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[1996] 1 C.F. 174

IMM-4557-93

Issam Al Yamani (requérant)

c.

Le Procureur général du Canada, le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimés)

et

Le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, la Fédération canado-arabe, l’Association canadienne des libertés civiles (intervenants)

IMM-2197-94

Issam Al Yamani (requérant)

c.

Le Procureur général du Canada (intimé)

et

Le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, la Fédération canado-arabe et l’Association canadienne des libertés civiles (intervenants)

Répertorié : Al Yamani c. Canada (Solliciteur général) (1re inst.)

Section de première instance, juge MacKay—Ottawa, 16, 17, 18 et 19 août 1994 et 7 novembre 1995.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Libertés fondamentales — L’art. 19(1)g) de la Loi sur l’immigration interdisant l’admission des personnes appartenant à une organisation susceptible de commettre des actes de violence de nature à porter atteinte à la vie ou à la sécurité humaines au Canada ou susceptibles de prendre part aux activités illégales de ce genre d’organisation — L’art. 2d) de la Charte garantissant la liberté d’association à chacun — L’art. 19(1)g) limite la liberté d’association des résidents permanents car il s’applique aux membres de ce type d’organisation indépendamment des obligations des membres, de l’éventail des autres activités de l’organisation ou de l’influence que la personne en cause pourrait exercer au sein de l’organisation, enfreignant ainsi l’art. 2d) — L’art. 19(1)g) ne limite pas la liberté d’expression — Certification, pour examen par la C.A.F., de la question de la validité constitutionnelle de l’art. 19(1)g).

Droit constitutionnel — Charte des droits — Clause limitative — L’art. 19(1)g) de la Loi sur l’immigration enfreint l’art. 2d) de la Charte — Infraction non justifiée selon l’article premier de la Charte — Pas de lien rationnel entre la protection de la vie et de la sécurité humaines au Canada et la limitation de la liberté d’association des résidents permanents membres d’organisations susceptibles de commettre des actes de violence de nature à porter atteinte à la vie de Canadiens — L’ampleur de la restriction n’est pas proportionnelle à l’objectif poursuivi — Le Parlement ne limite pas le moins possible la liberté d’association des résidents permanents — Il ne convient pas de faire une « interprétation atténuée » de l’art. 19(1)g), car il a été promulgué avant l’entrée en vigueur de la Charte — Certification, pour examen par la C.A.F., de la question de savoir si la violation de l’art. 2d) est justifiée selon l’article premier de la Charte.

Compétence de la Cour fédérale — Section de première instance — La conclusion du CSARS que le requérant est visé par l’art. 19(1)g) de la Loi sur l’immigration est sujette à contrôle judiciaire en vertu des art. 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale — Il entre dans les pouvoirs de la Cour de décider si elle a le pouvoir de rendre une décision à l’égard de la contestation de cette décision immédiatement plutôt qu’à un stade ultérieur de la procédure — Décision définitive selon l’art. 39(9) de la Loi sur l’immigration — Demande d’ordonnance annulant la décision de l’organisme d’enquête appropriée en vertu du principe d’équité — Le gouverneur général en conseil donnant généralement suite aux décisions du CSARS, une décision défavorable a des effets négatifs sur les droits, les intérêts, les biens et les privilèges ou les libertés des personnes en cause — La Cour n’est pas convaincue qu’elle ne devrait pas entendre une demande de contrôle judiciaire soulevant des questions d’équité de la procédure, de droit administratif et de validité constitutionnelle de l’instance — Question de compétence certifiée pour examen par la C.A.F.

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Contrôle judiciaire de la décision du CSARS concluant que le requérant est visé par l’art. 19(1)g) de la Loi sur l’immigration — Le gouverneur en conseil ordonne la délivrance d’une attestation d’atteinte à la sécurité pour les motifs énoncés dans la décision du CSARS — Le principe d’équité n’exige pas que l’on donne la possibilité de présenter d’autres arguments au gouverneur en conseil lorsque ses motifs de décision sont ceux du CSARS — Le requérant sait à quoi s’en tenir au moyen de l’énoncé des circonstances — Les règles de procédure du CSARS confèrent le pouvoir de révéler le fond des observations — Les règles équilibrent la nécessité de prévenir les atteintes à la sécurité des Canadiens et le principe d’équité envers les personnes en cause — La justice fondamentale n’exige pas que l’avocat ait accès à l’information dont le CSARS estime qu’il est indispensable qu’elle soit communiquée à huis-clos et unilatéralement, en l’absence de la personne en cause — Elle n’exige pas la divulgation de tous les détails concernant les sources et les techniques de renseignement ni les fondements des conclusions — La circulation du rapport parmi les membres qui n’ont pas entendu la cause en vertu de la Règle 37 est appropriée, car elle permet d’informer les membres à temps partiel des travaux du CSARS — Certification, pour examen par la C.A.F., de la question de l’infraction aux principes de justice fondamentale.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — La conclusion du CSARS que le requérant est membre du Front populaire de libération de la Palestine n’est ni arbitraire ni abusive ni sans fondement — La conclusion que l’organisation est susceptible de commettre des actes de violence n’est pas déraisonnable — La norme de preuve habituelle dans les instances civiles, c’est-à-dire la prépondérance des probabilités, a été correctement appliquée — « Susceptible » signifie « capable de » — Le terme anglais (likely) est confirmé par le recours au terme « susceptible » de la version française — L’« appartenance » (member) n’exige pas de preuve des obligations des membres ni que la personne ait des antécédents violents ou l’obligation de participer à des actes de violence — Le Parlement avait l’intention manifeste d’exclure du Canada les membres d’organisations susceptibles de commettre des actes de violence — Certification, pour examen par la C.A.F., de la question de l’interprétation des termes « susceptible » (likely) et « appartenir » (member).

Pratique — Parties — Qualité pour agir — La partie intervenante veut faire valoir que l’application de l’art. 19(1)g) de la Loi sur l’immigration traite les résidents permanents palestiniens différemment au motif prohibé de leur origine nationale ou ethnique en raison de leur association avec des organisations palestiniennes, et qu’il y a donc infraction à l’art. 15 de la Charte — Question évoquée dans les observations écrites, mais non à l’audience — La partie intervenante n’a pas qualité pour soulever des questions qui n’ont pas été évoquées par les parties à l’audience.

Il s’agit de demandes de contrôle judiciaire d’un rapport du comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS) et de sa conclusion que le requérant est visé par l’alinéa 19(1)g) de la Loi sur l’immigration, ainsi que de la décision du gouverneur général en conseil se disant convaincu, aux motifs énoncés dans le rapport, que le requérant est visé par l’alinéa 19(1)g). L’alinéa 19(1)g) interdit l’admission des personnes appartenant à une organisation susceptible de commettre des actes de violence de nature à porter atteinte à la vie ou à la sécurité humaines au Canada ou susceptibles de prendre part aux activités illégales de ce genre d’organisation. Cette décision a pour conséquence que le requérant, qui est un résident permanent, risque l’expulsion. Le requérant est né au Liban, mais il est actuellement apatride. Il a grandi auprès de nombreux dirigeants du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) et quelques-uns de ceux de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Il a obtenu le droit d’établissement au Canada en 1985. Lorsqu’il a demandé la citoyenneté canadienne en 1988, il a fait l’objet d’une enquête de sécurité par le SCRS. Un rapport a été présenté au CSARS parce qu’on estimait qu’il représentait une menace pour la sécurité du pays aux termes de certaines dispositions de la Loi. Avant l’audition prévue devant un seul membre du CSARS, le requérant a reçu un énoncé des circonstances exposant les allégations relatives au rôle et aux activités du requérant en faveur de l’indépendance de la Palestine, notamment certaines activités reliées au FPLP. Un document d’une page a suivi sur certaines activités auxquelles le requérant se serait livré en relation avec le FPLP. Au cours de l’audition, quatre agents du SCRS ont témoigné à huis-clos, en l’absence du requérant et de son avocat. Un résumé des éléments de preuve et des comptes rendus expurgés des témoignages à huis-clos de deux de ces quatre témoins ont été communiqués au requérant. L’avocat du requérant a interrogé ces agents au sujet des questions exposées dans le compte rendu expurgé de leur témoignage. Le requérant n’a pas obtenu de résumé ou d’autre compte rendu du témoignage des deux agents du SCRS. Certaines parties du compte rendu des débats du CSARS n’ont pas été divulguées, comme le permet la Loi sur la preuve au Canada pour des raisons de sécurité nationale. Le CSARS a conclu que le requérant appartenait au FPLP, organisation susceptible de commettre des actes de violence de nature à porter atteinte à la vie ou à la sécurité humaines au Canada, et qu’il était donc visé par l’alinéa 19(1)g). Le requérant n’a pas eu la possibilité de présenter d’arguments au gouverneur général en conseil.

Jugement : une partie de l’alinéa 19(1)g) enfreint l’alinéa 2d) de la Charte d’une manière dont la justification ne peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique, de sorte que la décision du CSARS ne saurait tenir.

1) La décision du CSARS pouvait faire l’objet d’un contrôle judiciaire en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. Le CSARS est un « office fédéral » puisqu’il exerce une compétence ou des pouvoirs conférés par une Loi du Parlement. Que cette compétence s’exerce à l’égard d’une demande contestant cette décision immédiatement plutôt qu’une décision rendue à un stade ultérieur de la procédure ou, comme c’est le cas en l’espèce, en sus d’une contestation de ladite décision ultérieure, est une question qu’il incombe à la Cour de trancher. La décision que le CSARS a rendue en vertu du paragraphe 39(9) de la Loi sur l’immigration était une décision définitive du comité proprement dit. Le fait qu’un appel puisse en fin de compte être interjeté à l’égard d’une éventuelle expulsion n’était pas un facteur important pour répondre à la question de savoir si la Cour devrait exercer son pouvoir d’accorder une mesure de redressement. Il se peut qu’un contrôle judiciaire soit nécessaire à une ordonnance annulant la décision d’un organisme d’enquête ou de recommandation, surtout s’il est allégué que cet organisme a une obligation d’équité, mais qu’elle a failli à ses responsabilités. Le gouverneur général en conseil donne habituellement suite aux recommandations du CSARS. Il s’ensuit qu’un rapport et une décision défavorables auront des effets négatifs sur les droits, les intérêts, les biens, les privilèges ou les libertés de la personne en cause. La Cour n’a pas été convaincue qu’elle ne devrait pas traiter cette demande de contrôle judiciaire, qui soulève de graves questions d’équité de la procédure, de droit administratif et de validité constitutionnelle de l’instance.

2) La Fédération canado-arabe a soutenu que l’alinéa 19(1)g), tel qu’il était appliqué, traitait les résidents permanents palestiniens différemment au motif prohibé de leur origine nationale ou ethnique en raison de leur association avec des organisations ou des causes palestiniennes et qu’il s’agissait d’une infraction à l’article 15 de la Charte. L’article 15 de la Charte a été brièvement évoqué dans les observations écrites, mais il n’en a pas été question dans les arguments du requérant, pas plus qu’à l’audience. Ce sont les parties à une instance ou à une demande de contrôle judiciaire qui établissent les questions qui doivent être réglées par leurs plaidoiries ou des documents en les présentant dans leurs arguments à l’audience. La Fédération n’avait pas, en tant qu’intervenante, qualité pour soulever des questions non soulevées par les parties elles-mêmes à l’audience.

3) La conclusion du CSARS concernant la crédibilité du requérant lorsque celui-ci niait appartenir au FPLP doit être envisagée à la lumière des éléments de preuve attestant qu’il était en effet un membre de haut rang de l’organisation, dont il avait toute la confiance. La Cour, saisie d’éléments de preuve conflictuels, a conclu que le requérant appartenait effectivement à ladite organisation et que ses dénégations n’étaient pas convaincantes étant donné les éléments de preuve produits, et non pas à huis-clos, notamment le fait qu’il avait lui-même reconnu avoir des liens étroits avec l’organisation et s’être livré à des activités pour son compte. Au vu des éléments de preuve dont il disposait, le CSARS a tiré des conclusions qui n’étaient ni arbitraires ni abusives ni sans fondement. La conclusion que le FPLP était susceptible de commettre des actes de violence de nature à porter atteinte à la vie ou à la sécurité humaines au Canada n’était pas déraisonnable étant donné l’ensemble des éléments de preuve à caractère public.

4) Le CSARS a fondé ses conclusions comme il se devait sur la norme de preuve habituelle des instances civiles, à savoir la prépondérance des probabilités. Ce n’est que l’une des normes exigées dans toutes les instances civiles, mais l’alinéa 19(1)g) n’en exige pas d’autre.

Le CSARS a correctement interprété les termes « susceptible » (likely) et « appartenir » (member). « Susceptible », ainsi que la version française rend le terme « likely », signifie « capable de » et non pas simplement « probable ». Selon le rapport du CSARS, « le FPLP ( … ) pourrait commettre des actes de violence » : il s’agit plus que d’une simple possibilité, c’est plutôt une capacité manifeste de l’organisation à être un groupe terroriste international, selon les antécédents et la situation de l’organisation tels qu’ils ont été établis par le CSARS.

Il n’était pas nécessaire d’interpréter le terme « appartenir » (member) pour établir les obligations des membres d’une organisation ou le fait que le membre avait des antécédents violents ou l’obligation de commettre des actes de violence pour le compte et sous la direction de l’organisation. La note d’information rédigée pour le ministre à l’égard de l’alinéa 19(1)g) indique que l’inclusion de « membres » sans preuve nécessaire de leur susceptibilité de prendre part à des actes de violence pour le compte de leur organisation était délibérément destinée à exclure du Canada les membres d’organisations susceptibles (likely) de commettre des actes de violence de nature mettre les Canadiens en danger.

5) L’obligation issue du principe d’équité n’exigeait pas que le requérant ait une autre possibilité de présenter des arguments au gouverneur général en conseil avant que des mesures soient prises. Lorsqu’une décision est précisément prise en fonction des motifs énoncés dans un rapport du CSARS et qu’il n’existe pas d’autres éléments de preuve, les motifs de décision du gouverneur général en conseil sont ceux du CSARS. L’énoncé des circonstances fourni au requérant dès le début de la procédure du CSARS a informé le requérant de ce qui lui était reproché, et cette procédure lui a donné la possibilité pleine et entière de présenter ses arguments. Le seul cas où l’obligation d’équité exigerait que le requérant puisse présenter ses arguments une fois le rapport du CSARS déposé serait celui où le comité ne recommanderait pas la délivrance d’une attestation, mais que le gouverneur général en conseil déciderait, en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés, que la personne en cause devrait faire l’objet d’une attestation en vertu du paragraphe 40(1).

6) L’alinéa 19(1)g) ne limite pas la liberté d’expression. Il n’a pas de rapport ni de lien particulier avec la liberté d’expression hors ses effets sur la liberté d’association (au sens où l’association est un moyen d’expression).

L’alinéa 19(1)g), qui s’applique aux cas où il y a simple affiliation à une organisation susceptible de commettre des actes de violence indépendamment des obligations des membres, de l’éventail des activités de l’organisation ou de l’influence que la personne en cause pourrait exercer au sein de la dite organisation, limite effectivement la liberté d’association. Les libertés garanties par l’article 2 de la Charte s’appliquent à tous et « chacun ». En prévoyant l’expulsion de résidents permanents appartenant à une organisation peu nettement définie, la Loi empiète sur la liberté des résidents permanents de s’associer en organisations.

Les exigences de l’article premier de la Charte ne sont pas remplies. Il n’existe pas de lien rationnel entre la protection de la vie et de la sécurité humaines au Canada et la limitation de la liberté d’association de résidents permanents qui sont simples membres d’organisations, quelle que soit leur nature, qui sont susceptibles (likely) de commettre des actes de violence de nature à porter atteinte à la vie ou à la sécurité humaines au Canada. L’envergure de la limitation de la liberté d’association envisagée à l’alinéa 19(1)g) n’est pas proportionnelle à l’objectif poursuivi. En englobant les membres d’organisations définies en termes généraux, sans égard aux antécédents ou aux tendances de la personne en cause en matière de violence, le Parlement ne limite pas le moins possible la liberté d’association des résidents permanents. Il ne convient pas de faire une « interprétation atténuée » de l’alinéa 19(1)g) pour le limiter aux circonstances relevant de la compétence du Parlement, car il est entré en vigueur avant la Charte, en 1982, et qu’il n’était pas évident, lorsqu’il a été promulgué, que le Parlement ait eu l’intention d’en attendre une « interprétation atténuée ».

7) La procédure du CSARS ne soulève pas de questions à l’égard de l’article 7 de la Charte, pas plus qu’elle n’a été contraire aux principes de justice fondamentale selon la common law. Les règles de procédure du CSARS lui confèrent le pouvoir de révéler le fond des déclarations. Ces règles sont destinées à équilibrer la nécessité de prévenir les atteintes à la sécurité des Canadiens et l’obligation d’équité envers la personne faisant l’objet d’une enquête, tout en garantissant que les membres du comité se conforment aux termes de l’article 37 de la Loi sur le SCRS, qui leur fait obligation de remplir toutes les conditions de sécurité applicables et d’être fidèles à leur serment de confidentialité en vertu de la Loi. Il incombe au CSARS, conformément à la Loi sur le SCRS, de déterminer ce qui, dans les renseignements qui lui sont fournis, peut être entendu à l’audience ou doit être communiqué à huis-clos et unilatéralement, en l’absence de la personne en cause ou de son avocat, et ce qui, s’il y a lieu, dans les renseignements ainsi obtenus, peut être révélé. Dans le cadre des enquêtes de sécurité, la justice fondamentale n’exige pas la divulgation de tous les détails relatifs aux sources ou aux techniques de renseignement ou aux fondements des conclusions. Enfin, la Règle 37 exige qu’un rapport provisoire circule parmi tous les membres du CSARS afin qu’ils fassent des suggestions à caractère juridique ou rédactionnel ou recommandent éventuellement un supplément d’enquête. Toutes les enquêtes du CSARS ont trait à la sécurité nationale. Les membres du comité sont tous des membres à temps partiel. Il convient donc que tous soient toujours tenus au courant des travaux entrepris pour le compte du comité.

Des questions de droit ayant trait à la compétence de la Cour, à l’interprétation et à la validité constitutionnelle de l’alinéa 19(1)g) et à la violation de la justice fondamentale, soit en vertu de l’article 7 de la Charte, soit en vertu de la common law, par la procédure appliquée en l’espèce, ont été certifiées pour examen par la Cour d’appel.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 2b),d), 7, 11h), 12, 15.

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6.

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 52.

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2 « office fédéral » (mod. par L.C. (1990), ch. 8, art. 1), 18 (mod., idem , art. 4), 18.1 (édicté, idem, art. 5), 28 (mod., idem, art. 8; 1992, ch. 26, art. 17; ch. 49, art. 128), 57 (mod. par L.C. (1990), ch. 8, art. 19).

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 37(1).

Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23, art. 37, 39(1), 41, 42, 43, 44, 48, 49, 50, 51.

Loi sur l’immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52, art. 19(1)g).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 19(1)e) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11), g), 27(1) (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 4; L.C. 1992, ch. 49, art. 16), 32(2) (mod., idem, art. 21), 38.1 (édicté, idem, art. 28), 39(2) (mod., idem, art. 29), (3),(5),(6),(9),(10), 40 (mod., idem, art. 30), 70(4) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; L.C. 1992, ch. 49, art. 65), 83(1) (mod., idem, art. 73).

Règles de procédure du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité à l’égard des fonctions exercées en vertu de l’alinéa 38c) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, adoptées le 9 mars 1985.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Thomson c. Canada (Sous-ministre de l’Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385; (1992), 89 D.L.R. (4th) 218; 3 Admin. L.R. (2d) 242; 133 N.R. 345; Fonds international pour la défense des animaux, Inc. c. Canada, [1988] 3 C.F. 590 (1988), 83 N.R. 301 (C.A.); Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038; (1989) 59 D.L.R. (4th) 416; 26 C.C.E.L. 85; 89 CLLC 14,031; 93 N.R. 183; Smith v. Smith, [1952] 2 R.C.S. 312; [1952] 3 D.L.R. 449; Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; (1992), 90 D.L.R. (4th) 289; 2 Admin. L.R. (2d) 125; 72 C.C.C. (3d) 214; 8 C.R.R. (2d) 234; 16 Imm. L.R. (2d) 1; 135 N.R. 161; La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; (1986), 26 D.L.R. (4th) 200; 24 C.C.C. (3d) 321; 50 C.R. (3d) 1; 19 C.R.R. 308; 65 N.R. 87; 14 O.A.C. 335; Canepa c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 3 C.F. 270 (1992), 10 C.R.R. (2d) 348 (C.A.); Hoang c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990), 13 Imm. L.R. (2d) 35; 120 N.R. 193 (C.A.F.); Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 176 N.R. 4 (C.A.F.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927; (1989), 58 D.L.R. (4th) 577; 25 C.P.R. (3d) 417; 94 N.R. 167; Hurd c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 C.F. 594 (1988), 90 N.R. 31 (C.A.); Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 C.F. 299 (1990), 67 D.L.R. (4th) 697; 42 Admin. L.R. 189; 10 Imm. L.R. (2d) 137; 107 N.R. 107 (C.A.); SITBA c. Consolidated-Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282; (1990), 68 D.L.R. (4th) 524; 42 Admin. L.R. 1; 90 CLLC 14,007; 38 O.A.C. 321.

DÉCISIONS CITÉES :

Yamani c. Canada (Solliciteur général) et autres (1994), 80 F.T.R. 307; 27 Imm. L.R. (2d) 116 (C.F. 1re inst.); Conseil canadien des fabricants des produits du tabac c. Conseil national de commercialisation des produits de ferme, [1986] 2 C.F. 247 (1986), 19 Admin. L.R. 99; 26 D.L.R. (4th) 677; 65 N.R. 392 (C.A.); Blanchard c. Control Data Canada Ltée et autre, [1984] 2 R.C.S. 476; (1984), 14 D.L.R. (4th) 289; 14 Admin. L.R. 133; 84 CLLC 14,070; 55 N.R. 194; Smith c. Canada, [1991] 3 C.F. 3 (1991), 4 Admin. L.R. (2d) 97; 42 F.T.R. 81; 14 Imm. L.R. (2d) 57 (1re inst.); Reg. v. Secretary of State for the Home Department, Ex parte Khawaja, [1984] A.C. 74 (H.L.); Farahi-Mahdavieh, Re (1993), 63 F.T.R. 120; 19 Imm. L.R. (2d) 22 (C.F. 1re inst.); Husseini (Re), [1993] F.C.J. no 1386 (1re inst.) (QL); Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313; (1987), 78 A.R. 1; 38 D.L.R. (4th) 161; [1987] 3 W.W.R. 577; 51 Alta. L.R. (2d) 97; 87 CLLC 14,021; [1987] D.L.Q. 225; 74 N.R. 99.

DOCTRINE

Harrap’s Standard French and English Dictionary London : Harrap Books, 1987.

Petit Robert 1 : Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Paris : Le Robert, 1987.

DEMANDES de contrôle judiciaire du rapport du CSARS et de sa conclusion que le requérant est visé par l’alinéa 19(1)g) de la Loi sur l’immigration, et de la décision du gouverneur général en conseil se disant convaincu, en fonction des motifs énoncés dans le rapport du comité, que le requérant est visé par l’alinéa 19(1)g). La conclusion du CSARS doit être annulée dans la mesure où elle s’appuie sur l’alinéa 19(1)g), lequel enfreint l’alinéa 2d) de la Charte d’une manière dont la justification ne peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

AVOCATS :

Barbara L. Jackman et Frank Addario pour le requérant.

Barbara A. McIsaac, c.r., pour les intimés.

Simon Noël pour le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (intervenant).

Charles Saikaley pour la Fédération canado-arabe (intervenante).

J. J. Mark Edwards pour l’Association canadienne des libertés civiles (intervenante).

PROCUREURS :

Jackman & Associates, Toronto, pour le requérant.

Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.

Noël, Berthiaume, Hull (Québec), pour le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (intervenant).

Lang Michener, Ottawa, pour la Fédération canado-arabe (intervenante).

Nelligan Power, Ottawa, pour l’Association canadienne des libertés civiles (intervenante).

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge MacKay : Il s’agit de deux demandes de contrôle judiciaire concernant une décision du comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS) en date du 3 août 1994 et une décision du gouverneur général en conseil rendue le 25 août 1994 en fonction d’une décision et d’un rapport du CSARS. Les deux décisions portent sur le requérant et sont respectivement les suivantes : dossier IMM-4557-93, où la conclusion et le rapport du CSARS établissent que le requérant est visé par l’alinéa 19(1)g) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée (la Loi) et ont donné lieu à la recommandation qu’une attestation soit délivrée en ce sens conformément au paragraphe 40(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 30] de la Loi; et dossier IMM-2197-94, où la décision du gouverneur général en conseil en date du 25 août 1994 établit qu’il est convaincu que le requérant est visé par l’alinéa 19(1)g) de la Loi et ordonne au solliciteur général de délivrer une attestation de sécurité conformément à l’article 40. C’est ainsi que, le 28 septembre 1993, le solliciteur général du Canada délivrait une attestation en vertu du paragraphe 40(1), certifiant que le requérant est visé par l’alinéa 19(1)g) de la Loi.

Ces décisions ont pour effet que le requérant, qui est un résident permanent du Canada, risque l’expulsion en tant que personne visée par l’alinéa 19(1)g) de la Loi, qui comprend les personnes « dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, qu’elles commettront des actes de violence de nature à porter atteinte à la vie et à la sécurité humaines au Canada, ou qu’elles appartiennent à une organisation susceptible de commettre de tels actes ou qu’elles sont susceptibles de prendre part aux activités illégales d’une telle organisation ».

Vu la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’égard de la première décision (par le CSARS) déposée le 18 août 1993, l’autorisation a été accordée, et la question a été inscrite pour une audience, qui a finalement eu lieu en mai 1994. À ce stade, les intimés désignés étaient le solliciteur général du Canada et le ministre de l’Emploi et de l’Immigration; quant au comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, tout d’abord intimé, il a été désigné comme intervenant. Lorsque l’audience a commencé, le 16 mai, certaines questions préliminaires qui ont donné lieu à des exposés ont été soulevées, mais lorsqu’il a été question de la deuxième demande d’autorisation et de contrôle judiciaire (IMM-2197-94, déposée le 29 avril 1994), l’audience a été ajournée avec le consentement de toutes les parties présentes, le ministère public a accepté l’octroi de l’autorisation et l’audition de la deuxième demande de contrôle judiciaire de façon qu’elle soit réglée rapidement en même temps que la première demande. Les dispositions alors prises ont permis d’organiser l’audition des deux demandes, lesquelles portaient généralement sur les mêmes éléments factuels, dans le cadre d’une audience qui a eu lieu les 16, 17, 18 et 19 août 1994. Dans l’intervalle, la Fédération canado-arabe (FCA) et l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC) ont demandé à être admis comme intervenants. Après consultation des avocats des parties par téléphone, la demande de la FCA a été accueillie, puis, un peu plus tard, celle de l’ACLC, et les deux organismes ont été admis, à certaines conditions, comme intervenants dans l’affaire. Ils ont été entendus à l’audition des demandes au sujet de certaines questions soulevées comme il sera mentionné ultérieurement. De plus, avant l’audience, le CSARS a été admis comme intervenant à l’égard du dossier IMM-2197-94. Les intervenants étaient donc les mêmes dans le cadre des deux demandes—le CSARS, la FCA et l’ACLC, tous trois représentés par leur propre avocat.

Comme les questions soulevées par le requérant et par la FCA comportaient des arguments portant que l’alinéa 19(1)g) de la Loi est inconstitutionnel, c’est-à-dire non valide, eu égard à certaines dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte), les deux parties ont été invitées à donner avis d’une question constitutionnelle aux procureurs généraux des provinces conformément à l’article 57 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 19]. Comme ces avis portaient sur des questions constitutionnelles similaires également soulevées par l’ACLC, cette dernière, en tant qu’intervenant tardif, n’a pas été invitée à fournir d’avis distinct en vertu de l’article 57. Aucun procureur général provincial n’a demandé à intervenir dans l’instance.

Les demandes soulevaient des questions de droit administratif ainsi que des questions constitutionnelles importantes dans le cadre du processus décisionnel suivi en l’espèce. Ce processus, selon la Loi et selon la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23, modifiée (la Loi sur le SCRS), a trait au renvoi éventuel du Canada d’une personne qui a été admise comme résident permanent, mais qui n’a pas encore obtenu la citoyenneté canadienne, et qui, selon les ministres chargés des questions ayant trait à la sécurité nationale et à l’immigration, représenterait un risque pour la sécurité publique au Canada.

Les questions soulevées sont nombreuses, et elles sont reliées entre elles dans les deux demandes. On trouvera dans les présents motifs une brève description du contexte, l’énoncé des principales dispositions législatives en cause et un aperçu du processus dont relèvent les décisions contestées, et notamment les grandes lignes de la procédure appliquée par le CSARS. S’y ajoutent les constatations et conclusions du CSARS dans son rapport. Suit une liste des questions à trancher et leur traitement, en commençant par les questions de procédure, suivies des questions de droit administratif et enfin des questions constitutionnelles eu égard aux alinéas 2b) et 2d) et à l’article 7 de la Charte ainsi que des questions connexes de justice fondamentale dans la jurisprudence. On trouvera ensuite un résumé des conclusions auxquelles a donné lieu l’analyse de ces questions, puis une description de la nature des ordonnances et enfin une attestation des questions en vertu du paragraphe 83(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73] de la Loi pour examen par la Cour d’appel.

Le contexte

Le requérant, M. Al Yamani, est apatride d’origine palestinienne, maintenant âgé de 39 ans. Son père aurait été l’un des fondateurs du Front populaire de libération de la Palestine (le FPLP), et le requérant a grandi en côtoyant de nombreux dirigeants de cette organisation et certains de ceux de l’Organisation de libération de la Palestine (l’OLP). Il est né à Beyrouth, mais il n’a pas la nationalité libanaise : il est cependant porteur d’un document de voyage délivré par le gouvernement libanais et c’est avec ce document qu’il a voyagé. Il paraît qu’il ne peut retourner au Liban, peut-être à cause des préoccupations associées à son statut au Canada, où on estime qu’il représente un risque pour la sécurité d’autrui.

Au début des années 1980, tandis qu’il vivait au Liban, M. Al Yamani a demandé à être admis comme immigrant ayant obtenu le droit d’établissement au Canada. Sa demande a finalement été approuvée. Il s’est donc rendu au Canada, où il a obtenu le droit d’établissement le 27 avril 1985. Il habite ici depuis tout en faisant un certain nombre de déplacements de temps à autre au Moyen-Orient et aux États-Unis. Il est marié et a deux enfants nés au Canada, l’un issu de son mariage actuel, l’autre d’un mariage antérieur.

Il a demandé la nationalité canadienne en mai 1988 et c’est apparemment par suite de cette demande qu’il a fait l’objet d’un contrôle de sécurité par le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS). Le 1er avril 1991, il a été interrogé par un agent du SCRS. Il a ensuite reçu une lettre en date du 29 mai 1992, signée par celui qui était alors le ministre de l’Emploi et de l’Immigration et par le solliciteur général, qui déclarait qu’on avait fait un rapport au CSARS conformément au paragraphe 39(2) de la Loi parce qu’ils étaient d’avis que M. Al Yamani était visé par les alinéas 19(1)e), 19(1)g) et 27(1)c) de la Loi. Il convient de souligner que l’alinéa 27(1)c) a depuis été abrogé [L.C. 1992, ch. 49, art. 16]. Cela dit, bien que la décision du CSARS ne renvoie qu’à l’alinéa 19(1)g), voici les dispositions pertinentes à l’espèce de la Loi [art. 19(1)e) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11), 39(2) (mod., idem, art. 29), 40(1) (mod., idem, art. 30)] :

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

e) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elles :

(i) soit commettront des actes d’espionnage ou de subversion contre des institutions démocratiques, au sens où cette expression s’entend au Canada,

(ii) soit, pendant leur séjour au Canada, travailleront ou inciteront au renversement d’un gouvernement par la force,

(iii) soit commettront des actes de terrorisme,

(iv) soit sont membres d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle :

(A) soit commettra des actes d’espionnage ou de subversion contre des institutions démocratiques, au sens où cette expression s’entend au Canada,

(B) soit travaillera ou incitera au renversement d’un gouvernement par la force,

(C) soit commettra des actes de terrorisme.

g) celles dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, qu’elles commettront des actes de violence de nature à porter atteinte à la vie ou à la sécurité humaines au Canada, ou qu’elles appartiennent à une organisation susceptible de commettre de tels actes ou qu’elles sont susceptibles de prendre part aux activités illégales d’une telle organisation;

39. …

(2) Le ministre et le solliciteur général du Canada peuvent, en lui adressant un rapport à cet effet, saisir le comité de surveillance [c’est-à-dire au CSARS] des cas où ils sont d’avis, à la lumière de renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité dont ils ont eu connaissance, qu’un résident permanent appartiendrait à l’une des catégories visées … aux alinéas 19(1)e) … g) …

(3) Dans les dix jours suivant la date de transmission du rapport, le ministre et le solliciteur général font envoyer à l’intéressé un avis l’informant de l’existence du rapport et du fait qu’au terme d’une enquête sur la question, il pourrait faire l’objet d’une mesure d’expulsion.

(5) Le comité de surveillance examine les motifs sur lesquels le rapport dont il est saisi est fondé en suivant—compte tenu des adaptations de circonstance—la procédure prévue aux paragraphes 39(2) et (3) et aux articles 43, 44 et 48 à 51 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité pour les enquêtes portant sur les plaintes présentées au titre de l’article 42 de cette loi, étant entendu que :

a) d’une part, la mention de l’administrateur général équivaut à celle du ministre et du solliciteur général;

b) d’autre part, l’alinéa 50a) de cette loi ne s’applique pas à l’intéressé.

(6) Afin de permettre à l’intéressé d’être informé le mieux possible des circonstances qui ont donné lieu à l’établissement du rapport, le comité de surveillance lui adresse, dans les meilleurs délais suivant la réception de celui-ci, un résumé des informations dont il dispose à ce sujet.

(9) Au terme de son enquête, le comité de surveillance fait rapport de celle-ci au gouverneur en conseil en indiquant, dans ses conclusions, motifs à l’appui, si l’intéressé devrait faire l’objet de l’attestation prévue au paragraphe 40(1).

(10) Le comité de surveillance communique également à l’intéressé, en même temps ou plus tard, un rapport contenant les conclusions visées au paragraphe (9).

40. (1) S’il est d’avis, après étude du rapport du comité de surveillance, que l’intéressé appartient vraiment à l’une des catégories visées … aux alinéas 19(1)e) … g) … le gouverneur en conseil peut ordonner au ministre de délivrer une attestation à cet effet.

Il convient de compléter la description récapitulative du processus, déterminé par la loi, dont les mesures prises par le CSARS et le gouverneur en conseil font partie. Selon la Loi, les ministres intéressés peuvent remettre un rapport à un agent d’immigration ou un arbitre au sujet de leur opinion comme quoi la personne en question est visée par l’alinéa 19(1)g). Une fois chargé d’enquêter sur une personne visée par l’alinéa 19(1)g), l’arbitre, si l’intéressé est un résident permanent et qu’une attestation a été délivrée à son égard en vertu du paragraphe 40(1) de la Loi, établira un ordre d’expulsion (paragraphes 32(2) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 21] et 27(1) [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 4; L.C. 1992, ch. 49, art. 16] de la Loi). Il est en outre possible, en vertu du paragraphe 70(4) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; L.C. 1992, ch. 49, art. 65] d’interjeter appel d’un ordre d’expulsion auprès de la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié sur le fondement de questions de droit, de fait ou mixtes.

Au moment où les audiences ont commencé concernant le dossier IMM-4557-93, en mai 1994, une enquête en vertu de la Loi avait débuté et elle devait se poursuivre et se terminer avant qu’on puisse régler l’affaire aux dates finalement fixées pour l’audition des deux demandes, en août. Vu la demande présentée par le requérant à Toronto le 30 mai 1994, par l’intermédiaire de son avocat, puis dans le cadre d’une conversation téléphonique le lendemain entre moi-même à Ottawa et l’avocat à Toronto, j’ai ordonné le 31 mai 1994 que l’on ne délivre aucun ordre de renvoi ou d’expulsion à l’égard du requérant en attendant que la Cour rende une décision concernant ces demandes de contrôle judiciaire. Les motifs de cette ordonnance ont été déposés le 20 juin 1994 [Yamani c. Canada (Solliciteur général) et autres (1994), 80 F.T.R. 307 (C.F. 1re inst.)].

Il convient de se reporter à la description de la procédure appliquée au cas du requérant une fois qu’il a été informé par la lettre datée du 29 mai 1992 que les ministres intéressés avaient fait savoir au CSARS qu’ils étaient d’avis que le requérant représentait une menace pour la sécurité selon certains paragraphes de la Loi. Le requérant a par la suite été entendu par un seul membre du CSARS, l’honorable Jacques Courtois, président du comité, chargé de mener l’enquête, qui s’est déroulée sur sept jours, en décembre 1992 et février 1993.

Avant l’audience, en juillet 1992, le CSARS a remis au requérant un exposé des circonstances de deux pages indiquant les opinions générales des deux ministres selon leur rapport au CSARS. La source de leurs renseignements était, semble-t-il, le SCRS. L’exposé indiquait les allégations du SCRS au sujet du rôle et des activités du requérant à l’appui de l’indépendance de la Palestine, notamment d’activités reliées au FPLP. Par la suite, en octobre, un document d’information d’une page a précisé certains renseignements du SCRS au sujet de certaines activités alléguées du requérant en relation avec le FPLP ou à l’appui de cette organisation.

Au cours des audiences, quatre agents du SCRS ont témoigné à huis-clos, en l’absence du requérant et de son avocat. On a remis au requérant un résumé des éléments de preuve qui auraient été fournis, semble-t-il, par deux de ces témoins et des versions expurgées du témoignage à huis-clos de deux des agents du SCRS. L’avocat du requérant accompagnait le requérant aux audiences où ces agents ont été interrogés sur les questions abordées dans la version expurgée de leurs témoignages que le CSARS avait remise au requérant. Le requérant n’a obtenu aucun autre compte rendu du témoignage des deux autres agents du SCRS. M. Al Yamani a témoigné à l’audience, et un certain nombre de personnes ont également témoigné en sa faveur, notamment des gens qui connaissent bien les affaires du Moyen-Orient. Le CSARS a également appelé à la barre un autre spécialiste de ces questions. Toutes ces personnes ont témoigné en la présence du requérant et ont été interrogées par son avocat.

Il convient de rappeler pour mémoire que, concernant la demande du dossier IMM-4557-93, l’avocat des intimés a déposé une attestation en vertu de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, certifiant que des parties du compte rendu de la procédure du CSARS n’ont pas été révélées au requérant ni à son avocat pour des raisons de sécurité nationale. Cette attestation n’a pas fait l’objet d’une objection, et les parties du compte rendu dont il est question n’ont pas été portées à la connaissance du tribunal dans cette instance.

Le rapport du CSARS ne concluait pas que le requérant était visé par l’alinéa 19(1)e) ou ce qui était alors l’alinéa 27(1)c) comme les ministres l’avaient allégué, mais il concluait effectivement que M. Al Yamani relevait de l’alinéa 19(1)g) car il appartenait, selon le comité, à l’une des trois catégories de personnes qui y étaient décrites. C’est ce que le CSARS a fait savoir au gouverneur général en conseil, recommandant que l’on délivre une attestation à l’égard du requérant conformément au paragraphe 40(1) de la Loi. C’est ce rapport qui fait l’objet de la première demande de contrôle judiciaire dans le dossier IMM-4557-93. Le requérant a reçu une version du rapport du CSARS et de sa recommandation en date du 3 août 1993.

Par la suite, le 19 août 1993, l’avocat du requérant a écrit au solliciteur général pour demander que l’affaire ne soit pas considérée par le gouverneur général en conseil avant que la Cour ait eu la possibilité d’examiner la demande de contrôle judiciaire déposée le 18 août au sujet du rapport du CSARS. Si cela n’était pas possible, l’avocat demandait que le requérant ait la possibilité de présenter ses arguments au gouverneur général en conseil avant que l’on prenne des mesures à son endroit. L’avocat du solliciteur général a répondu le 3 septembre 1993 pour déclarer qu’il ne convenait pas que le ministre intervienne et que de toute façon il était trop tard pour intervenir même si cela avait été possible, car le gouverneur général en conseil avait déjà rendu sa décision en fonction du rapport le 25 août 1993.

Le 25 août 1993, le gouverneur général en conseil publiait un décret (C.P. 1993-1677) déclarant que, après examen du rapport du CSARS, il était convaincu, étant donné les motifs exposés dans le rapport, que le requérant était visé par l’alinéa 19(1)g) de la Loi. Par cette décision, il ordonnait également au solliciteur général de délivrer, en vertu de l’article 40, une attestation de sécurité désignant le requérant en ces termes. Le 28 septembre 1993, le solliciteur général signait une attestation en vertu de cette disposition, mais le requérant n’a eu connaissance de cette attestation et n’en a reçu d’exemplaire qu’en avril 1994 au moment où il a été convoqué dans le cadre d’une enquête en vertu de la Loi dont le résultat devait être la délivrance d’une ordonnance d’expulsion après que l’arbitre aurait conclu que le requérant était la personne désignée dans l’attestation établie en vertu du paragraphe 40(1). Comme il a été mentionné précédemment, c’est en avril 1994 que la deuxième demande (dossier IMM-2197-94) a été présentée concernant la décision du gouverneur général en conseil.

La procédure et le rapport du CSARS

Le rôle unique et important du CSARS dans l’examen des décisions touchant les particuliers pour des motifs de sécurité, eu égard à l’emploi dans la fonction public et aux questions relatives à la Loi sur l’immigration, à la Loi sur la citoyenneté [L.R.C. (1985), ch. C-29] et à la Loi canadienne sur les droits de la personne [L.R.C. (1985), ch. H-6], ce rôle et son évolution historique sont exposés pour la Cour dans le mémoire présenté par le CSARS à titre d’intervenant. La création de ce comité et ses pouvoirs relèvent de la Loi sur le SCRS. En l’espèce, c’est en vertu du paragraphe 39(5) de la Loi sur l’immigration qu’une enquête du CSARS faisant suite à un rapport conjoint des ministres intéressés est entreprise conformément aux articles 43, 44 et 48 à 51 de la Loi sur le SCRS comme si elle l’était conformément à l’article 42 de la même Loi, lequel a trait aux plaintes des fonctionnaires concernant des refus d’habilitation de sécurité. Le paragraphe 39(1) de la Loi sur le SCRS accorde de vastes pouvoirs au CSARS : il peut créer sa propre procédure, et il a en effet adopté des règles de procédure [Règles de procédure du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité à l’égard des fonctions exercées en vertu de l’alinéa 38(c) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de securité] pour régler des plaintes ou donner suite à des rapports sur des décisions défavorables concernant des personnes pouvant représenter un risque pour la sécurité publique. Ces règles ont été effectivement appliquées en l’espèce. Le requérant n’a pas, en général, contesté la procédure du CSARS, sauf à certains égards ayant trait aux questions soulevées par lui. C’est pourquoi cette procédure ne sera généralement pas analysée en l’espèce. Lorsque certains aspects en seront contestés, cela ressortira clairement de l’analyse ultérieure des questions.

Le rapport et la conclusion du CSARS en date du 3 août 1993, du moins selon la version fournie au requérant, constituent un examen de la procédure appliquée dans l’enquête ayant fait suite au rapport conjoint des ministres au comité au sujet du requérant. Le rapport résume les renseignements obtenus au cours des audiences, énumère les témoins et rend compte de leurs témoignages. Voici comment il expose ses conclusions :

[traduction] Ayant examiné les éléments de preuve et les témoignages dont j’ai été saisi, j’estime que M. Yamani n’a pas dit la vérité au sujet de son appartenance au FPLP.

M. Yamani n’a pas admis qu’il était membre du FPLP, mais il a reconnu qu’il était le Canadien d’origine palestinienne le plus proche des plus hauts dirigeants du FPLP.

M. Yamani a occupé au sein du FPLP un poste de confiance que peu de membres de cette organisation peuvent obtenir. Il a accès aux échelons les plus élevés de l’organisation; il a participé à leurs séances privées ainsi qu’aux réunions publiques au Moyen-Orient; on lui a confié une somme d’au moins un million de dollars appartenant en partie au FPLP; il a vécu des intérêts des investissements; il s’est rendu à plusieurs reprises aux États-Unis et a parcouru le Canada; il a été le messager qui reliait différents groupes du FPLP; il a été un agent de liaison entre les différents bureaux du FPLP aux États-Unis et à Damas.

M. Yamani a joué un rôle important dans les rangs du FPLP et en a été un représentant clé au Canada. Je suis d’accord avec la déclaration du directeur général du contre-terrorisme du SCRS lorsqu’il dit que M. Yamani est le « moteur et l’inspirateur » du mouvement.

Dans son comportement, M. Yamani a eu recours au secret et a dissimulé ses objectifs. Son usage de tactiques de contre-espionnage et de codes lui enlèvent la transparence qui le rendrait digne de foi. La manière dont il justifie ce comportement est à mon avis inacceptable.

L’allégation d’appartenance au CPD est une cause d’inquiétude. Je suis d’avis que l’objet d’une telle allégation était d’amoindrir l’importance des éléments de preuve attestant son appartenance au FPLP. Les témoignages entendus publiquement ont montré que le CPD est en réalité le FPLP.

M. Yamani lui-même, au cours de son témoignage, a confondu les deux organisations :

… [citations non retranscrites]

J’ai peine à croire, étant donné son dévouement au FPLP et à la cause palestinienne, que M. Yamani ne soit pas membre du FPLP. Cela va à l’encontre de tous les éléments de preuve réunis au cours des audiences (publiques).

Tout au long de son témoignage, M. Yamani a tenté de me convaincre que le FPLP n’est plus une organisation terroriste depuis 1972. Mais les éléments de preuve dont j’ai été saisi en présence de M. Yamani attestent du contraire … Les objectifs et les méthodes du FPLP ont peut-être changé au cours des années, mais il s’agit toujours d’une organisation terroriste.

Le FPLP et son chef, M. George Habash, n’ont pas renoncé à recourir au terrorisme :

… [citations non retranscrites]

M. Yamani n’a pas produit d’éléments de preuve attestant que le chef du FPLP aurait en d’autres occasions fait des déclarations différentes ni qu’il aurait été incorrectement cité ou cité hors contexte.

Le directeur général du contre-terrorisme du SCRS, M. R.I. MacEwan, a déclaré dans son témoignage, selon son expérience des groupes terroristes internationaux :

« que les déclencheurs de l’action sont totalement imprévisibles et qu’il s’agit en général de réactions à des événements qui ont eu lieu quelque part à un moment quelconque, de préférence dans une autre partie du monde. Il ne s’agit pas d’un plan orchestré; et, sauf à court terme, jusqu’à ce qu’il se trouve une meilleure solution, et, en toute équité, une meilleure solution n’a pas nécessairement à être une solution moins impitoyable ».

M. MacEwan a déclaré que le FPLP avait en effet modifié ses objectifs, son attitude et ses activités, mais que cela ne diminuait en rien la possibilité qu’il ait de nouveau recours au terrorisme dans l’avenir. Il estime que

« Il n’y a aucune raison de croire qu’ils n’auraient pas recours à ce qu’ils estiment devoir faire relativement à ce qu’ils auront désigné comme leurs cibles légitimes, lesquelles englobent non seulement Israël, mais les États-Unis et les intérêts occidentaux. »

Ayant attentivement examiné tous les éléments de preuve, j’estime que le FPLP est une organisation terroriste internationale susceptible (« likely ») de commettre des actes de violence de nature à porter atteinte à la vie et à la sécurité humaines au Canada. Bien qu’elle n’ait pas effectivement commis d’actes de violence au Canada, elle n’a pas officiellement renoncé à l’usage de la violence. Il est toujours possible que le FPLP commette des actes de violence au Canada.

M. Yamani s’est livré à des activités non violentes pour le compte du FPLP au Canada, et ce tous les jours depuis au moins 1988. Rien n’empêche le FPLP de lui faire exécuter d’autres choses au Canada. La simple présence d’un chef de groupe, officiel ou non, au Canada montre bien qu’il est important pour cette organisation de rester active au Canada.

Conclusion :

Étant donné les éléments de preuve attestant que M. Yamani appartient au FPLP, lequel pourrait commettre des actes de violence de nature à porter atteinte à la vie et à la sécurité humaines au Canada, je conclus qu’il est visé par l’alinéa 19(1)g) de la Loi sur l’immigration.

Ayant conclu que M. Yamani appartient à l’une des trois catégories visées par l’alinéa 19(1)g) de la Loi sur l’immigration, j’estime qu’il n’est pas nécessaire de conclure à l’égard de l’alinéa 19(1)e) ni des autres catégories visées par les alinéas 19(1)g) et 27(1)c) de la Loi sur l’immigration.

Je recommande donc que l’on délivre une attestation conformément au paragraphe 40(1) de la Loi sur l’immigration.

Les questions en litige

En l’espèce les parties soulèvent plusieurs questions relatives au rapport et à la recommandation du CSARS et aux mesures prises par la suite par le gouverneur général en conseil et le solliciteur général en fonction de ce rapport.

Deux des questions soulevées précédemment n’ont pas eu de suite au moment où les demandes ont été entendues. La première avait trait à l’affidavit déposé par le requérant le 15 septembre 1993 à l’appui de sa première demande d’autorisation et de contrôle judiciaire (IMM-4557-93) et à la pertinence pour la Cour chargée du contrôle judiciaire des événements auxquels l’affidavit renvoie et qui ont eu lieu après la décision du CSARS. Il s’agissait surtout de l’évolution des relations entre Israéliens et Palestiniens. La question relative à l’affidavit a tout d’abord été soulevée au cours de l’audience de mai 1994, laquelle a été ajournée, mais, lorsque l’avocat du requérant n’a pas évoqué particulièrement les événements auxquels renvoyait l’affidavit dans son exposé ultérieur, à l’audience des deux demandes, l’avocat des intimés était d’avis de ne pas y donner suite. Dans le cours ordinaire des choses, des événements ultérieurs qui ne font pas partie du dossier ou du contexte d’une décision contestée (dans ce cas, celle du CSARS) ne sont pas pertinents dans l’évaluation à laquelle le tribunal procède dans le cadre du contrôle judiciaire de ladite décision. Dans la mesure où les événements évoqués dans l’affidavit du requérant sont des renseignements du domaine public, l’avocat était bien entendu libre d’attirer l’attention du tribunal, pour examen par connaissance d’office, sur ces événements s’il les jugeait importants pour la cause de son client, mais cela ne s’est pas produit.

L’autre question avait trait à l’intimé dans le dossier IMM-2197-94 : dans les exposés écrits présentés pour le compte des intimés avant l’audience, il a été soutenu que c’était le procureur général du Canada qui devrait être l’intimé de l’affaire et non le gouverneur général en conseil ou le solliciteur général du Canada, que désignait la requête introductive d’instance du requérant. L’avocat des intimés n’a pas vraiment donné suite à cette question à l’audience, et je ne l’ai pas invité à exposer ses arguments à ce sujet. Je fais remarquer que, dans les deux cas, c’est le procureur général du Canada qui représentait les intimés. Je suis d’avis que les exposés écrits de l’avocat de l’intimé sont corrects étant donné la pratique habituelle de désigner le procureur général comme intimé dans les instances concernant des décisions du gouverneur général en conseil. L’ordonnance qui accompagne les présents motifs ordonne que l’intimé du dossier IMM-2197-94 soit le procureur général du Canada, en remplacement du gouverneur général en conseil et du solliciteur général, et l’intitulé de la cause est modifié en conséquence. Je fais remarquer également que la Cour a, de son propre gré, modifié la désignation d’un intimé et l’intitulé de la cause dans le dossier IMM-4557-93 en y remplaçant le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, qui était la désignation d’origine, par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, chargé désormais de l’application de la Loi sur l’immigration.

Pour les besoins de l’analyse, je vais regrouper ici les principales questions en litige, par catégorie (procédure, droit administratif et questions constitutionnelles).

Questions de procédures :

1) la compétence de la Cour pour examiner la demande de contrôle judiciaire du dossier IMM-4557-93 en vertu de l’article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale, question soulevée par les intimés;

2) le droit de la FCA, à titre d’intervenant, de soulever une question, en l’espèce celle de la validité de l’alinéa 19(1)g) de la Loi en fonction de l’article 15 de la Charte, alors que les parties ne l’ont pas fait à l’audition des demandes;

Droit administratif :

3) la question de savoir si le CSARS a commis une erreur dans ses conclusions par suite d’erreurs dans l’analyse des éléments de preuve : le requérant soutient que les principales conclusions du CSARS sont attribuables au fait que le comité aurait ignoré, mal interprété ou mal compris les éléments de preuve produits et que ces conclusions sont excessives étant donné les éléments de preuve;

4) la question de savoir si le CSARS a commis une erreur dans son application de la Loi, et plus particulièrement dans l’application d’une norme erronée à l’égard de l’alinéa 19(1)g) de la Loi et dans son interprétation des termes « susceptible » (likely ) et « appartenir » (member ) au sens qui leur est attribué dans ce paragraphe;

5) la question de savoir si les principes d’équité et de justice naturelle justifiaient que l’on permette encore au requérant de se faire entendre ou de faire connaître ses arguments par écrit avant que le gouverneur général en conseil ne prenne des mesures à la suite du rapport du CSARS.

Questions constitutionnelles :

6) la question de savoir si l’alinéa 19(1)g) de la Loi est non valide en tant qu’il contrevient aux alinéas 2b) et 2d) de la Charte; la FCA soutient la position du requérant selon lequel il y a en l’espèce violation des deux dispositions de la Charte; l’ACLC appuie, recourant à un argument un peu différent, l’allégation d’infraction à l’alinéa 2d), et ces parties soutiennent que l’atteinte à chacune de ces libertés n’est pas justifiée par l’article premier de la Charte;

7) la question de savoir si certains des processus appliqués en l’espèce par le CSARS enfreignaient les principes de justice fondamentale et étaient contraires à l’article 7 de la Charte d’une façon telle qu’elle ne saurait être justifiée par l’article premier de la Charte ou enfreignaient les principes de justice fondamentale selon la jurisprudence; le CSARS et l’ACLC ont présenté des arguments sur certains aspects de cette question, l’ACLC se limitant aux aspects relatifs à la Charte.

Voyons maintenant les questions à trancher dans l’ordonnance mentionnée précédemment.

La compétence du tribunal à l’égard de la décision du CSARS (IMM-4557-93)

Au début des audiences ayant trait à la première demande, en mai 1994, et avant que l’audience soit ajournée, les intimés, invoquant l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, ont contesté la compétence de la Cour pour examiner la demande. Selon l’article 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4] de la Loi, la Section de première instance de la Cour, excepté à l’égard de la procédure des organismes désignés à l’article 28 [mod., idem, art. 8; 1992, ch. 26, art. 17; ch. 49, art. 128], a compétence exclusive pour connaître de toute demande de réparation à l’égard de tout office fédéral et cette réparation ne peut être obtenue que par présentation d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1. Cette dernière disposition aborde comme suit la question des demandes de contrôle judiciaire.

18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

(2) Les demandes de contrôle judiciaire … par l’office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance …

La question de la compétence de la Cour a de nouveau été abordée dans une discussion entre les parties dans le cadre de l’audition ultérieure des deux demandes. Pour résumer, le procureur général, au nom des intimés, fait valoir que la décision et le rapport du CSARS ne constituent pas une décision définitive dans le processus légal établi pour régler des cas comme celui du requérant. En l’occurrence, son droit, en tant que résident permanent, de demeurer au Canada risque de lui être retiré par suite d’une ordonnance d’expulsion s’appuyant sur une enquête ayant permis de constater qu’il est visé par l’alinéa 19(1)g) et sur une attestation en vertu du paragraphe 40(1) de la Loi. L’intimé fait valoir que la décision du CSARS et son rapport ne sont qu’une étape intermédiaire, qui se solde effectivement par une recommandation au gouverneur général en conseil. Il ne conteste pas que la décision du CSARS est prise par un office fédéral, mais, comme il ne s’agit pas d’une décision définitive, elle devrait pas, selon l’intimé, faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Le Parlement, en vertu de la Loi sur l’immigration et de la Loi sur le SCRS, a établi un mécanisme qui devait être suffisamment rapide pour régler les cas où un résident permanent du Canada est considéré comme une menace à la sécurité publique, et il ne serait pas conforme à son intention d’entamer une procédure de contrôle judiciaire à chaque étape d’un processus qui en compte trois ou plus. Selon le procureur général, le contrôle judiciaire devrait plutôt prendre place à l’étape suivant la décision du gouverneur en conseil, à un stade où il est possible d’examiner les plaintes ayant trait aux considérations sous-jacentes à cette décision, y compris la décision et le rapport du CSARS, en examinant la décision du gouverneur en conseil. L’intimé ajoute que, puisque le Parlement accorde finalement la possibilité de faire appel d’une ordonnance d’expulsion suivant une enquête et la délivrance d’une attestation en vertu du paragraphe 40(1) de la Loi, il ne convient pas de procéder en l’espèce à un contrôle judiciaire d’une décision du CSARS, laquelle représente un premier stade du processus qui peut en fin de compte donner lieu à une ordonnance d’expulsion, laquelle peut ensuite faire l’objet d’un appel.

Il ne fait pas de doute dans mon esprit que la décision du CSARS est à l’évidence une décision qui peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. L’avocat ne conteste pas que le CSARS soit un « office fédéral » au sens où l’entend l’article 2 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1] de cette Loi puisqu’il s’agit d’un organisme exerçant une compétence et des pouvoirs conférés par une loi fédérale. Il est possible d’obtenir réparation à l’égard d’une décision du CSARS en vertu de l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, sur demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de cette même loi. C’est à la Cour qu’il incombe de décider si elle doit exercer sa compétence lorsqu’une demande conteste la décision ou lorsqu’une autre décision est contestée à un stade ultérieur ou encore, comme en l’espèce, en plus de contester une telle décision ultérieure. Selon l’intimé, la décision du CSARS ne serait pas définitive dans le cadre du processus d’examen de la situation du requérant, mais je fais remarquer qu’il s’agit bien d’une décision définitive et non pas interlocutoire du CSARS lui-même. De par la loi, en vertu du paragraphe 39(9) de la Loi, le CSARS doit faire « rapport … au gouverneur en conseil en indiquant, dans ses conclusions, motifs à l’appui, si l’intéressé devrait faire l’objet de l’attestation prévue au paragraphe 40(1) ». Cela ressemble plus, selon moi, à une décision définitive que ce que prévoit l’article 42 de la Loi sur le SCRS, qui, dans l’arrêt Thomson c. Canada (Sous-ministre de l’Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385, a été défini comme le pouvoir de faire une recommandation.

Le fait que l’on puisse en fin de compte interjeter appel d’une ordonnance d’expulsion ultérieure n’est pas ici un facteur important dans la question de savoir si le tribunal devrait exercer son pouvoir d’accorder une réparation dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du CSARS. L’appel final dont serait saisi la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié aurait trait à l’ordonnance d’expulsion, laquelle s’appuierait sur une attestation délivrée en vertu du paragraphe 40(1) de la Loi. Comme la délivrance de cette attestation semble dépendre du gouverneur général en conseil en vertu du paragraphe 40(1), il peut paraître difficile de contester sérieusement la décision du CSARS comme fondement de l’attestation. Selon moi, il est possible de considérer cette décision plus directement en examinant une demande de contrôle judiciaire de cette décision elle-même, si l’audition de la demande est autorisée, comme dans la procédure du dossier IMM-4557-93.

La question soulevée ici ne peut pas être considérée comme une question de principe sans égard à la réparation demandée, car il est possible de demander réparation dans le cadre d’une mesure de contrôle judiciaire, comme le prévoit l’article 18 de la Loi dont relève ce tribunal, et le processus renverrait plus logiquement au CSARS proprement dit. La réparation demandée ici dans le dossier IMM-4557-93 est une ordonnance cassant ou annulant la décision du CSARS. Si c’était une interdiction ou une injonction que l’on cherchait à obtenir contre les mécanismes appliqués par le CSARS, cette réparation ne pourrait renvoyer qu’aux mécanismes du CSARS sans qu’il faille attendre un stade ultérieur du processus.

Enfin, comme le fait valoir l’avocat du requérant, les tribunaux admettent qu’il convient de procéder à un contrôle judiciaire lorsqu’il y a lieu de délivrer une ordonnance cassant une décision d’un organisme d’enquête ou d’un organisme de recommandation, surtout lorsque cet organisme, lié par une obligation d’équité, est accusé d’avoir failli à ses responsabilités. (Voir l’opinion du juge Mahoney, J.C.A., dans l’arrêt Conseil canadien des fabricants des produits du tabac c. Conseil national de commercialisation des produits de ferme, [1986] 2 C.F. 247(C.A.), à la page 257.) En l’espèce, le rapport et la décision du CSARS, qui ont fait suite à une enquête et à la possibilité pour le requérant de se faire entendre, exposent des constatations et une conclusion, décrite dans le rapport comme une recommandation, dont on s’attend généralement à ce que le gouverneur en conseil l’applique. On peut s’attendre à ce que le caractère négatif d’une décision et d’un rapport du CSARS concernant un requérant ait des répercussions négatives sur les droits, les intérêts, les biens, les privilèges ou les libertés de particuliers, en l’espèce sur M. Al Yamani. Dans ce type de situation, il faudrait que la Cour soit persuadée qu’elle doit refuser d’entendre une demande de contrôle judiciaire qui soulève de graves questions quant à l’équité de la procédure, quant au droit administratif et quant à la validité constitutionnelle de la procédure et de la décision du CSARS. C’est ce dont je ne suis pas convaincu.

Selon moi, même si la procédure applicable à la seconde demande de contrôle judiciaire n’avait pas encore été entamée, la Cour aurait été compétente pour entendre la première demande ayant trait à la décision et au rapport du CSARS. La seconde demande complète la possibilité d’examen de la procédure déjà en cours au moment où cette affaire était entendue. Selon moi, la seconde procédure n’ajoute ni n’enlève rien au rôle que doit jouer le tribunal dans le traitement direct des questions ayant trait à la décision du CSARS telles qu’elles ont été soulevées dans le cadre de la première demande, déposée avant le déroulement d’autres stades de la procédure du comité. La seconde demande conteste la validité de la décision du gouverneur général en conseil, surtout en raison des mêmes questions soulevées dans la première demande, à savoir la décision du CSARS, qui aurait motivé la décision ultérieure.

Le droit d’un intervenant de soulever des questions non discutées par les parties

Dans son intervention, la FCA a proposé d’analyser la question de savoir si l’application de l’alinéa 19(1)g) à l’espèce est non valide au motif qu’il enfreint les droits à l’égalité garantis par l’article 15 de la Charte. Elle l’a fait dans des circonstances assez exceptionnelles.

La demande d’intervention de la FCA a été accueillie par ordonnance à la condition qu’elle ne présente pas d’éléments de preuve relatifs aux questions dont le tribunal était saisi. Lorsque le droit d’intervention lui a été accordé, le second exposé complémentaire des faits et du droit du requérant avait déjà été déposé; il renvoyait brièvement à l’article 15 de la Charte dans les termes suivants :

[traduction] 41. Le requérant soutient, subsidiairement, … que l’alinéa 19(1)g) de la Loi n’est pas valide et n’a pas d’effet conformément au paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle car il enfreint les droits du requérant garantis par les articles 2, 7 et 15 de la Charte des droits et libertés de 1982.

Cet argument n’a pas été développé plus avant dans les observations écrites du requérant. Mais le procureur général du Canada, représentant les intimés, a abordé rapidement la question de l’article 15 de la Charte dans son exposé écrit, également déposé au moment où la demande d’intervention de la FCA était accueillie. Il fait remarquer dans cet exposé que le requérant, dans ses observations écrites, a évoqué l’article 15, mais sans autre développement. Il précise d’autre part rapidement les conditions permettant d’établir qu’il y a eu infraction à l’article 15 et expose le point de vue des intimés qui estiment que l’alinéa 19(1)g) de la Loi n’enfreint pas les droits à l’égalité garantis par cet article de la Charte.

Comme les parties ont brièvement évoqué l’article 15 de la Charte dans leurs observations écrites déposées avant l’audience, il n’est pas surprenant que, dans sa demande d’autorisation d’intervenir, la FCA ait indiqué qu’elle se proposait de présenter des arguments, entre autres, pour faire valoir que l’alinéa 19(1)g), tel qu’il a été appliqué par le CSARS, enfreint l’article 15 de la Charte.

Étant donné l’intention de la FCA de discuter de questions constitutionnelles concernant l’article 15 de la Charte, avant d’entendre ces demandes, j’ai ordonné à la FCA de signifier, en vertu de l’article 57 de la Loi sur la Cour fédérale, son intention de traiter de l’article 15 à titre de question déjà soulevée par les parties. Le requérant avait déjà signifié son avis en vertu de l’article 57. J’ai également ordonné que le droit, pour la FCA en tant qu’intervenant, de soulever une question constitutionnelle indépendamment de toute question soulevée par les parties en litige, si c’était le cas, devait être une question à examiner à l’audience.

Lorsque ces demandes ont été entendues, l’avocat du requérant n’a pas allégué qu’il y ait eu infraction à l’article 15 de la Charte, bien qu’il ne se soit pas opposé à ce que la FCA soulève la question. Le procureur général, représentant les intimés, ne s’est pas opposé au fait que cette question, qui n’a pas été soulevée par le requérant à l’audience, le soit par un intervenant. Il a fait valoir que les observations du requérant n’apportaient pas d’éléments de preuve valables à l’appui de cette allégation et que les conditions imposées à la FCA lui interdisaient d’apporter de nouveaux éléments de preuve et la limitaient au contenu du dossier déposé par les parties. L’avocat a ajouté que ce dossier ne pouvait étayer l’allégation que l’alinéa 19(1)g) de la Loi, ou son application en l’espèce, enfreignait l’article 15 de la Charte.

Après avoir entendu les avocats sur cette question préliminaire, j’ai entendu les arguments de la FCA à l’appui de son opinion que l’alinéa 19(1)g) enfreint l’article 15 de la Charte, sous réserve de ma décision ultérieure sur la question de savoir si les arguments ayant trait à cette question seraient retenus. Ce qu’ayant fait, je suis d’avis que cette question n’a pas à être tranchée en l’espèce.

L’argument des intimés, comme quoi il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve en l’espèce pour examiner correctement cette question, qui est une question constitutionnelle importante, est convaincant. De plus, il serait tout à fait exceptionnel, si même cela était possible, qu’un tribunal tranche une question qui n’a pas été soulevée par les parties à un contrôle judiciaire, mais l’est par un intervenant à la procédure. L’avocat des intimés a évoqué par analogie la décision du juge Mahoney pour la Cour d’appel dans l’arrêt Fonds international pour la défense des animaux, Inc. c. Canada, [1988] 3 C.F. 590 où il a rejeté une demande présentée par un requérant demandant le droit d’intervenir dans un appel où le requérant cherchait à soulever une question constitutionnelle qui n’avait pas été abordée au procès et qui n’était pas censée l’être par les parties à l’appel. La situation est différente, en l’espèce mais c’est un principe bien établi que les parties à une instance ou à une demande de contrôle judiciaire décident des questions qui doivent être tranchées grâce à leurs arguments ou leurs documents comme étant celles qui ont été soulevées dans les arguments présentés lorsque l’affaire a été entendue. C’est surtout le requérant qui demande réparation qui établit la portée de la procédure dans une requête introductive de contrôle judiciaire et finalement par des moyens définissant les questions, sous réserve seulement d’autres questions soulevées par les réponses de l’intimé pour des motifs préliminaires, de procédure ou de défense.

En l’espèce, si l’article 15 de la Charte a été brièvement invoqué dans les observations écrites des parties, il ne l’a pas été dans les arguments du requérant à l’audience, pas plus que les intimés n’y ont répondu. J’estime que ce n’est pas une question à trancher dans le cadre de ces demandes et qu’elle ne peut être soulevée par un intervenant. Selon moi, le droit de la FCA en tant qu’intervenant n’étaye pas la reconnaissance d’un droit quelconque de soulever des questions qui n’ont pas été soulevées par les parties à ces demandes dans leurs exposés et arguments à l’audience. Je ne rends donc aucune décision à l’égard de la valeur des arguments de la FCA concernant l’alinéa 19(1)g) de la Loi et l’article 15 de la Charte.

Quoi qu’il en soit, comme je l’ai indiqué, le dossier ne fournit pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que l’alinéa 19(1)g) dans sa formulation ou dans son application en l’espèce traite un groupe de personnes de manière discriminatoire comparativement au traitement qu’il réserve à d’autres personnes dans la même situation ou qu’il impose, de manière discriminatoire, aux personnes en question des fardeaux ou des désavantages qu’il n’impose pas aux autres membres de la société. L’argument de la FCA comme quoi l’alinéa 19(1)g) tel qu’il a été appliqué ici traite les résidents permanents d’origine palestinienne différemment au motif prohibé de leur origine nationale ou ethnique en raison de leur association avec des organisations ou la cause palestiniennes, cet argument n’est pas étayé par les éléments de preuve versés au dossier.

L’examen des éléments de preuve par le CSARS et le caractère raisonnable de ses conclusions en fonction des éléments de preuve

En prenant sa décision, le CSARS a fait sienne l’opinion du procureur général que l’alinéa 19(1)g) de la Loi désigne trois catégories de personnes. Pour faciliter les choses, rappelons le libellé de cette disposition :

19. (1) …

g) [les personnes] dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, qu’elles commettront des actes de violence de nature à porter atteinte à la vie ou à la sécurité humaines au Canada, ou qu’elles appartiennent à une organisation susceptible de commettre de tels actes ou qu’elles sont susceptibles de prendre part aux activités illégales d’une telle organisation.

Les trois catégories de personnes en cause sont les suivantes :

i)    les personnes dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elles commettront les actes de violence définis;

ii)   les personnes dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elles appartiennent à une organisation susceptible de commettre ces actes de violence;

iii)  les personnes dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elles sont susceptibles de participer aux activités illégales de cette organisation.

Ce classement a été accepté par tous les avocats pour les besoins de la présente instance.

Le CSARS est arrivé à trois conclusions fondamentales, à l’égard de sa décision selon laquelle le requérant était visé par l’alinéa 19(1)g) : celui-ci était membre du FPLP et avait menti en disant qu’il ne l’était pas; le FPLP était une organisation terroriste; le FPLP est susceptible (likely) de commettre des actes de violence de nature à porter atteinte à la vie ou à la sécurité humaines au Canada. Pour ce qui est de la disposition légale en question, seules la première et la troisième de ces conclusions étaient essentielles, comme l’indique le premier paragraphe de la conclusion du rapport qui se lit comme suit :

[traduction] À la lumière des éléments de preuve qui attestent qu’il appartient au FPLP, une organisation qui pourrait commettre des actes de violence de nature à porter atteinte à la vie et à la sécurité humaines au Canada, je conclus que M. Yamani est visé par l’alinéa 19(1)g) de la Loi sur l’immigration.

Ces constations fondamentales sont, selon le requérant, le fruit d’erreurs commises par le tribunal dans son examen des éléments de preuve dont il a été saisi. Qu’il ait délibérément ignoré les éléments de preuve, qu’il les ait mal interprétés ou qu’il les ait mal compris, le comité se serait trompé dans ses constatations principales au sujet de l’affiliation du requérant, du caractère terroriste du FPLP et de la probabilité qu’il commette des actes de violence au Canada. Je résume les arguments du requérant au sujet des trois conclusions de fait du CSARS.

Pour ce qui est de son affiliation au FPLP, le rapport du CSARS ne croit pas aux dénégations du requérant. Ayant admis le propre témoignage de ce dernier comme quoi il était la personne la plus proche du FPLP au Canada, qu’il avait sa confiance, qu’il avait reçu et distribué de l’argent pour les fins de l’organisation, qu’il avait participé à des activités servant les intérêts de l’organisation et avait assisté à ses réunions, le CSARS ne le croit pourtant pas lorsqu’il dit ne pas en être membre, sans expliquer les raisons pour lesquelles il ne l’estime pas digne de foi s’agissant de son affiliation. De plus, c’est un principe bien établi qu’un tribunal ne saurait ignorer délibérément des éléments de preuve pertinents, et il y avait en l’espèce le témoignage d’autres personnes qui connaissaient le requérant depuis longtemps et ne croyaient pas qu’il était membre du FPLP. De plus, le CSARS n’aurait pas tenu compte des relations familiales étroites entre le requérant et son père et n’a pas mesuré les répercussions de cet aspect dans son évaluation des relations de M. Al Yamani avec le FPLP. Il a également laissé de côté les écrits et les comportements du requérant qui n’étaient pas cohérents avec une affiliation avec l’organisation.

L’un des facteurs dont le CSARS a tenu compte dans sa décision concernant la question de la crédibilité du requérant quant à son affiliation est son recours à des tactiques de contre-espionnage et des codes, qui « lui enlève la transparence qui le rendrait digne de foi ». Ici encore, le CSARS aurait ignoré délibérément des éléments de preuve pertinents, notamment les conditions d’éducation du requérant dans la famille de l’un des fondateurs du FPLP dans des circonstances où la vigilance était indispensable à la survie, sa préoccupation, qu’il a reconnue, que des agents du Mossad israélien ou des organismes canadiens inspirés par eux puissent le surveiller et le fait que d’autres personnes appelées à témoigner ont attesté de la réalité des préoccupations des Palestiniens en général en ce qui concerne les mesures de sécurité. De plus, le tribunal n’a pas tenu compte du fait que le SCRS semble avoir maintenu une surveillance téléphonique et électronique et contrôlé le courrier du requérant pendant un certain temps, de sorte que ses préoccupations à cet égard n’étaient pas sans fondement.

Le fait que le CSARS confonde le CPD (Comité pour une Palestine démocratique) et le FPLP serait le fruit d’un malentendu ou d’une dénaturation des éléments de preuve. Je ne suis pas convaincu qu’il s’agisse d’un malentendu car la référence à la transcription est ajoutée à titre d’illustration une fois que la conclusion a été énoncée, à savoir que « les éléments de preuve montrent que le CPD est en fait le FPLP ». Il est vrai que certains éléments de preuve attestent du contraire, mais d’autres éléments de preuve confirment les liens étroits entre les deux organisations. En fin de compte, même si l’on admet que le rapport altère les faits en affirmant que le requérant confond les deux organisations, cela, c’est-à-dire sa supposée confusion, n’est pas un critère central dans la conclusion relative à son affiliation au FPLP.

Pour ce qui est de la conclusion que le FPLP est une organisation terroriste et qu’elle est susceptible de commettre des actes de violence de nature à porter atteinte à la vie ou à la sécurité humaines au Canada, le tribunal aurait délibérément ignoré des éléments de preuve et adopté une perspective simpliste sans essayer de comprendre correctement ce qu’il en est des organisations au Moyen-Orient ou du FPLP proprement dit. Le comité s’est appuyé sur certaines déclarations publiques du chef de l’organisation, George Habash, dans les années 1990 et 1993, au cours desquelles il avait préconisé le recours à la violence, position à laquelle il n’avait pas renoncé. Il s’est également appuyé sur les opinions d’un agent du SCRS, le directeur du contre-terrorisme, qui, d’après l’avocat du requérant, a reconnu savoir peu de choses sur le FPLP tout en revendiquant une connaissance spéciale du terrorisme international en général. Le CSARS aurait délibérément ignoré l’opinion d’érudits et de spécialistes du Moyen-Orient et des affaires palestiniennes attestant que le FPLP n’a plus d’activités terroristes depuis 1972 et que l’organisation et ses chefs ont reconnu l’existence de deux États, l’un pour le peuple d’Israël et l’autre pour les Palestiniens; en bref, le FPLP ne serait plus une organisation terroriste et elle n’a pas d’antécédents de violence au Canada et en Amérique du Nord pas plus qu’on ne peut s’attendre à ce qu’elle y commette des actes de violence.

Le procureur général a fait valoir pour le compte des intimés que le requérant ne remplit pas le critère établi à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, nécessaire pour que la Cour puisse exercer un contrôle judiciaire à l’égard des conclusions de fait du CSARS. En résumé, les conclusions contestées ne sont ni abusives ni arbitraires, pas plus qu’elles n’ont été tirées sans tenir compte des éléments dont disposait le tribunal. De plus, la Cour se fait rappeler qu’elle doit faire preuve de retenue judiciaire à l’égard des conclusions de fait d’un tribunal spécialisé tel que le CSARS relativement à des questions ayant trait à la sécurité.

Dans son exposé, le procureur général renvoie à l’ensemble de la preuve dont le CSARS a été saisi. Les éléments de preuve à caractère public (c’est-à-dire ceux auxquels avaient accès le requérant et la Cour) comportent les « allégations » des ministres, fondées sur les renseignements obtenus par le SCRS, qui ont été mentionnées dans l’exposé des circonstances communiqué au requérant avant l’audience. Ces allégations étaient étayées par des éléments de preuve fournis au CSARS à huis-clos et unilatéralement, dont certains ont, par la suite, fait l’objet d’un résumé ou d’une version expurgée des témoignages des personnes qu’il a ensuite été possible de contre-interroger, même si l’interrogatoire devait se limiter à certaines questions étant donné la responsabilité légale du SCRS et du CSARS de protéger les sources et les moyens d’obtention des renseignements fournis au requérant.

C’est une situation exceptionnelle pour la Cour dans une instance de contrôle judiciaire que d’avoir à examiner le travail d’un tribunal sans avoir accès au dossier complet de l’affaire. C’est pourtant une situation que permet le Parlement en vertu de la Loi sur le SCRS et des règles de procédures du CSARS établies en vertu de cette Loi. De plus, pour ce qui est de la demande du dossier IMM-4557-93, on a déposé pour le compte du SCRS, en vertu du paragraphe 37(1) de la Loi sur la preuve au Canada, une attestation s’opposant à la divulgation de toute information tirée du dossier du CSARS qui n’aurait pas déjà été communiquée au requérant par les voies habituelles du CSARS. Cette attestation n’a pas été contestée, et le tribunal n’a pas été saisi des éléments de preuve auxquels elle renvoie.

Parmi les éléments de preuve fournis par le CSARS au requérant, il y avait l’exposé des circonstances et les éléments résumés ou transcrits sous forme expurgée. Sous la rubrique « Arguments du procureur général du Canada », le rapport résume les thèses selon lesquelles le requérant est « le chef de groupe du FPLP au Canada », qu’il est le bras financier de l’organisation et qu’il a transféré de fortes sommes d’argent dans les comptes de membres connus du FPLP installés dans les territoires occupés d’Israël et aux États-Unis, qu’il est en relation étroite avec les dirigeants du FPLP et qu’il a notamment de nombreux contacts avec des dirigeants installés au Moyen-Orient et aux États-Unis, et enfin qu’il s’est livré à de nombreuses activités pour le compte du Front. Concernant l’alinéa 19(1)g) et plus particulièrement la deuxième catégorie de personnes qui y est visée, le procureur général a fait valoir au CSARS que le requérant est [traduction] « un membre de haut rang et de confiance du FPLP, que cette organisation n’a pas renoncé à ses activités terroristes et qu’elle est susceptible, en temps et lieu, de commettre des actes de violence au Canada ».

Ces éléments de preuve ne sont pas mentionnés dans les arguments du requérant selon lesquels le CSARS aurait délibérément ignoré, aurait mal compris ou aurait mal interprété les éléments de preuve ou que le tribunal se serait trompé dans ses conclusions de fait. Ce n’est qu’au regard de la conclusion que le FPLP est une organisation terroriste que le requérant renvoie aux éléments de preuve fournis par les agents du SCRS au CSARS. Les arguments du requérant ont principalement trait aux éléments de preuve produits par lui-même ou par des témoins appelés pour son compte ou par le CSARS et qui étayent sa thèse. Je conviens avec le requérant que les conclusions de fait du CSARS doivent être analysées dans le contexte intégral des éléments de preuve dont il a été saisi, mais ce contexte englobe des éléments de preuve du SCRS et ceux du requérant. La conclusion du CSARS à l’égard de la crédibilité du requérant lorsque celui-ci a nié appartenir au FPLP doit être considérée en fonction d’éléments de preuve attestant qu’il est effectivement un membre, et un membre de confiance, de cette organisation et qu’il y occupe un rang élevé. Le tribunal, placé devant des renseignements contradictoires sur ce point, a estimé que le requérant appartenait au Front et que ses dénégations n’étaient pas convaincantes étant donné les éléments de preuve fournis, non pas à huis-clos, et notamment son propre aveu de ses relations étroites avec l’organisation et ses activités à son service.

Il est vrai que le rapport du CSARS n’analyse pas tous les éléments de preuve dont il a été saisi, mais il comporte un résumé des éléments de preuve fournis par le SCRS, du moins ceux qui ont été communiqués au requérant, et par le requérant lui-même. Étant donné le résumé des éléments de preuve fourni par le CSARS, je ne suis pas convaincu que ses conclusions de fait puissent être jugées abusives ou arbitraires ni qu’elles soient sans fondement. Ainsi, pour ce qui est des conclusions de fait du CSARS, il n’y pas de raisons que la Cour intervienne.

Un autre argument a été avancé pour le compte du requérant au sujet de la conclusion finale du CSARS, la plus importante au regard de l’alinéa 19(1)g) de la Loi, à savoir que le FPLP est une organisation terroriste susceptible de commettre des actes de violence de nature à porter atteinte à la vie ou à la sécurité humaines au Canada. Cette conclusion ne serait pas raisonnable étant donné les éléments de preuve fournis au CSARS. Cet argument est fondé sur le principe énoncé par le juge Lamer (plus tard juge en chef) dans l’affaire Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, à la page 1076 :

Que ce soit l’interprétation d’une disposition législative qui soit déraisonnable ou que ce soit l’ordonnance rendue n’a, à mon avis, pas plus d’importance que la question de savoir s’il s’agit d’une erreur de droit ou d’une erreur de fait. Un tribunal administratif exerçant une discrétion ne peut jamais l’exercer de façon déraisonnable.

Renvoyant à ses observations antérieures dans l’affaire Blanchard c. Control Data Canada Ltée et autre, [1984] 2 R.C.S. 476, le juge Lamer a fait remarquer qu’un tribunal administratif peut se tromper, mais qu’il ne peut être déraisonnable dans ses conclusions de fait ou de droit. Une conclusion déraisonnable justifie l’intervention judiciaire.

C’est peut-être une autre manière de définir la compétence de la Cour en matière de contrôle judiciaire, laquelle est désormais établie par le paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale où ce pouvoir est explicitement exprimé en termes d’erreurs de droit ou d’erreurs de fait. Il demeure que la thèse du requérant mérite qu’on s’y attarde même si j’ai déjà conclu que les principales constatations du CSARS à l’appui de sa conclusion au sujet de l’organisation ne sont ni abusives, ni arbitraires, ni sans fondement.

La conclusion que le FPLP est susceptible de commettre des actes de violence au Canada serait déraisonnable eu égard aux « éléments de preuve incontestables » de l’improbabilité que le Front ait recours à la violence au Canada et eu égard au fait qu’on n’a pas produit de preuves claires ou flagrantes à l’effet du contraire. Les spécialistes universitaires appelés par le requérant et l’un de ceux que le CSARS a appelés à la barre des témoins ont tous attesté que le FPLP n’avait jamais eu recours à la violence en Amérique du Nord, qu’il avait abandonné ou rejeté le recours au terrorisme international il y a plus de 20 ans et qu’il avait exclu la seule de ses factions qui était toujours en faveur du recours au terrorisme international. La seule preuve du contraire était le témoignage des agents du SCRS, que le requérant rejette parce que le principal témoin du SCRS à cet égard a déclaré, en contre-interrogatoire, qu’il connaissait les organisations terroristes internationales en général, mais qu’il n’avait pas une connaissance directe du FPLP. L’avocat du procureur général conteste l’évaluation du témoignage de l’agent du SCRS en question, lequel, soutient-il, atteste d’une connaissance et d’une compréhension du FPLP plus grande que ne veut le laisser croire le requérant. De plus, le témoignage de l’agent du SCRS avait trait au fondement des premières activités du FPLP, notamment des détournements d’avions sur des vols internationaux, et à la prise de position du Front, déterminé à déposséder Israël des territoires occupés situés à l’intérieur des frontières de cet État, par la force et en ayant recours à des actes violents, et ce durant la plus grande partie des 20 dernières années. De plus, ses dirigeants n’ont jamais officiellement désavoué le recours au terrorisme et à la violence. Ce que l’on sait des organisations terroristes internationales, c’est que leurs activités sont généralement imprévisibles et violentes et qu’elles interviennent à chaque fois qu’elles ont l’impression que le monde est susceptible de s’intéresser et de donner son appui à leurs objectifs. L’opinion de l’agent du SCRS est transcrite dans le rapport et le CSARS s’est manifestement appuyé sur elle pour conclure que le FPLP est une organisation terroriste internationale susceptible (likely ) de commettre des actes de violence de nature à porter atteinte à la vie ou à la sécurité humaines au Canada.

Je ne suis pas convaincu que cette conclusion puisse être jugée déraisonnable à moins de ne pas tenir compte du témoignage des agents du SCRS. Globalement, les éléments de preuve fournis au CSARS et rendus publics lui permettaient de conclure dans le sens qu’il l’a fait, et les éléments de preuve produits par le SCRS l’étayaient manifestement.

La question de savoir si le CSARS, dans son rapport et sa conclusion, a commis une erreur de droit dans son interprétation de l’alinéa 19(1)g)

L’avocat du requérant soutient que le tribunal a commis une erreur de droit dans son interprétation et son application de l’alinéa 19(1)g), et ce à plusieurs égards : en appliquant une norme de preuve erronée, en interprétant incorrectement le terme « susceptible » (likely) pour lui donner le sens de possibilité, et en interprétant le terme « appartenir » (member).

L’avocat du requérant fait valoir que les « motifs raisonnables » renvoient à une norme objective à l’égard de laquelle on puisse mesurer la conviction : les intimés (à qui incombe le fardeau de la preuve), lorsqu’ils appliquent cette norme, doivent faire l’objet d’un examen rigoureux quant aux éléments de preuve qu’ils fournissent pour remplir les exigences de la loi, car les conséquences probables d’une recommandation défavorable sont très graves pour le résident permanent qui en fait l’objet. De plus, l’avocat du requérant m’exhorte à considérer que les conclusions de fait du tribunal devraient s’appuyer sur de fortes probabilités et non pas simplement sur une prépondérance des probabilités. C’est ainsi que la Couronne, à une audience du CSARS, devrait être tenue d’établir, sur la base de fortes probabilités, qu’il y a des motifs raisonnables de croire que le requérant est visé par l’alinéa 19(1)g) de la Loi. Cet argument est fondé sur la décision de mon collègue le juge Cullen dans l’affaire Smith c. Canada, [1991] 3 C.F. 3(1re inst.), aux pages 29 et 30 et sur l’opinion de lord Scarman (page 113) dans l’arrêt Reg. v. Secretary of State for the Home Department, Ex parte Khawaja, [1984] A.C. 74 (H.L.). Cependant, comme le fait remarquer le requérant, le juge Denault a refusé d’appliquer le même raisonnement dans l’affaire Farahi-Mahdavieh, Re (1993), 63 F.T.R. 120 (C.F. 1re inst.), à la page 123, similaire à l’affaire Smith, et le juge Cullen a reconsidéré sa position, puis refusé de confirmer, dans Husseini (Re), [1993] F.C.J. no 1386 (1re inst.) (QL), celle qu’il avait adoptée dans Smith.

Je suis d’avis que la norme de preuve ordinaire dans une affaire civile, par opposition aux affaires criminelles, a été en l’espèce correctement appliquée par le CSARS, c’est-à-dire qu’il a fondé ses conclusions sur la prépondérance des probabilités. Cette norme est selon moi implicite dans les conclusions énoncées dans le rapport du CSARS. Je fais remarquer au passage que le rapport renvoie brièvement à la question du fardeau de la preuve. Tout d’abord, examinant les arguments du procureur général, le rapport fait remarquer que « [traduction] le Service (SCRS) estime qu’il doit seulement prouver qu’il y a des motifs raisonnables de croire que M. Yamani est visé par l’alinéa 19(1)g) de la Loi sur l’immigration ». Deuxièmement, examinant les arguments juridiques de M. Al Yamani, il ressort du rapport que le requérant fait valoir que les termes « motifs raisonnables » dans l’alinéa 19(1)g) [traduction] « renvoient à une norme objective à l’égard de laquelle on devra mesurer la conviction. Le requérant a fait valoir qu’il incombait au procureur général d’établir sa preuve selon la prépondérance des probabilités ». Il semble que le requérant n’ait pas suggéré que la preuve s’appuie sur de fortes probabilités, encore que le rapport fait remarquer qu’il a insisté pour que le critère des « motifs raisonnables », fondé sur la prépondérance des probabilités, soit appliqué avec rigueur.

Dans l’affaire Smith v. Smith, [1952] 2 R.C.S. 312, les juges de la Cour suprême du Canada à la majorité ont conclu qu’il ne convenait pas d’appliquer la norme de preuve des affaires criminelles (c’est-à-dire au-delà de tout doute raisonnable) aux affaires civiles de divorce, estimant qu’il n’existe qu’une seule norme de preuve applicable aux instances civiles : la prépondérance des probabilités. Bien que deux membres de la Cour aient laissé entendre que la norme pouvait varier selon la gravité de la question soulevée dans l’instance civile, les tribunaux de ce pays n’adoptent généralement pas cette position. Il n’y a pas, selon moi, de raison d’interpréter les termes de l’alinéa 19(1)g) comme renvoyant implicitement à une norme de preuve différente de la norme traditionnelle, c’est-à-dire la prépondérance des probabilités, dans les conclusions établies en vertu de cette disposition. Je conclus donc que le CSARS, dans son rapport, n’a pas commis d’erreur en s’appuyant sur cette norme de preuve traditionnelle et en n’insistant pas pour appliquer une norme de probabilité plus élevée.

De plus, le CSARS aurait dans son rapport commis une erreur de droit dans sa façon d’interpréter les termes « susceptible » (likely) et « appartenir » (member) au sens où ces termes sont employés dans l’alinéa 19(1)g).

Je conviens avec le requérant que le sens ordinaire du terme anglais « likely » est « probable » ou « plus probable que le contraire ». Je conviens également avec le procureur général qui, pour les intimés, a soutenu que le texte français de l’alinéa 19(1)g), qui ne saurait être laissé de côté dans l’interprétation de la disposition, se lit comme suit : « ou qu’elles appartiennent à une organisation susceptible de commettre de tels actes ou qu’elles sont susceptibles de prendre part aux activités illégales d’une telle organisation » (non souligné dans l’original), et correspond au texte anglais suivant : « or are members of or are likely to participate in the unlawful activities of an organization that is likely to engage in such acts of violence ». Le texte français traduit « likely » par « susceptible », et il convient de rappeler que la conclusion du rapport du CSARS concernant le FPLP établit qu’il s’agit d’« une organisation terroriste susceptible (likely) de commettre des actes de violence ». Le Petit Robert 1 : Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française (Paris, 1987) définit comme suit le terme « susceptible » : « capable », « sujet à ». Dans le Harrap’s Standard French and English Dictionary (Londres, 1987), le terme « susceptible » est traduit par « capable of, admitting of, liable to », et dans certains exemples, par « likely to ».

Selon moi, l’alinéa 19(1)g) doit être interprété de sorte que « likely » et « susceptible », s’agissant de l’organisation en question, signifient « capable de » et non pas simplement « probable ». La conclusion du CSARS, dont j’ai déjà établi qu’elle n’était pas déraisonnable au regard des éléments de preuve produits, serait donc acceptable s’il estimait que l’organisation en question est capable de commettre les actes de violence décrits dans l’alinéa et non pas nécessairement qu’il est probable qu’elle les commettrait.

Néanmoins, si j’ai tort d’interpréter les choses ainsi, je ne partage pas la lecture que fait le requérant du rapport du CSARS qui, selon lui, ne conclurait pas que le « FPLP est susceptible de commettre des actes de violence, mais qu’il s’agirait plutôt d’une simple possibilité ».

Rappelons le paragraphe où est énoncée la conclusion du CSARS au sujet du FPLP :

Ayant attentivement examiné tous les éléments de preuve, j’estime que le FPLP est une organisation terroriste internationale susceptible (« likely ») de commettre des actes de violence de nature à porter atteinte à la vie et à la sécurité humaines au Canada. Bien qu’elle n’ait pas effectivement commis d’actes de violence au Canada, elle n’a pas officiellement renoncé à l’usage de la violence. Il est toujours possible que le FPLP commette des actes de violence au Canada.

Le requérant interprète la dernière phrase comme l’expression d’une simple possibilité. Le procureur général estime que la première phrase du paragraphe traduit la conclusion du tribunal. C’est cette dernière interprétation qui est selon moi celle qu’il convient de retenir dans ce passage du rapport, car il énonce clairement la conclusion que le FPLP est une organisation susceptible (likely) de commettre les actes de violence décrits dans la Loi.

Le rapport conclut comme suit :

Étant donné les éléments de preuve attestant que M. Yamani appartient au FPLP, lequel pourrait commettre des actes de violence de nature à porter atteinte à la vie ou à la sécurité humaines au Canada, je conclus qu’il est visé par l’alinéa 19(1)g) de la Loi sur l’immigration.

Selon moi, dans le contexte global du rapport, l’usage du terme « pourrait » au sujet de l’organisation traduit le sens du terme « susceptible » dans le texte français, mais il renvoie à plus qu’une simple possibilité : il traduit plutôt une probabilité, attestée par le dossier et la conclusion du CSARS que l’organisation est un groupe terroriste international.

Pour ce qui est du terme « appartenir » (member), le requérant soutient que le CSARS a tout simplement commis une erreur d’interprétation, étant donné ce qu’il estime être l’objet de l’alinéa 19(1)g). Le terme n’est pas défini dans la Loi, pas plus que dans l’article. L’alinéa a, selon le requérant, pour objet de régler la situation des personnes qui pourraient commettre des actes de violence compromettant la sécurité publique au Canada, car la disposition suppose que les membres de certains groupes se livreront à des activités nuisibles du fait même de leur affiliation à ces groupes. Rationnellement, à partir de cette hypothèse, comme le soutient le requérant, il convient de conclure que les groupes en question sont ceux dont les objectifs et les méthodes sont exclusivement illégaux ou ceux qui ont adopté des objectifs et des méthodes à la fois légaux et illégaux, et dont les membres ont l’obligation de commettre des actes illégaux. En l’espèce, les éléments de preuve attestent que le FPLP appartient à la seconde de ces catégories, c’est-à-dire qu’il s’agit d’un groupe à objectifs multiples, mais rien n’indique que ses membres aient l’obligation de commettre des actes illégaux.

Je ne suis pas convaincu que l’objet de l’alinéa 19(1)g) soit aussi indirect que cela. Selon moi, la catégorie de personnes qui nous intéresse ici vise sont celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elles appartiennent à une organisation susceptible (likely) de commettre des actes de violence du genre décrit dans l’article. À première vue, ce groupe de personnes est visé par l’alinéa du moment que l’on conclut que la personne appartient à une organisation et que cette organisation est susceptible de commettre ces actes. Il n’est pas nécessaire, pour interpréter les termes de la disposition, de connaître les obligations des membres de ce genre d’organisation ni de savoir si tel ou tel membre a des antécédents violents ou l’obligation d’en commettre sous les auspices et la direction de l’organisation.

Le procureur général renvoie à certains éléments du contexte législatif et plus particulièrement à une note d’information rédigée pour le ministre à l’égard de l’alinéa 19(1)g) lorsque, en 1977, on a proposé d’en faire une modification de la Loi [Loi sur l’immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52]. Certains s’étaient alors opposés à l’inclusion des personnes « appartenant » (members) à une organisation dans la disposition proposée sans qu’elles soient des personnes susceptibles de commettre elles-mêmes des actes de violence. Le gouvernement de l’époque a maintenu le libellé malgré ces objections. Voici ce que dit entre autres la note d’information en question :

[traduction] [La requête en modification du projet de loi proposée] … empêcherait l’exclusion des membres d’organisations terroristes au Canada, de sorte que nous ne pourrions arrêter que les terroristes bien connus des autorités ou les personnes connues pour être susceptibles de participer aux activités illégales d’organisations terroristes.

Dans les quelques dernières années, à peu d’exceptions près, la plupart des actes terroristes ont été le fait de personnes sans antécédents, mais dont on savait qu’elles appartenaient ou étaient étroitement associées à des organisations ayant généralement recours au terrorisme pour atteindre leurs objectifs ou obtenir de la publicité.

En limitant la portée de la clause, M. Duclos refuserait aux Canadiens la protection anticipée qu’ils méritent contre le genre de massacre à grande échelle que l’on a vu se produire à l’aéroport de Lod en Israël et à Munich. Le gouvernement pourrait à juste titre être considéré comme irresponsable s’il n’accordait pas cette protection.

Il semblerait que l’inclusion des personnes appartenant à ces organisations (members), sans qu’il soit nécessaire de prouver la probabilité qu’elles commettent des actes de violence sur ordre de leur organisation, ait été un choix délibéré du ministre responsable, même si le Parlement ne l’a pas explicitement déclaré, en vue d’exclure du Canada les membres d’organisations susceptibles (likely) de commettre des actes de violence de nature à porter atteinte à la sécurité publique au Canada.

Je suis d’avis que la façon dont le CSARS a interprété les termes « appartenir » (member) et « susceptible » (likely) de l’alinéa 19(1)g) dans son rapport était correcte et qu’il ne s’agissait pas d’une erreur de droit.

L’équité de la mesure prise par le gouverneur général en conseil sans que le requérant puisse présenter ses arguments

Pour examiner le contexte de ces demandes, je me suis reporté à la demande adressée par l’avocat du requérant le 19 août 1993 au gouverneur général en conseil, où il le prie de ne pas donner suite au rapport du CSARS avant qu’une décision soit prise à l’égard de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire concernant le rapport et la conclusion du CSARS ou, sinon, avant que le requérant ait pu lui présenter ses arguments au sujet de ce rapport. Au moment où on s’est occupé de cette lettre, le gouverneur général en conseil avait déjà donné suite à l’affaire conformément au paragraphe 40(1) de la Loi en ordonnant au solliciteur général de délivrer une attestation.

Dans la demande du dossier IMM-2197-94, le requérant veut obtenir l’annulation de la décision du gouverneur général en conseil et de l’attestation délivrée par le solliciteur général pour d’autres motifs. Il soutient que soit le gouverneur général en conseil était lié par la décision ou la conclusion du CSARS, et il n’avait donc pas de pouvoir décisionnel, de sorte que si la conclusion n’était pas légitime, l’attestation délivrée en vertu du paragraphe 40(1) ne l’était pas non plus. Par contre, estime le requérant, si le gouverneur général en conseil a exercé un pouvoir décisionnel, il avait alors l’obligation d’être équitable en permettant au requérant de présenter ses arguments et en les examinant avant d’agir. Dans ce dernier cas, le principe d’équité exigeait également selon le requérant que la décision du gouverneur général soit assortie de motifs. Le procureur général estime pour sa part que, selon le paragraphe 40(1) de la Loi, le gouverneur général en conseil n’est pas lié par le rapport et la conclusion du CSARS bien que, sauf rare exception, on s’attend à ce qu’une conclusion défavorable du CSARS donne lieu à la délivrance d’une attestation. Si le gouverneur général en conseil n’est pas libre d’agir en vertu du paragraphe 40(1) avant d’avoir examiné un rapport du CSARS établi conformément au paragraphe 39(9) ni avant d’être convaincu que la personne en cause est bien visée par l’alinéa 19(1)g), le terme « peut » employé au paragraphe 40(1) signifie manifestement que la décision du gouverneur général en conseil est discrétionnaire. Le procureur général fait valoir de plus que, étant donné la nature des fonctions du gouverneur général en conseil, le devoir d’équité ne lui fait pas obligation de procéder à une autre audience ni même de donner au requérant la possibilité de faire connaître ses arguments avant de prendre des mesures, pas plus que de fournir les motifs de sa décision.

Je conviens avec le requérant que la fonction du CSARS en vertu de l’article 39 de la Loi est un peu différente des fonctions du même comité lorsqu’il s’occupe d’enquêtes ou de plaintes généralement similaires ayant trait aux mesures du SCRS ou à des refus d’habilitation de sécurité de fonctionnaires en vertu des articles 41 et 42 de la Loi sur le SCRS. Dans ces derniers cas, à la conclusion de l’enquête, le CSARS doit produire un rapport contenant les recommandations jugées utiles par le comité. En vertu du paragraphe 39(9) de la Loi sur l’immigration, le CSARS « [a]u terme de son enquête … fait rapport de celle-ci au gouverneur en conseil en indiquant, dans ses conclusions, motifs à l’appui, si l’intéressé devrait faire l’objet de l’attestation prévue au paragraphe 40(1) ». Dans l’affaire Thomson (précitée), le juge Cory, exprimant l’opinion majoritaire de la Cour suprême, a fait remarquer, s’agissant du rapport établi par le CSARS au terme d’une enquête entreprise en vertu de l’article 42 de la Loi sur le SCRS par suite de la plainte d’un fonctionnaire à qui a été refusée l’habilitation de sécurité, qu’il faut donner au terme « recommandations » son sens clair et que le décideur, en l’occurrence le sous-ministre en cause, n’est pas lié par le rapport ni par les recommandations du CSARS. Bien que l’espèce soit une affaire différente, le rôle du CSARS est comparable dans les deux instances, l’une ayant trait à l’enquête faisant suite à la plainte d’un fonctionnaire à qui a été refusée l’habilitation de sécurité et l’autre, à l’enquête faisant suite à un rapport des ministres concernés en vertu du paragraphe 39(2) de la Loi. Le décideur final, en l’espèce le gouverneur général en conseil, comme le sous-ministre dans l’arrêt Thomson , est selon moi, pour paraphraser le juge Cory à la page 402 ([1992] 1 R.C.S.), assujetti au devoir de se conformer aux principes de l’équité de la procédure dans le contexte des décisions ayant trait aux questions de sécurité.

S’agissant de l’interprétation de l’article 39 et du paragraphe 40(1) de la Loi sur l’immigration, je suis d’avis que le Parlement, en prévoyant une enquête par le CSARS, voulait que le processus d’audition relatif aux questions de sécurité soit entrepris au stade de l’enquête du CSARS. Au terme de cette enquête et au moment où le rapport est remis au gouverneur général en conseil, on s’attend en général à ce que celui-ci accepte la conclusion du Comité et y donne suite, si du moins il est convaincu que la personne ayant fait l’objet de l’enquête est visée par les dispositions de la Loi concernant les personnes représentant un risque suffisant pour justifier l’expulsion. C’est ce qui s’est produit en l’espèce, et le décret contenant la décision du gouverneur général en conseil fait remarquer précisément que la décision s’appuie sur les motifs exposés dans le rapport du CSARS.

Selon moi, le devoir d’équité n’exige pas que la personne concernée puisse faire connaître ses arguments au gouverneur en conseil avant que celui-ci prenne des mesures. L’affaire a déjà été portée à son attention au moyen d’un exposé des circonstances au début de la procédure du CSARS, et la personne concernée a eu amplement l’occasion et le temps de réagir et de faire connaître ses arguments dans le cadre de cette procédure. Le seul cas où le devoir d’équité exigerait manifestement que l’intéressé puisse faire connaître ses arguments une fois le rapport du CSARS produit serait celui où le rapport du CSARS serait favorable au résident permanent et ne recommanderait pas la délivrance d’une attestation, mais où le gouverneur général en conseil, non convaincu par le rapport étant donné d’autres documents ou rapports dont il aurait été saisi, déciderait, par le pouvoir qui lui est conféré, que l’intéressé devrait effectivement faire l’objet d’une attestation en vertu du paragraphe 40(1). Si cela devait se produire de telle sorte que le CSARS n’ait pas été saisi de ces renseignements et que l’intéressé n’ait donc pas eu la possibilité d’y réagir, l’équité exigerait en effet que l’intéressé puisse, avant que ne soit prise la décision finale de délivrer une attestation, prendre connaissance de l’information en question et faire connaître ses arguments. Faute de quoi, on pourrait penser, me semble-t-il, que le gouverneur général en conseil, exerçant de son propre chef une prérogative résiduelle, serait en train de passer outre à la procédure établie par une loi du Parlement pour contrôler l’exercice de ce pouvoir.

Ce n’est pas le cas en l’espèce. Ici, toutes les parties ont accepté le fait que la décision du gouverneur général en conseil se fondait sur le rapport et la conclusion du CSARS, comme le déclare d’ailleurs clairement le décret. Lorsque le rapport est jugé illégitime après contrôle judiciaire, les décisions qu’il étaye sont également illégitimes.

L’argument du requérant comme quoi l’équité exige que le gouverneur général en conseil fasse connaître les motifs de sa décision n’est pas convaincant. En l’espèce, la décision est clairement dite fondée sur les motifs exposés dans le rapport du CSARS, et rien n’indique autre chose, de sorte que les motifs de la décision du gouverneur général en conseil sont essentiellement ceux qui ont permis au CSARS de conclure comme il l’a fait et au gouverneur général en conseil de conclure qu’il est convaincu que le requérant est visé par l’alinéa 19(1)g) et qu’il doit faire l’objet d’une attestation en vertu du paragraphe 40(1).

L’alinéa 19(1)g) et l’article 2 de la Charte

Le requérant soutient que l’alinéa 19(1)g) tel qu’il a été appliqué en l’espèce n’a pas d’effet parce qu’il enfreint les alinéas 2b) et 2d) de la Charte. Ces dispositions de la Charte garantissent à « chacun » les libertés suivantes :

2. …

b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communications;

d) liberté d’association.

La première de ces libertés (alinéa 2b)) est généralement, et ci-après, désignée comme étant la liberté d’expression.

Aucune objection n’a été soulevée à l’égard de deux des catégories de personnes visées à l’alinéa 19(1)g), à savoir « celles dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, qu’elles commettront des actes de violence de nature à porter atteinte à la vie ou à la sécurité humaines au Canada ou … [celles qui] sont susceptibles de prendre part aux activités illégales d’une telle organisation [susceptible de commettre des actes de violence] ». La question soulevée, et c’est celle dont ont discuté tous les avocats, a trait à la deuxième catégorie de personnes visées par l’alinéa 19(1)g), celle à laquelle le CSARS estime que le requérant appartient, à savoir les personnes « dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, … qu’elles appartiennent à une organisation susceptible de commettre de tels actes [de violence] ».

Selon mon interprétation de l’argument invoquant l’alinéa 2b) de la Charte, il s’agit essentiellement de l’interdépendance étroite et importante entre la liberté d’expression et la liberté d’association. C’est le point de vue avancé par le requérant. Il est appuyé par la FCA et par l’ACLC, qui expose succinctement ce qui suit dans ses observations écrites :

[traduction] Nous faisons valoir que, dans la mesure où les associations constituent le moyen par lequel les particuliers s’expriment, par lesquels ils définissent leur valeurs et convictions sociales, politiques et religieuses, la liberté d’expression est également enfreinte ou niée par l’alinéa 19(1)g) de la Loi sur l’immigration.

Je suis d’avis que la relation étroite qui existe entre les deux libertés qui seraient compromises en l’espèce ne permet pas en soi de conclure que la disposition législative en question enfreint la liberté d’expression indépendamment de l’atteinte à la liberté d’association.

Il faut cependant ajouter que le requérant estime, en ce qui concerne l’alinéa 2b) de la Charte, que ses diverses activités pour le compte ou à l’appui de la cause et des objectifs du FPLP ont été conformes à l’exercice pacifique de sa liberté d’expression à l’appui d’une Palestine libre et démocratique. Le requérant s’appuie sur le concept de liberté d’expression tel que l’a défini la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, et sur la méthode d’évaluation, dans une situation donnée, pour savoir si les libertés garanties sont limitées par l’action de l’État (selon le juge en chef Dickson et les juges Lamer [tel était alors son titre] et Wilson, aux pages 966 à 979). Le requérant fait valoir en l’espèce que la liberté d’expression est limitée par l’effet de l’alinéa 19(1)g) tel qu’il s’applique aux personnes appartenant à des organisations susceptibles de commettre des actes de violence, car l’effet ultime de la classification établie à cet alinéa est d’exclure ou d’expulser du Canada des personnes exerçant simplement leurs libertés fondamentales et qui ne sont pas elles-mêmes susceptibles de commettre des actes de violence. Je fais remarquer que la FCA, dans son intervention, appuie la perspective et l’argumentation du requérant.

Je ne suis toutefois pas convaincu que l’alinéa 19(1)g) ait un lien quelconque avec la liberté d’expression, ni un quelconque effet sur elle, indépendamment de ses effets sur la liberté d’association. Son effet est en fin de compte de mettre fin à l’exercice de la liberté d’expression des personnes touchées et de mettre fin à l’exercice des autres libertés garanties par la Charte, en raison de leur exclusion ou de leur expulsion du Canada. Cela dit, faute d’une quelconque répercussion plus importante sur la liberté d’expression que sur les autres libertés et d’un quelconque effet plus direct sur cette liberté que sur d’autres, je ne vois pas comment on peut affirmer que l’alinéa 19(1)g) enfreint cette liberté. Il est vrai que le CSARS s’est appuyé sur des éléments de preuve ayant trait aux activités de M. Yamani, notamment sur son propre témoignage à cet égard, pour conclure qu’il appartient au FPLP, ce qui le fait tomber sous le coup de la disposition législative, mais il ne s’ensuit pas pour autant que l’on puisse affirmer que l’alinéa 19(1)g) a pour effet de limiter la liberté d’expression.

Il en va tout autrement, selon moi, si l’on envisage les effets de cette disposition et ses rapports avec l’alinéa 2d) de la Charte. L’alinéa 19(1)g) restreint en effet directement la liberté d’association en prévoyant que des personnes qui n’ont pas la nationalité canadienne puissent être en fin de compte exclues ou expulsées du Canada parce qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’elles appartiennent à une organisation susceptible de commettre des actes de violence du type décrit dans la disposition. C’est l’association des personnes à titre de membres d’organisations du type décrit dans la disposition qui détermine leur classification en vue de l’exclusion ou de l’expulsion. Ce n’est ni leurs antécédents personnels à l’égard de la participation à des actes de violence ni le fait qu’elles seraient susceptibles de commettre de tels actes. C’est plutôt le simple fait d’appartenir à une organisation susceptible de commettre les actes de violence décrits dans la disposition qui motive l’application de l’alinéa 19(1)g) en l’espèce, sans égard aux obligations imposées aux membres, à l’éventail des autres activités de l’organisation ou à l’influence que la personne pourrait exercer dans cette organisation. C’est ainsi qu’en l’espèce, le requérant, s’il a activement soutenu l’organisation, a toujours mené des activités au service de divers objectifs non violents du FPLP, comme le rapport du CSARS le reconnaît d’ailleurs.

Le requérant fait valoir que le libellé de l’alinéa 19(1)g) a une portée trop vaste. Il n’établit pas de distinction entre les organisations exclusivement consacrées aux activités violentes de nature à porter atteinte à la vie ou à la sécurité humaines au Canada et d’autres organisations aux objectifs divers qui peuvent comprendre des membres peu engagés et ne participant qu’aux activités pacifiques. Il vise des personnes, pour la seule raison de leur association à une organisation, alors qu’elles ne sont pas elles-mêmes susceptibles de commettre des actes de violence ou de se livrer à des activités illégales au Canada.

Je dois dire que le fait pour un résident permanent de perdre la possibilité d’obtenir la nationalité canadienne et de risquer l’expulsion à cause d’une conclusion défavorable du CSARS eu égard à l’alinéa 19(1)g) constitue une privation importante. Il est vrai que, dans l’affaire Hurd c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 C.F. 594(C.A.), à la page 606, traitant de dispositions de la Loi ayant trait à une ordonnance d’expulsion après une enquête ayant permis de conclure que l’intéressé avait été condamné pour des infractions criminelles, la Cour d’appel a estimé que l’expulsion n’est pas une peine au sens de l’alinéa 11h) de la Charte : cela ressemblerait plutôt à la perte d’un permis ou au renvoi d’un corps policier ou au retrait du droit d’exercer une profession. Que l’expulsion ne soit pas une peine lorsqu’elle s’applique à un résident permanent aux antécédents criminels, c’est ce que le juge Pratte a confirmé dans l’arrêt de la Cour d’appel relatif à l’affaire Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 C.F. 299 à la page 309, opinion partagée par le juge Sopinka qui a, pour le compte de la Cour suprême, traité cette affaire en appel : voir Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, à la page 735. Pour le juge Pratte, de la Cour d’appel, la disposition permettant de délivrer une ordonnance d’expulsion en vertu du paragraphe 32(2) de la Loi à l’égard d’un résident permanent jugé appartenir à une catégorie non admissible, notamment de personnes visées par l’alinéa 19(1)g) était, à la page 309, « le corollaire nécessaire des limites imposées … au droit des résidents permanents d’entrer au Canada et d’y demeurer … L’expulsion est en effet le seul moyen pratique de forcer un étranger qui se trouve illégalement au Canada à quitter le pays ». Pourtant, si l’expulsion n’est peut-être pas une peine au sens de l’article 12 de la Charte, il s’agit selon moi d’une privation importante pour un résident permanent.

Cela dit, la question est de savoir si cette privation pour les motifs établis ici limite la liberté d’association garantie par la Charte. La FCA appuie la position du requérant, de même que l’ACLC. L’exposé des arguments de cette dernière traite précisément de l’alinéa 19(1)g) dans son application aux résidents permanents, c’est-à-dire aux personnes ayant déjà obtenu le droit d’établissement et à qui est refusée la liberté de s’associer à d’autres dans le cadre d’organisations définies, sous peine, si elles exercent ce droit, d’être expulsées. Cette conséquence serait aussi grave, voire plus grave que la perte d’un emploi, selon l’argument de la Cour suprême du Canada invoquant la protection du paragraphe 2d) de la Charte dans l’affaire Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313.

Le représentant des intimés soutient qu’il n’existe aucune interférence constitutionnelle avec la liberté d’association garantie par la Charte. En l’espèce, puisque le requérant est, selon les renseignements obtenus, un chef de groupe d’une organisation considérée comme une organisation terroriste susceptible de commettre des actes de violence de nature à porter atteinte à la vie ou à la sécurité humaines au Canada, aucun droit constitutionnel ne serait enfreint si le requérant était expulsé. Le requérant est un résident permanent et non pas un citoyen, et son droit de rester au Canada se limite à ce que définit la Loi. L’alinéa 19(1)g) aurait pour objet de promouvoir la sécurité publique au Canada en protégeant ses habitants contre les activités terroristes des trois catégories de personnes visées par cette disposition. Les intimés font valoir que cette disposition ne saurait être considérée comme inconstitutionnelle, non plus que ses effets qui sont d’exclure, ou d’expulser après admission, les personnes appartenant à des organisations susceptibles de commettre des actes de violence du type décrit dans la disposition. Le procureur général fait valoir qu’il n’existe pas de droit protégé par la Constitution d’être membre d’une telle organisation.

J’estime quant à moi que ce point de vue ne rend pas justice à la question soulevée en l’espèce. Il s’agit de savoir si l’alinéa 19(1)g) limite la liberté d’association des résidents permanents. Je fais remarquer, s’il faut le rappeler, que les libertés garanties par l’article 2 de la Charte le sont pour « chacun », pour les résidents permanents comme pour les citoyens du Canada. Si un citoyen était privé d’une possibilité en vertu de la loi à cause de son affiliation ou de son adhésion à une organisation, non définie par ailleurs, qui serait susceptible de commettre des actes de violence de nature à porter atteinte à la vie ou à la sécurité humaines au Canada, on ne pourrait pas dire, je crois, que cette privation ne limite pas la liberté des Canadiens de s’associer en organisations. Le fait que l’alinéa 19(1)g) ne s’applique pas aux citoyens canadiens, mais seulement aux ressortissants étrangers, qu’ils aient obtenu ou non le droit d’établissement, ne fait pas de cette disposition une disposition constitutionnelle. Dans la catégorie à laquelle le CSARS a jugé que M. Al Yamani appartenait, c’est l’appartenance à une organisation définie en termes généraux qui constitue le fondement de son inclusion et de son expulsion probable.

Je suis convaincu que, comme le dit l’ACLC, la nature de l’organisation définie n’a pas de pertinence à l’égard de la question de savoir si l’alinéa 19(1)g) enfreint la liberté d’association, encore que cela pourrait en avoir au regard de l’article premier de la Charte. Selon moi, en prévoyant ultimement l’expulsion des résidents permanents qui appartiennent à une organisation sans définition étroite, la loi porte atteinte effectivement à la liberté des résidents permanents de s’associer à d’autres personnes dans le cadre d’organisations. Il arrive souvent que ces personnes, du moins celles qui viennent d’arriver au pays, conservent des liens avec des organisations associées à leur patrie d’origine, dont beaucoup peuvent avoir des antécédents violents, mais qui poursuivent des objectifs divers, comme on a vu que c’était le cas du FPLP en l’espèce. Le fait d’exposer tous les résidents permanents au risque d’être expulsés à cause de leur appartenance à ce genre d’organisations enfreint selon moi leur liberté d’association.

La disposition se justifie-t-elle cependant en raison de l’article premier de la Charte, en tant que limite raisonnable imposée « par une règle de droit … et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique »? Le requérant et l’ACLC estiment que l’alinéa 19(1)g) ne saurait se justifier en raison de l’article premier parce que sa portée est trop vaste et que le terme « appartenir » (member) n’y est pas défini, tandis que le terme « organisation » ne l’est pas vraiment non plus. On pourrait l’appliquer, tel que son interprétation est ici contestée, à un syndicat, qui a légalement le droit de prendre des mesures qui, du moins dans le passé, ont donné lieu à des actes de violence ayant porté atteinte à la vie ou à la sécurité humaines au Canada. L’ACLC soutient que la disposition ne se justifie pas en tant que limite raisonnable imposée par la loi.

Le seul élément de preuve avancé par le procureur général à l’appui de l’article premier est celui qu’il a déjà invoqué, à savoir la note d’information adressée au ministre de l’époque lorsque le projet de loi contenant l’alinéa 19(1)g) a été soumis à la Chambre des communes. J’accepte son argument, fondé en partie sur cette note, de même que les termes de la disposition en question qui appuient la conclusion que, ainsi qu’il l’a promulgué, le Parlement voulait effectivement que la Loi englobe les personnes appartenant aux organisations telles qu’elles sont généralement définies dans la disposition. J’admets que la présence d’autres dispositions législatives connexes prévoyant l’exclusion ou l’expulsion d’étrangers réputés représenter un risque pour la sécurité publique au Canada en raison de leurs activités criminelles ou pour des motifs de sécurité, ces dispositions traduisent l’objet du Parlement de protéger les habitants du Canada contre les actes de violence. Ce dessein, fondamental pour tout État, pourrait prévaloir contre les libertés garanties par l’article premier de la Charte.

L’arrêt La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, établit que lorsque l’article premier est en cause, c’est la partie qui cherche à faire confirmer la disposition incriminée qui a la charge d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que, parmi les autres mesures d’application de son objet, la mesure retenue par le Parlement répond à une exigence réelle et urgente dans le cadre d’une société libre et démocratique, que les moyens choisis sont raisonnables et que leur justification peut se démontrer à l’aide d’un critère de proportionnalité. Il convient de concevoir cette mesure avec soin pour qu’elle réponde à l’objectif en question, qu’elle ne soit ni arbitraire, ni injuste, ni fondée sur des considérations irrationnelles, mais qu’elle soit rationnellement reliée à l’objectif. Elle doit empiéter aussi peu que possible sur la liberté compromise. De plus, il doit y avoir un rapport de proportion entre les effets de la mesure adoptée et l’objectif poursuivi.

En l’espèce, le procureur général fait valoir, pour le compte des intimés, que les conditions de l’article premier de la Charte sont remplies. Il y a dans la Loi les articles 39 et 40 qui font partie d’un ensemble de dispositions regroupées sous la rubrique intitulée « Sûreté et sécurité publiques » et en vertu desquels certaines mesures ont été prises en l’espèce. Ils sont précédés de l’article 38.1 [édicté par L.C. 1992, ch. 49, art. 28], qui précise les objets des articles suivants. Les desseins du Parlement exposés à l’article 38.1 englobent le renvoi du Canada de personnes qui menacent la sécurité du Canada ou dont la présence au pays est contraire à ses intérêts ou met en danger la vie ou la sécurité de personnes au Canada. Cette disposition, promulguée en 1992, est entrée en vigueur le 1er février 1993, après que le CSARS avait entamé son enquête sur le rapport des ministres au sujet du requérant. Il demeure que les desseins du Parlement étaient évidents bien avant 1993, bien que leur dimension internationale soit plus manifeste dans la disposition désormais en vigueur. L’alinéa 19(1)g) est incorporé par renvoi dans les articles 39 et 40 et, comme je l’ai fait remarquer précédemment, je reconnais que son objet général est de protéger les personnes vivant au Canada en identifiant les personnes qui sont une menace pour leur sécurité.

L’avocat du procureur général soutient que les autres conditions du critère établi dans l’arrêt Oakes sont remplies : il y a un lien rationnel entre l’objectif poursuivi et la mesure adoptée, il y a proportionnalité, conformément à l’alinéa 19(1)g), entre les droits des résidents permanents de rester dans ce pays et le dessein de l’État de protéger la vie et la sécurité des personnes au Canada.

Je ne suis pas convaincu que les exigences de l’article premier soient remplies. Bien qu’aucun élément de preuve attestant l’urgence de la nécessité n’ait été produit, j’admets que l’État doit absolument protéger les personnes contre la menace d’actes de violence perpétrés par des ressortissants étrangers et qui porteraient atteinte à la vie ou à la sécurité de personnes dans ce pays. Je ne suis toutefois pas convaincu qu’il y ait un lien rationnel entre la protection de la vie et de la sécurité des personnes au Canada et la limitation de la liberté d’association des résidents permanents qui sont de simples membres d’organisations, de quelque nature qu’elles soient, susceptibles (likely) de commettre des actes de violence de nature à porter atteinte à la vie ou à la sécurité humaines au Canada. Pas plus que je ne suis convaincu que la limitation de la liberté d’association à l’échelle envisagée dans l’alinéa 19(1)g) est proportionnelle au dessein de l’État. Pour résumer, en englobant les membres d’organisations décrites en termes très généraux, sans égard aux antécédents ou aux tendances à la violence des particuliers en cause ni aux objectifs de l’organisation, le Parlement ne compromet pas aussi peu que possible la liberté d’association des résidents permanents.

L’argumentation présentée pour le compte du procureur général faisait comme si les termes en question dans l’alinéa 19(1)g) avaient trait aux membres d’une « organisation terroriste » parce qu’en l’espèce c’est à une organisation terroriste que l’on a conclu que le requérant appartenait. Mais la disposition ne limite pas explicitement sa portée aux membres d’« organisations terroristes ». De plus, il ne conviendrait sans doute pas d’inclure les organisations terroristes dans l’alinéa 19(1)g) puisque cela créerait un chevauchement ou un double emploi avec l’alinéa 19(1)e) qui renvoie entre autres précisément aux personnes « dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elles … sont membres d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle … commettra des actes de terrorisme ».

L’argumentation du procureur général invite implicitement le tribunal à faire une « interprétation atténuée » ou à restreindre l’interprétation des termes de la disposition pour les limiter aux circonstances qui sont clairement de la compétence du Parlement selon la Charte. Si on limite ainsi cette partie de l’alinéa 19(1)g), on pourrait en effet remplir les conditions de l’article premier de la Charte, par exemple en n’appliquant cette disposition qu’aux circonstances établies par le CSARS en l’espèce, où l’on constate qu’un résident permanent appartient à une organisation terroriste susceptible de commettre des actes de violence du genre décrit dans la disposition. Aucun des avocats, ni ceux des parties ni ceux des intervenants, n’a présenté d’arguments ayant directement trait à une telle interprétation de l’alinéa 19(1)g).

À mon avis, il ne convient pas ici de donner une « interprétation atténuée » à la disposition contestée en l’espèce. L’alinéa 19(1)g) a été promulgué avant que la Charte entre en vigueur en 1982. On sait, par la note d’information adressée au ministre de l’époque, que la disposition a été rédigée dans l’intention d’inclure les membres d’organisations même si les membres eux-mêmes n’avaient pas d’antécédents violents ni n’étaient susceptibles de commettre des actes de violence, du moment que l’organisation était considérée comme susceptible de se livrer à ce genre d’activités. Rien ne permet de penser que, lorsque le Parlement a promulgué cette disposition, il avait l’intention d’en donner une « interprétation atténuée ». Il est manifeste que cette perspective n’annonçait pas les dispositions de la Charte, promulguée quelque cinq ans après les alinéas 19(1)e) et g).

Selon moi, l’alinéa 19(1)g), dans la mesure où il a trait aux personnes dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elles appartiennent à une organisation susceptible de commettre des actes de violence de nature à porter atteinte à la vie ou à la sécurité humaines au Canada, limite la liberté d’association, et cette restriction n’est pas une limite dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Il enfreint donc l’alinéa 2d) de la Charte et il n’a pas d’effet en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]].

La procédure du CSARS : la justice fondamentale, l’article 7 de la Charte et la jurisprudence

Les parties ont des vues divergentes sur la question de savoir si la procédure appliquée par le CSARS enfreignait l’article 7 de la Charte, qui dispose ce qui suit :

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Le procureur général soutient que la question a déjà été tranchée par la Cour suprême dans l’affaire Chiarelli (supra) et par la Cour d’appel dans l’instance ultérieure intitulée Canepa c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 3 C.F. 270 Dans l’affaire Chiarelli, le tribunal s’est entre autres intéressée à la procédure appliquée dans le cadre d’une enquête du CSARS par suite d’un rapport du ministre de l’Emploi et de l’Immigration et du solliciteur général établissant que le requérant, un résident permanent, faisait partie d’une catégorie de personnes ayant commis des actes criminels graves justifiant la délivrance d’une attestation en vue de leur expulsion. La procédure appliquée alors était similaire à celle qui a été appliquée en l’espèce, exception faite de certains aspects. Dans l’affaire Canepa, la Cour d’appel était saisie d’un appel du rejet par la Commission d’appel de l’immigration d’un appel d’une ordonnance d’expulsion ayant trait à un résident permanent reconnu comme ayant des antécédents criminels justifiant son expulsion en vertu de la Loi. Dans cette dernière instance, le juge MacGuigan, relativement au refus de la Cour d’entendre les arguments fondés sur l’allégation d’infraction à l’article 7 de la Charte, a déclaré ce qui suit, aux pages 277 et 278 :

La Cour suprême [dans l’affaire Chiarelli] a … clairement décidé que les restrictions imposées par le Parlement au droit des résidents permanents de demeurer au Canada dans les catégories énumérées au paragraphe 27(1) de la Loi ne portent pas atteinte aux principes de justice fondamentale mentionnés à l’article 7.

De plus, bien que la Cour suprême, en se fondant sur la justice fondamentale pour trancher la question, ait laissé pendante la question de savoir si l’expulsion résultant de la perpétration d’infractions graves peut être perçue comme une atteinte à la liberté en vertu de l’article 7, notre Cour, qui a déjà tranché dans la négative, se trouve liée par ses décisions antérieures : Hoang c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990), 13 Imm. L.R. (2d) 35; Hurd c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 C.F. 594

À notre avis donc, à l’audience, les moyens fondés sur la violation de l’article 7 étaient écartés par la jurisprudence.

C’est en dépit de cette opinion que le requérant fait valoir que la question de l’infraction à l’article 7 de la Charte reste ouverte du fait qu’une expulsion probable prive la personne de sa sécurité. L’avocat du requérant, tout en reconnaissant que les aspects généraux de la procédure du CSARS ont été approuvés par la Cour suprême dans l’affaire Chiarelli et en précisant qu’ils ne sont pas contestés en tant que moyens légitimes d’équilibrer la nécessité de la sécurité publique et l’intérêt d’un résident permanent à demeurer au Canada, soutient que certains aspects de cette procédure enfreignent en l’espèce les principes de justice fondamentale. C’est à ces égards que la procédure est en l’espèce jugée différente de celle qui a été appliquée à l’audience du CSARS dans l’affaire Chiarelli. Si cependant il n’est pas possible d’invoquer l’article 7, l’avocat fait valoir que ces infractions contreviennent également aux principes d’équité et de justice fondamentale de la jurisprudence eu égard au droit à une audience équitable.

Je fais remarquer qu’outre les méthodes dont le requérant estime qu’elles enfreignent l’article 7 de la Charte, l’ACLC soutient que l’alinéa 19(1)g) enfreint l’article 7 au sens où il prive le résident permanent de sa liberté non pas du fait d’antécédents violents de la personne en question, mais au motif qu’une organisation à laquelle elle appartient, aussi bien un syndicat canadien, est susceptible de commettre des actes de violence du type décrit dans la disposition, c’est-à-dire en fonction de l’éventualité ou de la probabilité d’un comportement ultérieur de l’organisation dont le résident permanent est membre, que celui-ci ait ou non des tendances à la violence et sans égard à sa capacité d’influer sur le comportement de son organisation ou des autres membres.

Étant donné la décision de la Cour d’appel dans l’affaire Canepa, j’estime que la procédure du CSARS ne soulève pas, en l’espèce, de question du point de vue de l’article 7 de la Charte. Les prétentions du requérant et de l’ACLC eu égard à cet article ne sont donc pas recevables. De plus, je ne suis pas convaincu que les aspects particuliers de la procédure du CSARS soulignés par le requérant enfreignent effectivement les principes de justice fondamentale ou les principes d’équité de la common law quant à l’audience du CSARS. Trois aspects de cette procédure auraient, selon le requérant, enfreint ces principes.

Le premier a trait au fait que le CSARS n’a pas communiqué au requérant l’ensemble des éléments de preuve dont le comité a été saisi. Deux témoins ont parlé en l’absence de l’accusé et de son avocat, et aucun résumé ou autre forme de communication sur le contenu de leur témoignage n’a été fourni au requérant. De plus, le requérant estime que les éléments de preuve fournis par les agents du SCRS et les questions posées par M. Al Yamani lui-même indiquent qu’il a fait l’objet d’une surveillance téléphonique et électronique, et rien, aucune transcription ni enregistrement d’aucune sorte des conversations, ne lui a été fourni. Dans l’affaire Chiarelli, le CSARS a entendu des témoignages à huis-clos et unilatéralement, mais il a fourni un résumé de la substance de tous les éléments de preuve ainsi qu’un « résumé de l’interprétation des communications privées interceptées ». Le contre-interrogatoire des agents du SCRS qu’il a été possible de mener en l’espèce indique que les renseignements concernant les communications interceptées peuvent parfois être communiqués aux audiences du CSARS, à condition qu’on admette qu’il y a eu écoute et que ces renseignements soient disponibles et qu’on puisse les révéler sans compromettre d’autres personnes ni les sources, les méthodes et autres mécanismes du SCRS. Il n’y a en l’espèce aucun élément de preuve relatif à des communications interceptées. Le fait de ne pas révéler au requérant l’ensemble des éléments de preuve dont le CSARS a été saisi lui aurait été préjudiciable et aurait limité sa capacité à comprendre les préoccupations des agents du SCRS et à fournir des explications à l’égard de ces préoccupations.

Le paragraphe 39(5) de la Loi sur l’immigration dispose que lorsque le comité de surveillance est saisi d’un rapport en vertu du paragraphe (2), certains articles de la Loi sur le SCRS doivent être appliqués, sous réserve des modifications justifiées par la situation pour que l’enquête se déroule conformément aux dispositions de l’article 42 de ladite Loi. Parmi les articles applicables, l’article 48 se lit comme suit :

48. (1) Les enquêtes sur les plaintes présentées en vertu de la présente partie sont tenues en secret.

(2) Au cours d’une enquête relative à une plainte présentée en vertu de la présente partie, le plaignant, le directeur et l’administrateur général concerné doivent avoir la possibilité de présenter des observations et des éléments de preuve au comité de surveillance ainsi que d’être entendu en personne ou par l’intermédiaire d’un avocat; toutefois, nul n’a le droit absolu d’être présent lorsqu’une autre personne présente des observations au comité, ni d’en recevoir communication ou de faire des commentaires à leur sujet.

Les Règles de procédure adoptées par le CSARS en vertu du paragraphe 39(1) de la Loi sur le SCRS comportent les suivantes :

46. (1) Si la personne concernée n’exerce pas son droit d’audience, le directeur exécutif doit, au nom desdits membres, informer les parties, par lettre recommandée ou remise en mains propres, du délai qu’ils ont fixé pour le dépôt des observations écrites.

(2) (a)  Sous réserve de l’article 37 de la Loi, lesdits membres ont discrétion, en tenant compte à la fois des exigences de la sécurité du Canada et du droit de la personne concernée à un traitement équitable pour déterminer si les faits de l’affaire justifient que la substance des observations de l’une des parties soit divulguée à une ou plusieurs autres parties.

(b)  Si lesdits membres décident que la substance des observations de l’une des parties doit être divulguée à une autre partie, ils consulteront le directeur avant de déterminer l’étendue de la divulgation, de façon à assurer le respect de l’article 37 de la Loi.

(c)  Si lesdits membres décident que la substance des observations de l’une des parties doit être divulguée à d’autres parties, celles-ci auront le droit de commenter ces observations.

48. (1) Une partie qui participe à une audience peut :

(a) être représentée par un avocat;

(b) citer et interroger des témoins et formuler des observations.

(2)  Sous réserve de l’article 37 de la Loi, lesdits membres ont discrétion, en tenant compte à la fois des exigences de la sécurité du Canada et du droit de la personne concernée à un traitement équitable, pour déterminer si les faits de l’affaire justifient qu’on permette à une partie de contre-interroger des témoins appelés par d’autres parties.

(3)  Sous réserve de l’article 37 de la Loi, lesdits membres ont discrétion pour exclure de l’audience, sur demande, une ou plusieurs parties au cours du témoignage ou de la plaidoirie d’une autre partie.

(4)  Sous réserve de l’article 37 de la Loi, quand ils n’ont pas permis à une partie d’assister à toute l’audience, lesdits membres ont discrétion, en tenant compte à la fois des exigences de la sécurité du Canada et du droit de la personne concernée à un traitement équitable, pour déterminer si les faits de l’affaire justifient que la substance des témoignages ou des observations d’autres parties doit être divulguée à la partie qui a subi l’exclusion.

(5)  Si lesdits membres décident que la substance des témoignages ou des observations d’autres parties doit être divulguée à une partie, ils consulteront le directeur avant de déterminer l’étendue de la divulgation de façon à assurer le respect de l’article 37 de la Loi.

Ces Règles ont pour objet de maintenir un équilibre entre les exigences de la prévention des menaces contre la sécurité du Canada et celles de l’équité à l’égard de la personne faisant l’objet d’une enquête du CSARS tout en garantissant que les membres du CSARS concernés remplissent leur obligation, en vertu de l’article 37 de la Loi sur le SCRS, de respecter toutes les exigences de sécurité voulues ainsi que le serment de confidentialité qu’ils ont prêté en vertu de la Loi sur le SCRS.

Le second aspect de la procédure du CSARS dont le requérant estime qu’il enfreint les principes de justice fondamentale a trait au fait que le CSARS, lorsque l’avocat du requérant en a fait la demande, ne lui a pas accordé l’autorisation de sécurité qui lui aurait permis d’assister, sans son client, aux séances à huis-clos et unilatérales où des agents du SCRS ont fourni des éléments de preuve. L’avocat du CSARS a fait valoir que rien dans la loi ou dans les Règles qui régissent le comité ne l’exige et qu’aucun des principes de justice fondamentale ne l’exigent non plus. De plus, si le comité devait agir ainsi, l’avocat du requérant se trouverait dans une situation potentielle de conflit avec les intérêts de son client et ses responsabilités professionnelles à son égard. Je conviens avec le requérant que c’est, dans ce dernier cas, une considération dont il lui est loisible de se dispenser.

Mais je ne dirais pas que les principes de justice fondamentale exigent que l’avocat ait accès à des renseignements dont le CSARS estime qu’il est indispensable qu’ils soient communiqués à huis-clos et unilatéralement et qu’ils ne doivent pas être révélés au requérant ou à son avocat. Il s’agit simplement d’un aspect des dispositions possibles en vertu des règles de procédure du CSARS, à déterminer conformément au paragraphe 48(2) de la Loi sur le SCRS. Il incombe manifestement au CSARS de décider, en vertu de la Loi sur le SCRS, quels sont les renseignements qui devront lui être fournis à huis-clos et unilatéralement, et en l’absence de la personne concernée ou de son avocat, et quelle partie, s’il y a lieu, des renseignements ainsi obtenus pourra être divulguée. Comme je l’ai déjà dit, selon la Cour suprême (Chiarelli), la procédure générale du CSARS, d’après la loi et les Règles qui le régissent, sont valides et ne sont pas en conflit avec les principes de justice fondamentale énoncés à l’article 7 de la Charte.

J’estime que, si l’on considère les dispositions prises à l’égard des audiences du CSARS en l’espèce, étant donné le contexte dans lequel ces audiences se déroulent et la nature des questions qui y sont abordées, il n’y a pas eu infraction aux principes de justice fondamentale à l’égard de l’équité de l’audience du comité. Le requérant a obtenu un exposé des circonstances avant le début des audiences. Cet exposé résumait les renseignements étayant la décision conjointe des ministres d’entamer la procédure prévue au paragraphe 39(2) de la Loi. Pour résumer, le requérant a été informé des accusations dont il faisait l’objet. Il est vrai que certains renseignements ont été fournis au CSARS à huis-clos et unilatéralement et que la nature de certains de ces renseignements n’a pas été communiquée au requérant dans un résumé ni dans une version expurgée, mais je rappelle que certains des renseignements fournis au CSARS à huis-clos et unilatéralement ont été communiqués au requérant sous forme d’un résumé et d’une version expurgée. Dans l’affaire Chiarelli (supra), le juge Sopinka, aux pages 743 et 744 a confirmé que la portée des principes de justice fondamentale varie en fonction du contexte et des intérêts en jeu :

… les règles de justice naturelle et le concept de l’équité procédurale, qui peuvent dans un contexte donné faire partie des principes de justice fondamentale, ne constituent pas des normes figées.

Il poursuit en ces termes, aux pages 744 et 745 :

Dans le contexte d’audiences tenues par le comité de surveillance par suite d’un rapport conjoint, le particulier a intérêt à ce que la procédure soit équitable puisque le comité peut, au terme de son enquête, recommander au gouverneur en conseil la délivrance d’une attestation visée à l’art. 83, laquelle écarte la possibilité d’un appel fondé sur des motifs de compassion. Cependant, l’État a aussi grandement intérêt à mener efficacement les enquêtes en matière de sécurité nationale et de criminalité et à protéger les sources de renseignements de la police. La nécessité de confidentialité dans les affaires mettant en cause la sécurité nationale est soulignée par lord Denning dans l’arrêt R. c. Secretary of State for the Home Department, ex parte Hosenball, [1977] 3 All E.R. 452 (C.A.), à la p. 460 :

[traduction] Les renseignements fournis au Home Secretary par le Service de sécurité sont, et doivent être, hautement confidentiels. L’intérêt public dans la sûreté du Royaume est si grand que les sources de renseignements ne doivent pas être révélées, ni leur nature, s’il en résulte le moindre risque de faire découvrir ces sources. La raison en est que, dans ce domaine où la dissimulation est reine, nos ennemis pourraient tenter d’éliminer la source de ces informations.

La Loi sur le SCRS et les règles du comité de surveillance reconnaissent l’existence des intérêts opposés des particuliers et de l’État et tentent d’établir un équilibre raisonnable entre ces intérêts. Les règles exigent expressément en effet que le comité exerce son pouvoir discrétionnaire dans l’établissement de cet équilibre.

Ainsi que le juge Sopinka l’a conclu dans l’affaire Chiarelli, j’estime qu’en l’espèce le requérant a disposé de suffisamment de renseignements pour connaître la substance des allégations le concernant et pour pouvoir y répondre. La justice fondamentale, dans le contexte des enquêtes de sécurité, n’exige pas la divulgation complète des sources de renseignements, des techniques d’obtention de ces renseignements ni des fondements des conclusions du comité. Selon moi, le fait que le requérant n’ait pas été mis au courant de tous les éléments de preuve dont le CSARS a été saisi, le fait qu’il n’ait pas obtenu de renseignements sur les résultats de la surveillance téléphonique et électronique, s’il y a eu surveillance de ce genre, et le fait que son avocat n’ait pas obtenu le droit d’assister aux séances à huis-clos et unilatérales ne constituent pas des infractions aux principes de justice fondamentale dans le contexte des audiences tenues par le CSARS dans cette instance.

La troisième infraction aux principes de justice fondamentale dans la procédure appliquée par le CSARS résulterait de la méthode adoptée en vertu de la Règle 43 des Règles de procédures du CSARS. C’est plutôt la Règle 37 qu’il aurait fallu, selon moi, invoquer, puisqu’elle a trait à la procédure relative aux rapports produits en vertu du paragraphe 39(2) de la Loi sur l’immigration, quoique les deux Règles (43 et 37) prévoient des procédures similaires et sont énoncées dans des termes identiques. La Règle 37 dispose ce qui suit :

37. (1) À l’issue de leur enquête, lesdits membres doivent soumettre à tous les membres du Comité un projet de rapport formulant leurs conclusions et résumant les observations reçues et tout autre élément dont ils ont tenu compte en rédigeant leur projet.

(2) Tout membre du Comité peut, après avoir étudié le projet de rapport, mais dans un délai raisonnable prescrit par le président, suggérer aux auteurs du projet des modifications rédactionnelles ou d’ordre juridique ou une enquête supplémentaire, y compris un renvoi de la question à la Commission canadienne des droits de la personne conformément à l’article 49 de la Loi.

(3) À l’expiration du délai prescrit par le président conformément au paragraphe (2), les auteurs du projet peuvent étudier les suggestions des autres membres du Comité pour décider s’ils modifieront leur rapport ou poursuivront l’enquête, mais il n’appartient qu’à eux de décider du contenu du rapport, que le Comité doit entériner après que chaque membre a eu l’occasion de faire des suggestions conformément au paragraphe (2).

Selon le requérant, le fait que le rapport circule parmi des membres du CSARS qui n’étaient pas présents aux audiences ou n’ont pas participé à l’enquête enfreint le principe que celui qui entend est celui qui doit décider. L’avocat du CSARS fait valoir que la politique de circulation d’un projet de rapport parmi les membres du comité est destinée à n’inviter que des observations d’ordre rédactionnel ou juridique ou des suggestions quant à une poursuite éventuelle de l’enquête. Le rapport définitif incombe aux seuls membres à qui l’enquête a été confiée, comme le prévoit le paragraphe (3) de la Règle 37.

L’avocat du requérant soutient que la forme collégiale du processus décisionnel prévu par la Règle 37 (ou 43) diffère de ce que la Cour suprême a admis dans l’affaire SITBA c. Consolidated-Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282 : le membre président d’une audience du CSARS aurait seulement pour fonction de procéder à une enquête étroite à la suite d’un rapport établi sur un certain particulier en vertu de l’article 39 de la Loi, et sa tâche n’irait pas au-delà des intérêts immédiats de la personne en cause ni n’aurait trait à des considérations de politique.

Il n’est pas vrai selon moi que la procédure du CSARS ne comporte pas d’aspects de ce genre bien que ces aspects soient généralement de l’ordre de la procédure. Les enquêtes du CSARS ont trait à toutes sortes de situations, en rien limitées à celles qui relèvent de la Loi sur l’immigration. Toutes ses enquêtes ont en commun qu’elles renvoient à des questions de sécurité nationale. Ces enquêtes sont relativement peu nombreuses selon toute apparence, mais pour le ou les membres qui en sont chargés et qui sont tous des membres à temps plein du point de vue de leur engagement à l’égard des fonctions globales du CSARS, et notamment des enquêtes, il convient que tous les membres soient régulièrement tenus au courant du travail effectué au nom du comité. J’estime que le fait de tenir les membres au courant et de leur donner la possibilité de faire part de leurs observations sur des questions autres que le fond du rapport doit informer les membres du comité de leurs responsabilités complémentaires, en particulier à l’égard de l’examen du travail du CSARS et des observations qu’ils ont à faire à ce sujet. Je fais remarquer également qu’en l’espèce il n’y a pas eu de suggestion raisonnable que le rapport fourni au requérant n’aurait pas été le rapport du membre président qui a entendu les témoignages des agents du SCRS et pour le compte du requérant.

La procédure du CSARS appliquée en vertu des Règles 37 ou 43 ne constitue pas selon moi une infraction aux principes de justice fondamentale.

Conclusions

Je résume ici mes conclusions à l’égard des questions soulevées.

Concernant les questions de procédure :

1) Il n’est pas, selon moi, inconvenant d’envisager une demande de contrôle judiciaire d’un rapport et d’une conclusion du CSARS par suite d’une enquête déclenchée par un rapport établi en vertu du paragraphe 39(2) de la Loi, surtout si, comme en l’espèce, la décision du gouverneur général en conseil de demander la délivrance d’une attestation en vertu du paragraphe 40(1) de la Loi s’appuie sur le rapport et la conclusion du comité.

2) Étant donné les observations écrites du procureur général du Canada pour le compte des intimés désignés dans le dossier IMM-2197-94 (le gouverneur général en conseil et le solliciteur général du Canada), lesquelles n’ont pas été discutées ni d’un côté ni de l’autre à l’audience, mais que le présent tribunal considère comme pertinentes, les parties désignées comme intimés sont rayées et sont remplacées par le procureur général du Canada, intimé qui convient dans le cadre de la demande. L’ordonnance délivrée prévoit également la modification de l’intitulé de la cause tel qu’il apparaît au début des présents motifs. Je fais remarquer que dans la demande relative au dossier IMM-4557-93, l’ordonnance désigne comme intimé le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, désormais chargé de l’application de la Loi sur l’immigration, en lieu et place du ministre désigné à l’origine.

3) Je considère que la question de la présumée infraction à l’article 15 de la Charte, brièvement abordée dans les observations écrites du requérant et des intimés du dossier IMM-4557-93 avant l’audition des demandes, n’a pas été soulevée par le requérant à l’audience et qu’en conséquence elle ne peut l’être par un intervenant. De plus, j’estime qu’en l’espèce on n’a pas produit de preuves suffisantes pour permettre de contester l’alinéa 19(1)g) en fonction de l’article 15 de la Charte.

Concernant les questions de droit administratif :

4) Je ne suis pas convaincu que le CSARS ait, dans son rapport ou sa conclusion, commis d’erreurs de fait ou de droit d’une manière qui justifierait l’intervention de la Cour. Selon moi, le comité, dans son traitement des éléments de preuve, ne les a ni mal compris, ni mal interprétés ni délibérément ignorés dans une mesure importante, pas plus que ses principales conclusions ne sont déraisonnables eu égard aux éléments de preuve dont il a été saisi.

5) Selon moi, le comité n’a pas commis d’erreur de droit dans son interprétation de l’alinéa 19(1)g) de la Loi en ce qui a trait aux termes « appartenir » (member) ou « susceptible » (likely) ou à la norme de preuve à laquelle renvoie cette disposition.

6) J’estime qu’aucun principe d’équité n’a été enfreint par la décision du gouverneur général en conseil de demander la délivrance d’une attestation en vertu du paragraphe 40(1) de la Loi sans donner au requérant la possibilité de présenter d’autres arguments, d’autant plus qu’en l’espèce le gouverneur général en conseil s’est expressément appuyé sur le rapport et la conclusion du CSARS.

Concernant les questions constitutionnelles :

7) Selon moi, l’argument selon lequel la procédure du CSARS appliquée en l’espèce enfreint l’article 7 de la Charte n’a pas à être analysé par la Cour étant donné les conclusions de la Cour suprême dans l’affaire Chiarelli et de la Cour d’appel dans les affaires Canepa et Hoang [Hoang c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990), 13 Imm. L.R. (2d) 35]. J’estime de plus que les aspects particuliers de cette procédure qui ont été contestés dans cette instance ne compromettent guère les principes de justice fondamentale de la jurisprudence, en dehors de la Charte, dans le contexte de l’instance. C’est ainsi que la décision de ne pas divulguer tous les éléments de preuve produits, le refus de prendre des mesures pour accorder à l’avocat du requérant le droit d’assister aux séances à huis-clos et unilatérales qui ont permis d’entendre le témoignage d’agents du SCRS, et enfin les Règles du CSARS et la politique de circulation d’un projet de rapport, avant qu’il soit adopté dans sa forme définitive, parmi tous les membres du comité, y compris ceux qui n’ont pas participé à l’enquête, ces méthodes de travail n’enfreignent pas les principes de justice fondamentale dans le contexte de l’espèce. Dans ledit contexte, il faut compter la nature de l’enquête, qui avait trait à des questions de sécurité nationale et la nécessité de garantir la procédure la plus équitable possible pour la personne concernée en fonction des intérêts nationaux en question. Dans le cadre de cet équilibre des intérêts de chacun, le requérant a obtenu suffisamment de renseignements sur les préoccupations du CSARS, et il a eu suffisamment l’occasion d’y répondre par son propre témoignage et par celui d’autres personnes appelées pour son compte devant le CSARS.

8) Enfin, pour ce qui de l’article 2 de la Charte, je suis d’avis que l’alinéa 19(1)g) ne soulève pas de questions en rapport avec une infraction à l’alinéa 2b), c’est-à-dire à la liberté d’expression. Je suis par ailleurs d’avis que l’alinéa 19(1)g), dans la mesure où il renvoie à des personnes dont il y a « des motifs raisonnables, … qu’elles appartiennent à une organisation susceptible de commettre [des actes de violence] » (« de nature à porter atteinte à la vie ou à la sécurité humaines au Canada »), enfreint l’alinéa 2d) de la Charte, qui garantit à chacun la liberté d’association. J’estime qu’il n’a pas été prouvé que la limitation de cette liberté en vertu de la partie incriminée de la disposition en cause est une limite raisonnable dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Je fais remarquer que cette décision ne concerne pas les autres catégories de personnes visées à l’alinéa 19(1)g) de la Loi.

Les ordonnances délivrées

La décision et la conclusion du CSARS ont été fondées sur la partie de l’alinéa 19(1)g) dont j’estime qu’elle enfreint l’alinéa 2d) de la Charte d’une façon dont la justification ne peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cette partie de la disposition en question n’a donc pas d’effet, et la décision du CSARS ne peut donc tenir.

Le dossier IMM-4557-93 contient une ordonnance annulant le rapport et la conclusion du CSARS en date du 3 août 1993 dans la mesure où ils étaient fondés sur la conclusion qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le requérant appartenait à une organisation susceptible de commettre des actes de violence de nature à porter atteinte à la vie ou à la sécurité humaines au Canada selon l’alinéa 19(1)g) de la Loi. La demande vise à obtenir une ordonnance confiant l’affaire à une formation différente du comité pour réexamen. Mon ordonnance ne va pas dans ce sens.

J’estime que le requérant n’a pas prouvé que les conclusions de fait ou les applications du droit du rapport du CSARS étaient erronées d’une façon qui justifierait l’intervention de la Cour. Le seul motif d’annulation de la conclusion du CSARS est le fait qu’elle s’appuie sur la partie de l’alinéa 19(1)g) dont j’estime qu’elle est inconstitutionnelle. C’est le comité lui-même qui est le mieux placé pour décider des méthodes d’enquête applicables au requérant une fois qu’il a reçu le rapport établi par les ministres concernés en vertu du paragraphe 39(2) de la Loi. En ce qui me concerne, les conclusions du rapport du 3 août 1993 tiennent, exception faite de celle qui établit que le requérant est visé par l’alinéa 19(1)g) dont j’estime qu’il est contraire à l’alinéa 2d) de la Charte et d’une manière qui ne peut se justifier par l’article premier. Que l’enquête doive être assumée par M. Courtois ou par un autre membre du comité est une question à régler par le CSARS lui-même.

La décision du gouverneur général en conseil en date du 25 août 1993 est non valide parce qu’elle s’appuie sur les motifs exposés dans le rapport du CSARS; le sont aussi l’ordre au solliciteur général de délivrer une attestation certifiant que le requérant est visé par l’alinéa 19(1)g) de la Loi et l’attestation délivrée le 8 septembre 1993 en vertu du paragraphe 40(1) de la Loi. Une ordonnance est versée en ce sens au dossier IMM-2197-94.

Chacune de ces ordonnances comporte des modifications à la désignation des intimés tout d’abord désignés et aux intitulés des causes, conformément aux premiers énoncés des présents motifs. Chacune d’elles comporte également des questions certifiées en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi (voir les conclusions des présents motifs).

J’ordonne qu’une copie de ces motifs soit versé au dossier IMM-2197-94 et que l’original soit versé au dossier IMM-4557-93.

Les questions certifiées en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi

Le paragraphe 83(1) de la Loi interdit d’interjeter appel des décisions relatives à ces demandes à moins qu’une question grave de portée générale ne soit certifiée par le juge qui doit trancher ces questions. Les avocats des parties ont présenté des arguments concernant des questions graves à certifier à l’audience du 21 novembre 1994, au cours de laquelle un certain nombre de questions ont été proposées à l’examen du tribunal.

Dans l’affaire Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 176 N.R. 4 (C.A.F.), le juge Décary déclare entre autres ce qui suit (à la page 5) :

Lorsqu’il certifie une question sous le régime du paragraphe 83(1), le juge des requêtes doit être d’avis que cette question transcende les intérêts des parties au litige, qu’elle aborde des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale (voir l’excellente analyse de la notion d’« importance » qui est faite par le juge Catzman dans la décision Rankin v. McLeod, Young, Weir Ltd. et al. (1986), 57 O.R. (2d) 569 (H.C. de l’Ont.)) et qu’elle est aussi déterminante quant à l’issue de l’appel. Le processus de certification qui est visé à l’article 83 de la Loi sur l’immigration ne doit pas être assimilé au processus de renvoi prévu à l’article 18.3 de la Loi sur la Cour fédérale ni être utilisé comme un moyen d’obtenir, de la Cour d’appel, des jugements déclaratoires à l’égard de questions subtiles qu’il n’est pas nécessaire de trancher pour régler une affaire donnée.

Selon moi, les questions ayant trait à des erreurs de fait ou de droit en rapport avec la manière dont les décisions du CSARS sont reliées aux éléments de preuve dont il est saisi ne sont pas des questions de portée générale; elles sont plutôt des questions intéressant les parties immédiates à ces demandes. Je ne certifie donc pas les questions soulevées qui, bien qu’elles soient importantes pour les parties immédiates, ont trait à des aspects typiques du droit administratif concernant l’audition de la preuve et les conclusions de fait du CSARS.

L’avocat de la FCA a proposé, avec l’appui des autres avocats, qu’une question soit certifiée concernant le droit d’un « intervenant de soulever une question constitutionnelle non soulevée par les parties, mais qui pourrait être accueillie au regard des éléments de preuve dont le tribunal est saisi ». La question à mon sens ne se pose pas : elle serait donc hypothétique puisque, hors ma décision qu’un intervenant n’a pas de droit de ce genre, j’ai décidé, quoique très sommairement, que les éléments de preuve dont le tribunal a été saisi ne permettent pas de faire valoir que l’article 15 de la Charte aurait été enfreint en l’espèce, question que la FCA se proposait en fin de compte de soulever si elle avait obtenu le droit de le faire.

Les questions de droit ayant trait à l’interprétation ou à l’application de l’alinéa 19(1)g), qui est la disposition sur laquelle le CSARS s’est appuyé pour conclure, sont des questions de portée générale : elles transcendent les intérêts des parties et ont de l’importance pour d’autres ou pour des instances concernant le CSARS.

Il est peut-être inhabituel de certifier un certain nombre de questions pour examen par la Cour d’appel, mais j’estime que les présentes demandes soulèvent un certain nombre de questions d’ordre général méritant l’attention de la Cour. Les questions certifiées détermineront un appel au sens où, si la Cour d’appel conclut que j’ai commis une erreur, les demandes seront réglées différemment de ce que j’ai décidé en l’espèce.

Je certifie les questions suivantes :

1.         La compétence de la Cour

La Cour est-elle compétente en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale pour réexaminer un rapport établi en vertu du paragraphe 39(9) de la Loi sur l’immigration ou un décret établi en vertu du paragraphe 40(1) de cette dernière Loi?

À supposer qu’il convient de répondre à la question 1 par l’affirmative, les questions suivantes se posent alors.

2.         Interprétation de l’alinéa 19(1)g) de la Loi

Le CSARS a-t-il commis une erreur de droit lorsqu’il a interprété la norme la preuve exigée ou le sens des termes « appartenir » (member) et « susceptible » (likely) selon l’alinéa 19(1)g) dans la mesure où cette disposition a trait aux personnes dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elles appartiennent à des organisations susceptibles de commettre des actes de violence du genre décrit dans la disposition?

3.         L’alinéa 19(1)g) et la Charte

L’alinéa 19(1)g) de la Loi, dans la mesure où il a trait aux personnes dont il est question au paragraphe 2 ci-dessus, enfreint-il les libertés garanties par les alinéas 2b) et 2d) de la Charte et, si c’est le cas, la justification de cette infraction peut-elle se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique au sens de l’article premier de la Charte.

4.   Les principes de justice fondamentale énoncés à l’article 7 de la Charte ou par la common law sont-ils enfreints par les procédures appliquées en l’espèce à l’égard

a) de la circulation, conformément aux Règles de procédure du CSARS (Règle 37 ou 43), d’un projet de rapport du membre désigné chargé de l’enquête (qui donc a entendu la cause), parmi les autres membres du comité, invités à faire connaître leurs commentaires avant que le membre désigné rédige son rapport définitif et le fasse adopter par le CSARS?

b) du fait que le CSARS n’a pas communiqué au requérant ou a refusé de lui communiquer

i) un résumé ou tout autre compte rendu de deux témoins qui ont fourni des éléments de preuve au comité en l’absence du requérant et de son avocat,

ii) une transcription ou un résumé des renseignements obtenus ou des conversations enregistrées au moyen d’une surveillance électronique ou autre?

c) du fait que le CSARS n’a pas pris de dispositions ou a refusé de prendre des dispositions pour que l’avocat d’une personne faisant l’objet d’une enquête obtienne une autorisation de sécurité qui lui aurait permis d’assister aux auditions à huis-clos et unilatérales du comité?

d) du fait que le gouverneur général en conseil n’a pas donné au requérant la possibilité de présenter d’autres arguments avant de donner suite au rapport du CSARS établi en vertu de l’article 39 de la Loi?

e) si l’une ou l’autre de ces procédures enfreint les principes de justice fondamentale énoncés à l’article 7 de la Charte, la justification peut-elle en être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique au sens de l’article premier de la Charte?

L’ordonnance relative au dossier IMM-4557-93 contient toutes les questions exception faite de la question 4(d) ci-dessus, laquelle est incluse avec la question 1 (dans la mesure où cette dernière concerne le réexamen des mesures prises par le gouverneur en conseil en vertu de l’article 40 de la Loi) dans l’ordonnance relative au dossier IMM-2197-94.

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