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[1996] 2 C.F. 426

T-2067-88

Les Industries Perlite Inc., Pemtex Inc. et Can-Flo International Corporation, faisant affaires sous le nom de Lantana Peat & Soil (demanderesses)

c.

Les propriétaires du navire Marina Di Alimuri, toutes les autres personnes ayant un droit sur ce navire, le navire Marina Di Alimuri, et Italmare S.p.A. (défendeurs)

Répertorié : Industries Perlite Inc. c. Marina Di Alimuri (Le) (1re inst.)

Section de première instance, juge Nadon — Québec, 2, 3, 4, 5 mai, 15, 16, 17, 18 août, 14 septembre; Montréal, 20, 21, 22 septembre, 20, 21, 22 décembre 1994; Vancouver, 8 décembre 1995.

Droit maritime Transport de marchandises Action pour dommages causés à une cargaison de mousse de tourbeLes demanderesses avaient déclaré que la mousse de tourbe avait un certain coefficient d’arrimage, mais après des pluies abondantes avant et durant le chargement, le coefficient d’arrimage était beaucoup moins élevéUne cloison s’est effondrée durant le chargementUne charte-partie rédigée selon la formule Gencon exonérait les propriétaires du navire de l’obligation absolue de fournir un navire en état de navigabilité et de toute responsabilité découlant du chargement et de l’arrimageLa mousse de tourbe constituait des « marchandises dangereuses » — Le capitaine n’était pas en faute quand il a accepté de charger la cargaison et n’a pas interrompu le chargementIl n’était pas au courant de l’existence d’un danger possibleNi le chargeur ni le transporteur n’étaient au courant du dangerL’obligation qui, en common law, est faite implicitement au chargeur de ne pas transporter de marchandises dangereuses a été appliquée.

Droit maritime Contrats Pemtex a vendu de la mousse de tourbe à Lantana à des conditions franco à bordPerlite a affrété un navire pour le compte d’un mandant anonyme, LantanaPerlite et Italmare (les propriétaires du navire) ont conclu une charte-partie selon la formule GenconRien ne permettait à Perlite de conclure que Italmare ne consentait pas à traiter son mandant anonyme comme une partie au contratLantana et Perlite étaient liées par la charte-partieSelon les conditions franco à bord, le vendeur assume l’entière responsabilité pour les frais et la sécurité des marchandises jusqu’à ce qu’elles aient passé le bastingageLe risque de perte à l’égard de la cargaison chargée à bord était transféré à Lantana; le risque pour ce qui était de la cargaison restée à quai demeurait entre les mains de PemtexLes Règles de La Haye n’étaient pas incorporées dans la charte-partieLa relation entre les affréteurs et les propriétaires était régie par la charte-partie uniquementLa clause 2 décharge les transporteurs de l’obligation absolue de fournir un navire en état de navigabilitéLes clauses 16 et 19 déchargent les propriétaires du navire de la responsabilité des dommages découlant du chargement et de l’arrimageUne fois que les demanderesses ont prouvé que les propriétaires ont reçu la cargaison et qu’elle a été endommagée par la suite, il incombe aux propriétaires de prouver que les dommages résultaient d’une cause dont ils ne sont pas responsables en vertu de la clause 2La perte subie par les demanderesses a été causée par le fait que la mousse de tourbe a exerçé une pression sur la cloison du navire et l’a fait s’effondrerLes défendeurs n’en étaient pas responsables.

Il s’agissait d’une action en dommages-intérêts découlant du transport d’une cargaison de mousse de tourbe. Les demanderesses avaient garanti un coefficient d’arrimage maximal, mais après des pluies abondantes avant et durant le chargement, le coefficient d’arrimage était beaucoup moins élevé. Lorsqu’il en a été informé, le capitaine a modifié son plan d’arrimage. Une cloison s’est effondrée durant le chargement. La cargaison a été déchargée sur un revêtement de gravier. Les demanderesses ont soutenu que les défendeurs n’avaient pas rempli leur obligation de s’assurer que le navire était en état de navigabilité ainsi que leur obligation de charger, d’arrimer, de traiter, de manipuler avec soin, de transporter, de décharger et de livrer leur cargaison de façon sécuritaire. Les défendeurs ont présenté une demande reconventionnelle et allégué que les dommages causés à leur navire découlaient du fait que les demanderesses avaient omis de les informer de la nature dangereuse de la cargaison.

Pemtex avait vendu la mousse de tourbe à Lantana avec des conditions franco à bord. Selon le contrat de vente, Perlite a affrété le navire à titre d’agent pour son mandant anonyme, Lantana. Italmare, à titre de propriétaire du navire, et Perlite, à titre d’affréteur, avaient conclu une charte-partie selon la formule Gencon. La clause 2 prévoyait que le propriétaire du navire ne serait responsable que de la perte ou des dommages causés par un arrimage impropre ou négligent (sauf dans le cas de l’arrimage effectué par les chargeurs ou leurs manutentionnaires), par manque de soin diligent de la part des armateurs ou de leur gérant pour mettre le navire en tous points en état de bonne navigabilité ou par faute personnelle ou manquement des armateurs ou de leur gérant. Elle prévoyait également que le propriétaire du navire n’était responsable d’aucune perte ou d’aucun dommage « provenant du fait de toute autre cause quelle qu’elle soit », même provenant de la négligence ou de la déficience du capitaine, de l’équipage ou de quelque autre préposé ou agent. La clause 16 prévoyait que la cargaison devait être chargée et compensée, « sans risque et sans frais pour le navire ». La clause 19 prévoyait que les affréteurs étaient responsables de tout dommage causé au navire par les manutentionnaires. La clause 32 incorporait dans la charte-partie et dans tous les connaissements délivrés en vertu de celle-ci la clause New Jason, la nouvelle clause d’abordage en cas de faute de part et d’autre, les clauses 1 et 2 de risque de guerre de la chambre de navigation et la clause de soutes du club de protection et d’indemnisation. Elle prévoyait également que les clauses attributives de prépondérance générale canadiennes et américaines devaient aussi être « incorporées dans tous les connaissements délivrés en vertu des présentes ».

L’article 2 de la Loi sur la marine marchande du Canada définit les « marchandises dangereuses » comme étant celles qui, par leur nature, leur quantité ou leur mode d’arrimage, sont susceptibles de compromettre la vie des passagers ou la sécurité du navire.

Il s’agissait de savoir si Lantana était une partie au contrat de charte-partie; si Perlite était liée par les modalités de la charte-partie; si la charte-partie exonérait les défendeurs de toute responsabilité; si le capitaine du navire était fautif quand il a accepté de charger la mousse de tourbe ou quand il a omis d’arrêter les opérations de chargement; si la mousse de tourbe constituait une cargaison dangereuse; et si Lantana et Perlite étaient responsables des dommages causés à la cargaison.

Jugement : l’action doit être rejetée; la demande reconventionnelle intentée contre Perlite et Lantana doit être accueillie; la demande reconventionnelle intentée contre Pemtex doit être rejetée.

Lantana était le mandant anonyme de Perlite et était donc liée par les modalités de la charte-partie. Peu importe qu’un agent divulgue à l’autre partie l’identité du mandant à moins que l’autre partie ne consente pas à considérer un mandant anonyme comme partie au contrat. Rien ne permettait à Perlite de conclure que Italmare ne consentait pas à traiter son mandant anonyme comme une partie au contrat. De plus, Pemtex et Lantana, les parties au contrat de vente, voulaient que Perlite, agissant au nom de Lantana, soit le chargeur de la cargaison, en ce qui concernait le contrat de transport, et que des connaissements soient pris par Perlite, en son nom propre ou au nom de Lantana. Il n’est pas inhabituel, dans le cas d’une vente avec des conditions franco à bord, que l’acheteur assume le rôle de chargeur de la cargaison. Perlite était également liée par les modalités de la charte-partie. Perlite a conclu un contrat avec Italmare et n’a jamais informé ou avisé Italmare qu’elle agissait pour un mandant anonyme. Pemtex n’était pas une partie au contrat de transport. Elle a rempli ses obligations en vertu du contrat de vente en mettant la cargaison à bord du navire au nom de Lantana. Pemtex avait un recours en responsabilité civile délictuelle. En vertu des conditions franco à bord, le vendeur doit acquitter les frais et assumer l’entière responsabilité pour les frais et la sécurité des marchandises jusqu’à ce qu’elles aient passé le bastingage, qui représente le moment où la livraison est effectuée et où le risque de perte des marchandises est transféré à l’acheteur. Le risque de perte à l’égard de la mousse de tourbe chargée à bord du navire était transféré à Lantana. Le risque et le titre pour ce qui est de la cargaison restée à quai demeuraient entre les mains de Pemtex.

Il n’y avait aucun motif pour ne pas donner effet au libellé clair de la clause 2. Il n’existe pas de différence importante entre la clause 13 de Baltime et la clause 2 de Gencon. Les propriétaires du navire ne seront responsables (outre leur responsabilité pour arrimage défectueux) de la perte ou du dommage subi par la cargaison des demanderesses que si la perte ou le dommage découle de leur manque personnel de soin diligent à rendre le navire apte à prendre la mer, ou si la perte ou le dommage à la cargaison résulte d’un acte ou d’un manquement personnel de leur part ou de la part de leurs gérants. Les propriétaires n’engageront aucune responsabilité pour toute perte ou tout dommage à la cargaison causé par la faute ou la négligence de leurs préposés et agents, notamment la faute et la négligence de leur capitaine et de l’équipage. En ce qui concerne la perte ou le dommage résultant de l’incapacité du navire à prendre la mer, la clause prévoit que les propriétaires sont responsables si, en raison d’un manque de diligence raisonnable, ils omettent de rendre le navire apte à prendre la mer. L’objectif de la clause 2 de la charte-partie Gencon est de libérer les propriétaires de leur obligation absolue de fournir un navire apte à prendre la mer. La clause 16 avait pour effet de rendre les affréteurs responsables de la perte ou du dommage découlant d’un arrimage impropre. Les clauses 16 et 19, prises ensemble, avaient pour effet de décharger les propriétaires de toute responsabilité découlant du chargement et de l’arrimage de la cargaison à bord du navire.

Les Règles de La Haye n’ont pas été intégrées dans la charte-partie. Celle-ci ne contenait aucune stipulation prévoyant que les clauses attributives de prépondérance faisaient partie de la charte-partie, sauf dans la mesure où la clause 32 prévoit qu’elles doivent être incorporées dans tous les connaissements délivrés conformément à la charte-partie. Dès lors, la relation entre les affréteurs et les propriétaires était régie uniquement par les modalités de la charte-partie.

Il incombe aux affréteurs de prouver que les propriétaires ont manqué à l’exécution du contrat. Une fois que les demanderesses ont montré que la cargaison a été reçue par les propriétaires et que des dommages y avaient été causés, il incombe aux propriétaires de prouver qu’en réalité les dommages découlaient d’une cause dont la responsabilité ne leur incombe pas en vertu de la clause 2.

La perte subie par les demanderesses a été causée par le fait que la mousse de tourbe a exercé sur la cloison du navire des forces qui l’ont fait s’effondrer. Les défendeurs n’étaient pas responsables de cette cause. La perte des demanderesses ne résultait pas de l’innavigabilité du navire ou d’un acte ou d’un manquement personnel de la part de ses propriétaires ou de la part de leurs gérants.

La teneur en humidité de la cargaison dépassait 90 p. 100 du point d’affaissement, ce qui était plus élevé que le pourcentage réputé sécuritaire par le Code des cargaisons en vrac pour le transport par mer sur un transporteur de marchandises générales. La mousse de tourbe chargée à bord du navire était « susceptible de compromettre la vie des passagers » ou « la sécurité du navire ». Le capitaine n’était pas en faute quand il a accepté de charger la cargaison de mousse de tourbe et n’a pas interrompu les opérations de chargement. Il ne savait pas et n’aurait pas pu savoir quel était le danger que représentait la mousse de tourbe. Il s’attendait à ce que la cargaison soit très légère. Ce n’est qu’après le début du chargement que le capitaine s’est inquiété du ripage éventuel de la mousse de tourbe, mais il ne s’est jamais inquiété du fait que la mousse de tourbe pouvait compromettre la sécurité de son navire à cause de la pression hydrostatique qu’elle pouvait créer. Les demanderesses auraient dû connaître les caractéristiques de leur cargaison et auraient dû en informer les propriétaires du navire avant le chargement de leur cargaison à bord. Ni les défendeurs ni le capitaine ne pouvaient être blâmés de ne pas posséder les connaissances requises au sujet de cette cargaison.

Ni les chargeurs ni le transporteur ne connaissaient les dangers posés par la cargaison qui devait être transportée. La règle générale en common law veut que le chargeur garantisse implicitement de ne pas transporter de marchandises dangereuses sans aviser, au préalable, le transporteur de leurs caractéristiques particulières ou singulières dont il a connaissance ou dont il est réputé avoir connaissance. Si le chargeur omet d’informer les parties concernées des propriétés dangereuses connues de la cargaison, toute responsabilité en matière de dommages, notamment au navire et aux autres cargaisons, lui incombera. Cette responsabilité est modifiée lorsque le transporteur, les membres de l’équipage ou les armateurs auraient dû connaître de façon raisonnable la nature dangereuse de la cargaison. L’exception est fondée sur le consentement à assumer certains risques liés à la cargaison. Même si les demanderesses n’étaient pas au courant de la nature dangereuse de leur cargaison, elles étaient responsables des dommages causés au navire.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Convention internationale pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement et Protocole de signature, Bruxelles, 25 août 1924 (Règles de La Haye), art. 4, règle 6.

Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9, art. 2 « marchandises dangereuses » ou « marchandises de nature dangereuse ».

Loi sur le transport des marchandises par eau, S.R.C. 1970, ch. C-15.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Teheran-Europe Company, Ltd. v. S. T. Belton (Tractors), Ltd., [1968] 2 Lloyd’s Rep. 37 (C.A.); Pyrene Co. Ld. v. Scindia Navigation Co. Ld., [1954] 2 Q.B. 402; Gesellschaft Burgerlichen Rechts and Others v. Stockholms Rederiaktiebolag Svea, [1965] 2 Lloyd’s Rep. 546 (Q.B. (Com. Ct.)); Sucrest Corp. v. M/V Jennifer, 455 F.Supp. 371 (N.D. Me. 1978); Brass v. Maitland (1856), 119 E.R. 940 (Q.B.); Bamfield v. Goole and Sheffield Transport Company, [1910] 2 K.B. 94 (C.A.); Giannis N.K., The, [1994] 2 Lloyd’s Rep. 171 (Q.B. (Com. Ct.)); Government of Ceylon v. Chandris, [1965] 2 Lloyd’s Rep. 204 (Q.B. (Com. Ct.)); Canadian Transport Co., Ld. v. Court Line, Ld., [1940] A.C. 934 (H.L.); Itoh& Co. Ltd. v. Atlantska Plovidba (The Gundulic), [1981] 2 Lloyd’s Rep. 418 (Q.B. (Com. Ct.)); Great Northern Railway Co. v. L. E. P. Transport and Depository, [1922] 2 K.B. 742 (C.A.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Anglo-Saxon Petroleum Company, Ltd. v. Adamastos Shipping Company, Ltd., [1958] 1 Lloyd’s Rep. 73 (H.L.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Mitchell, Cotts & Co. v. Steel Brothers & Co., [1916] 2 K.B. 610; Athanasia Comninos and Georges Chr. Lemos, The, [1990] 1 Lloyd’s Rep. 277 (Q.B. (Com. Ct.)); Amphion, The, [1991] 2 Lloyd’s Rep. 101 (Q.B. (Com. Ct.)).

DÉCISIONS CITÉES :

Sze Hai Tong Bank Ltd. v. Rambler Cycle Co. Ltd., [1959] A.C. 576 (P.C.); Photo Production Ltd. v. Securicor Transport Ltd., [1980] A.C. 827 (H.L.); Stock v. Inglis (1884), 12 Q.B.D. 564 (C.A.); Wilson (J. Raymond) & Co., Ltd. v. Norman Scratchard, Ltd. (1944), 77 Ll. L. Rep. 373 (K.B.); Overseas Transportation Company v. Mineralimportexport (The Sinoe), [1972] 1 Lloyd’s Rep. 201 (C.A.); Williams v. East India Company (1802), 102 E.R. 571 (K.B.); Acatos v. Burns (1878), 3 Ex. D. 282 (C.A.); Transoceanica Society Italiana di Navigazione v. Shipton & Sons, [1923] 1 K.B. 31.

DOCTRINE

Cooke, Julian et al. Voyage Charters. London : Lloyd’s of London Press, 1993.

Sassoon, David M. C.I.F. and F.O.B. Contracts, 3rd ed. London : Stevens & Sons, 1984.

Tetley, William. Marine Cargo Claims, 3rd ed. Montréal : Y. Blais, 1988.

Wilson, John F. Carriage of Goods by Sea. London : Pitman, 1988.

ACTION en dommages-intérêts résultant des dommages causés à une cargaison de tourbe pour le motif que les défendeurs ne s’étaient pas assurés que le navire était en état de navigabilité et n’avaient pas chargé, arrimé, traité, manipulé avec soin, transporté, déchargé et livré leur cargaison de façon sécuritaire; demande reconventionnelle alléguant que les dommages causés au navire découlaient du fait que les demanderesses ne les avaient pas informés de la nature dangereuse de la cargaison. Action rejetée; demande reconventionnelle accueillie.

AVOCATS :

Nick Spillane pour les demanderesses.

John G. O’Connor pour les défendeurs.

PROCUREURS :

McMaster, Meighen, Montréal, pour les demanderesses.

Langlois Robert, Québec, pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Nadon :

NOTE DE L’ARRÊTISTE #1

Le directeur général a décidé que les motifs du jugement d’une longueur de 100 pages seraient publiés sous une forme abrégée. Ce jugement présente un intérêt en raison premièrement du commentaire qu’il contient sur les formules Gencon et Baltime de la charte-partie en ce qui concerne l’exonération des propriétaires du navire de l’obligation de fournir un navire en état de naviguer et deuxièmement de l’exposé du droit qu’il fait en ce qui a trait à la garantie implicite des chargeurs de ne pas charger des marchandises dangereuses sans informer le transporteur de leurs caractéristiques particulières. Trois parties des motifs ont été remplacées chacune par un très court résumé. Les trois parties omises sont : (1) la nature des procédures intentées et les faits de la cause; (2) l’examen des témoignages portant sur les raisons pour lesquelles la cloison s’est effondrée et (3) les pertes subies par les demanderesses et le montant des dommages-intérêts.

NOTE DE L’ARRÊTISTE #2

Les demanderesses ont intenté contre les défendeurs une action pour les dommages découlant du chargement d’une cargaison de mousse de tourbe. Une cloison entre deux cales s’est effondrée durant le chargement de la cargaison, de sorte qu’environ la moitié de la cargaison se trouvant dans la cale numéro un s’est déplacée dans la cale numéro deux. À cause de l’état du navire, la Garde côtière canadienne n’a pas permis au bâtiment de partir et la cargaison a dû être déchargée. Les demanderesses ont dit que le navire n’était pas en état de naviguer et apte à voyager et que les défendeurs n’ont pas chargé et arrimé la cargaison de façon sécuritaire. Dans leur demande reconventionnelle, les défendeurs ont allégué que les dommages causés à leur navire découlaient de l’inexécution, par les demanderesses, du contrat de transport puisqu’elles ne les avaient pas informés de la nature dangereuse de la cargaison.

Perlite et Pemtex, deux des demanderesses, sont des compagnies québécoises tandis que Can-Flo (faisant affaires sous le nom de Lantana Peat & Soil) a été constituée en compagnie conformément aux lois de la Floride. Perlite était inactive; Pemtex avait été constituée en compagnie en vue de l’exploitation d’une tourbière et de l’expédition de la mousse en Floride. Lantana mélange de la mousse de tourbe à de la terre dans le but de vendre ce produit à des clubs de golf et à d’autres clients. La tourbe est une substance végétale décomposée par l’eau et en partie carbonisée, qui est enlevée des tourbières par découpage. Auparavant, la tourbe était expédiée par camion. C’était la première fois qu’elle devait être transportée par vraquier. Les mandants des demanderesses n’avaient aucune expérience dans le domaine du transport de marchandises par mer, mais l’un d’eux, Germain, a assuré le courtier d’affrètement maritime que le coefficient d’arrimage de la mousse de tourbe ne dépasserait pas les 55 pieds cubes par tonne métrique. La cargaison qui devait être expédiée était décrite dans la charte-partie comme de l’« humus inoffensif en vrac ». La cargaison devait être chargée « sans risque et sans frais pour le navire ». Il y a eu des pluies abondantes pendant le transport de la mousse de tourbe jusqu’au quai et pendant le chargement lui-même. Le capitaine du navire s’attendait à une cargaison aussi sèche que de la sciure, mais il a remarqué que la cargaison en cours de chargement était « complètement mouillée ». Il a en outre observé que la cargaison ne formait pas un amas conique comme une cargaison céréalière mais qu’elle était affaissée. Il a conclu qu’il était possible que la cargaison ripe. Les demanderesses ont ensuite informé le capitaine qu’il était possible que le coefficient d’arrimage soit seulement de 40 à 45 pieds cubes par tonne métrique. Le capitaine a modifié son plan d’arrimage en chargeant la mousse de tourbe dans des cales en alternance. Ce plan d’arrimage révisé a été approuvé au nom des propriétaires du navire. La cloison a soudainement cédé au cours du chargement. Les demanderesses ont fait valoir que leur cargaison était devenue une perte totale. La cargaison a été déchargée sur un revêtement de gravier et a été ainsi contaminée. Elles n’ont pas pu affréter un autre navire parce que la saison était déjà bien avancée. Les défendeurs ont soutenu que la cargaison ne pouvait pas être transportée par un vraquier et qu’elle a été contaminée parce que les demanderesses ne l’ont pas protégée.

ANALYSE

1.         Les parties au contrat de transport

Pendant l’été 1988, Germain a rencontré Keith Cavanaugh de Gibson pour trouver un navire convenable pour transporter la mousse de tourbe en Floride. Le Marina Di Alimuri était le deuxième navire proposé à Germain et à ses associés. Il faut se rappeler que Gibson leur avait offert, au départ, le Frota America au début d’août 1988, mais que ce navire n’avait pas été jugé convenable. Lorsque Gibson a communiqué avec Germain au début d’octobre à l’égard du Marina Di Alimuri, Germain, après avoir consulté Caruso, a avisé Gibson qu’« ils » prendraient ce navire.

Ainsi, une charte-partie sur une formule Gencon a été conclue entre Italmare, à titre de propriétaires du navire, et Perlite, comme affréteurs, en date du 4 octobre 1988. Même si la charte-partie n’avait pas encore été signée par Perlite au moment où la cloison s’est effondrée le 28 octobre 1988[1], je n’hésite pas à conclure que les modalités de celle-ci lient les propriétaires et les affréteurs.

Comme je l’ai déjà mentionné, le 4 octobre 1988, Gibson, après avoir discuté avec Germain, a confirmé aux propriétaires que Perlite acceptait le navire. Le télex de Gibson énonce les conditions essentielles de l’entente conclue entre les parties. Avant l’incident, et au moins avant le 18 octobre, Germain et Caruso avaient vu la charte-partie et en avaient, à mon avis, accepté les conditions. À cet égard, je voudrais faire référence à la clause 4 du contrat de vente qui se lit ainsi :

[traduction] Le contrat d’affrètement entre Italmare SPA (Italie), propriétaires et LES INDUSTRIES PERLITE INC., Ville Saint-Pierre (Québec), affréteurs, dont LANTANA PEAT & SOIL a obtenu copie, fait partie intégrante de la présente entente, y compris les différentes clauses qui y sont jointes, le contrat ci-dessus ayant déjà été approuvé par vous.

Autrement dit, à compter du 18 octobre 1988, Germain et Caruso avaient des copies de la charte-partie et de fait, convenus d’être liés par les modalités de celle-ci.

Les défendeurs soutiennent que la charte-partie a été conclue par Perlite au nom de Lantana. À l’appui de cet argument, l’avocat des défendeurs m’a présenté la clause 2 du contrat de vente entre Pemtex et Lantana. La partie de la clause 2 pertinente à l’argument de l’avocat se lit comme suit :

[traduction] Prix pour le fret : 7 50 $ US par tonne métrique, entièrement payable à la signature des connaissements à « LES INDUSTRIES PERLITE INC. » qui a affrété le navire pour LANTANA PEAT & SOIL et conformément à vos directives, que vous avez déjà acceptées.

Cette clause, selon l’avocat, indique clairement que Lantana avait autorisé Perlite à conclure la charte-partie en son nom. Je suis d’accord avec l’argument de l’avocat.

L’on ne peut douter que Lantana ait autorisé Perlite à conclure, en son nom, le contrat de charte-partie. La clause 2 du contrat de vente montre clairement que Lantana a accepté les modalités de la charte-partie. Je devrais aussi ajouter que ces modalités ont été incluses dans le contrat de vente entre Pemtex et Lantana.

J’en suis arrivé à la conclusion que Perlite a, en fait, affrété le navire en tant qu’agent pour son mandant anonyme, Lantana. Pour en arriver à cette conclusion, j’ai tenu compte de la clause 2 du contrat de vente et de l’ensemble des dispositions conclues entre Perlite, Pemtex et Lantana.

Germain détenait personnellement les « concessions » pour la prospection et l’extraction de mousse de tourbe dans la tourbière. Il a loué ces droits à Terrassement Mingan qui a, par la suite, entrepris d’extraire la tourbe et de l’expédier depuis la tourbière au port de chargement. Després a déclaré dans son témoignage qu’après l’extraction et l’expédition de la tourbe à Sept-Îles, Terrassement Mingan l’avait immédiatement vendue à Pemtex. En conséquence, lorsque la tourbe est arrivée au quai d’IOC, Pemtex en était propriétaire. Il faut se souvenir que, selon Després, Pemtex avait été constituée en société[2] afin de vendre et d’expédier de la tourbe à Lantana en Floride; c’était là son activité commerciale.

Il faut aussi se souvenir que selon Germain, Perlite, dont il possédait toutes les actions, était une société inactive. Perlite n’était ni le vendeur ni l’acheteur de la tourbe. Perlite était, en fait, la société personnelle de Germain. Ni Després ni Caruso ne possédaient un intérêt dans Perlite.

La clause 2 du contrat de vente stipule ce qui devrait être évident, c’est-à-dire que Perlite, lorsqu’elle a affrété le navire, agissait comme agent au nom d’un mandant. Perlite ne pouvait avoir agi qu’au nom de Pemtex ou de Lantana, les mandants de ce contrat de vente et les parties intéressées par la tourbe. À mon avis, dans la clause 2 du contrat de vente, Pemtex et Lantana ont consigné ce qu’elles croyaient être le rôle de Perlite dans l’affrètement du navire. La clause 2 du contrat de vente stipule clairement que Perlite affrétait le navire pour Lantana, selon les directives de Lantana.

Je suis donc d’avis que Lantana était le mandant anonyme de Perlite et, qu’en conséquence, elle est liée par les modalités de la charte-partie. Dans l’arrêt Teheran-Europe Company, Ltd. v. S. T. Belton (Tractors), Ltd., [1968] 2 Lloyd’s Rep. 37 (C.A.), à la page 41, lord Diplock a déclaré ceci :

[traduction] Lorsqu’un agent est … habilité et conclut un contrat avec une autre partie, en ayant l’intention de le faire au nom de son mandant, il n’importe pas de savoir s’il divulgue à l’autre partie l’identité du mandant, ou même s’il conclut vraiment un contrat au nom d’un mandant, si l’autre partie est prête, ou amène l’agent à croire qu’elle est prête à considérer comme partie au contrat, toute personne au nom de laquelle un agent peut avoir été autorisé à conclure un contrat. Dans le cas d’un contrat commercial ordinaire, cette volonté de l’autre partie peut être présumée par l’agent, à moins que l’autre partie ne manifeste sa volonté ou que d’autres circonstances n’amènent l’agent à réaliser que l’autre partie n’est pas prête.

En l’espèce, il n’existe, à mon avis, aucune circonstance qui aurait permis à Perlite de conclure que Italmare ne consentait pas à traiter son mandant anonyme comme une partie au contrat.

Je suis aussi d’avis que les parties au contrat de vente voulaient que Perlite, agissant à nouveau au nom de Lantana, soit le chargeur de la cargaison, en ce qui concerne le contrat de transport, et que des connaissements soient pris par Perlite, en son nom propre ou au nom de Lantana. Cet arrangement n’est pas surprenant vu que Lantana achetait la mousse avec des conditions franco à bord. Dans l’arrêt Pyrene Co. Ld. v. Scindia Navigation Co. Ld., [1954] 2 Q.B. 402, à la page 424[3], le juge Devlin a expliqué qu’il n’était pas inhabituel, dans le cas d’une vente avec des conditions franco à bord, que l’acheteur assume le rôle de chargeur de la cargaison. Il l’a ainsi expliqué :

[traduction] Le contrat franco à bord est devenu un instrument souple. Dans … le type classique … par exemple, dans l’arrêt Wimble, Sons & Co. Ld. v. Rosenberg & Sons, l’obligation de l’acheteur consiste à désigner un navire et l’obligation du vendeur à mettre les marchandises à bord au nom de l’acheteur et à fournir un connaissement aux conditions habituelles dans le secteur d’activité. Dans un tel cas, le vendeur est directement une partie au contrat de transport, au moins jusqu’à ce qu’il reprenne le connaissement au nom de l’acheteur. Il est probable que le type classique repose sur le principe voulant que le navire désigné charge volontiers les marchandises transportées jusqu’au poste à quai et, à tout le moins, les marchandises dont les propriétaires du navire ont été informés. Dans les conditions actuelles, alors que l’espace doit souvent être retenu bien à l’avance, le contrat de transport prend naissance plus tôt. Il arrive que l’on demande au vendeur de prendre les dispositions nécessaires, et le contrat peut alors prévoir que celui-ci signe le connaissement en son nom propre et obtient le paiement au moment du transfert, comme dans un contrat coût, assurance, fret. Autrement, si l’acheteur engage parfois son propre transitaire au port de chargement pour louer l’espace et fournir le connaissement; s’il faut payer le fret à l’avance, cette méthode peut se révéler la plus pratique. Dans un tel cas, le vendeur s’acquitte de son obligation s’il met les marchandises à bord du navire, reçoit le reçu de bord et le remet au transitaire afin de lui permettre d’obtenir le connaissement.

Dans C.I.F. and F.O.B. Contract, (3e édition), British Shipping Laws, vol. 5, 1984, Stevens and Sons, à la page 388, paragraphe 511, David M. Sassoon énonce les obligations d’un vendeur et d’un acheteur en vertu d’un contrat franco à bord, selon la définition de la Chambre de commerce internationale. Le savant auteur décrit ainsi la première obligation de l’acheteur :

[traduction] 1. À ses propres frais, affréter un navire ou réserver l’espace nécessaire à bord d’un navire et donner au vendeur une notification en bonne et due forme du nom du navire, de son poste de chargement et des dates de livraison.

Le savant auteur déclare aussi que l’acheteur doit assumer tous les coûts et supporter tous les risques, à partir du moment où la cargaison passe le bastingage au port d’embarquement. C’est effectivement ce que prévoit la clause 5 du contrat de vente conclu entre Pemtex et Lantana. Le contrat de vente exigeait aussi que Lantana rembourse les coûts de fret versés par Perlite relativement à la charte-partie.

Ainsi, je suis d’accord avec l’argument des demanderesses selon lequel Lantana est une partie au contrat de charte-partie conclu par Perlite.

Je suis aussi d’avis que Perlite est liée par les modalités de la charte-partie. Perlite a conclu un contrat avec Italmare et n’a jamais informé ou avisé Italmare qu’elle agissait pour une partie anonyme. Même si la charte-partie n’a été signée par Perlite qu’après l’effondrement de la cloison, je suis tout de même d’avis que Perlite est partie au contrat. Lorsque Germain a signé la charte-partie au nom de Perlite, il n’a aucunement indiqué que Perlite signait le document à titre de mandataire.

Dans la mesure où Pemtex est visée, je suis d’avis qu’elle n’était pas une partie au contrat de transport. Pemtex a rempli ses obligations en vertu du contrat de vente en mettant la cargaison à bord du navire au nom de Lantana. Par conséquent, Pemtex aurait un recours, le cas échéant, en responsabilité civile délictuelle.

2.         Propriété de la cargaison.

Lorsque la cloison s’est effondrée, 10 534,3 tonnes métriques de mousse de tourbe avaient déjà été chargées à bord du navire. Approximativement 13 000 tonnes métriques de mousse de tourbe se trouvaient sur le quai d’IOC et attendaient d’être chargées.

Comme je l’ai déjà mentionné, Pemtex a vendu la mousse de tourbe à Lantana à Sept-Îles avec des conditions franco à bord. Le prix d’achat de la cargaison était payable à Pemtex à la signature des connaissements. À mon avis, Pemtex et Lantana ont conclu un véritable contrat franco à bord, comme David M. Sassoon l’explique, dans son document C.I.F. and F.O.B. Contracts, précité, au paragraphe 438 de la page 331 :

[traduction] Dans les deux jugements[4], les deux caractéristiques fondamentales du contrat franco à bord sont précisées, savoir a) que le vendeur doit acquitter les frais et assumer la responsabilité de mettre les marchandises « franco à bord », autrement dit, assumer l’entière responsabilité pour les frais et la sécurité des marchandises jusqu’à ce qu’elles aient passé le bastingage; et b) qu’une fois que cela est fait, la livraison est effectuée et le risque de perte des marchandises est à ce moment-là transféré à l’acheteur.

Dès lors, je suis d’avis que le risque de perte à l’égard des 10 534,3 tonnes métriques chargées à bord du navire était transféré à Lantana une fois les marchandises chargées. Pour ce qui est de la cargaison restée à quai, je suis d’avis que le risque et le titre demeuraient entre les mains de Pemtex.

3.         L’action des demanderesses.

a)         Le contrat de charte-partie.

Comme je l’ai déjà mentionné, Perlite et Lantana sont liées par les conditions de la charte-partie en date du 4 octobre 1988 selon laquelle Italmare, à titre de propriétaire du navire, a convenu et s’est engagée à transporter la cargaison de mousse de tourbe de Sept-Îles à Port Everglades en Floride.

Dans leur déclaration, les demanderesses allèguent que leur perte découle de l’innavigabilité du navire, et que les défendeurs ne se sont pas acquittés de leur obligation de s’assurer que le navire était, en tous points, en état de bonne navigabilité et adapté au voyage prévu. Les demanderesses allèguent aussi que les défendeurs ne se sont pas acquittés de leur obligation de charger, d’arrimer et de manipuler de façon sécuritaire la cargaison des demanderesses. De façon plus particulière, les demanderesses allèguent que la cloison entre les cales numéros 1 et 2 s’est effondrée du fait qu’elle n’était pas suffisamment forte puisqu’elle était tellement corrodée qu’elle ne pouvait supporter les forces qu’aurait pu supporter une cloison conforme aux conditions de navigabilité.

Par ailleurs, les défendeurs, en plus de nier toutes les allégations des demanderesses, présentent une demande reconventionnelle à l’encontre de celles-ci et allèguent que les dommages causés à leur navire résultent de l’inexécution de la charte dans le sens où les demanderesses ont chargé une cargaison de nature dangereuse sans avis approprié. Je traiterai, à part, dans une autre section, de la demande reconventionnelle des défendeurs. La présente section se limitera à l’action des demanderesses à l’encontre des défendeurs.

Au vu des allégations des demanderesses, les clauses suivantes de la charte-partie sont pertinentes :

[traduction]

2.   Les armateurs seront responsables des pertes ou dommages subis par les marchandises, ou pour le retard dans la livraison des marchandises, seulement dans le cas où la perte, le dommage ou le retard aura été causé par un arrimage impropre ou négligent (sauf dans le cas de l’arrimage effectué par les chargeurs ou leurs manutentionnaires, ou leurs employés), ou par manque de soin diligent de la part des armateurs ou de leur gérant pour mettre le navire en tous points en état de bonne navigabilité et s’assurer qu’il est convenablement armé, équipé et approvisionné, ou par faute personnelle ou manquement des armateurs ou de leur gérant.

Et les armateurs ne sont responsables d’aucune perte, d’aucun dommage ou retard provenant du fait de toute autre cause quelle qu’elle soit, même provenant de la négligence ou de la déficience du capitaine, de l’équipage ou de quelque autre personne au service des armateurs, à bord ou à terre, dans des actes dont ils seraient responsables cette clause mise à part, ou du fait que le navire n’est pas en état de bonne navigabilité, au moment de l’embarquement ou au commencement du voyage ou à quelque autre moment que ce soit.

Les dommages causés par contact, coulage, odeur ou évaporation provenant d’autres marchandises, ou par la nature inflammable ou explosive, ou l’emballage insuffisant, d’autres marchandises, ne seront pas considérés comme étant causés par impropriété ou négligence d’arrimage, même si en fait il en est ainsi.

16. La cargaison doit être chargée et compensée, sans risque et sans frais pour le navire, au taux de 10 000 tonnes métriques par jour ouvrable de temps favorable, y compris les dimanches et jours fériés.

19. Tout dommage subi par le navire en raison de la négligence des manutentionnaires doit être dûment justifié par le capitaine du navire et signifié par écrit aux manutentionnaires ou affréteurs ou à leurs agents. Les propriétaires s’efforceront de régler les actions en dommages-intérêts pour les dommages causés par les manutentionnaires avec ceux-ci, et à défaut, les affréteurs seront responsables en dernier lieu.

32. La clause New Jason, la nouvelle clause d’abordage en cas de faute de part et d’autre, les clauses 1 et 2 de risque de guerre de la chambre de navigation, la clause de soutes du club de protection et d’indemnisation, ci-jointes, sont réputées faire partie intégrante de la présente charte-partie et doivent être incluses dans tous les connaissements délivrés en vertu de la présente charte-partie. Les clauses attributives de prépondérance générale (1982), canadiennes et américaines (selon le cas) ci-jointes, doivent aussi être incorporées dans tous les connaissements délivrés en vertu des présentes.

Conformément à la clause 2 de la charte-partie, le propriétaire du navire ne sera responsable pour la perte ou le dommage subi par la cargaison que lorsque la perte ou le dommage résulte :

a) d’un arrimage incorrect ou négligent, sauf s’il est effectué par l’affréteur ou ses manutentionnaires;

b) de l’innavigabilité en raison d’un manque de soin diligent de la part des propriétaires ou de leurs gérants pour mettre le navire, en tous points, en état de bonne navigabilité;

c) d’un acte personnel ou d’un manquement des propriétaires ou de leurs gérants.

La clause stipule expressément que les propriétaires ne sont pas responsables de la perte ou du dommage subi par la cargaison « provenant du fait de toute autre cause, quelle qu’elle soit », y compris de la faute ou de la négligence du capitaine ou de l’équipage et des préposés ou agents.

Dans l’ouvrage Voyage Charters, 1993, Lloyds of London Press, les auteurs font les commentaires suivants, à la page 153, à l’égard de la clause 2 de la charte-partie Gencon :

[traduction] La clause 2 de la formule Gencon est sans doute énoncée en des termes larges et généraux. La principale question générale est de savoir si les tribunaux l’interpréteront de façon à diminuer la portée et la généralité de la protection que les termes clairs et généraux semblent donner aux armateurs. Dans une génération antérieure, on aurait prédit que les mots n’auraient pas une si large portée.

Les auteurs discutent ensuite de l’arrêt du Conseil privé Sze Hai Tong Bank Ltd. v. Rambler Cycle Co. Ltd., [1959] A.C. 576, à l’appui de leur avis selon lequel [traduction] « dans une génération antérieure », les tribunaux auraient été réticents à rendre exécutoires les termes clairs de la clause 2 de la charte-partie Gencon. Ils poursuivent ensuite en discutant de la décision de la Chambre des lords dans l’arrêt Photo Production Ltd. v. Securicor Transport Ltd. , [1980] A.C. 827, ce qui les amène à conclure ainsi, à la page 154 :

[traduction] À de nombreux égards importants, les grandes lignes de la clause dans cette affaire étaient les mêmes que celles de la clause 2 de la formule Gencon, savoir l’exonération de la responsabilité fondée sur la faute qui n’était pas personnelle à l’armateur ou à l’employeur.

La Chambre des lords n’a pas fait référence à l’arrêt Sze Hai Tong Bank Ltd. v. Rambler Cycle Co. Ltd. en particulier, mais on pourrait dire que la méthode utilisée par le Conseil privé correspond à la définition de « bridage » d’une construction, utilisée par lord Diplock. Si la méthode utilisée par le Conseil privé devait être appliquée dans le cas d’une réclamation présentée par un affréteur pour la livraison fautive de marchandises, l’armateur ne serait probablement pas protégé par les dispositions de la clause 2 mais, en revanche, si la méthode utilisée dans l’arrêt Securicor est appliquée, il semble que les armateurs ne seraient pas responsables de cette perte. D’après la tendance actuelle de la jurisprudence, il faut dire que cette dernière solution semble clairement la plus probable. Il se peut donc que certaines décisions antérieures dans lesquelles les termes clairs de la clause n’ont pas été appliqués devraient faire l’objet d’un nouvel examen. Voir aussi la page 156 (ci-dessous) au sujet de la perte physique et du dommage « provenant du fait de toute autre cause, quelle qu’elle soit ».

À mon avis, il n’y a aucun motif, et aucun ne m’a été présenté par l’avocat des demanderesses, pour ne pas donner effet au libellé clair de la clause 2. La signification d’une clause très semblable à la clause 2 de la formule Gencon a été examinée par le juge McNair dans l’arrêt Gesellschaft Burgerlichen Rechts and Others v. Stockholms Rederiaktiebolag Svea, [1965] 2 Lloyd’s Rep. 546 (Q.B. (Com. Ct.)) (ci-après le Brabant). Dans cette affaire [à la page 546], la clause examinée était la clause 13 de la formule Baltime, qui se lit comme suit :

[traduction] 13. Les armateurs ne seront responsables … pour perte ou dommage des marchandises à bord, que si [cette] … perte a été occasionné[e] par un défaut de la diligence incombant aux armateurs ou à leurs gérants dans la mise du navire en bon état de navigabilité et dans son équipement pour le voyage ou par tout autre acte ou omission personnel ou manquement des armateurs ou de leurs gérants. Les armateurs ne seront responsables dans aucun autre cas, ni pour dommages … quels qu’ils soient ou de quelque manière qu’ils soient causés, même s’ils sont occasionnés par la négligence ou le manquement de leurs préposés…

Les faits de cette affaire étaient qu’un navire, le Brabant, avait été affrété avec une formule Baltime pour transporter de la pâte de bois et du papier. Toutefois, l’équipage avait omis de nettoyer comme il se doit les cales pour enlever le poussier de houille, ce qui avait causé des dommages à la cargaison des demandeurs. L’affaire a été présentée au juge McNair de la Chambre du Banc de la Reine (Cour commerciale) par le biais d’une affaire spéciale, conformément à ce qui avait été convenu. Les parties ont stipulé, entre autres, que [à la page 549] :

[traduction] Le fait de ne pas avoir enlevé le poussier de houille des cales du navire avant le chargement de la pâte de bois n’était pas dû à un acte ou à une omission personnel, à un manquement ou à une négligence des premiers demandeurs (à titre d’armateurs) ou des deuxième, troisième et quatrième demandeurs (à titre de gérants). Néanmoins, du fait de la présence de ce poussier de houille, les cales n’ont pas été bien nettoyées avant le chargement de la cargaison de pâte de bois. Il a été convenu que cela était dû à la négligence des agents ou des préposés des demandeurs, malgré les difficultés à faire le nettoyage approfondi des cales à l’époque en cause vu les basses températures qui sévissaient.

Autrement dit, les parties reconnaissent que les dommages ne découlaient pas de la faute personnelle des propriétaires du navire ou de leurs gérants, mais seulement de celle de l’équipage. Le juge McNair a conclu qu’en vertu de la clause 13 de la formule Baltime, le manquement des préposés ou des agents des propriétaires ne rendait pas ceux-ci responsables. Néanmoins, le juge McNair a jugé que les propriétaires étaient responsables en vertu d’une autre clause de la charte-partie.

Aux fins des présentes, les mots du juge McNair, consignés aux pages 553 à 555, sont pertinents, et ils se lisent comme suit :

[traduction] J’examine maintenant l’interprétation de la clause 13 et, à cet égard, j’ai été renvoyé au jugement édifiant du juge Walsh dans l’affaire Westfal-Larsen & Co., A/S v. Colonial Sugar Refining Company, Ltd., [1960] 2 Lloyd’s Rep. 206, de la Cour suprême du pays de Galles. Brièvement, les faits dans cette affaire étaient les suivants : le navire des demandeurs, le vapeur Evanger, a été affrété aux défendeurs pour le transport de sucre conformément à des conditions voulant que le navire soit livré selon les exigences pour le service de fret ordinaire, et il était prévu une clause d’exonération dans les mêmes termes que la clause 13 de la présente charte. À la livraison, du fait de la négligence de l’ingénieur en chef mais en l’absence de manquement personnel de la part des armateurs, le diesel-navire à bord, au moment où le navire a été remis était inapte, ce qui a eu pour effet que, dans un passage de transport de fret, le navire n’a pu maintenir sa vapeur et a dérivé, hors de contrôle. Des avaries communes ont ainsi été subies. Dans le cadre de l’action, les demandeurs ont réclamé aux défendeurs la proportion des frais d’avaries communes qui peut être facturée sur leur expédition de la cargaison. Leur droit de recouvrer dépendait du fait que les propriétaires étaient ou non protégés par la clause d’exonération et, par son jugement, le savant juge a accueilli cette demande. Dans son jugement, le passage le plus pertinent se trouve à la p. 210. Commençant au bas de la première colonne, il déclare :

La clause 13 n’est pas énoncée de façon heureuse et, quelle que soit la façon dont elle est examinée, il semble qu’elle soit quelque peu redondante dans son expression. Mais, j’ai conclu qu’elle décharge le demandeur de l’obligation que le défendeur tente de faire valoir contre lui.

Je pense que l’on peut dire que la clause comporte deux aspects, dont l’un peut être appelé son aspect positif et l’autre, son aspect négatif. Elle commence par définir une zone de responsabilité pour le retard et pour la perte ou le dommage des marchandises. Cette définition apparaît dans la première phrase de la clause, laquelle se divise en deux parties. L’une des parties de cette zone ainsi définie consiste dans la responsabilité pour le retard ou la perte causé par un manque de soin diligent de la part des armateurs ou des gérants dans la mise du navire en bon état de navigabilité. La deuxième partie comprend la responsabilité pour tout autre acte ou omission personnel ou manquement des armateurs ou de leurs gérants. Je crois qu’il est probable que s’il n’y avait eu que la première partie de la phrase et qu’elle avait été la seule disposition à cet égard, l’interprétation soutenue par le défendeur aurait été fondée sur celle-ci. Même dans ce temps-là, il aurait été difficile de juger les mots « des armateurs » comme incluant les armateurs, leurs préposés ou agents, du fait de l’inclusion dans la clause des mots « ou de leurs gérants ». Mais la difficulté devrait probablement être réglée à l’encontre des armateurs. Mais, puisque la deuxième partie de la première phrase a été ajoutée, et qu’elle comprend les mots « autre » et « personnel », je pense que la conclusion doit être que la première partie vise le manquement personnel de la part des armateurs ou de leurs gérants et qu’elle s’y limite. Dans l’ensemble, la première phrase limite la zone de responsabilité à un manque de soin diligent des armateurs ou de leurs gérants et à tout autre acte ou omission personnel ou manquement des armateurs. La zone de responsabilité ainsi définie est l’ensemble de la zone de responsabilité, comme elle est décrite par les mots « ne … que » et, pour tout manquement qui n’est pas visé par ce membre de phrase, les armateurs ne sont pas responsables, dans le sens où ils ne sont pas responsables pour la perte ou le dommage des marchandises ou pour tout retard qui résulte de ce manquement.

Si l’interprétation de cette clause par le savant juge est correcte, une question à laquelle je ne répondrai pas pour le moment, il me semblerait que le fait de soutenir que la clause ainsi interprétée s’appliquait dans les faits de l’espèce à la clause 28 comme je l’ai interprétée, cela reviendrait presque entièrement à priver la clause de tout effet et, en particulier, ce serait en conflit direct avec les termes exprès à l’égard du risque prévus dans cette clause. Il est difficile de concevoir des cas dans lesquels les armateurs pourraient être coupables de manquement personnel dans la procédure du nettoyage approprié des cales, puisque ce travail doit, nécessairement, être fait par l’équipage. Avec tout le respect que j’ai pour l’avocat des armateurs, il me semble que l’interprétation proposée par l’avocat ne donne pas l’effet opportun au langage utilisé et que ses exemples de l’application limitée de cette clause sont tirés par les cheveux et fantasques et ne peuvent avoir constitué l’intention du rédacteur de la clause. En conséquence, je conclus que la clause 28, avec l’interprétation que je lui ai donnée, a préséance sur la clause 13, en admettant aux fins de cette partie de l’argument que le jugement du juge Walsh est correct. Sur ce point de vue, le jugement du juge Wright dans l’affaire The Istros (Owners) v. F. W. Dahlstroem & Co., [1931] 1 K.B. 247; (1930) 38 Ll. L.Rep. 84, se distingue puisque, dans cette affaire, il n’a nullement été soulevé de conflit entre la clause imprimée et la clause dactylographiée ou manuscrite.

M. Kerr, au nom des défendeurs, a toutefois avancé un argument selon lequel les défendeurs pourraient avoir gain de cause en vertu de la clause 13 sans se fonder sur la clause 28 à condition que (1) la décision du juge Walsh dans l’affaire Westfal-Larsen ait été erronée et ne doive pas être suivie, et que, (2) selon la véritable interprétation de la clause 13, les demandeurs, d’après les faits énoncés, doivent être rendus responsables pour dommage à la cargaison en raison de la nature souillée des cales et de l’espace à cargaison, sans égard à la clause 28. L’argument à l’appui de cette observation suit les lignes suivantes : (1) l’inaptitude des cales et de l’espace à cargaison à recevoir la cargaison prévue au moment du chargement constituait une violation de la garantie du bon état de navigabilité, absolue ou qualifiée. J’accepte ce point.

(2) Que la décision de la Chambre des lords dans l’arrêt Riverstone Meat Co. Pty. Ltd. v. Lancashire Shipping Co. Ltd. (The Muncaster Castle), [1961] A.C. 807, selon laquelle l’obligation en vertu de la Carriage of Goods by Sea Act, 1924 incluant le règlement de La Haye, pour rendre le navire en bon état de navigabilité est une obligation personnelle imposée aux armateurs et qu’ils ne peuvent déléguer. Voir, plus particulièrement, le discours de lord Keith of Avonholm, à la p. 871 où il a déclaré :

… L’obligation est une obligation statutaire contractuelle … Rien, à mon avis, n’est déraisonnable dans le fait de dire qu’il s’agit là d’une obligation personnelle incontournable …

Il y a des passages dans les discours des autres savants juges auxquels il était aussi fait référence à cet égard. J’accepte que tel soit l’effet de cette décision.

D’après le troisième point, le raisonnement de M. le juge Walsh, lorsqu’il a soutenu que le membre de phrase dans la clause 13 « défaut de la diligence » incombant aux armateurs dans la mise du navire en bon état de navigabilité ne vise que le manquement personnel des armateurs dans l’exécution de l’obligation d’exercer un soin diligent, était erroné et que ce jugement aurait été en faveur des défendeurs si la décision dans l’affaire Muncaster Castle par la Chambre des lords avait été rendue à la date de ce jugement.

À mon avis, l’erreur dans ces observations provient du fait qu’elles ne tiennent pas compte du fait qu’un manquement à une obligation personnelle ne pouvant être déléguée peut découler soit d’un manquement personnel de la part de la personne assujettie à cette obligation (les armateurs, en l’espèce) soit, d’un manquement de la part des préposés ou agents qu’emploient les armateurs pour effectuer le travail visé par l’obligation. Les observations mêlent l’obligation qui est personnelle aux armateurs avec l’exécution de cette obligation qui peut être personnelle ou non. (Voir le discours de lord Wright dans Wilsons & Clyde Coal Company, Ltd. v. English, [1938] A.C. 57, aux p. 80 et 81.) De plus, j’estime que la conclusion à laquelle M. le juge Walsh est parvenu est renforcée par les mots qui suivent immédiatement, à savoir, « tout autre acte ou omission personnel ou manquement des armateurs ou de leurs gérants ». J’estime que ces mots permettent de mieux comprendre la signification dans cette clause des mots précédents, et je rejette l’argument selon lequel les mots dont l’effet premier est d’ajouter d’autres catégories pour les actes personnels non exceptés ne peuvent avoir pour effet de réduire la portée générale de ce qui précède.

Par conséquent, j’accepte le raisonnement de M. le juge Walsh comme étant exact, et je rejette l’allégation selon laquelle seule l’interprétation de la clause 13 suffirait pour rendre les défendeurs responsables aux termes de la clause 13, même si l’interprétation que j’ai donnée de la clause 28 est erronée.

Je conviens avec le juge McNair que le raisonnement du juge Walsh en ce qui concerne la clause 13 de la charte-partie Baltime est exact. À mon avis, il n’existe pas de différence importante entre la clause 13 de Baltime et la clause 2 de Gencon. Par conséquent, à cet égard, les propriétaires du navire ne seront responsables (outre leur responsabilité pour arrimage défectueux) de la perte ou du dommage subi par la cargaison des défendeurs que si la perte ou le dommage découle de leur manque personnel de soin diligent à rendre le navire apte à prendre la mer, ou si la perte ou le dommage à la cargaison résulte d’un acte ou d’un manquement personnel de leur part ou de la part de leurs gérants. Les propriétaires n’engageront aucune responsabilité pour toute perte ou tout dommage à la cargaison causé par la faute ou la négligence de leurs préposés et agents, notamment la faute et la négligence de leur capitaine et de l’équipage. Autrement dit, les propriétaires ne seront pas tenus responsables en raison d’une responsabilité du fait d’autrui.

En ce qui concerne la perte ou le dommage résultant de l’incapacité du navire à prendre la mer, la clause prévoit que les propriétaires sont responsables si, en raison d’un manque de diligence raisonnable, ils omettent de rendre le navire apte à prendre la mer. Comme les auteurs de Voyage Charters, précité, le déclarent aux pages 159 et 160, l’objectif de la clause 2 de la charte-partie Gencon est de libérer les propriétaires de leur obligation absolue de fournir un navire apte à prendre la mer. Les auteurs écrivent ce qui suit :

[traduction] Le libellé de la clause 2 de la charte Gencon, un amalgame d’acceptation et d’exclusion de responsabilité, découle probablement en grande partie du fait que la common law impose une garantie implicite de navigabilité aux armateurs de navires de mer pour le transport de fret, sous réserve de toute condition expresse particulière dans certains contrats de transport particuliers.

Ainsi, sans la clause 2, les armateurs seraient assujettis à une obligation absolue de fournir un navire en état de bonne navigabilité pour le transport en cause. Le fait d’exercer une diligence raisonnable pour rendre le navire en état de bonne navigabilité est une obligation absolue et non pas une simple obligation, mais par ailleurs, cette obligation ne suppose pas la garantie que le navire transportera les marchandises, en toute sécurité, jusqu’à la destination pour laquelle il a été affrété.

Pour qu’un navire soit en état de bonne navigabilité aux fins de l’obligation et de l’exonération données, le navire et son équipement doivent être raisonnablement en état de résister aux périls qui, selon les prévisions, peuvent se produire pendant le voyage, et aussi en état pour protéger, de façon raisonnable, la cargaison contre ces périls : The Good Friend [1984] 2 Lloyd’s Rep. 586 et The Benlawers [1989] 2 Lloyd’s Rep 51.

Les périls à prévoir incluent évidemment les périls de mer, mais ils ne se limitent pas à ceux-là. Vu que la capacité de transporter la cargaison est un élément de la navigabilité, un navire en état de navigabilité doit être raisonnablement en état de recevoir et de transporter la cargaison proposée de telle sorte que les périls incluent aussi les périls de stockage, mais ils peuvent aussi inclure l’application de règlements sanitaires et portuaires, si l’application de ces règlements entraîne inévitablement des dommages à la cargaison.

Quelques lignes sur la responsabilité éventuelle du propriétaire en cas d’arrimage impropre ou négligent des marchandises. La clause 2 de la charte-partie Gencon prévoit que les propriétaires sont responsables de l’arrimage impropre ou négligent, sauf dans le cas de l’arrimage effectué par les chargeurs ou leurs manutentionnaires, ou leurs employés.

La clause 16 prévoyait que la cargaison de mousse de tourbe devait être chargée à bord du navire et compensée, « sans risque ou sans frais pour le navire ». À mon avis, ces mots ont pour effet de rendre les affréteurs aux présentes responsables de la perte ou du dommage découlant d’un arrimage impropre. Je ne pense pas que cette proposition puisse faire l’objet d’un large débat. Dans l’affaire Government of Ceylon v. Chandris, [1965] 2 Lloyd’s Rep. 204 (Q.B. (Com. Ct.)), la clause 14 de la charte-partie stipulait que les affréteurs devaient désigner des manutentionnaires, tant au port de chargement qu’au port de déchargement, et la clause 16 prévoyait que la cargaison devait être chargée, déchargée, compensée et arrimée sans frais pour les propriétaires. En examinant l’effet de ces clauses sur la relation entre les affréteurs et les propriétaires, le juge Mocatta a déclaré ce qui suit, à la page 213 :

[traduction] M. Staughton a fondé cette partie de son argumentation sur les stipulations des clauses 14 et 16 de la charte, la désignation et la rémunération des manutentionnaires par les demandeurs [les affréteurs] et les décisions dans Brys & Gylsen, Ltd. v. J.& J. Drysdale & Co., (1920) 4 Ll.L.Rep. 24, et Canadian Transport Company, Ltd. v. Court Line, Ltd, [1940] A.C. 934; (1940) 67 Ll.L. Rep. 161. M. Gratiaen, pour les demandeurs, a concédé qu’en raison de ces décisions, il ne pouvait pas soutenir que les demandeurs n’étaient pas responsables, comme entre eux-mêmes et le défendeur [le propriétaire], du fait du déchirement et de l’enlèvement des sacs par les manutentionnaires. À mon avis, cette concession était fondée, et j’estime aussi que M. Staughton avait raison de faire valoir que les actes des manutentionnaires constituaient une inexécution de contrat entre les demandeurs et le défendeur.

Dans l’affaire Canadian Transport Co., Ld. v. Court Line Ld., [1940] A.C. 934 (H.L.), les clauses pertinentes dans la charte-partie prévoient ce qui suit [à la page 937] :

[traduction] … les affréteurs doivent charger, arrimer et compenser la cargaison, à leurs propres frais, sous la supervision du capitaine.

La Chambre des lords a jugé qu’en l’absence de supervision par le capitaine, les affréteurs étaient responsables de l’arrimage négligent. En ce qui concerne les mots « sous la supervision du capitaine », lord Atkin a déclaré, aux pages 937 et 938 :

[traduction] La supervision de l’arrimage par le capitaine est, dans tous les cas, un usage couramment pratiqué; il doit, en toute circonstance, éviter que son navire ne soit rendu inapte à prendre la mer; et, à d’autres égards, il a sans doute le droit d’intervenir s’il estime que l’arrimage proposé est susceptible d’imposer une responsabilité aux propriétaires. Si les affréteurs pouvaient prouver que le mauvais arrimage était dû uniquement aux ordres du capitaine, et que l’arrimage qu’ils avaient proposé n’aurait pas causé de dommages, ils pourraient sans doute éviter d’être responsables.

De plus, la clause 19 de la charte-partie en cause énonçait clairement que la responsabilité pour tout dommage causé au navire par les manutentionnaires incombait aux affréteurs.

Dès lors, les clauses 16 et 19, prises ensemble, ont pour effet de décharger les propriétaires de toute responsabilité découlant du chargement et de l’arrimage[5] de la cargaison à bord du navire. (Voir, dans ce sens, la décision de la Cour d’appel d’Angleterre dans l’affaire Overseas Transportation Company v. Mineralimportexport (The Sinoe), [1972] 1 Lloyd’s Rep. 201.) Toutefois, il va sans dire que si le capitaine Garipoli intervenait dans les dispositions d’arrimage des affréteurs et que des dommages en découlaient, les défendeurs pourraient être responsables. Je reviendrai sur cette question ultérieurement.

Il incombe aux affréteurs de prouver que les propriétaires ont manqué à l’exécution du contrat. À mon avis, cette opinion est appuyée dans Voyage Charters, précité, où, à la page 182, les auteurs de la section sur le droit américain écrivent ce qui suit :

[traduction] Le fardeau de la preuve en ce qui concerne les demandes relatives à la perte ou au dommage subi par une cargaison dépend généralement de l’inclusion dans la charte d’une clause paramount qui fait référence à la Loi américaine sur le transport des marchandises par eau. Dans le cas d’une charte Gencon qui ne contient pas de clause paramount, il incombe à l’affréteur de prouver que la perte ou le dommage subi par la cargaison ou le retard découle de l’innavigabilité. Les mêmes règles en matière de fardeau de la preuve s’appliquent lorsqu’un connaissement a été délivré pour la cargaison, mais ne sert que de reçu et de titre de propriété plutôt que de contrat de transport.

Dans l’affaire Sucrest Corp. v. M/V Jennifer, 455 F.Supp. 371 (N.D. Me. 1978), aux pages 380 et 381, le tribunal fédéral de première instance des États-Unis, district du Maine, a conclu que si la charte-partie (Gencon) constituait le contrat applicable, il incombait à l’affréteur de prouver l’inexécution du contrat. (Voir les pages 380 et 381, note en bas de page 16.)

Toutefois, le fait de prouver que les propriétaires n’ont pas exécuté la charte-partie ne signifie pas que les demanderesses doivent prouver que les dommages sont survenus sans aucun manque de soin diligent de la part des propriétaires ou de leurs gérants, ou par faute personnelle ou manquement des propriétaires ou de leurs gérants. À mon avis, une fois que les demanderesses ont montré que la cargaison était reçue par les propriétaires et que des dommages y avaient été causés, il incombe aux propriétaires de prouver qu’en réalité les dommages découlent d’une cause dont la responsabilité ne leur incombe pas en vertu de la clause 2. Dans Voyage Charters, précité, les auteurs énoncent ce qui suit à la page 174 :

[traduction] Vu que la clause est principalement une clause d’exonération, il incombe au propriétaire de prouver le droit de se fonder sur cette clause. Afin de s’acquitter de ce fardeau, il doit établir que la perte ou le dommage n’était pas dû à un manque de soin diligent de sa part ou de la part des contrôleurs des gérants de ses navires ou, probablement, à une faute personnelle ou à un manquement : voir l’affaire The Roberta (1938) 60 Ll.L. Rep. 84. Sur le plan pratique, il doit d’abord prouver quelle était la cause de la perte, du dommage ou du retard en question, et ensuite que la cause ne découlait pas d’une faute personnelle, d’un manquement ou d’une négligence de sa part ou de la part de ses gérants, et ce faisant, il doit prouver qui était le « cerveau » ou que, quelle que soit la cause, elle n’aurait pu résulter d’une faute personnelle ou d’un manquement de sa part ou de la part de ses gérants : voir, de façon générale, le raisonnement du juge Hobhouse dans l’affaire Akts. de Danske Sukkerfabrikker v. Bajamar Cia Nav. S.A. (The Torenia) [1983] 2 Lloyd’s Rep 210, aux pages 230 et 231.

Dans l’affaire Itoh & Co. Ltd. v. Atlantska Plovidba (The Gundulic), [1981] 2 Lloyd’s Rep. 418, la Chambre du Banc de la Reine d’Angleterre (Cour commerciale) (le juge Lloyd) se trouvait confrontée à une demande présentée par les propriétaires d’une cargaison de colza endommagée pendant le transport à bord du navire Gundulic de Hambourg au Japon. Les propriétaires de la cargaison avaient affrété le navire conformément à une charte-partie Gencon. La cause du dommage, à savoir l’eau de mer, n’était pas contestée. La contestation portait plutôt sur la manière dont l’eau de mer s’était infiltrée dans le navire et sur le moment où cela s’était produit. Les demandeurs soutenaient que l’eau s’était infiltrée à la suite d’une série de défaillances des panneaux de cale, tandis que les propriétaires faisaient valoir que l’eau de mer s’était infiltrée parce que l’équipage avait fait preuve de négligence en omettant de fermer correctement les panneaux de cale.

Le juge Lloyd a déclaré que les demandeurs avaient raison en disant que l’eau de mer s’était infiltrée à cause de défaillances des panneaux de cale, lesquelles auraient dû être corrigées avant le début du voyage. Le juge Lloyd a poursuivi en jugeant que les propriétaires étaient responsables, et il a déclaré qu’ils avaient admis qu’il leur incombait de montrer que le dommage était survenu [traduction] « sans manque de soin diligent » de leur part. Le juge Lloyd a soutenu que les propriétaires ne s’étaient pas acquittés de ce fardeau.

Pendant la présentation de l’argumentation, l’avocat des demanderesses a soutenu que la clause 32 de la charte-partie avait pour effet d’intégrer dans la charte-partie la Loi sur le transport des marchandises par eau, S.R.C. 1970, ch. C-15. Selon mon interprétation de la clause 32, celle-ci vise à intégrer dans la charte-partie la nouvelle clause Jason, la nouvelle clause d’abordage en cas de faute de part et d’autre, la clause d’abordage, les clauses 1 et 2 de risque de guerre de la chambre de navigation et la clause de soutes du club de protection et d’indemnisation. En ce qui concerne les clauses attributives de prépondérance canadiennes et américaines, la clause 32 prévoit qu’elles « doivent aussi être incorporées dans tous les connaissements délivrés en vertu des présentes. »

Dans l’affaire Anglo-Saxon Petroleum Company, Ltd. v. Adamastos Shipping Company, Ltd., [1958] 1 Lloyd’s Rep. 73, la Chambre des lords a décidé que les Règles de La Haye avaient été intégrées dans la charte-partie du fait de la clause 52 de celle-ci, laquelle se lisait comme suit [à la page 73] :

[traduction] 52. Il est convenu que … la clause attributive de prépondérance … ci-jointe, doit être incorporée dans la présente charte-partie.

Il n’existe pas de clause équivalente à la clause susmentionnée dans la charte-partie en cause. Bien que les clauses attributives de prépondérance soient jointes à la charte-partie, celle-ci ne contient aucune stipulation prévoyant que ces clauses font partie de la charte-partie, sauf dans la mesure où la clause 32 prévoit qu’elles doivent être incorporées dans tous les connaissements délivrés conformément à la charte-partie.

Par conséquent, je suis d’avis que les Règles de La Haye [Convention internationale pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement et Protocole de signature, Bruxelles, 25 août 1924] n’ont pas été intégrées dans la présente charte-partie. Dès lors, la relation entre les affréteurs et les propriétaires est régie uniquement par les modalités de la charte-partie. Les modalités du contrat de transport permettront de déterminer si les propriétaires sont tenus des demandes de dommages à leur égard. J’ai déjà examiné ces modalités et je les considère pertinentes à la décision sur l’action des demandeurs.

NOTE DE L’ARRÊTISTE #3

Les demanderesses ont maintenu que la cloison s’est effondrée en raison de la corrosion tandis que les défendeurs prétendaient que la cause en était la pression créée par l’état semi-liquide de la cargaison dans la cale numéro un. Les demanderesses ont assigné un expert pour venir témoigner que « l’acier était, selon toute vraisemblance, dans un état affaibli au moment du chargement et de la défaillance subséquente ». Mais il n’a pas pu attester que la cloison se serait effondrée même si son épaisseur n’avait pas été réduite. Il a toutefois déclaré que la mousse de tourbe n’aurait pas pu être transportée de façon sécuritaire par le navire des défendeurs en raison de sa forte teneur en humidité. Un architecte naval a émis l’opinion que la cloison était en état de naviguer et capable de résister aux forces pour lesquelles elle était conçue mais pas à celles exercées par la cargaison de mousse de tourbe. Bien que la réduction d’épaisseur ait été de l’ordre de 21 p. 100, elle restait « appropriée en ce qui concerne les normes de la société de classification, ainsi que d’un point de vue pratique ». Mais un autre architecte naval, assigné en contre preuve, était d’avis que la cloison n’était pas en état de naviguer. Il estimait que, avec une réduction de 21 p. 100, le bordé aurait dû être remplacé. Même alors, ce témoin n’a pas affirmé que le navire aurait pu transporter la cargaison de mousse de tourbe d’une densité de 36 à 38 pieds cubes par tonne métrique. Il résultait de ces deux opinions que la cargaison avait causé des dommages au navire. La teneur en humidité de la mousse de tourbe excédait de loin la teneur limite en humidité admissible aux fins du transport et il aurait fallu un navire spécial pour transporter la cargaison. Le juge a conclu que les forces très puissantes exercées par la cargaison étaient la véritable cause de l’effondrement de la cloison.

4.         Le capitaine du navire était-il fautif quand il a accepté de charger la mousse de tourbe ou quand il a omis d’arrêter les opérations de chargement?

J’en suis venu à la conclusion que le capitaine du navire n’a pas commis de faute ni lorsqu’il a accepté de charger la cargaison de mousse de tourbe des demanderesses ni lorsque le chargement de la cale numéro 1 s’est poursuivi.

En ce qui concerne la demande reconventionnelle des défendeurs, j’examinerai la preuve qui, à mon avis, appuie cette conclusion.

Conclusion sur la responsabilité des défendeurs à l’égard des demanderesses

En conséquence, les demanderesses ne peuvent pas avoir gain de cause puisque j’ai conclu que la perte subie par les demanderesses était attribuable au fait que leur cargaison exerçait une pression sur la cloison du navire qui l’a amenée à s’effondrer. À mon avis, les défendeurs ne peuvent pas en être rendus responsables. Je suis convaincu que la perte subie par les demanderesses ne résulte pas de l’innavigabilité du navire. Par conséquent, je n’ai pas à traiter de la question du manque de soin diligent de la part des propriétaires pour mettre le navire, en tous points, en état de bonne navigabilité. Je suis aussi convaincu que la perte des demanderesses ne résulte pas d’une faute personnelle ou manquement des propriétaires ou de leurs gérants.

Je devrais peut-être ajouter que, si j’en étais venu à la conclusion que le capitaine Garipoli avait été fautif en acceptant cette cargaison sur le navire ou en omettant d’en interrompre le chargement, j’aurais jugé que la faute ou la négligence du capitaine ne constituaient pas une cause en vertu de laquelle les propriétaires étaient responsables aux termes de la clause 2 de la charte-partie. Cette clause, comme je l’ai mentionné précédemment, prévoit de manière particulière que les propriétaires ne sont responsables d’aucune perte ou d’aucun dommage à la cargaison en raison de la faute du capitaine ou de l’équipage.

Je suis de cet avis car, le 26 octobre 1988, le capitaine Garipoli a appelé ses propriétaires pour discuter du problème auquel il était confronté au port de chargement. Le représentant des propriétaires, le capitaine Paturzo, a autorisé le capitaine Garipoli à obtenir l’aide qui lui semblait nécessaire du représentant local du club de protection et d’indemnisation. Pour des motifs que j’expliquerai brièvement, le capitaine Garipoli n’a pas cherché à obtenir l’aide du club. Toutefois, si j’en avais conclu qu’il avait été fautif, cette faute n’aurait pas suffi à rendre les défendeurs responsables.

Enfin, bien que le capitaine Garipoli soit intervenu dans l’arrimage de la mousse de tourbe afin de protéger son navire des dangers de ripage, cette intervention n’a pas entraîné d’« arrimage défectueux ». Au contraire, selon les faits dont il avait connaissance, sa décision d’intervenir ainsi que le type de mesures qu’il a proposé étaient entièrement raisonnables, et il ne peut, à mon avis, être blâmé pour cet acte.

NOTE DE L’ARRÊTISTE #4

Même si la cloison s’était effondrée en raison de l’innavigabilité, il aurait fallu rejeter l’action des demanderesses. On ne pourrait pas accepter leur prétention selon laquelle l’intégralité de la cargaison était devenue une perte totale en raison de l’effondrement de la cloison. Comme il fallait décharger la cargaison pour effectuer des réparations, les propriétaires du navire ont avisé Perlite, l’une des demanderesses, de prendre des dispositions à cet effet. Mais les demanderesses n’ont rien fait et les propriétaires ont dû décharger la cargaison à leurs frais. Les demanderesses ont soutenu que la cargaison était contaminée du fait qu’elle avait été déchargée sur un revêtement de gravier. L’intégralité de la cargaison n’aurait pas pu être contaminée lorsque seuls les quelques pouces inférieurs ont été en contact avec le gravier. Le fait est qu’elle a été abandonnée par les demanderesses. Celles-ci n’ont nullement tenté de trouver un quai asphalté quand elles ont été informées que la cargaison devait être déchargée. La partie de la cargaison encore à quai au moment de l’effondrement de la cloison est également devenue une perte totale en raison de son abandon par les demanderesses. La preuve produite n’a pas convaincu la Cour que les demanderesses avaient déployé les efforts nécessaires pour obtenir un navire de remplacement. C’est parce que leur cargaison ne pouvait pas être transportée de façon sécuritaire par vraquier qu’elles n’ont pas pu trouver d’autre navire. Le coût qu’il aurait fallu débourser pour affréter un navire spécial aurait été inabordable. Lantana ne pourrait pas recouvrer de dommages-intérêts auprès des défendeurs et il a été admis au procès que Perlite n’avait subi aucune perte. Quant à Pemtex, elle était propriétaire de la cargaison qui se trouvait encore à quai, mais elle n’était pas partie au contrat conclu avec les défendeurs, et son recours, le cas échéant, se limiterait à un recours en responsabilité civile délictuelle. La perte qu’elle a subie ne résultait pas de l’effondrement de la cloison mais du fait que Lantana n’avait pas pris les dispositions nécessaires pour le transport de la mousse de tourbe en Floride. Lantana ne pourrait en aucune manière recouvrer auprès des défendeurs le coût de la mousse de tourbe de remplacement en ce sens que l’entreprise était vouée à l’échec puisque la mousse de tourbe, dans l’état où elle était, ne pouvait tout simplement pas être transportée sur le type de navire qu’il avait été convenu d’utiliser. Elle ne pourrait pas non plus recouvrer le coût de la dalle de béton qu’elle avait fait construire pour recevoir la mousse de tourbe. Il s’agissait là de dommages qui ne découlaient pas de l’inexécution d’un contrat et ne pouvaient pas être prévus par les défendeurs.

Demande reconventionnelle des défendeurs

Les défendeurs ont présenté une demande reconventionnelle à l’encontre des demanderesses afin de tenter de récupérer les dommages-intérêts qu’elles prétendent avoir subis en raison de l’effondrement de la cloison.

La position des défendeurs est tout simplement que la cargaison de mousse de tourbe, dans l’état où elle se trouvait au moment de son chargement à bord du navire par les demanderesses et leurs manutentionnaires, était une cargaison dangereuse. Par conséquent, les défendeurs soutiennent que les affréteurs étaient tenus de les aviser de la nature dangereuse de leur cargaison et que leur défaut de le faire, dans les circonstances de l’espèce, les rendait responsables des dommages causés au navire.

Tout d’abord, la cargaison de mousse de tourbe des demanderesses était-elle dangereuse? L’article 2 de la Loi sur la marine marchande du Canada [L.R.C. (1985), c. S-9] définit ainsi les « marchandises dangereuses » ou « marchandises de nature dangereuse » :

2.

… Les marchandises qui, par leur nature, leur quantité ou leur mode d’arrimage, sont, isolément ou dans leur ensemble, susceptibles de compromettre la vie des passagers ou la sécurité du navire. Sont visées par la présente définition toutes les substances définies comme marchandises dangereuses dans des règlements pris par le gouverneur en conseil.

Comme je l’ai déjà déclaré, de l’avis de M. Barbeau, la cloison s’est effondrée en raison des forces exercées sur elle par la cargaison de mousse de tourbe. Ces forces provenaient du fait que la mousse de tourbe était dans un état « semi-liquide » et que sa densité était presque aussi élevée que celle de l’eau. En réalité, ce fait n’a pas été contesté par les demanderesses. Comme les rapports de Technitrol et de SGS l’ont clairement démontré, la teneur en humidité de la cargaison dépassait 90 p. 100 du point d’affaissement et ainsi, selon le Code des cargaisons en vrac et la Garde côtière, la cargaison n’était pas réputée sécuritaire pour le transport par mer sur un transporteur de marchandises générales. Autrement dit, la Garde côtière n’aurait pas autorisé le navire à appareiller avec la cargaison des demanderesses.

L’article 1.7 du Code des cargaisons en vrac est tout à fait explicite à cet égard, et je le reproduis ici à nouveau :

1.7 Teneur limite en humidité admissible aux fins de transport

—   Teneur maximale en humidité d’un concentré que l’on juge sans danger pour le transport par mer. Dans le cas des navires de charge affectés au transport de marchandises diverses auxquels les dispositions spéciales prévues à la section 6.2 ne s’appliquent pas, cette teneur limite est fixée à 90 p. 100 du point d’affaissement.

À mon avis, il ne fait aucun doute que la mousse de tourbe chargée à bord du navire, et plus particulièrement dans la cale numéro 1 de celui-ci, était susceptible de « compromettre la vie des passagers ou la sécurité du navire ».

Pendant son argumentation, l’avocat des demanderesses a pris comme position que le capitaine Garipoli n’aurait pas dû charger la cargaison des demanderesses ou qu’il aurait au moins dû interrompre l’opération de chargement lorsqu’il a commencé à s’inquiéter. Autrement dit, l’avocat m’a prié de conclure que la cause réelle des dommages subis par les défendeurs était la faute ou la négligence du capitaine Garipoli et non la nature dangereuse de la cargaison de mousse de tourbe.

Précédemment, j’ai déclaré que j’étais d’avis que le capitaine Garipoli n’était pas en faute quand il a accepté de charger la cargaison de mousse de tourbe et n’a pas interrompu les opérations de chargement. Avec le recul, il va sans dire que les opérations de chargement auraient dû être suspendues avant le 28 octobre 1988. Toutefois, je dois décider si le capitaine Garipoli savait ou aurait dû savoir que la cargaison de mousse de tourbe était dangereuse, c’est-à-dire qu’elle pouvait compromettre la vie des passagers ou la sécurité du navire. À mon avis, le capitaine Garipoli ne savait pas et n’aurait pas pu savoir quel était le danger que représentait la mousse de tourbe. J’en suis venu à cette conclusion pour les motifs suivants.

Comme je l’ai déjà indiqué à plusieurs reprises, le capitaine a été informé qu’il chargerait à Sept-Îles une cargaison dont le coefficient d’arrimage était de 55 pieds cubes par tonne métrique. D’après ces renseignements, le capitaine s’attendait à ce que la cargaison soit très légère. Après l’arrivée du navire à Sept-Îles, le capitaine a découvert que la cargaison était de la mousse de tourbe. Il a, pour la première fois, eu l’occasion d’observer la cargaison alors qu’elle se trouvait sur le quai d’IOC. Il a ensuite pu observer la cargaison au fur et à mesure de son chargement. La cargaison, selon le capitaine Garipoli, se « comportait bien » c’est-à-dire qu’elle formait un amas conique comme une cargaison céréalière régulière. Après un certain temps toutefois, le capitaine a remarqué que la cargaison s’affaissait. Il s’est alors inquiété de la possibilité de ripage et, après avoir discuté avec les manutentionnaires et les demanderesses, il a modifié son plan d’arrimage. Le témoignage du capitaine Garipoli indique qu’il s’inquiétait de la possibilité de ripage de la cargaison. Toutes ces discussions, y compris celles avec M. Guerra, portent sur ce problème. Le capitaine Garipoli ne s’est jamais inquiété du fait que la cargaison de mousse de tourbe pouvait compromettre la sécurité du navire en raison de la pression hydrostatique qu’elle pourrait créer. Il ne s’est pas aperçu que la cargaison était devenue presque « liquide » et qu’il exposait son navire à un danger en la chargeant à bord.

Dans le cadre des discussions susmentionnées, le capitaine Garipoli a demandé aux demanderesses de lui fournir plus de renseignements sur leur cargaison. Les demanderesses n’ont pu lui fournir de renseignements. Après que le capitaine eut décidé de modifier le plan d’arrimage et qu’il en eut informé les demanderesses et les manutentionnaires, M. Fabien Guerra est monté à bord du navire. Comme je l’ai mentionné précédemment, le capitaine Garipoli a déclaré dans son témoignage que M. Guerra lui avait été présenté comme l’expert du chargeur. Les demanderesses ont nié que M. Guerra était leur expert. En fait, tant Germain que Després ont déclaré dans leur témoignage qu’ils ne connaissaient pas M. Guerra.

D’après la preuve, M. Guerra, un ingénieur civil en mécanique, a été appelé par IOC le 26 octobre 1988. À ce moment-là, on savait, du moins à IOC, que M. Guerra avait une grande expérience dans la manipulation des concentrés. Il connaissait bien les notions comme la teneur en humidité, le point d’affaissement et la teneur limite en humidité admissible aux fins du transport. En fait, il a discuté de ces notions avec le capitaine Garipoli.

M. Guerra a été prié de se présenter au quai d’IOC et de rencontrer Pat Morin. Il a déclaré dans son témoignage qu’il s’était rendu au bureau de M. Morin vers 16 h le 26 octobre 1988 et qu’il y avait rencontré Germain et Després. Guerra a déclaré qu’il avait été présenté à ces personnes en tant qu’expert dans la manutention de cargaisons. Guerra a aussi déclaré en témoignage qu’il avait avisé Germain et Després qu’il leur incombait de faire effectuer des tests afin de déterminer la teneur limite en humidité admissible aux fins du transport pour leur cargaison. Après avoir discuté avec Morin, Germain et Després, Guerra déclare qu’ils se sont tous rendus au navire et y ont rencontré le capitaine Garipoli dans sa cabine. Guerra déclare qu’il a été présenté au capitaine Garipoli comme expert en manutention de cargaisons pour les demanderesses.

Guerra a ensuite expliqué qu’il avait demandé au capitaine s’il avait des renseignements sur la nature et les caractéristiques de la cargaison des demanderesses. Le capitaine a ensuite expliqué à Guerra de quelle façon il chargerait la mousse de tourbe, c’est-à-dire qu’il ne remplirait que quatre cales. Guerra est ensuite allé observer la cargaison avec le capitaine et il a vu qu’elle s’affaissait, c’est-à-dire qu’elle ne formait pas un amas conique. À la suite de ces observations, Guerra a parlé à Pat Morin qui l’a autorisé à obtenir des estimations sur l’exécution de tests afin de déterminer la teneur limite en humidité admissible aux fins du transport pour la mousse de tourbe.

Le 27 octobre 1988, Cogemat a informé Guerra qu’ils étaient prêts à faire les tests pertinents pour la somme de 300 $. Malheureusement, la cloison s’est effondrée avant que les tests puissent être faits. Guerra a déclaré dans son témoignage que, malgré l’effondrement, Morin l’avait autorisé à procéder aux tests dont il avait reçu les résultats à la fin de 1988. Guerra a déclaré sans équivoque dans son témoignage que, d’après lui, les affréteurs l’avaient autorisé, par le biais de Morin, à procéder aux tests. La preuve a aussi montré que Guerra n’avait pas facturé ni les demanderesses ni les défendeurs pour ses services.

Les demanderesses ont déclaré qu’elles n’avaient pas engagé M. Guerra, et c’est aussi la position des défendeurs. Dans l’ensemble, à mon avis, M. Guerra représentait les demanderesses parce qu’il avait été engagé par M. Morin d’IOC. Il faut se souvenir que M. Morin était le représentant d’IOC en ce qui concerne les opérations de manutention. Le témoignage de Guerra concorde avec celui du capitaine Garipoli qui a déclaré que Guerra lui avait été présenté comme étant l’expert des chargeurs. Guerra se souvient aussi d’avoir été présenté ainsi au capitaine Garipoli. Personne n’a laissé entrevoir que Pat Morin agissait au nom du navire et des propriétaires. Morin semble avoir décidé d’appeler Guerra après que le capitaine Garipoli l’eut informé lui-même ainsi que les demanderesses, que le plan d’arrimage devrait être révisé en raison de la possibilité de ripage.

Ainsi, à mon avis, la preuve ne peut me conduire qu’à conclure que Guerra, dans ses discussions avec le capitaine Garipoli, représentait les demanderesses.

Pendant ses discussions avec le capitaine à bord du navire, Guerra lui a demandé ce qu’il savait sur la cargaison de mousse de tourbe et s’il connaissait le Recueil de règles pratiques pour la sécurité du transport des cargaisons solides en vrac de l’OMI. Après avoir discuté avec le capitaine, Guerra a proposé à Pat Morin que des tests soient effectués afin de déterminer la teneur limite en humidité admissible aux fins du transport pour la cargaison de mousse de tourbe. Cette démarche correspond au point de vue exprimé par Guerra à l’instance au procès et qu’il dit avoir communiqué aux demanderesses le 26 octobre 1988 en déclarant qu’il incombait aux chargeurs de déterminer la teneur limite en humidité admissible aux fins de transport pour leur cargaison.

Il ne fait pas de doute que M. Guerra était, en fait, expérimenté en ce qui concerne le transport de concentrés par mer. Dans son témoignage, il a déclaré travailler dans ce domaine depuis 1962. Clifford Parfett, l’expert cité par les défendeurs, a déclaré en témoignage qu’il a rencontré Guerra à une conférence de l’OMI à Londres où lui-même et Guerra étaient des délégués du Canada. Malgré son expérience dans le domaine, M. Guerra a déclaré initialement au capitaine Garipoli qu’il ne partageait pas ses inquiétudes quant à la possibilité de ripage. Ce n’est qu’une fois que le capitaine Garipoli lui a fait faire le tour du navire pour observer la cargaison que Guerra a changé d’avis. Je voudrais à nouveau répéter que la seule préoccupation du capitaine Garipoli était liée à la possibilité de ripage. Il n’avait pas compris et il n’a peut-être pas compris avant qu’il ne soit trop tard, que la mousse de tourbe, en raison de son état « semi-liquide », constituait un danger pour son navire. Il va aussi sans dire que M. Guerra n’avait pas non plus compris le danger qu’il y avait à charger la mousse de tourbe à bord du navire.

En plus des rapports de Technitrol et de SGS qui, à mon avis, démontrent de façon péremptoire que la cargaison était dans un état « semi-liquide », j’ai aussi à ma disposition les observations visuelles faites par MM. Parfett et Lemay.

M. Lemay s’est rendu à bord du navire le 5 novembre 1988 alors que ce dernier se trouvait encore à Sept-Îles. Il a observé la cargaison dans les cales numéros 3 et 6 qui étaient à demi remplies, et a remarqué que la cargaison avait formé [traduction] « une surface plane, semblable à un dessus de table, dans toutes les cales, bien qu’aucun répandage physique ou mécanique n’ait eu lieu ». M. Lemay a remarqué que le périmètre de la mousse de tourbe était plus humide que le centre. Il a effectué un test consistant à placer une planche de bois mesurant approximativement 12” x 2’ x 4” verticalement à plusieurs endroits dans la cale numéro 3 et en a conclu que la mousse de tourbe à la périphérie ne pouvait pas supporter le poids de la planche [traduction] « laquelle s’enfonçait verticalement, même si aucune pression n’était exercée ». Quant au centre de la cale, M. Lemay a observé que la mousse de tourbe y était plus [traduction] « consistante » et pouvait supporter [traduction] « un peu de poids ».

Les observations de M. Lemay corroborent celles du capitaine et de M. Guerra selon lesquelles la cargaison « ne formait pas un amas conique » après avoir été chargée à bord du navire. Le témoignage de Régent Bouchard, qui supervisait le chargement pour IOC, va dans le même sens. M. Bouchard a déclaré que le chargement « s’égalisait dans la cale par lui-même ». Il a même été jusqu’à déclarer que, selon lui, la cargaison de mousse de tourbe avait une teneur en humidité de 40 à 50 p. 100. Il a déclaré que la mousse de tourbe, alors qu’elle se trouvait sur le transporteur à courroie, était « floue ».

En ce qui concerne l’état de la cargaison sur le quai, je suis entièrement d’accord avec les observations du capitaine Parfett dans son rapport de vérification lorsqu’il déclare, aux pages 8 et 9 :

[traduction] Lorsqu’elle est mise à quai, la cargaison prend une forme irrégulière mais stable, lui permettant d’être empilée jusqu’à une hauteur importante sans qu’elle n’ait tendance à s’effondrer. De loin, elle ressemble à un amas de terre, mais si on la regarde de plus près, on peut voir la nature végétale hautement fibreuse de la marchandise. Notre inspection a montré que l’eau ne cessait de s’écouler de cet amas. L’indication était que l’eau s’écoulait apparemment de façon pyramidale, c’est-à-dire du sommet de l’amas, de façon descendante, mais vers l’extérieur, vers les bords. Selon notre théorie, le centre de l’amas ne laissait probablement pas écouler beaucoup d’eau mais nous ne pouvions pas l’établir à ce stade. Il est certain que la matière devenait plus sèche au fur et à mesure qu’on approchait du sommet de l’amas, et que la cargaison au dessous des 24” supérieurs de tous les amas avait tendance à devenir complètement saturée et à comprendre de grands volumes d’eau par rapport à la quantité de substance fibreuse.

Les bords inférieurs de l’amas n’avaient aucune capacité de résistance à une charge, quelle qu’elle soit, alors qu’il était possible de marcher, avec un peu de difficulté mais avec suffisamment de support pour résister à une certaine charge, sur la partie plus haute de l’amas. Toutefois, lorsqu’on marchait, même sur la matière apparemment sèche, celle-ci se révélait très spongieuse, et seule la surface exposée à l’air était réellement sèche, les autres parties contenant de grandes quantités d’eau. Une fois comprimé, tout matériau laissait échapper une grande quantité d’eau gravitaire, comme s’il s’agissait d’une éponge.

De petites racines, de la terre végétale et d’autres végétaux partiellement décomposés étaient éparpillés dans l’amas.

Nos observations semblent donc montrer que le ratio poids à volume était grandement fonction de l’emplacement de l’échantillon dans un amas donné. Selon nous, si la mousse de tourbe pouvait s’assécher naturellement sur le quai, les surfaces supérieures s’assécheraient et deviendraient légères et spongieuses. Au fur et à mesure que le poids de la matière qui se trouve au-dessus augmenterait, le niveau de saturation augmenterait et à, probablement, 3 ou 4 pieds sous la surface, la matière serait suffisamment comprimée pour être totalement saturée et avoir un ratio de poids à volume très élevé, probablement de l’ordre de 35 à 36 pieds cubes par tonne métrique.

Il est clair que lorsque le capitaine Parfett a examiné la cargaison sur le quai à Sept-Îles, il savait déjà que la cloison s’était effondrée. Autrement dit, il avait déjà une idée sur la cause possible de l’effondrement, et il savait donc ce qu’il cherchait lorsqu’il a examiné l’empilement.

Selon les déclarations du capitaine Parfett dans son rapport, la mousse de tourbe placée sur le quai d’IOC semblait pouvoir « être empilée jusqu’à une hauteur importante sans qu’elle n’ait tendance à s’effondrer ».À mon avis, avant le chargement à bord du navire, il n’était pas du tout clair, du point de vue du capitaine Garipoli, que la mousse de tourbe présentait un problème particulier. Ce n’est qu’après le début du chargement, et plus précisément le 26 octobre 1988, que le capitaine Garipoli s’est inquiété du ripage éventuel de la mousse de tourbe. Pendant ses discussions avec Morin et les demanderesses, il a demandé aux demanderesses si elles pouvaient lui donner plus de renseignements sur leur cargaison. Comme je l’ai déjà mentionné, elles n’ont pas pu l’aider à cet égard puisqu’elles lui ont simplement dit que la cargaison en cause était la première entreprise de ce genre pour eux.

Plus tard ce même jour, M. Guerra s’est rendu sur place et a parlé avec le capitaine Garipoli de ses inquiétudes quant au ripage. M. Guerra, du fait de son expérience antérieure dans ce domaine, était d’avis que les demanderesses devraient faire effectuer des tests afin de déterminer la teneur limite en humidité admissible aux fins du transport de la mousse de tourbe. Malgré son expérience, M. Guerra n’a jamais proposé au capitaine Garipoli d’arrêter le chargement. Tous ces éléments m’amènent à conclure que le véritable état dans lequel se trouvait la mousse de tourbe après le chargement à bord du navire n’était certainement pas visuellement apparent. Il était clair que des tests s’imposaient afin de déterminer le véritable état de la cargaison. Ces tests, selon M. Guerra, devaient être effectués au nom des demanderesses. À mon avis, M. Guerra avait raison. En effet, ses services avaient été retenus par Pat Morin qui n’aurait pu agir qu’au nom des demanderesses. Il y avait sans doute un peu de confusion à cet égard puisque tant Germain que Després ne semblaient pas se rendre compte que les services de M. Guerra avaient été retenus en leur nom et que les tests avaient été autorisés. J’accepte que Germain et Després étaient sincères dans leur témoignage mais, néanmoins, je suis d’avis que M. Guerra était leur représentant, du moins en ce qui concerne les discussions qui ont eu lieu à bord du navire.

De toute façon, je pense que la vision de M. Guerra selon laquelle il incombait aux demanderesses de faire effectuer des tests est parfaitement défendable. Autrement dit, le fait que les demanderesses auraient dû connaître les caractéristiques de leur cargaison et qu’elles auraient dû en informer les propriétaires du navire avant le chargement à bord de leur cargaison ne peut être mis en doute. En fait, comme nous l’avons déjà vu, lorsque le capitaine Garipoli leur a demandé de lui fournir ces caractéristiques, elles ont été incapables de le faire.

D’après la preuve du capitaine Parfett et de M. Lemay, il semblerait que l’opération de chargement, par transporteur à courroie, ait eu un effet négatif sur l’état de la cargaison et ait grandement contribué au fait que la cargaison soit devenue « semi-liquide » causant ainsi l’effondrement de la cloison. Je me reporte une fois de plus au rapport de M. Parfett, à la page 11, où il déclare :

[traduction] La principale différence entre cette cargaison et une autre cargaison en vrac est que, alors que la cargaison mise à quai n’avait aucune tendance, quelle qu’elle soit, à devenir fluide, et que les échantillons pris montrent un ratio volume à poids élevé, au moment du chargement et du compactage dans les cales par l’action du chargement, la cargaison a pris un caractère entièrement saturé, et elle est devenue une sorte de « boue liquide » ayant tendance à se liquéfier et surtout, elle créait une pression hydrostatique sur les parois de la cale comme si la cale était remplie de liquide. C’est cette pression hydrostatique plutôt que le poids de la cargaison elle-même qui est à l’origine de l’effondrement. En ce qui concerne le ratio volume à poids de la cargaison, il semble maintenant que le capitaine avait raison, et que le coefficient d’arrimage de la cargaison dans le navire était approximativement de 36 pieds cubes par tonne métrique.

À la page 5 de son rapport, M. Lemay exprime un avis semblable à celui du capitaine Parfett lorsqu’il déclare :

[traduction] D’après mon expérience en chargement de cargaison avec un transporteur à courroie, une force centrifuge est appliquée sur le matériau par le transporteur à rouleaux, laquelle a pour effet d’augmenter la vitesse et de séparer momentanément le matériau, dans ce cas l’humus, de l’eau. Ce processus porte le nom d’action capillaire. À l’impact, la cargaison solide demeure au centre et l’eau gicle vers les extrémités de la cale.

Ni M. Lemay ni le capitaine Parfett ne sont des architectes navals. Ils ont témoigné en tant que témoins experts et témoins de fait. Ils n’ont émis aucune opinion sur l’état de bonne navigabilité de la cloison, et d’ailleurs, ils n’auraient pu le faire puisqu’à mon avis, ils ne sont pas qualifiés à ce titre. C’est pourquoi j’ai omis leur déposition lorsque j’ai traité de la question de l’état de bonne navigabilité, laquelle était et demeure le domaine privilégié des architectes navals comme Barbeau et Daoust. Ils étaient les seuls témoins à avoir fait des calculs pour déterminer la nature et la portée des forces qui agissaient sur la cloison le 28 octobre 1988. Toutefois, tant Lemay que Parfett étaient des experts avec beaucoup d’expérience qui ont sans doute fondé leurs avis sur leurs observations et leur expérience. M. Parfett, en particulier, a déclaré dans sa déposition, qu’il avait fait un grand nombre de rapports sur des cargaisons en vrac, notamment de céréales, de concentrés et de minerai de fer. Il a déclaré qu’il connaissait les notions de teneur en humidité, de point d’affaissement et de teneur limite en humidité admissible aux fins du transport. Il connaissait également le Code des règles pratiques pour la sécurité du transport des cargaisons solides en vrac et il avait, en fait, participé à la rédaction de certaines parties de ce recueil. Comme je l’ai déjà mentionné, M. Parfett avait été désigné par le gouvernement du Canada comme délégué à la conférence de l’OMI en 1981.

Lorsque j’ai déclaré que je préférais l’avis de M. Barbeau à celui de M. Daoust, j’ai indiqué que selon moi, l’ensemble de la preuve appuie M. Barbeau. En faisant cette déclaration, j’avais à l’esprit, entre autres, la preuve de MM. Lemay et Parfett, ainsi que celle de M. Rossi qui, malgré son point de vue selon lequel la cloison s’était effondrée du fait de la corrosion, a déclaré sans équivoque que la cargaison de mousse de tourbe n’aurait pas dû être chargée à bord du navire.

D’après son expérience et ses observations visuelles, M. Parfett a déclaré ce qui suit à la page 11 de son rapport :

[traduction] La cause directe de cette perte était la surcharge qu’a subie la cloison entre les cales numéros 1 et 2, laquelle a été causée par les forces hydrostatiques, qui, à leur tour, ont été causées du fait qu’après le chargement, la cargaison est pratiquement devenue une « boue liquide ». Par conséquent, elle possédait les propriétés d’une cargaison entièrement liquide, ce qui a créé des forces hydrostatiques considérables sur la cloison, forces qui ne seraient habituelles pour aucune cargaison sèche en vrac. Seuls les navires construits comme des navires-citernes auraient des cloisons d’une résistance suffisante pour supporter ce type de pression.

À l’audience, devant moi, M. Parfett a défendu son point de vue et a ajouté que [traduction] « quel que soit l’état de la cloison, elle se serait effondrée ». Encore une fois, j’aimerais souligner que la déclaration n’était corroborée par aucun calcul. Si j’ai bien compris son témoignage, le capitaine Parfett a déclaré qu’après avoir observé visuellement la cargaison à bord du navire, il était évident pour lui que les forces hydrostatiques exercées par la mousse de tourbe avaient causé l’effondrement de la cloison. Quoi qu’il en soit, l’avis de Parfett est assurément appuyé par les calculs effectués par M. Barbeau.

Pendant son témoignage, le capitaine Parfett a déclaré qu’il [traduction] « n’avait jamais vu un phénomène pareil » à celui qu’avait causé la cargaison de mousse de tourbe.

Il faut se rappeler que la tentative des demanderesses d’expédier de la mousse de tourbe par vraquier était leur première expérience de ce genre. De plus, la Garde côtière n’a jamais approuvé l’expédition de mousse de tourbe par vraquier. En outre, il semblerait qu’en fait, la mousse de tourbe n’a jamais été expédiée par vraquier. C’est pourquoi je ne pense pas que les défendeurs ou le capitaine Garipoli puissent être blâmés pour n’avoir pas été bien informés en ce qui concerne cette cargaison.

M. Parfett a exprimé l’avis selon lequel le capitaine Garipoli n’aurait pas eu assez de connaissances pour prévoir le danger posé par la mousse de tourbe. En contre-interrogatoire, M. Parfett a déclaré qu’avec son expérience, il aurait interrompu le chargement. Il a cependant ajouté qu’il ne croyait pas que le capitaine était suffisamment bien informé pour prendre cette décision.

Le témoignage de M. Barbeau abonde dans le même sens que celui du capitaine Parfett. Barbeau a déclaré que le capitaine Garipoli n’était pas à même, et qu’il n’aurait pu l’être, de faire les calculs lui imposant de conclure qu’il aurait dû interrompre le chargement de la mousse de tourbe. En outre, Barbeau a ajouté que les navires de charge ne disposaient pas, en général, à bord des données techniques nécessaires pour effectuer les calculs appropriés. M. Daoust, à la page 4 de son rapport, appuyait l’opinion de M. Barbeau à savoir qu’ [traduction] « en général, les navires n’ont pas suffisamment de documentation technique pour que le capitaine puisse effectuer ses propres calculs ».

J’en arrive dès lors à la conclusion que, même si les opérations de chargement auraient du être interrompues, le capitaine ne peut pas être blâmé de ne pas l’avoir fait. Il ne possédait ni suffisamment de renseignements ni les connaissances requises pour conclure que le fait de poursuivre le chargement de son navire pourrait compromettre la sécurité du navire. En l’espèce, le capitaine Garipoli s’inquiétait de l’éventuel ripage de la cargaison, et il a pris les mesures appropriées pour s’assurer que cela ne se produise pas, c’est-à-dire qu’il a modifié son plan d’arrimage afin de charger quatre cales à pleine capacité. Ainsi, les cales étant pleines jusqu’au bord, la cargaison ne pouvait riper.

Par conséquent, je conclus que, compte tenu des circonstances de l’espèce, les défendeurs ne connaissaient pas le caractère dangereux de la cargaison et n’auraient pas dû le connaître. J’en conclus aussi que les demanderesses elles-mêmes n’étaient pas conscientes du danger potentiel que posait leur cargaison pour le navire. D’après la preuve, il me semble assez évident que l’on ne savait pas grand chose, pour ne pas dire rien, sur les caractéristiques particulières de cette cargaison et le danger éventuel qu’elle pouvait présenter pour le navire, une fois mouillée. Dès lors, je me trouve devant une situation dans laquelle ni les chargeurs ni le transporteur ne connaissaient les dangers posés par la cargaison qui devait être transportée. La question est alors de savoir si Lantana et Perlite, en tant qu’affréteurs et chargeurs de la cargaison, sont responsables des dommages causés par la cargaison même si elles ne savaient pas que leur cargaison était dangereuse.

La règle générale en common law veut que le chargeur garantisse implicitement de ne pas transporter de marchandises dangereuses sans aviser, au préalable, le transporteur de leurs caractéristiques particulières ou singulières dont il a connaissance ou dont il est réputé avoir connaissance. Si le chargeur omet d’informer les parties concernées des propriétés dangereuses connues de la cargaison, toute responsabilité en matière de dommages, notamment au navire et aux autres cargaisons, lui incombera, à moins qu’une quelconque limitation de responsabilité ne s’applique. Ce principe est toutefois assorti de certaines exceptions.

La responsabilité pour les dommages causés par un sinistre dû à l’embarquement d’une cargaison dangereuse est modifiée lorsque le transporteur, les membres de l’équipage ou les armateurs connaissent la nature dangereuse de la cargaison, ou auraient raisonnablement dû la connaître. Comme le montre la jurisprudence, cette exception est fondée sur l’hypothèse selon laquelle un transporteur qui connaît la nature dangereuse de la cargaison qu’il a acceptée consent à assumer certains risques liés à cette cargaison ou accepte de le faire. Autrement dit, lorsqu’il est indiqué que le transporteur a été informé des dangers liés à une cargaison, ou si ces dangers sont évidents, et que le transporteur accepte la cargaison en connaissance de cause, le principe général énoncé ci-dessus est faussé. Dès lors, quelle que soit la garantie (absolue ou conditionnelle) donnée par le chargeur quant au caractère approprié des marchandises pour le transport, la responsabilité pour les dommages qui découle d’une « cargaison dangereuse » est jugée d’après une échelle variable qui dépend entièrement de la connaissance, ou de la connaissance réputée, du transporteur.

Enfin, alors que les principes susmentionnés ne posent pas de problèmes, Tetley dans Marine Cargo Claims, 3e édition, 1988, à la page 463, note qu’une question demeure sans réponse :

[traduction] Dans de très rares cas, ni le chargeur ni le transporteur ne connaissent, ou n’auraient dû connaître, la nature dangereuse des marchandises, ce qui soulève la question de savoir si le chargeur est réputé avoir su que la cargaison était dangereuse. Autrement dit, la garantie du chargeur quant au caractère approprié d’une cargaison pour le transport est-elle absolue?

J’examine maintenant cette question.

Le point de vue traditionnel sur le transport de marchandises dangereuses en vertu de la common law anglaise est exprimé dans l’arrêt Brass v. Maitland (1856), 119 E.R. 940 (Q.B.) qui fait autorité et qui est souvent cité (voir aussi l’affaire antérieure Williams v. East India Company (1802), 102 E.R. 571 (K.B.). Dans cet arrêt, un chargement de poudre de blanchiment contenant de la chlorure de chaux avait été transporté dans des barils. Pendant le voyage, la chlorure de chaux a corrodé les barils, ce qui a entraîné la destruction d’autres marchandises transportées ou des dommages à celles-ci. La majorité de la Cour était d’avis que le chargeur avait l’obligation d’informer le transporteur de tout danger inhérent à la cargaison et que cette obligation constituait une condition implicite du contrat de transport. La majorité estimait aussi que cette obligation était absolue et que le chargeur serait responsable même s’il ne connaissait pas la nature dangereuse des marchandises, ayant chargé les barils immédiatement sur réception d’un tiers, sans les avoir inspectés.

Comme l’a supposé Wilson dans Carriage of Goods by Sea, 1988, à la page 17 : [traduction] « en l’absence de connaissance de l’une ou l’autre partie, la majorité a traité le problème simplement comme une question de répartition du risque ». L’explication que donne Wilson des modalités de la décision prise par la majorité est censée, à la lumière de la citation de lord Campbell dans laquelle Sa Seigneurie explique, aux pages 945 et 946, le raisonnement qui sous-tend la répartition de la responsabilité comme suit :

[traduction] Si les demandeurs et leurs employés ne connaissaient pas le caractère dangereux des marchandises qui ont causé la calamité, et s’ils ne pouvaient pas le connaître, il semble bien injuste et inopportun de dire qu’ils n’ont pas de recours à l’encontre de ceux qui auraient très facilement pu l’éviter. Bien que les personnes employées par le propriétaire du navire ne puissent pas, de façon raisonnable, pendant le chargement d’un navire ordinaire constater la qualité des marchandises proposées au chargement, ou plus strictement, examiner le caractère suffisant de l’emballage des marchandises, les chargeurs ont les moyens de le faire, et il semble bien plus juste et opportun que, même s’ils ne connaissaient pas le caractère dangereux des marchandises ou le caractère insuffisant de l’emballage, la perte causée par les propriétés dangereuses des marchandises et le caractère insuffisant de l’emballage soit plutôt imposée aux chargeurs qu’aux propriétaires.

Lord Tenterden, dans un chapitre de son livre Treatise on Shipping, où il traite des « Obligations générales du marchand »…, énonce le principe général qui sous-tend la doctrine : « celui qui loue un objet doit l’utiliser de façon légitime, et selon les objectifs pour lequel il est loué ». Par la suite, il donne comme exemple : « le marchand ne doit pas charger de marchandises interdites ou non présentées à la douane qui pourraient entraîner la confiscation et la détention du navire ». Pari ratione, le marchand ne doit pas charger de marchandises d’une nature dangereuse, dont le capitaine et ses employés dans la navigation du navire ne peuvent savoir qu’elles ont un caractère dangereux, sans donner un avis sur leur nature, afin que le capitaine et les personnes employées dans la navigation du navire puissent exercer l’option de les refuser et, s’ils les acceptent, qu’ils puissent les arrimer à un endroit où elles ne risquent pas de mettre en péril le restant de la cargaison.

L’opinion de la minorité, établie par le juge Crompton, a estimé que l’obligation d’un chargeur de marchandises était conditionnelle. Le juge a estimé qu’aucune jurisprudence ne justifiait une obligation absolue, et de plus, que les principes d’équité imposaient qu’une partie ne soit pas responsable pour quelque chose qu’elle ne savait pas et qu’elle n’aurait pas raisonnablement pu savoir.

Peu après l’arrêt Brass v. Maitland, précité, certaines décisions ont laissé entrevoir un certain scepticisme quant au bien-fondé de la thèse de l’obligation absolue, alors que d’autres ont appliqué les principes généraux énoncés dans l’affaire Brass v. Maitland, sans prendre de position ferme sur la répartition correcte de l’obligation, savoir : Acatos v. Burns (1878), 3 Ex. D. 282 (C.A.); Bamfield v. Goole and Sheffield Transport Company, [1910] 2 K.B. 94 (C.A.); Mitchell, Cotts & Co. v. Steel Brothers & Co., [1916] 2 K.B. 610; Great Northern Railway Co. v. L. E. P. Transport and Depository, [1922] 2 K.B. 742 (C.A.); Transoceanica Society Italiana di Navigazione v. Shipton & Sons, [1923] 1 K.B. 31.

Dans l’affaire Bamfield v. Goole and Sheffield Transport Company, précitée, la Cour a conclu qu’il existait effectivement une obligation implicite de la part du chargeur de ne pas expédier de marchandises dangereuses par un transporteur en commun sans, au préalable, l’informer de la nature dangereuse de la cargaison. Cette notion est ainsi résumée dans la citation de la page 108 :

[traduction] … lorsqu’une personne fait appel à un transporteur en commun pour transporter des marchandises diverses, se fondant ainsi tout simplement sur l’obligation de le faire qui est imposée par la common law au transporteur, et sans informer ce dernier de la nature de ces marchandises, de façon à lui permettre de juger de leur caractère approprié, le droit prévoit un contrat implicite pour la personne qui fait la demande afin d’indemniser la personne ayant l’obligation contre les dommages qui découlent du fait que les marchandises ne sont pas telles que la personne avait le droit de demander à un transporteur en commun de les transporter.

Un exemple de la réticence générale à tenir un chargeur responsable de la violation d’une garantie implicite voulant que les marchandises soient aptes au transport et non dangereuses, quelle que soit la connaissance effective, ressort clairement des commentaires du juge Atkin dans l’affaire Mitchell, Cotts & Co., précitée, dans laquelle il déclare aux pages 613 et 614 :

[traduction] J’ai été renvoyé à l’affaire Brass v. Maitland (1), où la Cour, à la majorité, semble avoir établi que le chargeur est tenu par une obligation absolue d’indemniser les dommages causés par un embarquement de marchandises dangereuses. Toutefois, le juge Crompton a rendu un jugement, cité par Carver dans Carriage by Sea, 5e éd., à l’art. 278, dans lequel il a réduit quelque peu la portée de l’obligation du propriétaire du navire [chargeur?] pour se conformer davantage à la jurisprudence ultérieure. Je conviens de ce point de vue. Le juge Crompton a déclaré (3) : « Supposons, par exemple, qu’une cargaison était composée de marchandises destinées à un port étranger, auquel, selon l’information connue au port d’embarquement, de tels envois pourraient être faits de façon appropriée et sécuritaire, mais qu’en raison d’une quelconque loi récente, le pays étranger ait rendu illégal un tel embarquement, le chargeur serait-il responsable dans ce cas? » Je doute fortement que l’obligation ou la garantie s’étende au-delà des cas dans lesquels le chargeur connaît la nature dangereuse des marchandises au moment de l’expédition, ou peut en avoir connaissance, ou dans lesquels il n’est coupable que de négligence en tant que chargeur, comme en expédiant des marchandises sans informer du danger dont il aurait pu avoir connaissance et qu’il aurait dû communiquer. Sans doute, on peut supposer un engagement ou une obligation implicites voulant que le chargeur fasse preuve d’une prudence et d’une diligence raisonnables et appropriées afin de ne pas livrer de marchandises, en apparence inoffensives, mais en réalité dangereuses, sans aviser de leur nature, et tout manque de soin pendant l’expédition qui consiste à ne pas communiquer ce qu’il aurait dû communiquer peut constituer de la négligence pour laquelle il pourrait être tenu responsable; mais lorsqu’aucune négligence n’est alléguée, ou lorsque le plaidoyer nie toute négligence alléguée, je doute fortement qu’il puisse exister un quelconque droit d’action.

Plus loin, le juge Atkin conclut, à la page 614 :

[traduction] Quelle que soit la portée totale des obligations du chargeur, il me semble qu’elles se résument au moins à ceci, qu’il s’engage à ne pas expédier de marchandises qui sont susceptibles d’entraîner un danger ou un retard inhabituel pour le navire sans communiquer à l’armateur des faits dont il a connaissance et qui montrent qu’un tel risque existe, si l’armateur ne connaît pas ces faits ou ne pourrait pas les connaître de façon raisonnable. Je pense que cela revient à placer l’obligation du chargeur dans des limites très modérées, lesquelles pourraient être bien plus larges.

L’affaire Great Northern Railway Co., précitée, montre qu’au moins, pour ce qui est des transporteurs en commun, l’obligation du chargeur était bien plus large que dans l’affaire Mitchell, précitée. Cette affaire traitait de la responsabilité de transitaires qui livraient à une compagnie de chemin de fer des touries contenant du liquide corrosif et des sacs de feutre selon des conditions d’expédition qui déchargeaient la compagnie de chemin de fer de toute responsabilité, dans différents cas, et voulant notamment que la compagnie de chemin de fer n’entreprendrait pas le transport de marchandises dangereuses, sauf à certaines conditions précises. Comme les touries n’étaient pas assez solides pour contenir le liquide, le feutre a subi des dommages. Le propriétaire du feutre a réclamé des dommages-intérêts à la compagnie. Cette dernière a réglé la réclamation et a demandé une indemnisation aux transitaires afin qu’elle puisse récupérer la somme à titre de dommages-intérêts pour violation d’une garantie. La compagnie de chemin de fer a eu gain de cause. La partie pertinente du sommaire résumant les conclusions de la Cour d’appel (les lords juges Bankes, Scrutton et Atkin) sur les obligations de l’expéditeur ou du consignateur se lit ainsi :

[traduction] Le consignateur qui présente des soumissions à des transporteurs pour le transport de marchandises apparemment inoffensives mais qui sont, en fait, dangereuses, doit les aviser du danger qu’elles représentent, que les transporteurs soient des transporteurs en commun liés par les coutumes du royaume de transporter des marchandises, à condition que celles-ci soient sûres et aptes au transport, ou que les transporteurs soient une compagnie de chemin de fer tenue par la loi d’offrir des installations et services raisonnables pour la réception, l’expédition et la livraison de marchandises. Autrement, il garantit implicitement que les marchandises sont sûres et aptes au transport.

Pour en arriver à cette conclusion, la Cour a expressément suivi les décisions dans Brass et Bamfield, précitées. Un excellent résumé de ces décisions se trouve dans les motifs du jugement du lord juge Scrutton et plus particulièrement aux pages 762 à 764.

Plus récemment, dans l’affaire Athanasia Comninos and George Chr. Lemos, The, [1990] 1 Lloyd’s Rep. 277[6], la Chambre du Banc de la Reine d’Angleterre (Cour commerciale) a jeté un nouveau regard sur la question de la responsabilité dans l’embarquement de marchandises dangereuses. Dans l’affaire Athanasia Comninos, la Cour était saisie d’une action qui découlait d’une explosion sur un navire transportant de la houille. Cette explosion avait causé des dommages importants à la partie avant du navire. Il s’agissait dans cette affaire de demandes à l’encontre des chargeurs ainsi qu’à l’encontre des affréteurs, mais les principales allégations contre les deux parties portaient sur le fait que la houille qui avait été expédiée ne correspondait pas à la description de « houille ». En fait, l’action du transporteur à l’encontre du chargeur se fondait sur l’affirmation selon laquelle le chargement était de nature à créer un danger auquel le demandeur n’avait pas consenti au moment où il avait accepté de transporter une cargaison décrite comme de la « houille », que la teneur excessive de la houille en gaz n’était pas apparente pour le capitaine ni pour l’équipage après un examen raisonnable, et qu’aucun avertissement à cet égard n’avait été émis par le chargeur ou ses agents, que la cargaison était transportée conformément à la pratique courante et que le sinistre était causé par la nature dangereuse de la cargaison. Après avoir examiné les obligations contractuelles générales sous-jacentes en common law quant au caractère approprié des marchandises qu’une partie veut présenter pour transport, le juge Mustill a déclaré ce qui suit à la page 282 :

[traduction] Il est établi depuis plus d’un siècle que le chargeur qui est partie à un contrat de transport doit s’acquitter de certaines obligations contractuelles quant au caractère approprié des marchandises qu’il expédie pour transport, et à l’égard des avertissements qu’il doit donner sur les caractéristiques dangereuses de ces marchandises : Williams v. East India Company, (1802) 3 East 192; Brass v. Maitland, (1856) 6 E.& B. 470. Ces obligations ne se limitent pas aux affaires dans lesquelles les marchandises sont proposées par soumission à un transporteur en commun, mais elles peuvent s’appliquer, dans les circonstances appropriées, à tous les contrats de transport de marchandises par mer. La portée précise de l’obligation du chargeur a longtemps été une source de controverse. Différents aspects de ce débat ont été abordés pendant l’argumentation en l’espèce mais il ne convient pas ici d’élaborer sur ce sujet. Ainsi, par exemple, la question a été soulevée de savoir si l’obligation du chargeur devrait être exprimée, de façon appropriée, dans des termes absolus ou si elle devrait se limiter aux questions que devait connaître le chargeur, ou qu’il aurait dû connaître, à savoir si la première formulation, ou la deuxième formulation, par les demandeurs de leur demande était, en principe, correcte. Il y a eu une différence d’avis judiciaire sur cette question puisque, dans l’affaire Brass v. Maitland, précitée, le juge en chef lord Campbell et le juge Wightman ont tranché en faveur de la garantie absolue, alors que le juge Crompton était en faveur de la garantie conditionnelle. Ce conflit existe toujours : voir les jugements cités en faveur des avis opposés dans Charterparties, 18e éd., aux p. 100 à 102, de Scrutton et dans Carriage by Sea, 12e éd., par. 690, de Carver. À mon avis, la tendance de la jurisprudence appuie le caractère absolu de la garantie : voir, en particulier, la décision Great Northern Railway Co. v. LEP Transport and Depositary, [1922] 2 K.B. 742, à la p. 762 rendue par le lord juge Scrutton. Il n’est toutefois pas nécessaire de trancher ce point puisqu’il me semble absolument clair que si les cargaisons qui sont assujetties à la présente action avaient des caractéristiques dangereuses, Devco le savait ou aurait dû le savoir.

Malheureusement, le juge Mustill a conclu qu’il n’était pas nécessaire pour lui de trancher cette question de façon définitive car, si la cargaison de houille possédait effectivement des caractéristiques dangereuses, le chargeur le savait ou aurait dû le savoir, de toute manière. La décision finale dans cette affaire semble avoir été fondée sur le fait que le propriétaire du navire, tout en acceptant un certain degré de risque quant aux propriétés dangereuses d’une cargaison de houille, n’a pas accepté un « danger particulier », lequel correspondait à un risque extérieur à la zone de risque acceptée par l’armateur. (Voir aussi Amphion, The, [1991] 2 Lloyd’s Rep. 101 (Q.B. (Comm. Ct.)) qui traitait du problème de surchauffe de farine de poisson qui n’avait pas été traitée de façon appropriée. La Cour a traité le problème en termes de fausse désignation des marchandises, laquelle avait vicié le risque convenu, en évitant complètement la question épineuse de savoir s’il existait, le cas échéant, dans le contrat, un terme implicite portant sur le caractère approprié des marchandises pour le transport; le résultat, toutefois, était le même.)

L’affaire la plus récente d’Angleterre est celle du Giannis N.K., The, [1994] 2 Lloyd’s Rep. 171 (Q.B. (Com. Ct.)). Cette affaire, qui traitait d’une cargaison de marchandises non physiquement dangereuses, c’est-à-dire de cacahuètes, semble soulever la plupart des questions auxquelles je me trouve confronté, notamment le fait de savoir quelles marchandises sont dangereuses selon la common law. Le juge Longmore a décidé que la cargaison transportée par les défendeurs était de nature dangereuse, au sens de la Règle 6 de l’article IV des Règles de La Haye. Le savant juge a ensuite évoqué le fait de savoir si la connaissance des chargeurs était une condition préalable pour admettre la responsabilité. Le juge Longmore a déclaré, sans équivoque, se fondant entre autres sur l’affaire Brass v. Maitland, précitée, que la responsabilité du chargeur était absolue en common law. À la page 80, le juge Longmore déclare :

[traduction] Les Règles de La Haye impose une responsabilité stricte à l’égard du chargeur pour les dommages et dépenses découlant de l’embarquement de marchandises de nature dangereuse. Le chargeur ne peut faire valoir qu’il ne savait pas, et qu’il ne pouvait pas savoir, que les marchandises étaient dangereuses. Quant aux cargaisons physiquement dangereuses, en common law, la responsabilité du chargeur est tout aussi stricte. Dans l’affaire Brass v. Maitland, 6 El.& Bl. 470, une telle décision a été prise par jugement rendu en majorité par la Cour du Banc du Roi. Le juge Crompton était dissident sur cet aspect et il a déclaré que l’absence de négligence devait constituer un moyen de défense. Dans l’affaire Bamfield v. Goole and Sheffield Transport Co. Ltd., [1910] 2 K.B. 94, la majorité de la Cour a préféré le jugement rendu par la majorité dans l’affaire Brass v. Maitland, ce qui met fin à la question pour un juge de première instance.

Je suis entièrement d’accord avec le juge Longmore que les décisions dans les affaires Brass v. Maitland et Bamfield v. Goole, toutes deux rendues à la majorité par la Cour d’appel anglaise, ne laissent aucun choix au juge de première instance. Dans tous les cas, j’appuie totalement les points de vue exprimés par la majorité dans ces deux affaires. Dès lors, je suis d’avis que, même si les demanderesses ne connaissaient pas la nature dangereuse de leur cargaison, ils doivent être rendus responsables des dommages causés au navire[7].

Je devrais peut-être noter que dans l’affaire Athanasia Comninos, le juge Mustill (tel était alors son titre) a déclaré, à la page 282, que selon lui, la tendance de la jurisprudence appuyait le caractère absolu de la garantie.

Je voudrais rappeler que l’avocat des demanderesses a soutenu que les Règles de La Haye avaient été intégrées dans la charte-partie. J’ai décidé que ce n’était pas le cas. Toutefois, même si je devais avoir tort sur ce point, je voudrais faire remarquer que la Règle 6 de l’article IV de ces Règles impose clairement au chargeur de marchandises dangereuses une responsabilité pour les dommages et dépenses causés par ses marchandises. Ainsi, que les Règles de La Haye s’appliquent ou non, Perlite et Lantana sont responsables des dommages causés au navire par leur cargaison dangereuse.

Par conséquent, Perlite et Lantana doivent verser aux défendeurs les sommes de 1 202 459 62 $ CAN et de 485 007 25 $ US. Comme je l’ai déjà mentionné, les parties ont convenu de ces montants avant la fin de l’instance[8].

La somme de 485 007 25 $ US équivaut à 582 008 70 $ CAN convertie à un taux de 1 00 $ US égal à 1 20 $ CAN. Ainsi, les demanderesses Perlite et Lantana doivent verser aux défendeurs la somme de 1 784 468 32 $.

Dans leurs montants convenus dans le cadre de la demande reconventionnelle (pièce D-43), les parties expliquent comment les montants convenus doivent être répartis conformément aux demandes particulières des défendeurs. L’entente prévoit ce qui suit :

41(a)

CAN

     33 216,53 $

41(b)

CAN

   114 509,98 $

41(c)

CAN

1 054 733,11 $

43

US

     79 007,25 $

44

US

        406 000 $

TOTAL

CAN

1 202 459,62 $

TOTAL

US

   485 007,25 $

L’intérêt avant jugement à 9 p. 100 par année commence à courir à partir des dates suivantes :

—sur la somme de :

33 216 53 $ CAN = le 8 novembre 1988

—sur la somme de :

114 509 98 $ CAN = le 13 novembre 1988

—sur la somme de :

1 054 733 11 $ CAN = le 23 décembre 1988

—sur la somme de :

79 007 25 $ US = le 1er novembre 1988

(ou l’équivalent en dollars canadiens de 94 808,70)

—sur la somme de :

406 000 $ US = le 23 décembre 1988

(ou l’équivalent en dollars canadiens de 487 200)

En ce qui concerne l’intérêt après jugement, les parties, si elles ne peuvent s’entendre, devront communiquer avec moi le plus rapidement possible.

Enfin, les défendeurs ont droit à leurs dépens tant sur l’action des demanderesses que sur leur demande reconventionnelle.

Dès lors, en guise de conclusion, l’action des demanderesses est rejetée avec dépens. La demande reconventionnelle des défendeurs à l’encontre de Perlite et de Lantana est accueillie avec dépens en faveur des défendeurs. La demande reconventionnelle contre Pemtex est rejetée sans dépens.



[1] Germain, au nom de Perlite, a signé la charte-partie après le 28 octobre 1988.

[2] Després a déclaré, dans son témoignage, que Pemtex avait été constituée en société peu avant la conclusion des dispositions d’expédition aux présentes; en fait, Pemtex a été constituée en société le 8 août 1984 (pièce D-1).

[3] Aussi publié dans [1954] 1 Lloyd’s Rep. 321, à la p. 332.

[4] L’auteur fait référence ici à deux jugements rendus en Angleterre, savoir Stock v. Inglis (1884), 12 Q.B.D. 564 (C.A.), à la p. 573 et Wilson (J. Raymond) & Co., Ltd. v. Norman Scratchard, Ltd. (1944), 77 Ll. L. Rep. 373 (K.B.), à la p. 374.

[5] Dans Voyage Charters, à la p. 263, les auteurs déclarent que : [traduction] « l’arrimage fait partie de l’opération de chargement, et qu’il incombe entièrement au propriétaire, à moins que les conditions de la charte n’entraînent le transfert de cette responsabilité à l’affréteur : voir Court Line v. Canadian Transport [1940] A.C. 934, 943. Il inclut tous les aspects de l’aménagement et de l’arrimage de la cargaison dans le bateau ou sur le pont de telle façon que le bateau et la cargaison soient en état de faire le voyage. Il inclut des aspects comme l’ensachage à des fins de compensation et de stabilité (Argonaut v. Ministry of Food [1949] 1 K.B. 572) et la fixation de la cargaison (Svenssons v. Cliffe [1932] 1 K.B. 490). Le propriétaire a le droit d’employer un manutentionnaire pour faire le travail, et il le fait souvent, mais cela n’a aucune incidence sur sa responsabilité. »

[6] Bien que la décision soit publiée dans les Lloyd’s Reports en 1990, elle a été rendue par le juge Mustill (tel était alors son titre) le 21 décembre 1979. Le témoin expert Barbeau a déclaré que la pression hydroscopique provenait d’un fluide « dont la densité dépend de la hauteur d’immersion ».

[7] Aux États-Unis, il semblerait qu’un chargeur qui n’a pas reçu d’avertissement effectif ou virtuel quant à la nature dangereuse de sa cargaison ne sera pas responsable des dommages causés à un navire. (Voir Sucrest Corp. v. M/V Jennifer, 455 F. Supp. 371 (N.D. Me. 1978); voir également Voyage Charters, précité, aux p. 118 et 119.)

[8] Les parties ont déposé un document intitulé [traduction] « Montants convenus dans le cadre de la demande reconventionnelle » (pièce D-43).

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