Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[1996] 2 C.F. 36

A-205-94

Murray MacKay (appelant)

c.

Scott Packing and Warehousing Co. (Canada) Ltd. (intimée)

Répertorié : MacKay c. Scott Packing and Warehousing Co. (Canada) Ltd. (C.A.)

Cour d’appel, juges Marceau, Décary et Robertson, J.C.A. — Toronto, 12 décembre; Ottawa, 22 décembre 1995.

Contrats Appel du jugement de première instance statuant que l’intimée pouvait invoquer une clause de limitation de responsabilité, même si elle avait fait preuve de négligence dans l’exécution d’obligations contractuellesLes dispositions d’exonération et de limitation de la clause mentionnent les dommages « causé[s] de quelque manière que ce soit » — L’appelant, qui connaissait bien ce type de contrats et était au courant de la clause de limitation, a passé un contrat pour le transport de ses biens en AngleterreCertains articles ont été égarés et d’autres endommagésLes mots « causé[s] de quelque manière que ce soit » visent la négligence et d’autres causes, mais non la fraude et la mauvaise foiIl n’y avait, au moment de la passation du contrat, aucune circonstance qui rendrait inique l’exécution de la clauseLe maintien de la clause ne serait ni injuste ni déraisonnable car l’appelant n’a pas été privé de « la quasi-totalité du bénéfice du contrat ».

Droit maritime Transport de marchandises Appel du jugement de première instance statuant que l’intimée pouvait invoquer la clause de limitation de responsabilité d’un contrat de transport de biens en Angleterre, même si elle avait fait preuve de négligence dans l’exécution d’obligations contractuellesL’appelant était versé en la matièreLes mots « causé[s] de quelque manière que ce soit » figurant dans les dispositions d’exonération et de limitation de la clause visent la négligenceLe maintien de la clause ne serait pas inique, injuste ou déraisonnable.

Il s’agit de l’appel de la décision de la Section de première instance statuant que l’intimée pouvait invoquer la clause de limitation de responsabilité du contrat visant le transport des biens de l’appelant en Angleterre, même si elle avait fait preuve de négligence dans l’exécution de ses obligations contractuelles. L’appelant était versé en matière de transport d’antiquités précieuses et connaissait bien les contrats types en ce domaine. Il a signé le contrat, qui indiquait expressément qu’il était conclu sous réserve des conditions énoncées au verso, sans lire ces conditions, bien qu’il ait eu le document entre les mains pendant une semaine. Il a souscrit lui-même son assurance. Beaucoup d’articles étaient manquants et d’autres avaient été endommagés.

La clause litigieuse visait à la fois à exonérer et à limiter la responsabilité découlant de dommages « causé[s] de quelque manière que ce soit ».

Il s’agissait de déterminer si le contrat limitait la responsabilité à l’égard du type d’inexécution en cause et, le cas échéant, s’il serait inique ou déraisonnable de permettre à l’intimée de se prévaloir de la clause limitative.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

Le comportement qui a causé la perte subie par l’appelant était visé par la clause, laquelle était rédigée en termes très larges prévoyant que [traduction] « le Client assume tous les risques de perte ou de dommage ». Les mots [traduction] « causé de quelque manière que ce soit » comprennent la négligence ainsi que d’autres causes, exception faite de la fraude ou de la mauvaise foi. La clause visait à limiter la responsabilité quel que soit le fondement juridique de celle-ci.

Que l’on évalue l’iniquité du contrat au moment où il a été conclu ou bien le caractère juste et raisonnable de l’exécution de la clause d’exclusion au moment de l’inexécution, on conclut à l’applicabilité de la clause. Il ne serait pas inique de reconnaître la validité de la clause limitative. Les parties en cause n’étaient pas en position d’inégalité. Il n’y avait rien dans la situation des parties au moment de la passation du contrat qui donnerait à l’exécution de la clause un caractère inique. Il ne serait pas non plus injuste ou déraisonnable, compte tenu des faits, d’appliquer la clause limitative à l’appelant. Ce dernier n’a pas été privé de « la quasi-totalité du bénéfice du contrat ». La Cour ne devrait pas modifier l’accord conclu par les parties.

La question des dommages-intérêts est renvoyée au juge de la Section de première instance pour évaluation.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur le transport des marchandises par eau, L.R.C. (1985), ch. C-27.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 480.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; (1986), 28 D.L.R. (4th) 641; 34 B.L.R. 251; 68 N.R. 241; Hunter Engineering Co. c. Syncrude Canada Ltée., [1989] 1 R.C.S. 426; (1989) 57 D.L.R. (4th) 321; 35 B.C.L.R. (2d) 145; 92 N.R. 1.

DÉCISIONS CITÉES :

Ailsa Craig Fishing Co Ltd v Malvern Fishing Co Ltd, [1983] 1 ALL ER 101 (H.L.); Mitchell (George) (Chesterhall) Ltd. v. Finney Lock Seeds Ltd., [1983] Q.B. 284 (C.A.).

DOCTRINE

Flannigan, Robert D. « Hunter Engineering : The Judicial Regulation of Exculpatory Clauses » (1990), 69 Rev. du Bar. can. 514.

Ogilvie, M. H. « “Reasonable” Exemption Clauses in the Supreme Court of Canada and the House of Lords » (1991), 25 B.C. Law Rev. 199.

Waddams, S. M. The Law of Contracts, 3rd ed., Toronto : Canada Law Book, 1993.

APPEL de la décision de la Section de première instance (MacKay c. Scott Packing and Warehousing Co. (Canada) Ltd. (1994), 75 F.T.R. 174 (C.F. 1re inst.)) statuant que l’intimée pouvait invoquer la clause de limitation de responsabilité du contrat visant le transport des biens de l’appelant en Angleterre, même si elle avait fait preuve de négligence dans l’exécution de ses obligations contractuelles. Appel rejeté.

AVOCATS :

Vincent M. Prager pour l’appelant.

Hugh A. Christie et Peter E. Manderville pour l’intimée.

PROCUREURS :

Stikeman, Elliott, Montréal, pour l’appelant.

Smith, Lyons, Torrance, Stevenson & Mayer, Toronto, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Robertson, J.C.A. : La Cour est saisie d’un appel interjeté contre une décision de la Section de première instance portant sur la responsabilité d’un expéditeur à l’égard d’articles perdus ou endommagés au cours d’un déménagement outre- Atlantique. Le juge de première instance, tout en concluant que l’intimée avait fait preuve de négligence dans l’exécution de ses obligations contractuelles, a jugé qu’elle pouvait néanmoins invoquer la clause de limitation de responsabilité qui, selon lui, faisait partie du contrat applicable. L’appelant ne conteste aucune des conclusions de fait tirées par le juge, mais à l’égard de la conclusion principale selon laquelle la clause limitative restreint effectivement la responsabilité de l’expéditeur, l’appelant ne soulève pas moins de onze questions de fond.

Mis à part les trois questions examinées ci-dessous, j’estime inutile de considérer les arguments de l’appelant car, à une exception près, le juge de première instance les a entièrement et correctement analysés dans ses motifs, lesquels sont maintenant publiés à (1994), 75 F.T.R. 174. Quant à la question restante, savoir l’applicabilité de la Loi sur le transport des marchandises par eau, L.R.C. (1985), ch. C-27, elle n’a été soulevée qu’en appel, ce qui fait que le juge de première instance ne l’a pas examinée, et l’appelant ayant à toutes fins utiles abandonné cet argument dans sa plaidoirie, il n’y a pas lieu d’en poursuivre l’analyse.

Les trois questions nécessitant examen ont trait à la force exécutoire et à l’application de la clause de limitation de responsabilité. Il faut déterminer, d’abord, si en donnant sa juste interprétation au contrat on peut conclure qu’il limite la responsabilité de l’intimée à l’égard du type d’inexécution en cause. En supposant, ensuite, qu’il faut répondre à cette question par l’affirmative, il s’impose d’établir si, en l’espèce, il serait inique ou déraisonnable de permettre à l’intimée de se prévaloir de la clause limitative. La troisième question, enfin, a trait à l’omission apparente du juge de première instance de rendre des conclusions de fait relativement au calcul des dommages-intérêts en application de la clause limitative. Pour l’examen des deux premières questions, il suffit de signaler quelques faits essentiels.

L’appelant, qui avait travaillé pour Christie’s au Canada, était versé dans l’évaluation, l’estimation, le transport et l’assurance d’antiquités et d’œuvres d’art décoratif précieuses. Il connaissait bien, également, les contrats types en cette matière, et savait qu’ils comprennent souvent une clause de limitation de responsabilité. En quittant son emploi chez Christie’s, l’appelant a décidé de retourner en Angleterre, et il a retenu les services de l’intimée pour effectuer le déménagement. Il a signé un contrat comportant, au verso, une clause de limitation de responsabilité et indiquant expressément qu’il était conclu sous réserve des conditions énoncées au verso. De plus, un employé de l’intimée a signalé cette disposition à l’appelant. Ce dernier, cependant, n’a pas lu ces conditions, bien qu’il ait eu la proposition de prix finale et le contrat entre les mains pendant au moins une semaine avant la signature. L’appelant était conscient de la nécessité d’assurer ses biens. Il en avait parlé avec l’intimée, mais avait refusé l’assurance que celle-ci lui proposait de souscrire par son intermédiaire parce qu’il jugeait le montant de la prime « excessif ». Il a donc pris sa propre police, à un coût moindre, en recourant aux services d’une société de courtage.

Le sort a voulu que certains des biens de l’appelant n’arrivent pas à son domicile en Angleterre. Il manquait trente-sept des quelque deux cent vingt articles déménagés. En outre, certains effets avaient été endommagés pendant leur transport. L’appelant a donc réclamé des dommages-intérêts de plus de 457 000 $. L’intimée invoque la clause limitative qui, si je comprends bien, couvre environ le dixième de cette somme. L’intimée ne conteste pas que l’exécution de ses obligations contractuelles ait été, pour reprendre les mots employés par le juge de première instance, « nettement déficiente » (à la page 194).

Étant donné la nature de la première question, il est utile de reproduire les dispositions pertinentes de la clause de limitation de responsabilité :

[traduction]

7.   RESPONSABILITÉ DE LA COMPAGNIE BIENS PERDUS OU ENDOMMAGÉS—Le Client assume tous les risques de perte ou de dommage pendant le transport et pendant que les biens sont entreposés, et la Compagnie n’engage pas sa responsabilité en cas de perte des biens, de défaut de les produire ou de dommage à ceux-ci (causé de quelque manière que ce soit); en conséquence, aucune réclamation ne pourra être faite à la Compagnie à l’égard de la perte d’un bien, du défaut de le produire ou d’un dommage qui lui est causé, de quelque manière que ce soit. En particulier, mais sans restreindre la portée générale de ce qui précède, la Compagnie n’engagera pas sa responsabilité pour une perte, un défaut de produire ou un dommage causé, de quelque manière que ce soit :

(i)   par un incendie;

(ii)  par une guerre, une invasion, des actes d’ennemis étrangers, des hostilités (qu’il y ait ou non déclaration de guerre), une guerre civile, une rébellion, une insurrection ou un coup d’État, une usure normale ou une détérioration graduelle, des fuites, des déficiences, des biens périssables ou susceptibles de fuir, des cas de force majeure ou des causes indépendantes de la volonté directe de la Compagnie ou attribuables aux actes de tierces parties, qu’ils soient de nature criminelle ou autre;

(iii) par la vermine, les animaux nuisibles ou les insectes, notamment les mites;

(iv) découlant d’un processus de nettoyage, de réparation ou de restauration, à moins que le nettoyage, la réparation ou la restauration des biens n’ait été effectué par la Compagnie elle-même, à la demande (par écrit) du client;

(v)  aux articles qui se trouvent dans les armoires, les tiroirs, les paquets, les caisses ou autres contenants n’ayant pas été emballés et déballés par les employés de la Compagnie;

(vi) aux bijoux, montres, bibelots, pierres précieuses, etc., à l’argent, aux titres, valeurs, timbres, pièces de monnaie ou collections de toute sorte ou aux animaux;

(vii)    lorsque des biens sont enlevés de lieux non surveillés, qu’ils y sont livrés ou lorsque des tiers sont présents;

(viii) s’il est prouvé que la perte ou le dommage a été causé par un vice caché des biens;

(ix) si le Client n’avise pas la Compagnie, avant le début du contrat, de la valeur d’articles dont le montant est supérieur à 1000 ".

Sous réserve de ce qui précède, la responsabilité de la Compagnie, le cas échéant, en cas de perte, de dommage ou de défaut de produire, causé de quelque manière que ce soit, à l’égard de tous les biens confiés à la Compagnie par le Client, qu’ils soient en la possession de la Compagnie dans l’exécution du contrat ou autrement, sera assujettie à la limitation suivante :

a)   une somme calculée au taux de 10" Sterling du pied cube du volume de l’article perdu ou endommagé ou, au seul gré de la Compagnie, le coût de réparation ou de remplacement de l’article endommagé ou manquant;

b)   en ce qui a trait aux articles faisant partie d’une paire ou d’un ensemble, la responsabilité de la Compagnie est calculée d’après le volume de la pièce ou des pièces en particulier ainsi perdues ou endommagées, sans tenir compte de la valeur spéciale que ces articles peuvent avoir en tant qu’élément de la paire ou de l’ensemble.

Toutefois, dans la mesure du possible, la Compagnie transférera au Client tout droit qu’elle pourrait avoir à l’encontre d’une compagnie ou autorité ferroviaire, maritime, portuaire ou de transports, ou d’une autre compagnie, relativement aux biens; cependant, la Compagnie ne se porte pas garante de l’existence d’un tel droit.

La Compagnie recommande au Client de faire assurer les biens contre tous les risques assurables pendant l’enlèvement, l’emballage et l’entreposage. Sur réception de directives écrites, et pourvu que la prime exigible soit payée à l’avance, la Compagnie tentera de prendre les assurances que demandera le Client s’il y a suffisamment de temps pour le faire, dans la mesure du possible et sans assumer de responsabilité pour toute limitation ou condition imposée par les assureurs. La Compagnie ne sera pas responsable envers le Client en cas de défaut, pour quelque cause que ce soit, d’aviser le Client ou ses assureurs de toute perte des biens ou dommage causé à ceux-ci, en tout ou en partie. [Je souligne.]

Curieusement, la première partie de la clause vise à exonérer l’intimée de toute responsabilité, mais la seconde vise simplement à limiter sa responsabilité. Cela découle assurément de l’incertitude qui sévit dans ce domaine du droit. On peut en effet penser que le rédacteur du contrat a prévu la possibilité qu’une clause d’exonération soit jugée invalide et, par conséquent, inopérante parce que trop onéreuse, mais qu’une clause limitative puisse être considérée raisonnable, et maintenue (voir la décision Ailsa Craig Fishing Co Ltd v Malvern Fishing Co Ltd, [1983] 1 ALL ER 101 (H.L.), lord Wilberforce, aux pages 102 et 103). En tout état de cause, l’intimée a indiqué qu’elle était disposée à payer le montant prévu par la clause limitative, tout en prenant la position que la perte en cause était visée par celle-ci.

Je suis d’avis que la perte subie par l’appelant est visée par la clause. En me prononçant sur cette question, je prends en compte le fait que les tribunaux ne sont plus limités par le principe de la « liberté contractuelle » qui les obligeait, pour rendre des décisions équitables, à avoir recours à des « armes secrètes » comme les théories des contrats accessoires, de l’interprétation défavorable, de l’interprétation stricte ou de l’interprétation contra proferentum (voir l’arrêt Mitchell (George) (Chesterhall) Ltd. v. Finney Lock Seeds Ltd., [1983] Q.B. 284 (C.A.), lord Denning (M.R.), à la page 297).

L’appelant soutient que du fait que les mots « négligence » ou « inexécution fondamentale » ne sont pas expressément employés dans la clause, ils sont exclus de la portée de celle-ci. La jurisprudence, toutefois, établit clairement qu’un énoncé si explicite n’est pas toujours nécessaire. La Cour suprême du Canada, dans l’affaire ITOInternational Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752 devait se prononcer sur une clause limitative ne mentionnant pas expressément la négligence. La question soulevée, telle que l’a formulée le juge McIntyre, à la page 799, était la suivante : « Les termes employés [dans la clause] peuvent-ils l’inclure [la négligence]? » Le juge affirme : « C’est là une question d’interprétation dont la réponse doit se trouver dans le contexte de l’ensemble du contrat », et il conclut que si une clause limitative est conçue en termes assez larges pour « pouvoir dire que la négligence a été raisonnablement prévue par les parties en formulant leur accord », alors elle limitera la responsabilité découlant de la négligence. Il poursuit en signalant, à la page 800 : « Je crois qu’il est important, en déterminant ce qui était raisonnablement prévu, de reconnaître qu’il s’agit d’un contrat commercial entre deux parties qui, essentiellement, décident laquelle assumera la responsabilité aux fins d’assurance aux diverses étapes du contrat ». Le juge McIntyre conclut que le libellé de la clause 8 du connaissement qu’invoquait le transporteur [à la page 798] : « Le transporteur ne saurait être tenu responsable, à quelque titre que ce soit … de la perte … causée aux marchandises » est assez large pour inclure la négligence.

La clause visée en l’espèce est elle aussi rédigée en termes très larges. Elle énonce, dans la disposition portant exonération que « le Client assume tous les risques de perte ou de dommage », que « la Compagnie n’engage pas sa responsabilité en cas de perte des biens, de défaut de les produire ou de dommage à ceux-ci (causé de quelque manière que ce soit ) » et qu’« aucune réclamation ne pourra être faite à la Compagnie à l’égard de la perte d’un bien, du défaut de le produire ou d’un dommage qui lui est causé, de quelque manière que ce soit » (je souligne). On pourrait faire valoir que les types précis de conduites ne constituant pas de la négligence, énumérés dans la clause, ont pour effet d’empêcher l’expéditeur de se prévaloir de la disposition d’exonération à l’égard de la responsabilité découlant de sa propre négligence ou de celle de ses employés, mais le texte du préambule ouvrant l’énumération : « sans restreindre la portée générale de ce qui précède », paraît interdire un tel résultat. Quoi qu’il en soit, il est évident que la disposition d’exonération ne comporte aucune réserve. Les mots « causé, de quelque manière que ce soit », tels qu’ils sont employés dans la disposition d’exonération et dans la disposition de limitation de la clause, peuvent, selon moi, comprendre non seulement la négligence mais encore d’autres causes. Il va sans dire qu’une telle clause ne pourrait s’appliquer s’il était établi qu’il y avait eu fraude ou mauvaise foi. En l’espèce, la clause vise à limiter la responsabilité quel que soit le fondement juridique de celle-ci (p. ex. la négligence, la négligence grossière, la responsabilité stricte ou la responsabilité du fait d’autrui). Il est clair, selon moi, que la conduite qui a causé la perte subie par l’appelant est visée par la clause citée plus haut.

Cela nous amène à la deuxième question, celle de savoir si la clause de limitation de responsabilité est applicable dans les circonstances de la présente espèce. Il convient de l’aborder en citant la décision de la Cour suprême dans l’affaire Hunter Engineering Co. c. Syncrude Canada Ltée, [1989] 1 R.C.S. 426 (de façon générale, voir S. M. Waddams, The Law of Contracts, 3e éd., Toronto, Canada Law Book, 1993, aux pages 322 et 323; R. Flannigan, « Hunter Engineering : The Judicial Regulation of Exculpatory Clauses » (1990), 69 Rev. du Bar. can. 514, à la page 524; M. H. Ogilvie, « “Reasonable” Exemption Clauses in the Supreme Court of Canada and the House of Lords » (1991), 25 B.C. Law Rev . 199).

La formation de cinq juges qui a rendu l’arrêt Hunter Engineering a statué à l’unanimité que la clause d’exemption était applicable dans les circonstances de cette affaire. Les juges, toutefois, étaient quelque peu divisés quant au raisonnement à appliquer. D’après le juge en chef Dickson (à l’opinion duquel a souscrit le juge La Forest), il s’agissait de déterminer s’il serait inique, compte tenu de l’ensemble des circonstances, de permettre à une partie ayant manqué à ses obligations de se prévaloir de la clause. Deux aspects de cette démarche méritent une attention particulière. Premièrement l’iniquité s’évalue au moment de la conclusion du contrat et non à celui de l’inexécution. Deuxièmement, il s’ensuit que la nature de l’inexécution et son degré ne sont pas pertinents. Le juge en chef Dickson a conclu, à la page 462 :

Si d’après son interprétation juste, le contrat écarte la responsabilité pour le genre d’inexécution qui s’est produit, la partie fautive sera généralement soustraite à la responsabilité. Ce n’est que lorsque le contrat est inique, comme cela pourrait se produire dans le cas où il y a inégalité de pouvoir de négociation entre les parties, que les tribunaux devraient modifier les conventions que les parties ont formées librement. Les tribunaux n’appliquent pas aveuglément les conventions draconiennes ou iniques et, comme l’a fait valoir le professeur Waddams, la meilleure façon de saisir le principe de l’« inexécution fondamentale » consiste à le comparer à une manifestation d’un principe général sous-jacent qui justifie l’intervention des tribunaux dans divers contextes contractuels.

Pour Madame le juge Wilson (à l’opinion de laquelle souscrivait Mme le juge L’heureux-Dubé), il s’agissait de déterminer si, en principe, il serait injuste et déraisonnable, compte tenu de l’ensemble des circonstances, d’appliquer une clause d’exclusion (à la page 508). Là encore, deux aspects de la question méritent d’être signalés. Premièrement, le caractère juste et raisonnable de l’exécution de la clause s’évalue au moment de l’inexécution. Il s’ensuit, deuxièmement, que la nature de l’inexécution et son degré peuvent fort bien revêtir une très grande importance. Mme le juge Wilson a exprimé sa position dans les termes suivants (aux pages 510 et 511) :

Il n’y a aucune règle de droit absolue qui dit que les clauses d’exclusion sont automatiquement frappées d’invalidité en cas d’inexécution fondamentale. Il faut leur donner une interprétation naturelle et juste afin de pouvoir saisir et apprécier parfaitement le sens et l’effet de la clause d’exclusion sur laquelle les parties se sont accordées au moment de la passation du contrat. J’estime toutefois qu’après avoir déterminé l’intention qu’avaient les parties au moment où elles ont conclu le contrat, la cour doit encore décider si elle appliquera ce contrat dans le contexte d’événements subséquents tels qu’une inexécution fondamentale de la part de la partie qui s’adresse aux tribunaux pour le faire respecter. Que les tribunaux abordent cette question d’un point de vue étroit, c’est-à-dire en fonction de l’équité entre les parties (et je crois que cela a porté à confusion étant donné que les parties, à supposer qu’elles négocient sur un pied d’égalité, sont les mieux placées pour savoir ce qui est équitable dans leur cas), ou qu’ils le fassent en fonction du principe plus général de la nécessité pour les tribunaux (indépendamment des intérêts des parties) de soupeser des valeurs opposées inhérentes à notre droit des contrats (et c’est là le point de vue que je préfère), je crois que le résultat sera le même puisque la question qui se pose est essentiellement celle de savoir si, suite aux faits survenus, la cour devrait prêter son concours à A pour obliger B à respecter cette clause.

Étant donné les faits de la présente espèce, la différence entre ces deux conceptions n’entraîne aucune conséquence en droit. Que l’on évalue l’iniquité du contrat au moment où il a été conclu ou bien le caractère juste et raisonnable de l’exécution de la clause d’exclusion au moment de l’inexécution, on conclut à l’applicabilité de la clause. Je partage entièrement l’opinion du juge de première instance selon laquelle il ne serait pas inique, dans les circonstances de la présente affaire, de reconnaître la validité de la clause limitative. Je ne pourrais mieux rendre compte de son analyse et de la conclusion qu’il a tirée qu’en reproduisant ses propos aux pages 201 et 202 :

Si l’on revient aux faits en l’espèce, relatés plus haut, on note que le demandeur avait l’habitude d’organiser et de surveiller le transport de biens de valeur. Il était assez averti dans ce genre d’opération pour pouvoir reconnaître que la première proposition de M. Roberts pour son déménagement à Londres était trop basse et que la prime d’assurance demandée était trop élevée. Il a négocié la prime d’assurance avec M. Roberts et a fini par décider de prendre sa propre assurance. Le demandeur était également familier avec la notion de documents types et avait eu tout le temps voulu (au moins une semaine) pour examiner la proposition officielle, y compris les conditions qui se trouvaient au verso. Il n’a subi aucune contrainte de temps ou de pression de la part de la défenderesse. On n’a fourni aucune raison pour laquelle il n’avait pas examiné en détails les conditions qui se trouvaient au verso de la proposition officielle. Le demandeur ne traitait pas avec la défenderesse d’une position de faiblesse ou à armes inégales. Dans toute cette affaire, le demandeur a eu une attitude plutôt cavalière face au règlement du contrat en cause. Je conclus qu’il n’est pas du tout inique ou déraisonnable de permettre à la défenderesse d’invoquer la clause limitative de responsabilité en l’espèce.

Les parties en cause n’étaient pas en position d’inégalité quant à leur pouvoir de négociation. L’appelant savait qu’il assumait le gros du risque de perte ou de dommages. Il n’y a rien dans la situation des parties au moment de la passation du contrat qui donnerait à l’exécution de la clause un caractère inique et, selon moi, il ne serait pas non plus injuste ou déraisonnable d’appliquer la clause limitative à l’appelant. Ce dernier n’a pas été privé de « la quasi-totalité du bénéfice du contrat » (à la page 517 Rev. du Bar. can.) et, vu les circonstances de l’espèce, je suis d’avis que la Cour ne devrait pas modifier l’accord conclu par les parties.

Quant au troisième point, il appert que, tant dans ses motifs que dans le dispositif de son jugement, le juge de première instance a laissé ouverte la question de la détermination du montant des dommages-intérêts et du taux d’intérêt. Il ne lui était pas loisible d’agir ainsi, bien sûr, et, par suite, le présent appel semble prématuré. Compte tenu de l’insistance respectueusement manifestée par les parties et dans l’intérêt de l’administration de la justice, la Cour a décidé d’entendre l’appel comme si une ordonnance fondée sur la Règle 480 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663] avait autorisé le juge de première instance à statuer sur la question de la responsabilité en réservant la question des dommages-intérêts pour une référence. Dans les circonstances, il convient de renvoyer au juge de première instance la question de la détermination des dommages-intérêts en fonction de la clause de limitation de responsabilité pour qu’il procède à une évaluation, dans le cas, improbable, où les parties ne parviendraient pas à un accord. De toute évidence, il s’agit d’une victoire à la Pyrrhus pour l’appelant. Sous réserve du renvoi au juge de première instance, l’appel est rejeté avec dépens.

Le juge Décary, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

Le juge Marceau, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.