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[1996] 1 C.F. 404

T-2754-94

Trans-Continental Textile Recycling Ltd. (demanderesse)

c.

Partenreederei n.m. Erato, Flairius Enterprises S.A., Mediterranean Shipping Co. S.A., Société Ivoirienne de Transport Maritime, les propriétaires et toutes autres personnes ayant un droit sur les navires Erato II et MSC Giovanna (défendeurs)

Répertorié : Trans-Continental Textile Recycling Ltd. c. Erato (Le) (1re inst.)

Section de première instance, protonotaire Hargrave — Vancouver, 6 et 9 novembre 1995.

Pratique Suspension d’instance Demande de suspension des procédures en application de l’art. 50 de la Loi sur la Cour fédéraleLe connaissement prévoit que les litiges relatifs à la cargaison transportée aux É.-U. ou en provenant relèvent de la compétence exclusive de la Cour de district américaineLes marchandises ont été envoyées par voie de terre de Vancouver à Baltimore, puis transportées par mer à Anvers, où elles ont été placées dans un nouveau conteneur pour être acheminées au Ghana, y arrivant avec des pièces manquantes et des dégâts1) La clause de compétence s’appliqueIl n’existe aucune ambiguïté quant au tribunal nommé par le propriétaireContrat conclu avec le transporteur pour transport par mer à partir des É.-U. et visé par la clause de compétenceLa clause de compétence n’est pas ambiguë2) Le pouvoir discrétionnaire de refuser une suspension, vu la clause de compétence, ne devrait pas être exercé à moins qu’il n’existe un motif impérieux de le faire3) Bien que d’importants frais puissent être adjugés devant la Cour fédérale, et non devant la Cour de district de New York, la question porte simplement sur la prépondérance des inconvénients; il n’existe pas suffisamment de motifs pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire en vue de refuser une suspensionLa prépondérance des inconvénients ne favorise ni Vancouver ni New York4) Les défendeurs ont acquiescé à la compétence en déposant leur défense, en produisant un projet de liste de documents, en ne s’opposant à la compétence que neuf mois plus tard.

Il s’agit d’une demande de suspension des procédures en application de l’article 50 de la Loi sur la Cour fédérale, qui permet à la Cour, à sa discrétion, de suspendre les procédures soit lorsque la demande est en instance devant un autre tribunal, soit lorsque, pour quelque autre raison, l’intérêt de la justice l’exige. Les marchandises ont été envoyées par voie de terre de Vancouver à Baltimore, puis transportées par mer à Anvers, où elles ont été placées dans un nouveau conteneur pour être acheminées au Ghana, y arrivant avec des pièces manquantes et des dégâts. La clause 2 du connaissement prévoit que les litiges relatifs à la cargaison transportée aux États-Unis ou en provenant doivent relever de la compétence unique de la Cour de district américaine, District sud de New York, et le droit américain s’applique. La clause 3 prévoit que le transporteur prendra, à titre de mandataire de l’expéditeur, des dispositions pour le transport de la cargaison par d’autres transporteurs à partir du point d’origine au port de chargement ou à partir du port de déchargement jusqu’au lieu de destination, ou prendre ces deux mesures à la fois et que, au cours de ce transport direct, la manipulation et l’emmagasinage des marchandises feront l’objet des contrats d’affrètement et des tarifs des autres transporteurs. En vertu de la clause 17, la loi américaine dite Carriage of Goods by Sea Act s’applique avant le chargement et après le déchargement, aussi longtemps que les marchandises demeureront sous la garde et le contrôle réels du transporteur. La disposition attributive de prépondérance prévoit l’application de cette loi lorsque des marchandises sont expédiées à partir des États-Unis. La demande de suspension n’a été faite que neuf mois après que la défense eut été déposée.

Il s’agit de savoir 1) si la clause de compétence s’applique; 2) si la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder une suspension; 3) si la prépondérance des inconvénients favorise le Canada et 4) si les défendeurs ont acquiescé à la compétence de la Cour.

Jugement : la demande doit être rejetée.

Les défendeurs ont établi l’existence d’une cause prima facie en vue d’une suspension fondée sur l’obligation contractuelle figurant dans le connaissement, celle de saisir la cour de district de New York de tous litiges. Il incombe alors à la demanderesse de prouver qu’il existe des circonstances spéciales en raison desquelles la justice exige que le procès ait lieu devant la Cour fédérale du Canada.

1) La clause de compétence s’applique. i) Il n’existe certes pas d’ambiguïté quant au tribunal nommé par le propriétaire. ii) En vertu de la clause 3, la partie terrestre du transport a été arrangée par le transporteur maritime en tant que mandataire de l’expéditeur. Ainsi donc, le contrat de transport par terre est distinct et lie l’expéditeur et le voiturier par terre. Le transport assuré par le transporteur maritime a été effectué à partir de la Côte est américaine et relève donc de la clause de compétence même si la cargaison provenait de Vancouver. iii) La clause de compétence n’est pas ambiguë. Le transporteur maritime agit à titre de mandataire de l’expéditeur en prenant des dispositions pour d’autres parties du transport jusqu’au port de chargement. Le recto du connaissement porte clairement sur le transport direct, déterminant un port américain, Baltimore, comme port de chargement. En dernier lieu, la clause 17 fait clairement état, en raison de la disposition attributive de prépondérance, de la loi américaine dite Carriage of Goods by Sea Act.

2) Le pouvoir discrétionnaire de refuser une suspension, vu la clause de compétence, ne devrait pas être exercé à moins qu’il n’existe un motif impérieux de le faire.

3) Lors même que la partie qui a gain de cause pourrait se voir adjuger d’importants frais devant la Cour fédérale, mais rien devant la Cour de district de New York, l’espèce relève de la catégorie de la « simple prépondérance des inconvénients ». La Cour n’est pas disposée à exercer son pouvoir discrétionnaire pour refuser d’accorder une suspension sur ce seul fondement. Ni Vancouver ni New York ne convient plus que l’autre au point de fournir un motif impérieux de passer outre à la clause de compétence.

4) Tout indique que les défendeurs ont acquiescé à la compétence. Ils n’ont pas expliqué pourquoi ils ont attendu neuf mois après avoir déposé leur défense avant d’invoquer la clause de compétence. En déposant une défense, en produisant un projet de liste de documents sans s’opposer à la compétence et en avisant la demanderesse qu’ils contesterait la compétence seulement neuf mois après le dépôt de la défense, les défendeurs ont laissé s’écouler trop de temps pour demander une suspension fondée sur ce motif.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Carriage of Goods by Sea Act, 46 U.S.C. App. § 1300 (1988).

Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10, art. 50.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 50.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, tarif B (mod. par DORS/95-282, art. 5).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Burrard-Yarrows Corp. c. Le Hoegh Merchant, [1982] 1 C.F. 248(1re inst.); Navire Seapearl M/V c. Seven Seas Dry Cargo Shipping Corporation de Santiago (Chili), [1983] 2 C.F. 161 (1982), 139 D.L.R. (3d) 669; 43 N.R. 517 (C.A.); Eleftheria, The, [1969] 1 LLoyd’s Rep. 237 (Adm.); Ultramar Canada c. Lineas Asmar S.A., [1989] F.C.J. no 242 (C.A.) (QL); Oulton v. Radcliffe (1874), L.R. 9 C.P. 189 (C.A.); Fry v. Moore (1889), 23 Q.B.D. 395 (C.A.); May (A.S.) & Co. Ltd. v. Robert Reford Co. Ltd., [1969] 2 O.R. 611; (1969), 6 D.L.R. (3d) 288 (H.C.); Catalyst Research Corp. c. Medtronic, Inc., [1981] 2 C.F. 620 (1981), 120 D.L.R. (3d) 159; 55 C.P.R. (2d) 85 (1re inst.); conf. par [1982] 2 C.F. 657 (1982), 131 D.L.R. (3d) 767; 61 C.P.R. (2d) 91 (C.A.); Vallorbe Shipping Co. S.A. c. Le N.M. Tropwave, [1975] C.F. 595 (1re inst.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Ardennes, The (1950), 84 Ll.L.Rep. 340 (K.B.); Vishva Ajay, The, [1989] 2 Lloyd’s Rep. 558 (Q.B.).

DÉCISIONS CITÉES :

Mountainbell Co. Ltd. et al. c. W.T.C. Air Freight (H.K.) Ltd. et al. (1988), 20 F.T.R. 57 (C.F.1re inst.); El Amria, The, [1981] 2 LLoyd’s Rep. 119 (C.A.); Spiliada, The, [1987] 1 Lloyd’s Rep. 1 (H.L.); Nile Rhapsody, The, [1992] 2 Lloyd’s Rep. 399 (Q.B.).

DOCTRINE

Tetley, William. Marine Cargo Claims, 3rd ed. Montréal : Y. Blais, 1988.

DEMANDE de suspension d’instance, en application de l’article 50 de la Loi sur la Cour fédérale, fondée sur une clause figurant dans le connaissement qui exigeait que les litiges relatifs à la cargaison transportée aux É.-U. ou en provenant soient entendus par la Cour de district américaine. Demande rejetée.

AVOCATS :

Christopher Giaschi pour la demanderesse.

Peter G. Bernard pour les défendeurs.

PROCUREURS :

McEwen, Schmitt, Vancouver, pour la demanderesse.

Campney & Murphy, Vancouver, pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le protonotaire Hargrave : La présente requête, introduite par les défenderesses Flairius Enterprises S.A. et Mediterranean Shipping Co. S.A., en suspension des présentes procédures qui, selon elles, devraient être entendues par la Cour de district américaine, district sud de New York (la Cour de district de New York), découle d’une clause de compétence figurant dans un connaissement établi à Vancouver, en date du 30 novembre 1993, concernant un conteneur de vêtements usagés. Les marchandises ont été envoyées par voie de terre de Vancouver à Baltimore, puis transportées par le MSC Giovanna à Anvers, où elles ont été placées dans un nouveau conteneur pour être acheminées au Ghana, y arrivant avec des pièces manquantes et des dégâts.

LES DISPOSITIONS APPLICABLES DU CONNAISSEMENT

Les parties ont fait affaire ensemble dans le passé, de sorte que la demanderesse serait considérée comme étant au fait du connaissement. La clause 2 figurant au verso du connaissement se lit notamment :

[traduction] DROIT ET COMPÉTENCE. Les réclamations et les litiges nés du présent connaissement ou relativement à celui-ci doivent être déférés à la Haute Cour de justice de Londres ou à une autre instance que le transporteur, à sa discrétion, désignera. Le droit anglais s’applique, à moins qu’une autre loi ne soit d’application obligatoire, sauf que les réclamations et les litiges relatifs à la cargaison transportée aux États-Unis ou en provenant doivent relever de la compétence unique des É.-U., c’est-à-dire de la Cour de district américaine, District sud de New York, et le droit américain s’applique. [C’est moi qui souligne.]

La clause 3 du connaissement porte en partie sur les détails à insérer dans les cases relatives au transport direct, lesquelles figurent au recto du connaissement, et sur les dispositions prises en vue d’un moyen de transport autre que le transport maritime offert par le transporteur :

[traduction] Si les cases 5 ou 6 ou les deux sont remplies, le transporteur prendra, à titre de mandataire de l’expéditeur, des dispositions pour le transport de la cargaison par d’autres transporteurs seulement à partir du point d’origine au port de chargement ou à partir du port de déchargement jusqu’au lieu de destination, ou prendre ces deux mesures à la fois, et, au cours de ces parties de transport direct, la manipulation et l’emmagasinage des marchandises feront l’objet des contrats d’affrètement et des tarifs des autres transporteurs.

Dans le contexte de la compétence, une partie de la clause 17 est également pertinente :

[traduction] Si les marchandises sont expédiées des États-Unis, la loi américaine Carriage of Goods by Sea s’applique avant le chargement et après le déchargement aussi longtemps qu’elles demeureront sous la garde et le contrôle réels du transporteur.

Il en est ainsi de la disposition attributive de prépondérance, qui prévoit l’application de l’American Carriage of Goods by Sea Act [46 U.S.C. App. § 1300 (1988)], lorsque des marchandises sont expédiées à partir des États-Unis. Il s’agit là du type même du connaissement de transport combiné.

ÉTAT ACTUEL DES PROCÉDURES

Par la présente requête, les défenderesses Flairius Enterprises S.A. et Mediterranean Shipping Co. S.A. demandent une suspension en application de l’article 50 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7]. Bien qu’une lettre d’engagement de P & I Club ait été donnée pour empêcher la saisie du MSC Giovanna, aucun autre défendeur n’en a reçu la signification. La lettre d’engagement, en faveur des propriétaires de la cargaison, n’est pas destinée particulièrement à un tribunal. Elle est valable pour des sommes [traduction] « jugées dues ou qui vous ont été adjugées par une cour/un tribunal d’arbitrage compétent relativement aux propriétaires/affréteurs à coque nue du navire MSC Giovanna ».

Est également pertinent le moment du dépôt de la présente requête. L’action a été intentée, de façon apparemment opportune, en novembre 1994, avec le dépôt de la défense de ces deux défenderesses un mois plus tard. Des projets d’affidavits ont été échangés au cours de la première partie de 1995, et la lettre d’engagement, susmentionnée, a été envoyée à la fin de mars 1995. En juin 1995, l’avocat de la demanderesse a demandé le nom d’un défendeur pour l’interrogatoire préalable. Ce n’est qu’au 1er octobre 1995 que les avocats de Flairius Enterprises S.A. et de Mediterranean Shipping Co. S.A. ont avisé qu’ils avaient reçu l’instruction de demander une suspension en raison de la clause de compétence, dans le connaissement, qui est énoncée ci-dessus.

EXAMEN

L’article 50 de la Loi sur la Cour fédérale prévoit que la Cour a le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures soit lorsque la demande est en instance devant un autre tribunal, soit lorsque, pour quelque autre raison, l’intérêt de la justice l’exige.

Exercice du pouvoir discrétionnaire

En l’espèce, la demande de suspension repose sur un engagement contractuel, celui de saisir la Cour de district de New York de tout litige. Il existe une abondante jurisprudence sur la façon dont un tribunal devrait exercer son pouvoir discrétionnaire, à savoir les décisions Burrard-Yarrows Corp. c. Le Hoegh Merchant, [1982] 1 C.F. 248(1re inst.); Navire M/V Seapearl c. Seven Seas Dry Cargo Shipping Corporation de Santiago (Chili), [1983] 2 C.F. 161(C.A.); et Mountainbell Co. Ltd. et al. c. W.T.C. Air Freight (H.K.) Ltd. et al. (1988), 20 F.T.R. 57 (C.F. 1re inst.).

Dans le Seapearl, précité, le juge Pratte a, au nom de la Cour [aux pages 176 et 177], souligné que « À priori, une requête en sursis d’instance engagée en Cour fédérale, contrairement à l’engagement de soumettre le litige à l’arbitrage ou à une juridiction étrangère, devrait être accueillie car, en règle générale, on doit respecter ses engagements ». Il a ajouté que pour écarter cette règle, il faut des motifs impérieux pour permettre à un tribunal de conclure qu’il ne serait pas juste ni raisonnable, dans le cas d’espèce, de donner effet à l’obligation contractuelle.

Dans toutes les trois décisions de la jurisprudence, le Hoegh Merchant, le Seapearl et Mountainbell Co. Ltd., les tribunaux ont ou bien examiné l’arrêt de principe Eleftheria, The, [1969] 1 Lloyd’s Rep. 237 (Adm.), rendu par le juge Brandon (tel était alors son titre)[1], concernant une demande de suspension fondée sur une clause de compétence figurant dans un connaissement, ou en ont cité un extrait. Le passage fréquemment cité se trouve à la page 242 :

[traduction] Les principes établis par la jurisprudence peuvent à mon avis être résumés de la manière suivante : 1) Lorsque les demandeurs intentent des poursuites en Angleterre, en rupture d’une entente selon laquelle les différends seraient renvoyés à un tribunal étranger, et lorsque les défendeurs demandent une suspension des procédures, le tribunal anglais, à supposer que la réclamation relève autrement de sa compétence, n’est pas tenu d’accorder une suspension des procédures, mais a le pouvoir discrétionnaire de le faire. (2) Le pouvoir discrétionnaire d’accorder une suspension des procédures devrait être exercé à moins qu’on ne démontre qu’il existe des motifs sérieux pour ne pas le faire. (3) La charge de la preuve en ce qui concerne ces motifs sérieux incombe aux demandeurs. (4) En exerçant son pouvoir discrétionnaire, le tribunal devrait prendre en considération toutes les circonstances de l’affaire en cause. (5) Notamment mais sans préjudice du (4), les questions suivantes, s’il y a lieu, devraient être examinées : a) Dans quel pays peut-on trouver, ou se procureur facilement la preuve relative aux questions de faits, et quelles conséquences peut-on en tirer sur les avantages et les coûts comparés du procès devant les tribunaux anglais ou les tribunaux étrangers? b) Le droit du tribunal étranger est-il applicable et, si c’est le cas, diffère-t-il du droit anglais sur des points importants? c) Avec quel pays chaque partie a-t-elle des liens, et de quelle nature sont-ils? d) Les défendeurs souhaitent-ils vraiment porter le litige devant un tribunal étranger ou prennent-ils seulement avantage des procédures? e) Les demandeurs subiraient-ils un préjudice s’ils devaient intenter une action devant un tribunal étranger (i) parce qu’ils seraient privés de garantie à l’égard de leur réclamation; (ii) parce qu’ils seraient incapables de faire appliquer tout jugement obtenu; (iii) parce qu’il y aurait une prescription non applicable en Angleterre; ou (iv) parce que, pour des raisons politiques, raciales, religieuses ou autres, ils ne seraient pas en mesure d’obtenir un jugement équitable.

L’affaire Eleftheria portait sur une clause de compétence grecque figurant dans un connaissement pour le transport du contre-plaqué de Galatz en Roumanie au Royaume-Uni. Le juge Brandon a commencé son examen des moyens des parties en soulignant ce qui suit [à la page 245] :

[traduction] En premier lieu, quant à la cause prima facie pour une suspension découlant de la clause de compétence grecque, j’estime qu’il est essentiel que la cour accorde tout le poids nécessaire à l’avantage prima facie de faire respecter par les demandeurs leur engagement. À cet égard, j’estime que la Cour doit éviter de reconnaître le principe en cause tout juste pour la forme pour ensuite ne pas y donner effet en raison d’une simple prépondérance des inconvénients.

Ces mises en garde contre une reconnaissance purement symbolique du principe en cause suivie du refus d’une suspension, lorsqu’il existe une obligation contractuelle quant à la compétence, en raison d’une « simple prépondérance des inconvénients », sont le corollaire de l’idée générale qu’il faut un motif impérieux pour refuser d’appliquer une clause de compétence contractuelle.

Fardeau de la preuve

Il appartient à la défenderesse de persuader la Cour de l’existence d’une cause prima facie, c’est-à-dire qu’il existe un tribunal plus pertinent ou approprié ailleurs : une fois cela fait, il incombe alors à la demanderesse de prouver qu’il existe des circonstances spéciales en raison desquelles la justice exige que le procès ait néanmoins lieu là où la présente action a été intentée. Pour la discussion du concept de ce déplacement du fardeau de la preuve, voir Spiliada, The, [1987] 1 Lloyd’s Rep. 1 (H.L.), à la page 10 et, pour une discussion du critère dégagé dans l’arrêt Spiliada, voir Nile Rhapsody, The, [1992] 2 Lloyd’s Rep. 399 (Q.B.), à la page 409 et suiv.

Cause prima facie

En l’espèce, les défendeurs requérants ont établi l’existence d’une cause prima facie en vue d’une suspension fondée sur l’obligation contractuelle figurant dans le connaissement, celle de saisir la cour de district de New York de tous litiges. L’avocat a également insisté sur le fait que d’impérieux motifs s’imposent pour passer outre à la clause de compétence contractuelle.

Se fondant sur leurs documents, les défendeurs soulignent les avantages et désavantages qu’il y a à déférer les différends à la Cour de district de New York, savoir que les actions en recouvrement de cargaison telles que l’espèce peuvent habituellement être tranchées dans un délai allant de neuf mois à un an, qu’il y a communication de documents entre les parties devant cette juridiction, et qu’il existe des règles régissant la prise des dépositions et la communication préalable au moyen d’interrogatoires, mais que, pour être juste, il faut dire qu’aucuns frais ne sont adjugés pour les honoraires d’avocat.

Les défendeurs soutiennent également que, contrairement à certains des documents sous forme d’affidavit de la demanderesse, New York serait un bon endroit pour y citer des témoins, car, en fait de témoins, ni Vancouver ni la Côte est américaine ne l’emportent l’une sur l’autre, et que des témoins à l’étranger pourraient être amenés à New York aussi facilement qu’à Vancouver. Ces derniers points, bien entendu, concernent la commodité. Toutefois, il s’agit là d’une partie de l’obligation, qui incombe aux défendeurs, de prouver que la Cour de district de New York est un tribunal plus convenable.

La position de la demanderesse

La demanderesse invoque trois motifs, indépendants les uns des autres, pour refuser la suspension de sorte que les procédures et le procès, si nécessaire, aient lieu à Vancouver. Voici ces motifs :

[traduction] 1. La clause de compétence favorisant la Cour de district de New York ne s’applique pas à cette expédition de marchandises.

2.   Si la clause de compétence s’applique effectivement à cette cargaison, la Cour conserve le pouvoir discrétionnaire de la rejeter et devrait le faire lorsque, comme en l’espèce, il n’existe aucun lien avec New York et que la prépondérance des inconvénients joue inéluctablement en faveur du Canada.

3.   Encore une fois, si la clause de compétence s’applique effectivement, les défendeurs qui ont introduit la présente requête ont, en tout état de cause, reconnu la compétence de la Cour fédérale.

Applicabilité de la clause de compétence

La demanderesse soutient que la clause de compétence, qui prévoit notamment :

[traduction] ... les réclamations et les litiges relatifs à la cargaison transportée aux États-Unis ou en provenant doivent relever de la compétence unique des É.-U., c’est-à-dire de la Cour de district américaine, district sud de New York, et le droit américain s’applique. [C’est moi qui souligne.]

doit être interprétée avec précision car, comme l’a souligné la troisième édition (1988) de l’ouvrage de Tetley ayant trait aux Marine Cargo Claims, à la page 816 :

[traduction] À moins que la clause de compétence soit claire et précise, elle ne devrait pas être respectée parce qu’elle ne permettra pas aux parties de connaître avec certitude le tribunal devant lequel elles doivent agir. Dans certains pays, une clause de compétence n’est valide que si le nom du tribunal réel est précisé.

Il est allégué que les litiges sous le régime du connaissement ne relèvent pas tous de la compétence de la Cour de district de New York, qui a seulement compétence pour trancher les réclamations « relatives à la cargaison transportée aux É.-U. ou en provenant ». La demanderesse souligne à juste titre que la cargaison a été transportée de Vancouver au Ghana, et que le chargement de la cargaison à bord d’un navire de haute mer à Baltimore (É.-U.) ne modifie en rien l’origine de la cargaison : la cargaison [traduction] « provient » toujours de Vancouver et non des États-Unis. Ainsi donc, vu les faits et après une simple lecture du connaissement, on s’aperçoit que la clause en faveur de la Cour de district de New York ne s’applique pas.

À mon avis, il existe plusieurs réponses à cet argument. En premier lieu, dans les sources sur lesquelles le professeur Tetley fonde cette observation, il existait, à l’évidence, une certaine ambiguïté quant au tribunal ou même quant au lieu du tribunal et, bien qu’un connaissement soit probablement mieux décrit comme un contrat type, et non pas comme un contrat d’adhésion, toute ambiguïté sera interprétée à l’encontre du transporteur qui a rédigé le connaissement. Toutefois, en l’espèce, il n’existe certes pas d’ambiguïté quant au tribunal nommé par le propriétaire.

Une autre façon d’envisager la question porte sur la nature d’un connaissement plurimodal, dont le présent est un exemple. Dans la clause 3 du connaissement, reproduite partiellement ci-dessus, il est clair que la partie terrestre du transport a été arrangée par le transporteur maritime en tant que mandataire de l’expéditeur. Ainsi donc, le contrat de transport par terre est distinct et lie l’expéditeur et le voiturier par terre. Il ressort de cette analyse que le transport, assuré par le transporteur maritime, comme défenderesse, a été effectué de la Côte est américaine et relève donc de la clause de compétence. Il en est ainsi même si la case 5 au recto du connaissement, intitulée [traduction] « Provenance : (transport direct) » indique que la cargaison provenait de Vancouver. La case 5 ayant été remplie, la situation relève de la clause 3 figurant au verso du connaissement qui dit notamment [traduction] « Si les cases 5 ou 6 ou les deux sont remplies, le transporteur prendra, à titre de mandataire de l’expéditeur, des dispositions pour le transport de la cargaison par d’autres transporteurs seulement à partir du point d’origine au port de chargement ». Ainsi, selon moi, le contrat conclu avec le transporteur défendeur porte sur le transport maritime depuis Baltimore (É.-U.) et relève clairement de la clause de compétence.

Une troisième analyse, peut-être meilleure à mon avis, qui conduit à la même conclusion repose sur l’examen de l’ensemble du connaissement, comme le ferait un expéditeur bien informé qui, s’il n’est pas content de l’arrangement, pour reprendre l’opinion incidente du lord Goddard dans Ardennes, The (1950), 84 Ll.L. Rep. 340 (K.B.), à la page 344, pourrait, s’il n’était pas trop tard, exiger du transporteur de lui remettre ses marchandises.

Je ne pense pas qu’un expéditeur bien informé, examinant l’aspect maritime du transport, estimerait qu’il existait quelque chose d’ambigu quant à la clause de compétence, tenant compte de toutes les circonstances de l’affaire et de l’ensemble du contrat figurant dans le connaissement. La clause 2, la clause de compétence, n’est pas ambiguë. La clause 3 précise que dans un cas de transport direct, le transporteur maritime agit comme le mandataire de l’expéditeur en prenant des dispositions quant à d’autres parties du transport, jusqu’au port de chargement. Le recto du connaissement porte clairement sur le transport direct, mentionnant un port américain, Baltimore, comme port de chargement. En dernier lieu, la clause 17 fait clairement état, en raison de la disposition attributive de prépondérance (la clause 1 figurant au verso du connaissement), de l’American Carriage of Goods by Sea Act.

Par tous ces motifs, le premier argument selon lequel la clause de compétence favorisant la Cour de district de New York ne s’applique pas n’est pas convaincant.

Prépondérance des inconvénients

La demanderesse soutient que même si la clause de compétence s’appliquait effectivement, la Cour a encore le pouvoir discrétionnaire de rejeter la clause s’il n’existe aucun lien avec New York et si la prépondérance des inconvénients penche inéluctablement en faveur de la compétence d’un tribunal canadien. Je soulignerais néanmoins le point de vue du juge Hugessen dans l’affaire Ultramar Canada c. Lineas Asmar S.A., [[1989] F.C.J. no 242 (C.A.) (QL)] selon lequel [à la page 2] « une simple question de commodité dans la constitution de la preuve ne suffit pas à primer une obligation contractuelle de soumettre un litige à l’arbitrage ou d’en saisir une cour étrangère. »

Les affidavits produits par la demanderesse semblent, à première vue, porter sur de nombreuses questions mentionnées dans l’affaire Eleftheria (précitée) dont on peut tenir compte pour procéder à l’évaluation de la commodité.

La demanderesse fait remarquer que l’expéditeur est une compagnie de Colombie-Britannique, et que le conteneur a été rempli à sa place d’affaires à Surrey (Colombie-Britannique), et elle soutient que la plupart des témoins se trouvent à Vancouver, excepté ceux au Ghana, où les marchandises auraient été livrées avec des dommages et des pièces manquantes. Les défenderesses Flairius Enterprises et Mediterranean Shipping sont des compagnies suisses. Aucune des parties à l’action ne se trouve aux États-Unis, ou plus particulièrement dans l’État de New York : la demanderesse dit qu’elle n’a aucune raison de croire qu’il devrait y avoir des témoins dans cette région. En dernier lieu, la demanderesse reconnaît que puisque les marchandises ont été transférées du conteneur initial de Vancouver à un nouveau conteneur à Anvers, il se peut que des témoins d’Anvers soient cités. Toutefois, que ces témoins soit amenés à New York ou à Vancouver importe peu du point de vue de la commodité.

Une lecture plus approfondie des documents sous forme d’affidavit de la demanderesse révèle une part de conjecture et de généralisation. Toutefois, certains des points sont, malgré les observations des défendeurs à cet égard, parfaitement valables.

Pour leur part, les défendeurs soutiennent que la demanderesse n’a pas démontré au moyen d’un motif ou de motifs impérieux que la Cour de district de New York ne convient pas, et que la présomption qu’il n’y aura pas de témoins à Baltimore n’est que cela, une présomption. Quant aux témoins venant d’ailleurs, on peut les faire venir à New York, aussi facilement qu’à Vancouver. Ainsi donc, seuls les témoins de Vancouver voient dans cette ville le tribunal le plus commode.

Selon les défendeurs, la Cour de district de New York est un tribunal expérimenté, et sa gestion est telle que l’affaire pourrait très bien être transférée à New York et tranchée dans un délai de neuf à douze mois, soit bien plus rapidement qu’elle ne le serait à Vancouver si elle devait y être jugée. Le cautionnement de la demanderesse est toujours valable à New York. Les défendeurs sont disposés à ne pas invoquer la prescription. La demanderesse reconnaît qu’aucun autre défendeur n’a reçu de signification et que, en conséquence, il semble que la renonciation au droit d’invoquer la prescription, par un autre défendeur, ne constitue pas un facteur. En dernier lieu, la Cour de district de New York a une procédure de communication de documents et d’interrogatoire préalable analogue à la nôtre, bien que les défendeurs, qui introduisent la présente requête, reconnaissent que la Cour de district de New York n’adjuge pas d’honoraires d’avocat.

Je me soucie du fait que la Cour de district de New York n’adjuge pas d’honoraires d’avocat à la demanderesse victorieuse pour l’aider à couvrir ses frais. La somme en jeu, pour la cargaison manquante et endommagée, s’élève seulement à 45 000 $. Selon le nouveau tarif B de la Cour fédérale [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663 (mod. par DORS/95-282, art. 5)] relatif aux frais et dépens, la demanderesse pourrait obtenir un important remboursement si la Cour fédérale était saisie de l’affaire, mais elle n’obtiendrait rien si la Cour de district de New York en était saisie.

Le juge Sheen a examiné une question semblable portant sur les frais et dépens dans Vishva Ajay, The, [1989] 2 Lloyd’s Rep. 558 (Q.B.). Dans cette affaire, il a noté qu’un plaideur qui avait gain de cause en Inde ne se verrait pas adjuger les frais de façon réaliste, et que s’il en était ainsi, les deux parties avaient intérêt à plaider en Angleterre, où la partie qui a gain de cause, que ce soit le demandeur ou le défendeur, recouvrerait une proportion plus élevée de ses frais. Cette analyse, à la page 560 de Vishva Ajay, porte sur divers aspects de la question, et conclut que l’avantage de plaider en Angleterre, où les frais sont plus réalistes, revient aux deux parties.

S’il s’agissait uniquement en l’espèce de décider de la compétence en fonction de ce qui est approprié ou commode, la non-adjudication des frais devant la Cour de district de New York pourrait très bien constituer un argument convaincant. Toutefois, en l’espèce, le pouvoir discrétionnaire d’accorder une suspension, vu la clause de compétence, ne devrait pas être exercé à moins qu’il existe un motif impérieux de le faire. En conséquence, malgré l’importance des frais susceptibles d’être adjugés par la Cour fédérale d’une part et le non-remboursement d’honoraires d’avocat d’autre part, la question relève de la catégorie de la « simple prépondérance des inconvénients » dont a fait état le juge Brandon dans Eleftheria (précité). Je ne suis pas disposé à exercer mon pouvoir discrétionnaire et à refuser d’accorder une suspension sur ce seul fondement.

Comme l’a souligné le juge Collier dans The Hoegh Merchant (précité), à la page 250, le calcul mathématique des avantages et désavantages d’un tribunal n’est pas concluant. Lorsque j’examine les avantages respectifs de Vancouver et de New York, je suis incapable de considérer que ceux de l’une de ces villes l’emportent à ce point sur ceux de l’autre qu’il est impérieux de passer outre à la clause de compétence et que l’octroi d’une suspension se révèle la seule solution appropriée.

Reconnaissance de la compétence

Selon la demanderesse, si le défendeur désire contester la compétence de la Cour fédérale, il doit le faire avant de déposer un acte de comparution ou avant de prendre d’autres mesures dans la procédure. En prenant des mesures dans la présente procédure, telles le dépôt d’une défense et l’échange de projets d’affidavits, et en permettant que s’écoulent quelque neuf mois depuis le dépôt d’une défense, les défendeurs ont renoncé au droit de contester la compétence de la Cour fédérale.

Certainement l’ancienne jurisprudence adopte une attitude très ferme. Dans l’affaire Oulton v. Radcliffe (1874), L.R. 9 C.P. 189 (C.A.), un engagement à comparaître, donné par des avocats, suivi d’une comparution, suffisait à remédier à une irrégularité dans la signification et à établir la compétence, malgré des objections ultérieures de la part du défendeur.

Dans l’affaire Fry v. Moore (1889), 23 Q.B.D. 395, la Cour d’appel a souligné que le défendeur ayant pris au moins deux mesures dans l’action, il avait ainsi renoncé à exciper de toute irrégularité, et ne pouvait alors s’opposer à la compétence. Cette optique stricte a été suivie dans la jurisprudence moderne, y compris celle de la Cour.

La première décision dont a fait état l’avocat de la demanderesse et qui porte sur la reconnaissance est la décision May (A.S.) & Co. Ltd. v. Robert Reford Co. Ltd., [1969] 2 O.R. 611 (H.C.). Il y était question d’une clause de compétence yougoslave dans un connaissement concernant des marchandises expédiées de Yougoslavie en Ontario. Cette clause de compétence yougoslave prévoyait [à la page 612] que [traduction] « Tout litige né de ce connaissement doit être tranché en Yougoslavie selon le droit yougoslave. » Selon la Cour, la prépondérance des inconvénients favorisait la Cour de l’Ontario, mais cette conclusion était peut-être suspecte en ce sens que l’affaire Eleftheria (précitée), tranchée seulement deux mois auparavant, n’a pas été mentionnée ni, par conséquent, la nécessité de motifs impérieux pour indiquer que la balance des inconvénients penche en faveur d’une suspension. Toutefois, l’importante conclusion dans l’affaire Robert Reford, à la page 615 portait sur la reconnaissance de la compétence de la Cour de l’Ontario en raison du dépôt, par le défendeur étranger, d’un acte de comparution inconditionnelle.

[traduction] Il existe une autre question qui, à mon avis, a pour effet de faire obstacle à la présente demande, à savoir l’inscription d’un acte de comparution inconditionnelle faite au nom du requérant à l’instance comme il a été dit ci-dessus. Si l’espèce était celle à laquelle la Loi sur l’arbitrage, déjà citée, s’appliquait, alors, bien entendu, l’inscription d’un acte de comparution n’aurait aucun effet étant donné le texte de la loi. Comme je décide que la Loi sur l’arbitrage ne s’applique pas, l’inscription d’un acte de comparution doit être considéré comme une reconnaissance de la compétence de la Cour, et il est maintenant trop tard pour que le requérant demande une suspension : voir Raymond v. Adrema Ltd. and Farrington-Bradma Ltd., [1962] O.R. 677, 33 D.L.R. (2d) 469.

Quittons la Haute Cour de l’Ontario pour parler de la Cour fédérale. Dans l’affaire Catalyst Research Corp. c. Medtronic, Inc., [1981] 2 C.F. 620(1re inst.) (confirmée par la Cour d’appel, [1982] 2 C.F. 657, le juge Mahoney (tel était alors son titre) s’est catégoriquement penché sur la question de la reconnaissance. La défenderesse Medtronic avait demandé l’autorisation de déposer un acte de comparution conditionnelle et sollicité l’annulation de la signification, mais, un mois plus tard, elle s’était également jointe à une requête en cautionnement judicatum solvi. La Cour a conclu que puisqu’elle avait demandé ce cautionnement, Medtronic ne pouvait par la suite contester la compétence de la Cour car « Par le simple fait d’avoir acquiescé, elle a renoncé à ses moyens d’exception » (page 623). Ce qui est intéressant dans cette affaire, c’est que Medtronic, loin d’avoir déposé un acte de comparution inconditionnelle, avait en fait demandé la permission de déposer un acte de comparution conditionnelle, mais, ayant invoqué la compétence de la Cour pour une autre fin, elle ne pouvait alors prétendre avec succès qu’elle n’avait pas reconnu sa compétence.

Dans l’affaire Medtronic (précitée), la Cour d’appel, dans ses motifs très brefs, a souligné que la demande de cautionnement pour frais judiciaires présentée par un défendeur étranger ne constituait pas nécessairement une reconnaissance de compétence, mais que, lorsque plus d’un mois s’était écoulé entre la contestation de la compétence (la permission de déposer un acte de comparution conditionnelle) et la requête en cautionnement pour frais, on était en droit de conclure à la renonciation au droit de soulever l’incompétence de la Cour. En fait, la Cour d’appel était si sûre d’elle sur ce point que, après avoir entendu l’appelante, elle n’a pas entendu l’intimée.

Dans Vallorbe Shipping Co. S.A. c. Le N.M. Tropwave, [1975] C.F. 595 (1re inst.), le juge Heald (tel était alors son titre) statuait sur une demande de suspension fondée sur l’article 50 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10], le défendeur s’appuyant sur une clause de compétence prévoyant l’arbitrage à New York. L’affaire Tropwave comporte deux aspects intéressants. En premier lieu, c’est la demanderesse qui a introduit la requête en suspension de sa propre action. En second lieu, les parties se trouvaient également en plein arbitrage à New York. Cependant, la demanderesse a intenté l’action devant la cour canadienne et le défendeur, fréteur propriétaire du navire Tropwave, a déposé une défense et une demande reconventionnelle. Le juge Heald a analysé la situation en disant que la demanderesse, par son action judiciaire, a clairement exprimé son intention de révoquer la clause compromissoire et que la défenderesse, en déposant sa défense et sa demande reconventionnelle, a clairement exprimé une intention semblable (page 600).

CONCLUSION

Les défendeurs n’ont pas expliqué pourquoi ils ont attendu quelque neuf mois après le dépôt de leur défense, soit jusqu’au 1er octobre 1995, avant d’invoquer la clause de compétence. Ils ne disent pas avoir ignoré ou omis la clause de compétence figurant dans le connaissement. En fait, on doit les considérer comme ayant été en tout temps conscients de cette clause.

À l’audition de la requête, il y a eu discussion de la question de savoir si la demanderesse, qui a engagé d’importantes dépenses pour les honoraires d’avocat devant cette instance, subirait en fait un préjudice du fait d’une suspension et du transfert de l’affaire à la Cour de district de New York. Je ne pense pas que le préjudice entre dans l’équation de la reconnaissance, car, dans certains décisions publiées portant sur la reconnaissance, l’opposition à la compétence avait eu lieu à un stade primitif. Il est plutôt question de soumission à la compétence de la Cour qui, même en présence de motifs vraiment importants, est irrévocable.

En déposant leur défense et en produisant un projet de liste de documents sans s’opposer à la compétence, et en invoquant auprès de la demanderesse la clause de compétence seulement quelque neuf mois après le dépôt de leur défense, les défendeurs ont laissé s’écouler trop de temps pour pouvoir maintenant contester la compétence. Tout indique que les défendeurs ont acquiescé à la compétence. La requête en suspension introduite par les défendeurs est rejetée.



[1] Voir également El Amria, The, [1981] 2 Lloyd’s Rep. 119 (C.A.), à la p. 123 où, en qualité de lord juge Brandon, il répète le passage en rendant le jugement de la Cour d’appel.

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