non sciemment fait une ou plusieurs déclarations fausses ou trompeuses n’exige pas de l’organisme chargé de trancher des connaissances techniques particulières. Sur ce plan-là, le Conseil arbitral est tout aussi qualifié pour trancher de pareilles questions de fait. Ajoutons que, comme nous l’expliquerons plus loin, le Conseil est en meilleure position pour parvenir à une conclusion de fait que ne l’est la Commission.

Aussi importante que soit la question du type de l’organisme décideur en cause, d’égale importance est le troisième élément de notre démarche, la nature ou le genre de décision discrétionnaire rendue, c’est-à-dire dans quelle mesure elle a trait à un objet spécifique plutôt qu’à un objet général, et l’impact qu’elle est appelée à avoir sur les personnes directement touchées—les prestataires de l’assurance-chômage. La décision prévue au paragraphe 33(1) de la Loi est, par son genre même ainsi que par sa portée, très spécifique et les retombées éventuelles de l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire sont nettement punitives. De plus, les conséquences pécuniaires découlant d’une décision défavorable prise au titre de cette disposition sont tout à fait dévastatrices. Non seulement un prestataire peut-il être obligé de rembourser à la Commission le trop-perçu, mais la pénalité fixée peut atteindre une telle somme qu’il est peu probable qu’elle soit jamais acquittée, ce qui va en fait avoir pour effet d’interdire au prestataire toute prestation d’assurance-chômage à l’avenir. Même si l’on met de côté ces conséquence désastreuses, il est clair également qu’en retenant l’argument développé par la Commission, on permettrait à celle-ci d’assumer à elle seule le rôle de poursuivant, de juge et de jury. C’est la Commission qui invoque l’existence d’une violation du paragraphe 33(1). C’est aussi la Commission qui se prononce sur la culpabilité d’un prestataire. Et, enfin, c’est encore la Commission qui décide de la « peine » qu’il convient d’imposer en plus des mesures de restitution qui font, elles aussi, partie de la « sentence ».

Pour interpréter la disposition ici en cause, je suis tenu de dire si le Conseil possède la compétence nécessaire pour formuler une opinion qui s’opposerait à celle de la Commission. Dans la démarche intellectuelle exposée plus haut, le premier facteur, c’est-à-dire la manière dont est formulé le pouvoir discrétionnaire en cause, donne raison à la Commission. Les trois autres facteurs—la nature de l’organisme décideur, la nature et le type de la décision en cause et l’existence ainsi que la portée d’un droit d’appel—étayent la thèse du prestataire. Le fait que soit expressément prévu un droit d’appel devant le Conseil est, selon moi, concluant en l’espèce.

Évoquant à nouveau les faits de l’affaire Nenn, précisons que la Cour suprême a pris soin de noter qu’il n’existait, dans la loi, aucun droit d’appel touchant la décision de la Commission de la fonction publique et que le législateur avait choisi de limiter le droit d’appel aux cas où la Commission avait conclu que les chances d’avancement du candidat non reçu avaient été amoindries (à la page 637). En l’espèce l’article 79 de la Loi prévoit un droit d’appel devant le Conseil. Cette disposition est ainsi libellé :

79. (1) Le prestataire ou un employeur du prestataire peut, dans les trente jours de la date où il reçoit communication d’une décision de la Commission, ou dans le délai supplémentaire que la Commission peut accorder pour des raisons spéciales dans un cas particulier, interjeter appel de la manière prescrite devant le conseil arbitral.

(2) La décision d’un conseil arbitral doit être consignée. Elle comprend un exposé des conclusions du conseil sur les questions de fait essentielles. [Non souligné dans l’original]

L’on ne peut pas, d’après moi, sur la question de savoir si un prestataire a sciemment fait une déclaration fausse ou trompeuse, supposer que le législateur a voulu que l’opinion de la Commission soit définitive et concluante. Je me fonde pour dire cela sur deux motifs supplémentaires. D’abord, il n’est pas déraisonnable de supposer que si le législateur avait voulu que l’on témoigne d’une retenue particulière à l’égard de cet aspect de la décision de la Commission, il n’aurait pas accordé sans réserve un droit d’appel. Les rédacteurs législatifs savent très bien faire en sorte que telle ou telle décision soit considérée comme définitive et concluante. Force m’est de noter à cet égard que dans un cas précis le législateur a expressément interdit qu’une décision de la Commission soit portée en appel devant le Conseil. Le paragraphe 25(11) de la Loi prévoit que « [l]es décisions de la Commission approuvant ou désapprouvant un projet créateur d’emploi pour l’application du présent article ne sont pas susceptibles d’appel en vertu des articles 79 ou 80 ». Ce paragraphe renforce l’idée que le législateur est parfaitement au courant des moyens législatifs qui permettent de mettre les décisions de la Commission à l’abri du contrôle du Conseil ou d’un juge-arbitre.

Le second motif est, à mon avis, aussi fort que le premier. Étant donné qu’un appel devant le Conseil constitue une procédure de novo, le Conseil est, mieux que la Commission elle-même, en mesure de rendre une décision basée sur les faits. À l’inverse de nombreux organismes chargés, en appel, de contrôler la décision d’un autre organisme, le Conseil est appelé à entendre les témoignages et à recueillir les preuves fournies par les parties à un appel et, conformément au paragraphe 79(2) de la Loi, il est expressément tenu de conclure sur les questions de fait. Sauf dans les cas où la loi confie à la Commission ou au ministre l’autorité ou le pouvoir discrétionnaire exclusif de rendre une décision, le Conseil est tenu de procéder à un contrôle de novo : voir Procureur général du Canada c. Findenigg, précité, le juge en chef Thurlow, à la page 71; et Re La Reine et Harbour, précité, le juge d’appel Marceau, aux pages 105 et 106. Ainsi que l’a déclaré un juge-arbitre (CUB 12720 [Mihai]), le rôle du Conseil est de [à la page 2] :

… examiner les preuves que lui présentent les deux parties, pour déterminer les faits pertinents, soit les faits qui concernent le litige particulier qu’il doit trancher et d’expliquer, dans sa décision écrite, la décision qu’il rend concernant ces faits.

À l’inverse, le rôle de la Commission ne consiste qu’à rendre une décision fondée sur les preuves qui lui paraissent pertinentes. Devant la Commission le prestataire n’a pas le droit d’être entendu, ni l’assurance que la preuve qu’il porte devant elle se verra accorder l’importance qu’elle mérite. Cela explique pourquoi un prestataire a le droit de contester une décision de la Commission en demandant que sa cause soit entendue de novo. C’est donc le Conseil et non la Commission qui fonctionne comme le ferait un organisme quasi judiciaire. Les décisions à l’égard desquelles on doit faire preuve de retenue sont donc les décisions du Conseil sur des questions de fait et non les décisions de la Commission.

J’estime, pour récapituler, que l’expression « à son avis » n’a pas juridiquement pour effet de mettre la décision de la Commission à l’abri de tout contrôle pour ce qui est de la question de savoir si un prestataire a sciemment fait une déclaration fausse ou trompeuse. Cet aspect du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 33(1) de la Loi n’est pas de caractère administratif. Bien sûr, cette expression, prise isolément, comporte a priori l’idée que de telles conclusions de la Commission sont définitives et concluantes. J’estime, cependant, qu’on ne peut pas considérer que le législateur a voulu aboutir à un tel résultat sur le plan du droit, et cela pour les raisons suivantes : 1) l’opinion en question porte sur une conclusion de fait qui n’exige aucune connaissance technique particulière; 2) le Conseil a la compétence nécessaire pour procéder à un examen de novo des questions de fait; et 3) il est en meilleure position pour trancher de manière objective les questions de fait. Cette conclusion est confortée par le caractère punitif des conséquences pécuniaires découlant de toute décision d’imposer une pénalité au titre du paragraphe 33(1). Je suis en définitive porté à la conclusion inévitable que le Conseil a la compétence nécessaire pour se prononcer de novo sur la question de savoir si un prestataire a sciemment fait une déclaration fausse ou trompeuse. Cette conclusion permet d’écarter le premier argument développé par la Commission. Il reste à décider si le Conseil a commis une erreur en ce qui concerne le fardeau de la preuve imposé à la Commission. Abordons maintenant l’argument subsidiaire avancé par la Commission.

Ainsi que nous l’avons noté au départ, la Commission affirme que le Conseil a commis une erreur en exigeant que elle, la Commission, établisse, de la part du prestataire, l’existence d’une intention trompeuse. La Commission se fonde en cela sur l’arrêt Canada (Procureur général) c. Gates, précité. Dans cette affaire, le juge Linden, s’exprimant au nom de la Cour d’appel, a jugé que le paragraphe 33(1) de la Loi ne crée pas une infraction criminelle, « le fardeau de la preuve qui incombe à la Commission est celui d’établir, selon la prépondérance des probabilités, et non hors de tout doute raisonnable, que le prestataire a “sciemment fait une déclaration ou une représentation fausse ou trompeuse” » (à la page 19). Les déclarations faites innocemment n’attirent donc aucune pénalité. Le juge Linden a ensuite expliqué que le critère à retenir est un critère subjectif. Le Conseil doit décider selon la prépondérance des probabilités qu’un prestataire savait, subjectivement, qu’une déclaration fausse ou trompeuse avait été faite. Autrement dit, le critère n’est pas celui de ce que devrait savoir le soi-disant prestataire raisonnable. Il est clair qu’un tel être n’existe pas. Puis, à la page 21, le juge Linden poursuit en déclarant :

Pour décider si le prestataire avait une connaissance subjective de la fausseté des déclarations, la Commission ou le Conseil peuvent toutefois tenir compte du bon sens et de facteurs objectifs. En d’autres termes, si un prestataire prétend ignorer un fait connu du monde entier, le juge des faits peut, à bon droit, refuser de le croire et conclure qu’il connaissait bel et bien ce fait, malgré qu’il le nie. Le fait que le prestataire ignore une évidence peut donc mener à une inférence légitime selon laquelle il ment. Le critère appliqué n’est pas objectif pour autant; mais il permet de tenir compte d’éléments objectifs pour trancher la question de la connaissance subjective. Si, en définitive, le juge des faits est d’avis que le prestataire ne savait effectivement pas que sa déclaration était fausse, l’irrégularité visée par le paragraphe 33(1) n’a pas été commise.

Dans l’arrêt Gates, la Cour a également cité la jurisprudence des juges-arbitres en matière de fardeau de la preuve. D’après cette jurisprudence, c’est au départ à la Commission qu’il appartient de prouver qu’un prestataire a sciemment fait une déclaration fausse ou trompeuse. Mais, à partir du moment où la preuve démontre qu’un prestataire a donné une réponse inexacte à une question très simple ou à des questions figurant sur la carte de déclaration, il y a renversement du fardeau de la preuve et c’est alors au prestataire qu’il appartient d’expliquer l’existence de ses réponses inexactes. Retenant ce raisonnement subsidiaire, le juge Linden explique alors, à la page 22 :

… mais il se peut que l’explication offerte puisse être acceptée facilement. Tout dépend de la preuve, des circonstances et de la décision que prend le juge des faits après les avoir examinées. (Voir par exemple l’arrêt Zysman c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), [[1994] F.C.J. no 1357 (C.A.) (QL)]). Pour imposer une pénalité au prestataire, le juge des faits doit donc conclure, selon la prépondérance des probabilités, qu’il savait subjectivement que la déclaration était fausse. Il est possible, bien qu’improbable, qu’un prestataire ignore véritablement un fait, même très simple, alors qu’il devrait être connu d’à peu près tout le monde.

Dans l’arrêt Gates, la Cour a estimé que le Conseil avait commis une erreur en appliquant un critère objectif pour décider si le prestataire était au courant desdites déclarations. La Cour a également estimé que le juge-arbitre avait « ajouté un élément de confusion » en exigeant que la Commission établisse l’existence d’une « intention de tromper » de la part du prestataire. Par conséquent, la demande a été accueillie et l’affaire a été renvoyée au Conseil pour nouvel examen.

J’estime que cette demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. L’élément de confusion relevé, dans l’arrêt Gates, dans le raisonnement suivi par le Conseil existe également dans la décision du Conseil en l’espèce, décision confirmée par le juge-arbitre. Je tiens également à préciser qu’en l’espèce le prestataire a donné des réponses inexactes à des questions qui lui étaient posées de manière non équivoque dans les cartes de rapport du prestataire et, pourtant, la preuve touchant la question de savoir pourquoi ces réponses ont été données semble contradictoire. D’une part, le prestataire soutient que les déclarations ont été remplies par une tierce partie. D’autre part, il reconnaît avoir été informé du fait que s’il était titulaire d’une licence de taxi il n’aurait pas droit aux prestations de l’assurance-chômage. Il n’appartient pas, bien sûr, à la Cour de résoudre ces contradictions apparentes. C’est au Conseil de le faire comme c’est à lui de dire si, subjectivement, le prestataire savait qu’il faisait des déclarations fausses ou trompeuses.

Pour les motifs ainsi exposés, j’estime qu’il y a lieu d’accueillir la demande, d’infirmer la décision du juge-arbitre en date du 21 septembre 1994 et de renvoyer l’affaire devant le juge-arbitre en chef ou la personne désignée par lui afin que l’affaire soit renvoyée devant le Conseil pour nouvel examen et nouvelle décision compatible avec les présents motifs.

Le juge Stone, J.C.A. : J’y souscris.

Le juge strayer, J.C.A. : J’y souscris.



[1] Dans l’affaire Smith, la Cour n’était pas appelée à se prononcer sur la compétence du juge-arbitre à l’égard d’une telle erreur. Il reste à décider si le juge-arbitre peut substituer sa propre décision à celle que le Conseil aurait dû rendre ou s’il est tenu de renvoyer l’affaire devant le Conseil : voir Dunham, CUB 29211, le 22 septembre 1995, selon lequel il semblerait que la première solution soit celle qu’il convient de retenir.

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