[1996] 2 C.F. 563
A-65-95
Norman Spinks (appelant)
c.
Sa Majesté la Reine (intimée)
Répertorié : Spinks c. Canada (C.A.)
Cour d’appel, juges Strayer, Linden et McDonald, J.C.A.—Ottawa, 9 janvier et 21 mars 1996.
Fonction publique — Pensions — Appel du rejet d’une action intentée contre l’employeur pour avis erronés donnés — Recours prévus par l’art. 42(10) de la Loi sur la pension de la fonction publique et par l’art. 17(1) du Règlement sur la pension de la Fonction publique pour le contributeur qui a reçu des avis erronés concernant l’admissibilité du service antérieur — L’appelant a travaillé pour le gouvernement australien avant de se joindre à Énergie atomique du Canada Limitée — Rien dans l’entrevue aux fins d’embauche, ni dans la formule d’admissibilité relative à l’administration du régime de pension, ni dans la brochure portant sur la prestation de retraite ne laisse entendre la possibilité de rachat du service accompli en Australie — Lorsqu’une partie donne des conseils, l’omission de divulguer des renseignements importants peut être aussi trompeuse qu’une déclaration inexacte effectivement faite, particulièrement lorsque les renseignements en question sont spécialisés et peuvent facilement être obtenus par le conseiller, mais non par la partie conseillée — Un conseiller doit donner des avis compétents, exacts et complets — Le mot « avis » consiste à « conseiller » de façon sérieuse, ce qui implique la communication des renseignements importants sur les options de pension — L’appelant a reçu des avis erronés et, de ce fait, il n’a pas fait son choix — Le ministre devrait exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur de l’appelant sous le régime de l’art. 17 du Règlement.
Couronne — Responsabilité délictuelle — Appel du rejet d’une action intentée contre l’employeur pour déclaration inexacte faite avec négligence — L’appelant n’a pas choisi de racheter le service accompli pour un gouvernement étranger puisque rien dans l’entrevue aux fins d’embauche, ni dans la formule d’admissibilité relative à l’administration du régime de pension, ni dans la brochure portant sur la prestation de retraite ne laissait entendre qu’il pouvait le faire — Il n’y a pas eu négligence de la part de l’appelant — Il n’y avait aucune raison de croire que l’agent de dotation ne donnerait pas de renseignements exacts — La relation employeur- employé permet à l’appellant de se fier raisonnablement aux renseignements reçus — Aucun dommage n’a encore été subi puisqu’un recours prévu par la loi est toujours possible — Si le ministre n’exerce pas son pouvoir discrétionnaire en faveur de l’appelant dans un délai raisonnable, l’action en responsabilité délictuelle aboutira.
Pratique — Prescription — Une action en responsabilité délictuelle peut être intentée seulement dans un délai de six ans suivant la date à laquelle le préjudice a été découvert ou aurait raisonnablement dû l’être — L’appelant prétend que l’employeur a, de façon négligente, fait une déclaration inexacte quant à son droit de racheter le service qu’il avait accompli pour un gouvernement étranger — Le délai de prescription n’a pas commencé à courir puisqu’aucun dommage n’a encore eu lieu, le recours prévu par la loi étant toujours possible.
Il s’agit d’un appel du rejet de l’action intentée par l’appelant contre son employeur. L’appelant avait travaillé pour le gouvernement fédéral australien pendant 20 ans avant de se joindre à Énergie atomique du Canada Limitée (EACL) en 1972. Le premier jour de son travail chez EACL, il a assisté à une entrevue de routine aux fins d’embauche, qui visait à informer les nouveaux employés des questions concernant leur emploi, notamment du régime de pension chez EACL et des options que les employés pourraient exercer à l’égard de ce régime. On a remis à l’appelant une formule sur laquelle il pouvait donner un résumé des emplois occupés afin de faciliter le « choix » de faire compter le service antérieur accompli ailleurs comme service ouvrant droit à pension sous le régime du gouvernement fédéral canadien. Aucun des types d’emploi antérieur mentionnés dans les directives n’incluait un emploi avec le gouvernement d’un autre pays. L’appelant n’a pas rempli la section des emplois occupés, et il n’a pas demandé qu’une évaluation soit faite pour savoir si son emploi antérieur était accompagné d’option. Le juge de première instance a conclu que l’appelant était arrivé à la réunion en croyant qu’il ne pouvait pas racheter son service accompli en Australie et que, lorsqu’il avait quitté la réunion, il avait compris de façon très nette que tel était, en fait, le cas. De même, à l’entrevue, on a donné à l’appelant une brochure qui ne faisait pas clairement état d’emploi à l’étranger comme emploi ouvrant droit à pension.
Le paragraphe 42(10) de la Loi sur la pension de la fonction publique et l’article 17 du Règlement sur la pension de la Fonction publique prévoient des recours pour les contributeurs qui, s’étant fiés à des avis erronés quant à l’admissibilité du service antérieur, omettent de faire un choix sous le régime de la Loi dans le délai prescrit.
Il s’agit de savoir si l’appelant a reçu des avis erronés et si la Couronne encourt une responsabilité délictuelle pour déclaration inexacte faite avec négligence.
Arrêt : l’appel doit être accueilli.
Lorsqu’une partie donne des conseils à une autre partie, l’omission de divulguer des renseignements importants peut être aussi trompeuse qu’une déclaration inexacte effectivement faite, particulièrement lorsque, comme en l’espèce, les renseignements en question sont spécialisés et peuvent facilement être obtenus par le conseiller mais non par la partie conseillée. Dans un tel contexte, un conseiller doit donner des avis compétents, exacts et complets. Le mot « avis » consiste à « conseiller » de façon sérieuse et exige la communication des renseignements importants sur les options de pension. Il est peut-être nécessaire pour les agents de dotation de s’informer des antécédents des nouveaux employés. La norme minimale de conduite n’a pas été respectée en l’espèce. Il aurait été intéressant et abordable pour l’appelant de racheter son service accompli en Australie en 1972. On ne lui a pas parlé de ses options de pension. L’appelant a ainsi reçu des « avis erronés » et, de ce fait, il n’a pas fait son choix selon la Loi. Le ministre devrait réexaminer sa décision selon la loi exprimée en l’espèce, et il devrait exercer le pouvoir discrétionnaire qu’il tient de l’article 17 pour déterminer s’il y a lieu de permettre à l’appelant de racheter le service qu’il a accompli en Australie au montant de 1972, plus intérêt.
Cinq conditions générales doivent être remplies avant que la responsabilité ne soit encourue pour déclaration inexacte faite avec négligence. 1) Il doit avoir existé une obligation de diligence à l’égard du réclamant. Pour conclure à l’existence d’une obligation de diligence, il doit avoir existé un lien spécial entre les parties. La confiance prévisible suffit pour créer un lien spécial dans la plupart des cas. L’appelant se fiait complètement à son employeur pour les renseignements en matière de pension dont il avait besoin. Il était un nouvel employé. Il avait besoin des renseignements sur ses droits à la pension avant de pouvoir exercer sagement ses options. Il n’avait pas ces renseignements et son employeur en disposait. L’appelant avait seulement à démontrer que l’agent de dotation aurait pu raisonnablement prévoir une perte économique pour lui. Le risque de perte économique était raisonnablement prévisible pour tous. La prévision raisonnable de la confiance témoignée, la relation d’emploi, le manuel de gestion du personnel, l’existence de l’entrevue aux fins d’embauche, la brochure sur la pension de retraite et les directives qui figurent sur la formule d’admissibilité à la pension laissent entendre qu’il existait une obligation de diligence dans les circonstances, et qu’un employé pouvait raisonnablement s’attendre à ce que l’employeur lui donne des renseignements exacts et entiers.
2) La déclaration doit être fausse, inexacte ou trompeuse. Une personne peut être « induite en erreur » tant par l’omission de divulguer que par des avis inexacts ou faux. L’agent de dotation d’EACL a omis de divulguer un renseignement important, et cette omission a induit l’appelant en erreur. La formule d’admissibilité relative à l’administration du régime de pension, en mentionnant expressément d’autres formes d’emploi sans inclure les emplois auprès du gouvernement d’un autre pays, pouvait seulement faire croire que ces emplois ne constituaient pas des emplois antérieurs admissibles. En outre, la brochure remise à l’appelant ne parlait nullement de la possibilité pour lui de racheter son service accompli en Australie. Les renseignements que l’appelant a reçus de son employeur constituaient donc une déclaration inexacte trompeuse.
3) Le défendeur doit avoir agi de façon négligente en faisant la déclaration inexacte. La norme de diligence est celle d’une personne raisonnable. Lorsqu’un conseiller qui possède ou peut obtenir facilement des renseignements importants et pertinents omet de les divulguer dans des circonstances où on s’attend raisonnablement à ce qu’il y ait perte économique, la norme de diligence est violée. Les renseignements concernant les options de pension ne sont pas de ceux auxquels l’employé moyen peut aisément avoir accès. Et lorsque l’employé appartient à une catégorie spéciale relativement à ces options, les renseignements deviennent encore moins accessibles. L’omission d’informer a violé la norme de diligence dans les circonstances. L’obligation est celle de divulgation raisonnable, et ce qui est raisonnable varie selon les circonstances. Il était possible pour l’intimée de décrire clairement la situation concernant les options de pension de l’appelant. Elle ne l’a pas fait. Cette omission constituait donc une négligence.
4) Le demandeur doit s’être raisonnablement fié à la déclaration. L’appelant s’est fié à son employeur pour les renseignements en matière de pension qui se trouvaient uniquement en la possession de celui-ci, et il s’en est remis au processus d’administration des pensions établi par l’employeur pour l’informer de ses options, et pour exercer un degré raisonnable de diligence en le faisant. Ce recours était raisonnable. Il n’incombait pas à l’appelant de se renseigner pour savoir s’il pouvait racheter sa pension australienne. On ne peut s’attendre à ce qu’un employé sache que son emploi dans un autre pays pouvait être compté en vue d’une pension canadienne. Les documents n’y faisaient nullement allusion et laissaient entendre le contraire. Peu d’employés, s’il en est, qui se trouvent dans une situation semblable sauraient même poser les questions appropriées pour obtenir les renseignements qui se rapportent à leurs circonstances.
5) Le préjudice doit avoir été subi. Aucun préjudice ne s’est encore matérialisé. Le ministre est toujours en mesure de donner une réparation en vertu des dispositions législatives.
Il n’y a pas eu négligence de la part de l’appelant. Les renseignements en question étaient spécialisés. Rien dans la formule d’admissibilité, ni dans l’entrevue, ni dans la brochure sur la pension donnée à l’appelant ne laissait entendre que son service antérieur en Australie pouvait avoir droit de cité dans le régime canadien. L’appelant s’est occupé de ses propres intérêts. Il n’y avait aucune raison de se préoccuper de ce que l’agent de dotation ne donnerait pas de renseignements exacts. Il existait un lien spécial, celui d’employeur-employé, entre les parties, qui permettrait au demandeur de se fier raisonnablement aux renseignements reçus. Il n’incombait pas à l’appelant d’obtenir des explications. Il était parfaitement fondé à se fier à son employeur, qui aurait dû l’informer de ces droits.
Une action en responsabilité délictuelle peut être intentée seulement dans un délai de six ans suivant la date à laquelle le préjudice a été découvert ou aurait raisonnablement dû l’être. Aucun dommage n’ayant été subi, le délai de prescription n’a pas commencé à courir, et tout peut être réparé par le fait pour le ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur de l’appelant.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la pension de la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-36, art. 42(10).
Règlement sur la pension de la Fonction publique, C.R.C., ch. 1358, art. 17(1).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Hedley Byrne & Co., Ltd. v. Heller & Partners Ltd., [1963] 2 All E.R. 575 (H.L.); Donoghue v. Stevenson, [1932] A.C. 562 (H.L.); Fletcher c. Société d’assurance publique du Manitoba, [1990] 3 R.C.S. 191; (1990), 71 Man. R. (2d) 81; 74 D.L.R. (4th) 636; 5 C.C.L.T. (2d) 1; [1990] I.L.R. 1-2672; 116 N.R. 1; 44 O.A.C. 81; Queen c. Cognos Inc., [1993] 1 R.C.S. 87; (1993), 99 D.L.R. (4th) 626; 45 C.C.E.L. 153; 14 C.C.L.T. (2d) 113; 93 CLLC 14,019; 147 N.R. 169; 60 O.A.C. 1; Rothwell c. R. (1985), 10 C.C.E.L. 276; 2 F.T.R. 6 (C.F. 1re inst.); Campbell v. Teachers’ Retirement Fund (Alta.) (1993), 147 A.R. 185; 110 D.L.R. (4th) 400; 15 Alta. L.R. (3d) 305 (B.R.); Lehune v. Kelowna (City), [1993] B.C.J. No. 2451 (C.S.); conf. par (1994), 98 B.C.L.R. (2d) 135; 49 B.C.A.C. 313; 5 C.C.P.B. 111; 80 W.A.C. 313 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES :
Just c. Colombie-Britannique, [1989] 2 R.C.S. 1228; (1989), 64 D.L.R. (4th) 689; [1990] 1 W.W.R. 385; 41 B.C.L.R. (2d) 350; 41 Admin. L.R. 161; 1 C.C.L.T. (2d) 1; 18 M.V.R. (2d) 1; 103 N.R. 1; Couture c. La Reine, [1972] C.F. 1137 (1re inst.); conf. par (1974), 2 N.R. 494 (C.A.F.); Ministry of Housing and Local Government v. Sharp, [1970] 1 All ER 1009 (C.A.); Windsor Motors Ltd. v. District of Powell River (1969), 4 D.L.R. (3d) 155; 68 W.W.R. 173 (C.A.C.-B.); Gadutsis et al. v. Milne et al., [1973] 2 O.R. 503; 34 D.L.R. (3d) 455 (H.C.); Stein et autres c. « Kathy K » et autres (Le navire), [1976] 2 R.C.S. 802; (1975), 62 D.L.R. (3d) 1; 6 N.R. 359; Merban Capital Corp. c. Ministre du Revenu national, [1989] 2 C.T.C. 246; (1989), 89 DTC 5404; 100 N.R. 383 (C.A.F.); Swiss Bank Corp. c. Air Canada, [1988] 1 C.F. 71 (1987), 44 D.L.R. (4th) 680; 83 N.R. 224 (C.A.); conf. [1982] 1 C.F. 756 (1981), 129 D.L.R. (3d) 85 (1re inst.); 392980 Ontario Ltd. v. City of Welland et al. (1984), 45 O.R. (2d) 165; 6 D.L.R. (4th) 151; 24 M.P.L.R. 171 (H.C.); Sirois and Therrien v. New Brunswick Teachers Federation (N.B.T.F.) and L’Association des Enseignants Francophones du Nouveau-Brunswick (A.E.F.N.B.) (1984), 56 N.B.R. (2d) 50; 8 D.L.R. (4th) 279; 146 A.P.R. 50; 28 C.C.L.T. 280 (B.R.).
DOCTRINE
Weinrib, Ernest Joseph. The Idea of Private Law, Cambridge, Mass. : Harvard University Press, 1995.
APPEL du rejet d’une action intentée contre l’employeur pour des « avis erronés » concernant l’admissibilité du service antérieur accompli chez le gouvernement d’un autre pays en vue d’un service ouvrant droit à pension auprès du gouvernement canadien, au sens du paragraphe 42(10) de la Loi sur la pension de la fonction publique et du paragraphe 17(1) du Règlement sur la pension de la Fonction publique, ou pour des déclarations inexactes faites avec négligence (Spinks c. R. (1995), 7 C.C.P.B. 63; 90 F.T.R. 129 (C.F. 1re inst.)). Appel accueilli.
AVOCATS :
Dougald E. Brown pour l’appelant.
Geoffrey S. Lester pour l’intimée.
PROCUREURS :
Nelligan, Power, Ottawa, pour l’appelant.
Le sous-procureur général du Canada, pour l’intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Linden, J.C.A. : Le présent appel soulève deux principales questions. En premier lieu, il s’agit de déterminer si Énergie atomique du Canada Limitée (EACL) a donné des « avis erronés » selon le paragraphe 42(10) de la Loi sur la pension de la fonction publique[1] et le paragraphe 17(1) du Règlement sur la pension de la Fonction publique[2]. En second lieu, il faut déterminer si EACL encourt une responsabilité délictuelle pour déclaration inexacte faite avec négligence par suite d’un certain comportement qui a eu lieu au cours de l’entrevue que l’appelant a passée en vue de son embauche.
LES FAITS
L’appelant Norman Spinks a travaillé pendant 20 ans comme ingénieur atomiste pour l’Australian Atomic Energy Commission (AAEC), une division du gouvernement fédéral australien. En 1967, il est venu au Canada comme l’un de plusieurs employés de l’AAEC détachés à EACL. Il y a passé environ deux ans de détachement, et il est alors retourné en Australie en 1970.
Peu de temps après le retour de l’appelant, le gouvernement australien a décidé de ne pas mettre en œuvre son programme d’énergie nucléaire. L’appelant a alors postulé un emploi permanent chez EACL. Il a été engagé et il a émigré au Canada en 1972. À l’époque, M. Spinks avait 38 ans, était marié et avait quatre enfants. Il a travaillé pour EACL depuis cette époque et il continue de le faire.
Le premier jour de son travail chez EACL le 29 mai 1972, l’appelant a assisté à une entrevue aux fins d’embauche. L’entrevue était une procédure de routine et visait à informer les nouveaux employés des questions concernant leur emploi, notamment du régime de pension d’EACL et des options que les employés pourraient exercer à l’égard de ce régime. À cette fin, on a donné à l’appelant une formule d’admissibilité relativement à l’administration du régime de pension. La formule n’est pas compliquée et occupe une page. En haut sont imprimées les instructions suivantes :
A. L’ORGANISME EMPLOYEUR DOIT REMPLIR LA PARTIE I DE LA PRÉSENTE FORMULE ET L’ENVOYER À L’EMPLOYÉ.
B. L’EMPLOYÉ DOIT REMPLIR LA PARTIE II ET RETOURNER SANS TARDER LA FORMULE À L’AGENT DU PERSONNEL.
C. L’AGENT DU PERSONNEL DOIT VEILLER À CE QUE LES RENSEIGNEMENTS DEMANDÉS SOIENT FOURNIS ENTIÈREMENT AVEC EXACTITUDE AVANT D’ENVOYER LA FORMULE À LA DIRECTION DES PENSIONS DE RETRAITE AVEC LA DOCUMENTATION PERTINENTE.
La partie I contient des dispositions relatives aux renseignements fondamentaux personnels et professionnels et devait être remplie par l’agent du personnel selon la directive A. La partie II, « à être remplie par l’employé », cherchait à obtenir des renseignements sur l’état matrimonial et familial, et chose plus importante encore, un résumé des emplois occupés. La plupart des renseignements sur l’état matrimonial et familial ont été donnés sur la formule par EACL, mais la partie des emplois occupés a été remise en blanc à l’appelant, comme prévu.
La partie des emplois occupés visait à faciliter les choix à l’égard de la pension. Il s’agissait d’un processus permettant à un employé de « choisir » de compter le service antérieur accompli ailleurs comme service ouvrant droit à pension sous le régime du gouvernement fédéral canadien. Le résumé des emplois occupés fourni par l’employé visait à donner à l’employeur les renseignements dont il avait besoin pour déterminer si une période d’emploi antérieur était accompagnée d’option. Cette évaluation était faite sur demande de l’employé.
En tête de cette partie, figurait la directive suivante :
EMPLOIS OCCUPÉS« ÉNUMÉREZ, PAR ORDRE CHRONOLOGIQUE, TOUTES LES PÉRIODES D’OCCUPATION ANTÉRIEURES AU SERVICE 1) DU GOUVERNEMENT FÉDÉRAL, 2) DE GOUVERNEMENTS PROVINCIAUX, DE MUNICIPALITÉS OU D’ENTREPRISES PRIVÉES OÙ IL Y AVAIT UN RÉGIME DE PENSION, 3) LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA OU DES FORCES CANADIENNES. SPÉCIFIEZ, POUR CHAQUE CATÉGORIE DE SERVICE, LE GENRE DE PRESTATIONS DE FIN DE SERVICE : PENSION IMMÉDIATE, PENSION DIFFÉRÉE, REMBOURSEMENT DES COTISATIONS, GRATIFICATION DE RETRAITE ETC.
On notera qu’aucun des types d’emploi antérieur mentionnés incluait, selon leur formulation, un emploi avec le gouvernement d’un autre pays. Le questionnaire comportait plusieurs lignes sur lesquelles on pouvait énumérer et décrire les périodes d’emploi antérieur. À gauche des lignes se trouvait une colonne où n’importe laquelle des périodes d’emploi antérieur énumérées pouvait être cochée. Les marques dans cette colonne, conjointement avec deux cases se trouvant à la fin de la partie, faisaient savoir à l’employeur si l’employé voulait être renseigné sur la possibilité d’option pour l’une quelconque des périodes d’emploi cochées. Les directives concernant les deux cases se lisent respectivement : « Combien m’en coûterait-il pour faire compter le service coché dans la colonne de gauche ci-dessus » et « Je ne tiens pas à savoir combien il m’en coûterait pour faire compter le service ci-dessus. »
Selon la preuve acceptée par le juge de première instance [(1995), 7 C.C.P.B. 63], on a remis à l’appelant cette formule d’admissibilité en partie remplie au cours de l’entrevue aux fins d’embauche. Ce dernier a pris la formule, y a donné certains des renseignements manquants (le nom de jeune fille de sa femme et sa date de naissance, le nom de son quatrième enfant et sa date de naissance), l’a signée et l’a remise à l’agent du personnel. Toutefois, il n’a rempli aucun aspect de la section des emplois occupés. Aucun emploi antérieur n’a été inscrit, et aucune marque n’a été placée dans la colonne de gauche. Les cases concernant les demandes de renseignements en matière d’option ont été, de même, laissées vides.
Le juge de première instance a tiré les conclusions de fait suivantes quant à l’état d’esprit de l’appelant au cours de l’entrevue aux fins d’embauche [à la page 67] :
Monsieur Spinks se rappelle une réunion tenue le 29 mai 1972, au cours de laquelle on lui a présenté la formule d’admissibilité, mais il ne se souvient pas de ce qui a été dit lors de cette réunion. D’après son témoignage, il est arrivé à la réunion en croyant qu’il ne pouvait pas racheter son service accompli en Australie et, lorsqu’il a quitté la réunion, il avait compris de façon très nette qu’il ne pouvait pas racheter son service accompli en Australie. Je suis convaincu que M. Spinks se préoccupait du montant de sa pension future, étant donné qu’il ne serait pas en mesure de travailler assez longtemps chez EACL pour obtenir la pension maximum. Il aurait été intéressant et abordable pour lui de racheter son service accompli en Australie en 1972. J’ai trouvé M. Spinks franc, honnête et crédible. Il est certes très plausible qu’il ne se souvienne pas des détails d’une réunion tenue il y a 22 ans. EACL n’a pas été en mesure de déterminer lesquels de ses employés ont participé à cette réunion.
De même, à l’entrevue, on a donné à l’appelant une brochure intitulée « Votre régime de pension : Une explication de la Loi sur la pension du service public ». La brochure disait qu’elle visait à « familiariser » les nouveaux employés avec la pension de la fonction publique. Sous la rubrique « Comment obtenir le maximum de prestations », la brochure expliquait brièvement la notion de service accompagné d’option.
Chaque année de service continu dans la Fonction publique pour laquelle vous versez des cotisations ordinaires est, évidemment, une année de service ouvrant droit à pension. De plus, si, avant de devenir cotisant en vertu de la loi, vous aviez eu une ou plusieurs périodes d’emploi à plein temps, soit dans la Fonction publique soit auprès d’un autre employeur, vous désirerez peut-être qu’un tel service vous soit crédité aux fins de pension, et il se peut fort bien que vous puissiez le faire.
De telles périodes de service antérieur, si elles sont reconnues en vertu de la loi, sont considérées comme « service accompagné d’option ». Comme le nom l’indique, ce sont des périodes de service pour lesquelles vous pouvez exercer une option spéciale, afin de les compter comme périodes de service ouvrant droit à pension.
Cinq types de service accompagné d’option ont été alors énumérés et décrits. Deux de ceux-ci revêtent de l’intérêt en l’espèce :
1. Service public antérieur
Vous pouvez choisir de compter en somme tout service antérieur dans la Fonction publique pendant lequel vous n’avez pas été cotisant, ou pour lequel des cotisations ont été versées et remboursées par la suite. Les seuls genres de service public antérieur qui ne peuvent être comptés sont certains genres de service à temps partiel, et, à moins que vous n’ayez été cotisant, les périodes de moins de quatre-vingt-dix jours.
…
4. Emploi hors de la Fonction publique
Si vous exerciez antérieurement un emploi auprès d’un employeur qui avait un régime de pension approuvé par le Ministre, vous pouvez être admissible à compter toute fraction de cette période d’emploi pendant laquelle vous étiez assujetti à ce régime de pension. Votre admissibilité à compter cette « période d’emploi ouvrant droit à pension » dépendra de la question à savoir si elles est survenue « immmédiatement avant » ou non, selon la définition que donne la loi. Si cet emploi a pris fin plus de six mois avant votre entrée dans la Fonction publique, il faudrait en faire un examen spécial pour établir si ce service pourrait être considéré comme ayant été « immédiatement avant ».
Encore une fois, il n’est pas clairement fait état d’emploi à l’étranger comme emploi ouvrant droit à pension. Le juge de première instance a accepté le témoignage de l’appelant selon lequel il a lu cette brochure dans sa totalité. Selon cet élément de preuve, l’appelant croyait qu’il ne pouvait pas racheter son service accompli en Australie et, en conséquence, il ne l’a pas fait.
Quatorze ans plus tard, en 1986, l’appelant, qui était alors un employé de longue date de EACL, prenait une pause avec un collègue. Ce dernier était venu d’Angleterre quelques années plus tôt et, à la surprise de l’appelant, il lui a dit qu’il avait racheté certaines de ses années de service en Angleterre. L’appelant, bouleversé de se rendre compte qu’il s’était peut-être mépris pendant tout ce temps au sujet de ses options de pension, s’est renseigné sur ce qu’il lui en coûterait de racheter son service accompli en Australie. On lui a dit que le rachat coûterait 201 697 48 $. Puisqu’il s’agissait d’une grosse somme, l’appelant n’a pas fait d’autres démarches à cette époque.
En 1989, l’appelant a de nouveau soulevé la question d’option avec EACL, prétendant qu’on l’a induit en erreur au sujet de ses options de pension lorsqu’il est arrivé au Canada. La Direction des pensions de retraite a répondu qu’il n’était pas possible de lui permettre de racheter le service antérieur à des taux salariaux antérieurs. L’appelant a alors déféré la question directement au président d’EACL, qui a de même rejeté sa demande de réparation. Dans une note de service datée du 4 février 1991, le président a dit :
[traduction] …La Loi sur la pension de la fonction publique permettrait le rachat de son service à l’époque sur la base de votre traitement pour l’année 1972 uniquement si vous avez reçu « des avis erronés » au moment de votre embauche…« avis erronés » ne comprend pas l’absence d’avis.
L’appelant a alors intenté la présente action pour les deux différents motifs décrits au début.
ANALYSE
I. AVIS ERRONÉS
L’appelant prétend qu’on lui a donné des « avis erronés » selon les dispositions applicables de la Loi sur la pension de la fonction publique. Le paragraphe 42(10) de celle-ci est ainsi rédigé :
42. …
(10) Lorsque, de l’avis du ministre, un contributeur appartient à un groupe de personnes qui, après qu’une ou plusieurs personnes de ce groupe ont eu reçu, de quelqu’un au sein de la fonction publique dont les fonctions ordinaires comprenaient la responsabilité de donner des conseils sur la façon de compter le service selon la présente partie ou la Loi sur la pension de retraite, des renseignements erronés selon lesquels ces personnes ne pouvaient pas compter, aux termes de cette loi, une période de leur service antérieur à l’époque où elles sont devenues des contributeurs sous le régime de cette loi, ont négligé de choisir, aux termes de cette loi, dans le délai prescrit pour le faire, de payer pour ce service, le gouverneur en conseil peut prendre des règlements prescrivant les circonstances et le délai dans lesquels le contributeur peut choisir de payer pour ce service, ainsi que la manière de le faire, de même que les circonstances dans lesquelles, et les conditions, y compris les conditions relatives à l’intérêt, auxquelles tout semblable choix fait par lui de payer pour ce service ou tout choix fait par lui aux termes de l’alinéa 6(1)b) de payer pour ce service à titre de période de service décrite à la division 6(1)b)(iii)(K), sera censé avoir été fait par lui aux termes de la présente loi ou de la Loi sur la pension de retraite, selon le cas, dans le délai prescrit à cette fin par cette loi.
Le paragraphe 17(1) du Règlement sur la pension de la Fonction publique pris en application de ce paragraphe est ainsi conçu :
17. (1) Les dispositions du présent article ne s’appliquent qu’à un contributeur qui, de l’avis du Ministre, relevait d’une catégorie de personnes qui, à la suite d’avis erronés reçus par une ou plusieurs personnes de cette catégorie d’une personne dont les fonctions ordinaires dans la Fonction publique consistaient, entre autres choses, à donner des avis sur l’admissibilité du service en vertu de la Loi ou de la Loi sur la pension de retraite, suivant lesquels une telle personne ne pouvait, en vertu de ladite Loi, faire compter une durée de service accomplie par une telle personne avant l’époque où elle est devenue contributeur en vertu de la Loi, a omis d’exercer une option prévue par ladite Loi dans le délai y prescrit pour l’acquittement dudit service.
Pour se prévaloir de la réparation prévue par ces dispositions, un contributeur doit donc, « de l’avis du Ministre », relever d’une catégorie de personnes qui ont reçu des avis erronés concernant « l’admissibilité du service ». Cette personne doit en outre avoir omis d’exercer une option prévue par la Loi dans le délai y prescrit en raison des avis erronés qu’on lui a donnés.
La principale question soulevée par ces dispositions porte sur le sens de l’expression « avis erronés » et la question de savoir si l’appelant a reçu des avis erronés dans les circonstances de son embauche. Le juge de première instance a convenu avec le ministre que l’expression « avis erronés » s’entend des déclarations inexactes concrètes, et qu’aucune déclaration de ce genre n’a été faite à l’appelant. Il a déclaré [à la page 70] :
…un avis insuffisant ne constitue pas un avis erroné. Il se peut que, dans certaines circonstances, un avis erroné comprenne un avis insuffisant, mais la défenderesse en l’espèce a transmis de l’information au demandeur pour l’aviser qu’il devait demander des renseignements additionnels concernant son service antérieur pour le gouvernement australien. Malgré les arguments de l’avocat du demandeur, je conclus que le fait de lui avoir simplement laissé une impression, quant à sa possibilité de choisir d’obtenir des crédits pour son service accompli en Australie, n’est pas suffisant pour constituer un avis erroné. Il faut qu’une déclaration inexacte ait effectivement été faite ou qu’on infère qu’elle l’a été. Monsieur Spinks n’a formulé aucune allégation à cet effet dans son témoignage. Je ne puis tirer, à partir des faits décrits par M. Spinks concernant la réunion, aucune inférence selon laquelle un employé d’EACL aurait effectivement fait une déclaration inexacte.
Je me permets de dire qu’il s’agissait là d’une erreur de droit. L’expression « avis erronés » ne devrait pas être interprétée de façon si restreinte, surtout dans une loi corrective comme celle dont il s’agit. À mon avis, lorsqu’une partie donne des conseils à une autre partie, l’omission de divulguer des renseignements importants peut être aussi trompeuse qu’une déclaration inexacte effectivement faite. Les renseignements manquants peuvent être tout aussi nuisibles que les renseignements erronés. Les deux types d’avis sont également erronés. Tel est particulièrement le cas lorsque, comme en l’espèce, les renseignements en question sont spécialisés et peuvent facilement être obtenus par le conseiller mais non par la partie conseillée. Dans un tel contexte, un conseiller doit donner des avis compétents, exacts et complets.
Il convient de noter que les agents ministériels ont l’obligation expresse de conseiller les nouveaux employés sur leurs droits quant à la pension. Tout d’abord, le manuel de gestion du personnel donne des instructions très claires sur l’administration de la pension de la fonction publique, et charge particulièrement chaque ministère gouvernemental de :
…conseiller les employés sur toutes les questions touchant les pensions, notamment les options, les cotisations exigées à l’égard d’un congé non rémunéré prolongé, les droits aux prestations et les choix à faire à leur égard, les modifications importantes à la Loi, aux règlements, aux accords réciproques, etc.
De plus, les agents d’EACL ont reçu une formation particulière en matière d’administration des pensions, et l’entrevue aux fins d’embauche a été tenue expressément pour, notamment, aviser les nouveaux employés de leurs options de pension. À mon sens, le mot « avis » utilisé dans la loi consiste à « conseiller » de façon sérieuse, ce qui implique la communication des renseignements importants sur les options de pension à ceux que ces renseignements peuvent raisonnablement toucher. Ce n’est pas là une lourde responsabilité pour les agents du personnel. Il s’agit simplement de faire connaître aux employés leurs options de pension. Les agents devront peut-être poser aux nouveaux employés quelques questions, s’informer des antécédents des interrogés éventuels, et consulter des documents qui leur sont raisonnablement accessibles.
Cette norme minimale de conduite n’a pas été respectée dans les présentes circonstances. Si l’on accepte les conclusions de fait du juge de première instance, on ne peut parvenir à aucune autre conclusion raisonnable. Le juge de première instance a conclu qu’il aurait été intéressant et abordable pour l’appelant de racheter son service accompli en Australie en 1972. Il a également conclu que l’appelant s’était présenté à l’entrevue d’embauche en croyant qu’il ne pouvait racheter son service accompli en Australie, et qu’il avait quitté l’entrevue confirmé dans cette impression. L’agent du personnel responsable disposait des renseignements utiles sur une liste de pensions autorisées. La seule conclusion raisonnable que je puisse tirer de ces faits, conclusion que le juge de première instance n’a pas tirée, c’est que l’agent de dotation n’a pas dit à l’appelant que son statut d’employé antérieur de la fonction publique australienne pouvait être rajusté selon le système des options de pension. Bref, on ne lui a tout simplement pas parlé de ses options de pension, ce sujet étant l’une des principales raisons de la tenue de l’entrevue. On peut dire qu’omettre revient à commettre une erreur. Il a donc été erronément conseillé. Il a reçu des « avis erronés ». Et en raison de ces avis, l’appelant n’a pas fait de choix selon la Loi dans le délai prescrit.
Le ministre devrait donc réexaminer sa décision selon la bonne interprétation de la Loi, exprimée dans les présents motifs, et il devrait exercer sur-le-champ le pouvoir discrétionnaire qu’il tient du paragraphe 17(1) pour déterminer s’il y a lieu de permettre à l’appelant de racheter le service qu’il a accompli en Australie au montant initial de 1972, plus l’intérêt habituel qui serait exigé dans des cas tels que l’espèce lorsque le ministre exerce favorablement son pouvoir discrétionnaire sous le régime du Règlement.
II. DÉCLARATION INEXACTE FAITE PAR NÉGLIGENCE
La seconde question soulevée subsidiairement consiste à savoir si la Couronne encourt une responsabilité délictuelle pour déclaration inexacte faite avec négligence. La responsabilité civile pour déclarations inexactes faites avec négligence a pour la première fois été établie dans l’affaire qui fait date Hedley Byrne & Co., Ltd. v. Heller & Partners Ltd.[3]. Antérieurement à cet arrêt, la responsabilité pour déclaration inexacte était limitée aux circonstances mettant en cause une relation contractuelle ou fiduciaire entre les parties, ou à des situations où la fraude pouvait être prouvée. L’arrêt Hedley Byrne a toutefois changé tout cela en préconisant l’idée que la perte économique découlant de mots irréfléchis peut donner lieu à des dommages-intérêts pour responsabilité délictuelle, indépendamment de toutes circonstances contractuelles, fiduciaires ou frauduleuses.
Cet arrêt a toutefois laissé sans réponse certaines questions. L’une d’elles consiste à savoir si l’obligation qu’il préconisait reposait sur le « principe du prochain » établi dans la décision Donoghue v. Stevenson [[1932] A.C. 562 (H.L.)] ou si elle reposait sur quelque chose d’autre.
Les tribunaux canadiens ont indiqué que l’obligation de diligence à l’égard de ce qu’on dit ressemble beaucoup au principe du prochain, mais avec quelques restrictions additionnelles. Ce point de vue se reflète dans l’arrêt récent de la Cour suprême du Canada Fletcher c. Société d’assurance publique du Canada[4], où le juge Wilson s’est prononcé en ces termes :
Les tribunaux anglais et canadiens ont appliqué le « principe du prochain » à plusieurs types de rapports, dont ceux qui comportent la communication de renseignements. Une jurisprudence abondante permet aujourd’hui d’affirmer que la confiance raisonnable d’une personne dans les renseignements fournis par quelqu’un d’autre peut fonder une obligation de diligence en common law chez celui qui les fournit[5].
En accord avec ce point de vue est l’arrêt Queen c. Cognos Inc.[6], où le juge Iacobucci a résumé de façon décisive la jurisprudence canadienne sur la déclaration inexacte faite avec négligence. Dans cette affaire, il a mis en relief cinq conditions générales qui doivent désormais être remplies avant que la responsabilité ne soit encourue pour déclaration inexacte faite avec négligence.
…(1) il doit y avoir une obligation de diligence fondée sur un « lien spécial » entre l’auteur et le destinataire de la déclaration; (2) la déclaration en question doit être fausse, inexacte ou trompeuse; (3) l’auteur doit avoir agi d’une manière négligente; (4) le destinataire doit s’être fié d’une manière raisonnable à la déclaration inexacte faite par négligence, et (5) le fait que le destinataire s’est fié à la déclaration doit lui être préjudiciable en ce sens qu’il doit avoir subi un préjudice[7].
Je vais tour à tour examiner chacune de ces conditions.
Avant de les aborder, je désire toutefois noter que l’espèce ne soulève pas la question de savoir si l’activité contestée était de nature politique ou opérationnelle[8]. Nous traitons de la manière dont certaines pratiques gouvernementales exposées dans des manuels ministériels ont été mises en œuvre. Ces pratiques étaient de nature opérationnelle et sont assujetties à une évaluation judiciaire. De plus, de nombreuses décisions ont statué qu’un avis négligent donné par un organisme gouvernemental peut donner lieu à une responsabilité délictuelle[9]. Il convient de mentionner également que la Cour ne touchera aux conclusions de fait que lorsqu’il a existé une erreur manifeste et dominante, par exemple lorsque les éléments de preuve ont été méconnus ou très mal interprétés[10]. La Cour peut également tirer ses propres conclusions des faits non contestés lorsque la crédibilité n’est pas en question[11].
A. LES ÉLÉMENTS DE LA RESPONSABILITÉ DÉLICTUELLE POUR DÉCLARATION INEXACTE FAITE AVEC NÉGLIGENCE
1. Obligation de diligence
La Cour doit tout d’abord conclure qu’il existait, dans les circonstances, une obligation de diligence à l’égard du réclamant. Pour conclure à l’existence d’une obligation, il doit exister un « lien spécial » entre les parties. Bien que l’on débatte des éléments de ce lien spécial depuis des années, on reconnaît désormais généralement que la confiance prévisible suffit pour créer un lien spécial dans la plupart des cas[12]. La reconnaissance que la confiance est un facteur clé lorsqu’il s’agit de déterminer si une obligation de diligence existe est une évolution qui tombe à point. Il est maintenant inutile, comme l’a suggéré l’intimée, de revenir à des notions rigides, familières au domaine contractuel, de présomption de responsabilité, d’engagement ou d’intention de s’obliger, qui embrouillaient tellement ce domaine du droit antérieurement à l’arrêt Cognos.
À l’évidence, une obligation de diligence était due à l’appelant dans les présentes circonstances. M. Spinks se fiait complètement à son employeur pour les renseignements en matière de pension dont il avait besoin. Il était un nouvel employé. Il avait besoin de renseignements sur ses droits à la pension avant de pouvoir exercer sagement ses options. L’employeur s’en est rendu compte ou aurait dû s’en rendre compte. M. Spinks n’avait pas ces renseignements et son employeur en disposait. Dans ces circonstances, il a fait confiance à son employeur, cette foi était raisonnable, son employeur l’a prévu ou aurait dû le prévoir et, en conséquence, une obligation de diligence est née.
Le juge de première instance est parvenu à une conclusion différente à cet égard. Il s’est exprimé en ces termes [à la page 72] :
… M. Spinks doit démontrer que l’agent de dotation d’EACL qui lui a fait signer la formule à la réunion avait connaissance du risque de perte économique et qu’il savait que M. Spinks se fiait à ses conseils. Ce n’est qu’à ces conditions qu’une obligation de poser des questions et de donner des conseils lui aurait incombé. Aucun élément de preuve n’établit que l’agent de dotation avait connaissance du risque de perte économique et, par conséquent, aucune obligation de conseiller M. Spinks n’a pris naissance. Monsieur Spinks ne s’est pas fié à la réponse de l’agent de dotation d’EACL avant d’apprendre, en 1989, que l’agent de dotation avait la responsabilité de lui donner des conseils. Aucun élément de preuve n’établit non plus l’acceptation volontaire des responsabilités par l’agent de dotation. Dans la décision 392980 Ontario Ltd. v. Welland (City) (1984), 45 O.R. (2d) 165 (H.C.), le juge Southey affirme, à la page 172, qu’il n’est pas nécessaire que le destinataire des déclarations formule une demande pour que le principe posé par Hedley Byrne s’applique. Toutefois, en l’espèce, la brochure du gouvernement commandait expressément à l’employé de demander des renseignements au bureau du personnel et j’estime qu’il faut donc établir une distinction avec la décision 392980 Ontario Ltd., précitée. L’agent de dotation a la responsabilité de fournir des conseils lorsqu’on lui demande un avis.
Avec égards, je dois dire que ces conclusions sont erronées en droit. L’appelant avait à démontrer, de la part de l’agent de dotation dans ces circonstances, non pas une « connaissance du risque de perte économique », mais seulement une prévision raisonnable de cette perte. Le risque de perte économique était raisonnablement prévisible pour tous. Depuis l’arrêt Cognos, l’appelant n’avait pas non plus à démontrer une « acceptation volontaire de responsabilités » par l’agent de dotation. De plus, l’agent de dotation avait une plus grande responsabilité que celle consistant simplement à conseiller si on le lui demande[13]. Il lui incombait de conseiller de façon compétente et de faire preuve de vigilance en donnant cet avis, qu’il y ait ou non une demande d’avis.
Il existe plusieurs facteurs additionnels qui étayent l’existence d’une obligation en l’espèce. D’abord, l’appelant était un employé de l’intimée. Il lui fallait obtenir de celle-ci certains renseignements dont il avait besoin en tant que nouvel employé. Plusieurs décisions, dont l’arrêt Cognos[14], ont jugé que, dans ces circonstances, l’employeur devait faire preuve de vigilance en fournissant ces renseignements. Dans l’arrêt Cognos, l’appelant a passé une entrevue à la suite d’une possibilité d’emploi. Au cours de l’entrevue, on lui a dit que certains projets seraient au centre de ses responsabilités s’il obtenait le poste, et qu’il était prévu que leur réalisation durerait deux ans ou plus. L’appelant a obtenu le poste. Il a accepté l’offre d’emploi de la compagnie et il a déménagé sa famille à l’autre bout du pays. Peu après avoir assumé son nouvel emploi, il a cependant appris avec inquiétude que, contrairement à l’impression qu’on lui avait donnée à l’entrevue, le financement n’avait pas été approuvé pour les projets pour lesquels il avait été engagé. En fait, ce financement n’a jamais été approuvé. Des difficultés se sont ensuivies, l’appelant a perdu son emploi et il a intenté une action en dommages-intérêts. La Cour suprême du Canada a conclu que la compagnie était tenue à des dommages-intérêts pour déclaration inexacte faite avec négligence à son employé.
L’affaire Cognos laisse entendre qu’une relation employeur-employé donne lieu à un lien spécial qui peut impliquer une responsabilité. Cela s’applique à des contextes où l’employeur transmet des renseignements à l’employé. Les renseignements que l’employé reçoit de son employeur peuvent influer énormément sur les décisions qu’il prendra, et les tribunaux exigent maintenant qu’un employeur agisse avec vigilance dans ces contextes. Le fait que l’employeur est un organisme gouvernemental importe peu. La question essentielle est de savoir si l’employé s’est raisonnablement fié à l’employeur pour les renseignements en question, et si cela était raisonnablement prévisible. Quoi qu’il en soit, que l’employeur soit privé ou public, ce dernier a une obligation de diligence. Cette condition est sensée.
Un autre facteur permettant de conclure à l’existence d’une obligation tient à ce qu’elle résulte d’une politique ministérielle. Le manuel de gestion du personnel, rédigé pour l’administration de la pension de la fonction publique, dit clairement que les ministères gouvernementaux sont chargés de « conseiller les employés sur toutes les questions touchant les pensions, notamment les options ». Donc, l’existence de la procédure d’entrevue aux fins d’embauche étaye également la conclusion que l’obligation de transmettre avec soin des renseignements existait. Cette procédure visait notamment à informer les employés de leurs options à l’égard de leur pension. C’était là précisément l’une des fonctions de l’agent de dotation. N’importe qui pouvait prédire que si de mauvais avis étaient donnés, des conséquences financières néfastes pourraient s’ensuivre. Je note en outre que les renseignements se rapportant à la situation de l’appelant étaient de façon unique en la possession de l’agent de dotation, et que l’employé ne pouvait se les procurer facilement. La brochure sur la pension de retraite qui a été distribuée laisse également entendre que l’obligation de diligence existait[15]. De même, les directives figurant sur la formule d’admissibilité, dont l’une dit expressément que « L’AGENT DU PERSONNEL DOIT VEILLER À CE QUE LES RENSEIGNEMENTS SOIENT FOURNIS EN ENTIER ET AVEC EXACTITUDE », indiquent l’existence d’une obligation de diligence.
Chacun de ces facteurs—la prévision raisonnable de la confiance témoignée, la relation d’emploi, le manuel de gestion du personnel, l’existence de l’entrevue aux fins d’embauche, la brochure sur la pension de retraite et les directives à l’égard de la pension qui figurent sur la formule d’admissibilité à la pension—laisse entendre qu’il existait une obligation de diligence dans les circonstances, et qu’un employé pouvait raisonnablement s’attendre à ce que l’employeur lui donne des renseignements exacts et entiers.
2. Déclaration fausse, inexacte ou trompeuse
La seconde condition est que la déclaration doit être fausse, inexacte ou trompeuse. Le juge de première instance a conclu qu’aucune déclaration trompeuse n’avait été faite à l’appelant. Il a fait cette remarque [à la page 73] :
[J]’estime que ni EACL ni son agent de dotation n’ont fait de déclaration trompeuse. Tout ce qu’on peut affirmer au sujet de la réunion et de la formule d’admissibilité, c’est qu’elles ont renforcé l’impression qu’avait M. Spinks qu’il ne pouvait exercer un choix relativement à son service dans la fonction publique de l’Australie.
J’estime avec égards que ces conclusions sont erronées en droit. Une personne peut être « induite en erreur » tant par l’omission de divulguer que par des avis inexacts ou faux. De même que l’absence de renseignements peut être assimilable à des renseignements « erronés », comme il a été discuté ci-dessus, des renseignements manquants peuvent être trompeurs. Dans l’arrêt Fletcher, le juge Wilson a tenu un assureur public pour responsable de ce qu’il a insuffisamment avisé le demandeur des options d’assurance disponibles. Elle a déclaré :
L’obligation de l’assureur est de fournir à ses clients des renseignements suffisamment opportuns, clairs et exacts au sujet des diverses protections facultatives disponibles pour qu’ils puissent faire des choix éclairés quant aux risques contre lesquels ils veulent s’assurer, en plus de ceux contre lesquels la loi les oblige à le faire[16].
Le juge Wilson a alors conclu que le message de l’assureur « n’était pas assez clair[17] » pour le décharger de son obligation de diligence. Elle s’est prononcée en ces termes :
Je conclus donc que la Société a manqué à son obligation envers les appelants. Les actions et les omissions de la Société ont d’abord privé M. Fletcher des renseignements utiles et, comme il a été par la suite induit en erreur par le formulaire de renouvellement et le prospectus, il n’a jamais été en mesure de faire un choix éclairé quant à cette protection facultative[18].
En conséquence, l’obligation peut être violée non seulement par des déclarations inexactes effectivement faites, mais aussi par des omissions, car celles-ci peuvent être tout aussi trompeuses.
Ce point de vue trouve un écho dans l’arrêt Cognos, où se posait notamment la question de savoir si une déclaration « implicite » pouvait donner lieu à des dommages-intérêts pour responsabilité délictuelle. La déclaration considérée « implicite » était que le financement du projet était assuré. L’employeur n’abordait pas ce sujet. Autrement dit, l’affaire portait sur la question de savoir si l’omission de transmettre un renseignement important—le financement du projet—pouvait entraîner la responsabilité. Le juge Iacobucci a décidé que tel était le cas, et il s’est livré à cette analyse :
À mon avis, il est préférable d’adopter une attitude plus souple à cet égard. Il est arbitraire et prématuré de déclarer qu’en règle générale il faut au moins une déclaration expresse ou directe, selon la doctrine énoncée dans Hedley Byrne. Il y a sans doute des cas comme celui-ci où les circonstances sont telles que la façon de qualifier la déclaration importe peu, ou n’importe pas du tout, et où il serait injuste de refuser un redressement simplement parce que la déclaration sur laquelle on s’appuie est jugée implicite plutôt qu’expresse. Il est inutile d’énoncer en détail les circonstances dans lesquelles des déclarations dites implicites peuvent suffire pour soutenir une action en responsabilité délictuelle fondée sur une déclaration inexacte faite par négligence. Je préfère laisser cette tâche au juge des faits, qui examine des situations de fait précises[19].
Dans les circonstances actuelles, on pouvait dire qu’il était sous-entendu qu’il n’existait pas de droit de rachat. Le juge de première instance a conclu que l’appelant était arrivé à l’entrevue aux fins d’embauche et l’avait quittée en croyant qu’il ne pouvait racheter son service accompli en Australie. La seule conclusion de fait raisonnable qu’on puisse tirer de ces constatations, c’est qu’on n’avait pas parlé à l’appelant de ses options, sinon il aurait exercé son droit de racheter son service accompli en Australie. L’agent de dotation d’EACL a omis de divulguer un renseignement important, et cette omission a induit l’appelant en erreur. L’avis était donc trompeur et a mal exposé les options qui s’offraient à l’appelant. La formule d’admissibilité relative à l’administration de la pension, en mentionnant expressément dans la partie « emplois occupés » d’autres formes d’emploi sans inclure les emplois auprès du gouvernement d’un autre pays, pouvait seulement lui faire croire que ces emplois ne constituaient pas des emplois antérieurs admissibles. En outre, la brochure remise à l’appelant ne parlait pas de la possibilité pour lui de racheter son service accompli en Australie, ce qui était possible depuis 1955. Les renseignements que l’appelant a reçus de son employeur constituaient donc une déclaration inexacte trompeuse.
3. Norme de diligence
La troisième condition dit simplement que le défendeur doit avoir agi de façon négligente en faisant la déclaration inexacte. Autrement dit, le défendeur doit avoir violé la norme de diligence requise dans ce contexte—celle d’une personne raisonnable. La norme de diligence applicable à ces cas a été discutée par le juge Iacobucci dans l’arrêt Cognos. Il a fait cette remarque :
La norme de diligence applicable devrait être celle qui est utilisée dans toute affaire de négligence, à savoir celle universellement reconnue, quoique hypothétique, de la « personne raisonnable ». La norme de diligence requise d’une personne qui fait des déclarations est objective[20].
Dans le présent contexte, l’employeur défendeur aurait dû percevoir et apprécier les risques auxquels il exposait le demandeur en l’informant incorrectement de ses options de pension. En fait, l’employeur était peut-être la seule partie à pouvoir apprécier ces risques. D’abord, les renseignements concernant les options de pension ne sont pas de ceux auxquels l’employé moyen peut aisément avoir accès. Et lorsque l’employé appartient à une catégorie spéciale relativement à ces options, les renseignements deviennent naturellement encore moins accessibles.
Les besoins uniques de l’appelant auraient dû être reconnus par son employeur et l’agent de dotation. La formule d’administration de la pension a partiellement été remplie par l’employeur, qui connaissait l’expérience de travail antérieure de l’appelant. L’appelant parle toujours avec un accent australien et il l’a sûrement fait en 1972. L’agent de dotation aurait dû se rendre compte de la nécessité d’informer l’appelant de ses droits en tant qu’ancien employé du gouvernement australien. L’agent disposait de ces données qui se trouvaient sur la liste autorisée par le ministre. L’omission d’informer a violé la norme de diligence dans les circonstances. La norme appliquée s’est située au-dessous de celle qu’aurait appliqué une personne raisonnable.
Je pourrais insister sur le fait que la norme de diligence en l’espèce est celle qu’on attend raisonnablement d’un agent de dotation dans les circonstances. Je ne suggère pas que l’omission de divulguer chaque renseignement non pertinent et ésotérique viole la norme de diligence. La responsabilité d’un conseiller ne consiste pas dans une divulgation complète ou parfaite. On n’a pas à mentionner les futilités. L’obligation est plutôt celle de divulgation raisonnable, et ce qui est raisonnable varie selon les circonstances. La simple omission de divulguer n’est qu’un facteur parmi tant d’autres dont il faut tenir compte pour décider s’il y a eu négligence. Ce point de vue a été confirmé dans l’arrêt Cognos, où le juge Iacobucci a tenu les propos suivants :
Il existe de nombreux arrêts dans lesquels l’omission de divulguer des renseignements très pertinents a été prise en considération lorsqu’il s’est agi de déterminer si une déclaration inexacte avait été faite par négligence[21].
Ainsi donc, lorsqu’un conseiller qui possède ou peut obtenir facilement des renseignements importants et pertinents omet de les divulguer dans des circonstances où on s’attend raisonnablement à ce qu’il y ait perte économique, la norme de diligence est violée. L’une des principales questions posées en l’espèce est de savoir si le fournisseur de renseignements aurait dû savoir que les renseignements donnés ou retenus étaient trompeurs. Le juge Strayer (tel était alors son titre) a, au sujet de la question de savoir si la défenderesse et ses fonctionnaires avaient la compétence nécessaire pour décrire clairement la situation en l’espèce, donné l’explication suivante dans l’affaire Rothwell c. R.[22] :
Cette fausse déclaration résulte clairement de la négligence de la défenderesse et de ses fonctionnaires puisque ceux-ci auraient été facilement en mesure de décrire clairement la situation. Il était également à prévoir que les renseignements fournis au cotisant induiraient celui-ci en erreur. Et même si la défenderesse soutient qu’il appartenait au demandeur d’obtenir des explications, il me semble que le sens attribué par le demandeur à ces renseignements paraissait suffisamment clair pour que celui-ci soit fondé à croire qu’il avait bien compris[23].
J’estime qu’en l’espèce, il était parfaitement possible pour l’intimée, sans trop d’effort et de réflexion, de décrire clairement la situation concernant les options de pension de l’appelant. Elle ne l’a pas fait. Cette omission constituait donc une négligence.
4. Confiance raisonnable
La quatrième condition est que le demandeur doit s’être raisonnablement fié à la déclaration. Il s’agit simplement de la condition universelle de la preuve de causalité dans les affaires de négligence, car, sans lien causal, il n’y a pas lieu à imposition d’une responsabilité[24]. En abordant cette question, le juge de première instance a conclu que la preuve n’étayait pas la conclusion que le demandeur s’était fié à la défenderesse. Il a déclaré [à la page 75] :
Je constate également que M. Spinks n’a pas témoigné du fait qu’il se serait fié à l’avis donné par l’agent de dotation lors de la réunion de 1972; ce n’est qu’en 1989 qu’il a appris qu’il avait droit à des avis, de sorte qu’il ne peut affirmer rétroactivement s’être fié à l’agent du personnel.
Avec égards, j’estime que le juge de première instance a mal interprété la preuve afférente à la situation de l’appelant. Examinant l’ensemble de la preuve, on ne saurait éviter de conclure que l’appelant s’est clairement fié à son employeur pour les renseignements en matière de pension qui se trouvaient uniquement en la possession de celui-ci. Il s’en est également remis au processus d’administration des pensions établi par l’employeur pour l’informer de ses options, et pour exercer un degré raisonnable de diligence en le faisant. Il doit avoir été évident à tous que le nouvel employé était à la merci de l’employeur quant aux renseignements sur les droits à la pension. Aucune autre conclusion ne pouvait être tirée dans ces circonstances. Ce recours, à mon avis, était raisonnable.
Je ne souscris pas à la prétention que, dans ces circonstances, il incombait à l’appelant de se renseigner pour savoir s’il pouvait racheter sa pension australienne. L’appelant se trouvait dans une situation unique, et ce caractère unique même alimentait l’obligation de l’intimée d’informer l’appelant de ses ramifications possibles. À mon avis, on ne peut s’attendre à ce qu’un employé sache que son emploi dans un autre pays pouvait être compté en vue d’une pension canadienne. Les documents qu’il a reçus n’y faisaient nullement allusion. En fait, ils laissaient entendre le contraire. Peu d’employés, s’il en est, qui se trouvent dans une situation semblable sauraient même poser les questions appropriées pour obtenir les renseignements qui se rapportent à leurs circonstances. Suggérer autrement reviendrait à attribuer une connaissance hautement spécialisée aux employés immigrants et, effectivement, à relever les agents de dotation de leur obligation d’informer ces nouveaux employés.
5. Le préjudice subi
La dernière condition est que le préjudice ait été subi. Il ne peut y avoir de responsabilité pour négligence à moins que le demandeur ait subi une perte en conséquence. En l’espèce, en raison de la situation inhabituelle, aucun préjudice ne s’est encore matérialisé. Le ministre est toujours en mesure de donner une réparation sous le régime des dispositions législatives précitées. Si le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire pour déclarer que l’appelant relève de la catégorie de personnes à qui des avis erronés ont été donnés, et lui donne le droit de racheter sa pension au prix initial, aucun préjudice n’aura eu lieu, et la présente action en responsabilité délictuelle échouera. S’il n’exerce toutefois pas ce droit dans un délai raisonnable, le préjudice surviendra et la présente action en responsabilité délictuelle aboutira.
B. FAUTE PARTAGÉE
L’avocat de l’intimée soutient que s’il y avait responsabilité délictuelle pour déclaration inexacte faite avec négligence, la Cour devrait conclure également que l’appelant y était pour quelque chose. Certes, il est maintenant établi que l’on peut invoquer la faute partagée dans des cas comme l’espèce, en tant que défense partielle contre la responsabilité[25], mais je ne crois pas que ce soit le cas ici. Les renseignements en question en l’espèce étaient d’une nature très spécialisée. Rien dans la formule d’admissibilité, ni dans l’entrevue, ni dans la brochure sur la pension donnée à l’appelant ne laissait entendre que son service antérieur en Australie pouvait de quelque façon avoir droit de citer dans le régime canadien. On comprend qu’il se soit totalement fié à l’employeur pour l’en informer. Il était à la merci de l’employeur. Il n’avait aucune raison de prêter des intentions à l’employeur. Je ne suis donc pas convaincu que, dans les circonstances, l’appelant ne se soit pas occupé de ses propres intérêts, ni qu’il ait été négligent. Mon point de vue se trouve étayé par trois affaires citées à l’intention de la Cour[26]. Dans l’arrêt Campbell précité, il a été jugé qu’il n’y avait pas eu négligence de la part du demandeur pour s’être fié à la partie conseillère, car il n’avait [traduction) « aucune raison de se préoccuper de ce que l’employé du Fonds ne donnerait pas ou ne pourrait donner de renseignements exacts ». De même, en l’espèce, « il n’y avait aucune raison de se préoccuper » de ce que l’agent de dotation ne donnerait pas de renseignements exacts. Dans l’arrêt Lehune précité, le juge de première instance a conclu qu’il y avait eu négligence de la part du demandeur, mais cette décision a été infirmée en appel en raison du [traduction] « lien spécial » entre les parties. En l’espèce aussi, il existait un lien spécial, celui d’employeur-employé, qui permettrait au demandeur de se fier raisonnablement aux renseignements reçus. Dans l’arrêt Rothwell précité, le juge Strayer a conclu que l’employeur défendeur était responsable pour avoir, de façon négligente, présenté sous un faux jour certaines conditions attachées à la pension posées dans la même loi que celle qui nous occupe en l’espèce. En tranchant l’affaire, le juge Strayer a dit que la déclaration avait induit le demandeur en erreur, et qu’il n’incombait pas à ce dernier de demander des éclaircissements. Il s’est exprimé en ces termes [à la page 282] :
Et même si la défenderesse soutient qu’il appartenait au demandeur d’obtenir des explications, il me semble que le sens attribué par le demandeur à ces renseignements paraissait suffisamment clair pour que celui-ci soit fondé à croire qu’il avait bien compris.
Bien que les faits de l’affaire Rothwell ne soient pas identiques à ceux de l’espèce, les propos du juge Strayer s’appliquent en l’espèce. À mon avis, il n’incombait pas à l’appelant d’obtenir des explications. Il ignorait totalement ses droits à la pension. Il était parfaitement fondé à se fier à son employeur, qui aurait dû l’informer de ces droits. Il n’y avait pas eu négligence de la part de l’appelant.
C. PRESCRIPTION
Un autre argument invoqué par l’avocat de l’intimée porte sur le délai de prescription. Une action en responsabilité délictuelle, découlant de l’action principale, peut être intentée seulement dans un délai de six ans suivant la date à laquelle le préjudice a été découvert ou aurait raisonnablement dû l’être. Comme je l’ai indiqué ci-dessus, aucun dommage définitif n’a encore eu lieu en l’espèce, puisque tout peut encore être réparé si le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire. Si le ministre ne choisit pas d’exercer favorablement son pouvoir discrétionnaire dans un délai raisonnable, le préjudice surviendra et le délai de prescription commencerait à courir.
D. ÉVALUATION DES DOMMAGES-INTÉRÊTS
Au cas où le ministre n’exercerait pas son pouvoir discrétionnaire, et que l’action en responsabilité délictuelle aboutirait, les dommages-intérêts pourraient être comptés selon les principes énoncés par le juge de première instance [à la page 76] :
Je dois déterminer le nombre d’années de service accompli en Australie que le demandeur aurait rachetées en 1972. Monsieur Spinks a témoigné être sûr qu’il aurait pu racheter au moins 13 années de service car le montant en cause aurait été déductible d’impôt et dans la limite de ses moyens à l’époque. Par conséquent, les dommages-intérêts devraient être calculés en fonction de la différence entre le coût de 13 années de service rachetées le 30 avril 1986 et le coût de 13 années de service rachetées en 1972. Si le demandeur avait racheté 13 années de service en 1972, il aurait pu obtenir une pension maximum après avoir travaillé pendant 22 ans pour EACL, soit jusqu’au 31 mai 1994. En conséquence, le demandeur devrait avoir droit à une indemnité pour le montant qu’il a versé au régime de pension au cours des sept mois qui ont suivi. Toutefois, les dommages-intérêts devraient être réduits pour tenir compte de l’avantage que le demandeur a tiré de l’utilisation de ces fonds entre 1972 et 1986. Le taux d’intérêt fixé sous le régime du par. 7(2) de la LPFP s’élève à 4 p. 100. Comme il est impossible de retracer ces fonds, il faudrait porter au crédit de la défenderesse des intérêts de 4 p. 100 sur un montant mensuel de 125 $, représentant le revenu additionnel dont le demandeur a profité du fait qu’il n’a pas racheté son service accompli en Australie en 1972.
III. DÉCISION
L’appel fondé sur l’argument prévu par la loi sera accueilli, et l’affaire renvoyée au ministre pour qu’il exerce le pouvoir discrétionnaire qu’il tient du paragraphe 17(1) du Règlement et prenne une nouvelle décision conforme aux présents motifs. Si le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire en faveur de l’appelant, ce dernier n’aura subi aucun préjudice et l’appel fondé sur la responsabilité délictuelle sera rejeté.
Si le ministre ne prend pas de décision favorable dans les soixante jours de la date du présent jugement, il sera réputé avoir refusé de le faire, et la perte sera alors subie par l’appelant. Dans ce cas, l’appel fondé sur la question de la déclaration inexacte faite avec négligence sera accueilli, l’action en responsabilité délictuelle aboutira et des dommages-intérêts seront accordés selon la formule établie par le juge de première instance dans ses motifs datés du 16 janvier 1995. Les dépens du présent appel suivront l’issue de la cause.
Le juge Strayer, J.C.A. : Je souscris aux motifs ci-dessus.
Le juge McDonald, J.C.A. : Je souscris aux motifs ci-dessus.
[1] L.R.C. (1985), ch. P-36.
[2] C.R.C., ch. 1358.
[3] Hedley Byrne & Co., Ltd. v. Heller & Partners Ltd., [1963] 2 All E.R. 575 (H.L.).
[4] Fletcher c. Société d’assurance publique du Manitoba, [1990] 3 R.C.S. 191, le juge Wilson.
[5] Ibid., à la p. 209.
[6] Queen c. Cognos Inc., [1993] 1 R.C.S. 87.
[7] Ibid., à la p. 110.
[8] Voir Just c. Colombie-Britannique, [1989] 2 R.C.S. 1228.
[9] Voir, par exemple, l’affaire Couture c. La Reine, [1972] C.F. 1137 (1re inst.); confirmé par (1974), 2 N.R. 494 (C.A.F.) dans laquelle, un agent de la Couronne avait faussement avisé que le demandeur était autorisé à exploiter une station de radio; Ministry of Housing and Local Government v. Sharp, [1970] 1 All ER 1009 (C.A.); Windsor Motors Ltd. v. District of Powell River (1969), 4 D.L.R. (3d) 155 (C.A.C.-B.); Gadutsis et al. v. Milne et al., [1973] 2 O.R. 503 (H.C.).
[10] Voir Stein et autres c. « Kathy K » et autres (Le navire), [1976] 2 R.C.S. 802.
[11] Voir Merban Capital Corp. c. Ministre du Revenu national, [1989] 2 C.T.C. 246 (C.A.F.); Swiss Bank Corp. c. Air Canada, [1988] 1 C.F. 71(1re inst.).
[12] Fletcher, précité, à la p. 212; Cognos, précité, à la p. 116.
[13] Voir Rothwell c. R. (1985), 10 C.C.E.L. 276 (C.F. 1re inst.), le juge Strayer; 392980 Ontario Ltd. v. City of Welland et al. (1984), 45 O.R. (2d) 165 (H.C.).
[14] Précité. Voir également Campbell v. Teachers’ Retirement Fund (Alta.) (1993), 147 A.R. 185 (B.R.); Lehune v. Kelowna (City), [1993] B.C.J. no 2451 (C.S.); confirmé mais modifié par (1994), 98 B.C.L.R. (2d) 135 (C.A.).
[15] Voir Sirois and Therrien v. New Brunswick Teachers Federation (N.B.T.F.) and L’Association des Enseignants Francophones du Nouveau Brunswick (A.E.F.N.B.) (1984), 56 N.B.R. (2d) 50 (B.R.).
[16] Fletcher, précité, à la p. 224.
[17] Ibid., à la p. 225.
[18] Ibid., à la p. 226.
[19] Cognos, précité, à la p. 131.
[20] Cognos, précité, à la p. 121.
[21] Cognos, précité, à la p. 123.
[22] Rothwell c. R. (1985), 10 C.C.E.L. 276 (C.F. 1re inst.).
[23] Ibid., à la p. 282.
[24] Voir de façon générale Weinrib, Ernest Joseph, The Idea of Private Law Cambridge, Mass. : Harvard Univ. Press, 1995.
[25] Voir Sirois and Therrien v. New Brunswick Teachers Federation (N.B.T.F.) and L’Association des Enseignants Francophones du Nouveau Brunswick (A.E.F.N.B.) (1984), 56 N.B.R. (2d) 50 (B.R.).
[26] Voir Rothwell c. R. (1985), 10 C.C.E.L. 276 (C.F. 1re inst.), le juge Strayer; Campbell v. Teacher’s Retirement Fund (Alta.) (1993), 147 A.R. 185 (B.R.); Lehune v. Kelowna (City), [1993] B.C.J. no 2451 (C.S.); décision modifiée portant qu’il n’y a pas eu faute partagée (1994), 98 B.C.L.R. (2d) 135 (C.A.). Voir également Cognos précité, où la question n’a pas été soulevée.