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[1996] 2 C.F. 883

T-1457-93

Scott Steel Ltd. (demanderesse)

c.

Le navire inscrit au port d’Emonton sous le nom de L’Alarissa portant le numéro 420 et communément désigné sous le nom de L’Edmonton Queen et North Saskatchewan River Boat Ltd., faisant affaire sous la dénomination sociale de North Saskatchewan Riverboat Co. et les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire (défendeurs)

et

Province of Alberta Treasury Branches et J.C. Damar Developments Ltd. (intervenantes)

Répertorié : Scott Steel Ltd. c. Alarissa (L’) (1re inst.)

Section de première instance, protonotaire Hargrave—Edmonton, 11 et 12 janvier; Vancouver, 13 mars 1996.

Droit maritimeCréanciers et débiteursRequête visant à faire déterminer l’ordre de collocation du produit de la vente judiciaire d’un navire entre le constructeur du navire, qui est titulaire d’un privilège possessoire, le prêteur, qui possède une hypothèque maritime enregistrée et le fournisseur d’approvisionnements nécessairesLes tribunaux ne s’écartent de l’ordre de priorité établi que lorsque cela est nécessaire pour éviter une injustice flagranteDroit du constructeur de conserver la possession du navire tant qu’il n’est pas payé pour les travaux régulièrement effectuésLe droit de rétention donne lieu à un privilège pour les travaux régulièrement effectués, y compris les ajouts autorisés, à partir de la date du début des travauxLe prêteur ne s’est pas suffisamment renseigné Il n’est pas injuste de ne pas modifier l’ordre de priorité habituel.

Droit maritimePrivilèges et hypothèquesRequête visant à faire déterminer l’ordre de collocation du produit de la vente judiciaire d’un navire Le fournisseur d’approvisionnements nécessaires n’a aucun privilège maritime sur le navireComme les privilèges maritimes ne sont pas transférables, il n’est pas nécessaire de déterminer si les employés du fournisseur d’approvisionnements nécessaires entrent dans la catégorie des marins qui ont droit à un privilège maritime garantissant leur salaireIl n’existe pas de privilège possessoire de droit, étant donné que rien ne permet de penser que le constructeur a agi comme mandataire Il n’existe entre les propriétaires et les fournisseurs aucune relation spéciale qui créerait un privilège reconnu en equityIl n’y a pas de partage en equityLe résultat n’est pas injuste.

Fin de non-recevoirLe constructeur du navire n’est pas irrecevable à revendiquer le droit d’être préféré au prêteur qui possède une hypothèque maritime enregistrée Tout prêteur avisé aurait été conscient de la possibilité de l’existence d’un privilège possessoire en faveur du constructeur impayéLe prêteur ne s’est pas raisonnablement renseigné et il a ignoré des signes évidents qui démontraient que le navire allait coûter plus cher que prévu Il n’a pas établi le montant du budgetRien ne permet de croire que le constructeur savait que le prêteur se méprenait au sujet de l’ordre de prioritéLe constructeur n’a pas incité le prêteur à dépensé de l’argentIl n’y a pas d’enrichissement sans cause, étant donné que le navire vaut plus que ce que le constructeur a payéUn droit d’action ne peut avoir comme base une fin de non-recevoirLa fin de non-recevoir n’a pas été utilisée simplement comme un bouclier pour faire modifier l’ordre de priorité Il n’y a aucun rapport juridique entre le constructeur du navire et le prêteurRien ne permet de conclure à la fraudeLe constructeur n’a fait aucune affirmation au prêteur et n’a pas essayé de l’amener à adopter une ligne de conduiteLe prêteur s’est fié aux déclarations faites par l’autre prêteur, et non à celles du constructeurLe prêteur s’est induit en erreur en omettant de se renseigner lui-même de façon indépendante.

Equity CollocationRequête visant à faire déterminer l’ordre de collocation du produit de la vente judiciaire d’un navireLe prêteur détenait plusieurs sûretés en plus d’une hypothèque, y compris un cautionnement du gouvernement de l’AlbertaPour qu’on puisse invoquer la collocation, il doit y avoir deux fondsPreuve insuffisante pour démontrer si les conditions préalables au cautionnement du gouvernement de l’Alberta ont été respectées et si ce cautionnement a été mis à la disposition de l’intéresséUne des conditions pour l’application de la collocation n’est pas remplie.

Droit constitutionnel Partage des pouvoirs Fournisseur d’approvisionnements nécessaires revendiquant le droit d’être préféré, en vertu de la Possessory Liens Act et de la Garagemen’s Lien Act de l’Alberta lors du partage du produit de la vente judiciaire d’un navireLe législateur provincial n’a pas compétence pour créer un privilège possessoire national qui n’est pas reconnu en droit maritime canadien et de modifier ainsi l’ordre de priorité établi en droit maritime canadien.

Il s’agit d’une requête visant à déterminer l’ordre de collocation du produit de la vente judiciaire de l’Edmonton Queen entre la Scott Steel, le constructeur qui affirme avoir un droit de préférence fondé sur un privilège possessoire, Alberta Treasury Branches (la Direction du Trésor), le prêteur qui a avancé 700 000 $ et qui détient un privilège du constructeur qui s’est transformé en hypothèque maritime enregistrée, et la J.C. Damar Developments Ltd. (Damar), un fournisseur d’approvisionnements nécessaires, qui réclame 75 000 $. Ces divers créanciers fondent respectivement leur réclamation sur un privilège possessoire de droit, un privilège maritime, un privilège de garagiste et un privilège en equity, et ils évoquent également la possibilité d’un partage en equity du produit de la vente entre les parties. Il y a également les créances de la Peter S. Hatfield Ltd. et de la Wm. R. Brown & Associates Ltd., les firmes d’architectes navals qui sont titulaires de droits légaux in rem de 30 000 $ pour leurs honoraires impayés.

Le prix initial du navire était de 1,64 million de dollars, mais le navire a été redessiné et des ajouts lui ont constamment été faits. En 1994, le navire inachevé a été évalué à 2,2 millions de dollars. Le navire a été vendu 800 000 $. Les réclamations présentées par la Scott Steel pour les ajouts risquent de dépasser cette somme.

La Direction du Trésor soutenait que la Scott Steel avait perdu son droit de préférence en omettant d’avertir la Direction du Trésor que le navire coûterait plus cher que le prix initialement prévu et en déclarant aux propriétaires que « le budget prévu [était] respecté », sachant que ce renseignement serait transmis à la Direction du Trésor, qui, à son tour consentirait d’autres avances sur la foi de ces affirmations.

Les questions en litige sont celles de savoir si l’ordre de priorité habituel devrait être modifié, si la Scott Steel est irrecevable à revendiquer le droit d’être préférée à la Direction du Trésor et si la doctrine de collocation reconnue en equity devrait s’appliquer.

Jugement : l’ordre de priorité habituel s’applique.

La Cour ne devrait exercer sa compétence en equity pour modifier l’ordre de priorité habituel que lorsque cela est nécessaire pour empêcher une injustice flagrante. La Direction du Trésor devait s’acquitter d’une lourde charge de preuve avant que l’ordre de priorité habituel puisse être modifié.

Le privilège possessoire du constructeur de navires n’est pas différent de celui du réparateur de navires car, dans les deux cas, il s’agit d’un artisan qui fournit son travail et des matériaux pour fabriquer ou réparer un objet dont il conserve ensuite la possession jusqu’au règlement ou à l’extinction de sa créance. Il n’est pas nécessaire que l’artisan ait terminé son travail avant d’acquérir le droit de conserver la possession du bien. La Scott Steel avait le droit de conserver la possession du navire jusqu’à ce qu’elle soit payée pour les travaux qu’elle avait régulièrement faits. Ce droit de rétention donnerait lieu à un privilège pour les travaux régulièrement exécutés non seulement jusqu’à concurrence de la valeur impayée des travaux prévus au contrat de construction du navire, mais aussi jusqu’à concurrence de la valeur impayée des travaux qui devaient être exécutés par suite de l’évolution des projets et des ajouts autorisés. Le privilège possessoire a pris effet lorsque la Scott Steel a commencé la construction du navire.

Il n’est pas injuste de ne pas modifier l’ordre de priorité habituel. À l’exception peut-être des architectes, les personnes en cause ne semblent pas avoir été conscientes de ce qu’elles étaient en train de construire et de la transformation du navire, d’un simple bâtiment à faible puissance similaire à un chaland à un navire assez perfectionné et complexe. La Direction du Trésor n’avait pas la moindre idée de ce qui était construit et ne s’est pas intéressée à cette question. La Direction du Trésor déterminait en grande partie le montant des avances qu’elle consentait sur le fondement des documents qu’elle recevait de l’autre prêteur, le ministère de la Diversification de l’Économie de l’Ouest, qui se fiait à son tour sur la North Saskatchewan Riverboat Company (NSRB), qui lui transmettait de courtes confirmations qui lui étaient adressées par la Scott Steel et selon lesquelles le déroulement des travaux de construction du navire respectait l’échéancier et le budget et, en second lieu, sur les conseils donnés par Consultation et Vérification Canada. La preuve confirme que la Scott Steel a informé la propriétaire que les ajouts allaient coûter cher. Il n’appartenait pas à la Scott Steel, qui n’avait aucun rapport direct ou relation contractuelle avec la Direction du Trésor et qui n’était tenue à aucune obligation contractuelle ou fiduciaire envers la Direction du Trésor, d’attirer l’attention de la Direction du Trésor sur les modifications aux plans et sur les ajouts, sans demande ou question de la part de la Direction du Trésor.

La fin de non-recevoir est mal fondée. À titre de prêteur avisé, la Direction du Trésor aurait dû être au courant de la possibilité qu’il existe un privilège possessoire de constructeur impayé. La Direction du Trésor ne s’est pas raisonnablement renseignée et elle a ignoré des signes évidents qui démontraient que le navire allait coûter plus cher que prévu, et elle n’a de toute façon pas établi le montant du « budget ». Rien ne permet de croire que la Scott Steel savait que la Direction du Trésor se méprenait au sujet de l’ordre de priorité. Quant à l’argument que la Scott Steel a induit la Direction du Trésor en erreur en l’amenant à croire que les travaux respectaient le budget prévu, la Scott Steel a envoyé à la NSRB des copies de confirmation signée portant sur de nombreux ajouts et la Direction du Trésor et les personnes à qui elle s’en est remise pouvaient facilement constater l’addition d’autres ajouts, si elles s’étaient donné la peine d’étudier les nouveaux plans du navire. Il n’y a pas eu d’enrichissement sans cause, car la Scott Steel s’est effectivement fondée sur l’évaluation que la Direction du Trésor a elle-même faite du navire et elle a fourni un navire qui valait beaucoup plus que la somme qu’elle a reçue. Qui plus est, un droit d’action ne peut avoir comme base une fin de non-recevoir. En invoquant une fin de non-recevoir, la Direction du Trésor essayait de démontrer pourquoi la Scott Steel ne devait pas avoir droit au rang habituellement accordé au constructeur de navires qui est en possession du navire. Elle ne se servait donc pas simplement de la fin de non-recevoir comme d’un bouclier. Le principe de la fin de non-recevoir présume l’existence de rapports juridiques entre les parties au moment où l’affirmation est faite. En l’espèce, il n’y avait aucun rapport juridique de quelque nature que ce soit entre la Scott Steel et la Direction du Trésor. Cette dernière a obtenu une grande partie de ses renseignements indirectement de la Scott Steel par l’intermédiaire de l’autre prêteur. Il n’y avait pas de preuve à l’appui d’une allégation de fraude qui priverait la Scott Steel des droits que la loi lui reconnaît. Au sujet des éléments essentiels pour fonder une fin de non-recevoir : (1) Scott Steel n’a fait à la Direction du Trésor aucune affirmation dans le but d’inciter la Direction du Trésor à adopter une certaine ligne de conduite. La Scott Steel désirait être payée pour son travail, mais les paiements étaient en réalité contrôlés par la NSRB; (2) la Direction du Trésor s’est davantage fiée sur les affirmations de l’autre prêteur que sur celles de la Scott Steel; (3) les avances qui ont été consenties pour la construction au détriment de la Direction du Trésor ne l’ont pas été en conséquence d’une action ou d’une omission résultant d’une affirmation faite par la Scott Steel; il s’agissait plutôt d’une conséquence de l’omission de la Direction du Trésor de se renseigner suffisamment au sujet de la construction de l’Edmonton Queen et de surveiller le déroulement des travaux.

Le fournisseur d’approvisionnements nécessaires n’a aucun privilège maritime sur le navire, mais possède tout au plus un droit d’exercer une action in rem contre le navire, si celui-ci est encore entre les mains du même propriétaire. Comme la Damar est le réclamant, la Cour n’a pas à décider si les employés de la Damar entrent dans la catégorie des marins qui ont droit à un privilège maritime garantissant leur salaire. Sauf dans le cas des contrats à la grosse, les privilèges maritimes ne sont en règle générale pas transférables. Quant à la question de savoir si la Damar possède un privilège possessoire de droit, la Damar n’avait pas elle-même la possession de l’Edmonton Queen conjointement avec la Scott Steel. Rien ne permet non plus de penser que la Scott Steel avait été constituée mandataire de la Damar ou que les actes qu’elle aurait accomplis à ce titre ont de quelque façon que ce soit été ratifiés ou qu’elle a agi comme mandataire de toutes les personnes qui travaillaient sur le navire. Quant au privilège que la Damar revendique en vertu de la Possessory Liens Act et de la Garagemen’s Lien Act de l’Alberta, le législateur provincial n’a pas les pouvoirs constitutionnels nécessaires pour créer une sorte de privilège possessoire national, privilège qui n’est pas reconnu en droit maritime canadien, modifiant ainsi l’ordre de priorité établi en droit maritime canadien. La privilège reconnu en equity est créé à cause de la relation spéciale qui unit les parties, ou encore en raison d’une ligne de conduite ou d’une intention expresse de créer une charge reconnue en equity. Il n’existe aucune relation spéciale entre la Damar et les propriétaires d’alors de l’Edmonton Queen ou de ligne de conduite qui donneraient lieu à un privilège reconnu en equity. De toute façon, les droits reconnus en common law priment les droits reconnus en equity. Nier la préséance du privilège reconnu en equity de la Damar sur l’hypothèque légale de la Direction du Trésor et le privilège possessoire de la Scott Steel ne crée pas une injustice. Il n’y a pas lieu d’appliquer un partage fondé sur l’equity. Il n’y a ni injustice flagrante, ni résultat manifestement injuste. De nos jours, les réparateurs de navires et les fournisseurs d’approvisionnements nécessaires ont toujours eu à composer avec le fait que leurs créances occupent les derniers rangs dans l’ordre de priorité et qu’elles viennent même après celle du créancier hypothécaire et ce, malgré le fait que les réparateurs de navires et les fournisseurs d’approvisionnements nécessaires donnent au navire une plus-value qui profite au créancier hypothécaire.

On ne peut forcer la Direction du Trésor à procéder à une collocation et à recouvrer sa créance d’autres sources (les cautions) pour le cas où la Scott Steel perdrait son droit de préférence en appel. La Direction du Trésor possédait plusieurs garanties en plus de la garantie hypothécaire qu’elle détenait sur l’Edmonton Queen, lesquelles garanties appuyaient sa garantie hypothécaire, en l’occurrence le cautionnement versé par les débiteurs principaux de la NSRB et le cautionnement de la province d’Alberta. Il y a trois conditions à remplir pour que la doctrine de collocation puisse s’appliquer : (1) les créances ne doivent viser qu’un seul débiteur; (2) les deux fonds doivent être à la disposition du débiteur; (3) les deux fonds doivent exister lorsque la question de la collocation est soulevée. Le cautionnement du prêt de la Direction du Trésor qu’a consenti le gouvernement de l’Alberta était assorti de nombreuses conditions préalables. Il n’y a pas suffisamment de preuve pour démontrer si ces conditions ont été respectées et si le cautionnement a été mis à la disposition de l’intéressé. La Cour n’a pas la compétence pour modifier des obligations contractuelles. La troisième condition n’est pas remplie.

L’ordre de priorité des créanciers est le suivant : (1) le prévôt, pour les honoraires et les frais afférents à l’évaluation, à l’étude et à la vente du navire, et la Direction du Trésor, dans la mesure où elle a financé les honoraires et les frais en question; (2) la Scott Steel, pour les travaux régulièrement effectués relativement aux éléments qui ne figurent pas dans les plans du navire mais qui ont été ajoutés depuis et qui ont été autorisés verbalement ou par écrit; (3) la Direction du Trésor; (4) s’il reste des deniers, la Damar, Peter Hatfield et Wm. R. Brown, pari passu.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Garagemen’s Lien Act, R.S.A. 1980, ch. G-1.

Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 22(2), 43(2).

Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9, art. 46.

Possessory Liens Act, R.S.A. 1980, ch. P-13.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 1003(9), 1008(2).

Repairers Lien Act, R.S.B.C. 1979, ch. 363.

Sale of Goods Act, R.S.A. 1980, ch. S-2.

Sale of Goods Act, R.S.B.C. 1979, ch. 370.

JURISPRUDENCE :

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Metaxas v. Galaxias (Le), [1989] 1 C.F. 386 (1988), 19 F.T.R. 108 (1re inst.); The Lyrma (No. 2), [1978] 2 Lloyd’s Rep. 30 (Q.B. Adm. Ct.); Scott Steel Ltd. c. Alarissa (L’), [1995] F.C.J. no 1303 (1re inst.) (QL); Woods v. Russell (1822), 5 B. & Ald. 942; 106 E.R. 1436 (K.B.); Canadian Superior Oil Ltd. et al. v. Paddon-Hughes Development Co. Ltd. et al., [1970] R.C.S. 932; (1970), 12 D.L.R. (3d) 247; 74 W.W.R. 356; Earle’s Shipbuilding & Engineering Co. v. Akties. D/S Gefion and Fourth Shipbuilding & Engineering Co. (1922), 10 LL. L. Rep. 305; (C.A.); Finning Ltd. v. Federal Business Development Bank (1989), 56 D.L.R. (4th) 379; 34 B.C.L.R. (2d) 237 (C.S.); Ellerman Lines Ltd. v. Lancaster Maritime Co. Ltd. (The Lancaster), [1980] 2 Lloyd’s Rep. 497 (Q.B.); Manks v. Whiteley, [1911] 2 Ch. 448.

DISTINCTION FAITE AVEC :

Somes and Others v. British Empire Shipping Co., [1843-60] All E.R. Rep. 844 (H.L.); Mucklow v. Mangles (1808), 1 Taunt. 318; 127 E.R. 856 (C.P.D.); Atkinson v. Bell (1828), 8 B. & C. 277; 108 E.R. 1046 (K.B.); Coastal Equipment Agencies Ltd. v. The Comer, [1970] R.C.É. 12; First Investors Corporation Ltd. v. Veeradon Developments, Wiber and Butler Engineering Ltd. (1988), 84 A.R. 364; 47 D.L.R. (4th) 446; [1988] 3 W.W.R. 254; 57 Alta. L.R. (2d) 104; 47 R.P.R. 293 (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Osborn Refrigeration Sales and Service Inc. c. L’Atlantean I, [1979] 2 C.F. 661 (1979), 100 D.L.R. (3d) 11 (1re inst.); inf. par (1982), 7 D.L.R. (4th) 395; 52 N.R. 10 (C.A.F.); The Monica S., [1967] 2 Lloyd’s Rep 113 (Adm. Div.); Benson Bros. Shipbuilding Co. (1960) Ltd. c. Le Miss Donna, [1978] 1 C.F. 379(1re inst.); Bernard v. HyneThe Saracen, [1847] 6 Moo. 56; (1847), 13 E.R. 604 (P.C.); In re TheDon Francisco” (1861) Lush. 468; 167 E.R. 210 (H.C. Adm.); Montreal Dry Docks Co. v. Halifax Shipyards (1920), 60 R.C.S. 359; 54 D.L.R. 185; [1920] 3 W.W.R. 25; The Pickaninny; Hammond & Co., [1960] 1 Lloyd’s Rep. 533 (Adm. Div.); Casden v. Cooper Enterprises Ltd. et al. (1993), 151 N.R. 199 (C.A.F.); Ex parte Willoughby. In re Westlake (1881), 16 Ch. D. 604; Carruthers v. Payne (1828), 5 Bing. 270; 130 E.R. 1065 (C.P.D.); Elliott v. Pybus (1834), 10 Bing. 512; 131 E.R. 993 (C.P.D.); The Tergeste (1902), 9 Asp. Mar. Law Cas. 356; In re The Zodiac (1825), 1 Hagg 320; 166 E.R. 114; The Ship Neptune, [1835] 3 Kn. 94; (1835), 13 E.R. 584 (P.C.); Alberta (Treasury Branches) v. Don-Gar Construction (1990) Ltd. (1992), 128 A.R. 186; 1 Alta. L.R. (3d) 120 (B.R.); Banque fédérale de développement c. « Winder 4135 » (Le), [1986] 2 C.F. 154 (1984), 111 D.L.R. (4th) 308 (T.D.); Ex parte Salting. In re Stratton (1883), 25 Ch. 148 (C.A.); In re The « Priscilla » (1859) Lush 1; 167 E.R. 1 (Adm. Div.); In re International Life Assurance Society (1876), 2 Ch. 476 (C.A.).

DÉCISIONS CITÉES :

Comeau’s Sea Foods Ltd. c. Le Frank and Troy, [1971] C.F. 556 (1re inst.); Todd Shipyards Corp. c. Altema Compania Maritima S.A., [1974] R.C.S. 1248; (1972), 32 D.L.R. (3d) 571; [1974] 1 Lloyd’s Rep. 174; Llido c. Le Lowell Thomas Explorer, [1980] 1 C.F. 339(1re inst.); The Katingaki, [1976] 2 Lloyd’s Rep. 372 (Q.B. Adm. Ct.); Ex Parte Lambton. In re Lindsay (1875), L.R. 10 Ch. App. 405; Dover Financial Corp. et al. v. Basin View Village Ltd. et al. (1995), 140 N.S.R. (2d) 1; 399 A.P.R. 1 (S.C.); The Petone, [1917] P. 198; The Leoborg (No. 2), [1964] 1 Lloyd’s Rep. 380 (Adm. Div.); Bonham et al. v. The Ship Sarnor (1918), 21 R.C.É. 183; McCullough v. SS. Marshall, Eliasoph et al., [1923] R.C.É. 110; conf. par [1924] R.C.É. 53; Ross, William et al. v. The Ship Aragon, [1943] R.C.É. 41; [1943] 3 D.L.R. 178; [1943] O.W.N. 111; Brown v. Canadian Imperial Bank of Commerce et al. (1985), 50 O.R. (2d) 420; 37 R.P.R. 128 (H.C.).

DOCTRINE

Black, Henry Campbell. Black’s Law Dictionary : Definitions of the Terms and Phrases of American and English Jurisprudence, Ancient and Modern, 6th ed., St. Paul, Minn. : West Publishing Co., 1990 « Constructive possession ».

Clarke, Malcolm A. Shipbuilding Contracts. London : Lloyd’s of London Press, 1982.

Curtis, Simon. The Law of Shipbuilding Contracts, Lloyd’s of London Press, 1991.

Falconbridge on Mortgages, 4th ed. by W. B. Rayner and R. H. McLaren, Agincourt, Ont. : Canada Law Book Ltd., 1977.

Fridman, Gerald Henry Louis. Sale of Goods in Canada, 3rd ed., Toronto : Carswell, 1986.

Goldrein, Iain S. Ship Sale and Purchase : Law and Technique, Lloyd’s of London Press, 1985.

Halsbury’s Laws of England, vol. 16, 4th ed. (Reissue), London : Butterworths, 1979.

Jackson, David C. Enforcement of Maritime Claims. London : Lloyd’s of London Press Ltd., 1985.

Ontario Law Reform Commission. Report on Sale of Goods, Vol. II, Toronto : Ministry of the Attorney General, 1979.

Tetley, William. Maritime Liens and Claims, London : Business Law Communications Ltd., 1985.

Thomas, D. R. Maritime Liens. London : Stevens & Sons, 1980.

REQUÊTE visant à faire déterminer l’ordre de collocation du produit de la vente judiciaire de l’Edmonton Queen. L’ordre de priorité habituel est appliqué.

AVOCATS :

David McEwen et Frank H. Monaghan pour la demanderesse.

P. Daryl Wilson et Darren R. Bieganek pour l’intervenante Province of Alberta Treasury Branches.

Mark E. Feehan et Matthew Feehan pour l’intervenante J.C. Damar Developments Ltd.

PROCUREURS :

Cook Duke Cox, Edmonton, pour la demanderesse.

Cruikshank Karvellas, Edmonton, pour l’intervenante Province of Alberta Treasury Branches.

Feehan and Feehan, Edmonton, pour l’intervenante J.C. Damar Developments Ltd.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le protonotaire Hargrave : Les présents motifs font suite à une requête qui a été entendue à Edmonton les 11 et 12 janvier 1996 et qui visait à déterminer l’ordre de collocation du produit de la vente judiciaire de l’Edmonton Queen, un bateau à roue arrière de 150 pieds.

GENÈSE DE L’INSTANCE

Dans la requête initiale qu’elle a déposée le 14 février 1995, l’intervenante, Alberta Treasury Branches (la Direction du Trésor) concluait notamment au prononcé d’une ordonnance déclarant que la créance hypothécaire qu’elle détenait sur l’Edmonton Queen devait être colloquée au premier rang lors du partage du produit de la vente. Au soutien de sa requête, la Direction du Trésor a déposé en même temps des affidavits.

Le volet de la requête relatif à l’ordre de priorité des créances n’a été abordé que le 13 octobre 1995, date à laquelle le juge en chef adjoint a fixé l’audition de cette requête au 8 décembre 1995 et a précisé les questions qui devaient alors être examinées. La requête dont je suis présentement saisi vise à déterminer l’ordre de priorité entre la demanderesse, la Scott Steel Ltd. (Scott Steel), qui affirme avoir un droit de préférence fondé sur un privilège possessoire, la Direction du Trésor, qui détient diverses sûretés—pour la présente requête, seul le privilège du constructeur qui s’est transformé en hypothèque maritime enregistrée nous intéresse—et la J.C. Damar Developments Ltd. (Damar), qui a fourni les biens et les services qui ont contribué à la finition de l’intérieur de l’Edmonton Queen . Ces divers créanciers fondent respectivement leur réclamation sur un privilège possessoire de droit, un privilège maritime, un privilège de garagiste et un privilège en equity, et ils évoquent également la possibilité d’un partage en equity du produit de la vente entre les parties.

Il y a également les créances de la Peter S. Hatfield Ltd. (Hatfield) et de la Wm. R. Brown & Associates Ltd. (Wm. R. Brown), les firmes d’architectes navals qui ont été engagées par les anciens propriétaires pour le compte desquels le navire a été construit. Ces créances ont été mentionnées brièvement par l’un des avocats qui comparaît maintenant pour la Scott Steel.

La méthode que je me propose d’adopter consistera à traiter d’abord de l’ordre de priorité en général, à colloquer ensuite les créances des quatre créanciers selon l’ordre de priorité habituel, à déterminer si l’ordre de priorité habituel devrait être modifié en raison de l’existence de circonstances exceptionnelles et, finalement, à vérifier si la doctrine de collocation reconnue en equity devrait s’appliquer de façon à obliger la Direction du Trésor à réaliser d’abord ses autres sûretés avant de prétendre à une partie du produit de la vente du navire. Cependant, avant de commencer, il y a une chose que je tiens à préciser : la détermination du rang des créanciers n’emporte pas, en l’espèce, approbation du montant des créances elles-mêmes. Les créanciers devront faire la preuve de leurs créances un autre jour. La présente requête vise plutôt à établir l’ordre de priorité qui servira à déterminer plus tard le partage du produit de la vente du navire.

L’ORDRE DE PRIORITÉ CONVENTIONNEL

L’ordre de priorité des créances maritimes au Canada suit en règle générale celui qui existe au Royaume-Uni, mais, comme il existe certaines différences mineures, il est préférable de suivre la jurisprudence canadienne à moins de connaître les différences en question. Les décisions de principe sont les suivantes : Comeau’s Sea Foods Ltd. c. Le Frank and Troy, [1971] C.F. 556 (1re inst.); Todd Shipyards Corp. c. Altema Compania Maritima S.A., [1974] R.C.S. 1248; Osborn Refrigeration Sales and Services Inc. c. L’Atlantean I, [1979] 2 C.F. 661(1re inst.); et Llido c. Le Lowell Thomas Explorer, [1980] 1 C.F. 339(1re inst.). J’ajouterais à cette liste le jugement The Monica S., [1967] 2 Lloyd’s Rep. 113 (Adm. Div.), une décision du juge Brandon, dans laquelle ce dernier examine à fond la situation du fournisseur d’approvisionnements nécessaires. Une grande partie de son analyse s’applique également à toute personne qui est titulaire d’un droit légal in rem en vertu des paragraphes 22(2) et 43(2) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7], ce qui s’appliquerait notamment, dans le cadre de la présente instance, à « une demande fondée sur un contrat de construction, de réparation ou d’équipement d’un navire » (alinéa 22(2)n) de la Loi sur la Cour fédérale).

Je passe maintenant à l’ordre de priorité applicable au Canada. Étant donné que la Damar fait également valoir plusieurs autres créances, j’ai inclus celles-ci dans l’ordre de priorité applicable, qui est en règle générale le suivant :

1. Les débours du prévôt maritime;

2. Les frais de la vente, y compris les frais engagés par le demandeur dans le cadre d’une action en saisie, évaluation et vente d’un navire; en l’espèce, des parties de la créance de l’intervenante, la Direction du Trésor, pourraient tomber dans cette catégorie;

3. Les privilèges possessoires dont l’existence remonte à une date antérieure aux autres privilèges;

4. Les privilèges maritimes, y compris le privilège traditionnellement reconnu aux marins au titre de leur salaire;

5. Les privilèges possessoires postérieurs aux privilèges maritimes;

6. La créance du créancier hypothécaire, laquelle, au Canada, comprend la créance du prêteur qui détient une hypothèque de constructeur enregistrée dans le registre de la navigation;

7. Les droits légaux in rem, y compris les droits visant les approvisionnements nécessaires (de marchandises, de matériel et de services) et les créances découlant d’un contrat se rapportant à la construction, à la réparation ou à l’équipement d’un navire, qui sont colloqués pari passu entre eux et avec les créances des créanciers chirographaires non maritimes, dont le statut ne change pas, de manière à permettre au créancier de devenir un créancier garanti une fois qu’une action en justice est intentée.

ORDRE DE PRIORITÉ HABITUEL DES CRÉANCIERS

Pour déterminer l’ordre de priorité habituel des présents créanciers, j’ai présumé que le prévôt maritime n’avait aucune créance non réglée, mais que ses frais et ses débours avaient été payés, à l’occasion, par la Direction du Trésor. Voici, sous réserve des circonstances spéciales applicables, l’ordre habituel de priorité, sur lequel je reviendrai plus loin :

1. La demande de remboursement de la Direction du Trésor en ce qui concerne les coûts et frais d’agence du prévôt maritime, demande qui a également été abordée dans l’ordonnance du 31 août 1994;

2. La demande de remboursement de la Direction du Trésor en ce qui concerne les frais d’évaluation et d’étude du navire, jusqu’à concurrence de la somme de 20 000 $, ainsi qu’il est prévu dans l’ordonnance du 31 août 1994, de même que tous les autres frais et débours taxables dont la Direction du Trésor peut démontrer qu’il ont servi à constituer le gage commun des créanciers grâce au produit de la vente de l’Edmonton Queen;

3. Le privilège possessoire revendiqué par la Scott Steel;

4. La demande formulée par la Direction du Trésor en tant que titulaire d’une hypothèque de constructeur enregistrée, laquelle hypothèque s’est depuis transformée en hypothèque maritime enregistrée ainsi que le prévoit l’article 46 de la Loi sur la marine marchande du Canada [L.R.C. (1985), ch. S-9];

5. Les droits légaux in rem dont la Damar, Wm. R. Brown et Hatfield sont titulaires à titre de fournisseurs de marchandises, de matériel ou de services ou à titre de détenteur de créances découlant de contrats se rapportant à la construction et à l’équipement de l’Edmonton Queen au sens des alinéas 22(2)m) et n) de la Loi sur la Cour fédérale.

J’ai employé l’expression « ordre de priorité habituel » parce que, à mon avis, il n’existe pas de principes immuables en matière de collocation, mais plutôt un ordre de priorité habituel qui reflète la prise en compte au fil des ans des préoccupations d’équité, des principes d’ordre public et des réalités commerciales applicables.

Je tiens à insister ici sur le choix des termes servant à qualifier les créances. Le terme « privilège » est employé dans le contexte des privilèges possessoires et des privilèges maritimes et ne doit pas être confondu avec la créance que possède, au Canada, le créancier hypothécaire. Finalement, ainsi que le juge Addy l’a souligné dans le jugement Benson Bros. Shipbuilding Co. (1960) Ltd. c. Le Miss Donna, [1978] 1 C.F. 379(1re inst.), à la page 384, on ne devrait pas employer l’expression « privilège légal » dans le cas des personnes qui font valoir un simple droit in rem. L’expression juste est « droit légal in rem » lorsqu’on veut désigner les créances des fournisseurs d’approvisionnements nécessaires et les créances des autres créanciers qui ne possèdent pas au sens strict un privilège, mais à qui le paragraphe 43(2) de la Loi sur la Cour fédérale reconnaît un droit in rem qui leur permet d’obtenir le paiement de leur créance.

CIRCONSTANCES EXCEPTIONNELLES MODIFIANT L’ORDRE DE PRIORITÉ

L’ordre de priorité des créances maritimes a été déterminé en fonction de considérations d’équité, d’ordre public et de commodité commerciale dans le but d’atteindre un résultat juste eu égard aux circonstances de chaque cas. Cette façon de procéder est bien résumée dans l’extrait suivant de l’ouvrage de Thomas, D. R., dans Maritime Liens, publié chez Stevens & Sons, 1980, à la page 234 :

[traduction] Jusqu’à maintenant, le législateur n’a pas essayé d’établir un ordre de priorité précis. Il s’est contenté de reconnaître par voie législative une priorité au privilège maritime que détient la personne qui sauve des vies. Les tribunaux ne se sont pas non plus attaqué à cette question. Au contraire, les cours d’amirauté et les cours d’appels ont retenu une conception discrétionnaire large selon laquelle les créances concurrentes sont colloquées en fonction de considérations se rapportant à l’équité, à l’ordre public et aux commodités commerciales avec l’objectif ultime d’en arriver au résultat le plus juste possible eu égard aux circonstances de chaque cas. Je ne veux cependant pas laisser entendre que le droit est capricieux, instable ou imprévisible. À partir du cadre relatif à la « valeur » dans lequel ils fonctionnent, les tribunaux en sont venus à dégager divers principes qui donnent des repères fiables en ce qui concerne l’attitude probable des tribunaux.

Toute modification apportée à l’ordre habituel de priorité des privilèges maritimes doit être effectuée par application de principes d’équité.

L’ordre de priorité des créances a été modifié au fil des ans. Toutefois, quelle que soit l’époque considérée, les tribunaux se sont toujours montrés très réticents à modifier le rang qu’occupe un créancier déterminé dans la hiérarchie établie. Compte tenu de cette réserve, il est utile d’examiner certaines des décisions anglaises et canadiennes les plus anciennes. On ne doit pas oublier qu’à l’époque des deux décisions anglaises que j’ai mentionnées, la Cour d’amirauté d’Angleterre avait perdu une grande partie de sa compétence en equity et qu’elle n’a recouvré cette compétence que récemment. De même, notre tribunal canadien d’amirauté, la Cour de l’Échiquier, n’a obtenu une pleine compétence en equity qu’au moment où elle a été remplacée par la Cour fédérale lors de l’entrée en vigueur de la Loi sur la Cour fédérale en 1970 [S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10]. Il s’ensuit que, dans les affaires les plus anciennes, les tribunaux étaient forcés d’appliquer l’ordre de priorité habituel. Il est toutefois curieux de constater que, plus tard, lorsque notre Cour et la Cour d’amirauté anglaise ont récupéré leur pleine compétence en equity, peu de juges se sont aventurés à modifier l’ordre de priorité habituel prévu.

Le Conseil privé a examiné dès 1847 la compétence en droit maritime de la Cour d’amirauté d’Angleterre dans l’affaire Bernard v. HyneThe Saracen, [1847] 6 Moo. 56; (1847), 13 E.R. 604. Dans cet arrêt, le Conseil privé s’est dit d’avis qu’il fallait tenir compte de considérations d’équité, mais que, comme elle ne possédait pas une compétence en equity complète, la Cour d’amirauté ne pouvait pas ordonner un partage en equity du produit de la vente qui aurait eu pour effet de supprimer la priorité d’un créancier antérieur (aux pages 75 et 76/611 et 612).

Le juge Lushington a formulé des observations au sujet de la compétence en equity de la Cour d’amirauté dans le contexte d’une demande de paiement de salaires de marins et de compensation en equity dans l’affaire In re TheDon Francisco” (1861), Lush. 468; 167 E.R. 210 (H.C. Adm.), aux pages 471/212 et suivantes. Il a rejeté la demande au motif que même si la Cour d’amirauté était un tribunal de droit et d’equity, la mesure dans laquelle elle était un tribunal d’equity n’avait pas été définie avec précision, malgré certaines décisions antérieures, dont l’arrêt The Saracen, précité. Il a mis en contraste la situation qui existait à cette époque dans les tribunaux anglais avec la compétence en equity plus étendue que possédaient les tribunaux d’amirauté des États-Unis, qui avaient obtenu leur compétence avant que la compétence en equity des tribunaux d’amirauté d’Angleterre ne soit restreinte par suite de diverses décisions rendues par des tribunaux de common law.

Le juge Anglin, qui a rédigé la décision des juges majoritaires dans l’arrêt Montreal Dry Docks Co. v. Halifax Shipyards (1920), 60 R.C.S. 359, a relevé le fait que la Cour de l’Échiquier ne possédait pas une pleine compétence en equity, mais il a poursuivi en soulignant que, comme la Cour d’amirauté était compétente à l’égard de diverses créances dirigées contre la chose, elle pouvait s’assurer qu’aucune injustice ne soit commise dans ce cadre. La Cour n’allait pas laisser d’autres créanciers s’enrichir injustement alors que le réparateur du navire, qui avait la possession du navire, avait effectué des travaux sur le navire après la saisie à la suite de laquelle le navire avait été vendu dans le cadre d’une action intentée par d’autres créanciers.

J’ai mentionné ces anciennes décisions pour montrer que, historiquement, les tribunaux d’amirauté, tant ici qu’en Angleterre, étaient limités dans leur pouvoir de modifier l’ordre de priorité établi à cause de leur manque de compétence. Mais cette situation a changé tant en Angleterre qu’au Canada, par suite, dans notre cas, de l’adoption en 1970 de la Loi sur la Cour fédérale, qui a constitué la Cour fédérale en tant que tribunal d’equity.

Dans le contexte anglais contemporain, le juge Hewson s’est demandé, dans l’affaire The Pickaninny; Hammond & Co., [1960] 1 Lloyd’s Rep. 533 (Adm. Div.), à la page 537, s’il devait accorder aux fournisseurs d’approvisionnement nécessaires un droit de priorité sur les créanciers hypothécaires. Il s’est dit d’avis que le tribunal devait hésiter à s’écarter de l’ordre de priorité habituel et qu’il ne devait le faire que dans les cas où on lui présentait des éléments de preuve solides et fiables :

[traduction] Il me semble qu’il faudrait qu’on lui présente des éléments de preuve solides et fiables avant qu’un tribunal puisse modifier l’ordre de priorité habituel qui a été établi sur un grand nombre d’années par la Cour d’amirauté. On m’a cité plusieurs décisions, à savoir The Scio, (1867) L.R. 1 A. & E. 353, ainsi qu’un extrait du jugement The Zigurds, [1932] P. 113; (1932) 43 L1.L. Rep. 387, et la décision Bristow v. Whitmore, (1861) 9 H.L.C. 391. Il ressort de ces décisions—dans la mesure où elles me sont utiles pour trancher la requête dont je suis saisi—que le tribunal doit hésiter à s’écarter de l’ordre de priorité habituel.

Je passe maintenant à l’examen de deux décisions canadiennes qui traitent de l’adoucissement selon l’equity des règles régissant l’ordre de priorité.

Le juge Walsh a formulé des observations au sujet des règles fondamentales régissant l’ordre de priorité dans le jugement Osborn Refrigeration Sales and Service Inc. c. L’Atlantean I, [1979] 2 C.F. 661(1re inst.), à la page 686 et suivantes, où, après avoir examiné les règles applicables, il affirme que l’ordre de priorité ne repose pas sur une application rigide de principes, mais plutôt sur le principe voulant que, dans des cas d’espèce, il faille tenir compte de considérations d’équité. Il a conclu qu’en ce qui concernait le produit de la vente de l’Atlantean I, l’ordre de priorité devait être adouci par l’equity. Mais les modifications qui ont été apportées à l’ordre de priorité habituel dans le jugement L’Atlantean I étaient très mineures et se rapportaient en règle générale aux frais de conservation du navire, qui avaient été engagés après la vente pour remettre le navire en bon état à l’acquéreur. Voilà une conclusion qui semble raisonnable. Toutefois, lorsque la Cour d’appel a examiné le jugement L’Atlantean I à (1982), 7 D.L.R. (4th) 395, le juge Pratte a souligné que les frais—qui étaient de la nature d’approvisionnements nécessaires—qui avaient été engagés après la date à laquelle la Cour avait ordonné la vente, mais avant que la navire ne soit livré à l’acquéreur, ne bénéficiaient pas d’un meilleur rang dans l’ordre de priorité.

Selon moi, il ressort de l’issue de l’affaire L’Atlantean I qu’on ne devrait s’écarter de l’ordre de priorité que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles ou, pour reprendre les paroles du juge Rouleau dans le jugement Metaxas c. Le Galaxias, [1989] 1 C.F. 386(1re inst.), à la page 423 : « Sauf erreur, les pouvoirs dont je dispose en equity pour modifier l’ordre de priorité établi depuis longtemps en droit maritime canadien ne devraient être exercés que lorsque cela est nécessaire pour empêcher une injustice flagrante. »

En ce qui concerne l’affaire Le Galaxias, la question qui nous intéresse est la créance de Naftikon Apomachicon Tameion (NAT), un syndicat de marins grecs créé par la loi et semblable à une société d’État canadienne. Le navire était immatriculé en Grèce. Malgré le fait que le tribunal avait ordonné la vente en justice du navire, le gouvernement grec avait bien précisé qu’à moins que NAT ne soit remboursé intégralement avec le produit de la vente du navire, le gouvernement grec ne fermerait pas le registre grec, empêchant ainsi le transfert du navire à ses nouveaux propriétaires. NAT essayait en fait d’obtenir que la Cour se prononce sur le fond de sa demande. Cependant, avec l’appui des autorités grecques, NAT se trouvait dans une situation où il pouvait exercer des pressions qui « équiva[laient] à [du] chantage » dans l’éventualité où la Cour ne reconnaîtrait pas ses réclamations (à la page 426).

C’est dans ce contexte que le juge Rouleau a formulé ce que j’estime être le principe actuellement applicable au Canada, à savoir que la compétence en equity qui permet à la Cour fédérale de modifier l’ordre de priorité établi depuis longtemps en droit maritime canadien ne devrait être exercée que lorsque cela est nécessaire pour empêcher une injustice flagrante. Malgré la conduite de NAT, le juge Rouleau a fait droit à sa réclamation, sous réserve de certains remboursements mineurs aux acquéreurs, au shérif et sous réserve de la délivrance, de la part des autorités chargées de tenir le registre grec de la navigation, d’un certificat de radiation du navire du registre, pour permettre le transfert du navire aux nouveaux propriétaires. Toutefois, malgré la conduite répréhensible de NAT, l’ordre des priorités apparent n’a pas été modifié.

À peu près au même moment où le juge Rouleau rendait le jugement Le Galaxias, précité, le juge Brandon, de la Division du Banc de la Reine de la Cour d’amirauté, prononçait son jugement dans l’affaire The Lyrma (No. 2), [1978] 2 Lloyd’s Rep. 30. Il s’agissait d’un différend opposant des sauveteurs et des membres d’équipage qui réclamaient notamment le salaire qu’ils avaient gagné tant avant qu’après le sauvetage. Pour diverses raisons—notamment de graves difficultés financières —, les marins prétendaient que leur créance devait prendre rang devant celle des sauveteurs. Le juge Brandon a examiné le rang qu’occupait la créance du sauveteur, en se fondant sur le principe d’equity suivant lequel les sauveteurs devaient être payés en premier en raison du fait que leurs services avaient permis de conserver le navire et ce, même s’il existait d’autres privilèges qui avaient, d’une part, grevé le navire à une date antérieure ou qui, d’autre part, avaient grevé le navire à une date ultérieure et dont on pouvait prétendre qu’ils prenaient rang dans l’ordre inverse des dates auxquelles ils avaient grevé le navire. Pour confirmer la priorité de la créance des sauveteurs, le juge a déclaré [à la page 33] :

[traduction] Le fondement en equity du principe me semble solide. Même si j’étais d’un autre avis, le principe est établi depuis tellement longtemps que je ne crois pas que je serais justifié de m’en écarter, à moins peut-être qu’on puisse démontrer que, vu les faits particuliers d’une affaire déterminée, l’application de ce principe produirait un résultat manifestement injuste.

L’opinion du juge Rouleau et celle du juge Brandon ne sont pas particulièrement différentes. Dans l’affaire Le Galaxias, le juge Rouleau s’est dit d’avis que la Cour ne devait recourir à sa compétence en equity pour modifier l’ordre de priorité établi depuis longtemps en droit maritime canadien que lorsque cela est nécessaire pour empêcher une injustice flagrante, tandis que, dans la décision The Lyrma (No. 2), le juge Brandon a statué qu’on ne devait pas s’écarter des principes régissant l’ordre de priorité établi [traduction] « à moins peut-être qu’on puisse démontrer que, vu les faits particuliers d’une affaire déterminée, l’application de ce principe produirait un résultat manifestement injuste ». Il ressort cependant de ces deux formulations du critère—en particulier celle qui découle des faits de l’affaire Le Galaxias—que la Direction du Trésor doit s’acquitter d’une lourde charge de preuve avant que l’ordre de priorité qui est établi depuis longtemps puisse être modifié.

EXAMEN DU RANG DE LA CRÉANCE DE LA SCOTT STEEL

Il y a deux questions à examiner pour déterminer le rang que doit occuper la créance de la Scott Steel. En premier lieu, la Direction du Trésor soutient que la Scott Steel n’a pas de privilège possessoire. En second lieu, elle affirme que, même si elle possède un privilège possessoire, la Scott Steel a, en raison de ses agissements, perdu son droit de préférence sur la créance que possède la Direction du Trésor à titre de créancière hypothécaire, car statuer autrement conduirait à un résultat injuste. Le fait que la Scott Steel n’ait pas produit d’affidavit exposant sa réclamation conformément au paragraphe 1008(2) des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663], ainsi que le juge en chef adjoint l’a souligné dans son ordonnance du 3 octobre 1995 [[1995] F.C.J. no 1303 (1re inst.) (QL)], n’est pas en litige. En outre, il y a de nombreux cas dans lesquels un créancier ayant des prétentions sur le produit de la vente d’un navire a été ajouté à titre de réclamant à une date ultérieure.

Revendication de privilège possessoire de la Scott Steel

La thèse de la Direction du Trésor—qui, selon l’avocat, nie l’existence du privilège possessoire de la Scott Steel—est que la Scott Steel a convenu de fournir, de lancer et de livrer à un prix déterminé un navire dont les essais en mer étaient terminés, et que cette entente constitue simplement, en tant que telle, un contrat de vente d’objet (Casden c. Cooper Enterprises Ltd. et al. (1993), 151 N.R. 199 (C.A.F.)). Dans cette affaire, des ajouts ont été faits à un navire, qui devait initialement être livré en contrepartie du paiement d’un prix déterminé. Le juge Linden, de la Cour d’appel fédérale, a statué—comme on pouvait s’y attendre—qu’il s’agissait d’une vente d’objet. D’ailleurs, en matière de construction de navires, bon nombre des dispositions de la Sale of Goods Act [R.S.B.C. 1979, ch. 370] s’appliquent habituellement. Le juge Linden a poursuivi en analysant des concepts relatifs à la vente d’objets, notamment la vente par désignation et l’adaptation à la destination, mais n’a pas abordé de questions se rapportant directement aux privilèges. Mais toutes ces considérations n’aident pas directement la Direction du Trésor car, même sous le régime de la Sale of Goods Act, le vendeur impayé possède un privilège possessoire. D’ailleurs, la Sale of Goods Act est une codification et tout privilège de constructeur ou de réparateur reconnu en common law survit toujours, dans la mesure où il n’est pas incompatible avec les dispositions de la Loi. La Direction du Trésor peut affirmer qu’il n’existe pas de privilège possessoire en ce qui concerne le prix d’un objet générique que le fournisseur peut prendre sur ses étagères et fournir à quiconque. J’analyserai cet argument sous peu en examinant l’arrêt Woods v. Russell (1822), 5 B. & Ald. 942; 106 E.R. 1436 (K.B.).

La Direction du Trésor affirme que le vendeur ne peut faire valoir son privilège que pour le prix des marchandises retenues, mais pas en ce qui concerne les autres frais se rapportant à des ajouts, et elle cite à cet effet une décision rendue en 1860, l’arrêt Somes and Others v. British Empire Shipping Co., [1843-60] All. E.R. Rep. 844 [ci-après appelé British Empire], un arrêt de la Chambre des lords. Cet arrêt appuie la proposition que le réparateur de navires qui revendique un privilège possessoire ne peut pas—sauf s’il existe un disposition contractuelle précise contraire—inclure les frais d’entreposage dans sa réclamation. Les constructeurs et les réparateurs de navires, qui n’ont pas de recours sommaire et qui ne peuvent pas faire vendre un navire en vertu d’un privilège possessoire mais qui doivent conserver et surveiller le navire jusqu’à ce qu’il soit vendu par un autre moyen ou par une autre personne, ont toujours été très chatouilleux sur ce point. Cet arrêt énonce toujours l’état du droit. Dans la mesure où une partie quelconque de la créance de la Scott Steel concerne l’entreposage du navire, elle ne serait pas garantie par un privilège. L’arrêt British Empire n’appuie cependant pas la proposition que les ajouts légitimes non prévus au contrat, comme le temps, l’équipement et les matériaux, ne peuvent pas faire l’objet d’un privilège possessoire (voir également le jugement The Katingaki, [1976] 2 Lloyd’s Rep. 372 (Q.B. Adm. Ct.), une décision du juge Brandon).

La Direction du Trésor poursuit en affirmant que les privilèges possessoires reconnus en common law naissent lorsqu’un propriétaire confie un navire aux soins d’un réparateur. Cette proposition est vraie, mais la common law reconnaît par ailleurs un privilège au constructeur de navire qui a la possession de ce dernier, pour la partie impayée du prix. Voir, par exemple, les décisions Woods v. Russell, précitée, que j’examinerai plus en détail plus loin, et Ex parte Lambton. In re Lindsay (1875), L.R. 10 Ch. App. 405 et Ex parte Willoughby. In re Westlake (1881), 16 Ch. D. 604. Cette dernière décision portait sur une nouvelle construction et sur le privilège possessoire des ingénieurs sur les machines à vapeur fournies pour le navire. Là encore, ces décisions énoncent toujours l’état du droit. Le fait qu’il n’y ait pas, à ma connaissance, de décisions publiées récentes concernant le privilège possessoire du constructeur de navires permet probablement de penser que le droit du constructeur de navires en la possession de qui se trouve le navire de revendiquer un privilège est tellement bien établi qu’il n’a pas été débattu devant les tribunaux au cours des dernières années. D’ailleurs, les ouvrages de doctrine traitant de privilèges déterminés dans le contexte du droit maritime n’abordent en règle générale que brièvement la question du privilège du constructeur de navires[1].

La Direction du Trésor affirme que, dans le cas de l’Edmonton Queen, nous sommes en présence d’une nouvelle construction, qui est payée au moyen de versements échelonnés, et dont le solde final n’est devenu exigible qu’après que le navire eut été livré après les essais en mer. Elle soutient donc que la Scott Steel aurait été obligée de renoncer à la possession du navire pour les essais en mer et que les propriétaires auraient eu à fournir l’équipage pour les essais en mer, avant que le versement final ne devienne exigible. Ce raisonnement a conduit à la conclusion d’une entente par laquelle il y a eu renonciation à la possession du navire, ce qui a aussi eu pour effet de détruire le privilège. Cette dernière idée est, en règle générale mais pas exclusivement, un concept qui a cours aux États-Unis, où l’on doit par ailleurs se souvenir que la construction navale n’est pas considérée comme une question maritime. Cela ne veut pas dire qu’on ne puisse pas renoncer au privilège, par exemple dans le cas du vendeur impayé qui se trouve en possession du bien vendu. La question est une question de fait. Il n’y a cependant en l’espèce aucun fait qui appuie une telle renonciation.

Je rejette le concept de la destruction du privilège possessoire, destruction qui, dans le cas qui nous occupe, pourrait être déduite de façon implicite du contrat. De toute façon, la coutume qui est universellement suivie, en matière d’essais en mer—et j’estime que si la Scott Steel ne la connaissait pas expressément, il va sans dire qu’elle l’aurait fait—consiste à faire venir à bord du navire un représentant du constructeur qui conserve la possession, malgré le fait que l’équipage est presque toujours, comme le veut la coutume, fourni par le propriétaire du navire. De cette manière, il n’est pas question de renoncer à la possession au détriment du constructeur du navire et au profit du propriétaire et de ses prêteurs tant que le versement final n’est pas fait. Dans ce contexte, toute retenue de garantie effectuée après la livraison du navire par son constructeur peut être mise en fiducie.

Pour répondre de façon générale aux moyens que la Direction du Trésor fait valoir pour affirmer que la Scott Steel ne possède pas de privilège possessoire à titre de constructeur, je citerais l’affaire Woods v. Russell, précitée, dans laquelle une nouvelle construction devait être payée par versements échelonnés, payables à diverses étapes de la construction, jusqu’à concurrence d’un total de 3 000 £. Le constructeur du navire, qui avait la possession de celui-ci, avait cédé ses droits aux demandeurs. Le juge en chef Abbott a souligné que, même s’ils n’avaient pas le droit de récupérer la valeur générale du navire, les demandeurs avaient, par l’intermédiaire du constructeur et malgré le fait que la propriété générale avait été transmise au propriétaire du navire, un privilège sur le navire pour le solde du prix, et que ce privilège demeurerait tant que le troisième et le quatrième versements ne seraient pas faits après le lancement du navire. Il a poursuivi en statuant que le constructeur avait droit à la fraction du quatrième versement qu’il avait gagnée, compte tenu du fait que la construction du navire n’avait pas été achevée.

Il existe par ailleurs, dans une série d’affaires semblables, au moins une affaire de construction de navires dans laquelle le constructeur n’avait pas de privilège possessoire. Il s’agit de l’affaire Mucklow v. Mangles (1808), 1 Taunt. 318; 127 E.R. 856, un appel d’un jugement de la Cour des plaids communs. Dans cette affaire, le constructeur de navires avait entrepris la construction d’un chaland. Le constructeur de navires a fait faillite. La Cour a jugé que le client, qui avait payé la valeur intégrale du chaland au moyen d’avances consenties au cours de la construction, n’avait aucun droit de propriété sur le chaland—et, en corollaire, que le constructeur de navires n’avait aucun privilège possessoire. Cette décision tournait autour de l’observation suivante : [traduction] « Il arrive souvent qu’un artisan fabrique des marchandises conformément à une commande donnée par une personne et qu’il les vende à une autre personne » (aux pages 320/856).

Dans l’arrêt Woods v. Russell, le tribunal a reconnu l’existence d’un privilège possessoire et a jugé que l’affaire Mucklow v. Mangles portait sur des faits différents. La décision Mucklow v. Mangles a également été examinée dans l’affaire Carruthers v. Payne (1828), 5 Bing. 270; 130 E.R. 1065 (C.P.D.), dans laquelle les marchandises avaient été transmises d’un constructeur de chariots au propriétaire. De même, dans l’arrêt Elliott v. Pybus (1834), 10 Bing. 512; 131 E.R. 993 (C.P.D.), la Cour d’appel a expliqué la portée de l’arrêt Mucklow v. Mangles en déclarant qu’il n’y avait pas eu transfert du droit de propriété au client au cours de la fabrication des marchandises, ce qui n’est certainement pas le cas en l’espèce, étant donné que le titre de propriété a été transféré au cours de la construction de l’Edmonton Queen. D’ailleurs, nul ne prétend que les personnes qui étaient alors propriétaires de l’Edmonton Queen ne possédaient pas le droit de propriété nécessaire pour hypothéquer le navire afin d’obtenir du financement pour sa construction.

Le transfert du titre de propriété aux personnes qui étaient alors propriétaires de l’Edmonton Queen peut également être mis en contraste avec la situation qui existait dans l’affaire Atkinson v. Bell (1828), 8 B. & C. 277; 108 E.R. 1046 (K.B.), qui portait sur la fabrication de métiers à filer. Dans l’affaire Atkinson v. Bell, il n’y avait pas eu transfert du titre de propriété et, pour cette raison, le tribunal d’appel a établi une distinction entre les faits de cette affaire et ceux de l’affaire Woods v. Russell en soulignant que, dans cette dernière espèce, la propriété du navire avait été transmise de façon irrévocable à l’acquéreur. Ces décisions nous aident non seulement à expliquer la portée de l’arrêt Woods v. Russell, mais aussi à souligner que l’argument de la Direction du Trésor suivant lequel la Scott Steel n’a pas de privilège possessoire ne se tient tout simplement pas.

En résumé, le privilège possessoire du constructeur de navires n’est en réalité pas différent du privilège possessoire du réparateur de navires, car, dans les deux cas, il s’agit d’un artisan qui fournit son travail et des matériaux pour fabriquer ou réparer un objet dont il conserve ensuite la possession jusqu’au règlement ou à l’extinction de sa créance. Il s’agit d’un vieux concept de common law. J’aimerais à ce moment-ci ajouter qu’il n’est pas nécessaire que l’artisan ait terminé son travail avant d’acquérir le droit de conserver la possession du bien. Voir, par exemple l’arrêt Woods v. Russell, précité, et la décision The Tergeste (1902), 9 Asp. Mar. Law Cas. 356, dans laquelle le juge Phillimore a souligné non seulement qu’un privilège possessoire naît lorsque le chantier naval prend possession du navire—même si aucune somme à l’égard de laquelle le privilège produirait ses effets n’est due avant l’achèvement des travaux—mais aussi que le chantier naval pourrait être titulaire d’un privilège possessoire pour les travaux effectués même si le chantier naval n’a pas terminé tous les travaux convenus [à la page 357] :

[traduction] Le constructeur de navires prétend que, s’il était tenu aux termes du présent contrat d’exécuter certains travaux, c’était toujours à la condition qu’il reçoive, avant de passer à l’étape suivante des travaux, des sommes raisonnables en paiement partiel des travaux au fur et à mesure de leur exécution, et non à l’avance, mais à titre de paiement partiel des travaux déjà effectués. Il ajoute que si le paiement n’était pas effectué, lui ou tout autre artisan avait le droit de revoir son travail et de dire : « J’ai fait un travail qui vaut tant; il est vrai que je me suis engagé par contrat à exécuter d’autres travaux, mais il n’est pas raisonnable que je les exécute, étant donné que je n’ai pas été payé, et je réclame le paiement des travaux que j’ai déjà exécutés ». À mon sens, MM. Rait et Gardiner avaient en l’espèce un privilège possessoire pour les travaux qu’ils avaient effectués et ce, même s’ils n’avaient pas terminé tous les travaux. S’ils avaient demandé qu’on leur fasse un paiement à titre d’acompte, comme ils avaient le droit de le faire. Ils détiennent un privilège possessoire pour tous les travaux qu’ils ont effectués, et ce privilège a priorité sur toute autre créance, même sur les privilèges maritimes, qui est née depuis qu’ils ont acquis la possession du navire.

J’en suis venu à la conclusion que la Scott Steel avait le droit de conserver la possession du navire jusqu’à ce qu’elle soit payée pour les travaux qu’elle avait régulièrement effectués. Ce droit de rétention donnerait lieu à un privilège pour les travaux régulièrement exécutés non seulement jusqu’à concurrence de la valeur impayée des travaux prévus au contrat de construction du navire, mais aussi jusqu’à concurrence de la valeur impayée des travaux qui devaient être exécutés par suite de l’évolution des projets et des ajouts autorisés par les personnes qui étaient alors propriétaires du navire ou en leur nom. Bien que la Direction du Trésor, dans son mémoire, et son avocat, dans son plaidoyer, aient effleuré l’argument que la réclamation de la Scott Steel n’avait pas été prouvée, cette question ne se pose pas pour le moment, étant donné que le privilège possessoire a pris effet lorsque la Scott Steel a commencé la construction du navire, bien que, comme le tribunal l’a souligné dans la décision The Tergeste, précitée, à la page 357, il se peut qu’aucune somme ne soit due tant que les travaux pertinents ne sont pas effectués et que le débiteur n’est pas en défaut de les payer. La question de la valeur des travaux qui ont été régulièrement exécutés se posera plutôt lorsque le tribunal sera saisi d’une requête portant sur le partage du produit de la vente. Les parties devront alors établir le bien-fondé de leur créance. Passons maintenant à la question plus difficile de savoir s’il serait équitable de déposséder la Scott Steel de sa priorité à titre de titulaire d’un privilège possessoire et de donner priorité à la Direction du Trésor en tant que créancière hypothécaire.

Droit de la Scott Steel au rang habituel

On peut résumer la thèse que défend la Direction du Trésor pour nier à la Scott Steel le droit qu’elle possède habituellement de prendre rang devant la créance hypothécaire de la Direction du Trésor en tant que titulaire d’un privilège possessoire en disant, premièrement, que la Scott Steel a convenu de construire le navire qui est devenu l’Edmonton Queen pour la somme de 1,64 million de dollars; deuxièmement, que la Scott Steel savait que le chiffre de 1,64 million de dollars était critique pour les propriétaires d’alors et pour leurs prêteurs; troisièmement, qu’au cours de la dernière partie de 1992, la Scott Steel savait qu’il en coûterait plus que 1,64 million de dollars pour compléter la construction de l’Edmonton Queen et que, malgré tout, elle a non seulement omis d’en informer la Direction du Trésor, mais qu’elle a aussi déclaré par écrit à la propriétaire d’alors, la North Saskatchewan Riverboat Company (NSRB) que [traduction] « le budget prévu est respecté »; quatrièmement, que la Scott Steel savait ou aurait dû savoir que sa déclaration que « le budget prévu est respecté » serait transmise par la NSRB à un autre prêteur, le ministère de la Diversification de l’économie de l’Ouest, qui enverrait à son tour une copie de cette lettre à la Direction du Trésor, qui se fierait à cette déclaration; cinquièmement, que, comme elle s’est fiée à son détriment à cette déclaration, la Direction du Trésor a consenti d’autres avances qu’elle n’aurait pas autrement consenties; finalement, que tous les faits précités constituent de la part de la Scott Steel un comportement qui lui fait perdre son droit de réclamer en priorité sur la Direction du Trésor le paiement de tout travail pour lequel elle pourrait détenir une créance. La Direction du Trésor affirme qu’accorder à la Scott Steel un rang supérieur lors du partage du produit de la vente de l’Edmonton Queen constituerait une injustice flagrante.

Pour sa part, la Scott Steel déclare d’abord qu’elle a construit le navire que sa cliente, la NSRB, lui a commandé et que ce navire était très différent de celui que la Scott Steel avait dessiné en 1989 et qui a par la suite été redessiné en mars 1992 par l’architecte naval de la NSRB, Wm. R. Brown. Elle affirme en deuxième lieu que les plans du navire n’ont pas cessé d’être modifiés, ainsi qu’il ressort des divers dessins subséquents de la seconde firme d’architectes navals de la NSRB, la Peter S. Hatfield Ltd. Elle soutient en troisième lieu que la NSRB a fait divers ajouts et, en quatrième lieu, que la conception initiale que la Scott Steel avait donnée d’un bateau à aubes arrière de 1,64 million de dollars dans sa lettre du 1er août 1991 était uniquement une proposition et non un contrat prévoyant un prix ferme. Elle affirme, en cinquième lieu, que la Scott Steel n’a eu absolument aucune relation directe avec la Direction du Trésor et, en sixième lieu, que personne, à la Direction du Trésor, ne savait quel devait être le prix du navire ou ne s’en est informé auprès de la Scott Steel. La Scott Steel affirme que l’Edmonton Queen avait une valeur beaucoup plus élevée, à savoir celle qui lui a été attribuée par le cabinet Wm. R. Brown—qui a estimé la valeur du navire (qui ne devait transporter alors que 300 passagers) à 2,2 millions de dollars en 1989—par le cabinet Peter S. Hatfield—qui a évalué le navire qui devait alors transporter 400 passagers à trois millions de dollars en janvier 1993—et par la firme Coopers & Lybrand—qui, dans son évaluation commandée du 8 septembre 1994, établit la juste valeur marchande de l’Edmonton Queen non terminé qui se trouvait alors au chantier de la Scott Steel entre 2,1 et 2,2 millions de dollars[2].

L’Edmonton Queen a été vendu à un acheteur local par le prévôt maritime, avec l’aide de la Coopers & Lybrand, pour une somme de 800 000 $. Compte tenu du fait que la Direction du Trésor a avancé quelque 700 000 $, que les sommes réclamées par la Scott Steel pour les ajouts risque fort de dépasser cette somme, que la Damar a réclamé 75 000 $ et que Hatfield, ainsi que Wm. R. Brown, sont titulaires de droits légaux in rem pour les honoraires d’architectes impayés, pour un total d’environ 30 000 $, sans compter le temps et les dépenses afférentes à la présente instance et aux autres procès déjà intentés, l’issue probable pour le créancier qui obtiendra gain de cause sera un déficit considérable et, pour les autres créanciers, une catastrophe.

La présente catastrophe maritime peut être comparée au sinistre maritime de Honda Point, qui est survenu le 8 septembre 1923 et au cours duquel une flotte de contre-torpilleurs, qui exécutaient des manœuvres en temps de paix au large de la côte de la Californie, étaient en formation de convoi à une vitesse adaptée à la brume. Aucun des navires à l’arrière n’avait fait un suivi de sa propre progression par rapport au navire de tête ou n’avait fait sa propre navigation, jusqu’à ce que huit navires heurtent la côte californienne à angle droit. Il semble que, si les navires avaient assuré eux-mêmes leur progression en vérifiant ou en faisant la vérification de leur position à intervalles réguliers, l’échouement aurait probablement pu être évité, tout comme, en l’espèce, il aurait suffit que la Direction du Trésor mène les enquêtes, obtienne les renseignements et procède aux évaluations qui s’imposaient pour éviter qu’elle-même ou la Scott Steel ne subisse un préjudice aussi grave que celui dont elles semblent avoir été victimes en l’espèce.

Un des éléments clés qui permet de comprendre la présente catastrophe sont les commentaires que Ronald Scott, président de la Scott Steel, a faits à au moins deux reprises lorsqu’il a été contre-interrogé au sujet de son affidavit lors de l’audition de la présente requête. Il a en effet déclaré : [traduction] « Nous n’avons su ce que nous étions en train de construire que lorsque les travaux ont été terminés » (à la page 31 de la transcription). Interrogé de nouveau au sujet de la raison pour laquelle il n’avait pas modifié la valeur du navire en fonction de la lettre du 1er août 1991 de la Scott Steel, il a également déclaré : [traduction] « Il aurait été impossible de le faire. J’ignorais ce que j’étais en train de construire. » (À la page 77 de la transcription.) Il me semble qu’aucune des autres personnes qui ont souscrit les affidavits sur lesquels on se fonde en l’espèce ne se soit jamais interrogée sur ce qu’on était en train de construire.

Cela m’amène à examiner les affidavits volumineux qui ont été produits au soutien de la requête. Ces affidavits sont en réalité trop volumineux et il y a d’ailleurs lieu de s’interroger sur la pertinence et la valeur de bon nombre d’entre eux.

J’accepte l’affidavit de Al Everett qui était bien préparé pour son contre-interrogatoire et qui a répondu franchement aux questions qui lui ont été posées. En fait, j’accorderais une pleine valeur à son affidavit, bien que cela ne veuille pas dire que j’accorderais beaucoup de poids aux études de consultation et de vérification sur lesquelles se serait fié l’employeur d’Everett, le ministère de la Diversification de l’économie de l’Ouest, et sur lesquelles la Direction du Trésor s’est indirectement fiée.

J’accepte tel quel la plus grande partie de l’affidavit de la Scott Steel, qui est pertinent à la présente requête. Je tiens à souligner que Scott s’est relativement bien défendu lors du contre-interrogatoire qu’il a subi au sujet de son affidavit.

Il est malheureux que Ivan Sawchuk, de la Direction du Trésor, ait été forcé de souscrire un affidavit, étant donné qu’il ne participait pas au projet à l’époque en cause, à savoir en 1992 et 1993, et qu’il n’est intervenu dans ce dossier qu’en janvier 1995, juste à temps pour intervenir dans le présent conflit sur l’ordre de priorité des créances. Il aurait été beaucoup plus satisfaisant que Fulkerth et Mooney, qui étaient directement impliqués à l’époque et qui travaillent toujours à la Direction du Trésor, témoignent. Il ressort de certains extraits de son affidavit que Sawchuk n’a pas bien saisi les points litigieux, comme le démontre particulièrement le fait que, dans son premier affidavit, il n’invoque pas les déclarations faites par la Scott Steel à NSRB et au ministère de la Diversification de l’économie de l’Ouest, ce à quoi on se serait attendu dans un premier affidavit, d’autant plus que la présente requête en collocation est présentée par la Direction du Trésor. Il semble qu’il ait pensé après coup, dans l’affidavit ultérieur, à invoquer le fait que l’on s’était fié aux déclarations de la Scott Steel. Il semble, à la lecture de son affidavit et de la façon dont il s’est comporté lors du contre-interrogatoire qu’il a subi au sujet de son affidavit, que Sawchuk n’a pas eu directement et personnellement connaissance des faits et qu’il a été mal informé. Ce manque de connaissances lors du contre-interrogatoire ressort non seulement des réponses qu’il a données, mais aussi du nombre d’interventions que l’avocat de la Direction du Trésor a jugé nécessaires de faire et de l’attitude protectrice que ce dernier a eue. Il aurait mieux valu qu’un ou plusieurs des employés de la Direction du Trésor qui s’étaient effectivement occupés de la question à l’époque en cause (1992-1993) souscrivent l’affidavit en question. Le témoignage d’Everett comporte trop de renseignements de seconde main. J’accorde donc peu de valeur à l’affidavit de Sawchuk.

L’avocat de la Scott Steel a contesté l’affidavit de Haak de diverses façons. Il a notamment affirmé que Haak s’était porté caution pour garantir l’emprunt de la Direction du Trésor et qu’une des dispositions de ce contrat stipulait qu’en cas de disposition de son cautionnement, il s’engageait à appuyer la Direction du Trésor dans tout procès qu’elle intenterait. Il s’agit là d’une stipulation assez courante qui a peu d’incidences, sinon aucune, sur la valeur que je devrais accorder à son affidavit. Haak fait cependant des affirmations énergiques qui sont incorrectes dans son affidavit. J’y reviendrai plus loin. Qui plus est, Haak a donné de nombreuses réponses qui étaient loin d’être directes dans son contre-interrogatoire. Là encore, l’avocat a surprotégé son témoin sur des questions difficiles mais pertinentes. Je n’accorde qu’une valeur limitée à l’affidavit de Haak dans son ensemble.

Je passe maintenant au nœud du problème, c’est-à-dire au fait qu’à l’exception probable des architectes, qui ont modifié les plans du navire et qui lui ont attribué une valeur réaliste, les personnes en cause ne semblent pas avoir été conscientes de ce qu’elles étaient en train de construire.

La meilleure description que l’on peut donner du dessin initial de la Scott Steel est de dire qu’il s’agit d’un dessin portant sur une péniche autopropulsée dotée de quelques espaces de logement rudimentaires et de quelques commodités situées sur le pont principal, lequel était surmonté d’une petite timonerie. La péniche était propulsée par un double moteur de 180 chevaux-vapeur. C’est le navire dont il est question dans la lettre que la Scott Steel a écrite le 1er août 1991 à la NSRB. La Direction du Trésor aimerait qualifier cette lettre de contrat ferme, mais le président de la NSRB, Collins, désigne cette lettre d’estimation dans sa lettre du 28 décembre 1989 à Tourisme Canada et Alberta Tourism. Si la lettre du 1er août 1991 de la Scott Steel était le premier contrat de construction, elle a été supplantée par les événements, dont l’addition de nombreux ajouts et la transformation du navire d’une barge autopropulsée en forme de boîte, conformément aux plans de la Scott Steel, à un navire plus grand et assez perfectionné et beaucoup plus grand et complexe, l’Edmonton Queen.

Au printemps 1992, la firme d’architectes navals Wm. R. Brown a produit de nouveaux dessins à la demande de sa cliente, la NSRB. Bien que le dessin soit encore assez rudimentaire, la coque commence à ressembler à celle d’un navire. La capacité en passagers est plus importante. Il y a plus de commodités pour les passagers. Le dessin prévoit un propulseur d’étrave de 200 chevaux-vapeur [traduction] « au besoin ». Le navire est dans l’ensemble plus attrayant. Malgré le fait que le navire ait été quelque peu plus complexe à construire, il semble qu’après avoir discuté du navire avec les architectes, la Scott Steel ait estimé qu’elle pouvait construire le navire selon les plans de Wm. R. Brown pour la somme de 1,64 million de dollars.

La véritable transformation du navire, d’un simple bâtiment à faible puissance similaire à un chaland à ce qui est devenu l’Edmonton Queen, est documentée dans les divers dessins révisés de la firme Peter S. Hatfield et par les ajouts qui ont été faits par la NSRB. Bien qu’il n’existe pas de dessins montrant le navire tel qu’il a été finalement construit, il ressort des dessins de la firme Hatfield et de la preuve que les améliorations suivantes ont été apportées au navire. Ainsi, le navire a une longueur, une largeur et un creux plus grands; des machines principales beaucoup plus grosses, un propulseur d’étrave permettant une meilleure manœuvrabilité; un système de climatisation et, plus tard, un système de climatisation refroidi à l’eau beaucoup plus dispendieux. On a également ajouté une timonerie agrandie et surélevée pour aménager une scène sous la salle à manger dans la partie avant du pont principal, un rouf à grande surface sur l’arrière du pont supérieur, qui comprenait des latrines pour compléter celles aménagées pour les personnes handicapées sur le pont principal. On a aussi ajouté un pont surélevé au-dessus du pont principal; des passerelles d’embarquement situées sur le pont supérieur et servant à compléter l’entrée du pont principal; des cuisines au lieu de services de traiteur à terre; une capacité plus grande de combustible et d’eau; une capacité génératrice d’énergie accrue et de plus grandes roues à aubes arrière, pour ne nommer que les éléments les plus évidents. Et l’existence d’un navire plus grand, plus puissant et plus complexe implique un plus grand nombre d’équipements et de structures d’appui.

Ronald Scott, de la Scott Steel, affirme maintenant qu’il n’y a jamais eu de prix fixe pour le navire. J’estime toutefois que chacun a considéré que le chiffre de 1,64 millions de dollars établi en 1989 constituait à la fois le prix du navire dessiné par la Scott Steel et celui de la Wm. R. Brown, sans tenir compte, dans le cas de cette dernière, du coût du propulseur d’étrave assez cher. Et voici un point intéressant : Haak a témoigné que le prix de 1,64 million avait été un prix ferme en tout temps et ce, malgré les ajouts qui avaient été expressément autorisés. Voici ce qu’il déclare : [traduction] « L’entente du 1er août 1991 constitue l’entente définitive intervenue au sujet de la construction du bateau à aubes arrière et il n’y a eu aucune modification verbale ou écrite » (paragraphe 12 de l’affidavit du 20 novembre 1995). Il est évident que Haak n’avait aucune idée précise de ce qui était construit. Voici, à cet égard, ce qu’il déclare dans son affidavit du 20 octobre 1995 en niant qu’il y ait eu des ajouts :

[traduction] Le propulseur d’étrave est le principal moyen de propulsion du bateau à aubes arrière. Il était prévu au contrat initial et il ne saurait pas plus être considéré comme un ajout qu’un moteur pourrait être considéré comme un ajout à une automobile …

Haak ne se rendait vraisemblablement pas compte qu’un propulseur d’étrave est un dispositif de manœuvre utile bien que non essentiel, mais pas un moyen de propulsion.

Ainsi que je l’ai déjà dit, je n’accorde qu’une valeur limitée à l’affidavit de Haak, car celui-ci n’a de toute évidence pas accordé beaucoup d’attention à l’évolution du dessin initial de la Scott Steel en ce qui a finalement été dessiné et construit.

La Direction du Trésor ne semble pas non plus avoir eu la moindre idée de ce qui était construit et ne s’est absolument pas intéressée à cette question. Ce comportement s’accorde peut-être avec l’aveu qu’elle a fait, lors du contre-interrogatoire de Sawchuk, que la demande de financement de la NSRB a été examinée presque exclusivement en fonction du cautionnement fourni par le gouvernement de l’Alberta (aux pages 239 et 240 de la transcription du contre-interrogatoire de Sawchuk). Il semblerait que, hormis une ou plusieurs visites occasionnelles du navire qui ont eu lieu au cours des travaux de construction, la Direction du Trésor ait déterminé le montant des avances qu’elle a consenties sur le fondement des documents qu’elle recevait de l’autre prêteur, le ministère de la Diversification de l’économie de l’Ouest, et qu’elle se soit largement fiée à ces documents. Il semble que le ministère de la Diversification de l’economie de l’Ouest se soit à son tour fié sur deux sources de renseignements. En premier lieu, il s’en est remis à la NSRB, qui lui a transmis de courtes confirmations adressées à la NSRB par la Scott Steel et selon lesquelles le déroulement des travaux de construction du navire respectait l’échéancier et le budget—je reviendrai plus loin sur ce dernier point—et, en second lieu, il s’est fié sur les conseils donnés par Consultation et Vérification Canada, qui aurait procédé à une vérification de chaque créance de la Scott Steel. Il semblerait toutefois que Consultation et Vérification Canada n’ait pas fait ce qui était évident et qu’il n’ait pas examiné les plans et parlé avec le constructeur pour essayer de savoir pourquoi on transformait un chaland autopropulsé doté d’espaces de logement rudimentaires en un bateau sophistiqué.

Il y a aussi les déclarations que les travaux de construction respectaient le budget prévu que la Scott Steel a faites à la NSRB, qui les a à son tour transmises au ministère de la Diversification de l’économie de l’Ouest, qui les a lui-même transmises à la Direction du Trésor. M. Scott a expliqué que le bateau de base respectait le budget prévu, mais que le problème venait des nombreux ajouts dispendieux qui avaient été faits par la NSRB, soit après avoir obtenu une autorisation, soit par suite des modifications apportées aux plans dessinés par l’architecte naval de la NSRB. Il est également évident qu’au cours de l’été et du début de l’automne 1992, M. Collins était au courant, en sa qualité de président de la NSRB, des problèmes de coûts et qu’il a effectivement essayé de trouver un autre moyen que le propulseur d’étrave pour faire tourner le navire en utilisant des pilotis destinés à immobiliser une partie du navire et à utiliser ainsi le courant de la rivière pour faire graduellement tourner le navire. Cet élément confirme le témoignage de M. Scott qui affirme avoir avisé la NSRB que les modifications apportées au navire, les ajouts, allaient coûter cher. J’accepte également son témoignage que la NSRB lui a dit de ne pas s’inquiéter du paiement des ajouts.

En plus des modifications manifestement exigées par les changements apportés aux plans, la Scott Steel a fourni des copies des ordres de modification signés qui ont été donnés à la NSRB entre le 22 février et le 24 mars 1993 pour un total de 176 501 28 $. Il n’appartenait pas à la Scott Steel, qui n’avait aucun rapport direct ou relation contractuelle avec la Direction du Trésor et qui n’était tenue à aucune obligation contractuelle ou fiduciaire envers la Direction du Trésor, d’attirer l’attention de la Direction du Trésor sur les modifications aux plans et sur les ajouts, sans parler de lui fournir des copies des ordres de modification, même si la Direction du Trésor ne lui faisait pas de demande ou ne lui posait pas de question.

Même lorsque la Direction du Trésor a reçu des projections portant sur les mouvements de trésorerie de la NSRB avant le 22 janvier 1993—projections qui indiquaient que les dépenses engagées à l’égard du navire inachevé s’élevaient alors à quelque 1 761 000 $ (ce—qui dépasse de beaucoup le chiffre de 1,64 millions de dollars qui la préoccupait) il semble que cela n’a mis la puce à l’oreille de personne et que personne n’a pris de mesures ou ne s’est renseigné. La Direction du Trésor est par la suite allée de l’avant et a consenti trois avances totalisant 526 788 $.

Finalement, il y a l’aveu de Sawchuk, de la Direction du Trésor, qui a reconnu que celle-ci ne savait absolument pas ce que la Scott Steel estimait être la situation du budget en janvier 1993 (transcription du contre-interrogatoire de Sawchuk, aux pages 145 et 224). D’ailleurs, suivant le témoignage de Sawchuk, la Direction du Trésor n’a jamais demandé à la Scott Steel de fournir d’autres estimations révisées des coûts que celles qui se trouvaient dans la lettre du 1er août 1991 adressé à la NSRB. Là encore, il ressort du contre-interrogatoire de Sawchuk—lorsqu’il dit qu’il ne saurait souscrire à l’affirmation que le navire qui a finalement été construit était [traduction] « très différent » de celui que la Scott Steel avait initialement dessiné—que la Direction du Trésor s’est peu souciée de ce que sa cliente, la NSRB, faisait construire.

Vu ces arguments, j’estime qu’il n’est pas injuste de ne pas modifier l’ordre de priorité habituel.

L’avocat de la Direction du Trésor soulève une importante fin de non-recevoir en se fondant en partie sur le jugement Dover Financial Corp. et al. v. Basin View Village Ltd. et al. (1995), 140 N.S.R. (2d) 1 (S.C.).

L’avocat soutient d’abord que la Direction du Trésor a commis une erreur au sujet des droits que la loi lui reconnaît en estimant qu’elle possédait une charge de premier rang sur l’Edmonton Queen. Certes, la Direction du Trésor avait effectivement une charge de premier rang, en l’occurrence l’hypothèque de constructeur enregistrée de premier rang qui est devenue par la suite une hypothèque maritime enregistrée de premier rang, mais à titre de prêteur avisé, elle aurait dû se souvenir de la possibilité de l’existence d’un privilège possessoire de constructeur impayé et elle serait présumée être au courant de cette possibilité. Il est également tout aussi probable que la Direction du Trésor était à ce point sûre du premier rang qu’elle occupait, qu’elle n’a pas porté attention à ce que la Scott Steel construisait ou à la probabilité qu’il y ait des frais supplémentaires.

En second lieu, l’avocat de la Direction du Trésor affirme que celle-ci a consenti des avances sur la foi de la conviction erronée qu’elle détenait une charge de premier rang et que les travaux de construction du navire respectaient le budget prévu. Abstraction faite du fait que la Direction du Trésor ne s’est pas raisonnablement renseignée et qu’elle a ignoré des signes évidents—dont le relevé des mouvements de trésorerie couvrant la période de janvier à mars 1993—qui démontraient que la navire allait coûter plus cher que ce qu’elle pouvait croire, et de la transformation graduelle que subissait le navire au fur et à mesure que de nouveaux dessins étaient préparés par les architectes de la NSRB et des ajouts clairement visibles qui étaient faits, la Direction du Trésor n’a pas établi le montant du prétendu budget, lequel montant elle ignorait à l’époque ou au sujet duquel elle ne s’est pas renseignée.

En troisième lieu, l’avocat de la Direction du Trésor affirme que, pour pouvoir invoquer une fin de non-recevoir, la Scott Steel doit connaître ses propres droits, à savoir son privilège possessoire, et savoir que ce droit est incompatible avec celui que revendique la Direction du Trésor. Le privilège possessoire de la Scott Steel, qui existe dès que la première plaque de la quille est posée mais qui n’entre en jeu qu’au moment où la Scott Steel se trouve dans la position d’un constructeur impayé (voir la décision The Tergeste, précitée, à la page 357), n’est incompatible avec l’hypothèque de la Direction du Trésor que si la Scott Steel n’est pas payée pour les travaux qu’elle effectue régulièrement. La Direction du Trésor ne peut ignorer à la fois la transformation de la conception du bateau, d’un chaland autopropulsé en un bateau sophistiqué, ainsi que tous les signaux de danger qu’une simple vérification aurait permis de déceler, et prétendre ensuite que la Scott Steel est irrecevable à faire valoir sa réclamation parce que la Direction du Trésor n’était pas au courant de la créance que détenait la Scott Steel à titre de constructeur impayé en possession du navire.

En quatrième lieu, l’avocat de la Direction du Trésor fait remarquer qu’en sa qualité de titulaire du privilège possessoire, la Scott Steel devait être au courant de la conviction erronée qu’avait la Direction du Trésor au sujet de l’ordre de priorité des créances. Rien ne permet de croire que la Scott Steel savait que la Direction du Trésor se méprenait au sujet de l’ordre de priorité.

Finalement, pour pouvoir invoquer une fin de non-recevoir, la Direction du Trésor doit démontrer que la Scott Steel l’a encouragée à dépenser de l’argent. La Direction du Trésor affirme que c’est ce qu’a fait la Scott Steel en exerçant des pressions sur elle pour se faire payer au cours des travaux de construction et en produisant des factures qui indiquaient que les travaux de construction du navire respectaient le budget prévu. Il faut toutefois se rappeler que la Scott Steel a envoyé à la NSRB des copies de confirmation signée portant sur de nombreux ajouts et que la Direction du Trésor et les personnes à qui elle s’en est remise pouvaient facilement constater l’addition d’autres ajouts, si elles s’étaient donné la peine d’étudier les nouveaux plans du navire et d’examiner l’Edmonton Queen pour voir ce qu’on construisait en réalité.

La Direction du Trésor accuse la Scott Steel d’enrichissement sans cause. Elle affirme que la Scott Steel a reçu 1,4 million de dollars en trop d’elle-même et de l’autre prêteur, le ministère de la Diversification de l’économie de l’Ouest. Sur cette somme, les avances consenties par la Direction du Trésor totalisent 706 308 $. La Direction du Trésor affirme qu’il s’agit là d’un enrichissement sans cause. La Direction du Trésor oublie que la Coopers & Lybrand, à qui elle a confié la tâche d’évaluer et de vendre le navire, a fixé la juste valeur marchande de l’Edmonton Queen, tel qu’il se trouve au chantier de la Scott Steel, entre 2,1 et 2,2 millions de dollars. Cela ne me semble pas être un cas d’enrichissement sans cause, car la Scott Steel s’est effectivement fondée sur l’évaluation que la Direction du Trésor a elle-même faite du navire et elle a fourni un navire qui valait beaucoup plus que la somme qu’elle a reçue.

Il me faut également examiner les conditions de la fin de non-recevoir que la Cour suprême du Canada a énoncées dans l’arrêt Canadian Superior Oil Ltd. et al. v. Paddon-Hughes Development Co. Ltd. et al., [1970] R.C.S. 932. En premier lieu, « un droit d’action ne peut avoir comme base une fin de non-recevoir » (à la page 937). En invoquant une fin de non-recevoir, la Direction du Trésor, l’auteur de la présente requête, essaie de démontrer pourquoi la Scott Steel n’occupe pas le rang habituellement accordé au constructeur de navires qui est en possession du navire. Il ne s’agit donc pas simplement de se servir de la fin de non-recevoir comme d’un bouclier.

En deuxième lieu, le principe de la fin de non- recevoir « présume l’existence de rapports juridiques entre les parties au moment où l’affirmation est faite. » (Ibid., à la page 938.) En l’espèce, le seul rapport juridique qui existait était celui qui liait la Scott Steel et la NSRB. Il n’y avait aucun rapport juridique de quelque nature que ce soit entre la Scott Steel et la Direction du Trésor; d’ailleurs, cette dernière a obtenu une grande partie de ses renseignements indirectement de la Scott Steel par l’intermédiaire du ministère de la Diversification de l’économie de l’Ouest.

Troisièmement, le juge Martland a poursuivi en déclarant, dans l’arrêt Canadian Superior Oil, aux pages 938 et 939, qu’il n’y avait pas de preuve à l’appui d’une allégation de fraude qui priverait quelqu’un des droits que la loi lui reconnaît. Or, c’est précisément la situation qui existe en l’espèce entre la Scott Steel et la Direction du Trésor.

Voici ce que la Cour suprême déclare, aux pages 939 et 940 de l’arrêt Canadian Superior Oil, au sujet des éléments essentiels pour fonder une fin de non-recevoir :

(1) Une affirmation, ou une conduite y équivalant, qui a pour but d’inciter la personne à qui elle est faite à adopter une certaine ligne de conduite.

(2) Une action ou une omission résultant de l’affirmation, en paroles ou en actes, de la part de la personne à qui l’affirmation est faite.

(3) Un préjudice causé à cette personne en conséquence de cette action ou omission.

Premièrement, en ce qui concerne l’existence d’une affirmation, il est certain que la Scott Steel n’en a pas faite à la Direction du Trésor. Je ne crois pas non plus que l’affirmation avait pour but d’inciter quelqu’un à adopter une ligne de conduite. Certes, la Scott Steel désirait être payée pour son travail. Toutefois, les paiements étaient en réalité contrôlés par la NSRB.

Deuxièmement, il semble clair que, si elle s’est fiée aux affirmations qu’elle a reçues indirectement de la Scott Steel, la Direction du Trésor s’est bien davantage fiée sur la confirmation qu’elle a obtenue de l’autre prêteur, le ministère de la Diversification de l’économie de l’Ouest et qu’elle a agi en fonction de ces affirmations. Le Ministère lui avait en effet confirmé soit qu’il avait décidé de consentir le premier sa part des avances relatives à chaque étape des travaux de construction, soit qu’il les avaient effectivement consenties.

Troisièmement, bien que les avances que la Direction du Trésor a consenties par la suite lui aient causé un préjudice, on ne saurait dire que ce préjudice était une conséquence d’une action ou d’une omission résultant d’une affirmation faite par la Scott Steel. Il s’agissait plutôt d’une conséquence de l’omission de la Direction du Trésor de se renseigner suffisamment au sujet de la construction de l’Edmonton Queen et de surveiller le déroulement des travaux.

En tout état de cause, je conclus que cette fin de non-recevoir, qui est fondée sur les agissements de la Scott Steel et plus particulièrement sur la lettre qu’elle a écrite le 18 janvier 1993 à la NSRB et qui a ensuite été transmise au ministère de la Diversification de l’économie de l’Ouest, lequel en a vraisemblablement envoyé une copie à la Direction du Trésor, est mal fondée. Elle ne justifie pas de modifier l’ordre habituel de priorité qui permet à la Scott Steel de prendre rang avant la Direction du Trésor.

La question qui se pose est simplement celle de savoir à qui imputer la responsabilité de la catastrophe. Si la Direction du Trésor s’était elle-même renseignée, il aurait été évident pour toute personne qui connaît bien tout genre de projet de construction que les coûts de celui-ci dépasseraient inévitablement les coûts prévus au budget. Au lieu de cela, elle s’est fiée au ministre de la Diversification de l’économie de l’Ouest, qui à son tour s’est fié à Consultation et Vérification Canada et sur les affirmations obtenues indirectement par l’intermédiaire de la NSRB.

Suivant cette analyse, bien que la Direction du Trésor s’est peut-être induite elle-même en erreur, tant par son omission de se renseigner elle-même de façon indépendante que par son interprétation de la note de service de la Scott Steel relative au « respect » du budget prévu, il ne semble pas qu’elle ait été induite directement en erreur par la Scott Steel. Il suffisait à la Direction du Trésor de poser la bonne question, non pas au sujet du budget du navire, mais au sujet du coût du navire et des ajouts.

Dans l’affaire Le Galaxias, précitée, un tiers de bonne foi n’a pas réussi à obtenir la préséance sur un autre créancier qui avait utilisé une tactique que la Cour a assimilée à du chantage. En l’espèce, tout ce qu’on peut dire en faveur de la Direction du Trésor, c’est qu’elle s’est illusionnée. Il n’appartient pas au constructeur d’un navire d’ignorer son client, en l’occurrence le propriétaire du navire, et d’expliquer sans motif au prêteur une chose qui aurait dû être évidente.

Dans le cas qui nous occupe, la perte sera assumée par celui qui l’a occasionnée, car ce qui s’est produit ne m’apparaît pas comme une conséquence manifestement inéquitable ou une injustice flagrante.

Pour le cas où ma décision serait portée en appel, j’examinerai le moyen subsidiaire invoqué par la Scott Steel; celle-ci affirme en effet que la collocation devrait être imposée à la Direction du Trésor et, dans la mesure où elle le peut, qu’elle devrait être forcée de recouvrer sa créance d’autres personnes, en l’occurrence, des cautions. Il convient toutefois d’examiner d’abord la question du rang qu’occupe la Damar.

RANG DE LA DAMAR

La Damar présente sa réclamation à titre de fournisseur des biens et des services qui ont été livrés à l’Edmonton Queen alors qu’il se trouvait au chantier de la Scott Steel. Suivant l’ordre de priorité habituel, cette qualité conférerait à la Damar un droit légal in rem et la placerait, à titre de fournisseur d’approvisionnements nécessaires ou de constructeur de navires sans privilège possessoire, après la Direction du Trésor et sur le même pied que Hatfield et Wm. R. Brown, les architectes navals.

L’avocat de la Damar affirme que sa cliente possède directement ou indirectement un privilège maritime ou, subsidiairement, une forme quelconque de privilège possessoire de droit ou un privilège fondé sur un mandat par l’intermédiaire de la Scott Steel, ou encore un privilège de garagiste reconnu par la loi albertaine, ou un privilège reconnu en equity, ou encore qu’on devrait lui reconnaître une part équitable du produit de la vente.

Privilège maritime

À une certaine époque, le droit anglais reconnaissait un privilège maritime au fournisseur d’approvisionnements nécessaires (voir, par exemple, les observations formulées par lord Stowell dans l’arrêt In re The Zodiac (1825), 1 Hagg 320, à la page 325; 166 E.R. 114, à la page 116). Lord Stowell souligne que la doctrine du privilège du fournisseur d’approvisionnements nécessaires a été renversée par la Chambre des lords au milieu du dix-septième siècle. Des doutes subsistaient au sujet de la véracité de cette affirmation, mais la question a indiscutablement été tranchée dans l’arrêt The Ship Neptune, [1835] 3 Kn. 94; (1835), 13 E.R. 584, dans lequel le Conseil privé a statué à l’unanimité que ceux qui fournissaient des approvisionnements nécessaires ne possédaient aucun privilège maritime sur un navire et qu’ils ne pouvaient participer à ce titre au partage du produit de la vente du navire.

Dans le jugement Coastal Equipment Agencies Ltd. c. Le Comer, [1970] R.C.É. 12, le juge Noël a examiné la situation du fournisseur d’approvisionnements nécessaires. Ses motifs constituent une excellente analyse des décisions rendues en la matière. Il en est venu à la conclusion « que le réclamant d’approvisionnements nécessaires d’un navire n’a aucun lien [sic] maritime sur le navire, mais possède tout au plus un droit d’exercer une action in rem contre le navire si ce navire est encore entre les mains du même propriétaire » (à la page 31). Il a poursuivi en disant que le réclamant d’approvisionnements nécessaires se trouve dans la même situation que le créancier chirographaire ordinaire[3]. Ces propositions ont été citées par le juge suppléant Keirstead dans le jugement Comeau’s Sea Foods Ltd. c. Le Frank and Troy, [1971] C.F. 556 (1re inst.), à la page 562.

Privilège maritime indirect

À titre subsidiaire, la Damar affirme que lorsqu’ils travaillaient à bord de l’Edmonton Queen, ses employés étaient des marins et qu’ils avaient droit à un privilège maritime garantissant leur salaire et que la plus grande partie de la créance de la Damar porte sur la main-d’œuvre qu’elle a fournie.

Le réclamant dans la présente instance est la Damar et non les marins et, pour cette raison, je n’ai pas à décider si les employés de la Damar entrent dans la catégorie des marins. Qu’il suffise de dire que, sauf dans le cas des contrats à la grosse, les privilèges maritimes ne sont en règle générale pas transférables, étant donné que les tribunaux sont peu disposés à permettre la cession d’un privilège maritime. Quant à la transférabilité du privilège maritime portant sur des salaires, transférabilité qui permettrait à la personne qui règle une créance privilégiée portant sur des salaires de prendre la place du créancier privilégié, voir la décision The Petone, [1917] P. 198, à la page 208, dans laquelle le tribunal l’interdit totalement, et le jugement The Leoborg (No. 2), [1964] 1 Lloyd’s Rep. 380 (Adm. Div.), à la page 383. Le jugement The Petone a été suivi dans les décisions Bonham et al. v. The Ship Sarnor (1918), 21 R.C.É. 183; McCullough v. SS. Marshall, Eliasoph et al., [1923] R.C.É. 110 (confirmée à [1924] R.C.É. 53) et Ross, William et al. v. The Ship Aragon, [1943] R.C.É. 41. À moins d’obtenir l’autorisation de la Cour, toute personne qui règle le privilège que des marins détiennent au titre de leurs salaires n’acquiert aucun privilège sur le navire.

Privilège possessoire

L’avocat de la Damar soutient que sa cliente possède un privilège possessoire de droit sur l’Edmonton Queen et qu’elle a par conséquent le droit d’être colloquée pari passu avec tout autre titulaire de privilège possessoire.

Pour commencer, je suis d’accord pour dire qu’il n’est pas nécessaire que la possession soit exclusive. L’avocat de la Damar cite la décision Earle’s Shipbuilding & Engineering Co. v. Akties. D/S Gefion and Fourth Shipbuilding & Engineering Co. (1922), 10 Ll. L. Rep. 305, un arrêt de la Cour d’appel. Le lord juge Bankes, qui rédigeait l’arrêt unanime de la Cour, a déclaré qu’il n’était pas nécessaire que la possession soit exclusive et, à titre d’exemple, il a déclaré qu’il n’avait [traduction] « personnellement aucune objection à ce que le bien qui a été confié à un entrepreneur pour exécuter des travaux qu’il a lui-même confiés à un sous-entrepreneur ne puisse pas, aux termes d’un contrat, être détenu par le sous-entrepreneur en son nom et au nom de l’entrepreneur » (à la page 310).

Certes, la Damar n’avait pas elle-même la possession de l’Edmonton Queen conjointement avec la Scott Steel lorsqu’elle a envoyé des ouvriers au chantier de la Scott Steel pour travailler sur le navire. La Damar affirme que la Scott Steel s’est comportée comme son mandataire en invoquant un privilège possessoire. Toutefois, rien ne permet de penser que la Scott Steel avait été constituée mandataire de la Damar ou que les actes qu’elle aurait accomplis à ce titre ont de quelque façon que ce soit été ratifiés ou, comme le prétend l’avocat de la Damar, qu’elle a agi comme mandataire de toutes les personnes qui travaillaient sur le navire.

Dispositions législatives albertaines en matière de privilèges

La Damar cite également des dispositions législatives albertaines portant sur les privilèges, à savoir la Possessory Liens Act, R.S.A. 1980, ch. P-13 et la Garagemen’s Lien Act, R.S.A. 1980, ch. G-1. L’avocat affirme que la Damar a déposé les documents nécessaires pour protéger tout privilège qu’elle possède.

À mon sens, ces lois albertaines sont une codification de la common law et elles n’accordent aucun privilège, mais procurent plutôt un moyen de renoncer à la possession tout en conservant un privilège pour une période déterminée. D’ailleurs, l’article 5 de la Possessory Liens Act dispose que [traduction] « [l]a possession continue du bien qui fait l’objet de la créance—possession de fait ou possession de droit—constitue une condition essentielle à l’existence du privilège ».

L’avocat de la Damar affirme que le privilège du garagiste équivaut à un privilège possessoire et qu’il peut en être ainsi si le privilège est fondé sur un privilège possessoire reconnu en common law. Cette affirmation n’est pas incompatible avec les arguments que le protonotaire Funduk fait ressortir dans la décision Alberta (Treasury Branches) v. Don-Gar Construction (1990) Ltd. (1992), 128 A.R. 186 (Q.B.), dans laquelle il examine le rapport qui existe entre le privilège possessoire et le privilège du garagiste. Il n’affirme cependant pas que la Garagemen’s Lien Act fait plus que protéger un privilège possessoire qui existe déjà. Il parle plutôt de l’échange du privilège possessoire pour un droit permanent grevant, dans le cas de cette Loi, un véhicule, par suite d’un enregistrement. J’ajouterais toutefois que, dans le jugement Banque fédérale de développement c. « Winder 4135 » (Le), [1986] 2 C.F. 154(1re inst.), à la page 161, le juge Walsh souligne que, même si un privilège conféré par une loi provinciale est valide, il s’agit d’un privilège d’origine législative qui prendrait rang après l’hypothèque qui existait au moment où le navire a été saisi pour réaliser le privilège.

La Damar affirme qu’elle avait une certaine forme de possession de droit, ce qui la ferait tomber sous le coup de l’article 5 de l’Alberta Possessory Liens Act. Se fondant sur la définition de la possession de droit que l’on trouve dans le Black’s Law Dictionary, l’avocat de la Damar fait valoir qu’une personne a la possession de droit d’un bien si elle a le pouvoir et l’intention de contrôler le bien en question. La Damar avait peut-être l’intention de contrôler l’Edmonton Queen, bien qu’avec le recul, il s’agirait davantage d’une intention. Là où cet argument s’effondre, c’est lorsqu’il s’agit du pouvoir effectif de la Damar de contrôler le navire. Il est vrai que la Damar a fait saisir le navire, lequel est, selon le paragraphe 1003(9) des Règles de la Cour fédérale, demeuré en la possession et sous la responsabilité de la Scott Steel. Il est vrai qu’elle a également déposé des oppositions et qu’elle a laissé des outils à bord, mais cela ne constitue pas un contrôle.

Plutôt que d’explorer plus à fond ces possibilités, on peut trouver dans le jugement Finning Ltd. v. Federal Business Development Bank (1989), 56 D.L.R. (4th) 379, une réponse simple à la question du statut de la réclamation présentée en vertu d’une loi provinciale relative aux privilèges des réparateurs et aux privilèges semblables sur un navire immatriculé au fédéral. Il s’agissait d’un renvoi constitutionnel dans lequel le procureur général de la Colombie-Britannique est intervenu. Dans ce jugement, le juge Cowan, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, a convenu qu’en mentionnant le mot « boat » (bateau) dans la Repairers Lien Act [R.S.B.C. 1979, ch. 363] de la Colombie-Britannique, le législateur provincial voulait qu’il s’applique aux navires de toutes tailles. Il a toutefois poursuivi en déclarant que le législateur provincial n’avait pas les pouvoirs constitutionnels nécessaires pour adopter la disposition de la Repairers Lien Act qui prétendait conserver le privilège, dans la mesure où cette disposition visait à créer une sorte de privilège possessoire national, privilège qui n’est pas reconnu en droit maritime canadien, modifiant ainsi l’ordre de priorité établi en droit maritime canadien. Il a statué que, comme il ne constituait pas un privilège valide en droit maritime canadien, le privilège du réparateur déposé par Finning Ltd. devait prendre rang après l’hypothèque de la Banque fédérale de développement qui était enregistrée sur le Pacific Eagle, un navire immatriculé (à la page 384).

Privilège reconnu en equity

La Damar affirme qu’elle possède un type de privilège reconnu en equity qui n’oblige pas le réclamant à avoir eu la possession de l’Edmonton Queen.

Le privilège reconnu en equity est créé à cause de la relation spéciale qui unit les parties, ou encore en raison d’une ligne de conduite ou d’une intention expresse de créer une charge reconnue en equity. À l’occasion, les tribunaux ont fait droit à l’exercice d’hypothèques reconnues en equity grevant des navires. Ils ont reconnu la validité non seulement des hypothèques non enregistrées grevant des navires immatriculés, mais aussi les promesses de constitution d’hypothèques portant sur des navires immatriculés. Le droit maritime reconnaît effectivement la validité des privilèges fondés sur l’equity.

En l’espèce, je ne constate l’existence d’aucune relation spéciale entre la Damar et les propriétaires d’alors de l’Edmonton Queen ou de ligne de conduite qui donneraient lieu à un privilège reconnu en equity. Toutefois, si j’ai tort sur cette question, il convient de se prononcer sur le rang qu’occupe tout privilège reconnu en equity que la Damar pourrait avoir.

Le juge Robert Goff a examiné la question du rang des privilèges reconnus en equity dans l’affaire Ellerman Lines Ltd. v. Lancaster Maritime Co. Ltd. (The Lancaster), [1980] 2 Lloyd’s Rep. 497 (Q.B.), à la page 503. Il a souligné que les droits reconnus en common law primaient les droits reconnus en equity. Dans ce jugement, il a statué que les créanciers hypothécaires légaux qui avaient obtenu la cession du produit de la police d’assurance en vertu de leur garantie hypothécaire avaient priorité sur l’affréteur qui détenait un privilège reconnu en equity.

Dans le cas qui nous occupe, tout privilège reconnu en equity que possède la Damar prendrait rang après le privilège possessoire légal de la Scott Steel et l’hypothèque légale du constructeur enregistrée de la Direction du Trésor, laquelle hypothèque est devenue une hypothèque dûment enregistrée qui grève le navire.

Cet argument de l’existence d’un privilège reconnu en equity est novateur et intéressant, mais il n’est d’aucun secours pour la Damar en l’espèce. En outre, nier la préséance du privilège reconnu en equity de la Damar sur l’hypothèque légale de la Direction du Trésor et le privilège possessoire de la Scott Steel ne crée pas une injustice telle qu’il faudrait réviser l’ordre de priorité applicable en l’espèce.

L’avocat de la Scott Steel souligne que si l’on permettait au privilège possessoire de droit, selon une doctrine quelconque, de prendre rang avant d’autres créances maritimes, on viderait de son sens toute une jurisprudence relative à l’ordre de priorité des créances maritimes. Il ne s’agit pas en soi d’une raison justifiant d’exclure une nouvelle idée portant sur l’ordre de priorité des créances. Toutefois, dans le cas qui nous occupe, je ne vois pas en quoi il serait injuste de ne pas reconnaître un privilège possessoire de droit.

Partage fondé sur l’equity

Finalement, la Damar soutient qu’un partage fondé sur l’equity devrait être appliqué, comme la Cour l’a suggéré dans le jugement Osborn Refrigeration Sales and Service Inc. c. L’Atlantean I, [1979] 2 C.F. 661(1re inst.). Toutefois, en appliquant le concept du partage fondé sur l’equity, on applique également les critères posés dans les décisions ultérieures Le Galaxias, précitée et The Lyrma (No. 2), précitée, qui exigent qu’il y ait soit une injustice flagrante, soit un résultat manifestement injuste. De nos jours, les réparateurs de navires et les fournisseurs d’approvisionnements nécessaires ont toujours eu à composer avec le fait que leurs créances occupaient les derniers rangs dans l’ordre de priorité et qu’elles venaient même après le créancier hypothécaire et ce, malgré le fait que les réparateurs de navires et les fournisseurs d’approvisionnements nécessaires améliorent, dans de nombreux cas, la valeur du navire au profit de ce créancier hypothécaire ou, dans le cas qui nous occupe, du titulaire du privilège possessoire. Qui plus est, siégeant en appel dans l’affaire L’Atlantean I publiée à (1982), 7 D.L.R. (4th) 395, le juge Pratte a nié que les approvisionnements nécessaires devaient, en tant que tels, bénéficier d’un rang supérieur. Il s’est dit prêt à permettre aux frais engagés pour le mazout—qui constituait un approvisionnement nécessaire« à obtenir un meilleur rang lorsque la fourniture du mazout était commandée par le prévôt maritime, mais il n’était pas disposé à appliquer l’ordre de priorité ainsi obtenu aux approvisionnements nécessaires ordinaires. En fin de compte, l’ordre de priorité établi par la Cour d’appel était l’ordre habituel, malgré le fait que cet ordre de priorité créait peut-être une certaine injustice.

COLLOCATION

Pour le cas où j’aurais tort d’appliquer l’ordre de priorité habituel entre la Scott Steel et la Direction du Trésor, et où cette dernière aurait en conséquence un droit de préférence, j’examine maintenant l’argument de l’avocat de la Scott Steel qui affirme qu’en tant que titulaire d’une garantie subsidiaire, la Direction du Trésor devrait être tenue de procéder à une collocation et de recourir d’abord à cette garantie subsidiaire.

Voici la définition du terme « marshalling » (collocation) que Tetley donne dans son ouvrage Maritime Liens and Claims, Business Law Communications Ltd., 1985, aux pages 393 et 394 :

[traduction] La collocation est un mécanisme reconnu en equity par lequel le prévôt ou le tribunal ordonne au créancier qui possède un droit garanti sur plusieurs choses ou sur plusieurs fonds appartenant au débiteur ou la garantie de deux ou de plusieurs débiteurs pour la même créance d’exercer son droit sur la garantie de la manière qui favorise le mieux les intérêts de la masse des créanciers. Le prévôt ou le tribunal doit également tenir compte des meilleurs intérêts des tiers et même de ceux du débiteur[4]4.

La Scott Steel mentionne plusieurs garanties que la Direction du Trésor possède en plus de la garantie hypothécaire qu’elle détient sur l’Edmonton Queen et qui appuient cette dernière. La liste de garanties comprend le cautionnement versé par les débiteurs principaux de la NSRB, ainsi que le cautionnement de la province d’Alberta. La Direction du Trésor a obtenu tout ce qu’elle a pu obtenir en vertu du cautionnement fourni par les débiteurs principaux de la NSRB. La Scott Steel affirme qu’elle en a obtenu trop peu. J’estime toutefois que cette question n’est pas pertinente maintenant, étant donné que (Manks v. Whiteley, [1911] 2 Ch. 448, à la page 466) :

[traduction] Les tribunaux n’ont jamais considéré que le droit reconnu en equity de procéder à une collocation empêchait un créancier hypothécaire antérieur de réaliser sa sûreté de la façon et dans l’ordre qu’il décide.

Si j’ai bien compris, cela veut dire que si, avant que la question de la collocation ne soit soulevée, le créancier hypothécaire a déjà réalisé la sûreté qu’il détenait, le tribunal ne peut qu’appliquer une solution fondée sur l’equity en ce qui concerne la sûreté qui reste, alors que, si la question de la collocation est soulevée avant que le créancier hypothécaire n’ait été remboursé, le tribunal peut prononcer une ordonnance forçant le créancier hypothécaire à éteindre sa créance de manière à permettre à la doctrine de collocation de s’appliquer de la façon la plus équitable.

La Direction du Trésor soutient qu’on ne peut pas forcer un créancier à la collocation. En réponse à l’idée qu’on ne peut forcer un créancier à la collocation, la Scott Steel cite Falconbridge on Mortgages, 4e édition, 1977, à la page 314, pour affirmer que le tribunal peut, dans certaines circonstances, ordonner la collocation :

[traduction] Il semblerait qu’il y ait des cas où le tribunal serait justifié, pour la protection des intérêts des propriétaires ou créanciers hypothécaires respectifs de parcelles de terrain distinctes, d’entraver la liberté d’action du titulaire de l’hypothèque commune, à condition qu’il puisse le faire sans retarder ce créancier hypothécaire ou sans lui nuire de façon trop importante, ou sans l’empêcher d’obtenir le paiement intégral de sa créance ou de rendre sa poursuite plus onéreuse.

Bien qu’elle soit souvent demandée par un créancier qui détient plusieurs garanties, la collocation n’est pas limitée à ces cas, mais peut être demandée séparément par un créancier qui ne détient qu’une seule garantie (voir, par exemple, le jugement Brown v. Canadian Imperial Bank of Commerce et al. (1985), 50 O.R. (2d) 420, aux pages 426 et 427, une décision de la Haute Cour de l’Ontario).

Citant la décision First Investors Corporation Ltd. v. Veeradon Developments, Wiber and Butler Engineering Ltd. (1988), 84 A.R. 364, un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta, la Direction du Trésor affirme qu’elle a droit à la réparation qu’elle réclame et que la Cour ne peut recourir à la doctrine de collocation pour forcer un créancier à essayer d’obtenir une réparation qu’il n’a pas sollicitée.

L’affaire First Investors, qui portait sur deux propriétés, est un cas d’espèce. Dans cette affaire, le titulaire d’une seule créance garantie cherchait à forcer le titulaire de deux créances garanties à se payer sur la propriété sur laquelle la personne qui ne possédait qu’une seule créance garantie ne détenait pas d’hypothèque. La valeur attribuée aux deux propriétés était plus que suffisante pour désintéresser le créancier qui détenait deux créances garanties, mais elle n’a pas attiré sur le marché des offres suffisantes pour désintéresser le créancier qui possédait deux créances garanties. Ce dernier a alors tenté d’obtenir une ordonnance de forclusion définitive visant les deux propriétés. C’est à ce moment-là que le créancier qui détenait une seule créance garantie a cherché à obtenir la collocation au motif que la valeur de la forclusion ne devait pas correspondre à la valeur marchande actuelle apparente, mais plutôt à la valeur supérieure établie lors de l’évaluation, et que le créancier qui possédait deux créances garanties devait être forcé à la collocation jusqu’à concurrence de son profit inespéré, c’est-à-dire la différence entre la valeur établie lors de l’évaluation et la valeur marchande. Le protonotaire siégeant en son cabinet et le juge de première instance ont statué que la doctrine de collocation s’appliquait, ont refusé de prononcer l’ordonnance de forclusion demandée et ont accordé au créancier qui détenait deux créances garanties le choix de se porter acquéreur de l’une des propriétés à la valeur qui lui avait été attribuée lors de l’évaluation pour régler sa créance hypothécaire de premier rang. À cette étape, le tribunal forçait en réalité le créancier qui détenait deux créances garanties à faire une offre sur son hypothèque pour la pleine valeur attribuée à l’une des propriétés lors de l’évaluation, ce qui permettait alors au créancier qui détenait une seule créance garantie de combler toute insuffisance et d’obtenir un titre sur l’autre propriété sur laquelle il détenait une hypothèque de second rang. La Cour d’appel a conclu que le résultat qui en découlait allait à l’encontre du principe suivant lequel la doctrine de collocation ne devait pas être appliquée au détriment du titulaire de l’hypothèque de premier rang, étant donné qu’elle causait effectivement un préjudice à la demanderesse, la First Investors. Cette situation est analogue à celle de l’Edmonton Queen.

La question suivante à se poser est celle de savoir s’il peut y avoir collocation lorsque le créancier qui détient deux créances garanties, en l’occurrence la Direction du Trésor, détient, non pas deux hypothèques traditionnelles qui grèvent des biens-fonds et qui ont été consenties par le même propriétaire/ débiteur, mais plutôt deux fonds qui consistent, d’une part, en une hypothèque et, d’autre part, en un fonds constitué par le gouvernement de la province de l’Alberta. Je présume que ce fonds constitue, aux fins de la présente analyse, un cautionnement.

Pour appliquer la doctrine de collocation, il y a plusieurs règles à suivre. Ainsi, les réclamations doivent être dirigées contre un seul débiteur. La Direction du Trésor soulève cette question lorsqu’elle affirme qu’un cautionnement est, par définition, un engagement par lequel une personne promet d’exécuter l’obligation d’une autre personne et qu’il constitue un contrat distinct qui exige d’un tiers qu’il acquitte la dette d’une autre personne. La Direction du Trésor affirme qu’elle n’aurait pas accès aux deux fonds d’un seul débiteur, mais plutôt qu’elle aurait droit à un seul fonds, à savoir le fonds constitué par suite de la vente du navire de la NSRB, ainsi que le fonds d’un autre débiteur, la Couronne provinciale.

Dans la quatrième édition de son ouvrage, Halsbury’s Laws of England poursuit en analysant l’application de la doctrine de collocation au paragraphe 877 de la page 786 :

[traduction] 877. Application de la doctrine de la collocation. En règle générale, il y a trois conditions à remplir pour que la doctrine de collocation puisse s’appliquer à des créances :

(1)  Les créances ne doivent viser qu’un seul débiteur; si un créancier a une créance contre C et D, et qu’un autre créancier a une créance contre D seulement, ce dernier créancier ne peut forcer le premier à s’adresser à C que si la nature de la créance permet à D de reporter la responsabilité première du paiement sur C, lorsque, par exemple, C et D sont respectivement débiteur principal et caution;

(2)  les deux fonds doivent être à la disposition du débiteur; s’ils ne le sont pas, les personnes qui ont des intérêts dans le fonds qui ne relève pas du contrôle du débiteur ont le droit de reporter les dettes du débiteur sur l’autre fonds dont il a le contrôle, et ils ne peuvent faire l’objet d’une collocation;

(3)  les deux fonds doivent exister lorsque la question de la collocation est soulevée.

Toutes ces conditions doivent être réunies, comme le démontre à l’évidence le fait que Halsbury insère le mot « et » à la fin de la deuxième condition, dans la première édition de son ouvrage. Il ressort de la première de ces trois conditions que l’on peut recourir à la collocation lorsqu’un cautionnement est en cause, à condition que la caution puisse reporter la responsabilité principale sur son débiteur principal. C’est toutefois l’application de ces trois règles qui empêche la Scott Steel de procéder à une collocation pour le cas où le tribunal d’appel jugerait qu’elle a perdu son rang habituel dans l’ordre de priorité.

Pour ce qui est de la première règle, il convient de signaler qu’elle permet la collocation lorsque les deux fonds sont ceux du débiteur principal et de la caution. Il semble qu’il ressort de la jurisprudence que le créancier qui détient une seule créance garantie peut obtenir la collocation et, le cas échéant, qu’il peut diriger sa réclamation contre le créancier qui détient deux créances garanties, comme c’était le cas dans l’affaire Brown v. Canadian Imperial Bank of Commerce et al., précitée, ou vraisemblablement contre la caution, comme dans l’arrêt Ex parte Salting. In re Stratton (1883), 25 Ch. 148. Dans cet arrêt, dans lequel le créancier détenait une seule créance garantie, la Cour d’appel a permis à Salting de diriger sa réclamation contre la caution, Stratton. La Direction du Trésor affirme qu’en l’espèce, si elle s’adressait d’abord à la caution, la province d’Alberta, cette caution aurait le droit d’être subrogée à la Direction du Trésor, étant donné qu’elle a acquitté la dette principale, mais il semble, à la lecture des décisions dans lesquelles la collocation a été appliquée, que cela n’ait pas empêché les tribunaux d’imposer la collocation lorsque la caution est assujettie à la collocation et qu’elle ne puisse s’adresser qu’à un débiteur principal impécunieux. Au lieu de cela, les tribunaux se sont contentés de vérifier si les deux fonds appropriés étaient disponibles.

Quant au second volet du critère, celui selon lequel les deux fonds doivent être à la disposition du débiteur, c’est également le cas en l’espèce car, dans certaines circonstances, la Direction du Trésor peut, après avoir rempli un certain nombre de conditions et après avoir pris diverses mesures, faire appel au cautionnement du gouvernement de l’Alberta. Il y a toutefois une question de délai qui nous amène à la troisième règle.

La troisième règle exige que les deux fonds existent au moment où la question de la collocation est soulevée (voir, par exemple, l’arrêt In re International Life Assurance Society (1876), 2 Ch. 476, de la Cour d’appel). Dans cette affaire, en accordant la collocation demandée, le juge de première instance a tenu compte non seulement des sommes réalisées à la suite de l’appel de versements fait sur des actions qui pouvaient initialement être distribuées, mais également d’un autre appel de versements qui avait été fait un peu plus tard. La Cour d’appel a refusé d’accorder la collocation demandée.

En l’espèce, le cautionnement du prêt de la Direction du Trésor qu’a consenti le gouvernement de l’Alberta est assorti de nombreuses conditions préalables. Il n’y a pas suffisamment de preuve pour démontrer si ces conditions ont été respectées et si le cautionnement a été mis à la disposition de l’intéressé. La condition voulant que les deux fonds existent au moment où la question de la collocation est soulevée n’est donc pas remplie.

Dans l’arrêt In re ThePriscilla” (1859) Lush 1; 167 E.R. 1 (Adm. Div.), le juge Lushington a déclaré : [traduction] « Je suis d’avis que notre Cour devrait appliquer le principe de la collocation des actifs chaque fois qu’elle peut lui donner effet sans porter atteinte à d’autres principes qui doivent être observés en priorité » (à la page 3). Dans cette affaire, un créancier qui était partie à un contrat à la grosse portant sur un navire, ses marchandises et sa cargaison, essayait de se faire payer sur le produit de la vente du navire et des marchandises. Le titulaire du contrat à la grosse qui occupait le deuxième rang présentait également une réclamation contre le navire, les marchandises et la cargaison. Le créancier qui arrivait au troisième rang, qui ne pouvait opposer son contrat à la grosse que contre le navire et les marchandises, essayait d’obtenir une collocation de façon à ce que les deux titulaires de contrats à la grosse qui venaient avant lui se remboursent sur la cargaison, de manière à ce qu’il reste quelque chose du produit de la vente du navire ou des marchandises pour désintéresser le créancier qui occupait le troisième rang. Le juge Lushington a refusé d’accorder la collocation en soulignant qu’en raison d’un principe qui devait être observé en priorité, on ne pouvait toucher à la cargaison tant que les sommes relatives au navire et aux marchandises n’étaient pas épuisées. La Direction du Trésor se fonde sur cet arrêt et attire l’attention de la Cour sur la condition qui l’oblige à réaliser toutes ses autres sûretés avant de s’adresser à la Couronne provinciale en sa qualité de caution. L’avocat affirme que la caution a le droit de se fonder sur son contrat et que la doctrine de collocation ne confère pas à la Cour la compétence pour modifier des obligations contractuelles. C’est une autre raison pour laquelle, si elle a perdu son droit d’être préférée à la Direction du Trésor, la Scott Steel ne peut obtenir l’avantage de la collocation.

Ayant décidé que la collocation ne s’applique pas, je n’ai pas à me demander si le cautionnement fourni par le gouvernement de l’Alberta n’est rien d’autre qu’un cautionnement et s’il serait par ailleurs assujetti à la collocation ou si, comme le prétend la Direction du Trésor, la Direction du Trésor et le gouvernement de l’Alberta ne sont qu’une seule et même entité.

DISPOSITIF

Voici, pour conclure, l’ordre de priorité des créanciers :

1. Le prévôt, pour les honoraires et les frais afférents à l’évaluation, à l’étude et à la vente du navire, et la Direction du Trésor, dans la mesure où elle a financé les honoraires et les frais en question, comme il a déjà été prévu, comme il peut être convenu ou comme il peut être déterminé dans le cadre d’une taxation;

2. La Scott Steel, après que sera établi dans le cadre d’un renvoi le montant de sa créance pour les travaux régulièrement effectués relativement aux éléments qui ne figurent pas dans les plans dessinés par Wm. R. Brown mais qui ont été ajoutés depuis, y compris les éléments nécessités implicitement par les plans de Peter S. Hatfield et qui ont été autorisés verbalement ou par écrit par les architectes navals de la NSRB ou par la NSRB, ses administrateurs, dirigeants et employés et qui comprennent le propulseur d’étrave;

3. La Direction du Trésor, après que le montant de sa créance sera établi dans le cadre d’un renvoi;

4. S’il reste des deniers consignés à la Cour après que les trois créances précédentes auront été payées à la suite du renvoi, la Damar, Hatfield et Wm. R. Brown, pari passu.

Si les parties ne réussissent pas à s’entendre au sujet des dépens, elles peuvent revenir devant moi pour me soumettre la question.

Je tiens à remercier les avocats pour l’excellence de leur mémoire et la qualité de leur plaidoyer.



[1] Par exemple, voir Curtis dans The Law of Shipbuilding Contracts, Lloyd’s of London Press, 1991, à la p. 110, et particulièrement la note 61; Jackson dans Enforcement of Maritime Claims, Lloyd’s of London Press, 1985, à la p. 267; Clarke dans Shipbuilding Contracts, Lloyd’s of London Press, 1982, à la p. 31; Goldrein dans Ship Sale and Purchase : Law and Technique, LLoyd’s of London Press, 1985, à la p. 62. L’avocat de la Scott Steel souligne également que la Sale of Goods Act [R.S.A. 1980, ch. S-2] (art. 59 de la loi albertaine) prévoit expressément que les règles de common law qui ne sont pas incompatibles sont maintenues, fait remarquer que les art. 40 et 41 de la Sale of Goods Act codifient et conservent le privilège possessoire reconnu en common law et cite un commentaire fait par Fridman dans son ouvrage Sale of Goods in Canada, Carswell, 1986, aux p. 309 et 310, lequel cite le Rapport de 1979 de la Commission de réforme du droit de l’Ontario (Report on Sale of Goods, vol. II, à la p. 394) suivant lequel la plupart, sinon la totalité, des décisions de principe relatives aux recours ouverts aux vendeurs existaient avant l’entrée en vigueur de la Sale of Goods Act, étant donné que les dispositions législatives prévues dans la Loi ne donnent lieu qu’à des litiges mineurs.

[2] Dans l’évaluation que lui a commandée l’Universal Marine Consultants (West Coast) Ltd., la Coopers & Lybrand, a, en plus d’estimer la juste valeur marchande du navire se trouvant dans le chantier du constructeur, fait remarquer que la valeur de remplacement du navire, une fois terminé, s’établirait entre 2,75 et 2,8 millions de dollars. Ce chiffre comprend une somme de 350 000 $ affectée à l’achèvement des travaux de construction et une somme de 75 000 $, pour le lancement du navire. La Coopers & Lybrand a ajouté que le navire pouvait être construit dans un chantier de la West Coast pour une somme variant entre trois et 3,25 millions de dollars. Ce chiffre est plus élevé à cause des salaires supérieurs payés par la West Coast.

[3] Pour une autre excellente analyse des droits du fournisseur d’approvisionnements nécessaires, voir la décision rendue par le juge Brandon dans l’affaire The Monica S., [1967] 2 Lloyd’s Rep. 113 (Adm. Div.). Le lecteur canadien doit toutefois se rappeler que le concept anglais suivant lequel le fournisseur d’approvisionnements nécessaires devient, en Angleterre, un créancier garanti lorsqu’un bref in rem est lancé, ne s’applique pas au Canada (voir, par exemple, le jugement Coastal Equipment Agencies Ltd. c. Le Comer, [1970] R.C.É. 12, aux p. 31 et 33).

[4] William Tetley reconnaît qu’il a adopté l’orthographe américaine « marshaling » plutôt que l’orthographe anglaise « marshalling » (collocation). La définition de William Tetley est cependant plus facile à comprendre que la définition anglaise traditionnelle, comme celle que l’on trouve dans la quatrième édition de Halsbury’s Law of England, vol. 16, par. 876 à la p. 785 :

[traduction] 876. Doctrine de la collocation. Lorsqu’un créancier, A, possède deux fonds, X et Y, auxquels il peut recourir pour être remboursé de la créance qu’il détient en common law ou en equity, et qu’un autre créancier, B, ne peut recourir qu’à un de ces fonds, le fonds Y, l’equity intervient pour garantir qu’en recourant au fonds Y, A ne lèse pas B. En conséquence, si la question relève du tribunal, A devra d’abord se payer sur le fonds X et ne pourra recourir au fonds Y qu’en cas d’insuffisance; et, si A a déjà été payé sur le fonds Y, le tribunal permettra à B de prendre la place de A et de se faire payer sur le fonds X. C’est ce qu’on appelle la doctrine de collocation et on y recourt pour empêcher qu’un créancier prive un autre créancier de sa garantie.

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