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[1997] 1 C.F. 560

T-1288-92

Sa Majesté la Reine (demanderesse)

c.

Marcelle Mercier (défenderesse)

Répertorié : Canada c. Mercier (1re inst.)

Section de première instance, juge Tremblay-Lamer —Québec, 21 octobre; Ottawa, 15 novembre 1996.

Impôt sur le revenu Calcul du revenu Déductions L’art. 118(1)b)(ii)(D) de la Loi, qui accorde un crédit relativement à des personnes âgées de moins de 18 ans ou, étant âgées de plus de 18 ans, à charge en raison d’une infirmité mentale ou physique, n’a pas été adopté en contravention de l’art. 15(1) de la Charte.

Droit constitutionnel Charte des droits Droits à l’égalité La condition relative à l’âge que contient l’art. 118(1)b)(ii)(D) de la Loi n’a pas été adoptée en contravention de l’art. 15(1) de la CharteCritère de la pertinenceDe toute façon, la violation est justifiée par l’article premier de la Charte.

La contribuable tenait seule un établissement domestique où elle habitait avec son fils qui, à cette époque, était âgé de vingt-quatre ans et ne souffrait d’aucune infirmité mentale ou physique. La contribuable subvenait donc entièrement aux besoins de ce dernier. Elle réclama, pour l’année d’imposition 1988, un crédit pour personne liée entièrement à charge, lequel est prévu à la disposition 118(1)b)(ii)(D) de la Loi de l’impôt sur le revenu. En vertu de cette disposition, le crédit n’est accordé que si la personne liée est âgée de moins de 18 ans, ou si, étant âgée de plus de 18 ans, elle est à charge en raison d’une infirmité mentale ou physique. Il s’agissait d’un appel de novo à l’encontre d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt qui accueillait l’appel de la défenderesse relativement à un avis de cotisation établi à son égard pour l’année d’imposition 1988.

Les questions en litige étaient les suivantes : 1) la condition relative à l’âge que contient la disposition 118(1)b)(ii)(D) de la Loi fut-elle adoptée en contravention du paragraphe 15(1) de la Charte? 2) dans l’affirmative, cette violation du paragraphe 15(1) est-elle justifiée par l’article premier de la Charte? 3) si elle n’est pas justifiée, le redressement recherché, à savoir rendre inopérant la disposition 118(1)b)(ii)(D) de la Loi, constitue-t-il un redressement approprié?

Dans son jugement, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a conclu que cette disposition avait un effet discriminatoire et qu’il contrevenait en conséquence au paragraphe 15(1) de la Charte. Elle a également conclu que la mesure adoptée ne respectait pas le critère de l’atteinte minimale et que la restriction qu’imposait la disposition 118(1)b)(ii)(D) ne se justifiait pas en vertu de l’article premier de la Charte. Le juge a également conclu que la Cour canadienne de l’impôt avait la compétence pour étudier la constitutionnalité des lois et que le redressement approprié consistait en une déclaration suivant laquelle la disposition (D) était sans effet.

Jugement : l’appel doit être accueilli.

Dans le cadre d’une contestation constitutionnelle ayant pour fondement la Charte, l’objet ou le but et l’effet ou les répercussions ultimes de la loi ont tous deux leur importance en vue de déterminer si la disposition législative est conforme aux principes édictés par la Charte.

Les paramètres applicables dans le cadre d’un examen fondé sur le paragraphe 15(1) de la Charte sont les suivants : 1) la loi contestée doit établir une distinction intentionnelle ou non entre l’individu, membre d’un groupe, et les autres; 2) celle-ci doit reposer sur un motif énuméré ou analogue; et 3) la loi doit avoir un effet discriminatoire sur le plan législatif. Certaines décisions de la Cour suprême du Canada ont marqué l’entrée en scène d’un quatrième critère, celui de la pertinence. Au moment d’appliquer ce nouveau critère, il faut avoir à l’esprit les contextes linguistiques, philosophiques et historiques dans lesquels se situe la problématique. L’ajout de ce quatrième critère permettra de conclure qu’une distinction législative, bien que discriminatoire et fondée sur un motif énuméré ou analogue, ne constitue pas une restriction au droit que garantit le paragraphe 15(1) de la Charte. Quatre membres de la Cour suprême s’opposent à l’inclusion d’un tel critère, du fait qu’il en résulterait une complète marginalisation de la règle énoncée à l’article premier de la Charte. En l’espèce, je tiendrai compte de l’ajout de ce nouveau critère, bien que la Cour suprême soit également divisée en ce qui concerne sa validité.

Il me paraît impossible d’affirmer que l’alinéa 118(1)b) établit une distinction entre les différents contribuables en fonction de leur revenu respectif. L’admissibilité au crédit est en effet indépendante du revenu du contribuable qui le réclame. Cet alinéa établit une distinction entre les contribuables qui sont mariés et ceux qui ne le sont pas, mais il ressort de Schachtschneider c. Canada, [1994] 1 C.F. 40(C.A.) que la disposition n’est pas discriminatoire à l’égard des contribuables mariés. L’alinéa 118(1)b) distingue de plus entre les contribuables non mariés qui ont à leur charge un enfant majeur qui ne souffre d’aucune infirmité mentale ou physique et ceux qui subviennent entièrement aux besoins, selon le cas, d’un enfant mineur, d’un ascendant ou d’un adulte qui souffre d’une infirmité mentale ou physique. La distinction établie par la Loi est fondée non pas sur l’âge des membres du groupe ci-avant identifié mais bien sur l’âge de la personne à l’égard de laquelle le crédit est réclamé. La thèse selon laquelle il pourrait y avoir de la discrimination par association n’a pas été retenue par la majorité de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Benner c. Canada (Secrétaire d’État), [1994] 1 C.F. 250 En acceptant que cette thèse puisse réussir, il faudrait néanmoins se demander si toute distinction fondée sur l’âge est nécessairement discriminatoire.

Même en admettant que la distinction impose un fardeau aux contribuables qui subviennent entièrement aux besoins d’une personne liée de plus de 18 ans, cette distinction serait-elle fondée sur une caractéristique personnelle pertinente énumérée au paragraphe 15(1)? Bien que le juge ne se soit pas prononcée sur la légitimité du critère de la pertinence, elle a conclu que le législateur a établi l’âge de 18 ans comme norme puisqu’à cet âge un enfant est considéré comme indépendant et capable de subvenir à ses besoins. Il s’agit d’une norme objective, soit le degré d’autonomie de la personne. La distinction est donc fondée sur une caractéristique personnelle pertinente énumérée au paragraphe 15(1), à savoir l’âge.

L’alinéa 118(1)b) de la Loi est conforme à la garantie d’égalité énoncée au paragraphe 15(1) de la Charte, mais, en tout état de cause, si j’avais conclu que l’alinéa était incompatible avec le paragraphe 15(1), j’aurais jugé que pareille restriction se justifie en vertu de l’article premier. L’objectif était suffisamment important. La réforme fiscale de 1988 avait pour but, en ce qui concerne les déductions personnelles, de rendre le système plus cohérent concernant l’âge de l’indépendance. La réforme a voulu accorder un allégement fiscal aux contribuables ayant à charge des personnes dont les capacités sont réduites soit les mineurs, les adultes qui souffrent d’une infirmité, mentale ou physique, et les ascendants. Les moyens étaient proportionnels aux objectifs poursuivis. L’atteinte était raisonnable, c’est-à-dire qu’il s’agissait d’une restriction raisonnable. Les effets n’étaient pas préjudiciables.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 15.

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 52.

Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148 (mod. par S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 1), art. 118(1) (mod. par L.C. 1988, ch. 55, art. 92), 171 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 158, art. 58).

Loi électorale, L.R.O. 1990, ch. E.6.

Loi électorale, L.R.Q., ch. E-3.3.

Loi électorale du Canada, L.R.C. (1985), ch. E-2.

Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. (1985), ch. T-2, art. 12 (mod. par L.C. 1990, ch. 45, art. 57).

Loi sur la vente du tabac aux jeunes, L.C. 1993, ch. 5.

Loi sur le régime des rentes du Québec, L.R.Q., ch. R-9.

Loi sur les infractions en matière de boissons alcooliques, L.R.Q., ch. I-8.1.

Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713; (1986), 35 D.L.R. (4th) 1; 30 C.C.C. (3d) 385; 87 CLLC 14,001; 55 C.R. (3d) 193; 28 C.R.R. 1; 71 N.R. 161; 19 O.A.C. 239; R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S 295; (1985), 60 A.R. 161; 18 D.L.R. (4th) 321; [1985] 3 W.W.R. 481; 37 Alta. L.R. (2d) 97; 18 C.C.C. (3d) 385; 85 CLLC 14,023; 13 C.R.R. 64; 58 N.R. 81; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2 W.W.R. 289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 25 C.C.E.L. 255; 10 C.H.R.R. D/5719; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255; Schachtschneider c. Canada, [1994] 1 C.F. 40 (1993), 105 D.L.R. (4th) 162; [1993] 2 C.T.C. 178; 93 DTC 5298; 154 N.R. 321 (C.A.); Lister c. Canada, [1995] 1 C.F. 130 (1994), 116 D.L.R. (4th) 637; [1994] 2 C.T.C. 365; 94 D.T.C. 6531; 172 N.R. 356 (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; (1986), 26 D.L.R. (4th) 200; 24 C.C.C. (3d) 321; 50 C.R. (3d) 1; 19 C.R.R. 308; 65 N.R. 87; 14 O.A.C. 335; Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570; (1990), 77 D.L.R. (4th) 94; [1991] 1 W.W.R. 643; 52 B.C.L.R. (2d) 68; 91 CLLC 17,002; 118 N.R. 340; Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418; (1995), 124 D.L.R. (4th) 693; 29 C.R.R. (2d) 189; [1995] I.L.R. 1-3185; 10 M.V.R. (3d) 151; 181 N.R. 253; 81 O.A.C. 253; 13 R.F.L. (4th) 1; Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513; (1995), 124 D.L.R. (4th) 609; C.E.B. & P.G.R. 8216; 95 CLLC 210-025; 29 C.R.R. (2d) 79; 182 N.R. 161; 12 R.F.L. (4th) 201; Thibaudeau c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 627; (1995), 124 D.L.R. (4th) 449; 29 C.R.R. (2d) 1; [1995] 1 C.T.C. 382; 95 DTC 5273; 182 N.R. 1; 12 R.F.L. (4th) 1; R. c. Laba, [1994] 3 R.C.S. 965; (1994), 120 D.L.R. (4th) 175; 94 C.C.C. (3d) 385; 34 C.R. (4th) 360; 25 C.R.R. (2d) 92; 174 N.R. 321; 76 O.A.C. 241; Benner c. Canada (Secrétaire d’État), [1994] 1 C.F. 250 (1993), 105 D.L.R. (4th) 21; 21 Imm. L.R. (2d) 164; 155 N.R. 321 (C.A.); autorisation de pourvoi accordée par la C.S.C. [1994] 1 R.C.S. v; (1994), 109 D.L.R. (4th) vii; 19 C.R.R. (2d) 384; 171 N.R. 243.

DÉCISIONS CITÉES :

Rudolf Wolff & Co. c. Canada, [1990] 1 R.C.S. 695; (1990), 69 D.L.R. (4th) 329; 43 Admin. L.R. 1; 41 C.P.R. (2d) 1; 46 C.R.R. 263; 106 N.R. 1; 39 O.A.C. 1; Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695; (1993), 110 D.L.R. (4th) 470; 19 C.R.R. (2d) 1; [1994] 1 C.T.C. 40; 94 DTC 6001; 161 N.R. 243; Haig c. Canada; Haig c. Canada (Directeur général des élections), [1993] 2 R.C.S. 995; (1993), 105 D.L.R. (4th) 577; 16 C.R.R. (2d) 193; 156 N.R. 81; R. c. Finta, [1994] 1 R.C.S. 701; (1994), 112 D.L.R. (4th) 513; 88 C.C.C. (3d) 417; 28 C.R. (4th) 265; 20 C.R.R. (2d) 1; 165 N.R. 1; 70 O.A.C. 241; Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835; (1994), 120 D.L.R. (4th) 12; 94 C.C.C. (3d) 289; 34 C.R. (4th) 269; 25 C.R.R. (2d) 1; 175 N.R. 1; 76 O.A.C. 81; Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927; (1989), 58 D.L.R. (4th) 577; 25 C.P.R. (3d) 417; 94 N.R. 167; Stoffman c. Vancouver General Hospital, [1990] 3 R.C.S. 483; [1991] 1 W.W.R. 577; (1990), 52 B.C.L.R. (2d) 1; 91 CLLC 17,003.

DOCTRINE

Canada. Chambre des communes. Comité permanent des finances et des affaires économiques. Rapport sur le livre blanc de la réforme fiscale. Ottawa : Imprimeur de la Reine, 1987.

APPEL de novo à l’encontre d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt (Mercier c. Canada (ministre du Revenu nationalM.R.N.), [1992] A.C.I. no 40 (QL)) qui accueillait l’appel de la contribuable relativement à un avis de cotisation. Appel accueilli.

AVOCATS :

Chantal Jacquier pour la demanderesse.

Jean-Paul Morin et Pierre Giroux pour la défenderesse.

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour la demanderesse.

Tremblay, Bois, Mignault, Duperrey et Lemay, Sainte-Foy (Québec) pour la défenderesse.

Voici les motifs du jugement rendus en français par

Le juge Tremblay-Lamer : Il s’agit d’un appel de novo à l’encontre d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt [[1992] A.C.I. no 40 (QL)] qui accueillait l’appel de la défenderesse relativement à un avis de cotisation établi à son égard pour l’année d’imposition 1988.

I.          Les faits

La défenderesse tenait seule en 1988 un établissement domestique où elle habitait avec son fils qui, à cette époque, était âgé de vingt-quatre (24) ans et ne souffrait d’aucune infirmité mentale ou physique. Les revenus du fils s’établissaient à 695 21 $ pour cette même année. La défenderesse subvenait donc entièrement aux besoins de ce dernier. Elle réclama en conséquence, pour l’année d’imposition 1988, un crédit pour personne liée entièrement à charge, lequel est prévu à l’alinéa 118(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu (ci-après la Loi[1]) qui, au moment pertinent aux fins des présentes, s’énonçait comme suit :

118. (1) Le produit obtenu en multipliant le total des montants visés aux alinéas a) à d) par le taux de base pour l’année est déductible dans le calcul de l’impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d’imposition :

b) le total de 6 000 $ et du montant calculé selon la formule suivante :

5 000 $ — (D — 500 $)

D représente le plus élevé de 500 $ ou du revenu d’une personne à charge pour l’année,

si le particulier n’a pas droit à la déduction prévue à l’alinéa a) et si, à moment de l’année :

(i) il n’est pas marié ou, s’il l’est, ne vit pas avec son conjoint ni ne subvient aux besoins de celui-ci, pas plus que son conjoint ne subvient à ses besoins, et

(ii) il tient, seul ou avec une ou plusieurs autres personnes, et habite un établissement domestique autonome où il subvient réellement aux besoins d’une personne qui, à ce moment :

(A) réside au Canada, sauf s’il s’agit d’un enfant du particulier,

(B) est entièrement à la charge soit du particulier, soit du particulier et d’une ou plusieurs de ces autres personnes,

(C) est liée au particulier, et

(D) sauf s’il s’agit du père, de la mère, du grand-père ou de la grand-mère du particulier, est soit âgée de moins de 18 ans, soit à charge en raison d’une infirmité mentale ou physique;

Ainsi, en vertu de la disposition 118(1)b)(ii)(D) de la Loi, lorsqu’il est réclamé à l’égard d’une personne autre que le père, la mère, le grand-père ou la grand-mère du particulier, le crédit n’est accordé que si :

(1) la personne liée est âgée de moins de 18 ans, ou

(2) si, étant âgée de plus de 18 ans, elle est à charge en raison d’une infirmité mentale ou physique.

En l’espèce, comme on l’a vu précédemment, le fils de la défenderesse était âgé de plus de 18 ans et ne souffrait d’aucune infirmité mentale ou physique. La défenderesse n’ayant pas satisfait aux conditions d’application du paragraphe en question, le crédit lui fut refusé. La défenderesse soutient que la condition relative à l’âge que contient la disposition 118(1)b)(ii)(D) de la Loi, serait contraire aux prescriptions du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après la Charte[2]).

II.         Les questions en litige

La condition relative à l’âge que contient la disposition 118(1)b)(ii)(D) de la Loi fut-elle adoptée en contravention du paragraphe 15(1) de la Charte? Dans l’affirmative, cette violation du paragraphe 15(1) est-elle justifiée par l’article premier de la Charte? Si elle n’est pas justifiée, le redressement recherché, à savoir rendre inopérante la disposition 118(1)b)(ii)(D) de la Loi, constitue-t-il un redressement approprié?

III.        Le jugement de la Cour canadienne de l’impôt

Le juge Lamarre Proulx reconnaît que l’âge est un motif de discrimination prévu par le paragraphe 15(1) de la Charte. Elle précise cependant que toute distinction fondée sur l’âge n’est pas nécessairement discriminatoire. Elle se dit d’avis qu’une distinction fondée sur l’âge ne contreviendra au paragraphe 15(1) que si elle a un effet discriminatoire sur le plaignant.

Au moment d’étudier l’effet discriminatoire de l’alinéa 118(1)b) de la Loi, elle s’interroge, dans un premier temps, quant à l’existence d’une minorité discrète et isolée à l’égard de laquelle la Cour se devrait d’être vigilante. À cet égard, elle conclut qu’il existe en l’espèce deux groupes de cette nature, soit le groupe des personnes qui réclament le crédit et celui des personnes liées entièrement à charge. En outre, parmi le groupe des personnes qui réclament le crédit, elle distingue les personnes à qui le crédit est effectivement accordé de celles à qui le crédit est refusé en raison de l’âge de la personne liée à charge. Ce dernier groupe est à ses yeux un groupe qui est souvent désavantagé. L’étude de l’effet discriminatoire du paragraphe attaqué implique également, à son avis, une analyse de son but et de son objet. Or, le paragraphe a, selon elle, pour but premier un allégement du fardeau fiscal de la personne qui maintient un établissement domestique où habite avec elle une personne liée entièrement à sa charge. Ce sont ces considérations qui l’amènent à conclure que la disposition 118(1)b)(ii)(D) de la Loi a un effet discriminatoire et qu’elle contrevient en conséquence au paragraphe 15(1) de la Charte.

Étant donné sa conclusion quant au paragraphe 15(1) de la Charte, elle passe à l’analyse sous l’article premier. Elle renvoie, à cet égard, aux critères formulés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt La Reine c. Oakes[3]. Elle retient les critères suivants : un objectif suffisamment important pour justifier la violation d’un droit garanti par la Charte doit être démontré. Elle précise qu’un objectif suffisamment important est celui qui se rapporte à des préoccupations urgentes et réelles. Elle s’attarde ensuite au critère de la proportionnalité, lequel comporte trois volets distincts :

(1) les mesures doivent avoir un lien rationnel avec l’objectif;

(2) le moyen choisi doit être de nature à porter le moins possible atteinte au droit garanti en question et;

(3) il doit y avoir proportionnalité entre l’effet direct des mesures choisies et l’importance de l’objectif visé.

En ce qui concerne l’importance de l’objectif, elle conclut que la volonté du législateur de réduire la dette nationale, de répartir le fardeau fiscal et de donner effet aux priorités gouvernementales constituent des préoccupations réelles et urgentes.

Elle passe ensuite à la question de savoir s’il existe un lien rationnel entre la mesure adoptée et la volonté du législateur de réduire la dette nationale. Elle déplore, à cet égard, l’absence de preuve quant à l’économie qu’est susceptible de générer l’inapplicabilité du crédit à l’égard des personnes liées entièrement à charge de plus de 18 ans. Elle conclut néanmoins qu’il existe en l’espèce un lien rationnel. Celui-ci découle du fait qu’il existe différentes lois, fédérales et provinciales, par lesquelles le législateur assure un revenu minimal aux personnes liées entièrement à charge de plus de 18 ans.

Elle en vient toutefois à la conclusion que la mesure adoptée ne respecte pas le critère de l’atteinte minimale. Elle accorde une grande importance au fait que la mesure pénalise, dans la plupart des cas, un parent qui subvient seul aux besoins de son enfant. En conséquence, elle conclut que la restriction qu’impose la disposition 118(1)b)(ii)(D) de la Loi ne se justifie pas en vertu de l’article premier.

Ayant conclu que la disposition viole le paragraphe 15(1) de la Charte et n’est pas rachetée par l’article premier, elle s’interroge quant à sa compétence pour accorder un redressement et, subséquemment, quant au redressement approprié. En ce qui concerne la compétence d’un juge de la Cour canadienne de l’impôt d’accorder un redressement en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982[4], elle réfère aux principes formulés par le juge La Forest dans l’arrêt Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College[5]. Cet arrêt a établi, selon elle, le pouvoir des tribunaux administratifs et des cours inférieures de se prononcer, dans le cadre du mandat qui leur est confié, quant à la validité constitutionnelle des lois. Ainsi, elle se dit d’avis que le mandat des juges de la Cour canadienne de l’impôt, tel qu’il est précisé à l’article 12 [mod. par L.C. 1990, ch. 45, art. 57] de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt[6] et du paragraphe 171(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu [mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 158, art. 58], est suffisamment large pour leur permettre d’étudier la constitutionnalité des lois.

Pour ce qui est du redressement approprié, le juge Lamarre Proulx émet l’opinion qu’il consiste en l’espèce en une déclaration suivant laquelle la disposition (D) du sous-alinéa 118(1)b)(ii) de la Loi est sans effet. Elle en vient à cette conclusion, car la disposition (D) n’est pas essentielle à l’existence du sous-alinéa 118(1)b)(ii). L’appel de Mme Mercier, la défenderesse en la présente instance, fut donc accueilli.

IV.       Les prétentions des parties

La demanderesse reconnaît que, n’eut été de l’exigence relative à l’âge de la personne liée, la défenderesse aurait eu droit au crédit. Elle ajoute cependant que cette exigence fut adoptée en conformité avec le paragraphe 15(1) de la Charte. Elle soumet en effet que la disposition 118(1)b)(ii)(D) de la Loi ne crée aucune discrimination fondée sur l’âge. Elle ajoute que, même s’il y avait discrimination au sens du paragraphe 15(1), les conditions prévues à l’alinéa 118(1)b) de la Loi sont justifiées en vertu de l’article premier en tant que limites raisonnables dans le cadre d’une société libre et démocratique. Elle soumet enfin, à titre subsidiaire, que la mesure prévue à l’alinéa 118(1)b), si elle viole le paragraphe 15(1), est une mesure visée par le paragraphe 15(2) de la Charte.

Pour ce qui est de la défenderesse, elle souligne d’abord que l’exigence relative à l’âge de l’enfant a été ajoutée en 1988. La disposition existait depuis longtemps et son application dépendait de la seule question de savoir si la personne liée était entièrement à charge ou non. Ainsi, historiquement, au moment d’octroyer le crédit, le législateur ne retenait que ce seul critère. En ajoutant la condition relative à l’âge, le législateur aurait contrevenu au paragraphe 15(1) de la Charte. En effet, prétend-elle, la disposition 118(1)b)(ii)(D) de la Loi porte atteinte à une minorité vulnérable et discrète qui, ayant des revenus modestes, est victime de discrimination fondée sur l’âge. Enfin, cette violation ne serait pas rachetée par le jeu de l’article premier.

V.        Analyse

A.        Les principes applicables

1.         L’objet et l’effet de la Loi

Il est reconnu, depuis les arrêts R. c. Edwards Books and Art Ltd.[7] et R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres[8], que l’objet et l’effet d’une loi sont tous les deux importants pour déterminer la compatibilité d’une loi avec les principes énoncés à la Charte. Un objet inconstitutionnel ou un effet inconstitutionnel pourront tous deux rendre une loi invalide. L’objet et l’effet d’une loi furent, dans l’arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres[9], définis de la façon suivante :

Toute loi est animée par un but que le législateur compte réaliser. Ce but se réalise par les répercussions résultant de l’opération et de l’application de la loi. L’objet et l’effet respectivement, au sens du but de la loi et de ses répercussions ultimes, sont nettement liés, voire inséparables[10].

Ainsi, dans le cadre d’une contestation constitutionnelle ayant pour fondement la Charte, l’objet—i.e. le but de la loi—et l’effet—i.e. les répercussions ultimes de la loi—ont tous deux leur importance. Il faut s’assurer qu’ils sont l’un et l’autre conformes aux principes édictés par la Charte.

Le juge Dickson précise toutefois, toujours dans l’arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd.[11], la façon suivant laquelle l’objet et l’effet d’une loi doivent interagir :

Si l’objet reconnu de la Loi sur le dimanche, savoir rendre obligatoire l’observance du sabbat, porte atteinte à la liberté de religion, il n’est pas nécessaire alors d’examiner les répercussions réelles de la fermeture le dimanche sur la liberté de religion. Même si ces effets étaient jugés inoffensifs, comme le préconise le procureur général de l’Alberta, cela ne pourrait permettre de sauver une loi dont on a conclu que l’objet viole les garanties de la Charte. En tout état de cause, il me serait difficile de concevoir une loi qui aurait un objet inconstitutionnel et dont les effets ne seraient pas eux aussi inconstitutionnels[12].

L’effet ne pourra rendre constitutionnellement valide une loi dont l’objet contrevient à l’une ou l’autre des garanties offertes par la Charte. L’effet de la loi pourra cependant rendre constitutionnellement invalide une loi dont l’objet est par ailleurs conforme aux garanties prévues à la Charte.

Le juge en chef Dickson s’exprime en des termes similaires dans l’arrêt Edwards Books[13] où il écrit :

Même si une loi a un objet régulier, il est encore possible à un justiciable de faire valoir que, de par ses effets, elle porte atteinte à un droit ou à une liberté garantis [sic] par la Charte. Il sera donc nécessaire d’examiner assez en détail les répercussions de la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail[14].

2.         Le paragraphe 15(1) de la Charte

Le paragraphe 15(1) de la Charte s’énonce en ces termes :

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

C’est à l’occasion de l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia[15] que les paramètres d’application de la règle qui y est énoncée furent établis. Or, à mon avis, ces paramètres ont été mal compris par l’honorable juge de la Cour canadienne de l’impôt. Ayant conclu à l’existence d’une distinction fondée sur l’un des motifs énumérés au paragraphe 15(1), à savoir l’âge, elle n’avait pas, au moment de déterminer l’effet discriminatoire de cette distinction, à s’interroger quant à l’existence d’une minorité discrète et isolée. Les paramètres que toute cour se doit d’appliquer dans le cadre d’un examen fondé sur le paragraphe 15(1) de la Charte sont les suivants :

(1) la loi contestée doit établir une distinction intentionnelle ou non entre l’individu, membre d’un groupe, et les autres;

(2) celle-ci doit reposer sur un motif énuméré ou analogue; et

(3) la loi doit avoir un effet discriminatoire sur le plan législatif, i.e. elle doit imposer un fardeau non imposé à d’autres.

Dans l’affaire Rudolf Wolff & Co.[16], et quelques années plus tard dans l’arrêt Symes[17], la Cour suprême du Canada vint réaffirmer ce qu’elle avait déjà précisé dans l’arrêt Andrews[18] : le processus applicable sous l’empire du paragraphe 15(1) de la Charte en est un essentiellement comparatif. C’est ce même processus comparatif qui permet de décider si oui ou non la loi établit une distinction, une classification ou différenciation[19].

Si la Cour suprême du Canada avait, dans l’arrêt Andrews[20] et dans les décisions qui suivirent, clairement adopté une analyse en trois étapes, la trilogie des arrêts Miron c. Trudel[21], Egan c. Canada[22] et Thibaudeau c. Canada[23] marqua quant à elle l’entrée en scène d’un quatrième critère, celui de la pertinence.

Ainsi pour le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Major et Gonthier, s’ajoute au test classique dans le cadre d’une analyse sous le paragraphe 15(1) de la Charte une nouvelle étape laquelle permettra de déterminer s’il était pertinent pour le législateur d’établir une distinction ayant pour fondement le motif énuméré ou analogue. Au moment d’appliquer ce quatrième et dernier critère, il faut avoir à l’esprit les contextes linguistiques, philosophiques et historiques dans lesquels se situe la problématique. Faut-il préciser que l’ajout de ce quatrième critère permettra de conclure qu’une distinction législative, bien que discriminatoire et fondée sur un motif énuméré ou analogue, ne constitue pas une restriction au droit que garantit le paragraphe 15(1) de la Charte.

L’inclusion de cette quatrième étape ne fait toutefois pas l’unanimité au sein des membres de la Cour. Les juges Sopinka, Cory, Iacobucci et McLachlin s’opposent en effet à l’inclusion d’un tel critère. Celui-ci leur paraît inacceptable du fait qu’il en résulterait une complète marginalisation de la règle énoncée à l’article premier de la Charte.

Madame le juge L’Heureux-Dubé ne se prononce pas quant à ce critère de la pertinence. Ainsi, au moment d’appliquer la règle énoncée au paragraphe 15(1) de la Charte aux faits de la présente affaire, puisque la Cour suprême est également divisée, je tiendrais compte de l’ajout de ce nouveau critère.

3.         L’article premier de la Charte

L’article premier de la Charte se lit comme suit :

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

Les principes applicables dans le cadre d’une analyse sous l’article premier ont été établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt La Reine c. Oakes[24]. Ces principes font depuis l’objet d’une jurisprudence constante et unanime. Plus récemment, dans l’arrêt Dagenais c. Société Radio-Canada[25], ces principes étaient réaffirmés. Dans l’arrêt R. c. Laba[26], la Cour suprême du Canada, sous la plume du juge Sopinka, résume ces principes de la façon suivante :

1) Afin d’être suffisamment importante pour justifier la suppression d’un droit ou d’une liberté garantis par la Constitution, la disposition attaquée doit se rapporter à des préoccupations urgentes et réelles dans une société libre et démocratique;

2) Les moyens choisis pour atteindre l’objectif législatif doivent satisfaire à un critère de proportionnalité à trois volets : a) ils doivent avoir un lien rationnel avec l’objectif en question, b) ils doivent porter le moins possible atteinte au droit ou à la liberté en question, et c) leurs effets préjudiciables doivent être proportionnels à leurs effets bénéfiques et à l’importance de l’objectif qui a été décrit comme « suffisamment important ».

B.        Application en l’espèce

1.         Remarques liminaires

Il convient, à ce stade-ci, de s’attarder aux spécificités de la Loi de l’impôt sur le revenu. Au moment de déterminer si cette disposition établit une distinction, il me faudra avoir à l’esprit la nature particulière de cette Loi et des régimes de crédits personnels qu’elle prévoit. La Cour suprême du Canada souligne en effet, dans l’arrêt Thibaudeau[27], qu’il est de l’essence même de la Loi de l’impôt sur le revenu de faire des distinctions de manière à générer des revenus pour l’État tout en composant de façon équitable avec un ensemble d’intérêts forcément divergents.

Eu égard aux crédits personnels, la jurisprudence a déjà reconnu que leur but est d’améliorer l’équité du système fiscal en reconnaissant les situations différentes dans lesquelles se trouvent les contribuables, et en tenant compte de leur capacité différente de payer l’impôt du fait de cette situation[28].

2. Le paragraphe 15(1) de la Charte

a) L’alinéa 118(1)b) de la Loi établit-il une distinction entre l’individu, membre d’un groupe, et les autres?

Il me paraît tout d’abord impossible d’affirmer que la disposition établit une distinction entre les différents contribuables en fonction de leur revenu respectif. L’admissibilité au crédit est en effet indépendante du revenu du contribuable qui le réclame. Le législateur ne cherche donc pas à alléger le fardeau fiscal des contribuables à faible revenu.

L’alinéa 118(1)b) établit une distinction entre les contribuables qui sont mariés et ceux qui ne le sont pas. Je suis cependant d’avis que cette distinction ne peut servir de fondement à la présente contestation. Il a déjà été décidé, dans l’arrêt Schachtschneider c. Canada[29], que la disposition n’est pas discriminatoire à l’égard des contribuables mariés. Dans ce dernier arrêt, le juge d’appel Mahoney s’exprime ainsi :

Il peut y avoir d’autres individus que le paragraphe 118(1) traite différemment suivant les caractéristiques qui leur sont propres, mais le groupe dont il est question en l’espèce est composé de conjoints mariés ayant un enfant issu du mariage, qui vivent ensemble et dont l’un ne subvient pas aux besoins de l’autre. À mon avis, il ne s’agit pas d’un groupe que l’on peut qualifier de défavorisé [sic] par la place qu’il occupe dans les contextes social, politique et juridique de notre société. Il s’ensuit que ce groupe n’est pas une minorité distincte et isolée au sens où l’envisage l’article 15. La distinction que fait le paragraphe 118(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu entre les personnes mariées et les personnes non mariées dans ces mêmes circonstances n’est pas discriminatoire.

L’alinéa 118(1)b) distingue de plus entre les contribuables non mariés qui ont à leur charge un enfant majeur qui ne souffre d’aucune infirmité mentale ou physique et ceux qui subviennent entièrement aux besoins, selon le cas, d’un enfant mineur, d’un ascendant ou d’un adulte qui souffre d’une infirmité mentale ou physique. Cette distinction ayant été établie, il me paraît opportun de passer à la seconde étape du test.

b)         Cette distinction est-elle fondée sur un motif énuméré ou analogue?

La distinction établie par la Loi est-elle fondée sur un motif énuméré ou sur un motif analogue? En l’espèce, le seul motif invoqué en est un que le paragraphe 15(1) prévoit de façon expresse, l’âge. L’âge est une caractéristique personnelle. Encore faut-il que cette caractéristique personnelle soit celle des membres du groupe à l’égard duquel la Loi établit une distinction, en l’occurrence les contribuables qui subviennent entièrement aux besoins d’un enfant qui ne souffre d’aucune infirmité mentale ou physique et qui est âgé de plus de 18 ans. C’est en effet ce que rappelle le juge McIntyre dans l’arrêt Andrews[30] :

… la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d’un individu ou d’un groupe d’individus, qui a pour effet d’imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages… [Mon soulignement.]

Or, ce n’est pas le cas dans la présente affaire. La distinction établie par la Loi est fondée non pas sur l’âge des membres du groupe ci-avant identifié mais bien sur l’âge de la personne à l’égard de laquelle le crédit est réclamé.

Je ne me prononce pas quant à la question de savoir si le statut de contribuable qui subvient entièrement aux besoins d’un enfant qui ne souffre d’aucune infirmité mentale ou physique et qui est âgé de plus de 18 ans peut constituer un motif analogue. La défenderesse n’a en effet pas invoqué cet argument.

Étant donné ma conclusion quant au deuxième critère, il m’apparaît inutile d’étudier le troisième critère qui consiste à déterminer si la distinction établie par la Loi impose au groupe visé un fardeau, un désavantage ou une obligation.

(i)         Discrimination par association

La défenderesse prétend qu’il peut y avoir discrimination par association. Elle soumet qu’il peut y avoir violation du paragraphe 15(1) de la Charte même si la distinction qu’établit la Loi est fondée sur une caractéristique personnelle (énumérée au paragraphe 15(1) ou analogue à celles qui y sont énumérées) d’une autre personne, à savoir la personne à charge. Cette thèse, bien qu’elle n’ait point été retenue par la majorité de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Benner c. Canada (Secrétaire d’État)[31], a fait l’objet d’une dissidence du juge Linden. En acceptant que cette thèse puisse réussir, il faudrait néanmoins se demander si toute distinction fondée sur l’âge est nécessairement discriminatoire, i.e. si une telle distinction impose nécessairement un fardeau, un désavantage ou une obligation.

Même en admettant que la distinction impose un fardeau aux contribuables qui subviennent entièrement aux besoins d’une personne liée de plus de 18 ans, cette distinction serait-elle fondée sur une caractéristique personnelle pertinente énumérée au paragraphe 15(1)?

c)         Le critère de la pertinence

Sans me prononcer quant à la légitimité du critère de la pertinence, je dirais que son application en l’espèce milite en faveur de la conclusion suivant laquelle la disposition 118(1)b)(ii)(D) ne constitue pas une restriction au droit que garantit le paragraphe 15(1) de la Charte.

Lorsque le motif invoqué est celui de l’âge, il faut analyser s’il y a « des motifs sérieux pour conférer des avantages à un groupe d’âge plutôt qu’à un autre ». En l’espèce, le législateur a établi l’âge de 18 ans comme norme puisqu’à cet âge un enfant est considéré comme indépendant et capable de subvenir à ses besoins. Comme l’indiquait le juge Létourneau dans l’arrêt Lister[32] :

Ainsi, s’agissant de décider si l’enfant est ou non à la charge de ses parents, l’âge constitue un facteur tout à fait pertinent. Hormis de rares exceptions, c’est le facteur qui s’applique—et qui est effectivement appliqué—le plus souvent, le plus aisément et le plus équitablement pour délimiter l’unité familiale aux fins de l’attribution de certains avantages.

Cet âge correspond à l’âge retenu dans plusieurs lois, fédérales et provinciales, pour déterminer le moment à compter duquel une personne aura le droit de voter[33], d’acheter du tabac[34], d’acheter de l’alcool[35] ou devra cotiser à un régime de pensions[36].

La valeur fonctionnelle de la Loi est ici de prendre en compte le moment auquel une personne est censée atteindre un degré d’autonomie financière suffisant. L’on cherche à accorder le bénéfice d’un crédit d’impôt au contribuable qui subvient aux besoins d’une personne qui lui est liée et dont les capacités d’autonomie sont réduites, i.e. l’enfant mineur, l’adulte qui souffre d’une infirmité ou l’ascendant qui, pour une raison quelconque, ne peut subvenir à ses besoins. Ainsi, la distinction établie par le législateur n’est pas à partir d’une hypothèse stéréotypée du groupe mais d’une norme objective, soit le degré d’autonomie de la personne. Eu égard à cette valeur fonctionnelle, je serais encline à conclure que la distinction est fondée sur une caractéristique personnelle pertinente énumérée au paragraphe 15(1), à savoir l’âge.

3.         L’article premier de la Charte

Bien que j’ai conclu que l’alinéa 118(1)b) de la Loi est conforme à la garantie d’égalité énoncée au paragraphe 15(1) de la Charte, j’ai décidé de procéder quand même à l’analyse sous l’article premier de la Charte. Cet exercice me permettra de rendre certaines conclusions de faits sur la preuve présentée par la demanderesse, lesquelles seront utiles dans l’éventualité où, dans le cadre d’un appel, il serait fait droit aux prétentions de la défenderesse quant à l’article 15 de la Charte.

a)         Objectif suffisamment important

La preuve de la demanderesse établit que la réforme fiscale de 1988 avait pour but, en ce qui concerne les déductions personnelles, de rendre le système plus cohérent et de l’harmoniser avec d’autres dispositions de la loi pour éviter, par exemple, de considérer une personne comme autonome en vertu de certaines dispositions de la loi mais comme personne à charge aux fins d’autres dispositions. La réforme a voulu accorder un allégement fiscal aux contribuables ayant à charge des personnes dont les capacités sont réduites soit les mineurs, les adultes qui souffrent d’une infirmité, mentale ou physique, et les ascendants[37].

b)         Le critère de proportionnalité

(i)         Moyens proportionnels aux objectifs poursuivis

Le facteur retenu par le législateur pour déterminer l’autonomie d’une personne est l’âge de 18 ans sauf si la personne souffre d’une infirmité, mentale ou physique, ou s’il est un ascendant.

Comme nous avons vu, c’est l’âge retenu dans plusieurs lois, fédérales et provinciales, comme le moment à compter duquel une personne bénéficiera de certains droits ou aura certaines obligations. Dans la plupart des provinces, 18 ans représente l’âge de la majorité.

Comme je l’indiquais précédemment, je considère l’âge de 18 ans comme pertinent eu égard à l’objectif de la Loi qui est de prendre en considération le moment auquel une personne qui ne souffre d’aucune infirmité, qu’elle soit mentale ou physique, est censée atteindre un degré d’autonomie financière suffisant. Le législateur accorde un crédit au contribuable qui subvient aux besoins d’une personne dont les capacités sont réduites.

(ii)        Atteinte minimale

Il convient de rappeler la mise en garde formulée par la Cour suprême, d’abord dans l’arrêt Irwin Toy Ltd.[38], et reprise maintes fois par la suite. Les tribunaux supérieurs doivent faire preuve de souplesse au moment d’appliquer le critère de l’atteinte minimale à une loi par laquelle le législateur, agissant en tant qu’arbitre, a à choisir entre les revendications de groupes concurrents et doit répartir des ressources limitées entre ces divers groupes.

Il ne s’agit donc pas de trouver la meilleure restriction possible mais plutôt une restriction raisonnable.

En l’espèce, l’alinéa 118(1)b) de la Loi n’exclut pas de façon absolue les personnes qui sont âgées de plus de 18 ans. En effet, le crédit est accordé si, étant âgée de plus de 18 ans, la personne à charge souffre d’une infirmité ou encore s’il est un ascendant.

Le Comité de la Chambre des communes et celui du Sénat avait proposé que la limite d’âge soit fixée à 21 ans plutôt que 18 ans. Cette proposition n’a pas été retenue, le Parlement préférant, en adoptant l’âge de 18 ans, favoriser l’harmonisation du système fiscal. La transférabilité aux parents des crédits pour études et pour frais de scolarité des enfants répondait d’ailleurs aux préoccupations des comités à cet égard[39].

Il ne fait pas de doute, à mon avis, compte tenu de la situation économique actuelle, où le gouvernement doit réduire ses dépenses et augmenter ses revenus afin de faire face au déficit, que ce dernier était justifié de faire le choix qu’il a fait. Dans les circonstances, il s’agissait d’une atteinte minimale.

(iii)       Les effets préjudiciables

Il découle de ce qui précède que les effets de l’alinéa 118(1)b) de la Loi sur les contribuables ayant un enfant à charge d’âge adulte ne sont pas si importants qu’ils l’emportent sur l’objectif du gouvernement d’accorder un allégement fiscal qui tienne compte du moment auquel une personne, qui ne souffre d’aucune infirmité, est censée atteindre un degré d’autonomie financière suffisant et des capacités d’autonomie financière réduites de certaines personnes.

VI.       Dispositif

Je suis d’avis que la disposition 118(1)b)(ii)(D) de la Loi ne constitue pas une restriction au droit que garantit le paragraphe 15(1) de la Charte. En tout état de cause, si j’avais conclu que la disposition était incompatible avec le paragraphe 15(1), j’aurais jugé que pareille restriction se justifie en vertu de l’article premier.

Pour ces motifs, l’appel de la demanderesse est accueilli. La cotisation établie par le ministre du Revenu national à l’endroit de la défenderesse pour l’année d’imposition 1988 est confirmée.



[1] S.R.C. 1952, ch. 148, telle que modifiée par S.C. 1970-71-72, ch. 63 et par des amendements subséquents [art. 118(1) (mod. par L.C. 1988, ch. 55, art. 92)].

[2] Qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

[3] [1986] 1 R.C.S. 103.

[4] Annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

[5] [1990] 3 R.C.S. 570.

[6] L.R.C. (1985), ch. T-2.

[7] [1986] 2 R.C.S. 713.

[8] [1985] 1 R.C.S. 295.

[9] Ibid.

[10] Id., à la p. 331 (les notes du juge Dickson, tel était alors son titre).

[11] Ibid.

[12] Id., à la p. 333.

[13] Supra, note 7.

[14] Id., à la p. 752.

[15] [1989] 1 R.C.S. 143.

[16] Rudolf Wolff & Co. c. Canada, [1990] 1 R.C.S. 695.

[17] Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695.

[18] Supra, note 15.

[19] Au même effet : Haig c. Canada; Haig c. Canada (Directeur général des élections), [1993] 2 R.C.S. 995; et R. c. Finta, [1994] 1 R.C.S. 701.

[20] Supra, note 15.

[21] [1995] 2 R.C.S. 418.

[22] [1995] 2 R.C.S. 513.

[23] [1995] 2 R.C.S. 627.

[24] Supra, note 3.

[25] [1994] 3 R.C.S. 835.

[26] [1994] 3 R.C.S. 965, à la p. 1006.

[27] Supra, note 23, à la p. 702.

[28] Schachtschneider c. Canada, [1994] 1 C.F. 40(C.A.).

[29] Id., à la p. 56.

[30] Supra, note 15, à la p. 174.

[31] [1994] 1 C.F. 250(C.A.), une autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada a été accordée [[1994] 1 R.C.S. v].

[32] Lister c. Canada, [1995] 1 C.F. 130(C.A.), à la p. 155.

[33] Voir, par exemple, la Loi électorale du Canada, L.R.C. (1985), ch. E-2; la Loi électorale, L.R.Q., ch. E-3.3 et la Loi électorale, L.R.O. (1990), ch. E.6.

[34] Voir la Loi sur la vente du tabac aux jeunes, L.C. 1993, ch. 5.

[35] Voir la Loi sur les infractions en matière de boissons alcooliques, L.R.Q., ch. I-8.1.

[36] Voir, par exemple, le Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8 et la Loi sur le régime des rentes du Québec, L.R.Q., ch. R-9.

[37] Voir, à cet égard, la Pièce D-3 ainsi que le Rapport sur le livre blanc de la réforme fiscale de 1987 [Comité permanent des finances et des affaires économiques].

[38] Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927; et Stoffman c. Vancouver General Hospital, [1990] 3 R.C.S. 483.

[39] Voir les extraits pertinents de la Pièce D-3 (affidavit de M. Horner), la Pièce D-4 (Rapport du Comité de la Chambre des communes, aux p. 37 et 38) et, enfin, la Pièce D-1 (Rapport du Comité du Sénat).

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